SPECTRUM #1/2017
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DOSSIER<br />
Convaincs-moi si tu peux !<br />
Provenant de la Grèce antique, la rhétorique est l’art de bien parler, de persuader les gens de faire<br />
quelque chose ou de les convaincre d’adhérer à certaines idées. Rêve pour certains, l’art de persuader<br />
n’est cependant pas une science exacte. Petit tour d’horizon avec Steve Oswald, linguiste et maître<br />
d’enseignement et de recherche à l’Université de Fribourg. MONA HEINIGER<br />
La rhétorique trouve ses origines en<br />
tant que discipline instrumentale<br />
de la démocratie à l’époque de la<br />
Grèce antique. En effet, la vie civile s’y<br />
déroulait en public, elle fut alors un outil<br />
pour défendre des idées. Vite teintée<br />
d’une connotation négative, puisque ce<br />
qui importait était de convaincre peu importe<br />
les moyens, elle fut peu à peu délaissée.<br />
C’est à la moitié du XXème siècle<br />
qu’elle fut réhabilitée par deux ouvrages ;<br />
l’un de Perelman et Olbrechts Tyteca intitulé<br />
« Traité de l’argumentation : La nouvelle<br />
rhétorique » (1958) ainsi que celui de<br />
Toulmin « The Uses of Argument » (1958).<br />
Ces ouvrages redéfinissaient les modalités<br />
de la persuasion : « si l’on veut étudier la<br />
façon dont les gens argumentent, il faut<br />
étudier ce qui fait qu’un argument est bon<br />
aux yeux de gens. » explique Steve Oswald.<br />
Un bon orateur connaît son public<br />
Le modèle adopté est alors centré sur l’auditoire.<br />
Et le linguiste de continuer « un<br />
argument n’aura pas le même impact sur<br />
des publics différents. Un exemple assez<br />
simple ; adressez la même argumentation<br />
sur l’avortement à des fondamentalistes<br />
catholiques et à des défenseurs du droit<br />
à l’avortement, vous aurez une réception<br />
très différente du même matériel linguistique.<br />
Le bon orateur est celui qui sait à<br />
qui il parle ». Ainsi, le type de public devrait<br />
influencer chaque discours et chaque<br />
manière de l’aborder. Une bouteille à la<br />
mer ; avis à nos professeurs…<br />
L’argumentation suppose un désaccord.<br />
Le but du discours argumentatif est de le<br />
résoudre ou d’imposer un avis par le biais<br />
d’un échange d’arguments et de contre<br />
arguments. Idéalement, les arguments<br />
les plus forts devraient donc faire plier<br />
les plus faibles. Comment donner plus<br />
de poids à ses arguments alors ? En rhétorique,<br />
un argument a des chances d’être<br />
jugé bon s’il permet de convaincre un certain<br />
auditoire, qu’il soit fallacieux ou non.<br />
On le comprend, le panel des arguments<br />
s’agrandit fortement. Nous y trouvons des<br />
techniques aidant le renforcement d’une<br />
thèse comme l’appel à des autorités ou à<br />
un consensus.<br />
D’autres techniques sont susceptibles<br />
d’affaiblir la thèse des opposants, soit<br />
l’éventail des attaques personnelles et de<br />
la décrédibilisation en tout genre. Le recours<br />
aux sentiments personnels en impliquant<br />
des émotions, le fait de se rassurer<br />
ou de se sentir soulagé consistent en une<br />
autre sorte de technique. On assiste à un<br />
tour de passe-passe comme lors d’un tour<br />
de magie. Notre attention est distraite par<br />
des mots et c’est ce qui serait au cœur du<br />
phénomène selon le linguiste : « les arguments<br />
fallacieux tentent de tirer parti du<br />
fait que l’on ne se rend pas compte qu’ils<br />
le sont. Pourtant le sens critique est à la<br />
portée de tout le monde mais, souvent,<br />
nous n’avons pas l’opportunité ni l’envie<br />
de prendre une posture critique. »<br />
Tous des moutons et des marionnettes ?<br />
Heureusement, non. Steve Oswald nous<br />
rassure : « on ne peut pas prédire ce que<br />
les gens ont en tête et donc ce qu’ils vont<br />
associer au contenu qu’on leur a communiqué.<br />
». Effectivement, nous avons<br />
tous un bagage de connaissances plus ou<br />
moins grand. Lorsque l’on reçoit une information,<br />
on la confronte à notre savoir<br />
préexistant et au contexte du moment. Il<br />
est possible que l’on soit fatigué, que l’on<br />
vienne d’avoir une expérience particulièrement<br />
positive sur un sujet ou que l’on<br />
ait juste lu un article sur le thème en question…<br />
on ne peut jamais connaître exactement<br />
son auditoire ni les effets qu’aura un<br />
discours sur lui. Cependant, le rapprochement<br />
de la rhétorique avec le domaine des<br />
sciences cognitives permet d’affiner les<br />
connaissances de ces effets sur les individus.<br />
Un tout nouvel horizon de recherche<br />
s’ouvre alors à la rhétorique.<br />
© Illustration : We Do Product Management<br />
© Illustration: Clarisse Aeschlimann<br />
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1/<strong>2017</strong>