LIEUX ET PORTRAITS DE LA GÃOGRAPHIE EN ITALIE A L ...
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<strong>LIEUX</strong> <strong>ET</strong> <strong>PORTRAITS</strong> <strong>DE</strong> <strong>LA</strong> GÉOGRAPHIE<br />
<strong>EN</strong> <strong>ITALIE</strong> A L’ÉPOQUE<br />
<strong>DE</strong> SON INSTITUTIONNALISATION.<br />
Paola Sereno *<br />
Introduction<br />
L’histoire de la géographie a eu ces dernières années un développement<br />
accéléré, devenant un des secteurs les plus vifs de la discipline: nous pouvons<br />
identifier un an césure en 1998, à partir duquel la recherche s’est non<br />
seulement rependue en augmentant en mesure très considérable les connaissances<br />
disponibles, mais surtout elle s’est mieux structurée, en se réorientant<br />
vers une formulation plus authentiquement historiographique qui s’est développée<br />
autour de quelques noyaux de condensation dans un cadre plus ample<br />
d’histoire de la culture. En particulier l’attention s’est concentrée à plusieurs<br />
reprises sur les rapports entre développement de la science géographique et<br />
expansionnisme colonial européen, sur son rôle dans le modelage des identités<br />
nationales, sur l’éducation géographique et sur la constitution d’écoles<br />
nationales et d’institutions géographiques, sur les procès de construction de<br />
la connaissance géographique et sur ses rapports avec le voyage d’exploration,<br />
sur les lieux de la production du savoir géographique et sur les réseaux<br />
et sur les flux de sa dissémination 1 . La biographie traditionnelle a toujours<br />
été de plus en plus accolée d’études sur les périodes et les contextes et quelques<br />
débats ont tendu à s’interroger explicitement sur les modèles d’interpré-<br />
* Universidade de Turim.<br />
1 Voir en synthèse les comptes-rendus bibliographiques de M. BASSIN, History and Philosophy<br />
of Geography, “Progress in Human Geography”, 21, 1997, pp. 563-572 et 23, 1999,<br />
pp. 109-117, ID. Studying Ourselves: History and Philosophy of Geography, ibid., 24, 2000,<br />
pp. 475-487, J. R. RYAN, History and Philosophy of Geography 1999-2000, ibid., 26, 2002,<br />
pp. 76-89, ID., History and Philosophy of Geography: Bringing Geography to Book, 2000-<br />
-2001, ibid., 27, 2003, pp. 195-202, ID., History and Philosophy of Geography: Discipline<br />
and Discourse, 2001-2002, ibid., 28, 2004, pp. 235-245.<br />
1 Quelques revues ont dédié des numéros monographiques à ces problèmes: voir en particulier<br />
Inforgeo, 18/19, Lisboa, Edições Colibri, 2006, pp. 77-102
82 Inforgeo 18/19<br />
tation mis en œuvre dans la recherche 2 . Deux conséquences en sont dérivées:<br />
la perte de l’autoréférence qui a souvent caractérisé dans le passé les études<br />
d’histoire de la géographie, en déplaçant l’attention aux relations entre la<br />
géographie et les milieux culturels et sociaux dans lesquels elle se développait,<br />
et une plus grande attention pour les contextes locaux en rapport aux<br />
écoles nationales. Dans cette perspective, il en est résulté quelques modèles<br />
d’interprétation de grand intérêt théorique et méthodologique, tels que la reconceptualisation<br />
de l’histoire de la géographie comme géographie historique<br />
des géographies, une sorte d’application de la notion de lieu et de développement<br />
local à l’histoire de la production de connaissance géographique,<br />
qui est à son tour catalyse d’une nouvelle attention pour les contextes locaux<br />
3 , ou encore le recours au concept de «sphère publique» et d’espace privé,<br />
repris par Habermas 4 .<br />
Non en dernière, cette orientation de la recherche propose à nouveau<br />
dans une forme renouvelée la question des périodisations de<br />
l’historiographie de la géographie et elle accentue l’intérêt sur le XIX siècle<br />
et sur le début du XX: cela signifie aussi poser nouvellement la question de<br />
l’institutionnalisation de la géographie, non plus comme élément purement<br />
chronologique, césure entre histoire de la pensée géographique et histoire de<br />
la géographie, qui est en substance le sens dans lequel Paul Claval<br />
l’introduisit, ni comme simple procès d’accroissement et de spécialisation de<br />
la discipline, comme le fit Horacio Capel 5 , mais comme aboutissement d’un<br />
processus de construction et d’affirmation de la géographie en relation au<br />
contexte culturel et scientifique local et national.<br />
les essais recueillis par F. DRIVER dans “Transactions I.B.G.”, 20, 1995 et ceux recueillis<br />
par H. Lorimer et N. SPEDDING dans “Area”, 34, 2002.<br />
3 En particulier: D. LIVINGSTONE, Putting Geography in its Place, “Australian Geographical<br />
Studies”, 38, 2000, pp. 1-9, ID., Making Space for Science, “Erdkunde”, 54, 2000, pp. 285-<br />
-296, ID., The Spaces of Knowledge: Contributions towards a Historical Geography of Science,<br />
“Society and Space”, 13, 1995, pp. 5-34, C. W. J. WITHERS, Introduction: Geography,<br />
Science and Historical Geography of Knowledge, dans WITHERS, Geography, Science<br />
and National Identity. Scotland since 1520, Cambridge 2001, pp. 1-29. Sur quelques contextes<br />
locaux en France voir les essais de H. VOGT, M.-C. ROBIC, J.-C. BONNEFONT dans le<br />
fascicule dédié à Géographie de l’Est, 1840-1940 de la “Revue Géogr. de l’Est”, XXXIX,<br />
1999, pp. 31-60 et les essais recueillis par G. BAU<strong>DE</strong>LLE – M.-V. OZOUF-MARIGNIER –<br />
M.-C. ROBIC, Geographes en pratiques (1870-1945). Le terrain, le livre, la Cité, Rennes<br />
2001.<br />
4 C.W.J. WITHERS, Towards a History of Geography in the Public Sphere, “History of Science”,<br />
XXXVI, 1998, pp. 45-78, P. HOWELL, Public Space and the Public Sphere: Political<br />
Theory and the Historical Geography of Modernity, “Environment and Planning D: Society<br />
and Space”, 11, 1993, pp. 303-322.<br />
5 P. C<strong>LA</strong>VAL, L’évolution historique de la géographie humaine, Besançon 1968; H. CAPEL,<br />
Institucionalizatión de la geografía y strategias de la comunidad cientifica de los geografos,<br />
“Geo Critica”, 8-9, 1977, ID., Institutionalization of Geography and Strategies of Change, in<br />
D.R. STODDART (ed.), Geography, Ideology and Social Concern, Oxford 1981, pp. 37-69.<br />
L’année 1870 reste une ligne de faîte logique et chronologique encore dans P. C<strong>LA</strong>VAL,<br />
Histoire de la géographie française de 1870 à nos jours, Paris 1998.
Lieux et Portraits de la Géographie en Italie 83<br />
La géographie italienne n’a pas participé jusqu’ici –si non en petite partie<br />
– à ce renouvellement de l’histoire de la géographie, qui reste un domaine<br />
de recherche peu pratiqué où il y a souvent trop d’autocélébration et qui a<br />
tendu généralement à se superposer à l’histoire des découvertes géographiques<br />
et de la cartographie de l’époque, selon une tradition consolidée qui<br />
remonte à la première académisation de la discipline du XIX siècle. En outre<br />
la période du fascisme et de la géographie coloniale paraît avoir subi – avec<br />
peu d’exceptions – une sorte de refoulement et d’embarras qu’on est en train<br />
de surmonter seulement maintenant, ou de nécessité d’une distance historique<br />
et générationnelle. La carence d’études spécifiques déconseille pour le<br />
moment la construction d’un tableau de synthèse, tandis que l’état de la recherche<br />
en domaine international sollicite à revoir les connaissances déjà<br />
produites à la lumière de nouveaux modèles d’interprétation. Nous nous proposons<br />
alors d’ouvrir un dialogue avec l’état actuel de la recherche, en individuant<br />
quelques points de réflexion sur le cas italien: face à une géographie<br />
contemporaine qui ne semble pas avoir une identité scientifique cohérente, ni<br />
un rôle reconnu dans la culture actuelle, ni ne semble en condition de solliciter<br />
une demande de savoir géographique de la part de la société, l’habitude à<br />
la réflexion historique nous porte à nous interroger sur le quand sur l’où et<br />
sur le comment la géographie a commencé à se donner un statut disciplinaire.<br />
La construction de la tradition.<br />
Deux sont les points de départ obligés pour une exploration de l’histoire<br />
de la géographie italienne entre ‘800 et ‘900: un est le cadre de synthèse composé<br />
il y a plus de vingt ans par Ilaria Caraci 6 , l’autre est l’essai qui recueille<br />
un cycle de conférences de 1970 de Lucio Gambi 7 . Le premier essais trace une<br />
histoire documentée fondamentalement linéaire de la géographie italienne depuis<br />
Giuseppe Dalla Vedova à Giovanni et Olinto Marinelli, toute interieure à<br />
une «école nationale» qui se dessine compacte et cohérente dans les pages du<br />
livre, bien que dans ses différenciations et malgré quelques personnages qui<br />
restent en dehors de l’académie, une tradition qui semble déjà donnée au moment<br />
de l’académisation, comme si l’institutionnalisation de la géographie était<br />
6 I. LUZZANA CARACI, La Geografia italiana tra ‘800 e ‘900 (dall’Unità a Olinto Marinelli),<br />
Genova 1982. Voir aussi I. CARACI, Modern Geography in Italy:from the Archives to<br />
Environmental Management, dans G. DUNBAR (ed.), Geography: Discipline, Profession<br />
and Subject since 1870. An International Survey, Dordrecht 2001, pp. 121-151. Voir aussi le<br />
chapitre sur la géographie en Italie écrit pour l’edition italienne de O. CAPEL, Filosofia e<br />
scienza nella geografia contemporanea, Milano 1987, pp. 71-88, non présent dans l’édition<br />
originale (Barcelona 1981).<br />
7 L. GAMBI, Uno schizzo di storia della geografia in Italia, in L. GAMBI, Una geografia per<br />
la storia, Torino 1973, pp. 3-37.
