Transformez vos PDF en papier électronique et augmentez vos revenus !
Optimisez vos papiers électroniques pour le SEO, utilisez des backlinks puissants et du contenu multimédia pour maximiser votre visibilité et vos ventes.
encontre culinaire<br />
rencontre culinaire<br />
Interview<br />
d’<strong>Arnaud</strong><br />
(avec le bruit de la cuisine)<br />
Rencontre avec <strong>Arnaud</strong> <strong>Lallement</strong><br />
Chef de cuisine à l'ASsiette Champenoise<br />
Il est là, au bout des meubles en inox, longue enfilade<br />
qui protège les cuisiniers et les aliments.<br />
Grand, élégant avec sa veste blanche immaculée,<br />
yeux clairs, sourire engageant. Le temps de traverser<br />
les trois espaces de cuisine, il a déjà envoyé<br />
quelques plats : Saint-Pierre petit bateau, betterave,<br />
poivre de Madagascar / Langoustine royale, nage<br />
crémée, citron caviar / Pigeonneau fermier, oignon<br />
brûlé / Tourteau de Bretagne, bouillon de crustacés.<br />
Main ferme et chaleureuse, <strong>Arnaud</strong> <strong>Lallement</strong> m’invite<br />
à m’asseoir à une table haute et étroite, lieu<br />
d’observation sur l’ensemble de la brigade, lieu des<br />
fumets et des odeurs, point central pour penser un<br />
plat, une saveur, pour échanger avec ses seconds.<br />
<strong>Arnaud</strong> <strong>Lallement</strong> reste debout, adossé à un des<br />
pianos, de temps à autre il va vérifier une assiette,<br />
ajuste une décoration, sort une longue pince pour<br />
déplacer des aliments et rectifier le dessin.<br />
Je mets le dictaphone en route, <strong>Arnaud</strong> <strong>Lallement</strong><br />
se penche : « Interview d’<strong>Arnaud</strong> avec le bruit de la<br />
cuisine, clap ! ».<br />
Quelle est pour vous la définition du « Manger vrai », votre<br />
maxime ?<br />
AL : Ah, oui… d’abord manger intelligemment, manger matin,<br />
midi et soir des repas équilibrés, manger sainement. C’est aussi<br />
manger des produits de la région, mettre en valeur le travail<br />
des artisans, favoriser le tissu économique proche de chez moi,<br />
l’agriculture, les ceuilleurs. « Manger vrai » c’est un ensemble.<br />
Son-off : Fouet dans une casserole.<br />
AL : Aujourd’hui nous sommes obligés de pointer du doigt<br />
ce qui était naturel il y a encore quarante ans, ce qui n’aurait<br />
jamais dû disparaître. C’est un peu terrible. On peut tous faire<br />
des efforts pour préserver ce que nous avons. Je ne suis pas utopique<br />
ou hors des réalités, je sais que la vie est difficile. Nos vies<br />
quotidiennes sont remplies d’obligation, mais nos jobs ne nous<br />
prennent pas 100% de notre temps. N’est-ce pas là qu’il faut se<br />
dire, je m’arrête, je prends ce temps ?<br />
Voix-off : On envoie le Saint-Pierre/Menu !<br />
AL : « Manger vrai » c’est peut-être, prendre le temps de manger<br />
avec ses enfants, de les emmener faire le marché, de choisir des<br />
carottes et des pommes de terre et de rentrer à la maison pour<br />
leur apprendre à éplucher, à cuisiner. « Manger vrai », c’est dire<br />
aux enfants « Mettez la table, coupez la télé et racontez-moi les<br />
évènements de la semaine ou de la journée ». « Manger vrai »,<br />
c’est des moments de vie, c’est retrouver des moments de complicité<br />
autour de l’assiette. « Manger vrai » c’est une multitude de<br />
principes que nous n’aurions jamais dû perdre.<br />
Son-off : Un mixer<br />
Comment transposer ce « manger vrai » de l’intimité familiale à<br />
un restaurant trois étoiles ?<br />
AL : C’est plus facile pour nous car nous allons chercher des artisans,<br />
des cueilleurs, des maraichers de notre région. Le « manger<br />
vrai » dans mon restaurant c’est, pour le convive, profiter de<br />
