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Juliana Léveillé-Trudel nous parle des relations qui se tissent entre les gens,<br />

principalement des non-dits qui circulent entre eux et font parfois autant<br />

de mal que de bien. Écrit avec des phrases qui fouettent comme le vent du<br />

Nord, ce roman met aussi de l’avant la force animale qui vit dans chaque<br />

être humain et qui semble se libérer, plus on avance dans le continent. Et,<br />

bien sûr, il y a aussi ces portraits d’enfants qui possèdent l’audace de leurs<br />

ancêtres : « Les enfants galopent dans le village toute la nuit, ils font des<br />

jeux d’enfant et des fois non, ils volent de l’essence dans les cabanons et<br />

arrosent ce qu’ils trouvent pour y mettre le feu, ils ajoutent de l’essence pour<br />

que ça flambe encore, et quand il n’y en a plus, ils retournent en chercher<br />

chez quelqu’un d’autre. Des fois je pense qu’ils vont vraiment mettre le feu<br />

à quelque chose de gros, quelque chose comme une maison, des fois je<br />

pense qu’ils vont se brûler, qu’ils vont se détruire, mais ils marchent depuis<br />

tellement longtemps sur la ligne à ne jamais franchir, ils narguent la mort<br />

avec tellement d’irrévérence qu’ils sont intouchables. »<br />

Médecine et beautés boréales<br />

Dans Nord Alice de Marc Séguin, c’est une vision masculine qui s’impose,<br />

comme la seconde partie du diptyque entamé par Geneviève Drolet et<br />

Juliana Léveillé-Trudel. Comme elles, il a séjourné à plusieurs reprises dans<br />

le Nord. Pour écrire son roman, pour son plaisir personnel et aussi pour le<br />

tournage de son film (Stealing Alice, sortie prévue en 2016). C’est ainsi qu’il<br />

nous fait découvrir le Nord, perçu par le regard d’un narrateur qui s’attarde<br />

sur le son en écho de la rivière forte, sur le bruit des glaciers qui craquent<br />

(« Des glaces millénaires qui flottent et meurent, portées par la mer, vers<br />

le sud. Des éternités qui fondent »), sur ce brouillard qui dicte le chemin<br />

à prendre, qui impose son rythme aux habitants du blanc continent. « La<br />

neige a fondu dans la toundra. Les cours d’eau sont maintenant gonflés. Les<br />

icebergs dérivent sur des courants qu’on ne verrait sans eux. Montagnes de<br />

glace mouvantes plus spectaculaires encore que les aurores boréales. Les<br />

aurores, c’est pour les touristes, elles finissent en images lustrées dans les<br />

livres vendus au Sud. Les icebergs, il faut les voir pour les comprendre. Des<br />

masses blanches, immaculées, détachées de la banquise ou du continent,<br />

qui flottent et voguent doucement vers un Sud qu’elles n’atteindront jamais. »<br />

C’est également dans ce roman que les amateurs de pêche se régaleront des<br />

descriptions de rivières foisonnantes, que les amateurs d’aventures liront des<br />

combats d’ours polaires qui imposent leur puissance.<br />

Ce que Séguin fait habilement et harmonieusement? Démontrer toute<br />

l’aridité de l’humanité, en fouillant ardemment les conditions difficiles<br />

auxquelles l’homme a toujours dû faire face : les sentiments, les choix,<br />

le climat. Et il le fait en faisant explorer à son personnage, un médecin<br />

québécois, trois pans distincts : une histoire d’amour avec une Inuite, la vie<br />

de médecin dans le Nord et le récit de ses ancêtres qui ont été défricheurs<br />

et chercheurs d’or. Que ce soit dans les conditions glaciales et difficiles<br />

du Nord, sur les terres à défricher ou encore dans cet espace si difficile à<br />

partager qu’est l’intimité du cœur, tout positionne constamment l’humain<br />

en mode de survie, un mode auquel il ne peut échapper, peu importe le<br />

territoire, peu importe le peuple, peu importe qui il est. « On est en face<br />

