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DOSSIER<br />

LES BALKANS<br />

confessionnelle : des Albanais, musulmans ou catholiques,<br />

cohabitent avec des Bosniaques et des Gorans (slaves musulmans),<br />

des Roms, des Turcs, etc.<br />

Durant près de six siècles, les Balkans ont fait partie de l’Empire<br />

ottoman, une immense réalité géopolitique qui s’étendait<br />

jusqu’aux confins de la Perse et du Sahara. Dans ces Balkans<br />

ottomans, le multilinguisme était la règle : le slave ou l’albanais<br />

des paysans coexistaient avec le turc de l’administration<br />

et des élites urbaines, sans oublier l’arabe de la mosquée, le<br />

latin de l’Église catholique, le grec ou le slavon des Églises orthodoxes.<br />

Les communautés juives représentaient une pièce<br />

essentielle du tissu urbain, malheureusement quasi-anéantie<br />

lors de l’occupation nazie : ces juifs des Balkans s’étaient installés<br />

dans l’Empire ottoman après leur expulsion d’Espagne,<br />

en 1492, et parlaient, outre l’hébreu de la synagogue, le ladino,<br />

une forme vieillie du castillan, que quelques survivants<br />

pratiquent toujours à Sarajevo. Il faut encore mentionner les<br />

Roms mais aussi les marchands arméniens ou les Aroumains,<br />

un peuple semi-nomade parlant une langue d’origine latine…<br />

L’Empire ottoman ne reconnaissait pas de catégories « nationales<br />

», mais les différentes communautés religieuses,<br />

chrétiennes ou juives, avaient une existence légale reconnue,<br />

sous la « protection » du sultan. Les communautés confessionnelles,<br />

les millet, ont servi de cadres à l’affirmation des nationalismes<br />

modernes, à partir du XIX e siècle, et les nouveaux<br />

États qui ont émergé — la Serbie, la Grèce, puis la Bulgarie et<br />

enfin l’Albanie — ont tous voulu affirmer leur caractère mononational,<br />

ce qui a entraîné des phénomènes de « nettoyage<br />

ethnique » et d’intenses échanges de populations. Evliyya<br />

Çelebi, un voyageur turc du XVII e siècle, parle de Belgrade<br />

comme « la ville aux cent mosquées ». Il n’en reste plus qu’une<br />

seule aujourd’hui dans la capitale serbe, mais les guerres des<br />

XIX e et XX e siècles n’ont pas réussi à complètement éradiquer<br />

la mixité des langues, des confessions et des cultures.<br />

GUERRES ET NATIONALISMES<br />

Dès le XVI e siècle, l’Empire ottoman est entré en conflit avec<br />

la superpuissance européenne que représentait l’Empire des<br />

Habsbourgs. Le heurt des deux géants a provoqué un dévastateur<br />

mouvement de balancier qui a ravagé l’Europe médiane.<br />

Les Ottomans ont mis le siège devant Vienne en 1529 et en<br />

1683, tandis que les Autrichiens prenaient Belgrade et avançaient<br />

jusqu’au Kosovo quelques années plus tard, en 1690,<br />

avant de devoir refluer. Chaque passage des armées semait<br />

son lot de morts et de dévastations… À la fin du XVII e siècle,<br />

les régions septentrionales des actuelles Croatie (Slavonie) et<br />

Serbie (Voïvodine), ainsi que le Banat roumain, étaient définitivement<br />

arrimées aux possessions habsbourgeoises, mais<br />

ces régions ne formaient plus qu’un champ de ruines, presque<br />

vide d’hommes. Pour les repeupler, il a fallu faire appel à des<br />

colons agricoles venus de tout l’empire, depuis la Lorraine<br />

jusqu’aux confins ukrainiens.<br />

Petrovci est un petit village situé à une dizaine de kilomètres<br />

de Vukovar, dans le Srijem croate. La population du village se<br />

compose toujours principalement de Ruthènes et d’Ukrai-<br />

niens, arrivés au cours du XVIII e siècle. Ils ont conservé<br />

l’usage de leur langue et sont de confession gréco-catholique,<br />

ou « uniate », c’est-à-dire qu’ils pratiquent un rituel oriental,<br />

très proche de celui des orthodoxes, tout en étant « unis » à<br />

l’Église romaine. Durant les guerres yougoslaves de la fin du<br />

XX e siècle, Petrovci se trouvait dans le territoire contrôlé par<br />

les séparatistes de la « République serbe du Srem et de la Slavonie<br />

orientale ». Durant plus de deux siècles, Ruthènes et<br />

«<br />

Durant plus de deux siècles,<br />

Ruthènes et Ukrainiens avaient<br />

vécu en parfaite intelligence avec<br />

leurs voisins croates et serbes,<br />

mais ces ultimes guerres ont laissé<br />

de terribles cicatrices »<br />

Ukrainiens avaient vécu en parfaite intelligence avec leurs voisins<br />

croates et serbes, mais ces ultimes guerres ont laissé de<br />

terribles cicatrices : certains Ruthènes et Ukrainiens ont rallié<br />

le camp croate tandis que d’autres ont été mobilisés dans<br />

les forces séparatistes serbes. Entre Ruthènes et Ukrainiens<br />

pro-croates ou pro-serbes, les tensions sont toujours vives :<br />

tel a trop souvent été le destin des petits peuples des Balkans,<br />

broyés dans le heurt entre les grands nationalismes.<br />

DES FRONTIÈRES ARBITRAIRES<br />

Nulle part en Europe les frontières des États ne correspondent<br />

à celles des peuples ou des langues. Les frontières ne sont jamais<br />

naturelles, car elles ne s’appuient qu’exceptionnellement<br />

sur des éléments du relief, comme les fleuves ou les montagnes.<br />

Elles sont le produit de l’Histoire, plaçant d’importantes<br />

communautés en position de minorités dans les divers<br />

États, ce qui peut toujours alimenter les rancœurs et les frustrations<br />

nationalistes. RdM<br />

POUR ALLER PLUS LOIN<br />

Jean-Arnault Dérens et Laurent Geslin,<br />

Comprendre les Balkans.<br />

Histoire, sociétés, perspectives, Paris,<br />

Non Lieu, nouvelle édition, 2013.<br />

42 N° 2 / 2015

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