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Octobre 2010 - La Scena Musicale

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L’ŒUVRE DU MOIS<br />

SUR L’UTILISATION du CHROMATISME DANS<br />

LA JUPITER de MOZART<br />

René Bricault<br />

Lorsqu’il songe à une utilisation<br />

importante du chromatisme dans<br />

une grande période de l’histoire<br />

musicale, le mélomane évoque spontanément<br />

certains affects du<br />

baroque, l’opéra wagnérien ou la musique<br />

atonale plutôt que le classicisme viennois. Ce<br />

dernier, dont la vitalité est fondée sur le<br />

contraste dynamique de tonalités définies et<br />

polarisées, tend naturellement vers un diatonisme<br />

exacerbé. Pourtant, Mozart a su<br />

exploiter, avec autant de succès que de générosité,<br />

les ressources de dramatisation et de<br />

coloration propres au chromatisme dans son<br />

imposante 41 e Symphonie en do majeur (dite<br />

«Jupiter»). Achevée le 10 août 1788, elle est<br />

non seulement la dernière symphonie de<br />

Mozart, mais aussi un exemple exceptionnel<br />

de complexité extrême dissimulée sous une<br />

apparente facilité, comme en témoignent les<br />

célèbres parties fuguées du finale. Nous analyserons<br />

ici certains procédés mozartiens<br />

dans le premier mouvement de ce chefd’œuvre<br />

pour mieux comprendre les façons<br />

typiques du maître de concilier chromatisme<br />

occasionnel et diatonisme dominant.<br />

Mentionnons tout d’abord que le mouvement<br />

est une forme-sonate trithématique. Il<br />

sera utile d’identifier les principaux motifs des<br />

trois thèmes pour mieux nous y retrouver.<br />

Le premier:<br />

Le second:<br />

Le troisième:<br />

Le second thème offre un premier exemple<br />

de chromatisme fonctionnel, de nature purement<br />

mélodique. Mozart aurait certes pu se<br />

passer du sol dièse et laisser le sol en ronde,<br />

mais cela aurait affaibli son thème de deux<br />

façons: d’abord en le rendant plus terne,<br />

ensuite en exagérant le contraste rythmique<br />

entre les durées longues (du début) et brèves<br />

(de la suite). Une solution plus sensée consisterait<br />

à remplacer la note chromatique par<br />

une note voisine (comme un fa dièse ou un<br />

si), mais seulement au prix de la fluidité caractéristique<br />

de la ligne mélodique. Il en va de<br />

même, d’ailleurs, pour la série de croches de<br />

la fin de notre exemple. Notez que Mozart<br />

choisit ses altérations chromatiques de façon à<br />

garder les notes de l’accord de sol sur les temps<br />

forts, maintenant le sens tonal et bridant l’impact<br />

des notes altérées. (Mentionnons au passage<br />

que le troisième mouvement fonde la<br />

majorité de son contenu thématique sur un<br />

principe similaire à ce second thème, mais en<br />

mouvement descendant.)<br />

Un type de chromatisme mélodique encore<br />

plus mozartien (chromatisme renversé, cette<br />

fois) peut s’expliquer à partir de l’extrait suivant:<br />

Il s’agit d’un commentaire précadentiel<br />

suivant le troisième thème. Soulignons les<br />

quasi-broderies (à distance de demi-ton,<br />

comme les do dièse aigus) dont l’altération<br />

est par la suite neutralisée par un bécarre.<br />

Cela permet de créer des répétitions séquentielles<br />

d’une grande excitation mélodique. Le<br />

second mouvement de la symphonie s’avère<br />

d’ailleurs un précieux exemple de coloration<br />

mélodique par altérations chromatiques<br />

(confirmant la touche sensuelle des thèmes<br />

de Mozart, plus souvent évoquée qu’expliquée)<br />

sans nécessiter d’emprunts harmoniques<br />

constants (comme chez Bach, p. ex.).<br />

Cet extrait montre jusqu’où Mozart peut<br />

aller dans ses explorations chromatiques, et<br />

ce, presque à notre insu tant l’exercice est discret.<br />

En huit temps de noires à tempo rapide,<br />

et sans affecter le mouvement vers la cadence,<br />

la mélodie aiguë et la basse (avec pédale<br />

aiguë de ré, absente de l’exemple) se partagent<br />

toutes les notes chromatiques de fa dièse<br />

à ré inclusivement!<br />

Outre l’aspect mélodique, nul ne peut passer<br />

sous silence la fonction harmonique/formelle<br />

du chromatisme, surtout dans la<br />

«Jupiter», mécanisme efficace lors des modulations.<br />

Or, si nous ne regardons que les principales<br />

modulations du premier mouvement,<br />

soit lors du passage à la dominante vers le<br />

second thème et lors du retour à la tonique<br />

vers la réexposition, nous ne remarquerons<br />

pas grand-chose. En effet, le passage à la<br />

dominante s’effectue sur pédale de dominante<br />

avec mélodie, basée sur le second motif du<br />

premier thème, en séquence ascendante n’incluant<br />

que peu de chromatisme mélodique<br />

retourné, avant de clore sur la dominante de<br />

la dominante. Le retour à la tonique sera préparé<br />

par un ingénieux écartèlement du motif<br />

conclusif du troisième thème (absent de<br />

notre exemple) en contrepoint aux bois, avec<br />

de moins en moins de notes altérées et se terminant<br />

sur une gamme descendante de do –<br />

suprême sens d’économie après un développement<br />

assez costaud pour l’époque.<br />

L’intérêt ne réside donc pas tant dans les<br />

cadences importantes, mais plutôt juste avant<br />

celles-ci. Les neuf mesures précédant la pédale<br />

de sol nous menant au second thème regorgent<br />

d’ambiguïtés harmoniques, le tout soutenu<br />

par une descente chromatique au<br />

basson. Le contrepoint modulant à la<br />

tonique vers la réexposition, lui, est joué<br />

quelques mesures après une compression du<br />

premier motif du premier thème et une descente<br />

rapide caractéristique d’un tutti transitoire<br />

en fanfares concluant les périodes<br />

importantes de l’exposition (commentaire du<br />

premier thème avant sa répétition modifiée<br />

en dynamique piano, modulation vers le<br />

second thème et passage vers le développement<br />

– voir mesures 9 à 16, 49 à 54 et 117 à<br />

119), l’ensemble encore une fois bâti sur un<br />

chromatisme descendant à la basse.<br />

S’il fallait souligner un seul autre moment<br />

de l’exposition, ce serait la transition entre les<br />

second et troisième thèmes. Toujours juste<br />

avant un autre tutti aux motifs modifiés, les<br />

cordes en dynamique piano interrompent le<br />

second thème d’une mesure de silence, suivie<br />

par un do mineur forte de deux mesures, puis<br />

un éclatant do majeur avant le retour à la<br />

dominante pour le troisième thème (un peu<br />

comme si Mozart, voulant donner un poids<br />

égal aux deux thèmes à la dominante, les préparait<br />

intentionnellement avec une tonique<br />

péremptoire). Fusion du chromatisme mélodique<br />

et harmonique, l’impact dramatique de<br />

l’inflexion du mi bémol vers mi bécarre servira<br />

assurément de leçon, quelques décennies<br />

plus tard, à un certain Franz Schubert… ■<br />

» 41 e Symphonie en do majeur (dite «Jupiter»), Concert gala<br />

pour I Musici de Montréal<br />

Le 25 oct, Salle Claude Champagne (220, Vincent-d'Indy)<br />

514-983-6038, www.imusici.com<br />

22 OCTOBRE <strong>2010</strong> OCTOBER

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