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Portrait Arnaud Lallement_P_#9

Portrait du chef étoilé Arnaud Lallement

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encontre culinaire<br />

rencontre culinaire<br />

Interview<br />

d’<strong>Arnaud</strong><br />

(avec le bruit de la cuisine)<br />

Rencontre avec <strong>Arnaud</strong> <strong>Lallement</strong><br />

Chef de cuisine à l'ASsiette Champenoise<br />

Il est là, au bout des meubles en inox, longue enfilade<br />

qui protège les cuisiniers et les aliments.<br />

Grand, élégant avec sa veste blanche immaculée,<br />

yeux clairs, sourire engageant. Le temps de traverser<br />

les trois espaces de cuisine, il a déjà envoyé<br />

quelques plats : Saint-Pierre petit bateau, betterave,<br />

poivre de Madagascar / Langoustine royale, nage<br />

crémée, citron caviar / Pigeonneau fermier, oignon<br />

brûlé / Tourteau de Bretagne, bouillon de crustacés.<br />

Main ferme et chaleureuse, <strong>Arnaud</strong> <strong>Lallement</strong> m’invite<br />

à m’asseoir à une table haute et étroite, lieu<br />

d’observation sur l’ensemble de la brigade, lieu des<br />

fumets et des odeurs, point central pour penser un<br />

plat, une saveur, pour échanger avec ses seconds.<br />

<strong>Arnaud</strong> <strong>Lallement</strong> reste debout, adossé à un des<br />

pianos, de temps à autre il va vérifier une assiette,<br />

ajuste une décoration, sort une longue pince pour<br />

déplacer des aliments et rectifier le dessin.<br />

Je mets le dictaphone en route, <strong>Arnaud</strong> <strong>Lallement</strong><br />

