14<strong>Mondomix</strong>.comMusiques« Dans mes concerts,ceux qui portent la kippacôtoient ceux qui ne laportent pas »Rock el KibboutzRiff CohenTexte : Benjamin MiNiMuM Photographie : Gilad SasportaEn Israël, Asaf Avidan n’est pas <strong>le</strong> seul chanteur à mettre des rythmes rock dans <strong>le</strong>s charts.Riff Cohen, une jeune femme au prénom prédestiné, fait actuel<strong>le</strong>ment un carton avecdes ritournel<strong>le</strong>s bien troussées et chantées en français sur fond de guitares surf etde chaloupes orienta<strong>le</strong>s.« J’ai un côté rock’n’roll et un côté pasrock’n’roll du tout. Je ne bois pas beaucoupd’alcool ni de café, je ne fume pas de cigaretteset je fais du yoga. C’est un nouveaurock’n’roll. » Attitude rock’n’roll ou pas, RiffCohen possède un large bagage musical.Après une université musica<strong>le</strong>, el<strong>le</strong> a suivides études de musicologie tout en naviguantdans la scène underground de Tel Aviv. Sesgrands parents viennent d’Algérie et de Tunisieet cette culture l’a tota<strong>le</strong>ment imprégnée.un son un peu sa<strong>le</strong>« J’ai énormément écouté de musiques duMaghreb. Je trouve que la guitare é<strong>le</strong>ctriquese marrie bien avec <strong>le</strong>s énergies des musiquesgnawa ou du rai. J’aimais <strong>le</strong> son un peutrash des cassettes de musiques nord africaines.C’est ce son un peu sa<strong>le</strong> que j’ai essayéde reproduire », explique-t-el<strong>le</strong>. Son projetde disque a commencé à germer lorsqu’el<strong>le</strong>était à la Cité des Arts à Paris et il s’est poursuivien Israël : « Je travaillais d’abord sur uneboîte à rythmes, puis je trouvais la mélodieet ensuite, je cherchais dans <strong>le</strong> tiroir où mamère range <strong>le</strong>s textes qu’el<strong>le</strong> écrit en français.Ca s’est passé comme par mirac<strong>le</strong>. Achaque fois, j’en trouvais un qui fonctionnaitparfaitement avec <strong>le</strong> rythme et la mélodie quej’avais composés. Au bout d’un moment, unchemin se dessinait et ma mère a commencéà écrire spécifiquement pour moi. »Jouer en Afrique du NordEn Israël, la société est divisée entre <strong>le</strong>s différentestendances religieuses et <strong>le</strong>s noncroyants. Riff ne voit pas <strong>le</strong>s choses de cettefaçon. « Je prends ce qui me convient de la religionjuive. Par exemp<strong>le</strong>, j’ai commencé à suivre<strong>le</strong> shabbat quand j’étais à Paris, il y a deuxans et demi. ça me fait du bien de faire unepause dans ma vie de musicienne toujoursen mouvement. C’est une occasion de meretrouver, de lire et de passer du temps avecmon mari que je ne vois presque pas dansla semaine. Pour moi, c’est clair que je suiscroyante, mais pour <strong>le</strong>s journalistes israéliens,c’est très provocateur. Quand tu t’habil<strong>le</strong>s àl’occidental, tu es forcément athée. Et <strong>le</strong>s religieuxne comprennent pas comment je peuxchanter en face des hommes. »Mais <strong>le</strong> personnage atypique de Riff Cohenrencontre des adeptes de tous <strong>le</strong>s bords :« Il y a des religieux qui m’arrêtent dans larue pour me dire que je fais une musiqueincroyab<strong>le</strong> et des hipsters qui me disentl’adorer. Dans mes concerts, ceux qui portentla kippa côtoient ceux qui ne la portentpas. C’est un petit pas vers la paix. » Biensûr, <strong>le</strong>s soucis d’Israël ne s’arrêtent pas là.Sur <strong>le</strong>s problèmes de politique extérieure, lasociété lui paraît aussi trop tranchée : « Ceuxqui défendent la négociation avec <strong>le</strong>s Pa<strong>le</strong>stiniensveu<strong>le</strong>nt aussi effacer la culture juive etpour moi, c’est une grande erreur. En Afriquedu Nord, mes grands parents vivaient trèsbien avec <strong>le</strong>s musulmans. La solution, c’estque chacun ait la liberté de sa religion, qu’ilpuisse conserver la fierté de sa culture et deses racines. Que l’on respecte <strong>le</strong>s musulmanset qu’ils nous respectent. » Pas gagné,mais c’est une idée qui vaut d’être entendue.Et à propos de rêves, celui de la chanteusen’est pas celui de tout <strong>le</strong> <strong>monde</strong> : « Monrêve n’est pas de conquérir <strong>le</strong>s Etats-Unis,mais ce serait de pouvoir jouer en Afrique duNord. Déjà, pendant mes concerts, quand jevois quelqu’un avec un grand sourire, qui al’air de comprendre mes paro<strong>le</strong>s, c’est souventun Africain ».n Riff Cohen A Paris (AZ/Universal)n En concert<strong>le</strong> 9 avril au Café de la Danse Parisn www.riff-cohen.comn°56 Mars/Avril 2013
