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pdf - 4,81 Mo - Ville de Vincennes

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ici ou là ici ou là ici ou làLa chronique <strong>de</strong> Charles D’AmbrosioValiseAvant que je neparte <strong>de</strong> chezmoi il y a quelquessemaines, jen’avais jamais eu<strong>de</strong> vraie valise.J’ai voyagé, maistoujours avec unecertaine réticence,pour le travail, ou alors dans <strong>de</strong>s conditionsdifficiles, dont la dureté mêmeétait tout le but <strong>de</strong> l’aventure. Chez moi,à Portland, dans l’Oregon, ma cave estun musée encombré <strong>de</strong> toutes sortes <strong>de</strong>bagages spécialisés, <strong>de</strong>puis les sacs àdos jusqu’aux sacs polochons en toileen passant par une malle <strong>de</strong> paquebot,héritée d’un oncle il y a longtemps. Audébut <strong>de</strong> mes préparatifs pour monséjour à <strong>Vincennes</strong>, je les ai envisagés,les uns après les autres, mais aucun nesemblait convenir vraiment aux circonstances.Le fait que je n’aie jamais eu <strong>de</strong>vraie valise est un indice du genre <strong>de</strong>vêtements que je porte – jeans, T-shirts,tennis ou boots – et aussi <strong>de</strong> ce à quoion s’attend quand j’arrive à <strong>de</strong>stination.C’est peut-être différent en France, maisen Amérique, personne ne s’attend àce que l’écrivain soit l’homme le mieuxhabillé <strong>de</strong> la pièce. On trouve déjà bienbeau qu’il soit là.Je ne savais même pas vraiment oùacheter une valise. Je suis d’abordallé dans <strong>de</strong>s magasins d’occasions,chez l’Emmaüs américain, et à l’Arméedu Salut, mais les valises empilées auhasard <strong>de</strong>s étagères étaient si pourrieset si peu soli<strong>de</strong>s, si rompues et si tristes,que j’ai pensé que j’allais jeter un sortsur tout mon séjour en France, à importerles espoirs fanés d’autres gens, àfaire passer la douane à tout un chargement<strong>de</strong> déceptions passées commeà un microbe. En désespoir <strong>de</strong> cause,j’ai appelé une amie, en menaçant <strong>de</strong>fourrer mes T-shirts, mes chaussetteset mes sous-vêtements dans un ternesac <strong>de</strong> marin kaki, et qu’on n’en parle©©Vincent Bourdonplus. Il avait appartenu à mon frère àl’époque où il était chez les Marines, etl’avantage <strong>de</strong> ce vilain sac, c’est qu’il estsi grand que je pourrais y entasser engros tout ce que je possè<strong>de</strong>. <strong>Mo</strong>n amie arépondu que ce ne serait pas très sage<strong>de</strong> l’emporter – elle a carrément dit « Nesois pas idiot ! » – et a suggéré que je medéplace jusqu’au centre commercial. EnAmérique, le centre commercial, c’estla réponse magique à toutes sortes <strong>de</strong>désespoirs. Et cela relève presque <strong>de</strong> laconviction religieuse que <strong>de</strong> dire qu’ontrouve tout au centre commercial, cequi, j’en suis sûr, explique ces hor<strong>de</strong>sd’individus désemparés qui déambulent,perdus et solitaires et passent la journéedans ces lieux sans espoir.Il est peut-être temps <strong>de</strong> signaler que jedéteste le shopping et que je suis partien quête d’une valise neuve au <strong>de</strong>rniermoment, la veille <strong>de</strong> mon départ. Deuxsemaines plus tôt, j’avais empaquetémon vélo dans un grand carton, et aveccette corvée rayée <strong>de</strong> la liste, j’avais l’impressionque la tâche la plus importante<strong>de</strong> mon voyage était accomplie. Aprèsça, j’ai traîné, je n’ai rien fait au fur età mesure que le nombre <strong>de</strong> jours s’amenuisait,à part laver, plier et empiler mesvêtements ; je les avais placés en joliespiles sur le lit, jusqu’à ce que la paniqueme prenne. C’est mon beau-père,ingénieur chimiste, qui m’a remis sur ledroit chemin lorsque je lui ai passé uncoup <strong>de</strong> fil <strong>de</strong>puis le centre commercial.Il m’a expliqué que je commettais uneerreur courante, qui consistait à penserque puisque je partais pour longtemps,j’aurais besoin d’une immense valise.Au contraire. Plus le séjour durait longtemps,plus la valise pouvait être petite,puisque je pourrais laver mes vêtements,m’acheter ce dont j’aurais besoin, etd’une manière générale vivre comme àla maison. N’oublie pas ça, m’a-t-il dit,n’oublie pas <strong>de</strong> vivre !J’ai trouvé une petite valise, raisonnable,et cet espace mo<strong>de</strong>ste a transforméUn écrivain américain enrési<strong>de</strong>nce à <strong>Vincennes</strong>En liaison avec le festival America, dontla prochaine édition aura lieu en 2010,un auteur nord-américain est accueilli à<strong>Vincennes</strong> chaque année pendant troismois. Cette année, le nouvelliste CharlesD’Ambrosio (cf. <strong>Vincennes</strong> Info n° 648),auteur notamment <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux recueils <strong>de</strong>nouvelles salués par la critique : Le Capet Le Musée <strong>de</strong>s poissons morts, <strong>de</strong>vientainsi vincennois pour quelques semaines,et nous fait partager ses chroniques…la préparation <strong>de</strong>s bagages en plaisirinattendu. J’ai tapissé le fond <strong>de</strong> livres,puis ai disposé mes T-shirts, mes pantalonset un manteau bien pliés par<strong>de</strong>ssus.Dans les pochettes tout autour,j’ai rangé les cartouches d’encre <strong>de</strong> monstylo-plume préféré, et plusieurs petitsblocs-notes, un pour chaque mois <strong>de</strong>mon séjour à <strong>Vincennes</strong>. J’ai emportémon vélo, bien sûr, et une vieille machineà écrire ainsi qu’un ordinateur portabledans mon bon vieux sac à dos qui me suit<strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s jours et <strong>de</strong>s jours. C’était unexercice intéressant, <strong>de</strong> réduire ma vieaux dimensions d’une valise, <strong>de</strong> façonà découvrir la valeur <strong>de</strong>s choses. Jen’aime pas être mal à l’aise, ou mettreles autres dans l’embarras, ce qui rendaitindispensable la valise, ne serait-ceque parce que je serais peut-être amenéà porter une belle chemise et une cravate,mais à part ça, les seules chosesqui comptaient vraiment étaient mesinstruments <strong>de</strong> travail, qui après toutsont très simples. En un rien <strong>de</strong> temps,m’a-t-il semblé, j’étais arrivé, et pourmon tout premier après-midi à <strong>Vincennes</strong>,avant même d’avoir débarrassé mavalise, j’ai fait une promena<strong>de</strong> jusqu’àune petite place près <strong>de</strong> mon appartement,rue <strong>de</strong> la Jarry, et je me suis assissur un banc au soleil. Il y avait <strong>de</strong>s rosesjaunes et rouges en pleine floraisoncontre un mur, les pierres dégageaientune agréable chaleur, et une dame âgéese réchauffait les os, assise à côté <strong>de</strong>moi. Charles D’AmbrosioTexte disponible en version originalesur vincennes.fr.<strong>Vincennes</strong> • Octobre 2009 17

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