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Un bon magazine de mode devrait être<br />
composé de noms qu’on n’a jamais vus,<br />
dont on ne connaît pas déjà le style par<br />
cœur […]<br />
marques, qui contrôleraient les images<br />
publiées et ne les ouvriraient pas forcément<br />
toutes aux commentaires.<br />
Encore faut-il avoir des histoires à<br />
raconter à une fréquence élevée, car<br />
on consulte un blog au moins tous les<br />
deux ou trois jours. […] Plus largement<br />
à propos du medium, je pense qu’une<br />
révolution se prépare au niveau du<br />
marché, car les marques se rendent<br />
compte que la visibilité des blogs commence<br />
à être plus importante que celle<br />
des sites commerciaux comme style.<br />
com. Pour leur dernier défilé, Dolce<br />
& Gabbana ont installé les trois blogueuses<br />
mode les plus hype à côté<br />
d’Anna Wintour, au premier rang,<br />
pour qu’elles transmettent instantanément<br />
les silhouettes sur leur blogs avec<br />
des commentaires. Même si la marque<br />
n’est pas la plus sophistiquée, ça a fait<br />
pas mal réfléchir le milieu.<br />
Ce qui semble attirer les marques vers<br />
Internet, c’est peut-être davantage le<br />
e-commerce que le contenu éditorial…<br />
C’est effectivement un enjeu économique<br />
très important et le restera dans<br />
les années à venir. PPR a d’ailleurs<br />
rationnalisé une interface e-commerce<br />
pour toutes ses marques. Ça<br />
semble un investissement important,<br />
mais comparé à une ouverture de<br />
boutique, c’est minime et ça rapporte<br />
beaucoup plus.<br />
Tant que ça ?<br />
On ne s’en rend pas forcément compte<br />
depuis Paris ou Londres, mais si on<br />
imagine que sur l’immense territoire<br />
que sont les Etats-Unis, il y a entre 5<br />
et 15 boutiques d’une marque où les<br />
consommateurs peuvent de rendre<br />
et acheter. Mais il y a des millions<br />
d’Américains qui consultent la presse<br />
de mode, qui voient les campagnes<br />
et qui, à travers le e-commerce, peuvent<br />
consommer. Ensuite, c’est une<br />
question de culture de consommation<br />
: pour les utilisateurs du e-commerce,<br />
ça ne pose aucun problème de<br />
commander une paire de chaussures<br />
à la taille qu’on pense être la bonne,<br />
et de la renvoyer si elle ne convient<br />
pas. Ça nous semble une usine à gaz<br />
parce qu’on a les boutiques à portée<br />
de main, mais en province ou au fin<br />
fond des Etats-Unis, on voit les choses<br />
différemment.<br />
On entend de plus en plus de professionnels<br />
annoncer sans complexe<br />
qu’ils ne voient les défilés que sur Internet.<br />
Cela signifie que l’information est<br />
sur la Toile, quand les défilés et leur<br />
premier rang ne seraient que du spectacle<br />
pour les médias ?<br />
De toute façon, cet événement est uniquement<br />
fait pour la presse et a perdu<br />
sa fonction commerciale. Il suffit de<br />
regarder comment sont composés les<br />
premiers rangs : des rédactrices en<br />
chef et des stars, alors que les acheteurs<br />
sont relégués derrière. Maintenant,<br />
il faut aussi dire que ça ennuie<br />
tout le monde d’aller aux défilés, mais<br />
la presse y va car il faut se montrer et<br />
qu’il s’agit d’annonceurs. Côté marque,<br />
voir Anna Wintour et Carine Roitfeld<br />
à son défilé, ça donne une stature qui<br />
n’est pas négligeable, et ça représente<br />
un échange de bons procédés. On peut<br />
penser que c’est beaucoup d’argent<br />
dépensé pour quelques photos dans la<br />
presse, mais dans les showrooms attenants,<br />
il y a toujours un comptoir avec<br />
les parutions presse du lendemain du<br />
défilé, qui permet de dire aux acheteurs<br />
: rassurez-vous, la presse est avec<br />
nous, vous pouvez acheter.<br />
Vous assistez aux défilés ?<br />
Non…<br />
Si vous deviez énoncer les qualités<br />
pour diriger un magazine de mode<br />
aujourd’hui, quelles seraient-elles ?<br />
Je pense que le problème des magazines<br />
de mode aujourd’hui, c’est qu’ils<br />
sont dirigés par des rédactrices en<br />
chef, qui sont en réalité des stylistes ;<br />
on a donc pas mal perdu pour ce qui<br />
est du fond. Les stylistes ne sont censées<br />
choisir que des vêtements, mais<br />
elles ont maintenant des responsabilités<br />
qui vont bien au-delà de leurs<br />
