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#10 décembre 16 - janvier 17
nique, rare, élégant et pourtant gratuit.
Deux ans, dix numéros de PEEL, dix numéros de plaisirs visuels. Pour fêter cet
âge de raison, surtout parce qu’on est en décembre, nous allons vous parler de
bouffe, grande ou petite, de fin du monde ou de début d’année : un prix de cuisine
prestigieux créé il y a un demi-siècle par la maison Taittinger, une recette gastronomique
du chef trois étoiles Arnaud Lallement, un récital culinaire de Fabien
Neveux, un brunch musical à Quartier libre, une petite histoire du jambon de
Reims, le tout abondement arrosé de Champagne. Comme les princes et les gitans,
soyons partout à l’aise, dans les lieux ouverts la nuit, du théâtre au bistro.
Un seul mot d’ordre : samuser, rire, débattre, batailler et se réconcilier, aimer,
maintenant, toujours. Lire le texte écrit pour nous par Marie Darrieussecq, découvrir
les groupes mis en image par Charles Fréger, sans musique mais en uniformes,
en costumes fièrement portés comme des étendards. Un dernier plaisir
de 2016 ou un premier de 2017, immédiat ici, coupable un peu, égoïste peut être,
généreux assurément : celui d’ouvrir ce PEEL #10, collector à peine sorti, et le
conserver, au milieu d’ouvrages précieux dans votre bibliothèque. Unique, rare,
élégant et pourtant gratuit. Bonne lecture.
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par Belleripe SARL.
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EN COUVERTURE
Mardi Gras Indians
© Charles Fréger
ÉDITEUR / Dir. de publication
Benoît Pelletier
rédacteur en chef
arts / musique / édito
Alexis Jama-Bieri
directeur créatif
Benoît Pelletier
RÉALISATION GRAPHIQUE
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06 / grand peel board
08 / peel good
12 / charles fréger
18 / quartier libre!
28 / 5 RAISONS D'AIMER…
29 / " demande
à la poussière "
de radio elvis
30 / Les noces félines #5
au château de Malbrouk
32 / thierry lasry
génération y
34 / témoignage
littéraire
36 / dans l’intimité de
l'« art de la fugue »
de Mié Coquempot
contributeurs
40 / trop shu *
*Japonais, prononcer [Shou[
42 / édouard baer
ouvert la nuit
44 / les caves
du boulingrin
ALEXIS
JAMA-BIERI
dirigeant culturel
Reims
BENOÎT
PELLETIER
directeur créatif
photographe
Reims
CYRILLE
PLANSON
redac-chef
La Scène
Le Piccolo
Théâtre(s) mag
Nantes
46 / l'atelier de
sébastien laudenbach
Dominique
Bunel
chasseur de poncifs
Reims
AGATHE CEBE
rédactrice &
journaliste freelance
REIMS
Jérôme
Descamps
réalisateur
& montreur de films
Reims
Nathalie
Mougin
à l'ouest
ANGERS
8 évènements à ne pas rater
en DÉCEMBRE - JANVIER
QUOI Cycle d’auteurs.
Quand Le samedi 17
décembre 2016 à 9h.
QUOI La Fête du court
métrage.
Quand Le vendredi
16 et le samedi 17
décembre.
Où Au Café-Librairie
Plume et Bulle
à Charleville-Mézières.
: Films offerts et bar
ouvert pour que la soirée
soit douce.
En supplément : venez
montrer vos films.
lapelliculeensorcelee.org
QUOI Maurizio
Cattelan « Not Afraid
of Love ».
Quand Du 21/ 10
au 08 / 01 / 17.
Où À La Monnaie
de Paris.
: Irrévérencieux, génial,
facétieux, drôle, grave,
provocateur, cynique,
potache, Maurizio
Cattelan n’est jamais
là où on l’attend.
QUOI « Patrimoines
revisités ».
Quand Du 17/09
au 31/12.
: Dans le cadre
exceptionnel du Cellier
à Reims, cinq photographes
internationaux
revisitent à travers
plus de 70 œuvres
les multiples facettes
du patrimoine rémois.