deux ou trois heures hors du temps et, pour nous, travailler les<br />
produits frais avec sobriété et condenser tous les savoirs-faire<br />
autour de la table.<br />
Voix-off d’homme : Il y a une personne végétarienne à la une !<br />
AL : Le « manger vrai » ici ce n’est pas un plat, c’est une identité<br />
culinaire que j’essaye de faire évoluer tous les jours. Cette notion<br />
se développe en moi au fur et à mesure des années, chaque<br />
âge m’apporte une nouvelle façon d’explorer cette notion. J’ai<br />
quarante ans, je ne suis pas le même qu’il y a dix ans et dans dix<br />
ans, je ne serai plus le même. Je suis jeune encore, j’ai encore<br />
énormément de choses à exprimer.<br />
Voix-off d’homme : Il y a trois tourteaux à la carte !<br />
Quels sont les éléments déclencheurs de la création ?<br />
AL : La nature, les saisons. Par exemple, j’avais un tourteau qui<br />
_ Jean-Pierre <strong>Lallement</strong> et son fils <strong>Arnaud</strong>, 5 ans
encontre culinaire<br />
rencontre culinaire<br />
était super top, servi tempéré avec un bouillon très chaud, sauf<br />
que nous avons perdu 5 à 6 degrès en dix jours. Pour moi, il ne<br />
correspondait plus à la température extérieure. Je l’ai ressenti et<br />
je pense que mes convives aussi même si ils ne l’expriment pas<br />
aussi précisément que moi. On l’a transformé en tourteau servi<br />
chaud avec une sauce crémée très chaude. On est parti de l’été<br />
pour rentrer dans l’automne. On a toujours besoin de choses<br />
qui nous rassurent, d’éléments qui marquent le temps.<br />
Son-off : Une cuillère qu’on pose dans un plat en métal.<br />
Voix-off d’homme : Quatre petits choux-fleurs à suivre !<br />
AL : Si vous mangez des tomates en plein hiver, il y a un dérèglement<br />
qu’il faut corriger. La société nous propose beaucoup<br />
de choses tout le temps, nous devons réapprendre à ne pas tout<br />
accepter. Nous devons passer du temps à éduquer nos enfants<br />
pour qu’il refuse la bûche chocolat / framboises de Noël et qu’il<br />
passe le message à leurs enfants pour les générations futures.<br />
On ne mange pas de fraises quand on est en col roulé et en<br />
bottes, on mange des fraises quand on est en tongues et en maillot<br />
de bain.<br />
Voix-off d’homme : Un canard rôti et un bœuf, à la suite un<br />
pigeon et une poularde !<br />
Son-off : des assiettes que l’on pose sur un dressoir en métal.<br />
Quelle relation entretenez-vous avec les producteurs ?<br />
AL : Je prône de travailler les produits de la région, ceux qui<br />
sont à côté. Pourquoi irai-je chercher des carottes à 40 kilomètres,<br />
si un producteur en fait d’excellentes à 4 kilomètres ?<br />
Pour d’autres producteurs qui ne sont pas d’ici, je prône aussi<br />
une fidélité. La maison a quarante et un an aujourd’hui. Quand<br />
mes parents se sont installés en 1975 à Châlons-sur-Vesle, ils<br />
ont eu des producteurs qui les ont aidé à démarrer, je me dois<br />
de ne pas les oublier.<br />
Voix off de jeune femme à M. <strong>Lallement</strong> : Les personnes<br />
de la table 18 sont arrivés ! <strong>Arnaud</strong> <strong>Lallement</strong> : J’y vais.<br />
<strong>Arnaud</strong> <strong>Lallement</strong> s’absente. La cuisine est une fourmillière,<br />
comme dans une chorégraphie de Lucinda Chills, les gens se<br />
suivent, se croisent, se frôlent mais pas de précipitation, pas de<br />
chocs, tous les mouvements sont harmonieux et prennent place<br />
avec évidence dans les espaces de cuisson.<br />
Derrière moi, quelques photos dont l’une où <strong>Arnaud</strong> <strong>Lallement</strong><br />
est entouré par Paul Bocuse, Pierre Troisgros et Alain Senderens,<br />
des pères inspirants qui représentent la grande classe française<br />