se penche : « Interview d’<strong>Arnaud</strong> avec le bruit de la<br />

cuisine, clap ! ».<br />

Quelle est pour vous la définition du « Manger vrai », votre<br />

maxime ?<br />

AL : Ah, oui… d’abord manger intelligemment, manger matin,<br />

midi et soir des repas équilibrés, manger sainement. C’est aussi<br />

manger des produits de la région, mettre en valeur le travail<br />

des artisans, favoriser le tissu économique proche de chez moi,<br />

l’agriculture, les ceuilleurs. « Manger vrai » c’est un ensemble.<br />

Son-off : Fouet dans une casserole.<br />

AL : Aujourd’hui nous sommes obligés de pointer du doigt<br />

ce qui était naturel il y a encore quarante ans, ce qui n’aurait<br />

jamais dû disparaître. C’est un peu terrible. On peut tous faire<br />

des efforts pour préserver ce que nous avons. Je ne suis pas utopique<br />

ou hors des réalités, je sais que la vie est difficile. Nos vies<br />

quotidiennes sont remplies d’obligation, mais nos jobs ne nous<br />

prennent pas 100% de notre temps. N’est-ce pas là qu’il faut se<br />

dire, je m’arrête, je prends ce temps ?<br />

Voix-off : On envoie le Saint-Pierre/Menu !<br />

AL : « Manger vrai » c’est peut-être, prendre le temps de manger<br />

avec ses enfants, de les emmener faire le marché, de choisir des<br />

carottes et des pommes de terre et de rentrer à la maison pour<br />

leur apprendre à éplucher, à cuisiner. « Manger vrai », c’est dire<br />

aux enfants « Mettez la table, coupez la télé et racontez-moi les<br />

évènements de la semaine ou de la journée ». « Manger vrai »,<br />

c’est des moments de vie, c’est retrouver des moments de complicité<br />

autour de l’assiette. « Manger vrai » c’est une multitude de<br />

principes que nous n’aurions jamais dû perdre.<br />

Son-off : Un mixer<br />

Comment transposer ce « manger vrai » de l’intimité familiale à<br />

un restaurant trois étoiles ?<br />

AL : C’est plus facile pour nous car nous allons chercher des artisans,<br />

des cueilleurs, des maraichers de notre région. Le « manger<br />

vrai » dans mon restaurant c’est, pour le convive, profiter de<br />

deux ou trois heures hors du temps et, pour nous, travailler les<br />

produits frais avec sobriété et condenser tous les savoirs-faire<br />

autour de la table.<br />

Voix-off d’homme : Il y a une personne végétarienne à la une !<br />

AL : Le « manger vrai » ici ce n’est pas un plat, c’est une identité<br />

culinaire que j’essaye de faire évoluer tous les jours. Cette notion<br />

se développe en moi au fur et à mesure des années, chaque<br />

âge m’apporte une nouvelle façon d’explorer cette notion. J’ai<br />

quarante ans, je ne suis pas le même qu’il y a dix ans et dans dix<br />

ans, je ne serai plus le même. Je suis jeune encore, j’ai encore<br />

énormément de choses à exprimer.<br />

Voix-off d’homme : Il y a trois tourteaux à la carte !<br />

Quels sont les éléments déclencheurs de la création ?<br />

AL : La nature, les saisons. Par exemple, j’avais un tourteau qui<br />

_ Jean-Pierre <strong>Lallement</strong> et son fils <strong>Arnaud</strong>, 5 ans


encontre culinaire<br />

rencontre culinaire<br />

était super top, servi tempéré avec un bouillon très chaud, sauf<br />

que nous avons perdu 5 à 6 degrès en dix jours. Pour moi, il ne<br />

correspondait plus à la température extérieure. Je l’ai ressenti et<br />

je pense que mes convives aussi même si ils ne l’expriment pas<br />

aussi précisément que moi. On l’a transformé en tourteau servi<br />

chaud avec une sauce crémée très chaude. On est parti de l’été<br />

pour rentrer dans l’automne. On a toujours besoin de choses<br />

qui nous rassurent, d’éléments qui marquent le temps.<br />

Son-off : Une cuillère qu’on pose dans un plat en métal.<br />

Voix-off d’homme : Quatre petits choux-fleurs à suivre !<br />

AL : Si vous mangez des tomates en plein hiver, il y a un dérèglement<br />

qu’il faut corriger. La société nous propose beaucoup<br />

de choses tout le temps, nous devons réapprendre à ne pas tout<br />

accepter. Nous devons passer du temps à éduquer nos enfants<br />

pour qu’il refuse la bûche chocolat / framboises de Noël et qu’il<br />

passe le message à leurs enfants pour les générations futures.<br />

On ne mange pas de fraises quand on est en col roulé et en<br />

bottes, on mange des fraises quand on est en tongues et en maillot<br />

de bain.<br />

Voix-off d’homme : Un canard rôti et un bœuf, à la suite un<br />

pigeon et une poularde !<br />

Son-off : des assiettes que l’on pose sur un dressoir en métal.<br />

Quelle relation entretenez-vous avec les producteurs ?<br />

AL : Je prône de travailler les produits de la région, ceux qui<br />

sont à côté. Pourquoi irai-je chercher des carottes à 40 kilomètres,<br />

si un producteur en fait d’excellentes à 4 kilomètres ?<br />

Pour d’autres producteurs qui ne sont pas d’ici, je prône aussi<br />

une fidélité. La maison a quarante et un an aujourd’hui. Quand<br />

mes parents se sont installés en 1975 à Châlons-sur-Vesle, ils<br />

ont eu des producteurs qui les ont aidé à démarrer, je me dois<br />

de ne pas les oublier.<br />

Voix off de jeune femme à M. <strong>Lallement</strong> : Les personnes<br />

de la table 18 sont arrivés ! <strong>Arnaud</strong> <strong>Lallement</strong> : J’y vais.<br />

<strong>Arnaud</strong> <strong>Lallement</strong> s’absente. La cuisine est une fourmillière,<br />

comme dans une chorégraphie de Lucinda Chills, les gens se<br />

suivent, se croisent, se frôlent mais pas de précipitation, pas de<br />

chocs, tous les mouvements sont harmonieux et prennent place<br />

avec évidence dans les espaces de cuisson.<br />

Derrière moi, quelques photos dont l’une où <strong>Arnaud</strong> <strong>Lallement</strong><br />

est entouré par Paul Bocuse, Pierre Troisgros et Alain Senderens,<br />

des pères inspirants qui représentent la grande classe française<br />

de la cuisine. <strong>Arnaud</strong> <strong>Lallement</strong> revient tout sourire.<br />