84 Inforgeo 18/19<br />
la conséquence logique de l’existence des conditions d’une identité scientifique,<br />
dont Giuseppe Dalla Vedova est indiqué comme le “patriarche”, celui à<br />
qui on doit l’invention de la géographie comme science 8 .<br />
Le deuxième dessine au contraire une histoire de fractures et de discontinuités;<br />
Gambi commence ses argumentations en jugeant discutable<br />
l’hypothèse qu’on doive faire commencer la géographie moderne avec son<br />
«enseignement plus ou moins régulier dans les universités», c’est-à-dire avec<br />
l’institution des chaires de géographie, à leur tour noyaux de formation<br />
d’écoles nationales, en anticipant avec cela des positions récentes dans le<br />
débat international 9 . Comme toutes les sciences – affirme Gambi – la géographie<br />
se construit sur des problèmes, avant que sur des institutions, donc<br />
sur sa «capacité ou aptitude à participer – avec ses méthodes de recherche et<br />
ses instruments de travail – à la solution de problèmes déterminés». Les origines<br />
de la géographie moderne se situent donc là où et quand «les problèmes<br />
auxquels la géographie moderne s’est adressée avec efficience particulière<br />
émergent, sont cultivés, stimulent sur des directions diverses des<br />
initiatives d’étude coordonnées”. Pour l’Italie cela arrive sans aucun doute<br />
au siècle XVIII: le siècle des lumières active dans les anciens états italiens,<br />
dans certains en manière particulière, l’étude des eaux et des réseaux hydrographiques,<br />
de l’exploitation des forêts, de la nature physique des lieux en<br />
rapport aux ressources agricoles, des relations entre croissance démographique<br />
et ressources, des réseaux routiers, de la mise en valeur des espaces ruraux,<br />
des politiques d’aménagement du territoire. L’âge napoléonien greffe<br />
ensuite, sur la dissolution de la tradition de l’arithmétique politique italienne<br />
des lumières, la statistique comme «description comparée des conditions<br />
économiques et sociales et des manières d’organisation des états»: sur ce<br />
modèle on produit plusieurs monographies chorographiques qui ne<br />
s’accomplissent pas dans la brève période de la conquête napoléonienne,<br />
mais qui, après un fléchissement pendant la Restauration, ont une continuité<br />
de quelques décennies, jusqu’à quand ce genre particulier de description<br />
géographique, au dernier quart du siècle XIX, s’épuise et la statistique devient<br />
aride compilation. Gambi semble penser que la culture du Risorgimento<br />
se rattache à la tradition illuministe plus qu’à la statistique napoléonienne,<br />
en marquant une première fracture dans les manières de la production d’un<br />
8 «Sans aucun doute la géographie comme science fut, pour l’Italie, une invention de Dalla<br />
Vedova»: voir LUZZANA CARACI, La geografia italiana tra ‘800 e ‘900, op. cit., p. 25.<br />
Giuseppe Dalla Vedova fut professeur de géographie à l’Université de Padoue depuis 1872,<br />
déjà libero docente de géographie physique en 1867, ensuite à l’Université de Rome, Président<br />
de la Société Géographique Italienne de 1900 à 1906. Sur son œuvre voir: I. LUZZANA<br />
CARACI, A sessant’anni dalla morte di Giuseppe Dalla Vedova, Genova 1978.<br />
9 R.J. MAYHEW, The Effacement of Early Modern Geography (c. 1600-1850): a Historiographical<br />
Essay, “Progress in Human Geography”, 25, 2001, pp. 383-401 e C.W.J.<br />
WITHERS – R. J. MAYHEW, Rethinking ‘Disciplinary’ History: Geography in British Universities,<br />
c. 1580-1887, “Transactions I.B.G.”, 27, 2002, pp. 11-29.
Lieux et Portraits de la Géographie en Italie 85<br />
savoir que nous pouvons définir géographique, bien qu’il ne soit pas catalogué<br />
sous le nom de géographie, nom qui toutefois apparaît au cours de la<br />
première partie du siècle XIX presque exclusivement à l’intérieur des monographies<br />
statistiques. Dans l’histoire de la géographie italienne le rapport entre<br />
arithmétique politique – statistique napoléonienne – géographie statistique<br />
est en réalité un nœud qui est encore a défaire; il est d’ailleurs<br />
intéressant de remarquer que plus récemment l’historiographie a reconnu<br />
dans les recherches statistiques du Royaume de Sardaigne, de la moitié des<br />
années Trente jusqu’au début de l’Unité d’Italie, un fil rouge qui – passant<br />
autour des années de la Restauration – les relie à la statistique napoléonienne,<br />
qui à son tour renouvelle radicalement, mais sur une ligne de continuité<br />
idéale, l’arithmétique politique de l’âge des lumières 10 ; celle-ci représente<br />
d’ailleurs la tradition culturelle de cette élite des rangs de laquelle<br />
émergent les auteurs de la «statistique morale», c’est-à-dire sociale, et dont<br />
les représentants sont nés pour la plupart dans la dernière décennie du XVIII<br />
siècle. La discontinuité, la fracture se situe au contraire certainement dans la<br />
deuxième moitié du siècle, comme Gambi le démontre bien: en bref, cette<br />
tradition se dissout justement à l’époque de l’institutionnalisation universitaire<br />
de la géographie; et c’est une question qu’il faut étudier quels sont les<br />
entrelacements entre ces deux faits.<br />
Il semble donc une bonne méthode pour remettre le problème à feu<br />
d’échapper à la logique des périodisations pour étudier ce no man’s land des<br />
phases de transition. Alors nous ne pouvons pas nous soustraire à<br />
l’obligation de nous demander sur quoi se fonde le processus d’académisation,<br />
d’institution d’une école nationale, et comment elle s’accomplit et par<br />
quelles impulsions. En réalité il est encore difficile de répondre à cette question:<br />
la nécessité de beaucoup d’études nous sépare encore de la réponse,<br />
aussi parce que jusqu’ici nous en avons été séparés par la présomption que la<br />
géographie académique italienne naît d’un itinéraire commun et unitaire<br />
d’institutionnalisation, peut être parce que nous avons regardé à cet itinéraire<br />
comme à un événement plutôt que comme à un processus, à un point de départ<br />
plutôt qu’à un point – provisoire – d’arrivée.<br />
Les argumentations de Lucio Gambi sont encore utiles pour nous orienter<br />
dans la recherche du milieu intellectuel dans lequel a mûri l’institutionnalisation<br />
de la géographie, autant que construction de son statut scientifique,<br />
10 U. LEVRA, La ‘statistica morale’ del Regno di Sardegna tra la Restaurazione e gli anni<br />
Trenta: da Napoleone a Carlo Alberto, “Clio”, XXVIII, 1992, pp. 353-378. Plus en général<br />
pour l’Italie voir le beau livre de S. PATRIARCA, Numbers and Nationhood. Writing Statistics<br />
in Nineteenth Century Italy, Cambridge 1996: voir aussi S.J. WOOLF, Statistics and<br />
the Modern State, “Comparative Studies in Society and History”, 31, 1989, pp. 588-603, F.<br />
SOFIA, Una scienza per l’amministrazione. Statistica e pubblici apparati tra età rivoluzionaria<br />
e Restaurazione, Roma 1988 et le fascicule monographique de “Quaderni Storici”,<br />
45, 1980 dédié au thème L’indagine sociale nell’unificazione italiana.
86 Inforgeo 18/19<br />
et pour mesurer la distance ou la proximité entre celle-ci et la culture géographique<br />
préexistante, pour tenter de reconstruire un processus avant de<br />
s’adonner au jeu des chronologies et des primautés.<br />
C’est intéressant que le modèle interprétatif de Gambi apparaisse encore<br />
provocant au début des années Soixante-dix; en effet jusqu’à ce moment-là<br />
le tableau bien différent que presque un quart de siècle auparavant<br />
Roberto Almagià avait tracé n’avait encore trouvé aucun démenti ou correction:<br />
fils de la première académisation de la géographie, plus, vraiment fils<br />
académicien du “patriarche” Della Vedova, il nie décidément un rôle dans<br />
l’histoire de la géographie au siècle des Lumières, pendant lequel, il dit,<br />
“la Géographie perdait grande partie de sa valeur comme science, parce<br />
que, tandis qu’elle se voyait soustraire quelques domaines d’enquête, à<br />
cause de la naissance de branches spéciales du savoir, d’un autre côté<br />
elle donnait la priorité à des faits et à des données de caractère fluctuant<br />
et instable, comme ceux qui se rapportent aux productions, aux trafics, à<br />
plusieurs autres manifestations de l’activité humaine, aux systèmes politiques,<br />
en perdant de vue l’étude du milieu naturel, qui forme le soustrait<br />
sur lequel l’homme bouge et agit. […] En conclusion, à la fin du<br />
XVIII siècle, la Géographie traversait un moment vraiment critique: elle<br />
a en substance perdu son caractère de science d’observation et court le<br />
risque de perdre sa propre individualité, en partie appauvrie de son contenu<br />
par d’autres sciences de son même tronc, en partie noyée dans la<br />
Statistique” 11 .<br />
Le siècle successif, dont Almagià a une vision simplifiée, marquerait au<br />
contraire la «restauration» de la géographie, grâce exclusivement à la reprise<br />
de l’exploration géographique: un jugement sur l’inconsistance de la géographie<br />
italienne préunitaire non isolé, déjà exprimé plus explicitement par un<br />
autre témoin du temps de la première académisation tel que Piero Gribaudi 12 .<br />
Il serait superflu et même impitoyable de rappeler maintenant cette<br />
myopie historiographique, si Almagià ne représentait pas dans son autorité la<br />
perception que la deuxième génération des géographes académiciens avait<br />
élaboré – et probablement hérité de ses propres maîtres – de son histoire intellectuelle<br />
et scientifique: l’intérêt actuel pour ce bref essais d’histoire de la<br />
géographie n’est pas bibliographique, mais documentaire: bien que publié<br />
vers la moitié du XX siècle, c’est le témoignage d’un protagoniste, la cristallisation<br />
de ce préjugé sur ses propres origines par lequel l’école nationale de<br />
géographie s’est représentée et légitimée comme science nouvelle. Il porte à<br />
11 R. ALMAGIA’, Concetto ed indirizzi della geografia attraverso i tempi, dans le volume R.<br />
ALMAGIA’, Introduzione allo studio della Geografia, Milano 1947, pp. 5-51.<br />
12 2 P. GRIBAUDI, La geografia nel secolo XIX specialmente in Italia, in “Riv. di fisica,<br />
matematica e scienze naturali”, 1900 maintenant dans le volume P. GRIBAUDI, Scritti di<br />
varia geografia, Torino 1955, pp. 199-229.
Lieux et Portraits de la Géographie en Italie 87<br />
une confirmation ultérieure à la reconstruction faite par Gambi et à sa thèse<br />
selon laquelle l’institutionnalisation de la géographie ne conserve pas la capacité<br />
illuministe, filtrée à travers la médiation de la culture du Risorgimento,<br />
de conjuguer science et manière de s’organiser de la société. Et s’il était<br />
nécessaire de documenter encore l’absence de communication entre la première<br />
géographie académique et la culture géographique qui avait animé les<br />
anciens états italiens avant l’Unité, il ne serait pas privé d’utilité pour en<br />
comprendre les raisons de relire le discours inaugural – dédié justement à la<br />
géographie et au Risorgimento d’Italie – tenu le 17 janvier 1913 par Carlo<br />
Errera à l’assomption de la chaire de géographie à l’Université de Bologna 13 .<br />
La première partie du discours paraît incohérent et contradictoire dans sa critique<br />
sans pitié et sans appel au genre chorographique-statistique, critique<br />
qui exclut toutefois des personnages comme Melchiorre Gioia, et, bien que<br />
plus tièdement, Carlo Cattaneo qui avaient été les maîtres de ce type d’étude.<br />
Bientôt toutefois la rhétorique du discours se manifeste et se déploie: il ne<br />
peut y avoir de continuité de savoir entre un passé de divisions contre nature<br />
et le présent où enfin par vouloir du peuple l’unité «voulue par la nature encore<br />
avant que par les hommes» s’est accomplie: en effet «quand un peuple<br />
n’est pas une nation il doit se résigner à une infériorité scientifique» 14 . Au<br />
contraire les lois par lesquelles l’état pourvoit «aux nécessités fondamentales<br />
d’ordre scientifique et pratique regardant nos études» entrent à faire partie<br />
intégrante de l’ «effort puissant d’unification» dans l’accomplissement du<br />
dessein de la nature, dans laquelle sont inscrites les frontières de l’Italie: de<br />
la loi Casati qui sanctionne, comme en Allemagne, la présence de la géographie<br />
dans les Universités, à la fondation de l’Institut Géographique Militaire<br />
auquel elle confie la tâche de remplacer les “vieilles cartes discordantes” par<br />
la nouvelle carte générale, à la construction de la carte géologique 15 et à celle<br />
de la ligne de la côte, pour continuer par la promotion d’entreprises scientifiques<br />
comme les expéditions géographiques des navires Magenta et Vittor Pisani.<br />
Ces initiatives activèrent selon Errera un «grand écho de consensus public»,<br />
à la base du succès des propos qui portèrent à la fondation de la<br />
Société Géographique Italienne qui, en entrelaçant les intérêts de la science<br />
avec ceux de la nation, dépassa le but borné que Cattaneo et les autres assignaient<br />
à l’action des géographes, “c’est-à-dire le fin de l’illustration de la<br />
patrie italienne”, pour guider au contraire un mouvement d’ ”expansion stu-<br />
13 3 C. ERRERA, La geografia e il Risorgimento d’Italia, “Rivista Geografica Italiana”, XX,<br />
1913, pp. 209-227.<br />
14 Errera cite ici G. BOCCARDO, Degli studi geografici e del loro stato presente in Italia,<br />
“Archivio Storico Italiano”, V, 1857.<br />
15 Sur les événements qui portèrent à la formation de la carte géologique d’Italie voir P.<br />
CORSI, La Carta Geologica d’Italia: agli inizi di un lungo contenzioso, dans le volume<br />
G.B. VAI – W. CAVAZZA (dir.), Four Centuries of the Word ‘Geology’, Bologna 2003,<br />
pp. 255-279.
