16 / Même pas peur N o 6 / MARS 2016 Cancer Patrick Boutin Filmés vingt-quatre heures sur vingt-quatre par les caméras du Château, les concurrents du célèbre show télé « Métastase Academy » vivaient les derniers instants de leur cancer du foie, de la langue ou de la prostate, en direct devant les téléspectateurs qui pouvaient, en votant par téléphone, sauver leur candidat en phase terminale préféré, puis chacun des deux finalistes survivants, l’une cancer du sein, l’autre du colon, devait subir, au terme d’émissions quotidiennes ponctuées par des séances de chimio sur un pied, à saute-mouton, en faisant le poirier, sous la direction experte de Camel Ouali, le spécialiste du cancer du poumon, l’épreuve du séquençage à haut débit du volume de leurs cellules, la plus belle carte génomique de tumeur était ensuite sélectionnée par un jury présidé par Marina Vlady, et le vainqueur se voyait enfin récompensé par une maladie d’Alzheimer, offerte par la chaîne afin d’oublier les tarifs exorbitants pratiqués par son oncologue.
ils causent entretien sans tabou avec Denis Robert, auteur d’un pamphlet anti-Charlie. Propos recueillis Par Manuel Abramowicz Pour Denis Robert, Charlie Hebdo, c’est le Canada dry de la presse bête et méchante ! Journaliste d’investigation français bien connu, Denis Robert est à la base des révélations qui ont ébranlé Claerstream, cette société de la haute finance internationale, aux liens sulfureux avec le monde politique et des entreprises multinationales qui lanceront contre le reporter une armada judiciaire pour l’écraser comme une mouche. Il tiendra bon. Et finira par gagner, au bout de dix années de lutte acharnée devant la justice, tel un David reporter contre un Goliath à l’influence tentaculaire, comme l’a relaté, l’année dernière au cinéma, le film « L’enquête » avec Gilles Lellouche et Charles Berling. Déjà auteur d’une vingtaine d’ouvrages, Denis Robert a publié tout récemment un énième livre : « Mohicans. Connaissezvous Charlie ? » (Julliard). Ce récit est le résultat d’une enquête fouillée dans les coulisses méconnues par le grand public, du journal satirique le plus célèbre du monde, depuis le massacre de sa rédaction le 7 janvier 2015. Le point de départ de ce nouveau bouquin : l’histoire d’Hara-Kiri propulsé, au début des années 60, par Cavanna et le professeur Choron, deux libertaires fondateurs d’une presse satirique anti-système de grande ampleur. Dans une France où la censure était toujours appliquée par le pouvoir. Pour un entretien, Même Pas Peur a pris contact avec Denis Robert qui lui a répond du tac au tac sur ce qu’est devenu Charlie, selon lui ! Comment a été accueillie la sortie de « Mohicans » ? Il a été frappé d’un black-out d’une partie de la presse. Pourquoi ? Bien par le public et les aficionados. Mal par la presse. Gros bordel sur le net et les réseaux sociaux en raison justement du black-out de la presse dominante. Je ne m’attendais pas à ce silence radio sur les ondes, à la télévision et dans les journaux. Mes détracteurs ont été très forts. Les journalistes très paresseux et très couards. Beaucoup plus que je ne l’imaginais. Qui sont vos détracteurs ? Depuis la sortie du livre, je suis un peu fatigué de les nommer. Mais bon… C’est un trio. Le premier de celui-ci est Philippe Val, l’ancien boss de Charlie Hebdo qui est devenu, sous Sarkozy, le patron de France Inter, grâce à son asservissement au pouvoir sarkozyste. Ensuite, son ami et avocat Richard Malka qui a été très fort pour faire du journal un outil dévoué, non pas à la liberté de la presse, mais à des causes disons « droitières ». C’est grâce à Malka que Val a réussi à récupérer, devant les tribunaux, le titre « Charlie Hebdo » qui appartenait à l’origine à Choron et Cavanna. Ses principaux fondateurs. Et le troisième ? C’est une femme : leur communicante - et amie - Anne Hommel qui a des relations très suivies avec les patrons de presse, les patrons tout court. Elle s’est chargée des « plans com » de DSK, de Cahuzac, du dictateur africain Omar Bongo, de Canal+ et maintenant de Charlie. C’est incongru mais c’est ainsi. Ces trois-là