© maurizio cattelan © SOPHIE ZENON
© dr
Où À la Médiathèque
de Bétheny.
: Rencontre litteraire -
petit dejeuner avec
l’auteure Kaouther
Adimi autour de son
livre « Des pierres dans
ma poche » (Éditions
du Seuil, mars 2016),
organisé par l’association
Nova Villa.
www.nova-villa.com
QUOI Clips Reims
Scènes d’Europe
#2 et #3.
Quand En janvier.
Où scenesdeurope.eu
: La Production
Rémoise signe un clip
en 3 épisodes qui fait
la part aux rémois
et à leurs quartiers.
On y retrouve notamment
le graffeur KUSEK
et YUKSEK qui signe
le design sonore.
© dr © dr
© KAOUTHER ADIM
QUOI PUZUPUZU
« BORO D'ENJAILLE-
MENT » EP.
Quand Sortie
le vendredi 13 janvier
2017.
Où HIGHLIFE
RECORDING.
www.highliferecordings.org
monnaiedeparis.fr
QUOI Exposition
« Au-delà de la forme »
Quand Du 26
novembre 2016 au 12
mars 2017.
Où Au palais du Tau
à Reims.
: Le Centre des monuments
nationaux, en
partenariat avec la Ville
de Reims et le Jardin
des Arts – Les Crayères
présente au palais du
Tau à Reims les oeuvres
de Richard Serra
et Mehdi Moutashar.
© Mehdi Moutashar
QUOI « Gigantesque ! »
Expérience Pommery
#13.
Quand Du 14/10
au 31/05 2017.
Où À La Maison de
Champagne Pommery.
: La maison de
Champagne Pommery
de Reims vous invite
à vivre une expérience
unique. La 13 ème du
nom. Une exposition
gigantesque où l’on se
sent infiniment grand
ou infiniment petit,
c’est selon.
vrankenpommery.com
© DR
par
agathe cebe
- AU CELLIER -
Pelage d’hiver
Quand vient l’hiver, le Cellier fait peau neuve.
Avec le Prix H, H comme Habillage et H comme
Hiver, le Cellier et la Ville de Reims ont sollicité la
créativité des étudiants de l’ESAD pour établir des
projets d’aménagement, avec les atouts d’un lieu
particulier et atypique, mais aussi les contraintes
liées aux espaces et à l’accueil continuel du public.
Les projets avaient jusqu’au 18 octobre pour être
déposés. Le jury s’est réuni dès le lendemain, à
l’étude des propositions de quatre artistes : Andréa
Le Guellec – Fil d’Ariane, Carla Adra – Après la pluie,
les baguettes poussent, Kevin Caquant – Noctiluca,
et Aurore Assimon Amata – Bleus. Le projet d’Aurore
a été jugé le plus convaincant, en obtenant le
maximum des points accordés à l’emprise spatiale
et à l’équilibre formel entre le lieu et les idées.
Le budget et la disponibilité rapide des matériaux
ont également été travaillés : la jeune artiste doit
avoir le sens pratique, car elle aura effectivement
peu de temps pour investir l’espace avant que les
visiteurs ne puissent y déambuler nonchalamment.
Nuances de bleus, matières bleues, aux murs, aux
sols, en mobilier, les espaces ouverts au public
du Cellier, l’accueil et le foyer, sont donc retravaillés
par Aurore, et cette installation sera visible
dès le 1 er décembre. Et le symbole est fort : favoriser
la promotion de jeunes artistes en devenir
et proposer, dans le même temps, une exposition
de regards neufs sur notre bon vieux patrimoine
rémois… Le Cellier devient fontaine de Jouvence,
en cette fin d’année.
Le Cellier – 4 bis rue de Mars – 03 26 77 75 15
La bière nouvelle vague
Pourquoi seul le champagne aurait, à
Reims, un traitement de faveur ?
