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Expression<br />
DIFFÉRENCES DÉCEMBRE 1980<br />
années 1920. En France, c'est<br />
Gaston Baty qui la fit connaître<br />
en 1930 et el<strong>le</strong> vient d'être récemment<br />
montée plusieurs fois en<br />
région parisienne. C'est une<br />
vieil<strong>le</strong> légende hassidique qui met<br />
en évidence l'irruption <strong>du</strong> surnaturel<br />
dans la vie quotidienne,<br />
phénomène directement inspiré<br />
de la Kabba<strong>le</strong>, la tradition mystique<br />
juive. A travers l'histoire<br />
d'amour d'une jeune fil<strong>le</strong>, Léa,<br />
et d'un jeune homme, Hannan,<br />
c'est tout <strong>le</strong> problème de la frontière<br />
entre <strong>le</strong> monde des vivants et<br />
celui des morts qui surgit. Tourné<br />
dans la grande tradition <strong>du</strong> Théâtre<br />
yiddish, dont était issue la<br />
plupart des comédiens, "Le Dibbouk"<br />
est un parfait classique <strong>du</strong><br />
genre.<br />
Le film récent <strong>du</strong> réalisateur<br />
belge Samy Szlingerbaum<br />
("Bruxel<strong>le</strong>s-Transit" est de cette<br />
année) conserve la tradition de<br />
<strong>le</strong>nteur mais l'histoire se passe<br />
après la Deuxième Guerre mondia<strong>le</strong>.<br />
Il s'agit de l'arrivée à<br />
Bruxel<strong>le</strong>s d'une famil<strong>le</strong> juive<br />
polonaise, un séjour voulu provisoire<br />
mais qui devient définitif.<br />
Trente ans plus tard, un homme<br />
prend une caméra et tente de se<br />
souvenir, de recomposer <strong>le</strong>s images<br />
fortes de son enfance. Sa<br />
mère est encore là qui l'aide à<br />
reconstruire <strong>le</strong>ur univers<br />
d'errance et d'insécurité.<br />
Lorsqu'on a voyagé dix jours de<br />
Pologne en Belgique, via la Tchécoslovaquie,<br />
l'Al<strong>le</strong>magne et la<br />
France, l'œil regarde, découvre,<br />
étonné et inquiet cet ail<strong>le</strong>urs qui<br />
ne lui appartient pas. La vil<strong>le</strong><br />
n'est pas hosti<strong>le</strong>, juste étrangère<br />
et indifférente. Les voisins qui<br />
partagent la cuisine sont sans<br />
gentil<strong>le</strong>sse, un peu méfiants<br />
quand même. La boulangère <strong>du</strong><br />
coin met quelque mauvaise<br />
volonté à cuire <strong>le</strong> pain de la<br />
famil<strong>le</strong> et <strong>le</strong> débonnaire policier<br />
est bien embarrassé de provoquer<br />
tant de peur chez cet homme, <strong>le</strong><br />
père, qui répète inlassab<strong>le</strong>ment<br />
"parce que", seul mot qu'il connaisse<br />
et dont il se sert comme<br />
preuve de sa bonne foi.<br />
"Bruxel<strong>le</strong>s-Transit" est un beau<br />
film, tout de pudeur et de tendresse,<br />
d'émotions retrouvées et<br />
partagées.<br />
Jean-Louis MINGALON<br />
(1) Il faut signa<strong>le</strong>r par exemp<strong>le</strong>, à côté de<br />
cours de langues proprement dit, l'existence<br />
de travaux dirigés à Paris III par Lilly<br />
Scherr sur "l'image <strong>du</strong> juif dans <strong>le</strong><br />
cinéma" .<br />
MUSIQUE __<br />
Wanngo:<br />
LES GRIOTS<br />
DE LA DIASPORA<br />
(Sonodisc SON 8211)<br />
o Un disque intéressant enregistré<br />
par Wanngo, un groupe de<br />
deux jeunes Sénégalais.<br />
Mélodie et rythme très traditionnels,<br />
ce disque bat au rythme <strong>du</strong><br />
cœur de l'Afrique. Très chaud,<br />
très brut, il envoûte l'auditeur<br />
ouvert à une musique et un chant<br />
différent.<br />
Malheureusement, aucune indication<br />
sur la pochette ne nous<br />
ouvre la porte <strong>du</strong> monde poétique<br />
où habitent Moussa Sala<br />
Gadjio et Abdoul Ba. Seuls <strong>le</strong>s<br />
thèmes excitent notre imagination.<br />
BOB MARLEY<br />
with Peter Tosh<br />
with the Wai<strong>le</strong>rs<br />
(Sonodisc/Espérance<br />
ESP 165537)<br />
M.M.<br />
o Sonodisc réédite quelques<br />
unes des premières chansons de<br />
