26∑SCIENCEUNE ARMÉE D’ANDROÏDES POURIMMORTALITÉ. Le milliardaire russe Dmitry Itskov veut créer un avatar robotique qude devenir immortel. Il prévoit de mettre cette technologie à disposition de tout unACTUELSCLÉMENT BÜRGEDmitry Itskov ne paie pas demine. Son teint est pâle. Lestraits de son visage sont peumarqués, presque comme ceuxd’un bambin. Le pas hésitant, ilmonte sur la scène du GlobalForum 2045, une conférenceorganisée mi-juin à New York.«Je parle mal, lance-t-il à sonaudience de 800 personnes. Je neferai pas long.» Malgré ses airs desouris grise, le Russe de 32 ans setrouve à la tête d’un des projetsles plus mégalomaniaques duXXI e siècle: il veut percer le secretde la vie éternelle. «L’immortalitén’est plus un fantasme: noussommes à deux doigts d’y parvenir,dit-il, sans même un brin defolie dans la voix. Et c’est pourcela que nous sommes réunis iciaujourd’hui.» Les scientifiques,les hommes d’affaires et les technophilesdans le public applaudissent.La majorité avec enthousiasme,d’autres par politesse.L’homme se trouve derrière ungroupe nommé Initiative 2045.L’objectif de cette organisationlancée en 2012 est clair: rendreles humains immortels grâce à lacréation d’avatars robotiques.«Nous voulons développer desandroïdes, comme dans le filmAvatar, et y télécharger notreesprit, explique de sa voix robotiqueDmitry Itskov. Nousserions alors capables de vivreplusieurs centaines de milliersd’années, voire de devenirimmortels.»Le Russe est aujourd’hui à larecherche d’argent et de soutien:il veut créer plusieurs laboratoiressur la planète pour faireaboutir son projet. Celui-ciMARY ALTAFFER KEYSTONENEW YORK, 15 JUIN Dmitry Itskov se trouve à la tête d’un des projets les plusmégalomaniaques du XXI e siècle: percer le secret de la vie éternelle.s’échelonne en quatre étapes,durant lesquelles différentstypes d’avatars seraient développés.Le premier, prévu pour 2020,serait un robot aux traitshumains commandé à distancepar une personne en chair et enos dont le cerveau serait relié àdes capteurs, comme dans le filmde James Cameron. Les versionssuivantes, prêtes en 2025 et2035, permettraient de grefferson cerveau sur l’androïde. L’organeentier puis, dans un secondtemps, uniquement les donnéesqu’il contient. La dernière étapea pour but de s’affranchir complètementde toute existencematérielle, en remplaçant l’androïdepar un avatar holographique.Il serait disponible en2045.Appui d’éminences scientifiques.Les idées de Dmitry Itskovparaissent folles, dignes dela plus pure science-fiction hollywoodienne.Pourtant, le Russea rallié autour de son projet unesérie de personnalités qui donneune crédibilité jamais vue auparavantà ce genre de projets. Deséminences scientifiques commeMarvin Minsky, un spécialiste enintelligence artificielle du MIT,George Church, un professeur degénétique et pionnier de la génomiqueà Harvard, et José Carmena,un professeur de neuroscienceà l’Université de Berkeley,qui développe des prothèsescontrôlées par le cerveau, ontparticipé à la conférence. D’autresmembres du monde high-tech,comme Ray Kurzweil, le directeurde l’ingénierie de Google,Martine Rothblatt, une pionnièrede l’impression 3D d’organes, etL’HEBDO <strong>31</strong> JUILLET 2013
SCIENCE∑27EMPLACER L’HUMANITÉrvirait de réceptacle à son cerveau. Ce qui lui permettraithacun d’ici à 2045.«DES AFFIRMATIONSEXTRAORDINAIRESNÉCESSITENT DES PREUVESEXTRAORDINAIRES.»Richard WalkerPeter Diamantis, le célèbrehomme d’affaires qui se trouve àl’origine des vols touristiquesdans l’espace, étaient égalementprésents. Absent lors de la conférence,le dalaï-lama soutient officiellementInitiative 2045.La conférence de juin à New Yorkavait pour but d’exposer les avancéesscientifiques qui soutiennentles thèses du groupe. LeJaponais Hiroshi Ishiguro, professeurde robotique à l’Universitéd’Osaka, a présenté desandroïdes qui ressemblentcomme deux gouttes d’eau à desêtres humains. Sir Roger Penrose,un mathématicien de l’Universitéd’Oxford, a expliqué commentil était possible detélécharger la conscience dansun cerveau électronique à l’aidede la physique quantique. KenHayworth, un ancien chercheurde Harvard aujourd’hui à la têted’une fondation qui travaille surla préservation du cerveau, adéveloppé un concept radical: ilcompte se suicider pour préserverson cerveau. «Mon espritserait alors intact, précise-t-il. Etje pourrais simplement attendreque la technologie nécessaireexiste