88 Inforgeo 18/19<br />
dieuse en dehors de l’Italie, une organisation d’explorations et de découvertes<br />
dans des pays éloignés”. Cela ne signifie pas que la Société Géographique<br />
s’est isolée de l’élan vital de la vie nationale, au contraire “en lui obéissant”,<br />
parce que “le mouvement, l’élan du Risorgimento de la patrie poussait<br />
déjà l’Italie, non encore complètement constituée, […] irrésistiblement hors<br />
ses frontières cherchées et atteintes, poussait l’Etat qui venait de naître, héritier<br />
de nécessités géographiques inéluctables et de traditions historiques immanentes,<br />
à se porter au-delà de la mer qui ne lui est pas un obstacle, mais<br />
voie ouverte à l’expansion séduisante”. Et en cette ordonnance de la politique<br />
et de la science par laquelle Errera justifie tout, même l’émigration italienne<br />
à l’étranger entre la fin du XIX et le début du XX siècle trouve sa collocation<br />
harmonique et sa raison d’être non dans la pauvreté de quelques<br />
régions du Pays, mais encore dans la téléologie de ce «mouvement inévitable<br />
d’élargissement des frontières de la patrie à l’intérieur de notre mer»: en<br />
conclusion, seulement une autre forme à travers laquelle l’inéluctable destin<br />
d’expansion se manifeste. Il est intéressant de remarquer qu’exactement<br />
celle-ci avait été la lecture géographique du pavillon du travail italien dans le<br />
monde de l’Exposition Internationale de Turin de 1898 16 .<br />
Donc des traces maigres et non reconnues de la tradition géographique<br />
pré-académique transpercent dans la géographie institutionnalisée, malgré<br />
l’existence de quelques figures qui auraient pu être de raccord, comme par<br />
exemple Ferdinando De Luca, un des représentants de la statistique morale et<br />
de la recherche chorographique du Mezzogiorno, grand partisan du projet<br />
d’institution d’une Société géographique, ou même Carlo Cattaneo, qui<br />
d’ailleurs au moment de la fondation de la Société Géographique Italienne<br />
participa mais ne voulut pas en faire partie 17 ; paradoxalement le Risorgimento<br />
engendre une pensée politique qui dévore la culture du Risorgimento. La<br />
question n’est pas insignifiante sur le plan historiographique ni sur celui de<br />
la pratique géographique, puisque la géographie non plus n’échappe à la règle<br />
bien démontrée en général par Hobsbawm selon laquelle la tradition est<br />
essentiellement représentation d’elle-même. La manière où elle se construit<br />
est donc encore plus éclairante que sa propre nature; comme Gillian Rose a<br />
affirmé, la construction des traditions géographiques est en même temps<br />
construction de «sameness and difference», un processus complexe qui tient<br />
à une pratique d’inclusion et d’exclusion 18 . Dans le cas italien ce processus<br />
16 CFR. B. FRESCURA, La Geografia all’esposizione di Torino, “Riv. Geogr. It.”, VI, 1899,<br />
pp. 119-131, 222-232, 368-376. 422-433.<br />
17 Voir M. CARAZZI, La Società Geografica Italiana e l’esplorazione coloniale in Africa,<br />
Firenze 1972, pp. 6-7.<br />
18 G. ROSE, Tradition and Paternity: some Difference?, “Transactions I.B.G.”, 20, 1995,<br />
pp. 414-416. À la tradition géographique est dédié tout le fascicule de la revue et en particulier<br />
l’introduction de F. DRIVER, Geographical Traditions: Rethinking the History of<br />
Geography, ibid., pp. 403-404 et l’article de D. N. LIVINGSTONE, Geographical Tradi-
Lieux et Portraits de la Géographie en Italie 89<br />
se vérifie non seulement dans le temps, c’est-à-dire dans la succession généalogique,<br />
mais aussi dans l’espace: une «école nationale» de géographie -<br />
-si elle existe, au moins comme processus d’inclusions et d’exclusions progressives<br />
– doit avoir une nation comme cadre de référence; mais le<br />
processus d’institutionnalisation de la géographie italienne s’accomplit dans<br />
un pays qui doit encore être inventé comme nation. Les contextes locaux,<br />
alors, auxquels l’actuelle recherche en domaine international réserve une attention<br />
spéciale, assument dans ce processus une importance particulière: la<br />
recherche -nous pensons – doit repartir des anciens Etats italiens, de leurs<br />
traditions géographiques spécifiques et des trajectoires qui les connectent<br />
avec la géographie académique, non pour chercher les traditions mineures,<br />
mais pour reconstruire les processus d’inclusion et d’exclusion, les itinéraires<br />
souvent tortueux de construction de celle qui réussira à devenir tradition<br />
dominante, mais à prix de la dissolution d’autres traditions. Il s’agit d’une<br />
recherche qui est encore toute à faire, mais qui est indispensable pour sortir<br />
des cadres immobiles, peu vifs et relativement constatatifs, qui sont tous<br />
construits à l’intérieur de la même logique, ignares de ce qui n’appartient pas<br />
à cette logique, des exclusions et donc des exclus. Nous chercherons ici à offrir<br />
une première approche limitée à un des contextes locaux, celui du<br />
Royaume de Sardaigne, l’ancien Etat italien qui soutient et guide le processus<br />
d’unification du Pays: il n’est donc pas impropre de commencer par Turin,<br />
un des lieux de production du savoir géographique au cours du XIX siècle,<br />
notre exploration des contextes locaux.<br />
Un cas local d’institutionnalisation: la géographie à Turin.<br />
L’institutionnalisation de la géographie est un procès à plusieurs facettes:<br />
trop souvent on l’a réduit à la seule académisation, c’est-à-dire à<br />
l’institution des premières chaires universitaires de la discipline. En réalité<br />
ce n’est qu’un aspect du processus, certes très important, mais non le seul: à<br />
celui-ci s’accolent la fondation de revues spécialisées, la constitution de collections<br />
géographiques et de musées, l’institution de bibliothèques et de laboratoires<br />
et naturellement de sociétés géographiques. Quant à ces dernières,<br />
il ne s’agit pas seulement des grandes sociétés nationales enracinées jusqu’à<br />
aujourd’hui: l’associationnisme, parfois un peu ménager, souvent éphémère<br />
semble être un caractère distinctif et encore inédit de l’histoire de la géographie<br />
du XIX siècle. Seulement maintenant la recherche commence à prêter<br />
un peu d’attention à quelques-uns de ces aspects. Les chaires universitaires<br />
restent toutefois le facteur d’institutionnalisation qui a attiré davantage<br />
l’intérêt d’une historiographie de la géographie souvent à la recherche de ses<br />
tions, ibid., pp. 420-422.
90 Inforgeo 18/19<br />
pères fondateurs. Paul Claval a donné l’an 1870 à la mythographie de la géographie:<br />
plus qu’un an un détour extraordinaire, une ligne de faîte, une valeur<br />
abstraite et symbolique qui établit l’acceptation et l’inclusion de la géographie<br />
parmi les sciences en robe. Je ne sais pas combien étaient les chaires<br />
de géographie en Italie cette année-là, mais en 1874 on compte cinq chaires<br />
et quatre professeurs de géographie dans les vingt-trois universités du<br />
Royaume d’Italie 19 , réparties de façon déséquilibré quatre au Nord (Torino,<br />
Pavia, Milano, Padova) e une au Sud (Napoli). Dix ans après elles étaient<br />
sept, comme Giuseppe Dalla Vedova affirme avec satisfaction quand il en<br />
examine la distribution à l’échelle européenne et il exprime donc la conviction<br />
que nous ne sommes «inférieurs à personne dans l’individuation du<br />
mieux même quand nous ne sommes pas les premiers à le pratiquer” 20 : toutefois<br />
celle-ci n’est pas la question à poser, mais où et par quels parcours la<br />
géographie – et non occasionnellement un géographe – entre dans les Universités.<br />
Comme on le sait, l’incubateur de cet événement pour l’Italie est la loi<br />
de réforme de l’école promulguée en 1859 par Gabrio Casati, ministre de<br />
l’Instruction Publique avant l’Unité, dont l’application – d’ailleurs lente –<br />
sera étendue à toute l’Italie après l’unification. Cette loi prévoyait<br />
l’enseignement de la Géographie dès l’école élémentaire et donc elle la situait<br />
dans l’Université dans la Faculté ès Lettres, avec la fonction de préparer<br />
les enseignants; donc on attribuait essentiellement à la géographie la fonction<br />
de contribuer avec les autres disciplines scolaires à l’alphabétisation du<br />
pays, rôle qui sera emphatisé après l’Unité, en soutenant et en diffusant à<br />
travers la cartographie et sa visualisation des “justes frontières d’Italie” le<br />
sens de l’identité nationale 21 . La loi Casati sanctionne pour la géographie en<br />
même temps la garantie d’une place dans les universités et la condamnation<br />
à une faiblesse qui lui est intrinsèque, en l’attachant d’une manière indissoluble<br />
à l’école et à l’enseignement et en quelque sorte en lui assignant ainsi,<br />
pour longtemps, une rente de position qui lui a permis de ne pas chercher, si<br />
non occasionnellement, un dialogue plus fondé sur le plan scientifique avec<br />
les autres sciences.<br />
Si la loi Casati institue donc les chaires de géographie dans les facultés ès<br />
19 C. PEROGLIO, Relazione al Congresso Geografico Internazionale di Parigi intorno alle<br />
presenti condizioni dell’insegnamento geografico in Italia, fatta per incarico del Circolo<br />
Geografico Italiano, Torino 1875, p. 16.<br />
20 9 G. DAL<strong>LA</strong> VEDOVA, Il concetto popolare e il concetto scientifico della Geografia: discorso<br />
inaugurale letto all’Università di Roma il giorno 3 novembre 1880, “Boll. S.G.I.”,<br />
XVIII, 1881, pp. 5-27 réédité dans le volume G. DAL<strong>LA</strong> VEDOVA, Scritti geografici, Novara<br />
1914, pp. 119-143 e spec. 127.<br />
21 Cfr. M.L. STURANI, “I giusti confini d’Italia”. La rappresentazione cartografica della<br />
Nazione, “Contemporanea”, I, 1998, pp. 427-446 et EAD., Unità e divisione nella rappresentazione<br />
cartografica dell’Italia tra Risorgimento e fine Ottocento, “Geographia Antiqua”,<br />
VII, 1998, pp. 123-142.
