LIEUX ET PORTRAITS DE LA GÉOGRAPHIE EN ITALIE A L ...

88 Inforgeo 18/19
dieuse en dehors de l’Italie, une organisation d’explorations et de découvertes
dans des pays éloignés”. Cela ne signifie pas que la Société Géographique
s’est isolée de l’élan vital de la vie nationale, au contraire “en lui obéissant”,
parce que “le mouvement, l’élan du Risorgimento de la patrie poussait
déjà l’Italie, non encore complètement constituée, […] irrésistiblement hors
ses frontières cherchées et atteintes, poussait l’Etat qui venait de naître, héritier
de nécessités géographiques inéluctables et de traditions historiques immanentes,
à se porter au-delà de la mer qui ne lui est pas un obstacle, mais
voie ouverte à l’expansion séduisante”. Et en cette ordonnance de la politique
et de la science par laquelle Errera justifie tout, même l’émigration italienne
à l’étranger entre la fin du XIX et le début du XX siècle trouve sa collocation
harmonique et sa raison d’être non dans la pauvreté de quelques
régions du Pays, mais encore dans la téléologie de ce «mouvement inévitable
d’élargissement des frontières de la patrie à l’intérieur de notre mer»: en
conclusion, seulement une autre forme à travers laquelle l’inéluctable destin
d’expansion se manifeste. Il est intéressant de remarquer qu’exactement
celle-ci avait été la lecture géographique du pavillon du travail italien dans le
monde de l’Exposition Internationale de Turin de 1898 16 .
Donc des traces maigres et non reconnues de la tradition géographique
pré-académique transpercent dans la géographie institutionnalisée, malgré
l’existence de quelques figures qui auraient pu être de raccord, comme par
exemple Ferdinando De Luca, un des représentants de la statistique morale et
de la recherche chorographique du Mezzogiorno, grand partisan du projet
d’institution d’une Société géographique, ou même Carlo Cattaneo, qui
d’ailleurs au moment de la fondation de la Société Géographique Italienne
participa mais ne voulut pas en faire partie 17 ; paradoxalement le Risorgimento
engendre une pensée politique qui dévore la culture du Risorgimento. La
question n’est pas insignifiante sur le plan historiographique ni sur celui de
la pratique géographique, puisque la géographie non plus n’échappe à la règle
bien démontrée en général par Hobsbawm selon laquelle la tradition est
essentiellement représentation d’elle-même. La manière où elle se construit
est donc encore plus éclairante que sa propre nature; comme Gillian Rose a
affirmé, la construction des traditions géographiques est en même temps
construction de «sameness and difference», un processus complexe qui tient
à une pratique d’inclusion et d’exclusion 18 . Dans le cas italien ce processus
16 CFR. B. FRESCURA, La Geografia all’esposizione di Torino, “Riv. Geogr. It.”, VI, 1899,
pp. 119-131, 222-232, 368-376. 422-433.
17 Voir M. CARAZZI, La Società Geografica Italiana e l’esplorazione coloniale in Africa,
Firenze 1972, pp. 6-7.
18 G. ROSE, Tradition and Paternity: some Difference?, “Transactions I.B.G.”, 20, 1995,
pp. 414-416. À la tradition géographique est dédié tout le fascicule de la revue et en particulier
l’introduction de F. DRIVER, Geographical Traditions: Rethinking the History of
Geography, ibid., pp. 403-404 et l’article de D. N. LIVINGSTONE, Geographical Tradi-