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Québec : l’autre terre du français<br />

DOSSIER<br />

4 questions<br />

à Bernard Pivot<br />

Journaliste et auteur d’une quinzaine de livres, Bernard Pivot a animé<br />

de nombreuses émissions culturelles à la télévision, dont Apostrophes<br />

et Bouillon de culture. Il est président de l’académie Goncourt et a été<br />

fait chevalier de l’Ordre national du Québec pour « sa contribution au<br />

rayonnement des écrivains québécois en France ».<br />

Propos recueillis par Vincy Thomas ¬<br />

© Olga Besnard / Shutterstock<br />

RDM magazine : Quel est votre premier<br />

souvenir de langue québécoise dans<br />

votre émission Apostrophes ?<br />

Bernard Pivot : En 1981, quelques jours<br />

avant l’élection de François Mitterrand,<br />

j’avais proposé un Apostrophes dédié à<br />

la poésie. J’avais invité le Québécois<br />

Gaston Miron, auteur de L’homme rapaille.<br />

C’est l’un des plus beaux moments<br />

de l’émission, ça a été un événement. Je<br />

me souviens du trouble ressenti lorsqu’il<br />

a récité l’un de ses poèmes, debout,<br />

avec sa langue. Il se considérait comme<br />

humilié, militant d’une langue et d’une<br />

culture. C’était très émouvant de l’entendre<br />

évoquer la situation « coloniale »<br />

que subissait le Québec.<br />

RDM : Inviter un auteur québécois,<br />

c’était une manière de défendre la<br />

francophonie ?<br />

B. P. : La littérature francophone<br />

prouve la diversité et le dynamisme<br />

de la langue française. Je me reproche<br />

souvent de ne pas avoir reçu<br />

assez d’invités québécois mais aussi<br />

africains, antillais ou libanais. Ce sont<br />

des littératures auxquelles on ne porte<br />

pas assez d’attention, même si j’ai présenté<br />

de nombreuses émissions sur la<br />

littérature ou les écrivains québécois.<br />

J’avais à cœur de mettre en valeur les<br />

écrivains francophones mais aussi de<br />

montrer aux spectateurs français qu’il<br />

y avait une littérature venue d’Amérique<br />

du Nord, en français, qui est<br />

généreuse, talentueuse, active.<br />

RDM : Comment définiriez-vous la<br />

langue québécoise ?<br />

B. P. : Quand vous lisez Michel<br />

Tremblay, que j’ai reçu aussi dans les<br />

années 1980, il y a une spécificité, une<br />

couleur, des odeurs, des textures qui ne<br />

correspondent pas à la littérature française,<br />

qui est différente. On oublie que<br />

l’auteure acadienne Antonine Maillet,<br />

en 1979, a été la première écrivaine non<br />

européenne à recevoir le prix Goncourt<br />

pour Pélagie-la-Charrette. Aujourd’hui,<br />

cette langue est reconnue : Le Larousse<br />

comme Le Petit Robert introduisent<br />

chaque année quelques « québécismes<br />

». Les expressions ne sont pas<br />

les mêmes, mais cela reste du français.<br />

Leurs mots reflètent leurs conversations,<br />

leur façon d’être, de se mouvoir,<br />

de travailler.<br />

RDM : Parlant de québécisme, quel est<br />

votre préféré ?<br />

B. P. : Je suis béat d’admiration devant<br />

le mot « clavarder », ou encore « pitonner<br />

» (zapper en « français »). Cela<br />

prouve leur génie. Nous n’avons pas,<br />

en France, ce génie et cette volonté.<br />

Les Québécois ont le souci, dès<br />

qu’un mot anglo-saxon apparaît, de<br />

le traduire, de lui donner une couleur,<br />

un son francophone. C’est une forme<br />

de résistance : ils sont cernés par la<br />

langue anglaise. RdM<br />

N° 2 / 2015<br />

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