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31 juillet - L'Hebdo

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PORTRAIT∑59DRTOUJOURS EN MIROIR Des clichés de l’album familial de la romancière.BROCHET Les frères de Corinne Desarzens étaient pêcheurs professionnels.mort. L’histoire des jumeaux et de leurfamille «brillamment équipée pourl’échec» avait donné lieu à un romansuperbe, Poisson-Tambour, en 2005, auxEditions Bernard Campiche. Un roman depapier, cette fois. Les frères s’y appelaientVincent et Frédéric. La première phrasedonnait le ton: «On ne connaît pas sesproches.»La Plage raconte un récit plus gai. C’est unlieu de fête et il n’est pas rare que desinconnus, à l’ombre du grand arbre de laterrasse, rapprochent leurs tables pour separler et trinquer. Les frères avaient manifestél’envie d’ouvrir un restaurant. «Ilssouhaitaient qu’on y trouve deux choses,se souvient Corinne Desarzens, des tartesaux fruits hyperjuteuses et copieusementgarnies – pas les rations de paroissien! – etdes plats cuisinés avec des poissons du lac,très généreux, là encore.» Aujourd’hui, ellea réalisé leur rêve.A cœur ouvert. L’idée germe en 2007:réhabiliter ce bâtiment de 1937, desanciens bains publics devenus un dépôt àl’abandon et une buvette sommaire. Pourcela, Corinne Desarzens crée la Fondationdes Jumeaux. Elle financera les travauxavec l’héritage de ses frères. Les lieuxappartiennent à la ville. Daniel Rossellat,syndic de Nyon, donne son feu vert. Un bailgratuit de vingt ans est octroyé en échangede la réhabilitation des lieux.Depuis octobre 2012, une trentaine de personnesont travaillé sur le chantier. Il afallu partir de zéro; «couler la chape étaitcomme réaliser une opération à cœurouvert.»<strong>31</strong> JUILLET 2013 L’HEBDOIl y a eu des larmes aussi. Pierre-Alain Bertola,illustrateur, bédéiste, décorateur, «Le»médiateur qui a facilité toute l’opération,est décédé pendant le chantier.Dîner au fond de la mer. De nombreusesautres personnalités traversent les pages dela Plage. Charlotte Hauser, fille de l’écrivain,a contribué à l’élaboration de la marque graphiquedes lieux. Les architectes du bureauEnvar ont dû ronger leur frein, en butte à lasoif de fantaisie de Corinne Desarzens (lasalle de bain rose pétant a donné lieu àd’âpres discussions). Il y a eu aussi le fellinien«Lion de l’Himalaya», à savoir l’éclairagisteMichele Dalla Favera. Et un spécialistedes pigments et des revêtements de sols,Mauro, un Italo-Tchèque que Corinne Desarzensvient d’accompagner, en moto, dans saRépublique tchèque natale – chez elle, unehistoire en amène d’autres, il faut suivre.Sans oublier bien sûr René Damond, «unseigneur, le play-boy des bacs à sable», quia peint le sol de la salle à manger. «Uneœuvre d’art. Je me mets à plat ventre dessuset je suis heureuse.» Un sol bleu liquide,brillant et profond. Comme ses yeux, à elle.(Les compliments la gênent, elle aimeraitdisparaître.) «Lorsque René travaillait, lacouleur avançait comme une marée. Onbuvait chacun de ses gestes. Regardez, ondirait que c’est de l’eau.»Elle bifurque, véloce comme un poisson,parle de petits crabes bleus, admirés surune plage de Tanzanie. On pourrait penserqu’elle prend la fuite. Non, elle va à l’essentiel.«La vie, c’est fait de petits instants. Iln’y en a pas beaucoup, mais ça nous nourritlongtemps.»Sur le deck, au-dessus de la buvette, unebelle jeune fille fait son apparition. Elleporte une robe du même rose pétant queles toilettes de l’établissement. On diraitqu’elle s’est échappée de leurs murs.L’écrivain ne voulait pas de béton gris, pasde tristesse. «C’est un projet poétique, personnel.Il ne fallait pas le laminer, allerdans le standard. Mais il a fallu se battre.»La rampe d’accès à la Plage, elle l’a recouvertede dessins naïfs, toujours avec sonami d’enfance René Damond. Des lézards,des serpents, des poissons s’y ébattent. Etpuis «un cœur idiot, en bas», qu’elle voulaiteffacer. Trop tard. En entrant ici, on abandonnetoute forme de snobisme.Pendant quelques minutes, le lac ressembleau sol du restaurant. On luidemande de parler encore de ses frères.C’est ici, sur la plage des Trois-Jetées,qu’elle a appris à nager à l’âge de 6 ans.Seule. Ses frères avaient quatre ans demoins qu’elle. Au détour d’une phrase, elleglisse: «La prochaine, c’était moi.» Puisaussitôt s’émerveille: «C’est juste extraordinaired’être là, non? Vous aimez? Vousaimez vraiment?» Oui, vraiment. Elle estrassurée. «Il faut être perméable. Les rencontresarrivent à n’importe qui. Mais certainspréfèrent laisser passer les occasions,ils ont peur d’être abandonnés. Et les occasionsne reviennent pas deux fois.» Dansl’un de ses courriels, le lendemain, ce slogande mai 1968: «Seuls les poissonsmorts descendent le courant.»√Restaurant La Plage,route de Genève, Nyon.Ouverture du 1 er mai au 30 octobre.PASSIONS

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