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était encore pour moi très théorique.<br />
J’ai essayé de faire en sorte que localement<br />
il se passe quelque chose. Je suis<br />
parvenu à faire augmenter le budget,<br />
à faire éditer un catalogue, à inventer<br />
des formations, j’ai fait acheté 10 projecteurs<br />
et une machine pour fabriquer<br />
des cadres. Mais l’important, c’est l’ancrage.<br />
Je pense que Bamako n’était pas<br />
l’endroit idéal. La Côte d’Ivoire aurait<br />
été plus bénéfique à l’événement, qui<br />
nécessite des stimuli : des magazines,<br />
un marché de la photo, des laboratoires…<br />
Autant de choses dont le<br />
Mali est dénué. A Bamako, les photographes<br />
font des clichés de mariage ou<br />
des photos d’identité, ce n’est pas avec<br />
cela qu’on crée une économie. Tous les<br />
tirages doivent être réalisés en Europe,<br />
ce qui grève tout de suite un budget.<br />
Et on attend toujours la création de la<br />
Maison de la photo, annoncée en 1994.<br />
Les rencontres photos restent un ovni<br />
qui se pose tous les deux ans à Bamako,<br />
et entre chaque édition il ne se passe<br />
rien. Heureusement, ces rencontres<br />
ont néanmoins donné un grand élan à<br />
la photographie africaine, qui grâce à<br />
elles a été exposée en Chine, au Japon<br />
ou à Barcelone.<br />
L’exposition qui vous fait définitivement<br />
connaître est Africa Remix, présentée<br />
en 2005 au centre Pompidou<br />
mais aussi à Londres, au Japon. Comment<br />
avez-vous conçu ce projet ?<br />
A l’époque, quand on parlait d’art<br />
africain, on ne considérait que le Sud<br />
Sahara. Moi je voulais prendre en<br />
compte toute l’Afrique, pour montrer<br />
que l’Afrique n’existe pas. J’ai exposé<br />
90 artistes, dont aucun n’est un homo<br />
africanus. Comme nous tous, l’africain<br />
est un mélange. Pour être honnête,<br />
j’ai montré tout ce qui se faisait<br />
en Afrique aujourd’hui : du populaire,<br />
que je ne montre jamais, du pseudoreligieux,<br />
que je ne montre jamais, du<br />
jeune et du vieux. Cette exposition se<br />
concevait comme une fin : manière de<br />
dire que maintenant il s’agit d’ajuster<br />
la focale, de conceptualiser. Les Etats-<br />
Unis l’ont très bien compris, qui organisent<br />
des expositions autour de ce<br />
sujet tous les six mois. La France, pas<br />
du tout. Ils continuent à parler en soidisant<br />
connaisseurs.<br />
Comment l’exposition a-t-elle été<br />
reçue au Japon ?<br />
Certains japonais étaient déçus, car<br />
ils attendaient une Afrique plus « exotique<br />
». Ils me disaient avoir l’impression<br />
que les Africains ont perdu leurs<br />
racines. Ce qui les déstabilisait, c’est<br />
que ce qu’ils voyaient, un Japonais<br />
aurait aussi bien pu le faire. Quand on<br />
me parle d’El Anatsui comme d’un<br />
artiste de la récupération, ce cliché qui<br />
revient sans cesse sur l’art africain, je<br />
rétorque qu’il est peintre, peu importe<br />
avec quels moyens. L’exposition a aussi<br />
été montrée en Afrique du Sud, c’était<br />
l’étape la plus émouvante. Un journal<br />
a titré : Africa remix comes back<br />
home ». Les habitants étaient très fiers,<br />
le musée a battu son record d’entrée.<br />
Les musées en Afrique du sud demeurent<br />
des institutions essentiellement<br />
blanches. Pour Africa Remix, des gens<br />
sont venus qui n’avaient jamais mis les<br />
pieds dans de tels endroits. C’est fondamental<br />
de donner à ces habitants<br />
cette liberté là. Là-bas, la proportion<br />
des noirs dans les écoles d’art est de<br />
5 %.<br />
Comment vous situez-vous par rapport<br />
