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Télécharger ActuaLitté, le papiel, #4 de novembre

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Pour s’entreteniret <strong>le</strong>urs places dans la société contemporaine.On fait état <strong>de</strong> ce que l’on appel<strong>le</strong> un capital culturel,comme on a pu <strong>le</strong> voir à l’occasion <strong>de</strong> la réception<strong>de</strong> certains essais, mais aussi au travers d’exemp<strong>le</strong>splus distants. Ainsi, quand un ancien prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> laRépublique publie une anthologie <strong>de</strong> textes poétiques,cela montre aussi que, lorsqu’on publie <strong>de</strong> la littératureà ce niveau, c’est vers la poésie qu’on va se tourner. Ona eu d’autres exemp<strong>le</strong>s plus récents. Mais il y a aussi<strong>de</strong>s usages plus banals <strong>de</strong> la poésie dont on peut êtrechoqué si l’on part d’une définition <strong>de</strong> la poésie comme« haute ». Mais il y a aussi une conception très lyrique <strong>de</strong>la poésie, étant ce qui nous donne <strong>de</strong>s mots pour par<strong>le</strong>rd’amour, <strong>de</strong> nos émotions. Donc lorsque l’on va sur <strong>de</strong>ssites qui proposent <strong>de</strong>s <strong>le</strong>ttres d’amour, <strong>de</strong>s messages<strong>de</strong> condoléances, qui permettent l’expression <strong>de</strong> l’affectvoire du pathos, on va aussi trouver une forme <strong>de</strong> poésie« socia<strong>le</strong> ». La poésie n’est alors ni plus ni moins réduiteau moulinet où el<strong>le</strong> perd son aura, comme tout art. Ily aura autant <strong>de</strong> réemploi <strong>de</strong> vers <strong>de</strong> Bau<strong>de</strong>laire, ou <strong>de</strong>Mallarmé, ou <strong>de</strong> Rimbaud sur fond <strong>de</strong>blog qu’il n’y en a <strong>de</strong> la Jocon<strong>de</strong> ou <strong>de</strong>s toi<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Monet.C’est global. Alors, il est sûr qu’il y a une usure, maiscette usure porte avant sur la force d’étonnement liéeà ces œuvres. Apparaissent <strong>de</strong>s ponts aux ânes, <strong>de</strong>sclichés, mais qui pour moi sont davantage propres à unfonctionnement social qu’à Internet. Je trouve qu’il y aune gran<strong>de</strong> corrélation entre <strong>le</strong> traitement cucu <strong>de</strong>la poésie et ce que l’on trouve ail<strong>le</strong>urs dans <strong>le</strong>s écrits,<strong>le</strong> papier, <strong>le</strong>s journaux intimes, etc. Tout ça doit êtreassez équiva<strong>le</strong>nt.Comment dès lors trouver un équilibre entrecette vulgarisation à outrance <strong>de</strong> la poésie et saconservation comme art « nob<strong>le</strong> » ?Je ne ressens pas vraiment ce déséquilibre. Peut-êtreque la réponse ne peut se trouver que dans la mise àdisposition du texte seul, sans commentaire érudit d’uncôté ni réemploi utilitaire à titre <strong>de</strong> citation ou commeillustration <strong>de</strong> façon plus généra<strong>le</strong>. Mais il faudraitdistinguer ici <strong>de</strong> ce qui relève <strong>de</strong> la diffusion d’auteursexistants et ce qui relève <strong>de</strong> ces sites et blogs en particulier.Ne peut-on alors réfléchir à la question d’unepédagogie poétique ? Internet peut-il y contribuer,et accroître la diffusion <strong>de</strong> la poésie en ce sens ?Je ne suis pas certain que ce soit la vocation d’Internet.Il y a <strong>de</strong>s effets <strong>de</strong> distorsion, <strong>de</strong> déformation et je nesais pas si Internet peut modifier la position qu’a lapoésie dans notre société. Si vous vou<strong>le</strong>z vous intéresserà la poésie dans <strong>le</strong>s stratégies d’Internet il faudra fairedu buzz. Mais qui doit prendre cela en charge pour cetensemb<strong>le</strong> ? Cela doit-il venir <strong>de</strong> la base ? Internet est unlieu où il est diffici<strong>le</strong> <strong>de</strong> mettre en place <strong>de</strong>s instances<strong>de</strong> légitimation professionnel<strong>le</strong>. Internet peut créer <strong>de</strong>sespaces <strong>de</strong> diffusion <strong>de</strong> cet ensemb<strong>le</strong>, il appartient ensuiteà la communauté <strong>de</strong>s internautes <strong>de</strong> s’en