de la cuisine. <strong>Arnaud</strong> <strong>Lallement</strong> revient tout sourire.<br />
Comment rencontrez-vous les nouveaux producteurs ?<br />
AL : Certains viennent me voir, il y a des rencontres grâce à<br />
des connaissances communes, des copains restaurateurs, ça<br />
peut être aussi en me baladant dans la campagne. On apprend<br />
à se connaître, on travaille un petit peu ensemble sur des essais,<br />
je goûte, je commente, je dis ce que je recherche. Ce sont<br />
des recherches perpétuelles notamment avec mes seconds, on<br />
regarde aussi les réseaux sociaux, le virtuel nous donne parfois<br />
un accès à la réalité. On rencontre aussi des artisans pour<br />
une saison et ça ne marche pas, mais la saison d’après c’est top !<br />
Je cherche les belles rencontres.<br />
Pouvez-vous parler d’un plat de votre carte « Homard bleu, hommage<br />
à mon papa »?<br />
AL : Je signe ce plat « mon papa » parce que c’est moi, ce sont<br />
mes envies. Papa a commencé à nous faire ce homard pour les<br />
jours de fête, on goûtait ce homard aux pommes de terre dans<br />
une cocotte, c’était toujours un vrai moment de partage, il avait<br />
commencé à le mettre à sa carte puis il l’a retiré. À un moment<br />
j’ai eu envie d’un plat qui représentait bien mon papa, mon papa<br />
et la famille, papa et moi, c’est le homard aux pommes de terre<br />
qui représentait le mieux toute cette histoire, je l’ai donc mis<br />
en place. Maintenant on le fait évoluer, on en est rendu à sa<br />
quatrième version. C’est un homard qui vient de Carantec, les<br />
pommes de terre viennent de la région et changent selon les<br />
saisons.<br />
Voix off d’homme : Quatre turbots dont un sans beurre,<br />
puis quatre pigeons dont un sans beurre !<br />
AL : J’ai deux enfants, l’un commence à le préparer et le second<br />
me le réclame toujours pour son anniversaire. Ils suivent la<br />
même histoire, la transmission continue.<br />
Mon idée est de garder un esprit familial en dépit des cinq<br />
étoiles pour l’hôtel, des trois étoiles pour le restaurant, des<br />
Relais et Châteaux, je tiens à conserver cet esprit. J’ai besoin<br />
que les convives soient accueillis par un membre de la famille,<br />
je veux garder cet esprit bonenfant de la maison créée par mes<br />
parents il y a quarante et un ans.<br />
Voix off d’homme : Deux Saint-Pierre à enlever !<br />
Pouvez-vous évoquer vos parcours respectifs ?<br />
AL : Mon père a suivi un parcours classique, lycée hôtelier puis<br />
les grandes maison dont Christian Boyer, le père de gérard, Roger<br />
Verger (Mougins) et Michel Guérard (Eugénie-les-Bains),<br />
le hasard a voulu que j’aille aussi chez Verger et Guérard en<br />
plus de Marc Veyrat. Pour moi, la cuisine était une évidence, je<br />
rêvais des étoiles et j’ai mon slogan à moi « Fils de restaurateur,<br />
enfant du guide ». Enfant, je traînais toujours avec mon père<br />
en cuisine, au marché, mes copains adoraient venir, en plus on<br />
habitait juste au-dessus.<br />
Voix off d’homme : On enlèves les turbos / carte !<br />
Appel téléphonique. Il sort.<br />
C’est intenable, le canard grille et croustille, ce n’est plus une<br />
interview c’est un supplice chinois !<br />
Son-off : Un fouet dans une casserole<br />
Retour d’<strong>Arnaud</strong> <strong>Lallement</strong>, c’était son fils cadet parti au Salon<br />
de l’automobile.<br />
AL : Dans les saveurs sucrés, je viens de mettre un dessert à la<br />
noisette qui me rappelle un dessert au chocolat que faisait mon<br />
papa. C’est troublant comme on peut avoir des flashs !<br />
Son-off : Ça frichtouille !!<br />
Que sont les accords « mets et champagne » inscrits à votre<br />
carte ?<br />
