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MEME PAS PEUR Numéro 6

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ils causent<br />

entretien sans tabou avec Denis Robert, auteur d’un pamphlet anti-Charlie. Propos recueillis Par Manuel Abramowicz<br />

Pour Denis Robert, Charlie Hebdo,<br />

c’est le Canada dry de la presse bête et méchante !<br />

Journaliste d’investigation français bien<br />

connu, Denis Robert est à la base des révélations<br />

qui ont ébranlé Claerstream, cette<br />

société de la haute finance internationale,<br />

aux liens sulfureux avec le monde politique<br />

et des entreprises multinationales qui lanceront<br />

contre le reporter une armada judiciaire<br />

pour l’écraser comme une mouche. Il<br />

tiendra bon. Et finira par gagner, au bout<br />

de dix années de lutte acharnée devant la<br />

justice, tel un David reporter contre un<br />

Goliath à l’influence tentaculaire, comme<br />

l’a relaté, l’année dernière au cinéma, le<br />

film « L’enquête » avec Gilles Lellouche et<br />

Charles Berling.<br />

Déjà auteur d’une vingtaine d’ouvrages,<br />

Denis Robert a publié tout récemment un<br />

énième livre : « Mohicans. Connaissezvous<br />

Charlie ? » (Julliard). Ce récit est le<br />

résultat d’une enquête fouillée dans les coulisses<br />

méconnues par le grand public, du<br />

journal satirique le plus célèbre du monde,<br />

depuis le massacre de sa rédaction le 7 janvier<br />

2015. Le point de départ de ce nouveau<br />

bouquin : l’histoire d’Hara-Kiri propulsé,<br />

au début des années 60, par Cavanna et le<br />

professeur Choron, deux libertaires fondateurs<br />

d’une presse satirique anti-système de<br />

grande ampleur. Dans une France où la censure<br />

était toujours appliquée par le pouvoir.<br />

Pour un entretien, Même Pas Peur a pris<br />

contact avec Denis Robert qui lui a répond<br />

du tac au tac sur ce qu’est devenu Charlie,<br />

selon lui !<br />

Comment a été accueillie la<br />

sortie de « Mohicans » ? Il a été<br />

frappé d’un black-out d’une<br />

partie de la presse. Pourquoi ?<br />

Bien par le public et les aficionados. Mal<br />

par la presse. Gros bordel sur le net et<br />

les réseaux sociaux en raison justement<br />

du black-out de la presse dominante.<br />

Je ne m’attendais pas à ce silence radio<br />

sur les ondes, à la télévision et dans les<br />

journaux.<br />

Mes détracteurs ont été très forts.<br />

Les journalistes très paresseux et<br />

très couards. Beaucoup plus que je ne<br />

l’imaginais.<br />

Qui sont vos détracteurs ?<br />

Depuis la sortie du livre, je suis un peu<br />

fatigué de les nommer. Mais bon…<br />

C’est un trio. Le premier de celui-ci est<br />

Philippe Val, l’ancien boss de Charlie<br />

Hebdo qui est devenu, sous Sarkozy,<br />

le patron de France Inter, grâce à son<br />

asservissement au pouvoir sarkozyste.<br />

Ensuite, son ami et avocat Richard<br />

Malka qui a été très fort pour faire du<br />

journal un outil dévoué, non pas à la<br />

liberté de la presse, mais à des causes<br />

disons « droitières ». C’est grâce à Malka<br />

que Val a réussi à récupérer, devant les<br />

tribunaux, le titre « Charlie Hebdo »<br />

qui appartenait à l’origine à Choron et<br />

Cavanna. Ses principaux fondateurs.<br />

Et le troisième ?<br />

C’est une femme : leur communicante<br />

