Pour s’entretenir« Les mots sont plus importantsque <strong>le</strong>s images »Interview <strong>de</strong> Bettina RheimsPropos recueillis par Adrien Aszerman© Istvan Nicolas Vass GaryQuel est votre rapport au livre ?Un rapport boulimique et passionnel. Je me fait parfois <strong>de</strong>spi<strong>le</strong>s entières <strong>de</strong> livres à lire… Gran<strong>de</strong> <strong>le</strong>ctrice, je dévore <strong>le</strong>slivres <strong>de</strong> tous genres, sauf durant certaines pério<strong>de</strong>s intensessur <strong>le</strong> plan professionnel<strong>le</strong>s où je me cantonne à <strong>de</strong>s romanset à <strong>de</strong>s ouvrages sur <strong>le</strong>s surréalisme. Je col<strong>le</strong>ctionne <strong>le</strong>s livresphotos <strong>de</strong>puis 25 ans, bons ou mauvais sans distinction,estimant qu’il y a toujours quelque chose à sauver.Ma col<strong>le</strong>ction est suffisamment importante pour quej’envisage, un jour, <strong>de</strong> la cé<strong>de</strong>r à une bibliothèque.Mon rapport au livre est tel que je n’envisage jamais <strong>de</strong> <strong>le</strong>jeter, même s’il est mauvais. Je n’achètera par contre jamaisd’iPad du fait d’un trop grand amour du papier, du plaisird’entrer dans une librairie parce que la couverture d’un livreme plait. Je suis toujours envieuse <strong>de</strong> mes copains critiquesqui reçoivent tant <strong>de</strong> livres. Et, sans par<strong>le</strong>r <strong>de</strong>s écrivains avecqui j’ai partagé <strong>de</strong>s morceaux <strong>de</strong> route, j’affectionne éga<strong>le</strong>ment<strong>le</strong>s musées <strong>de</strong> livres.Les mots trouvent-ils <strong>le</strong>ur place dans votre métier ?Les mots sont plus importants que <strong>le</strong>s images. Mes imagespar<strong>le</strong>nt simp<strong>le</strong>ment mieux que <strong>le</strong>s mots. Je rédige une liste<strong>de</strong> mots avant la prise <strong>de</strong> chaque photo, qui ensuite <strong>de</strong>viennentimage. Par moment j’écris, rien <strong>de</strong> publiab<strong>le</strong> que je range,avant d’écrire à nouveau.Vos livres photos s’inscrivent dans cet esprit ?Ils sont très importants. J’aime beaucoup. Beaucoup n’en fontpas, laissant <strong>le</strong>s marchands faire <strong>le</strong>ur catalogue. Pour moi<strong>le</strong>s livres photos sont importants parce que je suis davantagetouchée quand quelqu’un achète mon livre en librairie quelorsqu’il achète l’un <strong>de</strong> mes tirages, qui va<strong>le</strong>nt pourtant trèscher. Quand je vais quelque part à l’étranger et que je voisl’un <strong>de</strong> mes livres, ça me bou<strong>le</strong>verse. Que quelqu’un achètemon livre et l’amène chez lui... Je fais mon travail plus pourfaire <strong>de</strong>s livres que <strong>de</strong>s expositions. D’où mon travail avecSerge Bramly, avec qui je conçois d’abord <strong>le</strong> travail pour faireun livre qui ne prendra que dans un second temps la formed’une exposition.Comment cela s’inscrit-il dans votre processus <strong>de</strong> création ?J’ai un long bureau dans mon studio. Durant une gran<strong>de</strong>phase <strong>le</strong>s images sont par terre et je regar<strong>de</strong> comment el<strong>le</strong>sconversent <strong>le</strong>s une <strong>le</strong>s autres, comment l’histoire se tisse.Je sais ce que je fais mais sans pouvoir en par<strong>le</strong>r, ni l’expliquer.Avec ce chemin <strong>de</strong> fer, son début, son milieu et sa fin, viennentla clé <strong>de</strong> ce que j’ai fait. Et <strong>le</strong> livre vient dans la compréhension<strong>de</strong> cette clé. Ensuite je vais à l’imprimerie et je dors - presquelittéra<strong>le</strong>ment - sur <strong>le</strong>s machines. Pour I.N.R.I j’ai passé 12jours et nuits sur un canapé dans <strong>le</strong> bureau <strong>de</strong> l’imprimeur.Je ne voulais pas qu’une planche tombe sans que je sois là.Quel<strong>le</strong> place accor<strong>de</strong>z-vous au numérique ?J’ai découvert Internet cette année. Je n’avais jusqu’à présentpas d’ordinateur et l’on m’a dit qu’il fallait que ça suffise.Qu’on ne pouvait plus me lire <strong>le</strong>s mails au téléphone, etc.Je vais donc sur Internet <strong>de</strong>puis peu. J’en suis arrivée à me dire,après avoir vu <strong>le</strong>s sites qui parlaient <strong>de</strong> moi nuls et sans image,froids, désincarnés, qu’il m’en fallait un à moi.Les sites d’images me perturbent car je trouve que si l’onne sait pas quoi chercher, on ne sait pas sur quoi on va tomber.C’est encore un nouveau mon<strong>de</strong>.Bettina Rheims est photographe, officier <strong>de</strong> la Légion d’honneur.Auteur <strong>de</strong> la photographie officiel<strong>le</strong> <strong>de</strong> Jacques Chirac en 1995,el<strong>le</strong> a réalisé pour Paris Match en 2007 une série <strong>de</strong> photos surNicolas Sarkozy. El<strong>le</strong> est prési<strong>de</strong>nt du jury du concours <strong>de</strong> photo<strong>de</strong> Deauvil<strong>le</strong> «la 25ème heure».Pour en savoir plus www.bettinarheims.com30
Pour s’entretenirPierre Corbucci et Daniel Teboul : « 26 »Propos recueillis par Adrien AszermanActuaLitté : Qu’est-ce qui a motivé l’écriture <strong>de</strong> ce roman ?Daniel Teboul : Nous avons écrit ce livre à 4 mains, issuesdu milieu <strong>de</strong> la communication, du positionnement <strong>de</strong>marques et <strong>de</strong> campagnes <strong>de</strong> publicité. Nous travaillonsbeaucoup et sur <strong>de</strong> nombreux projets. Il y a 4/5 ans nousavons écrit ensemb<strong>le</strong> un recueil <strong>de</strong> nouvel<strong>le</strong>s avec pourfil conducteur la vie d'un homme. Nous en avons tiré unecentaine d'exemplaires à compte d'auteur et tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>a trouvé l’ouvrage bien écrit, intéressant. Cela a renforcé,avec Pierre, notre complémentarité.Nous avons, à la suite <strong>de</strong> cette publication, eu l’idée <strong>de</strong>faire un roman sur homme provi<strong>de</strong>ntiel qui arrive à rég<strong>le</strong>run problème sans solution : <strong>le</strong> conflit israélo-pa<strong>le</strong>stinien.Vous n’avez pas choisi <strong>le</strong> sujet faci<strong>le</strong> !On ne peut être indifférent à ce conflit, que l'on soit juif,pa<strong>le</strong>stinien... Il est forcément plus pratique <strong>de</strong> se dire quel’on ne va pas y arriver, que guérir d'une maladie aussigrave n’est pas possib<strong>le</strong>. Mais je crois au fond à un vraidésir <strong>de</strong> paix <strong>de</strong> tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>. L’idée est d’affirmer qu’iln’y a pas d’autre voie que la paix. Il ne faut même pas lapaix, mais l’entente. Daniel Birnbaum a ainsi affirmé« qu’il ne faut pas tant vivre en cohabitation que <strong>de</strong> faire<strong>de</strong>s choses ensemb<strong>le</strong>. »Votre solution est pour <strong>le</strong> moins percutante...Sur la dimension politique, el<strong>le</strong> est <strong>de</strong> faire un Etat àmoitié fédéral. Une union serait nécessaire sur <strong>le</strong> planinternational tout en conservant <strong>de</strong>s prérogatives loca<strong>le</strong>ssur <strong>le</strong> plan culturel.La religion est un mélange d'élévation spirituel<strong>le</strong> forteet <strong>de</strong> connaissance pour réagir <strong>de</strong> façon pratique etconcrète. C'est <strong>le</strong> génie du personnage central du livre :sa vision philosophique et son savoir pratique. J’aime àpenser qu’il faut une haine aussi forte pour faire la paixque pour faire la guerre. C'est un livre d'anticipation,à l’intersection <strong>de</strong> Marek Halter et René Barjavel quiauraient écrit un livre ensemb<strong>le</strong>, en restant cependantmo<strong>de</strong>ste sur la portée du parallè<strong>le</strong> avec ces auteurs.Pourquoi remonter aussi loin dans l’histoire <strong>de</strong> Sam ?C’est en rédigeant d’abord la secon<strong>de</strong> partie <strong>de</strong> l’ouvrageque l’on a compris la possibilité <strong>de</strong> raconter ce qu'ilallait y conduire, en remontant <strong>le</strong> temps. L’histoire <strong>de</strong>cet homme, fruit d'une doub<strong>le</strong> culture et <strong>de</strong> plusieursgénérations qui l'ont marquées, dont chacune a posé surlui une vision. La parabo<strong>le</strong> est <strong>de</strong> dire que notre culturene vient pas que <strong>de</strong> nos parents, mais <strong>de</strong> 80 générationsen amont. Ces histoires permettent <strong>de</strong> bien comprendrece que représente la terre d'Israël