débatGandhi, sageet stratège dela non-viol<strong>en</strong>ceJean-Marie Mulleret Alain Refalo,C<strong>en</strong>tre de ressourcessur la non-viol<strong>en</strong>ce(11, allée de Guérande,31770 Colomiers),2007 - 88 p. - 7,60 €La force de Gandhi c’est le choixde la non-viol<strong>en</strong>ce, mais aussiune grande stratégie politique.Ce recueil prés<strong>en</strong>te ce côté stratégique,avec notamm<strong>en</strong>t des traductionsinédites de textes deGandhi. FV.Le débat a été animépar Guillaume Gamblinet Michel Bernard. Aprèsretranscription des débatset résumés de ceux-ci,ils ont été complétés parles deux protagonistes.1 6 S!l<strong>en</strong>ce n°356 avril 2008même chose d’organiser une société. Pour l’organisationd’une société, j’<strong>en</strong> suis v<strong>en</strong>u à récuser leconcept d’Etat au profit du concept de gouvernem<strong>en</strong>t.André : Proudhon aurait dit “administration deschoses”, pas gouvernem<strong>en</strong>t.Jean-Marie : Oui, <strong>en</strong> effet, comm<strong>en</strong>t administrerles choses ? Je peux très bi<strong>en</strong> me retrouver danscette problématique-là. De même, je suis bi<strong>en</strong>d’accord avec toi quand tu dis “c’est le droit quidoit primer”. Mais, précisém<strong>en</strong>t, la bonne loi ditle droit et d’abord le droit des plus faibles, et lefait respecter. De même que le bon gouvernem<strong>en</strong>test celui qui administre bi<strong>en</strong> les choses.Je ne pars pas de l’idéal d’une société non-viol<strong>en</strong>te,que je vais essayer de plaquer sur la réalité. Jepars de la réalité de la société qui est viol<strong>en</strong>te etj’essaie de voir, très humblem<strong>en</strong>t, ce qui est possible.Je p<strong>en</strong>se que c’est la même démarche qu’ilnous faut faire au niveau de l’anarchisme. Nonpas rêver d’une société idéale, où chacun est autonome,où tout le monde est bon et g<strong>en</strong>til, mais departir de la réalité, et voir quels sont les pas <strong>en</strong>avant que nous pouvons faire. Non pas rêver l’impossible,mais inv<strong>en</strong>ter le possible.André : J’ai fréqu<strong>en</strong>té beaucoup d’Espagnols etde fils d’Espagnols qui avai<strong>en</strong>t fait cette révolutionet cette guerre, et quand je lis ces histoiresqui sont “évangéliques”, je me dis, “c’est pas possibleque ces paysans, ces ouvriers, qui n’avai<strong>en</strong>taucune culture, ils se soi<strong>en</strong>t mis à faire des collectivitésqui fonctionnai<strong>en</strong>t, où ils ont supprimél’arg<strong>en</strong>t…”Un copain espagnol plus âgé me racontait comm<strong>en</strong>tDurruti arrive dans un village, il fait ungrand discours au balcon de la mairie, “camarades,il faut vous mettre <strong>en</strong> collectivité”, et lespaysans se mett<strong>en</strong>t <strong>en</strong> collectivité, et ça marchetout seul ! Je dis “c’est pas possible, il nousraconte des histoires”, et il me dit non, parce queça fait 3-4 générations de militants qui tous lesjours on réfléchi, même des g<strong>en</strong>s qui ne savai<strong>en</strong>tpas lire, à comm<strong>en</strong>t on va changer la société, comm<strong>en</strong>tça peut se passer, et au mom<strong>en</strong>t où il y a euun trou, là il n’y a plus de patron, il n’y a plus depropriétaire dans les campagnes, donc les paysansmett<strong>en</strong>t les terres <strong>en</strong> commun… ça s’est faitun peu naturellem<strong>en</strong>t. Mais je sais