- et amie - Anne Hommel qui a des relations<br />

très suivies avec les patrons de<br />

presse, les patrons tout court. Elle s’est<br />

chargée des « plans com » de DSK, de<br />

Cahuzac, du dictateur africain Omar<br />

Bongo, de Canal+ et maintenant de<br />

Charlie. C’est incongru mais c’est ainsi.<br />

Ces trois-là ont été très actifs dans<br />

les médias pour créer de la mauvaise<br />

rumeur autour de mon livre. Pour ma<br />

part, j’ai été très léger par rapport à leur<br />

stratégie. Mais au fond, je m’en fous.<br />

J’écris des livres. Et ensuite, les livres se<br />

débrouillent.<br />

Justement, votre livre pourrait<br />

être considéré comme une<br />

riposte aux attaques contre<br />

vous, au moment de l’affaire<br />

Clearstream, il y a plus de dix<br />

ans, lancées par Philippe Val<br />

et Richard Malka, également<br />

avocat de cette société<br />

financière. Est-ce le cas ?<br />

Pas du tout, mais alors, pas du tout, du<br />

tout ! Votre question m’a été posée souvent.<br />

Et c’est la preuve de l’efficacité des<br />

communicants d’en face. Mon livre a été<br />

mûri, pensé, écrit en vertu de mon seul<br />

lien antérieur avec Cavanna. C’est mon<br />

point de départ. La vérité de cet homme<br />

à quelques centimètres de mourir. Je faisais<br />

un film avec lui. Je l’ai vu souvent. Il<br />

est mort avant que je termine ce travail.<br />

Quand l’échéance ultime est là, on ne<br />

ment pas. Et Cavanna était à quelques<br />

encablures du grand saut, écœuré par<br />

la manière dont des types l’avaient volé,<br />

un peu comme on vole un sac au coin<br />

d’un bois quand la nuit tombe. J’ai été<br />

le témoin de ce désespoir. Après, j’avais<br />

deux solutions : me taire sous prétexte<br />

que je connaissais ces types ou que j’en<br />

avais marre des embrouilles. Ou y aller.<br />

J’ai choisi la seconde solution.<br />

Comment expliquez-vous<br />

la « dérive », sous l’ère Val,<br />

de Charlie Heddo, pourtant<br />

héritier naturel d’Hara-Kiri,<br />

qui voulait foutre le bordel<br />

dans une France rigide<br />

et conservatrice, sous la<br />

houlette – la moulinette - d’un<br />

autoritarisme gaulliste ?<br />

Vous avez la réponse dans votre question.<br />

Sous l’ère Val… Ce bonhomme,<br />

aidé par quelques-uns qui ont tous<br />

trouvé un intérêt à l’aider, a réussi son<br />

OPA. Il a fait de Charlie n’importe quoi.<br />

Son objet. Son outil. Son marche pied.<br />

Et la plupart des dessinateurs et chroniqueurs,<br />

parce que c’était leur gagnepain,<br />

ont suivi. Le journal n’avait plus<br />

grand chose à voir avec Hara Kiri ou<br />

Charlie Hebdo époque De Gaulle. Le<br />

rire était vraiment la clé de tout alors.<br />

Le rire et la liberté.<br />

Charlie Hebdo était devenu le Canada<br />

dry de la presse bête et méchante. Il<br />

était en train de mourir en décembre<br />

2014. Il passe soudain, en janvier, de<br />

trente mille ventes à huit millions. Entre<br />

temps, il s’est passé une bricole qui a<br />

fait douze morts. Sans l’attentat, c’était<br />

Charlie qui mourait. Dans les deux<br />

cas, ce journal était mort. C’est de cela<br />

qu’hérite l’équipe d’aujourd’hui. C’est<br />

cela que Riss le patron majoritaire et<br />

Portheault le comptable second actionnaire<br />

ont hérité. Aujourd’hui on est ailleurs.<br />