Bob Mar<strong>le</strong>y, <strong>du</strong> temps où <strong>le</strong><br />
groupe comprenait Peter Tosh et<br />
Bunny Wai<strong>le</strong>rs.<br />
Hélàs, ceux qui s'attendent à<br />
trouver des morceaux de la<br />
trempe de "Soul Revolution"<br />
seront déçu. Ce disque est une<br />
compilation de morceaux, plus<br />
intéressant sur <strong>le</strong> plan <strong>document</strong>aire<br />
que sur <strong>le</strong> plan artistique.<br />
Des morceaux anciens certes, inédits<br />
pour certains (en tous cas en<br />
France), mais si mal gravés que<br />
l'écoute en devient pénib<strong>le</strong> avant<br />
la fin de la première face.<br />
Pour <strong>le</strong>s fans de Reggae, et particulièrement<br />
de Bob Mar<strong>le</strong>y, re<strong>le</strong>vons<br />
néanmoins <strong>le</strong>s titres "Soul<br />
Captive" et "Stop the Train".<br />
Ceux qui ne sont pas équipés<br />
d'un matériel d'écoute assez<br />
sophistiqué peuvent se dispenser<br />
de l'achat de ce disque.<br />
M.M.<br />
HARLEM SWING,<br />
au théâtre de<br />
la Porte Saint-Martin<br />
o Fats Wal<strong>le</strong>r, <strong>le</strong> gros Wal<strong>le</strong>r,<br />
revit en ce moment au cœur de<br />
Paris. Au théâtre de la Porte St<br />
Martin.<br />
"Har<strong>le</strong>m Swing" puisque c'est <strong>le</strong><br />
44<br />
titre de cette comédie musica<strong>le</strong>,<br />
rend donc hommage à ce grand<br />
comédien-musicien noiraméricain<br />
qui connu son heure de<br />
gloire dans <strong>le</strong>s années trente.<br />
Fats Wal<strong>le</strong>r, Thomas Wright<br />
Wal<strong>le</strong>r de son vrai nom, est originaire<br />
de New York, et c'est dans<br />
cette vil<strong>le</strong>, à Har<strong>le</strong>m principa<strong>le</strong>ment,<br />
qu'il se tail<strong>le</strong> cette réputation<br />
de fer qui ne <strong>le</strong> quitte plus<br />
depuis près de cinquante ans<br />
maintenant.<br />
Vedette <strong>du</strong> film "Stormy Weather"<br />
tourné en 1943, après a<strong>voir</strong><br />
monté la revue "Hot<br />
Chocolate", en 1931, Thomas<br />
Wal<strong>le</strong>r a marqué son époque,<br />
non seu<strong>le</strong>ment en temps que<br />
musicien, mais aussi comme danseur,<br />
comédien, humoriste. La<br />
crise économique de 1929 obligeait<br />
<strong>le</strong>s gens à a<strong>voir</strong> plusieurs<br />
cordes à <strong>le</strong>urs arcs, et pour <strong>le</strong>s<br />
noirs il valait mieux en a<strong>voir</strong> quatre<br />
que deux.<br />
? t niEATREDE LA PORTE SAINT.MARTlN] ~<br />
Le spectac<strong>le</strong>, mis en scène par<br />
Richard Maltby Jr et dont la<br />
direction musica<strong>le</strong> est assurée par<br />
Luther Henderson "eh oui 1"<br />
retrace l'épopée de ce personnage.<br />
Et quel<strong>le</strong> meil<strong>le</strong>ure façon de rendre<br />
hommage à un tel homme si<br />
ce n'est en utilisant ce qui concourent<br />
à faire de lui une vedette.<br />
Les danseurs-chanteurs ont tous<br />
participé à des comédies aussi<br />
célèbre que "Hair" ou "Jésus<br />
Christ Superstar".<br />
Quant aux musiciens, <strong>le</strong> simp<strong>le</strong><br />
fait de dire qu'il font (ou ont fait<br />
partie) des orchestres de Lionel<br />
Hampton, Dizzy Gil<strong>le</strong>ppie ou<br />
Count Basie, dispense de tout<br />
autre commentaire.<br />
Marc MANGIN<br />
INTERVIEW _______----__________________________________•<br />
L a sortie de l'ensemb<strong>le</strong> de<br />
son œuvre, 14 albums, marque <strong>le</strong><br />
retour de Jean Ferrat après plus<br />
de deux ans de travail(l).<br />
Toujours sé<strong>du</strong>isant, l'œil vif et<br />
rieur, la moustache élégante, il<br />
joue de sa voix cha<strong>le</strong>ureuse sur<br />
une orchestration plus affinée des<br />
113 chansons de son répertoire<br />
depuis 1961. Pour ces réenregistrements,<br />
la technique nouvel<strong>le</strong><br />