AL : La Champagne c’est ma racine. La réussite de la maison, je<br />
la dois à la Champagne. J’ai vécu à Châlons-sur-Vesle pendant<br />
treize ans, j’ai été entouré de vignes et de vignerons, ce sont mes<br />
racines, mes amis, comme Alexandre Chartogne (vigneron).<br />
C’est aussi le vin que j’affectionne le plus et que je voudrais partager<br />
avec le plus de convives possibles. Au bout de quinze ans<br />
que vous faites des plats, vous pensez accords mets et champagne,<br />
c’est un réflexe naturel.<br />
Voix off d’homme : Un foie gras et deux saumons grillés !<br />
AL : Dans le champagne on a l’iode, l’acidité, l’amertume, c’est<br />
un bon terrain de jeux. Parfois, on goûte un cru qui nous fait<br />
penser à un plat et on le modifie pour qu’il se rapproche encore<br />
plus du champagne, c’est encore plus beau et ça nous fait avancer<br />
dans notre réflexion du plat. Les accords mets et champagne<br />
m’ont fait progresser et apporter une maturité, ça fait partie de<br />
ma progression. J’ai plus de 1000 références de champagne en<br />
cave, je trouverais toujours un plat à inventer pour chacune de<br />
ces bouteilles. C’est un tel réflexe, c’est comme de monter à vélo !<br />
Son off : deux couteaux que l’on frotte vivement pour aiguiser<br />
les lames<br />
Auriez-vous une définition du geste artistique en cuisine ?<br />
AL : Vaste question… Le geste artistique en cuisine, c’est de l’art<br />
qu’on ne peut pas toucher, de l’art qu’on ne peut pas maîtriser,<br />
c’est de l’art qu’on ne peut pas voir, c’est de l’émotion.<br />
C’est ce qu’il y a de plus impalpable dans une assiette, c’est ce<br />
qu’on ne peut pas reconnaître, qu’on ne peut pas revoir.<br />
C’est comme dans un tableau, vous ne savez pas pourquoi il<br />
vous touche alors que votre voisin ne ressent rien, c’est l’art,<br />
c’est tout. C’est en tout cas quelque chose pour lequel je travaille<br />
chaque jour, pour lequel on fait le maximum.<br />
définitions<br />
Assaisonnement : La justesse. La justesse pour sublimer les saveurs<br />
de chaque produit.<br />
Accord : Émotion. Vous vous accordez avec votre femme, avec<br />
votre meilleur ami, il y a de l’émotion qui passe.<br />
Cuisson : Rôtir, précision.<br />
Essence (l’) : L’amour du métier, la passion tous les jours, la saison,<br />
les artisans qui m’entourent.<br />
Etoiles : Ma vie. Avant de connaître ma femme, j’avais envie<br />
d’avoir une étoile, avant d’avoir mes enfants j’avais envie d’avoir<br />
des étoiles, avant d’avoir la vie d’aujourd’hui, je rêvais aux étoiles<br />
et avant que je comprenne ce que c’était, mes parents avaient<br />
envie d’étoiles, c’est ma vie ! Et maintenant, il faut les garder.<br />
Une fois que vous êtes marié vous voulez le rester le plus longtemps<br />
possible, non ?<br />
Innovation : La meilleure façon de ne pas s’endormir.<br />
Luxe : Point d’interrogation.<br />
Sens (le) : Le bon.<br />
Sobriété : Respect du produit, respect des accords, respect de la<br />
cuisson, respect du convive. C’est la mise en valeur de l’assiette.<br />
<strong>Arnaud</strong> <strong>Lallement</strong>,<br />
vient également de<br />
faire paraître aux<br />
éditions de la Martinière<br />
« Émotions<br />
en Champagne »<br />
qui présente 48<br />
produits phares<br />
de sa cuisine et sollicite autant de vignerons<br />
pour proposer des accords entre<br />
cuisine et vins. 80 recettes autour<br />
de la champagne et des champagnes.<br />
l ’ a s s i e t t e c h a m p e n o i s e<br />
4 0 a v p a u l v a i l l a n t c o u t u r i e r - 5 1 4 3 0 t i n q u e u x<br />
0 3 2 6 8 4 6 4 6 4<br />
a s s i e t t e c h a m p e n o i s e . c o m<br />
8<br />
texte<br />
Jérôme Descamps<br />
_ Homard, hommage à mon papa © Matthieu Cellard