saisir, d’en faitquelque chose.Quel<strong>le</strong> inci<strong>de</strong>nce sur la production poétique et sadéfinition ?La production <strong>de</strong>meure pluriel<strong>le</strong>, la poésie <strong>de</strong>meurantune sorte d’archipel qui prend en compte l’ensemb<strong>le</strong><strong>de</strong>s œuvres contemporaines et antérieures à notre temps.Il est toujours diffici<strong>le</strong> <strong>de</strong> définir la poésie, mais sansdoute que l’un <strong>de</strong>s traits <strong>de</strong> notre époque au sens large,notamment avec l’urinoir <strong>de</strong> Duchamp où l’on ne saitplus très bien ce qu’est l’art, sinon ce que l’on veut bienappe<strong>le</strong>r « art », sans doute y a t il <strong>le</strong>s mêmes choses ducôté <strong>de</strong> la poésie. C’est notamment <strong>le</strong> cas <strong>de</strong> Roubaud quidans Poésie, ménage, etc, proposait <strong>de</strong> définir la poésie<strong>de</strong> façon très simp<strong>le</strong>. Deguy, par exemp<strong>le</strong>, explique quela poésie a inclus dans son fonctionnement un paradoxequi est que parfois el<strong>le</strong> doit se développer hors <strong>de</strong> lapoésie, hors <strong>de</strong> ce qui est appelé poésie par ce jeux <strong>de</strong>transformations. Je pense que ce fonctionnement est misen place <strong>de</strong>puis <strong>le</strong> XIX ème et sans doute précé<strong>de</strong>mment.Mais avec un regard distant on simplifie et on penseque <strong>le</strong>s choses étaient simp<strong>le</strong>s à l’époque. Mais iln’est pas plus faci<strong>le</strong> <strong>de</strong> dire ce qu’est strictement lapoésie comparée à d’autres genres, pas plus qu’il n’estfaci<strong>le</strong> <strong>de</strong> dire ce qu’est strictement <strong>le</strong> théâtre ou <strong>le</strong>roman. Aujourd’hui en tout cas on a une productionextrêmement active, diversifiée. Il suffit <strong>de</strong> se rendreau marché <strong>de</strong> la poésie place St Sulpice au printempspour s’en apercevoir, avec une variété formel<strong>le</strong> trèsimportante.La poésie engagée semb<strong>le</strong> aujourd’hui, en tout casen France, avoir disparu. Ne peut-on rêver au retour<strong>de</strong> révolutions en poésie, comme <strong>le</strong> permettraient <strong>le</strong>sréseaux sociaux ?On associe effectivement à la poésie comme genreparticulier un pouvoir <strong>de</strong> diffusion et <strong>de</strong> dénonciationdans la société important. On connaît <strong>le</strong>s poèmes <strong>de</strong>Hugo dans <strong>le</strong>squels il s’attaque à Napoléon <strong>le</strong> Petit,<strong>le</strong>s textes d’Aragon et d’Eluard dans la résistance, <strong>de</strong>Léopardi… Cette capacité là est associée à la très longuehistoire <strong>de</strong> la poésie. On ne connaît pas <strong>de</strong> culture danslaquel<strong>le</strong> il n’y ait pas <strong>de</strong> forme <strong>de</strong> poésie, ora<strong>le</strong> ou écrite.Mais l’on connaît <strong>de</strong>s cultures qui ne connaissent pasla prose, notamment lorsqu’ils ne connaissent pasl’écriture. La poésie est souvent associée à <strong>de</strong>s formesqui connaissent <strong>de</strong>s structures récurrentes, <strong>de</strong>s formes<strong>de</strong> répétition, qui font que lorsqu’il y a un échec ou uneperturbation dans la préservation du message que l’onva répéter, on va s’en rendre compte parce que, parexemp<strong>le</strong>, ça ne rime plus. La poésie contient ainsi unkit <strong>de</strong> vérification et éventuel<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> réparation <strong>de</strong>sa forme. La conséquence simp<strong>le</strong> est qu’el<strong>le</strong> s’apprendfaci<strong>le</strong>ment par cœur pour être utilisée comme unmédium d’archivage et, avant même d’être écriture,se voit un média utilisé par <strong>le</strong>s cultures pour transmettre<strong>de</strong>s messages verbaux. La poésie a cette fonction <strong>de</strong>préservation d’un message que l’on veut communiquer.Mais l’on attribue aussi à la poésie un pouvoir <strong>de</strong>contamination, ce que De<strong>le</strong>uze appelait ritournel<strong>le</strong>, avec<strong>le</strong>s structures que l’on peut associer à la poésie et surtout<strong>le</strong>s chansons, et la publicité qui se diffuse par <strong>de</strong>s