Le Bière Social Club a pensé au prestige
de la bière. Inspiré d’un lieu bruxellois
typique, le concept du Bière Social Club
s’est installé à Reims, en lien étroit avec
son modèle, pour proposer des bières
d’exception, à la dégustation et à l’achat
par commande groupée. L’objectif est
bien de mettre en évidence cette fameuse
boisson ambrée, ancestrale et tellement
associée à nos mœurs de fête, avec une
volonté forte de surligner ses lettres de
noblesse. Et parce qu’il n’est de meilleure
bière que bien dégustée, le Bière Social
Club propose régulièrement des bars
éphémères et des dégustations musicales
ou gastronomiques à l’issue desquelles
vous pouvez choisir et commander, direct
from Bruxelles, la bière dont vos papilles
rêvaient. Alors, certes, l’alcool est à
consommer avec modération. Mais là où il
y a de la gêne, il n’y a pas de plaisir.
Et l’audace du Bière Social Club ne garde
que le plaisir.
Bière Social Club
34 rue Baussonnet – 03 26 40 90 69
6
cogitata
elle pense, donc elle est
Cogitata, la nouvelle exposition de Florence Kutten,
s’installe au musée Saint Rémi du 8 décembre au 5
février 2017,et offre aux visiteurs à la fois une réflexion
plastique et une réflexion philosophique. En travaillant
physiquement la matière, Florence Kutten, artiste
rémoise, donne vie à des sculptures de corps grandeur
nature, reliant des mythes ancestraux et contemporains.
Le sujet de l’homme grand et fort, chevalier hier, trader
aujourd’hui, alimente la réflexion de l’artiste qui s’intéresse
au monde de la finance. Ainsi, l’art importe
de la sensibilité là où il ne semble plus y en avoir,
dans les marchés financiers désincarnés, désacralisés,
que nous côtoyons de loin en loin.
Informations : musée Saint Rémi 03 26 35 36 90
Se laisser subjuguer
Du 11 au 14 janvier 2017, La Comète
de Châlons-en-Champagne organise
le premier évènement lié à la magie,
le Festival C’MagiC. Pour fêter les dix
ans du module de formation en magie
du CNAC, le Centre National des Arts du
Cirque, ce festival proposera aux spectateurs
de la magie nouvelle, sous toutes
ses formes. Spectacles, expositions,
ateliers, rencontres inédites, La Comète
mêlera les références du cirque, du cabaret
et du théâtre pour faire découvrir une
magie moderne, complice et fascinante.
Thierry Collet, mentaliste et magicien,
ou encore Philippe Beau, ombromane et
magicien, présenteront leurs arts respectifs,
entre virtuosité et espièglerie.
Joli programme pour démarrer l’année
sous de bons augures.
Infos et réservation : La Comète –
scène nationale – 03 26 69 50 80
Harp’oétique
Fin 2016, le label Césaré sort le livre
double CD Errances et Résonances,
fruit d’une rencontre (d)étonnante
entre Hélène Breschand, harpiste,
et Ze Jam Afane, poète et conteur.
Leur rencontre a forgé l’idée d’une coopération
inédite, en dialogue musical
et verbal : une joute pacifique qui mise
tout sur les sons et les sens des mots.
Entre écriture et improvisation,
la harpe d’Hélène Breschand sublime
les textes envoutants de Ze Jam Afane.
Et inversement. L’aubaine, c’est que
cette alliance artistique ne soit pas
éphémère, le temps d’un concert, mais
enregistrée et disponible à volonté,
chez vous. L’expérience se multiplie,
pour des écoutes sans cesse différentes.
Errances et Résonances, livre double CD,
fin 2016, label césaré.
Informations et réservations : Césaré
03 26 88 65 74 - www.cesare-cncm.com
© Eric SNEED
des gens dans un lieu
minuscule
Le Lieu Minuscule, espace d’exposition
en lien étroit avec l’architecture, reçoit,
à partir de janvier 2017, l’exposition
de Ludmilla Cerveny. Cette photographe
indépendante gravite sur Vittel,
Nancy, Bruxelles, et se pose à Reims, avec
« Gens », un projet photographique à la
croisée de plusieurs objectifs. « Gens »
est une façon de relier la photographie
factuelle et la photographie artistique,
en explorant chaque objet, chaque projet,
de manière conceptuelle, esthétique,
budgétaire ou énergétique. Parce qu’une
maison, un bâtiment, l’architecture
peuvent être vus sous tous ces aspects-là.