On est dans une histoire qui les<br />

dépasse, qui nous dépasse. Mais plus<br />

rien à voir avec l’aventure originelle.<br />

Malgré les conclusions de<br />

votre récit acide sur Charlie<br />

Hebdo, le considérez-vous<br />

toujours comme un journal<br />

satirique ?<br />

Non. C’était déjà autre chose avant.<br />

Mais ça ne veut pas dire qu’il doit disparaître.<br />

On peut ne pas être drôle<br />

et vivre quand<br />

même. Y compris<br />

comme journal.<br />

Après tout c’est<br />

leur problème,<br />

leur confiture et<br />

leur déconfiture.<br />

Les « Je ne<br />

suis pas<br />

Charlie » les<br />

plus hostiles<br />

affirment que<br />

des dessins<br />

récemment<br />

publiés ne<br />

peuvent plus<br />

être justifiés<br />

par le droit à<br />

la liberté d’expression, mais<br />

comme étant carrément des<br />

caricatures racistes. Partagezvous<br />

cette critique ?<br />

C’est compliqué. Le dernier dessin<br />

de Riss sur le petit Aylan, on peut le<br />

prendre comme on veut. On peut essayer<br />

de sauver Riss. C’est inutile. C’est un dessin<br />

raciste. Ça ne lui ressemble pourtant<br />

pas. C’est un moment d’égarement. C’est<br />

tout le problème de Riss. Il n’a pas de réel<br />

rédacteur en chef. Il n’a pas de directeur<br />

de publication. Son dessin était à foutre à<br />

la poubelle.<br />

L’esprit satirique d’antan<br />

d’Hara-kiri et de Charlie existet-il<br />

toujours de nos jours ? Dans<br />

les pages de Siné Mensuel,<br />

lancé en 2008, par<br />

exemple ?<br />

Cet humour a fait<br />

des petits, ils se<br />

reconnaîtront.<br />

Charlie,<br />

tu<br />

commences<br />

à nous faire chier !<br />

Jean-Philippe Querton<br />

Quand Denis Robert estime que Riss<br />

aurait dû foutre le fameux dessin polémique<br />

à la poubelle, je me demande s’il<br />

pense que Choron et Cavanna auraient<br />

partagé son avis. J’en doute. Pourtant,<br />

Mohicans, c’est un long panégyrique à<br />

la gloire de ces deux sales gosses, les<br />

inventeurs de la presse impertinente<br />

en France, tandis que les autres protagonistes<br />

entrent dans la catégorie des<br />

tous pourris: Val et Malka, là, tout le<br />

monde est d’accord (sauf Caroline Fourest),<br />

mais aussi Cabu (qu’est-ce qu’il<br />

s’est fait comme pognon, lui, grâce à<br />

Charlie), Charb, Riss, Maris et l’essentiel<br />

de l’équipe décimée en janvier 2015<br />

par les barbus flingueurs.<br />

Dans son bouquin, Denis Robert<br />

raconte la gloire et les déboires de la<br />

bande à Charlie et Hara-Kiri. En 1982,<br />

interpellé par un juge qui estime que<br />

Choron et compagnie poussent le bouchon<br />

un peu loin, notamment quand<br />

ils se moquent des enfants morts calcinés<br />

dans un<br />

accident d’autocar,<br />

le professeur<br />

rétorque : « Ils nous<br />

ont condamnés pour<br />

offense à la douleur.<br />

Est-ce que j’empêche<br />

les voisins de regarder<br />

un film rigolo à<br />

la télé chaque fois<br />

que je suis en deuil,<br />

moi ? » 1<br />

Peut-on donner<br />

tort à Choron ? Estce<br />

qu’il faut jeter<br />

l’opprobre - voire<br />

une fatwa - sur<br />

1 Mohicans, Denis Robert,<br />

Julliard, page 91.<br />

MARS 2016 / Même pas peur N o 6 / 17<br />

son voisin<br />

parce qu’il<br />

se marre en<br />

rega rda nt<br />