Lieux et Portraits de la Géographie en Italie 91<br />
Lettres et Philosophie 22 tout au début de l’Unité, son application demandera en<br />
réalité du temps et aussi des temps différents dans les différentes situations locales,<br />
où on confiera en attendant l’enseignement universitaire de la géographie,<br />
désormais rendu obligatoire, par charge à des spécialistes de formation<br />
différente. Ceci suggère encore plus de reprendre la recherche à partir des différents<br />
contextes préunitaires de l’état pour pouvoir comprendre un processus<br />
d’institutionnalisation qui a évidemment eu des parcours, des chronologies et<br />
probablement même des modalités différentes et pour pouvoir évaluer combien<br />
les traditions locales ont influé au regard de la norme de la loi.<br />
Dans le cas de l’Université de Turin la loi Casati, promulguée pour le<br />
Piémont, ne générait pas l’académisation de la géographie: l’institution de la<br />
première chaire de géographie dans l’Université de Turin datait en effet de<br />
deux ans auparavant. Il n’est pas sans intérêt de reconstruire les manières par<br />
lesquelles le Parlement Subalpin en décida l’institution.<br />
Du problème de l’admission de la géographie parmi les chaires de<br />
l’Université de Turin on avait recommencé à discuter en réalité dès 1848, et<br />
le problème venait de plus loin. En effet déjà en 1798, lorsque le gouvernement<br />
provisoire jacobin s’installe et décrète la réouverture de l’Université,<br />
fermée pendant la crise de la monarchie absolue de fin de siècle, il abolit le<br />
“Magistrat de la Réforme”, qui justement présidait l’Université, et il nomme<br />
une “Commission de sciences et d’Arts”, chargée d’élaborer un plan de réorganisation<br />
des études; il appelle à la présider le médecin et botaniste Carlo<br />
Francesco Allioni, spécialiste de paléontologie, minéralogie, entomologie,<br />
professeur à l’Université, où il est aussi curateur et réorganisateur du Jardin<br />
Botanique, un des fondateurs de l’Académie des Sciences de Turin, l’autre<br />
pole culturel significatif de Turin, avec l’Université, aussi lieu d’élaboration<br />
de connaissances géographiques 23 dans la deuxième moitié du XVIII siècle.<br />
22 Peu après l’introduction de la loi Casati, dans les Facultés ès Lettre et Philosophie<br />
s’instituèrent les écoles de Magistero, ayant le but d’organiser des cours supplémentaires<br />
dans les disciplines scolaires destinés à ceux qui voulaient entreprendre la carrière de<br />
l’enseignement; en 1924 l’École de Magistero devint une Faculté autonome, destinée à ceux<br />
qui ne provenaient pas du lycée, mais des instituts magistraux (pour la formation des instituteurs).<br />
Presque en même temps les chaires de géographie se diffusèrent dans la Faculté<br />
d’Économie aussi et, dans la seconde moitié du XX siècle dans celle de Sciences Politiques,<br />
nées par séparation des Facultés de Droit, dans celles de Langues et Littératures étrangères,<br />
nées par scission de la Faculté ès Lettres, et dans celles d’Architecture. Dans la Faculté des<br />
Sciences la géographie était originairement, dans la seconde moitié du siècle XIX un cours<br />
facultatif, qui – s’il était activé – était quelquefois donné par mandat au professeur de géographie<br />
dans la Faculté ès Lettres; une réforme des programmes scolaires qui porta au démembrement<br />
de la géographie astronomique et géologique de la géographie humaine et régionale,<br />
en confiant l’une à l’enseignant de sciences et l’autre à celui des disciplines<br />
humanistes, favorisa l’institution de chaires de géographie dans les Facultés de Sciences<br />
aussi. Ainsi se dessine un tableau de fragmentations qui n’a pas profité jusqu’à aujourd’hui<br />
à la position académique de la géographie et a affaibli son rôle formatif.<br />
23 Voir Raccolta delle leggi, provvidenze e manifesti emanati dai Governi francese e provvisorio<br />
e dalla Municipalità di Torino unitamente alle lettere pastorali del cittadino Arcivescovo
92 Inforgeo 18/19<br />
Le but était celui, central aux intérêts de l’Académie, de mettre sur une ligne<br />
de continuité recherche scientifique et formation professionnelle; à ce but on<br />
propose une organisation des études universitaires sur deux niveaux. À la<br />
première, véritable liaison entre Université et Académie des Sciences, on devait<br />
confier le rôle de produire l’avancement «des sciences et des arts»; elle<br />
s’articulait en trois classes, une de Sciences physiques et mathématiques, une<br />
de Sciences morales et politiques, une de Littérature et Beaux Arts. Dans la<br />
deuxième classe, avec «Analyse des sensations et des idées» et «Morale», se<br />
trouvaient aussi Science sociale et Législation, Economie politique, Géographie,<br />
Histoire. Allioni va encore plus loin: en effet il propose, sans succès,<br />
l’institution d’une Ecole spéciale de Géographie, d’Histoire et «d’Economie<br />
Publique». Le projet n’est pas réalisé à cause de la vie très courte du premier<br />
gouvernement provisoire et de la successive nouvelle fermeture de<br />
l’Université, et des événements qui portèrent à l’assujettissement du Piémont<br />
à la France.<br />
Cet antécédent, bien qu’il n’ait pas eu une issue pratique, est intéressant<br />
si on le compare aux événements successifs, qui portèrent à l’institution de la<br />
chaire et qui paraissent encore partager, mais avec quelques flexions, avec le<br />
projet d’Allioni, une conception semblable de la géographie et surtout de son<br />
emplacement parmi les autres sciences à former un concert scientifique jugé<br />
adéquat à répondre à des exigences spécifiques de connaissance de la société.<br />
En 1848, an de la concession du Statut, dans le cadre de la réforme du<br />
système universitaire du Royaume de Sardaigne voulue et inspirée par Cesare<br />
Alfieri de Sostegno, le Roi Charles Albert décrète l’institution de deux<br />
facultés distinctes, une de Lettres et Philosophie et l’autre de Sciences 24 , par<br />
scission de la précédente unitaire Faculté de Sciences et d’Arts. Depuis ce<br />
moment commence dans la Faculté ès Lettres une bataille pour y introduire<br />
l’enseignement de la géographie parmi les nouvelles chaires.<br />
Parmi les chaires de la Faculté ès Lettres il y a celle d’histoire moderne,<br />
de toute récente institution (1847, par transformation d’un enseignement<br />
d’Histoire Militaire activé l’année précédente), à laquelle on avait appelé Erdi<br />
Torino, Torino, Stamperia Davico e Picco, a.VII, volume I, p. 25 et pp. 168-171. Voir<br />
aussi P. BIANCHI, L’Università di Torino e il Governo provvisorio repubblicano (9 dicembre<br />
1798-26 maggio 1799), “Annali Fondazione Luigi Einaudi”, XXVI, 1992, pp. 243-246.<br />
Sur Allioni voir en particulier R. CARAMIELLO, Carlo Allioni, dans le volume R. ALLIO<br />
(dir.), Maestri dell’Ateneo torinese dal Settecento al Novecento, Torino 2004, pp. 1-22.<br />
24 Sur Ercole Ricotti voir G.P. ROMAGNANI, Ercole Ricotti, dans le volume F.<br />
TRANIELLO, L’Università di Torino. Profilo storico e istituzionale, Torino 1993, pp. 421-<br />
-423 et ID., Ercole Ricotti, dans le volume R. ALLIO (dir.), Maestri dell’Ateneo torinese<br />
dal Settecento al Novecento, op. cit., pp. 191-212; des notices biographiques se trouvent<br />
aussi dans C. CIPOL<strong>LA</strong>, L’autobiografia di un piemontese. Ricordi di Ercole Ricotti pubblicati<br />
da Antonio Manno, Torino, 1886, ID., Ercole Ricotti, in Annuario Accademico per<br />
l’anno 1883-84, Torino 1884, pp. 133-139 et dans le journal de E. RICOTTI, Ricordi di Ercole<br />
Ricotti, edité par A. Manno, Torino 1866.
Lieux et Portraits de la Géographie en Italie 93<br />
cole Ricotti: un capitaine du génie, officier de carrière, licencié en génie hydraulique<br />
et passionné d’études historiques, nommé professeur universitaire<br />
directement par Charles Albert, il devient l’historien de la monarchie de la<br />
maison de Savoie, personnage de relief dans les institutions culturelles turinoises,<br />
fortement engagé dans la vie politique et culturelle de la ville, Président<br />
de l’Académie des Sciences et de la Députation d’Histoire de la Patrie,<br />
lieu de réélaboration de l’histoire de la Maison de Savoie en termes<br />
d’histoire italienne et d’intérêts définis nationale, Recteur de l’Université de<br />
1862 à 1865. Ricotti, non un géographe, est le premier professeur de géographie<br />
de l’Université de Turin. Il se bat dès le début pour l’institution d’une<br />
chaire de géographie, et il trouve des obstacles dans la «tradition» de la Faculté:<br />
encore une fois la tradition est un jeu d’inclusions et d’exclusions.<br />
Dans ce cas la tradition est constituée par de chaires de vieille institution,<br />
c’est-à-dire des études classiques: la Faculté se fend entre conservateurs,<br />
commandés par le latiniste Tommaso Vallauri, fortement hostile à la réforme<br />
du système de la Faculté et en particulier à l’activation de nouvelles disciplines<br />
telles que l’histoire et la géographie surtout, et l’aile innovatrice, dans<br />
laquelle militaient les titulaires des nouvelles chaires imposées par la réforme<br />
de la Faculté et qui trouvait à l’extérieur des appuis de la part de personnages<br />
tels que Carlo Boncompagni de Mombello,ministre de l’Instruction<br />
pour quelques mois dans le premier gouvernement constitutionnel et proche<br />
des milieux libéraux-démocratiques de Turin, et en particulier Cesare Alfieri<br />
de Sostegno, chef du Magistrat de la Réforme jusqu’à sa suppression et puis<br />
à son tour ministre de l’Instruction 25 . Déjà en 1848 Ricotti, convaincu de la<br />
nécessité du rapport entre histoire et géographie, demande et obtient de pouvoir<br />
tenir lui-même un cours bref de géographie: le cours est articulé en neuf<br />
leçons et le programme dénote des choix curieux ou – si on préfère – une<br />
conception limitée de la géographie: il y traite de cosmographie et de géométrie<br />
(ce dernier héritage de la tradition cartographique militaire qui au Piémont<br />
remonte à l’enseignement donné dans les Écoles Théoriques et Pratiques<br />
d’Artillerie, fondées en 1739, tradition dont l’officier Ricotti est<br />
héritier). Dans une lettre envoyée à Cristoforo Negri, Président du Conseil de<br />
l’Université, pour soutenir la demande d’activation du cours, Ricotti motive<br />
sa demande avec l’objectif de «fournir à la jeunesse les informations préliminaires<br />
nécessaires à continuer tout seuls une étude de géographie, et de<br />
fournir ensuite surtout aux étudiants de Belles Lettres les moyens pour suivre<br />
avec profit mes cours d’histoire moderne, dans lesquels je prendrai soin de<br />
lier l’enseignement des faits à la connaissance géographique des lieux, ainsi<br />
25 Sur la période de la réforme de la Faculté voir l’étude très documentée de U. LEVRA, La<br />
nascita, i primi passi: organizzazione istituzionale e ordinamento didattico (1792-1862),<br />
dans le volume I. <strong>LA</strong>NA (dir.), Storia della Facoltà di Lettere e Filosofia dell’Università di<br />
Torino, Firenze 2000, pp. 78-98.