d’une beauté grandiose. Profonde. On prend la mesure de nos failles. »<br />

Voilà l’idée globale qui se dégage du magnifique Nord Alice.<br />

Jean Désy, un médecin, un autre amoureux de la pêche dans le Nord, bien<br />

connu du milieu littéraire en raison de ses talents de poète, fait appel à ses<br />

expériences dans L’accoucheur en cuissardes. « Le fait de vagabonder dans<br />

la toundra pour pêcher l’omble arctique tout en restant utile aux Inuits<br />

me donne du courage. » C’est en puisant dans ses quarante ans comme<br />

médecin dans le Nord (mais aussi sur la Côte-Nord et à la Baie-James) qu’il<br />

offre quarante récits aussi vrais qu’humains, des récits où il faut parfois<br />

risquer sa propre vie pour en sauver une autre. Une belle réflexion non<br />

pas sur ce que devrait être la médecine, mais sur tout ce que chaque être<br />

humain devrait faire pour son prochain. Dans le prologue d’un autre de<br />

ses ouvrages, Isuma, anthologie de poésie nordique, le poète explique : « Je<br />

ne me doutais pas que j’aimerais le Grand Nord au point d’en pleurer, au<br />

point de vouloir le traverser de part en part, à pied, en canot, en motoneige<br />

ou en ski de fond, au point de le chanter, assis sur une pierre plate devant<br />

la rivière Povungnituk, ému à l’os par la danse d’une aurore boréale verte<br />

et bleue, qui emplissait tout le ciel, au point d’avoir envie d’écrire, écrire<br />

comme jamais je n’avais écrit. »<br />

Oui, les beautés et les cruautés du Nord font de ce vaste territoire un<br />

nouvel exotisme à explorer, à commencer par les portraits que nous en<br />

dressent ces gens du Sud que sont nos auteurs québécois de talent.<br />

Le Nord, sur les eaux<br />

Il y a des résidences d’écriture parfois plus exotiques que d’autres.<br />

Celle qu’a vécue Kathleen Winter remporte probablement la palme<br />

de l’originalité : deux semaines à bord d’un bateau russe, direction<br />

passage du Nord-Ouest. Ce « chenal de légende », comme elle<br />

l’appelle, fut donc le moteur de sa création pour l’écriture de Nord<br />

infini, à la fois journal de bord de son périple et récit personnel sur<br />

ses intimes contrées, ses origines (elle est née à Terre-Neuve, mais<br />

son père, en Angleterre). Dans cet ouvrage intéressant, l’auteure a<br />

certes une vision en accéléré du blanc territoire, n’y séjournant que<br />

quelques jours et voguant plutôt longuement sur les eaux glaciales qui entourent ces<br />

étendues de beauté, mais cela ne l’empêche pas de soutenir de nombreux propos<br />

pertinents tels que : « Pourquoi personne d’autre que les Inuits ne comprenait-il que<br />

le lieu de naissance de chaque individu est sacré, nourricier, irremplaçable? ». Un récit<br />

riche en découvertes, autant intérieures que géographiques.<br />

Le Nunavik en photos<br />

Bien que nos auteurs<br />

québécois possèdent une<br />

plume exemplaire, parfois,<br />

une image vaut mille<br />

mots. Dans le magnifique<br />

livre À la découverte du<br />

Nunavik (GID), les lecteurs<br />

découvriront les lieux et<br />

éléments décrits dans les romans présentés, captés par<br />

l’œil d’un photographe de talent, Gilles Boutin : l’aéroport,<br />

le ciel aux aurores boréales, le centre communautaire, les<br />

banquises, le fort blizzard, la faune maritime et terrestre,<br />

etc. Le complément de lecture idéal, pour ceux qui veulent<br />

confronter les romans à la réalité.<br />

LES LIBRAIRES • FÉVRIER-MARS 2016 • 41

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