les DVD<br />

des Taloche,<br />

alors que vous,<br />

ce qui vous fait<br />

marrer, c’est plutôt<br />

Stéphane Guillon ou<br />

Christophe Alévêque.<br />

Parce qu’on en est là, on ne<br />

peut plus rire, surtout pas de<br />

morts, ni des migrants, encore moins de<br />

Mahomet, au risque d’être jugé (ou injurié)<br />

sur ce qui nous fait marrer !<br />

Alors, désolé, m’sieur Robert. Votre<br />

livre est un long plaidoyer richement<br />

argumenté qui nous fait mesurer que les<br />

journalistes et les dessinateurs de Charlie<br />

passaient bien plus de temps à chercher<br />

à s’enrichir qu’à défendre les causes<br />

qui avaient présidé au lancement de ces<br />

journaux irrévérencieux. On en a la nausée<br />

à certains moments.<br />

Mais jusqu’au bout, et quoi que l’on<br />

pense de la personne, je défendrai le droit<br />

de Riss à dessiner le petit Aylan devenu<br />

harceleur, parce que si vous trouvez cela<br />

de mauvais goût, rejoignant en cela une<br />

majorité de la presse et de la population<br />

qui attend que Charlie meure une fois<br />

de plus, cela relève de l’opinion personnelle<br />

et du libre-arbitre de juger ce qui est<br />

insolent, impertinent, excessif et même<br />

de mauvais goût.<br />

Laissez-nous la liberté de nous marrer<br />

comme on en a envie.<br />

Vous-même citez Laclavetine qui<br />

évoque le licenciement de Siné par Val 2 :<br />

« … nous avons besoin, un besoin vital, des<br />

outrances et des gueulantes d’un Siné. Souvenez-vous<br />

des couvertures qu’osaient publier il<br />

y a vingt ans Charlie Hebdo et Hara-Kiri et<br />

comparez avec ce qui se publie aujourd’hui : le<br />

chemin parcouru est atterrant. La vérité nous<br />

est assénée jour après jour par une armée de<br />

journalistes conformes et de penseurs autorisés<br />

qui nous débitent leurs discours identiques.<br />

Où est la presse libre ? Où est l’opposition<br />

? (…) La police du langage surveille<br />

chacune de nos phrases. (…) Ouvrez ! On<br />

étouffe, ici ! »<br />

Il a raison, on a besoin d’air…<br />

2 Pages 246 et 247<br />

ils causent<br />

L’association « Même pas peur » a été initiée par Cactus Inébranlable Éditions (www.cactusinebranlableeditions.e-monsite.com) et Les Éditions du Basson (www.editionsdubasson.com)<br />

Comité de rédaction Manuel Abramowicz, Styvie Bourgeois, Thomas Burion, André Clette, Sylvie Kwaschin, Jean-Philippe Querton, Théo Poelaert, Jacques Sondron, Etienne Vanden Dooren Contact presse Manuel<br />

Abramowicz Mise en page E.V. Contributeurs dessins Al (Alain Dauchot), Thomas Burion, Carbo (Bruno Carbonnelle), Yvan Carreyn, André Clette, Crappe, Philippe Decressac, Serge Delescaille, Slobodan Diantalvic,<br />

Jacques Flamme, GF, Kanar, Livingstone, Mickomix (Mickaël Serré), Rafagé, Jacques Sondron, Sticki, Yakana Contributeurs textes Manuel Abramowicz, Patrick Boutin, André Clette, Éric Dejaeger, Benoit Doumont,<br />

Sylvie Kwaschin, Dr Lichic, Xavier Löwenthal et Laurent d’Ursel, Meursault, Mickomix, Jean-Philippe Querton, Sokolov, Etienne Vanden Dooren, Dominique Watrin.<br />

Un grand merci à tous les contributeurs à qui nous n’avons pas pu offrir un espace dans ce numéro 6 de Même pas peur !<br />

Le site : http://www.memepaspeur-lejournal.net N° de compte BE28 0017 5410 1520

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