à une exposition mythique d’il y<br />
a vingt ans, les magiciens de la terre ?<br />
C’était une exposition globale, dont<br />
le commissaire Jean-Hubert Martin,<br />
mon ennemi préféré, se targuait d’être<br />
le premier à avoir réalisé une exposition<br />
d’art contemporain africain. Mais<br />
c’est bel et bien Africa remix qui est la<br />
plus grande exposition d’art africain<br />
qui ait jamais été montée.<br />
Pourquoi votre ennemi préféré ?<br />
Parce qu’il ne pose pas les choses par<br />
hasard et qu’avec lui on peut avoir de<br />
vraies discussions.<br />
Vous êtes le commissaire cette<br />
année de plusieurs événements sur le<br />
continent africain.<br />
Je suis le commissaire d’une biennale<br />
à Douala, montée par l’institution<br />
privée Doualart, et d’une biennale<br />
à Lumumbashi. Je veux qu’elles<br />
aient une dimension sociale, écologique,<br />
avec des exigences artistiques<br />
radicales. A Douala, les artistes invités<br />
passent quinze jours sur place, pour<br />
choisir les lieux publics où ils doivent<br />
intervenir et rencontrer les habitants.<br />
Dans ces pays là, le plus important<br />
est de ne pas enfermer l’art dans un<br />
musée : il faut que les gens se cognent<br />
dessus dans la rue. Il est plus que<br />
nécessaire de s’inscrire dans un territoire.<br />
De nombreuses pièces sont ainsi<br />
produites sur place, ce qui coûte moins<br />
cher que de les transporter d’Europe.<br />
Ce sera la même chose à Lumumbashi,<br />
où photos et vidéos seront projetés<br />
sur les façades de tous les bâtiments<br />
importants de la ville.<br />
Vous avez enfin un projet pour 2011<br />
à la Smithsonian de Washington, intitulé<br />
Divine Comedy. Ce sont cette<br />
fois-ci des artistes arabes que vous<br />
rassemblez.<br />
L’idée est de redonner une définition<br />
laïque du concept de paradis,<br />
de purgatoire et d’enfer, ces notions<br />
sensées être universelles mais pour<br />
lesquelles on se fout dessus depuis la<br />
nuit des temps. Il s’agit d’aller à l’opposé<br />
des clichés qu’on a sur le monde<br />
arabe, et que le monde arabe a sur luimême,<br />
car il méconnait son passé. Visiteurs<br />
comme artistes, j’aime piéger<br />
tout le monde. C’est uniquement dans<br />
ce déséquilibre que l’on peut être créateur.<br />
Dans le confort, on ne va jamais<br />
très loin.<br />
Propos recueillis par Emmanuelle<br />
Lequeux<br />
14 000c<br />
Quelques erreurs se sont glissées<br />
dans l’interview réalisée avec Marie-<br />
Laure Bernadac dans le numéro 52 de<br />
<strong>Magazine</strong> :<br />
- En 1977, Pontus Hulten était directeur<br />
du musée national d’art moderne<br />
et non du centre Pompidou.<br />
- L’exposition au Centre Pompidou<br />
s’intitulait Féminin masculin et non<br />
Masculin féminin.<br />
- Au CAPC de Bordeaux, sous la<br />
direction d’Henry-Claude Cousseau,<br />
Marie-Maure Bernadac a exposé<br />
Roni Horn et non Rebecca Horn.<br />
Exergues<br />
Je préfère dire aux gens : ne prenez<br />
pas vos béquilles, vous n’avez pas<br />
besoin qu’on vous dise d’où vient un<br />
artiste pour le comprendre. Il faut<br />
forcer les gens à travailler un peu, se<br />
dépouiller de leurs préconçus […]<br />
A Douala, les artistes invités passent<br />
quinze jours sur place, pour choisir les<br />
lieux publics où ils doivent intervenir<br />
et rencontrer les habitants. Dans ces<br />
pays là, le plus important est de ne pas<br />
enfermer l’art dans un musée : il faut<br />
que les gens se cognent dessus dans la<br />
rue […]<br />
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