formesrythmes, <strong>de</strong> vers pour <strong>le</strong> dire rapi<strong>de</strong>ment (forme qui dureen tête). La poésie pouvait donc ne pas s’écrire maisse transmettre, ce qui est important pour <strong>le</strong>s messagessubversifs. Aujourd’hui il est douteux que ce rô<strong>le</strong> <strong>de</strong>transmission soit assigné à la poésie. Il est sûr que <strong>le</strong>smédias comme Twitter vont beaucoup plus rapi<strong>de</strong>ment,d’autant que la poésie a cette contrainte qu’el<strong>le</strong> prenddu temps. Dans un mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> communication et <strong>de</strong>réponse immédiate, la poésie est donc peu présente.Ce mouvement là n’est au surplus pas récent et se posedéjà au moment <strong>de</strong> l’apparition <strong>de</strong> l’écriture, puis <strong>de</strong>l’imprimé, au moment <strong>de</strong> la diffusion <strong>de</strong> la presse…Et l’impression <strong>de</strong> clôture qu’a pu donner la poésieaprès Bau<strong>de</strong>laire et Mallarmé, quand ce <strong>de</strong>rnier dénonce« l’universel reportage », c’est aussi lié, peut-être, ausentiment que d’autres formes allaient prendre la relève<strong>de</strong> cet ensemb<strong>le</strong> et que l’avenir <strong>de</strong> la poésie, sa spécificitén’était pas dans ces questions. D’où la question <strong>de</strong>l’inutilité <strong>de</strong> la poésie, d’une certaine manière. Cetteinutilité est aussi cultivée sous forme <strong>de</strong> résistance àune trop faci<strong>le</strong> mise en consommation. Ce qui ne veutpas dire qu’il ne reste pas <strong>de</strong>s forme <strong>de</strong> résistance <strong>de</strong> lapoésie, comme Christian Prigent chez qui l’on trouve <strong>de</strong>spassages critiques sur la difficulté <strong>de</strong> chanter la beauté<strong>de</strong>s champs quand on <strong>le</strong>s sait remplis <strong>de</strong> purin. S’il ya une forme <strong>de</strong> résistance, d’engagement, beaucoup<strong>de</strong> poètes seraient d’accord je pense pour dire que cetengagement serait dans <strong>le</strong> maintien d’une difficulté<strong>de</strong> <strong>le</strong>cture. C’est-à-dire que la poésie <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> ses<strong>le</strong>cteurs un travail cognitif qui fait que cette résistancepeut semb<strong>le</strong>r inconciliab<strong>le</strong> avec un grand public ; maisce n’est pas récent. Valéry a une jolie formu<strong>le</strong> pourprésenter Charmes, dans <strong>le</strong>quel il fait par<strong>le</strong>r sa poésie, quiexplique qu’el<strong>le</strong> ne se donne pas faci<strong>le</strong>ment mais que,comme toute femme désirab<strong>le</strong> ce n’est pas qu’el<strong>le</strong> soitchaste mais qu’el<strong>le</strong> est entourée <strong>de</strong> nombreux vêtements.Il va donc falloir du temps pour tous <strong>le</strong>s ôter. Il y a dansla poésie <strong>de</strong>s structures qui font multiplier la polysémie,la <strong>de</strong>nsité, et c’est diffici<strong>le</strong> <strong>de</strong> prétendre avoir comprisun poème en une seu<strong>le</strong> <strong>le</strong>cture ou audition. Ce type <strong>de</strong><strong>le</strong>cture se retranche d’une communication reprise tropfaci<strong>le</strong>ment.Pourquoi avoir choisi, en tant qu’universitaire, <strong>de</strong>travail<strong>le</strong>r sur la poésie ?Pour sa difficulté. Je m’y suis intéressé en Maîtrise,en travaillant sur la poésie contemporaine. Je voulaiscomprendre pourquoi je ne comprenais pas. Mon travai<strong>le</strong>st <strong>de</strong> lire et <strong>de</strong> dire <strong>de</strong>s choses qu’on ne dit pas sur lapoésie, notamment sa capacité à rentrer en connexionavec toute une série <strong>de</strong> mutations. La poésie n’est pasdans une tour d’ivoire, c’est une écriture qui penseénormément, qui fait penser… et qui fait plaisir.Hugues Marchal est maître <strong>de</strong> conférence enlittérature française à l’Université Paris IIISorbonne-Nouvel<strong>le</strong>, docteur en littératurefrançaise (« Corpoèmes. L’inscription textuel<strong>le</strong>du corps dans la poésie en France auXX ème sièc<strong>le</strong> ») et agrégé <strong>de</strong> <strong>le</strong>ttres mo<strong>de</strong>rnes.33

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