SPECTRUM #1/2017
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CRITIQUE<br />
Passade hivernale<br />
Elisa Shua Dusapin, écrivaine d’origine franco-coréenne<br />
et Suissesse d’adoption, nous entraîne en Corée<br />
du sud le long d’une centaine de pages. Son roman<br />
nous transporte, comme le titre l’indique, dans<br />
la petite station balnéaire de Sokcho. Tout en finesse,<br />
la jeune auteure nous offre un moment de poésie rare<br />
et un aperçu intimiste de ces rencontres que l’on fait<br />
parfois au gré du hasard et qui nous changent à jamais.<br />
Dans ce cadre atypique, un lien éphémère se noue :<br />
un bédéiste de talent s’attache à une jeune femme qui<br />
travaille dans l’hôtel où celui-ci échoue malgré lui.<br />
L’un dévore le papier à coup de plume quand l’autre<br />
dévore son poids en nourriture lorsqu’elle ne se sent<br />
pas à sa place. Les deux semblent souffrir d’un mal<br />
étrange qui les consument et les empêchent de profiter<br />
pleinement de ces instants partagés. La trame<br />
se déroule sur fond de guerre passée ou présente qui<br />
se retrouve mêlée aux origines de nos deux protagonistes<br />
: celle de Corée qui perdure et les guerres mondiales<br />
dont l’on invoque le nom en apercevant encore<br />
des signes, ici ou là. Ils laisseront chacun une trace<br />
indélébile dans la vie de l’autre.<br />
La dernière page tournée, le lecteur se retrouve<br />
quelque peu désemparé. Il se demande alors s’il n’y<br />
aurait pas pu y avoir plus : plus de passion, plus de<br />
temps. Pourtant, le fait que nous soyons tous, un jour<br />
ou l’autre confrontés à ces occasions manquées, qui<br />
reviennent parfois nous hanter, ne fait qu’ajouter du<br />
réalisme au récit.<br />
JODIE<br />
NSENGIMANA<br />
Hiver à Sokcho (2016)<br />
Elisa Shua Dusapin<br />
Livre<br />
139 pages<br />
Disponible chez<br />
Albert Le Grand<br />
Harmonium de Fuchi Ni Tatsu<br />
L’harmonium est une sorte d’orgue de maison à l’apparence<br />
proche d’un piano. Une famille japonaise en<br />
possède un exemplaire, sur lequel leur fille unique<br />
s’entraîne à jouer pour un culte protestant. Cette famille<br />
voit son quotidien bouleversé le jour où le père<br />
embauche et loge un inconnu, surgi de nulle part.<br />
De fil en aiguille, la gêne entre la famille et l’intru se<br />
dissout, mais les malheurs surviennent et l’intru disparaît<br />
aussi subitement qu’il était arrivé. La vie continue,<br />
et le film aussi.<br />
« Harmonium » présente la tragédie de la vie ordinaire,<br />
un incident pouvant frapper au moment le<br />
plus inattendu et avoir des répercussions irrémédiables<br />
sur des années à venir. C’est un thriller axé<br />
sur la réflexion plutôt que sur le grand spectacle : du<br />
début à la fin, des signes avant-coureurs de danger<br />
sont perceptibles malgré le calme apparent du film.<br />
La démarche réaliste et quasi-documentaire du réalisateur<br />
Koji Fukada est renforcée par un jeu d’acteur<br />
excellent. Malgré son réalisme, ce long-métrage est à<br />
ce point truffé de sous-textes qu’on ne parvient pas<br />
à le visionner seulement au premier degré. Les amateurs<br />
de décorticage, de symboles et de métaphores<br />
apprécieront ce film.<br />
CLARISSE<br />
AESCHLIMANN<br />
Harmonium (2016)<br />
Fuchi Ni Tatsu<br />
Film<br />
Long-métrage en<br />
salles à partir du 22<br />
février.<br />
The Young Pope : 1er pape italo-américain<br />
de l’histoire<br />
Des couleurs sombres, une reprise de Jimi Hendrix et<br />
la dégaine de rockstar d’un young pope indiscutablement<br />
charismatique, qui nous salue d’un clin d’œil (il<br />
faut l’avouer) un peu cheesy : le générique annonce<br />
déjà la force de ce projet étonnant. Etonnant pourquoi<br />
?<br />
Parce que les réflexions proposées sont originales et<br />
pénétrantes. Rien n’est convenu ou prévisible. Nos<br />
certitudes sont constamment bousculées par des dialogues<br />
profonds, qui nous forcent à nous poser des<br />
questions.<br />
Parce que la photographie est belle (fidèle aux films<br />
de Sorrentino), et que cette beauté nous plonge dans<br />
une atmosphère surréaliste, envoutante et magnétique.<br />
Parce qu’il s’agit d’une série spirituelle, nourrissante<br />
et définitivement rock, menée par un young pope qui<br />
fume et qui boit du coca cherry. Un young pope ténébreux<br />
et torturé, dont on n’a pas bien compris s’il<br />
est un saint ou un être cruel, s’il est altruiste ou narcissique.<br />
Capable d’une immense compassion, et en<br />
même temps d’une violence et d’une froideur mortifiante,<br />
ce personnage insondable nous déconcerte à<br />
chaque épisode.<br />
Parce que j’ai un coup de cœur pour le jeu de Silvio<br />
Orlando incarnant le cardinal Voiello avec justesse et<br />
subtilité.<br />
Deuxième saison prévue pour 2018 !<br />
DANA SARFATIS<br />
The Young Pope<br />
(2016)<br />
Paolo Sorrentino<br />
Série TV<br />
1 Saison<br />
22<br />
1/<strong>2017</strong>