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UNE OEUVRE, UN REGARD<br />
XENAKISun grand classique<br />
Propos recueillis par Lucie Renaud<br />
Dans le premier segment de cette nouvelle chronique,<br />
« Une œuvre, un regard », la chef d’orchestre<br />
Lorraine Vaillancourt nous parle du<br />
programme Xenakis présenté par le NEM le 6<br />
octobre prochain.<br />
On connaît l’amour de Xenakis<br />
pour l’architecture, chacune de<br />
ses œuvres provoquant autre<br />
chose sur le papier que son<br />
amour de la musique. Quand on<br />
voit une partition de Xenakis, ce qu’on<br />
découvre, si on regarde un peu de loin, ce sont<br />
des édifices, en général pas des ponts suspendus,<br />
l’écriture n’étant pas très aérée, mais compacte.<br />
Ce n’est pourtant pas le résultat d’une<br />
démarche scientifique, plutôt d’une pensée très<br />
sensible aux formes, à la matière. Xenakis a<br />
inventé un monde sonore que beaucoup<br />
d’autres ont exploité par la suite, cette transmission<br />
de la masse à travers les sons des vents,<br />
des harmoniques qui ne sont pas vraiment harmonieuses.<br />
Il y a souvent de la microtonalité,<br />
cela déchire. Cette force, cette masse sonore<br />
qui bouge, cette succession de vagues ascendantes<br />
et descendantes, ces nombreux glissandos,<br />
se retrouvent dans toutes ses œuvres.<br />
Xenakis reste particulièrement actuel.<br />
D’une part, ses œuvres n’ont pas vieilli, elles<br />
continuent d’avoir le même impact, justement<br />
grâce aux contrastes, à ces masses, aux<br />
frottements qu’ils provoquent, aux dynamiques<br />
extrêmes, très exigeantes pour tous<br />
les musiciens qui soufflent dans leurs instruments.<br />
C’est toujours limite; Xenakis pousse<br />
les musiciens vraiment très loin dans ce senslà,<br />
il faut toujours que ce soit plus, plus haut,<br />
plus fort, plus dur, ou alors dans l’extrêmement<br />
doux. Il faut donc aller puiser très loin<br />
dans ses ressources. Le choc entre les différentes<br />
familles d’instruments permet des<br />
effets absolument merveilleux et on finit par<br />
oublier qu’on a des instruments devant soi,<br />
même quand on l’a joué plusieurs fois. Qu’il<br />
prenne des moyens détournés ou non, on<br />
reconnaît Xenakis comme Mozart, on se<br />
retrouve dans des pistes balisées.<br />
PREMIÈRES RENCONTRES AVEC L’UNIVERS XENAKIS<br />
Quand je faisais mes études en Europe, dans<br />
les années 1960 et 70, pendant les grandes<br />
années du Festival international d’art contemporain<br />
de Royan [manifestation pluridisciplinaire<br />
annuelle, organisée de 1964 à 1977], j’y<br />
ai entendu des premières de Xenakis, dont<br />
Metastasis, qui m’avait beaucoup marquée.<br />
PHOTO : Bernard Préfontaine<br />
Une œuvre coup de poing, pas dans le sens<br />
brutal, mais plutôt parce qu’elle laisse une<br />
forte impression. En quittant la salle de<br />
concert, tu te dis: «Mais où sommes-nous?»<br />
Je me souviens aussi très bien de Nomos<br />
Alpha, pour violoncelle solo. Cela questionne<br />
énormément les idées reçues sur la musique.<br />
On sort complètement du langage connu, il y<br />
a des choses impossibles à faire. Il faut<br />
contourner, savoir où aller, quoi transmettre.<br />
Pour un chef, ce n’est pas évident parce qu’il<br />
faut que les musiciens acceptent d’être des<br />
instruments, quelqu’un qui essaie de transmettre<br />
envers et contre tout la musique, une<br />
idée, ce qui les rend souvent inconfortables,<br />
car ils doivent lutter un peu contre leur instrument.<br />
Quand on se tient constamment au<br />
bord du précipice ou dans l’au-delà de son<br />
instrument, il faut faire attention de ne pas<br />
tomber en bas! Il faut trouver le geste, ce qui<br />
est très libérateur aussi.<br />
UN DÉFI POUR LE CHEF<br />
Le chef, au moment du concert, tient le<br />
volant, il n’y a pas de virtuosité au niveau de la<br />
battue chez Xenakis. Au contraire, les battues<br />
sont en général très lentes et la musique à l’intérieur<br />
de celles-ci très rapide. Ce sont des<br />
repères pour les musiciens, qui ont énormément<br />
de choses à faire en très peu de temps. <strong>La</strong><br />
chorégraphie leur permet de savoir à quelle<br />
rue ils sont rendus! C’est le soutien de tout<br />
l’édifice et essentiellement un travail de profondeur,<br />
effectué en répétition. Une fois les<br />
segments travaillés, au moment du concert, on<br />
parle plutôt d’une énergie; il faut maintenir<br />
cette force-là, tendre l’arc reste le défi.<br />
En tant que chef, je rends les musiciens<br />
conscients de ce qu’ils font, des gestes des<br />
autres, de l’endroit dans lequel ils doivent se<br />
trouver au sein de cette masse sonore.<br />
Souvent, on regarde le texte et on n’est pas<br />
satisfait de ce qu’on entend sur les (rares) enregistrements;<br />
il faut plutôt s’accrocher à ce que<br />
Xenakis a inscrit dans sa partition. Tout ce travail<br />
se fait dans les répétitions. En concert,<br />
effectivement, il y a des œuvres sûrement plus<br />
exigeantes, qui en mettent plein la vue par les<br />
changements de mesures par exemple et parfois,<br />
dans Xenakis, le chef voudrait pouvoir<br />
bouger davantage sur le podium. Quand on<br />
est vraiment actif, on distribue les énergies. Il<br />
faut tenir quelque chose qui est très fort, très<br />
puissant, et vous avez seulement un geste lent<br />
pour le faire, que vous ne pouvez pas changer,<br />
le repère étant très important; c’est une autre<br />
forme d’exigence.<br />
Xenakis est un homme qui a beaucoup<br />
souffert et la juxtaposition de la beauté et<br />
d’une certaine laideur demeure toujours présente<br />
en lui. Ce qui fait la beauté de sa<br />
musique, c’est qu’elle nous pousse à demeurer<br />
sur le fil, qu’elle soit la confrontation de<br />
deux extrêmes. ■<br />
» Hommage à Xenakis, 6 octobre. Seront entendus ce soirlà<br />
: Anaktoria, Échange, Ikhoor, O-Mega et Thalleïn.<br />
Info au www.lenem.ca/nem<br />
» L'exposition Xenakis: compositeur, architecte et visionnaire<br />
se tient au CCA jusqu'au 17 octobre<br />
20 OCTOBRE <strong>2010</strong> OCTOBER