ont été très actifs dans les médias pour créer de la mauvaise rumeur autour de mon livre. Pour ma part, j’ai été très léger par rapport à leur stratégie. Mais au fond, je m’en fous. J’écris des livres. Et ensuite, les livres se débrouillent. Justement, votre livre pourrait être considéré comme une riposte aux attaques contre vous, au moment de l’affaire Clearstream, il y a plus de dix ans, lancées par Philippe Val et Richard Malka, également avocat de cette société financière. Est-ce le cas ? Pas du tout, mais alors, pas du tout, du tout ! Votre question m’a été posée souvent. Et c’est la preuve de l’efficacité des communicants d’en face. Mon livre a été mûri, pensé, écrit en vertu de mon seul lien antérieur avec Cavanna. C’est mon point de départ. La vérité de cet homme à quelques centimètres de mourir. Je faisais un film avec lui. Je l’ai vu souvent. Il est mort avant que je termine ce travail. Quand l’échéance ultime est là, on ne ment pas. Et Cavanna était à quelques encablures du grand saut, écœuré par la manière dont des types l’avaient volé, un peu comme on vole un sac au coin d’un bois quand la nuit tombe. J’ai été le témoin de ce désespoir. Après, j’avais deux solutions : me taire sous prétexte que je connaissais ces types ou que j’en avais marre des embrouilles. Ou y aller. J’ai choisi la seconde solution. Comment expliquez-vous la « dérive », sous l’ère Val, de Charlie Heddo, pourtant héritier naturel d’Hara-Kiri, qui voulait foutre le bordel dans une France rigide et conservatrice, sous la houlette – la moulinette - d’un autoritarisme gaulliste ? Vous avez la réponse dans votre question. Sous l’ère Val… Ce bonhomme, aidé par quelques-uns qui ont tous trouvé un intérêt à l’aider, a réussi son OPA. Il a fait de Charlie n’importe quoi. Son objet. Son outil. Son marche pied. Et la plupart des dessinateurs et chroniqueurs, parce que c’était leur gagnepain, ont suivi. Le journal n’avait plus grand chose à voir avec Hara Kiri ou Charlie Hebdo époque De Gaulle. Le rire était vraiment la clé de tout alors. Le rire et la liberté. Charlie Hebdo était devenu le Canada dry de la presse bête et méchante. Il était en train de mourir en décembre 2014. Il passe soudain, en janvier, de trente mille ventes à huit millions. Entre temps, il s’est passé une bricole qui a fait douze morts. Sans l’attentat, c’était Charlie qui mourait. Dans les deux cas, ce journal était mort. C’est de cela qu’hérite l’équipe d’aujourd’hui. C’est cela que Riss le patron majoritaire et Portheault le comptable second actionnaire ont hérité. Aujourd’hui on est ailleurs. On est dans une histoire qui les dépasse, qui nous dépasse. Mais plus rien à voir avec l’aventure originelle. Malgré les conclusions de votre récit acide sur Charlie Hebdo, le considérez-vous toujours comme un journal satirique ? Non. C’était déjà autre chose avant. Mais ça ne veut pas dire qu’il doit disparaître. On peut ne pas être drôle et vivre quand même. Y compris comme journal. Après tout c’est leur problème, leur confiture et leur déconfiture. Les « Je ne suis pas Charlie » les plus hostiles affirment que des dessins récemment publiés ne peuvent plus être justifiés par le droit à la liberté d’expression, mais comme étant carrément des caricatures racistes. Partagezvous cette critique ? C’est compliqué. Le dernier dessin de Riss sur le petit Aylan, on peut le prendre comme on veut. On peut essayer de sauver Riss. C’est inutile. C’est un dessin raciste. Ça ne lui ressemble pourtant pas. C’est un moment d’égarement. C’est tout le problème de Riss. Il n’a pas de réel rédacteur en chef. Il n’a pas de directeur de publication. Son dessin était à foutre à la poubelle. L’esprit satirique d’antan d’Hara-kiri et de Charlie existet-il toujours de nos jours ? Dans les pages de Siné Mensuel, lancé en 2008, par exemple ? Cet humour a fait des petits, ils se reconnaîtront. Charlie, tu commences à nous faire chier ! Jean-Philippe Querton Quand Denis Robert estime que Riss aurait dû foutre le fameux dessin polémique à la poubelle, je me demande s’il pense que Choron et Cavanna auraient partagé son avis. J’en