pour le télécharger dansun avatar.» Il s’agissait là de ladeuxième conférence d’Initiative2045 – la première a eu lieu àMoscou en 2012. Le lieu de laprochaine n’est pas encore<strong>31</strong> JUILLET 2013 L’HEBDOconnu. Le Russe s’intéressenotamment à Genève. «Plusieursscientifiques suisses nous ontvanté les avantages de la ville,nous sommes en train d’y réfléchir»,dit Dmitry Itskov.Le Russe n’est pas un scientifique,loin de là. En 1999, il a crééun empire médiatique en ligne,New Media Stars, en compagniede Konstantin Rykov, un anciencamarade de classe à la PlekhanovRussian Academy ofEconomics. Ils sontaujourd’hui millionnaires,certains disentmilliardaires.C’est en 2005 quel’homme a décidé de partirà la quête de l’immortalité:«Je regardais monordinateur portable, dans le vide.Et je me suis projeté dans lefutur: j’étais riche, mais je mesentais vide. J’avais besoin dequelque chose de plus profond.Ma vie ne pouvait pas s’arrêterlà.» La réflexion débouchera surla création d’Initiative 2045.Composante spirituelle. Sonprojet d’immortalité contientaussi une composante spirituelle:«Une fois immortels, sous formerobotisée, nous n’aurons plusbesoin de nous soucier de questionsmatérielles. Nous pourronsnous concentrer sur des problèmesplus importants, commechercher à comprendre quelleest notre place dans l’Univers.»Cela permettra aussi d’éradiquerla pauvreté dans le monde,selon lui. Car la création de cesavatars ne se limitera pas à unepoignée d’élus: «L’immortalitésera démocratisée. Si elle nel’était pas, personne n’accepteraitun tel projet. Les gens protesteraientet se révolteraient.» Lesavatars du professeur HiroshiIshiguro coûtent aujourd’hui300 000 dollars. Mais ils ne coûteraientque quelques milliers dedollars s’ils étaient produits ensérie.Dmitry Itskov est-il un douxrêveur ou un pionnier visionnaire?Richard Walker, le représentantde Blue Brain, un ambitieuxprojet de l’EPFL qui chercheà recréer un cerveau synthétique– et qui fascine Dmitry Itskov –,n’y croit pas: «Des affirmationsextraordinaires nécessitent despreuves extraordinaires. Et il neles présente pas. Ici, à Lausanne,nous allons être capables, dansdix ans, de simuler quelquessecondes d’activité cérébrale. EtDmitry Itskov cherche à créer,dans trente ans, des avatars surlesquels implanter notreconscience… Je suis très, trèssceptique.»Absurdité optimiste ou non,le nombre de scientifiques,d’hommes d’affaires et de technophilesqui se penchent surla question de l’immortalitéexplose. «Il y a quelques années,je faisais partie des seules personnesà m’intéresser à ce sujet,se souvient Aubrey de Grey, unchercheur britannique qui travaillesur l’arrêt du vieillissementdes cellules humaines depuis lesannées 90. Aujourd’hui, il y en abien plus. Cet engouement est dûaux récentes avancées technologiques:nous avons désormais lesmoyens de parvenir à l’immortalité.»Ce pionnier de la vie éternelleest convaincu que le premierhomme qui vivra mille ansest déjà né.√HISTOIRELa sciencede l’immortalitéLes scientifiques ont de touttemps cherché à percer le secretde l’immortalité. Les premiersessais datent de 2500 av. J.-C.:un papyrus retrouvé en Egyptecontient une recette pour unecrème qui permet de resterjeune à jamais. En l’an 320, unalchimiste chinois nommé GeHong rédige un traité nomméle Baopuzi, dans lequel il donnela recette d’élixirs magiquesprodiguant la vie éternelle.Au XVI e siècle, Francis Bacon,l’inventeur de la sciencemoderne, publie un livre appeléThe History of Life and Deathor The Prolongation of Life,qui présente des conseilspour devenir immortel. Il prônepar exemple le port de caleçonslongs, ce qui permettraitde vivre plus longtemps.Convaincu que la neige peutconserver un corps, il en fourreune poule, espérant prolongersa vie.En 1914, le biologiste russe ElieMetchnikoff estime que leshumains se font empoisonnerpar leurs bactéries intestinales.Et boit du lait caillé pour enlimiter la quantité dans sonpropre estomac. A la mêmeépoque, le chirurgien francorusseSerge Voronoff implante,lui, des morceaux de testiculesde singes dans le scrotumd’hommes pour augmenter leurespérance de vie et dynamiserleurs performances sexuelles.Il aurait opéré plus de 300 personnesen l’espace de cinq ans.En Autriche, Eugen Steinachréalise des vasectomies pourqu’«au lieu de donner vie à desenfants, les vieillards sedonnent la vie à eux-mêmes».Ces théories ont toutes étéprouvées erronées.√ACTUELS