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Artiste lunaire et sensible, Mathieu Boogaerts est un créateur appliqué,<br />
jonglant avec l’humilité du talent qui n’a rien à prouver.<br />
Invité sur la première scène du Charabia Festival, il accepte de<br />
nous parler de l’intimité de son travail d’écriture, là où la composition<br />
flirte avec le jeu de pistes, l’heureux hasard et la broderie<br />
fine.<br />
«<br />
Lune, c’était<br />
p’t’être la lune,<br />
qu’il avait vue<br />
Artiste discret, comment as-tu progressé depuis ton premier album « Ondulé » ?<br />
Je ne choisis pas consciemment d’être discret. Si demain, Drucker m’invite et<br />
fait une semaine spéciale sur moi, j’y vais en courant. Je n’ai jamais dénigré les<br />
rendez-vous ou les invitations. Je subis presque d’être discret. Mais c’est vrai que<br />
ma musique est, elle, discrète. Pas tapageuse, intime, calme, et c’est peut-être une<br />
façon inconsciente d’être discret. S’il s’agit de progression… Dans le mot « progression<br />
», il y a « progrès », et donc en quoi serais-je meilleur qu’il y a 22 ans ?<br />
Je n’ai pas vraiment le recul pour m’en rendre compte. Mais avant j’étais amateur<br />
et aujourd’hui je me sens vraiment professionnel. J’ai aussi le sentiment d’écrire<br />
beaucoup mieux aujourd’hui. Et heureusement : car si j’avais l’impression que le<br />
mieux était derrière, je ne sais pas dans quel état je serais ! Ce qui est certain, c’est<br />
qu’à chaque chanson, chaque disque, j’ai toujours la même ambition, la même<br />
énergie.<br />
Quel lien t’unit aux mots et à la poésie ?<br />
Comme j’écris des chansons, les paroles et la musique sont liées. Je n’écris pas<br />
plus l’une que l’autre. Mon texte lu sans la musique qui l’accompagne, j’ai l’impression<br />
qu’il n’est pas censé avoir de valeur. Enfin… Il manque vraiment la<br />
mélodie qui va accentuer tel ou tel mot et qui va donner aussi du sens au texte.<br />
Quand j’écris, je commence toujours par la musique, et ensuite le texte arrive.<br />
En tant que consommateur de poésie, je peux être ému et je peux reconnaître la<br />
qualité d’un texte poétique.<br />
Et donc tu ne te considères pas comme poète ?<br />
… Si… Mais pas au sens strict. Je me sens une âme de poète, dans le sens où si<br />
on prend cent personnes dans le métro le matin, je suis sûrement dans le lot des<br />
poètes. Mais pas « profession poète ». Je parle plus « vision du monde poète ».<br />
En tout cas, comme j’écris des chansons, je me sens plus chansonnier.<br />
Ta composition musicale est caressante, elle prend soin du texte…<br />
Oui, c’est vrai que le texte arrive tout de suite, très vite. Au départ, je ne prends<br />
pas ma guitare en me disant « allez, je vais écrire une chanson ». Ça, je ne sais<br />
pas faire. Alors, je gratouille ma guitare, comme j’adore le faire, et puis d’un seul<br />
coup, je vais sentir quelque chose, une mélodie, un air. Alors hop, je m’attarde<br />
un peu dessus, et très vite – mais quand je te dis très vite, c’est une seconde et<br />
demi – spontanément, vient se greffer ma voix sur cette mélodie, et avec ma voix,<br />
des mots arrivent. Mais je ne les choisis pas vraiment. Ils arrivent naturellement,<br />
parce qu’ils collent bien à la mélodie, et aussi parce que les sentiments de cette<br />
mélodie vont convoquer ces mots. Une phrase va venir, me plaire, m’inspirer. Je<br />
reste accroché à cette phrase clé, cette phrase étalon, et tout va se décliner par<br />
rapport à elle, le son, le rythme, le propos… Ça fonctionne toujours comme ça.<br />
Et en parlant d’inspiration… Tu évolues dans un univers onirique, parfois naïf, enfantin,<br />
et toujours avec un clin d’œil à la vie réelle, au quotidien. Qu’est-ce que tu<br />
as envie de raconter ?<br />
C’est difficile de répondre à cette question, car je ne décide pas foncièrement de<br />
raconter telle ou telle chose. Mais il faudrait que je passe en revue mes chansons,<br />
pour vérifier ça, et l’expliquer… Toi, choisis une chanson que tu connais ?<br />
Par exemple pour « Nehemie d’Akkadé* » ? Il y a un personnage, un propos…<br />
Ouah ! Ça fait quinze ans, et je ne sais plus comment c’est venu… En fait, si. Je me<br />
souviens d’être parti de l’anecdote de l’invention de la roue. Quelle est la motivation<br />
pour inventer la roue ? Et j’ai imaginé un prétexte d’amour, pour écrire<br />
une chanson d’amour. Mais initialement je n’ai pas voulu écrire une chanson<br />
d’amour. C’est la roue qui m’a évoqué l’amour, le décor, le propos. Mais quand je<br />
pars d’une idée singulière comme celle-là, ça me prend ensuite énormément de<br />
temps à tout écrire, tout construire, tout assembler.<br />
Un travail de broderie, donc ?<br />
Exactement, c’est tout à fait ça. C’est comme en art graphique. Je vois un motif,<br />
par exemple les étoiles sur le pull que tu portes. C’est un motif simple, parfois<br />
c’est plus sophistiqué, mais quand on prend du recul, c’est harmonieux, on repère<br />
qu’il y a un rythme dans cette composition d’étoiles. La musique, c’est pareil. Il<br />
y a un phrasé, une rime à la fin, ou une rime au milieu, les mots ont des sons,<br />
leurs sons sont matières, et je dois travailler cette matière, ces motifs sonores,<br />
les imbriquer, les harmoniser, et ça prend du temps. Mes chansons s’égrènent à<br />
cette mécanique.<br />
* album « 2000 »<br />
MATHIEU BOOGAERTS<br />
ronde, qu’il avait<br />
vue tourner.<br />
Pourquoi pas t’la<br />
C<br />
chanson<br />
française<br />
promettre<br />
»<br />
?<br />
TEXTE<br />
39<br />
agathe cebe<br />
PHOTOGRAPHIE sylvère HIEULLE