Mais aussi parce que tous ces aspects-là
peuvent, à un moment donné, rejoindre
l’art, la symétrie, la composition, les
couleurs.
Le LIEU MINUSCULE
14 bis rue Hannequin 03 26 25 24 29
le-lieu-minuscule.tumblr.com
homard bleu
hommage à mon papa
par arnaud lallement
homard bleu
4 pièces de homards de 500/600g
Blanchir les pinces 6 min, les corps 2 à 3 min. Garder les têtes,
séparer en 2 le coffre pour faire la sauce et la carapace coupée en
2 pour faire un beurre de homard avec un peu de paprika et corail.
Beurre de homard
Faire revenir les carapaces, ajouter un peu de paprika et corail,
recouvrir de beurre à hauteur, cuire doucement une heure, passer,
bouillir pour retirer les impuretés
Siphon piment doux fumé
1Kg de pomme de terre | 30g huile d’olive | 30g de piment doux
fumé | 1L d’eau | 400g de lait | 800g de crème | 40g de sel
Faire revenir les pomme de terre dans l’huile avec le piments
et 30g de sel, mouiller à l’eau, réduire presqu’à sec, ajouter le lait
et la crème avec le sel, bouillir, mixer, passer, mettre en siphon.
Sauce Homard
têtes de homards | 15g de paprika | 25g de miel | 100g d’échalote
40cl de vin doux | 1/2L de crème liquide | cognac
Faire revenir les têtes de homards à l’huile d’olive, ajouter le
paprika, l’échalote, puis le miel (et cognac). Déglacer au vin,
réduire, mouiller à hauteur, cuire doucement pendant une heure,
crémer, puis passer au chinois. Vérifier l’assaisonnement.
Sauce veau pour glacer les pommes de terre
10 ronds de pomme de terre de 6 cm
Blanchir puis glacées avec la sauce homard.
Pommes soufflées
6 pommes de terre Bintge
Couper à 3 mm en lamelles, puis détailler en ovale 6 cm par 4 cm
de larges, blanchir à 135°C, puis finir à 180°C,
saler 3 par personnes.
C'est une recette avec
beaucoup d'émotion,
que je faisais avec papa
les jours de fête, moments
que l'on passait en famille.
J'ai voulu la remettre à la
carte pour la faire découvrir
à l'ensemble de mes
convives. Je la modernise
au fur et à mesure tout en
respectant son ADN.
Dressage
Dans une assiette, mettre 1 rond de pomme de terre glacé, poser
les parures de homard réchauffées avec le siphon piment doux
fumé et des herbes ciselées, fermer comme une raviole. Faire un
trait de vinaigre réduit, poser la 1/2 queue de homard. Terminer
avec 3 feuilles capucines rondes, 3 pommes de terre soufflées.
Servir la sauce en saucière.
Homard, hommage à mon papa © Matthieu Cellard
le geste créatif
de fabien neveux
Pommettes hautes, grands yeux et sourire large,
Fabien Neveux est un grand gaillard qui reçoit
dans sa « Maison de Cuisine », une seule pièce
avec poutres apparentes et vue sur la Meuse,
sur l’autre rive, le Mont Olympe. BEP de pâtissier
en poche (lycée des métiers à Bazeilles),
il a bourlingué à Paris, Saint-Pétersbourg,
Houston, Washington avant de se fixer dans
ses Ardennes natales. Il fait une cuisine près
des produits, fraiche et inventive, colorée
et savoureuse, pour tout dire, sensuelle.
Comment vous viennent les idées de plats ?
L’inspiration première, ce sont les saisons. Attendre
qu’un produit soit à son apogée pour qu’il développe
toutes ses saveurs. Il y a aussi les souvenirs d’enfance,
les crêpes épaisses ou le hachis Parmentier de ma
grand-mère. Les idées viennent à tout moment, en me
baladant, en écoutant la radio. Quand j’ai une intuition,
je me mets au travail. J’aime cuisiner en direct, je ne
prépare pratiquement rien à l’avance, je n’aime pas réchauffer,
ce qui me plait c’est la fraîcheur et le respect
des produits. Les aliments ont une âme, ils sont vivants,
je dois être à leur écoute. Une belle carotte qui n’a pas
vue le frigo ou une fraise tout juste cueillie, il n’y a rien
de meilleur. Je cherche la simplicité…
C’est dur de faire simple.
