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Rétrovision –<br />
L’art vivant<br />
Si la fin du XIXe siècle, voit l’émergence des revues littéraires<br />
modernes, les années 1910 à 1930 forment une<br />
période d’intense activité et de créativité dans le secteur<br />
des revues d’art. Une créativité éditoriale qui amène des<br />
revues de toutes tendances esthétiques et idéologiques à<br />
jouer les détonateurs et les vecteurs d’une mutation sans<br />
précédent dans les arts plastiques. …/…<br />
…/… À Paris, naissent tous les modèles et toutes les variantes<br />
de ces supports, des plus éphémères aux plus institutionnels,<br />
des conservateurs aux plus avant-gardistes, des bulletins de<br />
galeries aux premières revues de « vulgarisation » vers le<br />
grand public. En un quart de siècle plus d’une centaine de<br />
revues sont éditées dont les principales reprennent le même<br />
« mot d’ordre » : l’art peut-il être populaire ?<br />
L’année 1925 voit la fondation de deux revues qui affirment<br />
leur volonté de s’adresser au plus grand nombre de<br />
lecteurs : A.B.C <strong>Magazine</strong> d’art et l’Art vivant. Pour la première,<br />
ses rédacteurs en chef Max Gottschalk et Marc Sauret<br />
dénoncent un certain élitisme propre à l’édition d’art. Dans<br />
un premier éditorial ils annoncent : […] Notre plus grand<br />
souci sera de ne pas ennuyer nos lecteurs ! Nous nous efforcerons<br />
de parler un langage simple et clair, nous tacherons<br />
d’instruire nos lecteurs en les amusant, car nous voulons<br />
que la lecture de notre publication soit pour eux un véritable<br />
plaisir, plaisir des yeux par la présentation et le choix des<br />
images, plaisir de l’esprit pour les idées contenues dans les<br />
articles et la révélation de tout un monde vaguement soupçonné<br />
mais jusqu’ici fermé à la plupart des lecteurs.<br />
C’est également à un public large et hors du milieu de l’art<br />
que souhaite s’adresser l’Art vivant. Le ton est donné par le<br />
critique Florent Fels, en ces termes : […] l’Art vivant entend<br />
être le trait d’union entre les artisans discrets et authentiques<br />
du plaisir de vivre, qu’ils soient peintres ou décorateurs<br />
et le public trop enclin à préférer les exemples du passé<br />
et à se détourner des œuvres pourtant capitales qui renouvellent<br />
l’époque et lui imposent son style propre. […] Ne laissons<br />
point le public dans l’ignorance. La renaissance artistique<br />
de la France, de l’Europe, nous y invite de la manière<br />
la plus pressante. Né en janvier 1925, l’Art vivant, considéré<br />
comme une version « arts visuels » de l’hebdomadaire Les<br />
nouvelles littéraires et scientifiques, publiées par la Librairie<br />
Larousse, affirme ce concept de démocratisation du savoir<br />
en matière artistique. Initiée par la Société de l’art vivant où<br />
apparaissent, entre autres, les noms de Gaston Gallimard et<br />
du fondeur de caractères, Charles Peignot, la revue se voit<br />
confier la direction de la rédaction à Florent Fels, chroniqueur<br />
aux Nouvelles littéraires et scientifiques. Avec l’Art<br />
vivant, ce dernier croit enfin tenir cette « arme de pénétration<br />
» des salons bourgeois. La formule de la publication est<br />
hybride, à mi-chemin entre le catalogue, la revue et le magazine.<br />
Mais le style est original. Le déroulé est rythmé par de<br />
courts articles et de nombreuses chroniques et rubriques<br />
abondamment illustrées. L’art de la femme, l’esthétique de<br />
la table, les meubles français, les grandes ventes, le calendrier<br />
artistique, à travers le monde, les ouvrages récents…<br />
Pour le critique Ramon Fernandez, collaborateur de la<br />
chronique littéraire, commencer une chronique nouvelle,<br />
c’est, dans une certaine mesure, changer de lecteurs. Le projet<br />
éditorial met le lecteur au centre du sommaire mais ne<br />
suppose aucun compromis sur le discours esthétique. Florent<br />
Fels est un ardent défenseur du Douanier Rousseau,<br />
de Matisse, de Vlaminck, de Gromaire, de Rouault mais<br />
aussi des nouveaux émigrants comme Chagall, Modigliani,<br />
Kisling, Soutine ou encore Zadkine. Soucieux d’attirer une<br />
meilleure attention du lecteur, la « baseline » de l’Art vivant<br />
évolue en permanence : de la Revue mensuelle des arts plastiques<br />
et des industries du luxe (1931), de la Revue mensuelle<br />
des arts, des élégances et du tourisme (1932) à la Revue mensuelle<br />
des arts et des techniques (1937) ou bien Revue d’élégance<br />
et de tourisme, revue d’arts décoratifs, revue d’art et<br />
de culture (1938). L’éditeur ne ménage pas ses efforts pour<br />
proposer un produit toujours plus attractif, par la vente de<br />
reproductions hors-textes parues dans les numéros, par la<br />
vente d’emboitages spécialement conçus pour l’archivage<br />
des numéros ou encore la publication bilingue. L’Art vivant<br />
fait sien les apports du Werkbund, le mouvement qui donnera<br />
naissance au Bauhaus ainsi que les différents manifestes<br />
des arts décoratifs, intégrant l’esprit des avant-gardes,<br />
tant dans sa maquette que dans l’élaboration de ses numéros<br />
spéciaux.<br />
Si la fonction de directeur artistique n’existe pas au sein<br />
du magazine, et qu’aucune grille ne soit appliquée, le rédacteur<br />
en chef est sensible à la nouvelle typographie et l’éclectisme<br />
qui court le long du chemin de fer, n’exclue pas l’utilisation<br />
de la Futura ou des linéales sans serif. Quant aux<br />
thèmes des numéros spéciaux, ils sont transversaux. En<br />
octobre 1934, l’Art vivant brise quelques tabous en éditant<br />
un numéro consacré au Salon de l’auto. Jacques Guenne, un<br />
des cofondateurs, s’en explique en rappelant les idées qui<br />
guide la politique éditoriale de la revue : […] Certains s’étonneront<br />
que l’Art vivant consacre un numéro aux Transports.<br />
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