Comment rencontrez-vous les nouveaux producteurs ?<br />

AL : Certains viennent me voir, il y a des rencontres grâce à<br />

des connaissances communes, des copains restaurateurs, ça<br />

peut être aussi en me baladant dans la campagne. On apprend<br />

à se connaître, on travaille un petit peu ensemble sur des essais,<br />

je goûte, je commente, je dis ce que je recherche. Ce sont<br />

des recherches perpétuelles notamment avec mes seconds, on<br />

regarde aussi les réseaux sociaux, le virtuel nous donne parfois<br />

un accès à la réalité. On rencontre aussi des artisans pour<br />

une saison et ça ne marche pas, mais la saison d’après c’est top !<br />

Je cherche les belles rencontres.<br />

Pouvez-vous parler d’un plat de votre carte « Homard bleu, hommage<br />

à mon papa »?<br />

AL : Je signe ce plat « mon papa » parce que c’est moi, ce sont<br />

mes envies. Papa a commencé à nous faire ce homard pour les<br />

jours de fête, on goûtait ce homard aux pommes de terre dans<br />

une cocotte, c’était toujours un vrai moment de partage, il avait<br />

commencé à le mettre à sa carte puis il l’a retiré. À un moment<br />

j’ai eu envie d’un plat qui représentait bien mon papa, mon papa<br />

et la famille, papa et moi, c’est le homard aux pommes de terre<br />

qui représentait le mieux toute cette histoire, je l’ai donc mis<br />

en place. Maintenant on le fait évoluer, on en est rendu à sa<br />

quatrième version. C’est un homard qui vient de Carantec, les<br />

pommes de terre viennent de la région et changent selon les<br />

saisons.<br />

Voix off d’homme : Quatre turbots dont un sans beurre,<br />

puis quatre pigeons dont un sans beurre !<br />

AL : J’ai deux enfants, l’un commence à le préparer et le second<br />

me le réclame toujours pour son anniversaire. Ils suivent la<br />

même histoire, la transmission continue.<br />

Mon idée est de garder un esprit familial en dépit des cinq<br />

étoiles pour l’hôtel, des trois étoiles pour le restaurant, des<br />

Relais et Châteaux, je tiens à conserver cet esprit. J’ai besoin<br />

que les convives soient accueillis par un membre de la famille,<br />

je veux garder cet esprit bonenfant de la maison créée par mes<br />

parents il y a quarante et un ans.<br />

Voix off d’homme : Deux Saint-Pierre à enlever !<br />

Pouvez-vous évoquer vos parcours respectifs ?<br />

AL : Mon père a suivi un parcours classique, lycée hôtelier puis<br />

les grandes maison dont Christian Boyer, le père de gérard, Roger<br />

Verger (Mougins) et Michel Guérard (Eugénie-les-Bains),<br />

le hasard a voulu que j’aille aussi chez Verger et Guérard en<br />

plus de Marc Veyrat. Pour moi, la cuisine était une évidence, je<br />

rêvais des étoiles et j’ai mon slogan à moi « Fils de restaurateur,<br />

enfant du guide ». Enfant, je traînais toujours avec mon père<br />

en cuisine, au marché, mes copains adoraient venir, en plus on<br />

habitait juste au-dessus.<br />

Voix off d’homme : On enlèves les turbos / carte !<br />

Appel téléphonique. Il sort.<br />

C’est intenable, le canard grille et croustille, ce n’est plus une<br />

interview c’est un supplice chinois !<br />

Son-off : Un fouet dans une casserole<br />

Retour d’<strong>Arnaud</strong> <strong>Lallement</strong>, c’était son fils cadet parti au Salon<br />