pour ceux qui en ont étéprivés pendant vingt sièc<strong>le</strong>s, d'où l'impossibilité d'envisagerune autre voie que cel<strong>le</strong> là. La première partie ne traitepas <strong>de</strong> la culture religieuse mais d’un mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> vie quise base sur <strong>de</strong>s principes religieux, avec <strong>de</strong>s hommes qui<strong>le</strong>s interprètent même quand ils ne sont pas croyants.La secon<strong>de</strong> partie est la mise en action d'un être un peusupérieur, qui pense trouver <strong>le</strong>s clés, à un moment donné,<strong>de</strong> la réalisation d’une utopie. Ce n’est pas une illuminationmais son voeu <strong>le</strong> plus cher, et il n'a rien d'autre à faire.C'est d'une certaine façon <strong>le</strong> fruit d'un désespoir, et vingtsixans lui seront nécessaires pour réunir <strong>de</strong>s moyensinvraisemblab<strong>le</strong>s sans être improbab<strong>le</strong>s. L'une <strong>de</strong>s idéesphares est <strong>de</strong> dire : puisque <strong>le</strong>s gouvernements n'y arriventpas, <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s doivent y arriver. Qu'un homme qui n'estpas issue du pouvoir puisse faire en sorte qu'il y ait envie<strong>de</strong> vivre la paix. Il entame ça avec un gouvernement<strong>de</strong> paix, à égalité juifs et pa<strong>le</strong>stiniens.Quel public visez-vous au travers <strong>de</strong> ce livre ?Les arabes, certains musulmans et <strong>le</strong>s juifs sont paressence très concernés. Pour <strong>le</strong>s autres c’est <strong>de</strong> l’exotisme.Le personnage principal, juif, a pour meil<strong>le</strong>ur amiun musulman qui <strong>de</strong>viendra <strong>le</strong> premier prési<strong>de</strong>nt dunouvel Etat. Ce n’est pas fortuit, tout comme l’idée dugouvernement <strong>de</strong> paix , avec 13 binômes juifs et arabescooptés qui apprennent à s'aimer. Hussein est inspiré par<strong>de</strong>s personnes pa<strong>le</strong>stiniens réels. Nous avons pour projetd’un second tome centré sur son histoire.Ce que l’on a pensé du livreL’ouvrage est pour <strong>le</strong> moins ambitieux qui, à la frontière du réalisme et <strong>de</strong> la sciencefiction,ne fait rien <strong>de</strong> moins qu’établir un plan <strong>de</strong> paix entre Israël et <strong>le</strong>s territoirespa<strong>le</strong>stiniens, avec pour résultat un Etat fédéral pacifié. Les auteurs n’ignorent aucunedonnée ethnique ou religieuse, politique, économique, nationa<strong>le</strong> et internationa<strong>le</strong>.Et l’on se prend à rêver sur la faisabilité <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur thèse. Profondément humanistes,ils pointent la bêtise stéri<strong>le</strong> du conflit en décrivant <strong>le</strong>s richesses <strong>de</strong> la paix.Le travail d’orfèvre sur <strong>le</strong> projet politique mis en oeuvre dans <strong>le</strong> roman laisse cependantquelques lacunes sur d’autres versants <strong>de</strong> l’intrigue. La première partie, admirab<strong>le</strong>mentconstruite, dresse, au travers <strong>de</strong>s ancêtres du personnage principal, l’histoire <strong>de</strong>s juifsen Afrique du nord, en Europe et aux Etats-Unis du XIX ème sièc<strong>le</strong> à nos jours pourcomprendre ce peup<strong>le</strong> aujourd’hui. Mais <strong>de</strong> l’aveu <strong>de</strong>s auteurs, manque à l’ouvrage<strong>le</strong> pendant musulman avec l’histoire <strong>de</strong>s origines d’Hussein, meil<strong>le</strong>ur ami <strong>de</strong> Sam,qui n’est pas comptée.L’ombre <strong>de</strong> la défunte aimée <strong>de</strong> Sam, qui plane jusqu’à la fin <strong>de</strong> l’ouvrage par quelquesévocations, aurait sans doute pu, en prenant davantage <strong>de</strong> substance, étoffer encore <strong>le</strong>roman en renforçant <strong>le</strong>s personnages <strong>de</strong>s vivants qu’el<strong>le</strong> hante sans disperser l’intriguequi s’en trouve affaiblie.Malgré ces quelques regrets sur <strong>le</strong> jeu d’écriture <strong>de</strong>s auteurs, on ne peut que saluer <strong>le</strong>travail accompli, en espérant qu’il donne inspiration aux humanistes <strong>de</strong> notre temps et unréveil salutaire aux chefs <strong>de</strong> guerre improductifs.31