Quelques artistes de - Unima
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Patrimoine, Souvenirs<br />
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JOUER AVEC LE FEU<br />
par Olenka Darkowska-Nidzgorski et Clau<strong>de</strong> Razanajao<br />
Ce sont <strong>de</strong>s faits bien réels et nous aimerions les partager avec vous.<br />
La Marionnette <strong>de</strong> feu est connue au Gabon <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s temps probablement très anciens. Grâce au<br />
témoignage <strong>de</strong> Mary Kingsley, nous savons qu’en 1895 le peuple Fang la pratique déjà et sous une forme<br />
hautement élaborée. Le spectacle décrit par cette «exploratrice victorienne» se déroule le soir, au bord d’un<br />
lac. Il est joué par plusieurs boules <strong>de</strong> feu colorées dansant dans les airs. L’une d’elles (<strong>de</strong> couleur violette et<br />
<strong>de</strong> la grosseur d’une orange) se dirige vers le sol. Arrivée au ras d’eau, elle se met à virevolter. <strong>Quelques</strong><br />
instants plus tard, elle est rejointe par une autre boule. Les <strong>de</strong>ux évoluent ensemble dans une sorte <strong>de</strong> «valse<br />
tournoyante». Quand la célèbre spectatrice tente <strong>de</strong> les approcher, elles disparaissent aussitôt: l’une <strong>de</strong>rrière<br />
les buissons, l’autre dans l’eau sombre du lac. Bien qu’on attribue cette manifestation féerique aux aku,<br />
diables <strong>de</strong> brousse, elle est probablement l’oeuvre <strong>de</strong> l’association masculine Akoma, celle-ci promouvant la<br />
plupart <strong>de</strong>s activités artistiques chez les Fang (notamment la danse, le chant et la musique).<br />
Chez le peuple Masango, la Marionnette <strong>de</strong> feu est une croix mobile faite <strong>de</strong> flammes. André Raponda-Walker<br />
et Roger Sillans, <strong>de</strong>ux grands connaisseurs du Gabon, notent que ce spectre flamboyant évolue en l’air, se<br />
propulsant dans toutes les directions et montant parfois jusqu’à dix mètres et plus <strong>de</strong> hauteur. Lors <strong>de</strong> sa<br />
<strong>de</strong>scente, et jusqu’à sa combustion finale, il se transforme en une suite <strong>de</strong> figures constamment renouvelées.<br />
D’après ces <strong>de</strong>ux chercheurs, il existe également une marionnette partiellement <strong>de</strong> feu incarnant Bwiti,<br />
ancêtre <strong>de</strong> l’humanité invisible. Elle se présente «sous une forme ovale, en feuilles <strong>de</strong> bananier, <strong>de</strong> plus <strong>de</strong><br />
<strong>de</strong>ux mètres <strong>de</strong> haut sur un mètre <strong>de</strong> large, les yeux remplacés par <strong>de</strong>ux torches rougeoyantes, et la bouche<br />
par une langue rouge sang, démesurément longue et large». Cette géante au regard enflammé est agitée<br />
dans tous les sens et finit son numéro en s’évanouissant dans le néant. De même, un missionnaire (P. Daney)<br />
signale une marionnette-flamme ressemblant à un petit personnage anthropomorphe qui danse et qui<br />
grimace.<br />
Pour terminer, transportons-nous chez les Bavungu (un autre peuple du Gabon) où les magiciens<br />
marionnettistes font apparaître un fantôme dont le corps est recouvert <strong>de</strong> taches <strong>de</strong> feu bleues. Citant Jean<br />
Michonet, Christian De<strong>de</strong>t révèle que ce fantoche est réalisé dans un arbre à bois tendre où le montreur a<br />
fiché <strong>de</strong>s piquants <strong>de</strong> fromager remplis d’une fibre sèche, brûlant en nappe et donnant une flamme bleuâtre.<br />
Cette même technique est utilisée pour mettre en scène un grand bateau tous hublots éclairés traversant<br />
l’espace scénique et symbolisant (selon certains spécialistes) l’esclavage.<br />
On peut en outre rappeler que le procédé <strong>de</strong>s taches <strong>de</strong> feu se retrouve chez les Haoussa du Niger mais<br />
selon un protocole différent: ici les flammes sont disposées directement sur le corps vivant d’un homme.<br />
Embrasé, celui-ci danse, avale le feu et joue avec les torches allumées qu’il tient dans chaque main. Ce<br />
numéro fait partie du spectacle <strong>de</strong> marionnettes dans sa version traditionnelle.<br />
Par ailleurs, à l’instar du Carnaval, certaines marionnettes terminent en flammes leur existence éphémère (par<br />
exemple au Malawi et parfois au Mali). Mais comme le phénix, elles renaissent bientôt <strong>de</strong> leurs cendres à<br />
l’occasion d’un nouveau spectacle…<br />
Rien d’étonnant à cela car les montreurs <strong>de</strong> ces prodiges et féeries sont habituellement membres <strong>de</strong>s sociétés<br />
secrètes, donc initiés au Grand mystère. Ils sont parfois forgerons (comme au Niger) et toujours magiciens.<br />
«C’est pourquoi nous <strong>de</strong>vons protéger ceux qui ont eu la possibilité <strong>de</strong> recevoir, <strong>de</strong> porter et <strong>de</strong> transmettre la<br />
Marionnette <strong>de</strong> feu. Ce semble être la seule façon <strong>de</strong> conserver sa flamme»: ces paroles <strong>de</strong> Petr Matásek<br />
prennent dans le contexte africain une dimension supplémentaire qu’il nous plaît à souligner.<br />
Olenka Darkowska-Nidzgorski et Clau<strong>de</strong> Razanajao<br />
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Bibliographie : KINGSLEY (M.) – Une Odyssée africaine 1893-1895 – Paris: Phébus, 1992 ; RAPONDA-WALKER (A.); SILLANS<br />
(R.) – Rites et croyances <strong>de</strong>s peuples du Gabon…– Paris: Présence Africaine, 1962 ; DEDET (C.) – La mémoire du fleuve: l’Afrique<br />
aventureuse <strong>de</strong> Jean Michonet. – Paris: Phébus, 1984.<br />
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