94 Inforgeo 18/19<br />
que histoire et géographie restent de mutuel appui et lumière» 26 . Au début<br />
donc la géographie ne trouve pas sa raison d’être dans l’enseignement scolaire,<br />
comme il se passera ensuite, mais on lui reconnaît une fonction de synergie<br />
avec l’histoire; cela ne suffit pas pour pouvoir dire si derrière cette affirmation<br />
générique il y a quelque conception spécifique de la géographie,<br />
par exemple la lecture de Ritter.<br />
Ricotti avance la proposition formelle d’institution d’une chaire de<br />
Géographie, en faisant des pressions dans ce sens jusqu’à quand la proposition<br />
sera accueillie. Dans l’année académique 1856-57 27 on commence le<br />
cours officiel de géographie, même si la date formelle d’institution de la<br />
chaire sera seulement le 5 juin 1857 28 , et Ercole Ricotti est chargé du cours,<br />
jusqu’à 1859. La dénomination de la chaire est Géographie et Statistique, ce<br />
qui n’est pas sans intérêt. En effet la proposition qui avait été faite plus d’un<br />
demi-siècle auparavant par la Commission Allioni semblerait enfin accueillie:<br />
on dirait donc que la conception de la géographie et de sa collocation entre<br />
l’histoire et l’économie politique était consolidée et que le rapport entre<br />
géographie et “statistique morale” n’avait pas fait défaut.<br />
En réalité le succès de Ricotti qui porta la Géographie dans la Faculté<br />
fut dû plus à son rôle dans les institutions culturelles et politiques de Turin,<br />
qu’à son influence académique qui était bien inférieure; son succès se joua<br />
en effet à l’extérieur de l’Université et plus précisément dans la salle du Parlement<br />
Subalpin, où aboutit la question des nouvelles chaires de la Faculté<br />
de Lettres, trois, en comptant celle de géographie, pendant le deuxième ministère<br />
Cavour. Le débat parlementaire de 1857 sur l’institution des nouvelles<br />
chaires fut serré et particulièrement dur aussi pour celle de Philosophie de<br />
l’histoire 29 ; à nos fins il est intéressant de le prendre en examen, avec les travaux<br />
de la Commission préparatoire présidée par Domenico Berti, pour ce<br />
qui concerne la chaire de Géographie 30 , autour de laquelle se délinéèrent et<br />
26 La lettre est conservée dans les archives Ricotti et elle est transcrite par F. IEVA, Ercole Ricotti<br />
professore universitario e storico, Tesi di laurea, Facoltà di Lettere e Filosofia, a.a.<br />
1998-99. Je remercie le Professeur Ester De Fort de m’avoir signalé la thèse du Docteur Ieva<br />
et son intérêt pour l’histoire de la géographie.<br />
27 En particulier l’aile conservatrice a une période de revanche – qui se manifeste entre autre<br />
par la suppression de deux des quatre nouvelles chaires instituées en 1848 – dans la période<br />
où même dans la vie politique du Piémont on ressent les effets du coup d’état bonapartiste<br />
du décembre 1851. Cela contribue à expliquer la gestation presque décennale de la chaire de<br />
géographie.<br />
28 ARCHIVIO STORICO <strong>DE</strong>LL’UNIVERSITA’ DI TORINO (ASUT), Leggi e regolamenti<br />
universitari dal luglio 1844 al giugno 1957, r.d. 5 giugno 1857; Raccolta di leggi, decreti,<br />
circolari ecc., Torino, 1857, loi n°. 2217 du 5 juin 1857.<br />
29 LEVRA, La nascita, i primi passi: organizzazione istituzionale e ordinamento didattico<br />
(1792-1862), op. cit., pp. 92 sgg.<br />
30 Atti del Parlamento Subalpino. Quinta Legislatura, Sessione 1857. Documenti, Roma 1872,<br />
vol. I, pp. 200-206 e Discussioni della Camera dei Deputati. Tornate 2 e 3 aprile 1857,<br />
Roma 1873, vol. VI, pp. 1310-1357.
Lieux et Portraits de la Géographie en Italie 95<br />
se heurtèrent deux différentes opinions et conceptions de la discipline. La<br />
majorité du gouvernement, c’est-à-dire l’élite subalpine de matrice libérale et<br />
réformiste, engagée dans le développement économique et dans l’administration<br />
du pays, qui s’était alliée à la gauche modérée anticléricale, rencontre de<br />
laquelle se modèlent les fondements des valeurs de libéralisme laïc du Risorgimento,<br />
d’un côté en rappelait surtout le rôle de science sociale, indispensable<br />
pour accompagner le développement qui se vérifiait dans la société civile<br />
dans les communications, dans les activités productives et financières, dans<br />
le commerce: la référence est pourtant à la tradition de la «statistique morale»,<br />
qui d’ailleurs dans ces années au Piémont constitue encore, comme<br />
nous l’avons déjà rappelé, un modèle d’enquête géographique et qui est remarquée<br />
avec évidence dans le titre qu’on veut donner à la chaire; cela<br />
n’était toutefois pas en contraste avec un rôle de science cognitive pure que<br />
toutefois on lui reconnaissait, en affirmant la nécessité de la géographie pour<br />
comprendre l’histoire et l’économie politique, auxquelles elle était considérée<br />
propédeutique; seulement en dernier on en rappelait l’importance pour la formation<br />
universitaire des enseignants des écoles élémentaires et secondaires.<br />
La minorité au contraire cherche des références doctes en dehors de la<br />
tradition locale et fait appel, d’une manière d’ailleurs impropre, à l’autorité<br />
de Ritter et d’une non mieux définie école de la Sorbonne 31 pour définir la<br />
géographie «science spéciale et circonscrite en elle-même», en refusant le<br />
rapprochement avec la statistique non moins qu’avec l’histoire ou l’économie<br />
politique et en la reléguant à un rôle de science descriptive, un concept<br />
de géographie qui sera soutenu dans l’école nationale plus tard; surtout, si<br />
apparemment il semble en défendre la spécificité et l’autonomie, en réalité il<br />
ne semble pas lui reconnaître une place et une finalité dans l’organisation du<br />
savoir que le débat parlementaire allait en fait dessinant, parce qu’il ne lui<br />
reconnaît pas un lien de nécessité qui la met en relation avec les autres sciences,<br />
à un moment où les distinctions et les définitions des disciplines allaient<br />
se précisant et se faisant plus rigoureuses, mais en même temps elle restaient<br />
encore partiellement ouvertes, tandis que les statuts disciplinaires apparaissaient<br />
faibles ou incertains.<br />
Formellement le premier model de géographie gagne, soutenu par la<br />
majorité, mais c’est une victoire éphémère: on institue la chaire de Géographie<br />
et de Statistique, ce qui apparemment répond à une instance sociale très<br />
clairement exprimée par celui qui représente une société en changement, qui<br />
est en train de construire un nouveau Pays et dans laquelle la bourgeoisie et<br />
une partie de l’aristocratie convergent sur un modèle de développement et<br />
d’état, moderne et cosmopolite, qui innerve à son tour un milieu économique<br />
en transformation. Mais quelle fut la réponse de l’académie à ces instances et<br />
31 Mais l’école de la Sorbonne est plus tardive: voir V. BERDOU<strong>LA</strong>Y, La formation de<br />
l’école française de Géographie (1870-1914), Paris 1981.
96 Inforgeo 18/19<br />
à ces intentions ?<br />
Malheureusement pour ces années les archives de la Faculté de Lettre<br />
sont très lacuneux: il est donc difficile de dire ce que signifièrent réellement<br />
les premières années d’enseignement de la géographie dans l’Université de<br />
Turin en termes de production et de diffusion de connaissance géographique.<br />
Les contenus du cours bref de Ricotti en 1848 ne sont peut être pas assez indicatifs<br />
des contenus transmis: ils pourraient en effet faire douter que les intentions<br />
exprimés au parlement pour l’institution de la chaire trouvèrent une<br />
réponse effective dans l’académie, mais en réalité ils avaient été conçus exclusivement<br />
comme intégration à un cours d’histoire et probablement ils sont<br />
peu significatifs.<br />
D’ailleurs Ricotti occupe la chaire pour quelques années seulement,<br />
dans l’attente qu’on trouve un titulaire agréé par la Faculté; on le trouve en<br />
Michele Amari, historien et arabiste de renommée, sur lequel on fait inutilement<br />
de fortes pressions 32 . Si on excepte quelques intérêts pour des textes<br />
arabes de géographie, comme celui de Edrisi 33 et pour la transcription de<br />
termes géographiques, ses rapports avec la géographie se limitent fondamentalement<br />
à son appartenance à la Société Géographique Italienne dès sa fondation;<br />
il y occupe d’abord la charge de Conseiller et puis de vice-<br />
-président 34 : tout cela est postérieur à 1859. Nous pourrions donc présumer<br />
que l’hypothèse d’assignation de la chaire de Géographie de Turin mûrit non<br />
tellement en rapport à la géographie elle-même et à son enseignement et développement,<br />
mais plutôt dans le domaine d’un réseau de relations académiques<br />
et politiques, dominantes dans le choix des personnes: c’est sans doute<br />
vrai, mais cela n’exclut toutefois pas que le choix réponde aussi aux instances<br />
de l’institution de la nouvelle chaire. Avec Michele Amari qui venait de<br />
Palerme, contraire à l’absolutisme des Bourbons, on entendait certes consolider<br />
le projet, systématiquement poursuivi dans ces années, de conférer à<br />
l’Athénée une dimension non locale en appelant des soi-disant immigrés, ce<br />
qui en même temps signifiait concentrer dans la ville capitale qui était à la<br />
tête de l’unification du pays le plus grand nombre possible de représentants<br />
de l’élite intellectuelle exilée d’autres états et en particulier du Royaume de<br />
32 Voir LEVRA, La nascita, i primi passi: organizzazione istituzionale e ordinamento didattico,<br />
op. cit., pp. 95 sg. Malheureusement la perte des procès-verbaux du Conseils de Faculté<br />
de ces années ne consent pas de reconstruire complètement l’événement à l’intérieur de la<br />
Faculté: l’épisode est connu surtout par la documentation sur la vie de Michele Amari pour<br />
laquelle on peut voir I. PERI, Michele Amari, Napoli 1976, pp. 143-144; sur la figure politique<br />
et scientifique d’ Amari voir aussi R. ROMEO, Amari Michele Benedetto Gaetano,<br />
dans Dizionario Biografico degli Italiani, Roma 1960, vol. II, pp. 639-640 et le volume<br />
Michele Amari storico e politico, Atti del Convegno (Palermo 1989), Palermo 1990.<br />
33 M. AMARI, Il libro di Re Ruggero, ossia la Geografia di Edrisi, “Boll. Soc. Geogr. It.”,<br />
VII, 1872, pp. 1-24.<br />
34 C. CERR<strong>ET</strong>I, Michele Amari e la Società Geografica Italiana, in Michele Amari storico e<br />
politico, Atti del Convegno, op. cit., pp. 313-320.