des magnétophones de 24 et 48<br />
pistes a permis une évolution<br />
qualitative de l'orchestration<br />
d'Alain Goraguer. Douze nouveaux<br />
titres réunis en un album<br />
parachèvent cet événement dans<br />
la chanson d'expression française.<br />
Jean Ferrat <strong>le</strong>s a écrits et<br />
composés lui-même. Il y demeure<br />
l'homme qui, de sentiments<br />
apparemment simp<strong>le</strong>s comme<br />
l'amitié, l'amour, l'hypocrisie et<br />
la veu<strong>le</strong>rie, tire des <strong>le</strong>çons politiques.<br />
Conseil<strong>le</strong>r municipal<br />
d' Antraigues-sur-Volane, en<br />
Ardèche, sympathisant <strong>du</strong> parti<br />
communiste, il a mis sa pro<strong>du</strong>ction<br />
en accord avec ses principes,<br />
rompant avec Barclay dont la<br />
maison a été rachetée par une<br />
multinationa<strong>le</strong>.<br />
Y a-t-il un rapport entre votre<br />
défense de la "différence" française<br />
dans la chanson et votre<br />
rupture avec la maison Barclay?<br />
Jean Ferrat :<br />
J'ai <strong>le</strong> sentiment que la France est<br />
colonisée par des pro<strong>du</strong>its culturels<br />
anglo-saxons. Le conditionnement<br />
est organisé par la radio,<br />
et la place occupée n'est plus disponib<strong>le</strong><br />
pour la création française.<br />
C'est une question de<br />
volonté politique. La diffusion<br />
de la chanson étrangère n'étant<br />
pas suffisamment limitée, <strong>le</strong>s<br />
in<strong>du</strong>stries dominantes imposent<br />
tout naturel<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>urs pro<strong>du</strong>its<br />
aux moyens d'information.<br />
Quatre-vingt-dix pour cent des<br />
disques sortis en France dépendent<br />
de multinationa<strong>le</strong>s. Un dirigeant<br />
lointain peut supprimer<br />
une pro<strong>du</strong>ction. Barclay a été<br />
racheté par Polygram, qui<br />
regroupe Philips, Phonogram,<br />
Polidor, Te<strong>le</strong>funken et Fontana.<br />
J'ai donc organisé ma propre<br />
pro<strong>du</strong>ction avec Gérard Meys qui<br />
s'occupe depuis vingt ans de mon<br />
édition graphique.<br />
Gérard Meys :<br />
Jacques Brel, qui était éga<strong>le</strong>ment<br />
pro<strong>du</strong>it chez Barclay, m'a dit,<br />
La différence, avec Jean Ferrat, c'est qu'il'ne craint pas de dire ce qu'il a sur <strong>le</strong> cœur.<br />
Ses fidélités politiques sont connues. Son respect des droits de l'homme aussi.<br />
Aujourd'hui, il s'interroge<br />
JEAN FERRAT<br />
A L'HEURE DU "BILAN"<br />
peu avant de mourir, qu'il avait<br />
réalisé dix-huit chansons en vue<br />
d'un doub<strong>le</strong> album. Dix de ces<br />
chansons lui parurent mériter<br />
d'être pro<strong>du</strong>ites en un album<br />
simp<strong>le</strong>. Barclay s'était engagé à<br />
ne pas pro<strong>du</strong>ire <strong>le</strong>s huit autres.<br />
Dans <strong>le</strong>s milieux informés, <strong>le</strong><br />
bruit circu<strong>le</strong> aujourd'hui que<br />
Polygram ne se sentirait pas tenu<br />
par <strong>le</strong>s engagements de Barclay et<br />
pourrait passer outre la volonté<br />
de Jacques Brel.<br />
Vous n'avez jamais caché vos<br />
sympathies politiques et pourtant,<br />
votre chanson "Le Bilan"<br />
semb<strong>le</strong> s'en démarquer. Vous<br />
vous interrogez notamment sur <strong>le</strong><br />
respect des Droits de l'Homme<br />
dans <strong>le</strong>s pays socialistes. Cette<br />
chanson vous a-t-el<strong>le</strong> été inspirée<br />
par l'appréciation "globa<strong>le</strong>ment<br />
•<br />
positive" de Georges Marchais<br />
sur l'URSS et ses alliés? Que<br />
vous inspirent <strong>le</strong>s événements <strong>du</strong><br />
Cambodge et de l'Afganistan ?<br />
Jean Ferrat:<br />
La phrase de Georges Marchais<br />
datait d'un an et demi. El<strong>le</strong> n'a<br />
pas été <strong>le</strong> déclic. Je me suis simp<strong>le</strong>ment<br />