qu’actuellem<strong>en</strong>t,<strong>en</strong> 2007, ça ne peut pas se passer commeça, donc on a à réinv<strong>en</strong>ter quelque chose.Et dieu dans tout ça ?Jean-Marie : Je suis <strong>en</strong> train de terminer un livrequi devrait s’appeler Désarmer Dieu. Et j’essaie dedire que tant que les hommes auront la représ<strong>en</strong>tationd’un dieu viol<strong>en</strong>t, ils seront viol<strong>en</strong>ts.Notre combat est commun contre la religion <strong>en</strong>tant que source d’aliénation et de viol<strong>en</strong>ce.André : On peut être viol<strong>en</strong>t sans dieu.Jean-Marie : Bi<strong>en</strong> sûr, mais le problème, c’estque quand tu es viol<strong>en</strong>t avec Dieu, d’abord ça faitbeaucoup de g<strong>en</strong>s sur la planète, et puis tu l’es<strong>en</strong>core plus, car dès lors que tu peux rev<strong>en</strong>diquerque “Dieu est avec toi” ta viol<strong>en</strong>ce devi<strong>en</strong>t sainte.Michel : Si Jésus Christ n’est pas viol<strong>en</strong>t, l’Eglisel’est. C’est la hiérarchie, et la déf<strong>en</strong>se de son pouvoir,lorsqu’il est contesté, qui décl<strong>en</strong>ch<strong>en</strong>t desguerres ou des massacres comme celui de la SaintBarthélemy.Jean-Marie : Je vais plus loin, car je p<strong>en</strong>se queJésus a désarmé Dieu de l’épée de la Guerre, maisqu’il n’a pas désarmé Dieu du glaive de la Justice.Dans l’Evangile, tu as <strong>en</strong>core toute la m<strong>en</strong>ace del’<strong>en</strong>fer éternel. Et ce n’est pas acceptable… Onparlait de la Saint Barthélemy : comm<strong>en</strong>t tu peuxarriver à brûler un autre homme ? Moi j’avoueque je ne compr<strong>en</strong>ds pas… Il faut être dev<strong>en</strong>ufou ! Cette folie, c’est une folie divine, c’est à direque c’est la folie de Dieu. C’est l’image de l’<strong>en</strong>fer.C’est à cause de l’<strong>en</strong>fer que l’on peut brûler deshérétiques par ant<strong>ici</strong>pation de l’<strong>en</strong>fer. Le problèmec’est que le vrai Dieu, on ne sait peut-être pass’il existe ou s’il n’existe pas, mais les faux dieux,on sait qu’ils exist<strong>en</strong>t. Il est urg<strong>en</strong>t de dev<strong>en</strong>irathée de tous ces faux dieux. Donc il faut allerplus loin même que Jésus, qui lui a gardé la foidans le dieu noir de l’<strong>en</strong>fer.André : Si l’islam, comme le christianisme,l’anarchisme, sont bi<strong>en</strong> compris, c’est toujours unmessage d’amour. Le problème c’est qu’on lescompr<strong>en</strong>d mal.Jean-Marie : C’est plus compliqué que ça. Leproblème des guerres de religion du 16e siècle,c’est qu’ils repr<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t des textes de l’Anci<strong>en</strong>Testam<strong>en</strong>t. Donc ce n’est pas qu’un problèmed’interprétation, c’est un problème de rupture.André : Je crois qu’il y a aussi un problème derupture pour l’anarchisme, car par rapport à lapériode “terroriste”, 1892-1894, tout de suitederrière il y a eu des g<strong>en</strong>s qui se sont lancés dansle syndicalisme. Et je p<strong>en</strong>se que ça a été une rupture,c’est quelque chose de très positif pourl’anarchisme. Maint<strong>en</strong>ant, je p<strong>en</strong>se qu’il pourraity avoir une rupture vers la non-viol<strong>en</strong>ce. Je s<strong>en</strong>sdes petites choses comme ça… mais il y a <strong>en</strong>coreun boulot énorme à faire pour cela.Il y a un slogan anarchiste qui dit “ni Dieu nimaître”, Jean van