Lieux et Portraits de la Géographie en Italie 97<br />
Naples à cause de l’adhésion donnée aux rébellions pour l’annexion au Piémont.<br />
Dans son livre célèbre sur les Vêpres Siciliens, publié en 1842, Amari<br />
offre de la rébellion sicilienne de 1282 contre les Français de Charles<br />
d’Anjou une interprétation romantique comme soulèvement d’un peuple qui<br />
ne devait déplaire, ni sur le plan historiographique ni sur le politique, où les<br />
Vêpres devenaient une métaphore du présent, aux milieux culturels et officiels<br />
de Turin dans les années immédiatement précédentes l’Unité. En plus<br />
Amari était un arabiste de renommé: son mandat soutenait aussi celui du développement<br />
des études des langues et des civilisations orientales qui constituent<br />
dans la capitale des Rois de Savoie, bien que par des vicissitudes différentes,<br />
une tradition qu’on peut faire remonter à Charles Emmanuel I, avec le<br />
commencement de sa collection de manuscrits et de livres syriaques, arabes,<br />
araméens, hébraïques et de l’enseignement de la langue hébraïque, tradition<br />
que Tommaso Valperga de Caluso, Antonio Carlo Boucheron, Amedeo<br />
Peyron, Ernesto Schiapparelli ont renouvelée au XIX siècle. L’orientalisme<br />
imprègne une partie significative de la culture à Turin après le XVII siècle;<br />
au cours du XIX elle s’enracine encore davantage avec les premières collections<br />
qui font naître le Musée Egyptien. Pour le petit état italien transalpin<br />
qui n’a pas participé aux grandes découvertes géographiques, le voyage et la<br />
découverte de l’ailleurs passe plusieurs fois au XVIII et au XIX siècle à travers<br />
les études d’orientalisme. Tenter d’appeler Amari à une chaire de géographie<br />
peut avoir cherché une justification en cela aussi, en faisant de<br />
l’orientalisme un trait d’union aussi pour la géographie 35 , à laquelle on veut<br />
désormais assigner un rôle de soutien aux nouveaux intérêts pour les explorations<br />
et les relations commerciales avec les pays extra-européens qui se<br />
développent dans le Piémont de la moitié du siècle. Mais une autre considération<br />
joua un rôle peut-être non secondaire dans le choix: dans la position<br />
historiographique d’Amari il n’y a pas seulement la réinterprétation du<br />
Moyen Âge propre du Romantisme, qui à son tour alimentait une conception<br />
romantique de nation et de peuple, mais aussi une attention spéciale à ce<br />
qu’Amari appelait “manières du vivre” et “besoins publics”, en d’autres mots<br />
aux conditions économiques et sociales d’un pays, ou plus spécifiquement,<br />
comme un historien du Risorgimento a écrit, «à la manière de le civiliser<br />
comme somme et combinaison d’état moral et matériel, reflétée par la législation;<br />
l’interaction sur la longue durée, enfin, des structures économiques<br />
avec la composition sociale et ethnique des populations, avec les caractéristiques<br />
e l’environnement (qui anticipe une sensibilité non éloignée de celle<br />
positiviste pour les facteurs géographiques)» 36 . C’est-à-dire nous ne sommes<br />
35 Le jumelage géographie-orientalistique n’est d’ailleurs pas inusuel en Italie dans la seconde<br />
moitié du XIX siècle: on en trouve un compte rendu dans l’article de G. PATRIZI, Orientalismo<br />
e Geografia, “Boll. Soc. Geogr. It.”, ser. XI, IX, 1992, pp. 93-109, dans lequel toutefois<br />
le discours historiographique apparaît très appauvri.<br />
36 U. LEVRA, Fare gli Italiani. Memoria e celebrazione del Risorgimento, Torino 1992,
98 Inforgeo 18/19<br />
pas loin de la «statistique morale»: les raisons politiques du choix semblent<br />
bien se conjuguer avec les postulats scientifiques et de définition disciplinaire<br />
qui avaient présidé l’institution de la chaire.<br />
p. 371. Voir aussi PERI, Michele Amari, op. cit., pp. 152-159.
Lieux et Portraits de la Géographie en Italie 99<br />
Michele Amari n’accepte pas la nomination; toutefois le cadre d’ambiant<br />
qui se dessine est intéressant: celui d’une ville, Turin, où l’entrecroisement<br />
entre intérêts politiques et économiques, à partir du ministère Cavour,<br />
avec une tradition culturelle non seulement locale agit comme catalyse<br />
à la précoce institutionnalisation de la géographie. C’est une période où à<br />
Turin des intérêts d’expansion commerciale, des ambitions à l’unification<br />
nationale, des procès de modernisation, le collectionnisme scientifique, des<br />
modèles de description géographique se rencontrent; c’est aussi le Turin où<br />
se présentent les intérêts pour l’ailleurs, où un groupe de savoyards de la<br />
Maurienne part explorer, peu après la moitié du siècle, le Soudan au but<br />
d’activer un commerce d’ivoire et à la suite de leur premier voyage le gouvernement<br />
décidera de soutenir leur initiative en ouvrant un consulat à Khartoum<br />
et en nommant consul du Royaume de Sardaigne un des savoyards,<br />
Alexandre Vaudey, qui ensuite avec ses petits-fils Ambroise et Jules Poncet<br />
accomplira une expédition à la recherche des sources du Nile 37 , aventure à<br />
laquelle se dédiera aussi le successeur de Vaudey, Antoine Brun Rollet, un<br />
autre savoyard, qui rapportera à sa patrie une collection naturaliste et ethnographique<br />
dont il fera cadeau au souverain et qui en partie est encore conservée<br />
dans le Musée Royal d’armes et d’armures de Turin 38 .<br />
Dans ce contexte on regarde à la géographie, on lui prescrit une fonction<br />
plus de connaissance que pédagogique, en fonction de laquelle on lui<br />
assigne une place dans l’ordre des sciences qui commençait à se constituer,<br />
une place qui la situe explicitement entre l’histoire et l’économie politique,<br />
selon un projet non réalisé de la tradition locale du siècle des Lumières et en<br />
reconnaissant implicitement dans la «statistique morale» le modèle scientifique<br />
le plus proche. Mais ce modèle était désormais voilé et il commençait à<br />
faiblir, en dissolvant un patrimoine de capacité de connaissance du territoire<br />
local dans les intérêts -de domaine et de connaissance – qui gouverneront<br />
plus tard, à partir des années ‘60 – ‘70, l’institutionnalisation de la géographie<br />
dans le plus vaste contexte national et qui sont bien représentés synthétiquement,<br />
encore au seuil de la première guerre mondiale, dans les pages<br />
d’Errera que nous avons citées.<br />
37 L’intérêt pour la découverte des sources du Nil au Piémont pendant ces années est documenté<br />
aussi par l’ attribution de la part du Roi Victor Emmanuel II de deux médailles d’or au<br />
Capitaine Speke et au Capitaine Grant: voir la lettre de Massimo d’Azeglio au Président de<br />
la Royal Geographical Society avec l’annonce de l’attribution des médailles dans “Proceedings<br />
of the Royal Geographical Society of London”, 5, 1862-63, pp. 216-217.<br />
38 Sur la collection Brun Rollet voir R. ALMAGIA’, Antonio Brun Rollet e i primordi del consolato<br />
sardo in Chartum, “Riv. Coloniale”, 1926, pp. 28-34.
100 Inforgeo 18/19<br />
La géographie comme sphère publique.<br />
Le modèle de géographie élaboré à Turin ne dépasse donc pas les frontières<br />
locales, au contraire il trouve probablement une faible application<br />
même dans le milieu culturel qui l’engendre. Le refus d’Amari porte à la<br />
chaire de Géographie et Statistique de l’Université de Turin Celestino Peroglio,<br />
un personnage avec un passé de militant dans les guerres d’indépendance<br />
et dans les rangs des hommes de Garibaldi, lié à Nino Bixio 39 , mais<br />
aussi à Giosué Carducci 40 , partisan enthousiaste de l’ouverture de Suez, à<br />
l’ouverture duquel il assista comme délégué du Gouvernement italien, méconnu<br />
sur le plan scientifique même de ses contemporains, à tel point que<br />
son nécrologe sur les pages d’une des deux principales revues nationales de<br />
géographie 41 semble dicté plus par un devoir inhérent à son rôle et à sa carrière<br />
de professeur de géographie à Turin, à Palerme et puis à Bologne, plutôt<br />
que par le désir de rendre hommage à l’activité d’un géographe, dont on<br />
écrit que sa production scientifique «se réduit à des discours occasionnels et<br />
à des relations». Peroglio en effet serait pour nous peu intéressant, s’il n’était<br />
pas l’acteur d’un double procès parallèle d’institutionnalisation de la géographie<br />
à Turin. En effet il fonde le Cabinet de Géographie de l’Université 42 ,<br />
duquel se développera ensuite l’Institut, qui existe jusqu’à la formation des<br />
départements, et en 1867, la même année où la Société Géographique Italienne<br />
est instituée à Florence, il fonde à Turin le Circolo Geografico Italiano<br />
(Club Géographique Italien), ayant le but de «1 er) étudier le sol de la Patrie,<br />
par moyen d’excursions annuelles; 2me) promouvoir les études<br />
géographiques et des sciences apparentées; 3me) préparer des hommes aptes<br />
à émuler les étrangers dans les expéditions géographiques»; le Club soigne<br />
une série de Pubblicazioni del Circolo Geografico Italiano, un périodique<br />
39 BIBLIOTECA UNIVERSITARIA G<strong>EN</strong>OVA, Fondo Nino Bixio, cassette 8/196.<br />
40 Avec Carducci Peroglio entretient une correspondance entre 1877 et 1905, conservée dans<br />
les Archives de la Maison Carducci de Bologna.<br />
41 Le nécrologe n’est pas signé, donc il s’agit seulement d’une note rédactionnelle, publiée<br />
dans “Rivista Geografica Italiana”, 1909, pp. 437-438.<br />
42 La date d’institution du Cabinet de Géographie nous est inconnue, à cause des lacunes des<br />
archives de la Faculté de Lettres; toutefois nous pouvons estimer qu’il existait déjà au moins<br />
à partir de 1868/1870. En effet dans une lettre au Recteur, datée 14 novembre 1872, Peroglio<br />
annonce qu’il a reçu en cadeau une collection géologique qu’il voudrait mettre dans une<br />
vitrine spéciale du Cabinet de Géographie; avec l’occasion il rappelle qu’une dotation<br />
annuelle fixe au Cabinet avait été promise dès le temps où Michele Coppino était Recteur: il<br />
eu la charge justement de 1868 à 1870: ASUT, XIV B, Affari ordinati per classi, n. 40, cl. 8,<br />
fasc. 15, 1874, Stabilimenti scientifici in genere e Scuola di Geografia. L’hypothèse de datation<br />
trouve confirmation aussi dans le fait que justement en 1868 Peroglio publie un opuscule<br />
sur le sujet: voir C. Peroglio, Proposta di un Istituto Geografico da fondarsi a Torino, Torino<br />
1868.
Lieux et Portraits de la Géographie en Italie 101<br />
bimestriel de “Géographie, Ethnographie et Sciences alliées”, qui commence<br />
en 1872, mais qui aura une courte vie, tandis que le Club lui survit encore<br />
pendant quelque temps. Le statut du Club rappelle les deux instances qui<br />
avaient présidé à l’institution de la chaire de géographie: l’enquête sur les<br />
conditions géographiques locales et l’éducation à l’exploration de l’ailleurs.<br />
Dans le statut du Club et dans la personnalité même de Peroglio se mélangent<br />
donc le modèle – ou plus exactement ce qui en reste – de la statistique<br />
sociale 43 avec les plus récentes instances et les aspirations au voyage<br />
d’exploration auquel se dirigeaient les ambitions de développement économique<br />
et commercial. Malgré leur caractère éphémère, ces initiatives suscitent<br />
un intérêt historiographique. Elles se situent dans la floraison d’associations<br />
et de revues géographiques qui caractérise dans quelques lieux la<br />
période avant et après l’Unité; mais surtout les premières survivent rarement<br />
à l’institution et à la consolidation de la Société Géographique Italienne. Le<br />
Circolo de Peroglio occupa probablement une position non complètement<br />
marginale, du moment que Giuseppe Dalla Vedova lui-même en loue<br />
l’activité, en le définissant «une association privée spéciale et sans exemple»<br />
et un «véritable Collège de propagande» qui organise des lectures publiques<br />
et des excursions et prépare à la pratique du «voyageur parfait» 44 .<br />
Peroglio, à côté de son activité de professeur universitaire, professe<br />
donc une conception de la géographie comme connaissance publique et<br />
comme enseignement populaire, extra-académique, adressée à un publique<br />
plus vaste, et il voit dans le travail sur le terrain, entendu comme excursion<br />
géographique, avec son apparat d’observation, de description, de cartographie,<br />
le moyen pour produire et vérifier la connaissance géographique 45 . La<br />
43 La statistique sociale avait été en réalité un point de référence dans les choix pour<br />
l’occupation de la chaire: en effet dans une recension de Peroglio lui-même à la nouvelle<br />
édition du Manuale completo di Geografia e Statistica de Luigi Schiaparelli, parue dans son<br />
“Periodico bimestrale di Geografia, Etnografia e Scienze Affini”, I, 1972, p. 215, Schiaparelli<br />
est défini par Peroglio «mon illustre Collègue et prédécesseur sur la chaire de Géographie<br />
et Statistique»; c’est là l’unique attestation concernant un autre professeur pour la chaire de<br />
géographie avant Peroglio. Mais en réalité déjà en 1861 la Faculté se montre peu sensible<br />
aux postulats qui avaient présidé à l’institution de la chaire et elle en discute la dénomination,<br />
en supposant une division entre géographie et statistique qu’elle décide ensuite de ne<br />
pas réaliser; mais en même temps elle délibère que dans l’enseignement «la Géographie ancienne<br />
et moderne» doit prévaloir, en rendant emphatique sa fonction d’ «instruction des<br />
professeurs de lettres dans les écoles secondaires», tandis que la Statistique doit être considérée<br />
«comme complément et subside dans la Géographie spéciale»: voir ASUT, VII, Facoltà,<br />
Facoltà di Lettere e Filosofia, Verbali Consiglio di Facoltà, reg. 52, seduta 7 luglio<br />
1861.<br />
44 G. DAL<strong>LA</strong> VEDOVA, La Geografia a’ giorni nostri, “Nuova Antologia”, XXIII, 1873,<br />
pp. 88-100 et 335-379 maintenant dans DAL<strong>LA</strong> VEDOVA, Scritti geografici, op. cit.,<br />
pp. 15-69 et spécialement 61-62.<br />
45 La première des excursions explore une partie des Alpes Occidentales et elle est divulguée<br />
par les Publications du Circolo: Dal Cenisio al Monviso, descrizione del primo viaggio<br />
d’istruzione del Circolo Geografico, Torino 1868.