Quel serait pour vous une définition du geste créatif en
cuisine ?
Aujourd’hui, tout est accessible, la technicité est partout,
les émissions de télévision et internet dévoilent
tous les secrets de cuisine.
Mais une recette c’est comme un livre, il y a plusieurs
interprétations. La créativité c’est la différence et une
certaine recherche de perfection. Il y a sans doute
aussi une part de subconscient qui s’exprime dans
l’immédiateté. Le plus difficile est d’être en osmose
avec la clientèle qui n’est pas forcément réceptive à
votre humeur du jour car la cuisine reflète si vous êtes
préoccupé ou non.
Comment définir votre métier ?
Il y a le mot art dans artisan, je me sens avant tout
comme un artisan des bonnes choses,
c’est juste le plaisir qui m’anime. Je fais un métier laborieux,
salissant mais le partage est le plus important,
apporter un moment qui ressource,
qui éveille la curiosité. En cuisine, je joue avec
le « piano » sur différents tons, différentes notes qui
vont être accordées avec le diapason, c’est du travail
de métronome.
Je ne connais pas tout, je me laisse surprendre.
Ce qui est certain, c’est que la cuisine est là pour faire
du bien, apporter au corps quelque chose de bien.
Jérôme Descamps
Ôde au bon goût
Le Prix culinaire international Taittinger fêtait
ce mois-ci ses 50 ans, et c’est sous la présidence
luxurieuse de Joel Robuchon, vainqueur en 1970,
et d’Emmanuel Renaut, que le jury 2016 a pu
départager les prestigieux participants. Intitulé du
sujet : « Pour huit personnes, hommage à Michel
Comby, premier lauréat du Prix culinaire, sur l’esprit
d’un turbot à la Nanctua ». Vous avez cinq heures…
Et comme le-dit Michel Comby faisait partie du
jury, l’honneur n’en était que plus fort. La ville de
Reims était dignement représentée, avec Arnaud
Lallement et Gérard Boyer dans le jury, mais aussi,
évidemment, avec la famille Taittinger, Pierre-Emmanuel,
Clovis et Vitalie, lors de la remise des prix
au carré des cariatides de l’Opéra Garnier. Le glorieux
podium composé de Nicolas Hensinger, Kenji
Yoshimoto et culminé par Julien Richard, grand
gagnant, a séduit par des plats d’une qualité rare
et fidèle au prestige de ce concours culinaire, placé
sous le signe de la mémoire et du mérite.
Un anniversaire digne, non seulement de la maison
rémoise Taittinger, mais aussi de toute la gastronomie
française, curieuse de voir apparaître les prochains
cinquante futurs talents des années à venir.
© Jean-Baptiste Delerue
restaurant le diapason
25 quai arthur rimbaud 08000 charleville-mézières
/ 03 24 59 94 11 www.restaurantlediapason.fr
" Ceci n’est pas un bouquet ",
mais une création de Marie Guillemot, une fleuriste (qui " ne voulait pas faire fleuriste " cf Peel8)
à la démarche singulière, spécialiste du pas de côté végétal. Si elle est capable de réaliser des compositions
king size, elle se livre ici, avec son équipe, à l’exercice du très petit et très délicat : ce bouquet
graphique ne fait qu’une quinzaine de cm de long mais déploie autant de délicatesse qu'un bouquet
de mariée. www.marieguillemot.fr
le jambon de reims
Par Bruno Herbin
La recette simple
de Fabien Neveux
C’est une gloire locale, le national
et l’international ne sont pas pour lui,
trop artisanal, l’industrialisation ne le
concerne pas.
Il est un emblème du geste de
l’artisan charcutier, un parallélépipède
doré qui trône dans les bonnes
maisons rémoises. Une fois coupé, le
marbré des viandes couleur gris rosé
est appétissant.
