LE CŒURChaque peuple possè<strong>de</strong> sans doute quelques livres qu’il ressent commespéciaux, emblématiques <strong>de</strong> son <strong>de</strong>stin et <strong>de</strong> son existence. Pour lesEstoniens, c’est le cas <strong>de</strong> Tõ<strong>de</strong> ja õigus (Vérité et justice), le grand roman encinq volumes où A. H. Tammsaare décrit <strong>la</strong> vie <strong>de</strong> son peuple vers <strong>la</strong>fin du xix e siècle et au début du xx e . Beaucoup d’écoliers fuient cettepierre angu<strong>la</strong>ire <strong>de</strong>s lectures obligatoires, vaste fresque <strong>de</strong>s souffranceset <strong>de</strong> <strong>la</strong> survie, sans pouvoir nier que nombre <strong>de</strong> réflexions tirées <strong>de</strong>ce livre soient passées dans <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue estonienne et y soient <strong>de</strong>venues<strong>de</strong>s expressions traditionnelles. Il est intéressant <strong>de</strong> noter que si Tõ<strong>de</strong>ja õigus a suscité nombre d’adaptations au théâtre et quelques-unesau cinéma, personne n’a pu ou voulu s’attaquer à l’œuvre entière. <strong>Le</strong>sapproches ont toujours concerné <strong>de</strong>s volumes particuliers. On trouve<strong>de</strong>s traductions où chaque volume porte son propre titre. C’est un peudommage, car Tammsaare avait trouvé pour son roman le meilleurtitre possible, changeant son épopée en une réflexion universelle sur lefait que vérité et justice ne coïnci<strong>de</strong>nt généralement pas, car il n’existepeut-être pas une vérité unique et indiscutable, à moins qu’elle s’incarnedans <strong>la</strong> justice entre les différents êtres humains, chose aussi difficile àatteindre que <strong>la</strong> vérité elle-même. Aucune justice ne découle <strong>de</strong> <strong>la</strong> vérité,même s’il est parfois possible <strong>de</strong> trouver une certaine vérité dans <strong>la</strong>justice.Anton Hansen (1878-1940)De son nom <strong>de</strong> plume A. H. Tammsaare. <strong>Le</strong> plusremarquable prosateur estonien, journaliste originalet prolifique, traducteur. Quatrième <strong>de</strong>s dix enfantsd’un fermier, il finança lui-même ses étu<strong>de</strong>s etcommença par écrire pour <strong>de</strong>s journaux. La tuberculosele contraignit à interrompre ses étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> droit àl’université <strong>de</strong> Tartu, et il passa un an en sanatoriumà Sotchi, dans le Caucase. À partir <strong>de</strong> 1914, il vécut <strong>de</strong>sa plume dans <strong>la</strong> ferme <strong>de</strong> son frère, à Koitjärve, puisil déménaga à Tallinn en 1919. Sa mort (d’une crisecardiaque) en mars 1940 semb<strong>la</strong> annonciatrice <strong>de</strong>sca<strong>la</strong>mités à venir. Des milliers <strong>de</strong> personnes suivirentson cercueil jusqu’au Metsakalmistu (« Cimetière <strong>de</strong><strong>la</strong> forêt »), où sont enterrés les grands noms <strong>de</strong> <strong>la</strong> viepublique estonienne.pierre angu<strong>la</strong>ire← Pour célébrer l’« Année <strong>de</strong> Tõ<strong>de</strong> ja õigus », en2006, on a organisé un concours <strong>de</strong> ban<strong>de</strong>s<strong>de</strong>ssinées : Teistmoodi Tammsaare (« Un autreTammsaare »), dans le but <strong>de</strong> jeter un regardneuf sur l’héritage littéraire <strong>de</strong> Tammsaareet d’attirer l’attention sur <strong>la</strong> ban<strong>de</strong> <strong>de</strong>ssinéecomme forme d’art originale. <strong>Le</strong> nombre <strong>de</strong>soumissions et <strong>la</strong> qualité <strong>de</strong> <strong>la</strong> publicationfinale montrent que l’œuvre <strong>de</strong> Tammsaarepeut encore parler aux jeunes.18Joonas Sildre
nombre d’adaptations au théâtre↑ En affiches, un <strong>de</strong>mi-siècle d’adaptations <strong>de</strong>Tammsaare.<strong>de</strong>s volumes particuliers↗ Des silhouettes découpées, plus gran<strong>de</strong>s que natureet à <strong>la</strong> présence troub<strong>la</strong>nte, peuplent <strong>la</strong> forêt près<strong>de</strong> <strong>la</strong> ferme <strong>de</strong> Põhja-Tammsaare et symbolisent lesinterprétations <strong>de</strong> générations d’acteurs <strong>de</strong> premierp<strong>la</strong>n.Piia Ruber19