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MEME PAS PEUR Numéro 6

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10 / Même pas peur N o 6 / MARS 2016<br />

« Au fond, le discours des néoréactionnaires (Zemmour, Finkielkraut, Houellebecq...) n’est guère qu’une sophistication de propos de café du commerce,<br />

une esthétisation de la rubrique des faits divers.»<br />

(Le discours néoréactionnaire. Transgression conservatrice; Pascal Durant & Sarah Sindaco; CNRS Editions)<br />

Charité,<br />

Barnum médiatique et critique…<br />

Meursault<br />

Le problème de la charité vient de « sa »,<br />

pardon, de « ses » définitions mêmes.<br />

« Charité » est un mot déshydraté : tout<br />

petit, tout rabougri, il s’épand, se dilate<br />

si on sue un peu dessus. Dès l’origine il<br />

signifie à la fois « tendresse, amour» et<br />

« cherté », ce dernier entendu dans le sens<br />

cher au cœur, certes, mais cher aussi au<br />

portefeuille. Dans sa récupération chrétienne<br />

les deux sens s’y côtoient derechef<br />

(je ne sais pas quel est l’abruti classique<br />

qui a inventé ce mot, « derechef », mais il<br />

a posé là un des cacas lexicaux les plus<br />

indémodablement dégueulasses de la<br />

langue française… vous comprendrez<br />

dès lors le plaisir pervers que j’ai à l’utiliser.<br />

Bref ! Trêve de billevesées !). De<br />

l’amour de dieu pour les hommes, puis<br />

des hommes pour dieu, puis encore des<br />

hommes entre eux et enfin des hommes<br />

pour les plus pauvres d’entre eux, de<br />

cette gigantesque partouze céleste et<br />

spirituelle chère à tous les batraciens de<br />

fonts baptismaux, de la Charité donc,<br />

puisque c’est bien de cela qu’il s’agit, s’éjacule<br />

le sens usuel et courant depuis le bas<br />

Moyen âge jusqu’à aujourd’hui de « don »<br />

ou d’« aumône ». De l’amour au portefeuille,<br />

la Charité offre dans son étymologie<br />

même, je ne sais pas si vous le voyez,<br />

non seulement un bon potentiel comique<br />

mais aussi un sacré réservoir à hypocrisie<br />

propre à abreuver généreusement les<br />

bonnes consciences de toutes époques.<br />

Lorsque la Charité sert alors de moteur<br />

premier à une ribambelle de cirques<br />

médiatiques bien contemporains, eux,<br />

votre serviteur animé par un mauvais<br />

esprit assumé ronronne déjà de plaisir<br />

à l’idée des horreurs propices à choquer<br />

le bourgeois dont il pourrait se rendre<br />

coupable. Mais je ne céderai pas à la<br />

facilité à laquelle m’acculent les éditeurs<br />

de la publication que tu tiens entre tes<br />

mains délicates, Ô lecteur ! Non ! Parce<br />

qu’on ne critique pas la Charité mon bon<br />

môssieur ! Ni la Charité, ni les formes<br />

obscènes qu’elle peut prendre dans nos<br />

sociétés médiatico-trou-du-cutales. Trois<br />

cons standards enfermés dans un cube<br />

de verre chantent, rigolent, bafouillent<br />

pendant six jours et six nuits et, attention<br />

détail qui tue, sans rien manger de solide,<br />

et tout ça au « profit » de qui ? Des enfants<br />

pauvres, tout en sachant que l’enfance<br />

s’arrête à six ans révolus et qu’après il<br />

serait de bon ton d’aller bosser avec les<br />

vieux, les handicapés et les malades de<br />

longue durée. Non ! On ne critique pas<br />

la Charité, on ne remet pas en cause ma<br />

générosité de cœur, et de devise donc<br />

(voir supra), parce que ça prend du temps<br />

et que je dois le consacrer à vilipender les<br />

impôts, ricaner à la disparition des allocations<br />

d’insertion, hurler à la gabegie<br />

de la sécurité sociale qui, elle, concoure<br />

vraiment et pratiquement à tenir à l’écart<br />

la pauvreté, et pas seulement celle des<br />

moins des six ans. Vous aurez remarqué<br />

avec quelle aisance je suis passé de<br />

la forme au fond car, sur le fond, se pose<br />

aussi la question du rapport de la Charité<br />

à la justice. Tout bien pesé, la Charité se<br />

réduit aujourd’hui à appliquer du mercurochrome<br />

sur une jambe de bois laissée<br />

par un manque de justice évident. Sur le<br />

plan des principes, et à l’instar d’un Gide,<br />

on peut penser que la charité, dans son<br />

acception la plus large et la plus noble<br />

qui la rapproche de la philanthropie, et la<br />

justice se nourrissent l’une l’autre, qu’une<br />

justice sans charité est sèche de cœur<br />

et qu’une charité sans justice cache les<br />

dysfonctionnements systémiques d’une<br />

société. De nos jours, nous sommes forcés<br />

de reconnaître que la justice est devenue<br />

bien relative et la charité le lieu où l’on<br />

s’achète une bonne conscience à peu de<br />

frais si on la compare à une réelle justice<br />

redistributive.<br />

On ne critique pas la charité. À l’heure<br />

de la critique généralisée et des théories<br />

du complot où tout le monde y va de sa<br />

petite opinion ramollie, cette assertion<br />

pourrait presque paraître rafraîchissante.<br />

Élevés à l’esprit critique, nous nous dandinons<br />

nonchalamment. L’ère d’internet<br />

et des commentaires vibrant d’incompétence<br />

et de non-pertinence, à ne pas<br />

confondre avec l’impertinence, est devenue<br />

une gigantesque cacophonie numérique.<br />

Il nous faut cependant continuer à<br />

défendre l’esprit critique c’est-à-dire cette<br />

faculté de juger, de discerner, dans cette<br />

soupe d’inculture qui nous pleut dessus à<br />

gros bouillons, les mérites et les défauts.<br />

Critiquons donc ! Mais en dehors des<br />

clous institutionnels, en dehors du cadre.<br />

Fustiger l’État-providence ? Pourquoi<br />

pas ? Mais questionnons aussi, alors, le<br />

sacro-saint lien qui unit travail et salaire,<br />

par exemple. Veillons aussi dans cet exercice<br />

parfois périlleux de la critique à rester<br />

en contact avec la rationalité, avec les<br />

faits, sinon, comme dit plus haut, nous<br />

risquons de tomber dans les théories du<br />

complot. Et c’est le bruit qui revient, le<br />

bruit qui est, in fine, un moyen bien commode<br />

de réduire le monde au silence.

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