102 Inforgeo 18/19<br />
valeur éducative de la géographie, le fait que c’est une forme d’éducation civile<br />
est affirmé plusieurs fois et par plusieurs voix ces années dans la géographie<br />
italienne en référence à son rôle scolaire; mais ici nous trouvons une<br />
pratique de la géographie comme instrument plus vaste de culture publique<br />
et de manière de civiliser, une tentative d’utiliser la géographie pour «faire<br />
les Italiens», après avoir fait l’Italie, dans une ville qui avait été protagoniste<br />
de la construction de l’Italie et qui venait de perdre son rôle de ville capitale,<br />
et vivait une des périodes les plus difficiles de son histoire 46 :Peroglio,<br />
homme du Risorgimento, lie progrès des études géographiques et liberté, et<br />
il démontre, dans une personnelle relecture de l’histoire de la géographie,<br />
que lorsque l’une manque les autres déchoient, et il met l’une et les autres à<br />
fondement de la vie civile, où l’utilitas de la géographie, appuyée à<br />
l’histoire, consiste à soutenir «le rachat de la liberté, de l’indépendance et de<br />
l’unité», en hâtant «l’accomplissement des destins glorieux de la patrie»<br />
dans les temps nouveaux et dans les événements politiques que «nous<br />
n’arrêterons pas de bénir, s’ils se révèlent aussi salutaires pour l’Italie qu’ils<br />
ont été, à cause d’un néfaste concours de circonstances, fatals à Turin» 47 . Le<br />
projet qu’on entrevoit derrière la fondation du Circolo Geografico Italiano<br />
semble bouger sur un parcours qui est sous certains aspects parallèle à celui<br />
que quelques historiens étaient en train de faire à Turin plus ou moins en<br />
même temps ou peu après: ils étaient séduits par l’approche positiviste,<br />
charmés par les lectures publiques et engagés dans les éditions critiques et<br />
dans la publication des sources de l’histoire de la patrie, qu’on entend destiner<br />
à un usage moins privé et plus public 48 : en bref, le terrain et le document,<br />
les deux dévoilés et non but de la pratique scientifique, mais moyen pour<br />
l’éducation civile du pays; ce sont aussi les années où à Turin on propose à<br />
nouveau la question de l’emplacement et du nouveau classement des collections<br />
scientifiques et de l’organisation des musées, aussi comme forme de la<br />
divulgation et spectacularisation scientifique. 49<br />
L’expérience turinoise de la géographie comme “sphère publique” doit<br />
encore être évaluée dans son réseau de relations locales et aussi dans le rôle<br />
qu’elle peut avoir joué, mal gré bon gré, dans la dérive vers le nationalisme<br />
des idéaux du Risorgimento, enracinés en Peroglio et reconduits à méthode<br />
scientifique dans l’emphase placée sur l’idée de nation, plutôt que sur celle<br />
d’État, comme principe ordinateur de la géographie politique, qu’on veut<br />
faire devenir de cette façon géographie morale 50 ; dans le contexte de la cons-<br />
46 Voir les essais recueillis dans U. LEVRA (dir.), Storia di Torino, vol. VII, Torino 2001.<br />
47 C. PEROGLIO, Prolusioni al Corso di Geografia e Statistica professato nella Regia Università<br />
di Torino, Torino 1864, pp. 28-30 et p. 36.<br />
48 U. LEVRA, Fare gli Italiani, op. cit., pp. 144-149.<br />
49 Voir les essais contenus dans le volume G. GIACOBINI (dir.), La memoria della scienza:<br />
Musei e collezioni dell’Università di Torino, Torino 2003.<br />
50 C. PEROGLIO, Del principio di nazionalità nella geografia politica, Torino 1864.
Lieux et Portraits de la Géographie en Italie 103<br />
truction de la géographie nationale cette expérience ne laisse aucune trace,<br />
débordée inévitablement par la consolidation de la Société Géographique Italienne<br />
qui, dans ses premières années d’activité, au moins jusqu’à la Présidence<br />
de Dalla Vedova est gouvernée en grande mesure par des politiciens,<br />
des militaires, des diplomates, des entrepreneurs bien plus que par des géographes<br />
académiques 51 et qui marque tout de suite le passage du pouvoir de<br />
la géographie, comme Peroglio pouvait peut-être l’entendre ingénument, à la<br />
géographie du pouvoir, attirant dans cette orbite aussi une grande partie de la<br />
géographie académique.<br />
Toutefois, dans le panorama de la phase d’institutionnalisation de la<br />
géographie italienne, jusqu’à la première guerre mondiale environ, une tradition<br />
de géographie comme «sphère publique» émerge comme trait caractéristique,<br />
qui a encore des matrices dans le Risorgimento et qui se manifeste surtout<br />
à travers la fondation de revues, souvent liquidés dans l’historiographie<br />
géographique comme de vulgarisation, si non commerciales; mais dans<br />
d’autres cas, derrière la vulgarisation il y avait, comme pour Peroglio,<br />
l’engagement civil, et plus spécifiquement une conception de l’éducation<br />
comme propulseur du progrès civil, de circulation et de dissémination du savoir<br />
comme instrument de formation des consciences auquel on ne peut pas<br />
renoncer. Mais il est intéressant de remarquer que cela se vérifie transversalement,<br />
à l’intérieur et à l’extérieur de l’Université, dans des contextes sociaux<br />
et idéologiques différents. Les deux cas les plus significatifs sont ceux<br />
d’Arcangelo Ghisleri et de Guido Cora, deux personnages très différents et<br />
en même temps similaires.<br />
Pour le premier nous disposons maintenant d’excellentes études<br />
d’Emanuela Casti et Giorgio Mangini 52 . Ghisleri, (1855-1838), intellectuel<br />
laïc et républicain, dans la souche du fédéralisme de Carlo Cattaneo, enseignant<br />
d’histoire et de géographie dans les lycées, n’arrivera jamais à la<br />
chaire universitaire et il se pose au contraire comme anti-académicien. Sa<br />
conception de la géographie est celle d’une science non descriptive, mais<br />
analytique, capable de rechercher les liens de réciprocité entre la dimension<br />
51 Voir M. CARAZZI, La Società Geografica Italiana e l’esplorazione coloniale in Africa,<br />
Firenze 1972. Voir aussi L. GAMBI, Geografia e imperialismo in Italia, Bologna 1992, ed.<br />
anglaise L. GAMBI, Geography and Imperialism in Italy: from the Unity of the Nation to<br />
the “new” Roman Empire, dans le volume A. GODLEWSKA – N. SMITH (eds.), Geography<br />
and Empire, Oxford 1994, pp. 74-91.<br />
52 E. CASTI – G. MANGINI, Una geografia dell’altrove. L’Atlante d’Africa di Arcangelo<br />
Ghisleri, Cremona 1997, E. CASTI, L’Atlante d’Africa e il ruolo sociale della geografia,<br />
dans le volume E. CASTI (dir.), Arcangelo Ghisleri e il suo “clandestino amore”. Geografia<br />
e studi coloniali tra ‘800 e ‘900 in Italia, Roma 2001, pp. 14-52, G. MANGINI, Arcangelo<br />
Ghisleri e il positivismo, “Rivista di Storia della Filosofia”, 4, 1986, pp. 695-724, M.<br />
QUAINI, Arcangelo Ghisleri e la cultura geografica, “Archivio Storico Bergamasco”, 15-<br />
-16, 1989, pp. 35-46.
104 Inforgeo 18/19<br />
physique et celle historique 53 : du positivisme il accueille la partie la meilleure,<br />
donc non sa dérive vers la naturalisation des faits anthropiques, en<br />
niant que l’évolutionnisme de Darwin puisse s’appliquer à l’histoire. Même<br />
par cette voie scientifique, outre que par l’idéologique, il refuse les justifications<br />
naturalistes et racistes du colonialisme, qu’il repousse donc dans sa pratique<br />
politique et militaire, mais à laquelle il cherche à offrir une essence alternative<br />
comme forme d’«intégration culturelle et civile progressive entre<br />
peuples différents, fondée sur le savoir et sur la qualité démocratique des relations<br />
réciproques» 54 librement choisies.<br />
Ghisleri porte la province, la lombarde de Cremona où il a grandi, et<br />
surtout de Bergame où il enseigne et publie, parmi les centres d’élaboration,<br />
de concentration et de diffusion du savoir géographique, à côté des grands<br />
sièges universitaires. À Bergame avec l’Institut d’Arts Graphiques de<br />
l’éditeur Gaffuri, où il organise une section de cartographie, il publie aussi la<br />
revue «La Geografia per Tutti» (La Géographie pour Tous), qui laissera ensuite<br />
la place aux «Comunicazioni ad un Collega» (Communications à un<br />
Collègue), destinées principalement aux enseignants, qui à leur tour sont sollicités<br />
à se faire non seulement destinataires et donc consommateurs de savoir<br />
géographique, mais aussi producteurs d’eux-mêmes: la revue donne ainsi<br />
voix, comme Mangini 55 l’a observé, à des sujets capables de fonctionner<br />
comme collecteurs de savoirs locaux qui différemment ne pénétreraient jamais<br />
dans le circuit national de la production culturelle et s’offre comme<br />
médiateur qui connecte non seulement des personnes disparates par connaissances<br />
et pratiques géographiques, mais surtout celles-ci avec les domaines<br />
institutionnels. En effet, malgré que Ghisleri n’ait pas accès à la géographie<br />
académique, et malgré qu’il n’en incarne pas la tradition dominante, toutefois<br />
il la croise et en devient un interlocuteur, pour des raisons sur lesquelles<br />
ici nous ne pouvons pas nous arrêter, mais qui ont déjà été bien illustrées par<br />
Mangini. Une conséquence non secondaire de cette conception du rapport<br />
53 A. GHISLERI, Piccolo Manuale di Geografia Storica, Bergamo 1888, p. 9<br />
54 G. MANGINI, La “Geografia per Tutti”: dialogo con gli insegnanti”, dans le volume E.<br />
CASTI (dir.), Arcangelo Ghisleri e il suo “clandestino amore”. Geografia e studi coloniali<br />
tra ‘800 e ‘900 in Italia, op. cit., pp. 189-239 et spécialement p. 202. Sur l’anticolonialisme<br />
de Ghisleri, fondamental est l’essai de E. CASTI, L’Atlante d’Africa e il ruolo sociale della<br />
geografia, ibid., pp. 13-52, qui explore aussi les connexions avec Elisée Reclus, qui constitue<br />
d’ailleurs une des références de Ghisleri. Les écrits de Ghisleri dans le cadre du débat<br />
sur le concept de race sont nombreux, maintenant recueillis par R. Rainero dans A.<br />
GHISLERI, Le razze umane e il diritto nella questione coloniale, Milano 1972.<br />
55 MANGINI, La “Geografia per Tutti”: dialogo con gli insegnanti”, dans le volume E.<br />
CASTI (dir.), Arcangelo Ghisleri e il suo “clandestino amore”, op. cit., pp. 189-239 et spécialement<br />
p. 190-101 et 220-232: Mangini relève dans l’initiative de Ghisleri un aspect “non<br />
seulement descendent du parcours social des savoirs qui sortent déjà codifiés” des lieux institutionnels,<br />
mais aussi “une instance ascensionnel de la connaissance, selon laquelle les institutions<br />
doivent se poser aussi comme un lieu de récolte de la production sociale de savoir<br />
géographique, liée aux particularités historiques et géographiques du territoire.