penché sur ce que j'avais<br />
écrit depuis des années, me souvenant<br />
de ce que j'ai vécu, de ce<br />
qu'on nous disait des procès et de<br />
Tito. Quand ce dernier a eu des<br />
crédits américains, cela apparut<br />
comme la preuve de sa traîtrise.<br />
Aujourd'hui, avec <strong>le</strong>s crédits<br />
américains à la Pologne, <strong>le</strong>s ventes<br />
de blé à l'URSS, il est diffici<strong>le</strong><br />
de rester manichéens. Des gens<br />
d'un certain âge <strong>le</strong> restent.<br />
Mais il faut, malgré tout, reconnaître<br />
l'importance <strong>du</strong> "camp<br />
4S<br />
socialiste" en faveur des luttes de<br />
libération nationa<strong>le</strong>. En ce qui<br />
concerne <strong>le</strong> Cambodge, je suis<br />
tout à fait pour l'intervention<br />
vietnamienne. Il fallait arrêter <strong>le</strong>s<br />
massacres commis, au nom <strong>du</strong><br />
socialisme, par une équipe qui<br />
voulait faire revivre l'homme à<br />
l'âge de pierre. Pour l'Afghanistan,<br />
<strong>le</strong> régime d'Amin était épouvantab<strong>le</strong>,<br />
sanguinaire. Il a provoqué<br />
une réaction. Karmal aurait<br />
libéré <strong>le</strong>s prisonniers politiques<br />
lors de son accession au pou<strong>voir</strong>.<br />
C'est différent. Mais je n'y suis<br />
pas allé. J'ai des doutes sur<br />
l'occupation soviétique.<br />
Revenons en France, dans" J'ai<br />
froid", vous évoquez <strong>le</strong> retour de<br />
la "bête immonde".<br />
On assiste à une recrudescence<br />
des attentats contre <strong>le</strong>s antiracistes<br />
et contre <strong>le</strong>s gens "à faciès".<br />
Les auteurs ne sont pas arrêtés.<br />
Les enquêtes ne sont pas menées<br />
à <strong>le</strong>ur terme. Mais ça fait des<br />
années que cela <strong>du</strong>re. Si une réaction<br />
salutaire a suivie l'attentat<br />
de la rue Copernic, il convient de<br />
dénoncer une mansuétude qui<br />
frise la complicité de la part des<br />
pou<strong>voir</strong>s publics. Il semb<strong>le</strong><br />
qu'une camarilla politico-nazie se<br />
soit infiltrée au sein de la police et<br />
des renseignements généraux. Il<br />
faut éga<strong>le</strong>ment dire qu'on peut<br />
être an ti-raciste et pas sioniste.<br />
La confusion entre la condamnation<br />
de la politique de l'Etat<br />
d'Israël et l'antisémitisme est<br />
dangereux.<br />
Le retour de la bête n'est pas<br />
étranger à des circonstances économiques<br />
diffici<strong>le</strong>s, l'échec de la<br />
gauche, <strong>le</strong> peu de perspectives de<br />
changer la société. La candidature<br />
de Coluche est un effet de<br />
ras-<strong>le</strong>-bol. Le "Tous pareils",<br />
"Tous pourris" peut être dangereux.<br />
Mais il faut réfléchir si ça<br />
ne vaut pas mieux qu'un rigolo<br />
de gauche retourne ce sentiment<br />
de déception plutôt que des gens<br />
de droite l'exploitent.<br />
Dans ce contexte, que pensezvous<br />
des récentes prises de position<br />
<strong>du</strong> PC et de certains élus<br />
socialistes sur l'immigration?<br />
Jean Ferrat:<br />
On <strong>le</strong>ur fait un mauvais procès.<br />
C'est ignob<strong>le</strong> et dégueulasse. Les<br />
immigrés sont volontairement<br />
concentrés dans <strong>le</strong>s municipalités<br />
de gauche et à direction communiste,<br />
ce qui pose des problèmes<br />
réels. Il n'en reste pas moins que<br />
la formulation des élus en question<br />
peut être maladroite, et qu'il<br />
existe des indivi<strong>du</strong>s de gauche<br />
qui, malheureusement, peuvent<br />
céder à une démagogie raciste,<br />
Mais, globa<strong>le</strong>ment, c'est la droite<br />
qui retourne cyniquement son<br />
racisme contre des municipalités<br />
qui accueil<strong>le</strong>nt <strong>le</strong> plus grand nom·<br />
bre d'immigrés.<br />
propos recueuillis par<br />
Louis-Auguste GIRAULT<br />
de COURSAC<br />
(1) Disques Temey -<br />
Distribution Discodis.