Croque dans le jambon, c’est toute
l’enfance qui arrive, la balade en forêt,
les vitres qui s’embuent quand on
fait cuire la soupe poireaux / pommes
de terre, il faut faire les devoirs, le
dimanche s’en va, restera tout cela
dans ce jambon qui réconforte.
Direction zone Farman pour découvrir
le laboratoire de l’artisan-charcutier-traiteur
Bruno Herbin.
Dans la cour, un camion tout droit
venu d’Alsace livre la choucroute
nouvelle.
3 bandes, une bleue, une blanche,
une rouge, un col à 3 bandes qui
désignent les MOF, les Meilleurs
Ouvriers de France, autant dire que
c’est du sérieux, ici on parle du « Bien
manger ». Assis derrière son bureau,
Bruno Herbin a les yeux pétillants
quand il évoque la recette du Jambon
de Reims qu’il tient de son père
qui lui-même la tenait de Monsieur
Parmentier, célèbre charcutier
du centre-ville dans les années 50,
ça rigole pas.
D’abord de très bonnes viandes
de porc, celles qui font plaisir à voir,
fermes au toucher. Elles viennent
des Ardennes ou de la Sarthe
« Je fais confiance à ces hommes,
ils connaissent leur métier ».
Ici pas d’animaux maltraités, c’est
une exigence « la viande d’une bête
maltraitée, ça se voit à l’œil nu ».
Bruno Herbin conseille la spécialité
rémoise sans échalotes, ni persil, ni
vin blanc, le produit en toute simplicité,
pour le reste, c’est du côté du
Jambon de Bourgogne qu’il faudra
aller.
Premier geste, la saumure. Les morceaux
y sont plongés 24 à 48h avec
os, le goût encore et toujours et le
moelleux.
Seulement de l’épaule et du jambon,
pas de jarret, la viande est trop serrée.
Les muscles travaillent différemment,
le charcutier connaît l’anatomie
et se doit de bien utiliser chaque
morceau en fonction de sa provenance
et de sa préparation.
Ensuite vient le bouillon avec oignons
cloutés de girofle, thym, laurier,
carottes et du savoir-faire. C’est parti
pour une cuisson très douce de 3 à
4 heures. La cuisson est essentielle,
l’œil du professionnel irremplaçable
pour l’arrêter au bon moment. L’onctuosité
se forme dans la casserole.
Une fois les morceaux désossés,
dégraissés très soigneusement,
ils sont agencés en couches
épaule / jambon dans des moules
rectangulaires, en prenant soin de
chaque morceau, le sens du muscle,
la ligne de la fibre ne sont pas une
théorie fumeuse. Les superpositions
sont arrosées de jus de cuisson et
c’est fini. Non, pas tout à fait, il reste
à presser, et là est le geste délicat car
trop pressé le jambon sera sec, pas
assez il ne se tiendra pas. Un homme
de l’art, je vous dis.
Après ce sera au moins 48h de repos
en chambre froide avant le démoulage.
Le pain de Jambon de Reims est
« chapeluré » avec de la mie de pain
doré. C’est prêt.
Le professionnel conseille de le
manger franc, sans artifice, « des
tranches pas trop fines pour avoir
un peu de « mâche en bouche » et
un pain de campagne légèrement
toasté ». D’aucun teste le beurre, les
cornichons piquants ou aigres-doux,
la confiture d’oignons, la moutarde à
l’ancienne. Faites-bien comme vous
voulez, mais respectez le geste de
l’artisan, prenez le temps de laisser
fondre cette viande moelleuse en
bouche en repensant à la balade ou
en trinquant avec les amis. Un repas
de dimanche soir, je vous dis…
Jérôme Descamps
charcuterie bruno herbin
3 rue de mars 51100 reims
03 26 06 92 83 www.herbin-traiteur.fr
Ephémère au chocolat
1 l de lait
500gr de chocolat amer
C’est l’histoire d’une crème oubliée
au réfrigérateur devenue un dessert
phare du restaurant.
« Le lendemain, je retire le film
de la casserole, je goûte et là,
surprise, une émotion, une texture
particulière, ce n’était pas de la
glace, pas de la mousse, autre
chose, éphémère en bouche.