Musiques 15« J’ai réalisé que je pouvaisaussi travail<strong>le</strong>r avec mesoreil<strong>le</strong>s et mon imaginaire »Ta<strong>le</strong>nt,hasardset déclicsDom La NenaTexte : Benjamin MiNiMuM Photographie : Jeremiahn Dom La NenaEla (6degrees)n En concert<strong>le</strong> 21 mars à la Bou<strong>le</strong> Noire (75018),<strong>le</strong>s 24 et 25 avril au Printemps de Bourgesn www.domlanena.comVioloncelliste de formation, la Brésilienne Dom La Nena s’est mise à la chanson un peupar hasard. Grand bien lui en a pris : son premier album, Ela, est une merveil<strong>le</strong>. Retour surun drô<strong>le</strong> d’itinéraire.C’est au piano que la jeune Dominique Pintoa fait ses premières armes musica<strong>le</strong>s. APorto A<strong>le</strong>gre, au Brésil, el<strong>le</strong> suit la méthoded’éducation musica<strong>le</strong> Suzuki, fondée surun enseignement précoce, l’exécution àl’unisson ou l’intervention des proches del’élève. Un jour que sa classe se rend en busà Florianópolis pour participer à une rencontrenationa<strong>le</strong>, el<strong>le</strong> passe <strong>le</strong>s 376 km du trajetà côté d’un professeur de violoncel<strong>le</strong>, si passionnéet passionnant qu’à l’arrivée la jeunefil<strong>le</strong> décide de devenir son élève. En 1998,Dom a 8 ans et débarque à Paris où son pèrepoursuit un doctorat en philosophie, et el<strong>le</strong> laclasse de violoncel<strong>le</strong> du Conservatoire où el<strong>le</strong>acquiert la conviction que l’instrument sera <strong>le</strong>compagnon de sa vie.Paris lui tendà nouveau <strong>le</strong>s brasEn 2002, de retour dans la grande mais mornePorto A<strong>le</strong>gre, el<strong>le</strong> ne voit pas commentprogresser dans sa discipline. Dom trouve<strong>le</strong> téléphone de la violoncelliste américaineChristine Wa<strong>le</strong>wska. Touchée par l’intérêtque la jeune fil<strong>le</strong> lui porte, la musicienne luifixe rendez-vous à Buenos Aires, où el<strong>le</strong> vitune partie de l’année, à une heure de vol dechez Dom. El<strong>le</strong> lui donne quelques cours et luiprésente un professeur français qui poursuitson enseignement pendant cinq ans. Un jour,alors qu’il devait jouer derrière Marie-ChristineBarrault dans un spectac<strong>le</strong> pour une opérationcaritative de la fondation Saint-Exupéry,son tuteur doit partir précipitamment en Franceet lui demande de <strong>le</strong> remplacer. El<strong>le</strong> relève<strong>le</strong> défi et fait la connaissance de Jeremiah,un jeune réalisateur venu de Paris tourner undocumentaire.Reçue au concours de l’Eco<strong>le</strong> Norma<strong>le</strong> deMusique, el<strong>le</strong> s’instal<strong>le</strong> à Paris en 2007. Aucontact de Jeremiah, el<strong>le</strong> fait des rencontresdécisives. Dans l’immeub<strong>le</strong> du bureau deproduction du jeune réalisateur, Edith Fambuena(Les Va<strong>le</strong>ntins, Daho, Bashung…)possède un studio d’enregistrement. Lesdeux femmes se lient d’amitié et lorsqu’Edithse met à travail<strong>le</strong>r pour Jane Birkin, el<strong>le</strong> luipropose d’improviser une partie de violoncel<strong>le</strong>.El<strong>le</strong> se souvient : « Perdue, sans partitions,j’ai commencé par refuser. J’ai quand mêmeessayé et el<strong>le</strong>s étaient hyper contentes.J’avais eu un déclic et réalisé que je pouvaisaussi travail<strong>le</strong>r avec mes oreil<strong>le</strong>s et mon imaginaire». Suit la tournée aussi passionnantequ’épuisante. « En rentrant, je n’avais rien enperspective. J’avais envie de composer, etpour m’amuser, j’ai écrit une chanson ». Sonentourage s’enthousiasme et l’encourage àcontinuer. « Au début je ne savais ni placerma voix, ni gérer mon souff<strong>le</strong>, mais j’ai trouvéma propre façon de faire. » L’idée du disquefait son chemin.Dans <strong>le</strong>s Cévennesavec Piers FacciniGrâce à Jeremiah, la petite (« Nena ») Domrencontre certains des artistes qui ont enchantéson ado<strong>le</strong>scence. Camil<strong>le</strong> lui donnedes conseils de chant. Piers Faccini lui proposede venir travail<strong>le</strong>r chez lui. Dom débarquedans <strong>le</strong>s Cévennes avec son violoncel<strong>le</strong>.Le chanteur part en tournée, mais lui donne<strong>le</strong>s clés de son studio installé au fond du jardin.Dans ce cadre magique, el<strong>le</strong> enregistre<strong>le</strong>s bases de ses chansons et pose ses arrangements.A son retour, séduit par ce qu’i<strong>le</strong>ntend, Piers lui propose d’essayer quelquesidées. La collaboration est harmonieuse etils décident de réaliser l’album ensemb<strong>le</strong>. Ilsécrivent et chantent ensemb<strong>le</strong> Dessa Vez.Plus tard, Camil<strong>le</strong> pose symboliquement deschœurs sur Voce. Le chanteur de Sao Paulo,Thiago Pethit est aussi de la partie. « Lorsquenous nous sommes rencontrés, nousavons réalisé que nous avions vécu pendantune année dans la même rue en Argentine »,sourit-el<strong>le</strong>. La chanson Buenos Aires devientnaturel<strong>le</strong>ment un autre duo. Inspiré, Ela profitep<strong>le</strong>inement du cerc<strong>le</strong> vertueux de ses relationsmais dénote une écriture sensib<strong>le</strong> ettouchante.n°56 Mars/Avril 2013