Lierde préférait dire “sansmaître, mais avec Dieu”. Je crois que ça peutgêner. Car je crois qu’il y a des anarchistescroyants qui aurai<strong>en</strong>t leur place dans le mouvem<strong>en</strong>tlibertaire. Mais c’est à eux à s’imposer. Il ya certains croyants qui sont plus anars que lesanarchistes.Michel : J’interviewais Jean-Baptiste Libouban ily a quelques années, il se définissait comme anarchisteet croyant. Les communautés de l’Arche, jep<strong>en</strong>se qu’on peut les dire anarchistes.André : Je me s<strong>en</strong>s parfaitem<strong>en</strong>t bi<strong>en</strong> à l’Arche.Et justem<strong>en</strong>t, à l’Arche, on <strong>en</strong> p<strong>en</strong>se quoi ?
paixS’unir dans l’actionsans perdre son âmeInterpellé suite au débat anarchisme et non-viol<strong>en</strong>ce, <strong>en</strong> tant qu’anci<strong>en</strong>responsable de la CANVA (Coordination de l’action non-viol<strong>en</strong>te de l’Arche),je propose d’apporter mon point de vue, à titre complém<strong>en</strong>taire,non pour invalider d’autres affirmations. Aussi pour rappelerles convictions de Christian Brunier, décédé <strong>en</strong> 2004.COT-AlbiManifestation devant Eurosatory <strong>en</strong> 2002.J’ai part<strong>ici</strong>pé plusieurs années aux actionscontre le salon EuroSatory, et à deuxreprises <strong>en</strong> tant qu’organisateur de cettecampagne, <strong>en</strong> binôme avec Christian Brunier, duMAN.Nous avions milité des années, dans le cadre de laCOVA (Campagne d’opposition aux v<strong>en</strong>tesd’armes) avec des personnes issues de mouvem<strong>en</strong>tshabitués à travailler <strong>en</strong>semble bi<strong>en</strong> queparfois très éloignés les uns des autres sur laconception de la non-viol<strong>en</strong>ce, de la responsabilitécitoy<strong>en</strong>ne, sur l’intérêt ou non d’échanger desinformations avec les responsables des <strong>en</strong>treprisesde l’armem<strong>en</strong>t, des organisateurs dessalons EuroSatory, avec les responsables des servicesde sécurité et de la police locale. Ces mouvem<strong>en</strong>tsétai<strong>en</strong>t — j’<strong>en</strong> oublie bi<strong>en</strong> sûr — : MAN,MIR, Arche, UPF, Quakers, IRG, Femmes pour laPaix, Pax Christi… la plupart réunis au sein de laCoordination des Mouvem<strong>en</strong>ts non-viol<strong>en</strong>ts.Complexité d’organisationTout rassemblem<strong>en</strong>t, toute manifestation ouaction… non-viol<strong>en</strong>tes demande, chacun le sait,une organisation “minimum”. Le MAN <strong>en</strong> particulier,sout<strong>en</strong>ue par cette coordination non-viol<strong>en</strong>te,a longtemps assumé cette organisation desactions de la COVA. Les disponibilités se faisantplus rares au sein du MAN, Christian, avec qui jecollaborais pour d’autres <strong>en</strong>gagem<strong>en</strong>ts, notamm<strong>en</strong>tle Balkan Peace Team, m’a demandé de formeréquipe avec lui pour préparer et <strong>en</strong>cadrer lesactions contre EuroSatory.Tout naturellem<strong>en</strong>t, nous avons comm<strong>en</strong>cé parcontacter les mouvem<strong>en</strong>ts ci-dessus et des personnesque nous savions prêtes à s’investir danscette campagne ; personnes r<strong>en</strong>contrées lorsd’autres rassemblem<strong>en</strong>t (anti-nucléaire, souti<strong>en</strong>aux étrangers, etc.), ou ayant contactées certainsde nos mouvem<strong>en</strong>ts.S!l<strong>en</strong>ce n°356 avril 20081 7