Comme quoi chaque détail,
chaque erreur bien utilisés peuvent
devenir une recette incontournable.
» La veille, faire bouillir le
lait avec le chocolat cassé en morceaux.
Tournez le liquide de temps
en temps, pour qu’il n’attache pas,
observez les marbrures qui se
forment entre lait et chocolat.
Dès que les premières bulles apparaissent,
stoppez la cuisson.
Versez dans un large saladier.
Plongez un mixer et émulsionnez.
Filmez immédiatement et mettre
au réfrigérateur. Le lendemain,
formez des quenelles avec deux
grandes cuillères, servez, savourez.
N’en reprenez pas, c’est encore
meilleur le lendemain du lendemain.
Portrait de produit
« Le pleurote jaune en corne d’abondance
» de Julien Bignon et Nicolas
Debruyne, de la champignonière bio
« La Carrière » à Pargnan.
Des champignons extraordinaires chez
ces producteurs bio qui fournissent
l’Assiette champenoise ou le Chateau de
Courcelle mais surtout votre panier de
flâneur culinaire tous les samedis matin
sur le marché du Boulingrin. « Détacher
les pétales du pied et les faire simplement
revenir dans du beurre à feu doux,
nature ou pour accompagner une viande
blanche ». Et voilà tout.
La Carrière
23 et 27 rue principale 02160 Pargnan
www.terroirisme.com
photographie
Benoît Pelletier
Iemza, Ksy Boomkies
&
le champagne
Vincent Brochet
La maison de champagne Vincent Brochet, localisée à Ecueil,
se distingue, par une initiative intelligente et rafraîchissante,
et par son intérêt pour l’art. L’art de notre cru.
Son dirigeant a eu l’idée de faire appel à un artiste, chaque
année, pour habiller en exclusivité une bouteille. Pour le lancement
de cette ode à l’originalité, c’est Iemza et Ksy Boomkies,
deux artistes rémois, qui ont été sollicités par la maison
de champagne. Les deux artistes sont intervenus lors d’un
happening exclusif et réjouissant et ont peint une porte des
caves de la maison de champagne.
Il leur aura fallu une journée et 5 m 2 pour réaliser cette performance
représentant le blason familial de la maison, stylisé
et modernisé. Cette prouesse artistique a ensuite été brillamment
consacrée : l’œuvre a été reprise sur une bouteille, ainsi
que sur son coffret, une cuvée « Galactic », en édition limitée.
En effet, la bouteille se multiplie jusqu’à mille exemplaires,
numérotés à la main. Pas un de plus. Parce que l’art est aussi
précieux que le bon champagne.
www.champagne-vincent-brochet.com
www.facebook.com/IEMZA/
© benoît pelletier
PHOTOGRAPHIE
_ Yokainoshima, 2013-2015 © Charles Fréger
2
PHOTOGRAPHIE
CHARLES
fréger
Charles Fréger est un photographe
français né en 1975
à Bourges. Son travail, qui
consiste à rendre les communautés
visibles par la puissance
du médium photographique,
a notamment été exposé aux
Rencontres photographiques à
Arles, au Festival international
des Arts de la Mode à Hyères,
à la maison européenne de la
photographie et au Parcours
Saint-Germain à Paris, au MAC /
VAL à Vitry / Seine, à la Kicken
Gallery à Berlin, au MOCA
à Shanghai, au Forum Hermès
à Tokyo…
texte
Alexis Jama-Bieri
_ Babugeri, Bulgarie de la série Wilder Mann, 2010-2011 © Charles Fréger
PHOTOGRAPHIE
Qu’est-ce qui vous a amené à la photographie ?
C’est un mélange de visites d’expos de Beaux-Arts et d’art moderne.