doute. Pourtant, Mohicans, c’est un long panégyrique à la gloire de ces deux sales gosses, les inventeurs de la presse impertinente en France, tandis que les autres protagonistes entrent dans la catégorie des tous pourris: Val et Malka, là, tout le monde est d’accord (sauf Caroline Fourest), mais aussi Cabu (qu’est-ce qu’il s’est fait comme pognon, lui, grâce à Charlie), Charb, Riss, Maris et l’essentiel de l’équipe décimée en janvier 2015 par les barbus flingueurs. Dans son bouquin, Denis Robert raconte la gloire et les déboires de la bande à Charlie et Hara-Kiri. En 1982, interpellé par un juge qui estime que Choron et compagnie poussent le bouchon un peu loin, notamment quand ils se moquent des enfants morts calcinés dans un accident d’autocar, le professeur rétorque : « Ils nous ont condamnés pour offense à la douleur. Est-ce que j’empêche les voisins de regarder un film rigolo à la télé chaque fois que je suis en deuil, moi ? » 1 Peut-on donner tort à Choron ? Estce qu’il faut jeter l’opprobre - voire une fatwa - sur 1 Mohicans, Denis Robert, Julliard, page 91. MARS 2016 / Même pas peur N o 6 / 17 son voisin parce qu’il se marre en rega rda nt les DVD des Taloche, alors que vous, ce qui vous fait marrer, c’est plutôt Stéphane Guillon ou Christophe Alévêque. Parce qu’on en est là, on ne peut plus rire, surtout pas de morts, ni des migrants, encore moins de Mahomet, au risque d’être jugé (ou injurié) sur ce qui nous fait marrer ! Alors, désolé, m’sieur Robert. Votre livre est un long plaidoyer richement argumenté qui nous fait mesurer que les journalistes et les dessinateurs de Charlie passaient bien plus de temps à chercher à s’enrichir qu’à défendre les causes qui avaient présidé au lancement de ces journaux irrévérencieux. On en a la nausée à certains moments. Mais jusqu’au bout, et quoi que l’on pense de la personne, je défendrai le droit de Riss à dessiner le petit Aylan devenu harceleur, parce que si vous trouvez cela de mauvais goût, rejoignant en cela une majorité de la presse et de la population qui attend que Charlie meure une fois de plus, cela relève de l’opinion personnelle et du libre-arbitre de juger ce qui est insolent, impertinent, excessif et même de mauvais goût. Laissez-nous la liberté de nous marrer comme on en a envie. Vous-même citez Laclavetine qui évoque le licenciement de Siné par Val 2 : « … nous avons besoin, un besoin vital, des outrances et des gueulantes d’un Siné. Souvenez-vous des couvertures qu’osaient publier il y a vingt ans Charlie Hebdo et Hara-Kiri et comparez avec ce qui se publie aujourd’hui : le chemin parcouru est atterrant. La vérité nous est assénée jour après jour par une armée de journalistes conformes et de penseurs autorisés qui nous débitent leurs discours identiques. Où est la presse libre ? Où est l’opposition ? (…) La police du langage surveille chacune de nos phrases. (…) Ouvrez ! On étouffe, ici ! » Il a raison, on a besoin d’air… 2 Pages 246 et 247 ils causent L’association « Même pas peur » a été initiée par Cactus Inébranlable Éditions (www.cactusinebranlableeditions.e-monsite.com) et Les Éditions du Basson (www.editionsdubasson.com) Comité de rédaction Manuel Abramowicz, Styvie Bourgeois, Thomas Burion, André Clette, Sylvie Kwaschin, Jean-Philippe Querton, Théo Poelaert, Jacques Sondron, Etienne Vanden Dooren Contact presse Manuel Abramowicz Mise en page E.V. Contributeurs dessins Al (Alain Dauchot), Thomas Burion, Carbo (Bruno Carbonnelle), Yvan Carreyn, André Clette, Crappe, Philippe Decressac, Serge Delescaille, Slobodan Diantalvic, Jacques Flamme, GF, Kanar, Livingstone, Mickomix (Mickaël Serré), Rafagé, Jacques Sondron, Sticki, Yakana Contributeurs textes Manuel Abramowicz, Patrick Boutin, André Clette, Éric Dejaeger, Benoit Doumont, Sylvie Kwaschin, Dr Lichic, Xavier Löwenthal et Laurent d’Ursel, Meursault, Mickomix, Jean-Philippe Querton, Sokolov, Etienne Vanden Dooren, Dominique Watrin. Un grand merci à tous les contributeurs à qui nous n’avons pas pu offrir un espace dans ce numéro 6 de Même pas peur ! Le site : http://www.memepaspeur-lejournal.net N° de compte BE28 0017 5410 1520