compétences de base, notamment<br />
parce qu’elles qui sont en contact avec<br />
les marques, donc les annonceurs,<br />
et tiennent de fait le magazine entre<br />
leurs mains, vu sa dépendance économique<br />
aux marques. […] Ce n’est plus<br />
la rédactrice en chef intello, la Joan<br />
Juliet Buck [rédactrice en chef de<br />
Vogue Paris de 1994 à 2001, ndlr], qui<br />
était très respectée du monde culturel.<br />
Au contraire, ce sera la femme qui est<br />
main dans la main avec tous les annonceurs.<br />
Au delà de ça, et c’est ce qui a<br />
tué le métier de directeur de création,<br />
c’est que ce sont elles qui vont décider<br />
des séries du magazine.<br />
Jusqu’à quel point ?<br />
Par exemple, elles vont dire : je vais<br />
faire une série avec Mario Testino,<br />
inspirée de la Dolce Vita à Rome, et<br />
le DA comme le directeur de création<br />
n’ont plus rien à dire ; c’est devenu une<br />
affaire de pouvoir et de contrôle, pas<br />
d’artistique ou de contenu. Parce que<br />
le vrai but de la styliste, quelque soit<br />
son titre dans le magazine, ça va être<br />
de faire des campagnes de publicité,<br />
beaucoup plus rémunératrices que son<br />
job au journal, même s’il est très en vue.<br />
Et donc on construit un support, qui<br />
est censé rester neutre, sur des bases<br />
mafieuses. Des marques sont surreprésentées<br />
sans qu’on leur trouve d’intérêt<br />
particulier – je pense à Cavalli,<br />
par exemple. Maintenant, on ne saura<br />
jamais qui a fait la DA ou le stylisme<br />
de leurs campagnes, puisque les journalistes<br />
n’ont normalement pas le droit<br />
d’en faire… Mais on peut légitimement<br />
s’interroger…<br />
Vous ne répondez qu’en creux à ma<br />
question : quelles sont les qualités<br />
pour diriger un magazine de mode<br />
aujourd’hui ?<br />
C’est l’inverse de ce que l’on vient<br />
de décrire : ne pas avoir de lien avec<br />
la mafia, c’est-à-dire en l’espèce : les<br />
agences de photographes, de stylistes<br />
et de mannequins. Mais je décris là un<br />
monde idéal et utopique… Quand on<br />
sait que l’agence de mannequin IMG<br />
a racheté Art + Commerce [agent de<br />
photographes et de styliste]… Il ne<br />
manque plus qu’un groupe de luxe<br />
rachète ces deux-là et signe une jointventure<br />
avec un puissant magazine<br />
de mode. Ce genre de rapprochement<br />
risque de tuer la création, parce<br />
que, à travailler avec les mêmes photographes,<br />
les mêmes stylistes, on<br />
tourne en rond. Un bon magazine<br />
de mode devrait être composé de<br />
noms qu’on n’a jamais vus, dont on ne<br />
connaît pas déjà le style par cœur. Le<br />
travail d’Inez et Vinnodh est plus surprenant<br />
dans les campagnes que dans<br />
les éditos [séries mode des magazines,<br />
ndlr], alors que le principe du magazine<br />
devrait être d’explorer des pistes,<br />
de voir ce qui marche ou non, et seulement<br />
là, de faire un pont vers les<br />
campagnes.<br />
Dans un récent numéro de <strong>Magazine</strong>,<br />
nous parlions de l’importance prise<br />
par les stylistes dans les magazines<br />
de mode et de leur aigreur parfois,<br />
en expliquant « qu’elles avaient tout<br />
donné à un monde égoïste ».<br />
Je pense qu’elles s’ennuient… Si elles<br />
s’épanouissent dans le pouvoir, alors<br />
leur situation est viable, mais le job<br />
en soi ne peut être une finalité, car<br />
il s’avère vite frustrant. C’est bien<br />
de lancer des filles et de petites tendances,<br />
mais ça ne fait pas d’elles des<br />
créatrices pour autant, tout au plus<br />
des passeuses. Le job lui-même, sélectionner<br />
des vêtements, est très limité,<br />
surtout aujourd’hui, quand on reçoit<br />
sa liste de marques à faire shooter pour<br />
chaque numéro [les crédits correspondants<br />
aux pages de publicités achetées<br />
par les marques , ndlr], donc une fois<br />
son pouvoir établi, on peux s’ennuyer.<br />
Et je partage cet avis sur leur possible<br />
aigreur, d’autant que je pense que ce<br />
sont des filles qui refusent le désir de<br />
l’homme, elles sont dans une compétition<br />
entre femmes, mais le papier glacé<br />
les éloigne de la vraie vie ; ça nous<br />
emmènerait loin, la psychologie des<br />
stylistes est un vaste sujet…<br />
Propos recueillis par Angelo Cirimele<br />
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