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——————————————————————> Conseils de révisions / mai 2005<br />
Si nul ne conteste que le régime nazi a persécuté et déporté les homosexuels en Allemagne, en<br />
application des dispositions discriminatoires du fameux paragraphe 175 2 (2), il n'en fut pas de même<br />
en France. En effet, même si le régime de Vichy a rétabli des mesures faisant de l'homosexualité une<br />
infraction pénale 3 qui avaient disparu du droit français depuis l'adoption du Code Napoléon, le<br />
gouvernement de Pétain n'a pas mis en œuvre la déportation des homosexuels. Les seuls Français qui<br />
ont été déportés pour leur homosexualité - on estime leur nombre à environ 200 - étaient originaires<br />
d'Alsace et de Lorraine, deux régions soumises au joug nazi après avoir été annexées par le IIIème<br />
Reich en 1940. Considérés comme allemands, les homosexuels alsaciens ou mosellans se virent<br />
appliquer la législation allemande réprimant l'homosexualité.<br />
Les historiens sont catégoriques sur ce point: Vichy n'a pas déporté les homosexuels.<br />
Ainsi, dans leur ouvrage Négation, dénégation: la question des triangles roses 4 , Michel Celse et<br />
Pierre Zaoui affirment: "la politique anti-homosexuelle nazie ne visa jamais à traquer tous les<br />
homosexuels d'Europe. Elle concerna par principe les homosexuels allemands ou considérés comme<br />
allemands dans les territoires annexés ou rattachés au Reich – tels entre autres les Autrichiens, les<br />
Alsaciens et certains Lorrains. L'homosexualité, pour les mêmes raisons qui justifiait aux yeux des<br />
nazis qu'elle fut combattue dans les populations allemandes, n'avait pas à l'être au sein de populations<br />
non-allemandes, dont elle ne pouvait que contribuer à précipiter le déclin. Les homosexuels nonallemands<br />
ne furent expressément visés par la répression nazie qu'en cas de relations impliquant un<br />
ou des partenaires allemands". De même, les chercheurs en histoire de l'institut Adiamos ont abouti à<br />
des conclusions similaires dans leurs travaux sur la déportation: "Qu'en est-il de la déportation des<br />
homosexuels dans le reste de la France Il faut être clair, les travaux historiques ne révèlent rien.<br />
S'agit-il d'un oubli, d'une censure des historiens Non, car cela correspond au cadre juridique répressif<br />
de l'époque. Cela ne veut pas dire que des homosexuels n'ont pas pu être déportés, mais non pour leur<br />
homosexualité..." 5 .<br />
Il faut donc que les producteurs d'Un amour à taire aient eu accès à des éléments inédits pour<br />
soutenir la thèse d'une déportation homosexuelle orchestrée par la France de Vichy. Pour affirmer que<br />
les homosexuels ont subi le même traitement que les juifs à Paris, en 1942, il faut que le projet de ce<br />
téléfilm soit assis sur des sources historiques sérieuses et incontestables.<br />
On peut cependant en douter.<br />
En effet, le "conseiller historique" recruté par la production sur ce téléfilm était Jean Le Bitoux,<br />
un personnage pour le moins controversé. Fondateur à la fin des années 1970 du magazine<br />
homosexuel Gai Pied, et président du Mémorial de la Déportation Homosexuelle, Jean Le Bitoux a été<br />
récemment écarté pour incompétence du projet d'archives homosexuelles de la Ville de Paris.<br />
Auparavant, il avait notamment fait paraître le livre de souvenirs de Pierre Seel, un homosexuel<br />
alsacien rescapé des camps. Bien que Pierre Seel n'ait pas porté le fameux triangle rose (il était marqué<br />
du triangle bleu des catholiques au camp de Schirmeck) et qu'il ait par la suite été enrôlé par la<br />
Wehrmacht pour combattre sur le front de l'Est, Le Bitoux a donné à son livre d'entretiens le titre<br />
ambigu de Moi, Pierre Seel, déporté homosexuel 6 .<br />
Il est donc surprenant que Jean Le Bitoux ait validé sur le plan historique un téléfilm sur<br />
l'histoire de déportés au triangle rose dont l'action se situe à Paris alors qu'il admet lui-même que la<br />
déportation homosexuelle en France est un mythe. Dans une interview au magazine gay E-Male, Jean<br />
Le Bitoux qualifie les rafles d'homosexuels de "rumeurs qui ne sont pas fondées" et admet que la vie<br />
sociale et nocturne homosexuelle "ne posait pas de réel problème à l'occupant allemand" 7 .<br />
Faisant fi de ces faits incontournables, le téléfilm de France 2 s'achève sur une scène filmée de<br />
nos jours à Paris, au Mémorial de la Déportation situé sur l'Ile de la Cité. On y voit la chorale<br />
homosexuelle Melo'Men 8 chanter pour rendre hommage aux "oubliés de la mémoire" 9 que seraient les<br />
2 Le paragraphe 175 du code pénal allemand de 1871 interdisait les relations sexuelles entre hommes. Cette disposition servit de<br />
fondement juridique aux persécutions exercées par les nazis à l'encontre des homosexuels.<br />
3 En août 1942, le régime de Vichy introduit dans le code pénal une disposition interdisant les relations homosexuelles pour les<br />
mineurs.<br />
4 Michel Celse et Pierre Zaoui, Négation et dénégation: la question des "triangles roses" (http://www.trianglesroses.org/negation_denegation.htm<br />
)<br />
5 Association pour la Documentation, l'Information et les Archives des Mouvements<br />
Sociaux, Histoire et Mémoire. Déportation et Déportés<br />
(http://cigales.free.fr/iso_album/histoire_et_memoire.pdf ).<br />
6 Pierre Seel et Jean Le Bitoux, Moi, Pierre Seel, déporté homosexuel, Calmann-Lévy.<br />
7 E-Male n° 86, 6 janvier 2005.<br />
8 La chorale homosexuelle Melo'men a été notamment présidée par Laurent Bellini qui a activement milité pour une<br />
reconnaissance politique de la déportation homosexuelle en France lorsqu'il était au cabinet du secrétaire d'État aux anciens<br />
combattants sous le gouvernement Jospin<br />
9 Jean Le Bitoux, Les oubliés de la mémoire, Hachette Littératures.<br />
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