Lieux et Portraits de la Géographie en Italie 105<br />
entre production et dissémination des connaissances géographiques et des relations<br />
culturelles entre corps social et institutions scientifiques se manifeste<br />
dans la rubrique de la revue dédiée à la «Geografia di Casa Nostra” (Géographie<br />
de chez-nous): il n’est pas insignifiant dans le conteste d’une production<br />
géographique qui dans sa partie académique privilégiait, avec peu<br />
d’exceptions, la géographie coloniale et elle ne se mesurait pas avec les problèmes<br />
d’une Italie qu’on venait de faire, mais qui était inconnue aux Italiens<br />
et à ceux qui les gouvernaient. Il s’agit d’une absence relevante de la géographie<br />
officielle dans un moment délicat de fondation de l’État et de construction<br />
de l’identité collective, que justement les différences historiques, sociales<br />
et économiques n’aidaient pas à trouver, avec l’incompréhension des<br />
différences; et il est significatif que la géographie académique ne se mesure<br />
même pas avec le problème politique fédéraliste, mais aussi purement géographique<br />
de la définition des domaines régionaux du pays. C’est-à-dire que<br />
le découpage territorial de l’Etat se fait sens les géographes 56 .<br />
Guido Cora (1851-1917), libéral modéré, fidèle en bon piémontais à la<br />
dynastie de la maison de Savoie, nous reconduit à Turin fin du XIX siècle, la<br />
ville la plus positiviste d’Italie comme Norberto Bobbio l’a définie, où il naît<br />
d’une famille de la haute bourgeoisie et où il occupe de 1882 à 1897 57 la<br />
chaire de géographie dans la Faculté ès Lettres, la moins positiviste dans<br />
l’Université de Turin 58 et dans laquelle il se situe non sans conflit. Mais<br />
avant et après son activité académique il en développe une autre de voyageur<br />
et de éditorialiste. En 1873 il fonde la revue “Cosmos. Communications sur<br />
les progrès les plus récents et remarquables de la Géographie et des Sciences<br />
apparentées”, revue qui continuera ses publications jusqu’à 1913 et qui a<br />
pour modèle déclaré les Geographischer Mitteilungen d’August Petermann;<br />
Cora en effet, n’a aucune licence comme Ghisleri, il n’a pas suivi le cours<br />
d’études canonique, mais en autodidacte il choisit en autonomie ses maîtres<br />
et son parcours de formation géographique: il étudie à Leipzig et surtout à<br />
Gotha, où il travaille avec Petermann dans la maison d’éditions de Justus<br />
56 Sur le problème des régions en Italie voir L. GAMBI, L’equivoco tra compartimenti statistici<br />
e regioni costituzionali, Faenza 1963, ID., Le “regioni” italiane come problema storico,<br />
“Quaderni Storici”, 34, 1977, pp. 275-298, ID., Un elzeviro per la regione, “Memoria e<br />
Ricerca”, 4, 1999, pp. 151-165, P. COPPO<strong>LA</strong>, Le scale dell’Unità. Le regioni smarrite di<br />
cent’anni di Congressi geografici”, Atti XXVI Congr. Geogr. It. (Genova 1992), Roma<br />
1996, volume I, pp. 73-84.<br />
57 La biographie de Guido Cora fait partie d’un projet de recherche en cours: voir P. SER<strong>EN</strong>O,<br />
Alle origini della Scuola di geografia nell’Ateneo torinese: appunti per un progetto di ricerca,<br />
dans le volume E. CASTI (dir.), Arcangelo Ghisleri e il suo “clandestino amore”. Geografia<br />
e studi coloniali tra ‘800 e ‘900 in Italia, op. cit., pp. 241-261; pour un bref profil<br />
biographique voir P. SER<strong>EN</strong>O, Guido Cora, dans le volume R. ALLIO, Maestri<br />
dell’Ateneo torinese, op. cit., pp. 281-282. Voir aussi le nécrologe de R. ALMAGIA’, Guido<br />
Cora, “Rivista Geografica Italiana”, 1918, pp. 42-46.<br />
58 C. POGLIANO, L’età del positivismo, dans I. <strong>LA</strong>NA (dir.), Storia della Facoltà di Lettere e<br />
Filosofia dell’Università di Torino, op. cit., pp. 101-130.
106 Inforgeo 18/19<br />
Perthes, en apprenant une méthode cartographique qui constituera un trait<br />
distinctif de sa production scientifique, une expérience qui à son tour active à<br />
Turin entre le XIX et le XX siècle le développement d’une édition géographique<br />
et cartographique, parmi lesquelles celle de la maison d’édition Paravia.<br />
Éloquent conférencier, inséré dans une trame dense de rapports intellectuels<br />
internationaux, il fonde dans sa maison un Institut Géographique<br />
constitué autour de sa très riche bibliothèque et cartothèque, qu’il donnera<br />
par testament à la Bibliothèque nationale de Turin, et à sa récolte ethnographique;<br />
dans cet espace privé, d’accumulation d’instruments géographiques,<br />
il célèbre la géographie comme sphère publique, en y accueillant des étudiants,<br />
des hommes de science, des explorateurs en visite à Turin, avec qui il<br />
tient des séminaires, sur la modèle allemande, et des lectures géographiques.<br />
Malgré son engagement dans le développement du Cabinet de Géographie de<br />
l’Université et malgré son rôle académique et son appartenance à la Société<br />
Géographique, Cora sent la nécessité d’un lieux extérieur, d’un siège différent<br />
de l’institutionnel, où réaliser un processus de circulation du savoir géographique<br />
dans les lieux de sa production et de sa pratique à la société. Le<br />
nouveau périodique retentit dans le titre Alexandre von Humboldt, qui en effet<br />
constitue avec Ritter, Marco Polo, Colombo et Cook un des points de référence<br />
cités dans l’Introduction au premier numéro de la revue, celui auquel<br />
il fait remonter l’origine de la géographie moderne. Ses intérêts sont tournés<br />
surtout aux grands voyages d’exploration géographique et donc à la géographie<br />
coloniale, à l’intérieur de laquelle il bouge en cherchant à garder les aspects<br />
scientifiques du colonialisme séparés des politiques, charmé par le défi<br />
de reconduire les nombreux aspect différents de chaque pays dans un ensemble<br />
organique de connaissances, dans la conviction que «il y a entre la terre<br />
et l’homme des rapports et une dépendance qui influent en tout sur le développement<br />
de l’individu et donc de la société» 59 ; la géographie cueille<br />
l’ensemble des rapports entre la nature et l’homme et c’est ainsi «qu’elle a<br />
pris les vêtements d’une science véritable, et que, soit dans l’ordre morale<br />
soit physique aucune autre n’a de plus nombreuses applications». La géographie<br />
n’a donc pas seulement une fonction de connaissance, mais elle est susceptible<br />
d’influer sur la vie civile: «Renouer les nations en amitié réciproque,<br />
diffuser les idées d’humanité et de savoir, rapprocher à tous les peuples l’art<br />
de vivre policé, et avec un énorme avantage de chacun d’entre eux accroître<br />
le bien être matériel entre tous par l’échange et le crédit, créer les moyens,<br />
encore plus la matière et la nécessité au travail et à l’occupation, ce sont tous<br />
des avantages qui sans la géographie non seulement ne seraient pas possibles,<br />
mais pour la plupart on n’y penserait même pas».<br />
59 G. CORA, Introduzione, “Cosmos”, I, 1973, p. 4. Voir aussi le discours inaugural au cours<br />
de Géographie de 1883: G. CORA, Della superficie terrestre come oggetto precipuo della<br />
Geografia, “Cosmos”, VIII, 1884-1885, pp. 274-282, publiée aussi dans “Zeitschrift für<br />
wissenschaftliche Geographie”, IV, 1883, pp. 180-189.
Lieux et Portraits de la Géographie en Italie 107<br />
L’élévation éthique et politique des classes populaires en Peroglio,<br />
l’éducation au progrès civil en Ghisleri, l’éducation culturelle et scientifique<br />
de la bourgeoisie comme sujet historique auquel touche le devoir de réaliser<br />
le progrès social en Cora sont des positions idéologiquement distantes, mais<br />
mises en commun par une identique tension intellectuelle, qui utilisera pour<br />
se manifester des instruments analogues et qui se fondera sur une conception<br />
de la géographie qui les rend moins éloignés entre eux qu’ils le sont des<br />
conceptions majoritaires dans la géographie académique de leur temps. Surtout<br />
entre Ghisleri et Cora, bien que dans leur profonde diversité et distance,<br />
quelques fils dispersés se renouent: la centralité de la formation d’une conscience<br />
civile et le rôle de la géographie dans ce processus, la dissémination,<br />
plus que la divulgation, du savoir géographique, sans distinction entre géographie<br />
scientifique et géographie populaire, avec son corollaire du développement<br />
d’une édition géographique, la construction de la carte, avec son apparat<br />
documentaire et avec son mettre en évidence la question du rapport<br />
entre la parole et le signe, son rôle dans la formalisation logique du discours<br />
géographique.<br />
Donc, la production et la diffusion du savoir géographique suit dans<br />
l’Italie entre le XIX et le XX siècle des itinéraires changeants, qu’on ne peut<br />
pas reconduire tous à la même logique, en grande partie encore à explorer<br />
dans leur embranchement et entrelacement et qu’on ne rencontre pas toujours<br />
si on suit seulement le tronc de l’arbre généalogique de famille: la géographie<br />
de la géographie en Italie dessine une carte bigarrée. Tandis que<br />
l’école nationale cherche à se définir et à s’affirmer comme espace académique,<br />
lieu institutionnel de la production et de la distribution du savoir géographique,<br />
en dédiant beaucoup de temps et d’énergies à débattre sur la place<br />
de la géographie parmi les autres sciences et à codifier son statut, il reste<br />
quelques espaces extra-académiques, des lieux où on tente, avec des approches<br />
différentes, de porter la géographie sur le terrain, dans la société civile,<br />
on tente de faire de la géographie un circuit de communication entre institution<br />
e société. Depuis lors la géographie italienne a eu une longue histoire<br />
faite de beaucoup de changements et d’importantes réalisations, mais elle n’a<br />
pas réussi à se découper un rôle reconnu dans la culture nationale et contemporaine,<br />
ni à s’enraciner dans la conscience civile du pays; relire aujourd’hui<br />
l’autre histoire de la géographie, celle qui ne fut jamais dominante, mais qui<br />
fut militante peut servir à réfléchir sur quand, où et pourquoi nous sommes<br />
restés à l’extérieur de la construction et du changement de l’identité collective.
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