de l’automobile.<br />

AL : Dans les saveurs sucrés, je viens de mettre un dessert à la<br />

noisette qui me rappelle un dessert au chocolat que faisait mon<br />

papa. C’est troublant comme on peut avoir des flashs !<br />

Son-off : Ça frichtouille !!<br />

Que sont les accords « mets et champagne » inscrits à votre<br />

carte ?<br />

AL : La Champagne c’est ma racine. La réussite de la maison, je<br />

la dois à la Champagne. J’ai vécu à Châlons-sur-Vesle pendant<br />

treize ans, j’ai été entouré de vignes et de vignerons, ce sont mes<br />

racines, mes amis, comme Alexandre Chartogne (vigneron).<br />

C’est aussi le vin que j’affectionne le plus et que je voudrais partager<br />

avec le plus de convives possibles. Au bout de quinze ans<br />

que vous faites des plats, vous pensez accords mets et champagne,<br />

c’est un réflexe naturel.<br />

Voix off d’homme : Un foie gras et deux saumons grillés !<br />

AL : Dans le champagne on a l’iode, l’acidité, l’amertume, c’est<br />

un bon terrain de jeux. Parfois, on goûte un cru qui nous fait<br />

penser à un plat et on le modifie pour qu’il se rapproche encore<br />

plus du champagne, c’est encore plus beau et ça nous fait avancer<br />

dans notre réflexion du plat. Les accords mets et champagne<br />

m’ont fait progresser et apporter une maturité, ça fait partie de<br />

ma progression. J’ai plus de 1000 références de champagne en<br />

cave, je trouverais toujours un plat à inventer pour chacune de<br />

ces bouteilles. C’est un tel réflexe, c’est comme de monter à vélo !<br />

Son off : deux couteaux que l’on frotte vivement pour aiguiser<br />

les lames<br />

Auriez-vous une définition du geste artistique en cuisine ?<br />

AL : Vaste question… Le geste artistique en cuisine, c’est de l’art<br />

qu’on ne peut pas toucher, de l’art qu’on ne peut pas maîtriser,<br />

c’est de l’art qu’on ne peut pas voir, c’est de l’émotion.<br />

C’est ce qu’il y a de plus impalpable dans une assiette, c’est ce<br />

qu’on ne peut pas reconnaître, qu’on ne peut pas revoir.<br />

C’est comme dans un tableau, vous ne savez pas pourquoi il<br />

vous touche alors que votre voisin ne ressent rien, c’est l’art,<br />

c’est tout. C’est en tout cas quelque chose pour lequel je travaille<br />

chaque jour, pour lequel on fait le maximum.<br />

définitions<br />

Assaisonnement : La justesse. La justesse pour sublimer les saveurs<br />

de chaque produit.<br />

Accord : Émotion. Vous vous accordez avec votre femme, avec<br />

votre meilleur ami, il y a de l’émotion qui passe.<br />

Cuisson : Rôtir, précision.<br />

Essence (l’) : L’amour du métier, la passion tous les jours, la saison,<br />

les artisans qui m’entourent.<br />

Etoiles : Ma vie. Avant de connaître ma femme, j’avais envie<br />

d’avoir une étoile, avant d’avoir mes enfants j’avais envie d’avoir<br />

des étoiles, avant d’avoir la vie d’aujourd’hui, je rêvais aux étoiles<br />

et avant que je comprenne ce que c’était, mes parents avaient<br />

envie d’étoiles, c’est ma vie ! Et maintenant, il faut les garder.<br />

Une fois que vous êtes marié vous voulez le rester le plus longtemps<br />

possible, non ?<br />

Innovation : La meilleure façon de ne pas s’endormir.<br />

Luxe : Point d’interrogation.<br />

Sens (le) : Le bon.<br />

Sobriété : Respect du produit, respect des accords, respect de la<br />

cuisson, respect du convive. C’est la mise en valeur de l’assiette.<br />

<strong>Arnaud</strong> <strong>Lallement</strong>,<br />

vient également de<br />

faire paraître aux<br />

éditions de la Martinière<br />

« Émotions<br />

en Champagne »<br />

qui présente 48<br />

produits phares<br />

de sa cuisine et sollicite autant de vignerons<br />

pour proposer des accords entre<br />

cuisine et vins. 80 recettes autour<br />

de la champagne et des champagnes.<br />

l ’ a s s i e t t e c h a m p e n o i s e<br />

4 0 a v p a u l v a i l l a n t c o u t u r i e r - 5 1 4 3 0 t i n q u e u x<br />

0 3 2 6 8 4 6 4 6 4<br />

a s s i e t t e c h a m p e n o i s e . c o m<br />

8<br />

texte<br />

Jérôme Descamps<br />

_ Homard, hommage à mon papa © Matthieu Cellard

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