Rapidement je me suis intéressé au portrait et j’ai pensé
que j’avais plus à apprendre dans les œuvres de Van Eyck et Vélasquez
que dans la photographie contemporaine. En 1995 j’ai
vu une exposition de Mondrian à Washington où j’ai été fasciné
par le paradoxe entre le désir de faire quelque chose - la volonté
de rigueur d’un artiste - et la limite humaine du projet -voir
face à la peinture la « main qui tremble ». J’ai vraiment pris ça
comme un étalon dans mon travail. Mes 1ers portraits photographiques
se déroulaient dans un cadre très contrôlé, au sens
vertical, horizontal, perpendiculaire. Il y avait cette frontalité
qui pouvait ressembler à des aplats, puis j’ai pris des libertés par
rapport à l’espace, aux perspectives et à la frontalité, plus sous
l’influence de la peinture de Bacon que de la photographie de
Richard Avedon.
Pourquoi ne vous êtes-vous pas lancé dans la peinture ?
Quand j’ai commencé à faire de la photographie, je me suis
retrouvé face aux travaux historiques de Sander et à la photographie
des voyageurs et grands photographes du XIX ème siècle
qui m’ont particulièrement inspirés.
Peut-on dire que la composition est essentielle dans vos photographies,
comme dans un tableau ?
L’idée de la composition -le choix des couleurs, des espaces, des
catégories, des silhouettes et des personnes- est essentielle dans
mes photos. Plus l’environnement a été pris en compte dans sa
complexité, plus il a fallu travailler la composition. Quand on
commence un projet dans un couloir, dans une école ou dans
un régiment de la légion étrangère, on n’a pas le même rapport
à la surface et à l’espace que lorsqu’on se retrouve face à la chaîne
des Pyrénées. Je suis parti d’une approche très frontale et minimale
pour arriver progressivement à intégrer la nature, l’espace,
le mouvement et c’est encore des choses sur lesquelles je me
questionne. Ainsi, dans mes 1 ers projets entre 1998 et 2001 je
ne travaillais pas du tout en studio et je recherchais un fond
abstrait, une matière, une texture de peinture, le grain d’un mur
ou d’un papier peint. Il fallait cet équilibre entre le portrait de
la personne en uniforme, la production même de cet uniforme
qui apportait une certaine forme d’abstraction, et le fond qui
était assez minimal.
Quel matériel photo utilisez-vous ?
Je travaille avec un appareil numérique Phase One en 80 millions
de pixels. J’utilise des lumières de studio et je me sers toujours
du flash. J’éclaire tout !
Comment faite-vous pour trouver vos sujets ?
Je suis sur un projet en plusieurs chapitres dans lesquels j’avance
logiquement comme si j’avais une mission, mais il y a toujours
une part de hasard. Parfois c’est en feuilletant un magazine
touristique, parfois c’est dans une station-service en faisant le
plein –pour mes éléphants peints–, parfois c’est en visitant une
maison que je trouve mes sujets. Et puis il y a des rencontres.
Il y a toujours une quête de groupes et de communautés qui
pourraient correspondre à mon travail.
Au-delà d’un regard porté sur un groupe, peut-on dire que vous
travaillez sur l’identité fantasmée ?
Exactement ! Les milieux que je photographie ont des identités
parfois proches de la mascarade avec leur costume scolaire,
militaire, sportif ou religieux. Désormais les groupes qui m’intéressent
ont plus à voir avec une certaine forme de théâtralité
et de mise en scène de soi qui fait que souvent c’est l’identité
fantasmée du groupe qui prime sur l’identité d’une personne
en costume. D’ailleurs dans la plupart de mes derniers projets,
on ne voit pas le visage des gens. Ici, l’aboutissement du projet
est de faire une image où on a l’impression de faire face à une
créature, une silhouette, où on ne se pose pas la question de qui
est en dessous, même si cela a une importance d’un point de
vue documentaire.
Pouvez-vous nous parler de votre série sur les basques, où justement
on ne distingue pas les visages des personnages ?
Quand j’ai exposé au musée basque à Bayonne il y a 2 ans 1/2,
j’ai vu un film de 1930, sur la culture basque où on voit une
pastorale qui est un spectacle en plein air. C’est le type le plus
ancien de théâtre en Europe. Il est codifié, frontal, et les personnages
ont une élocution particulière. Les scènes durent 3 h
et impliquent la presque totalité des habitants des villages qui
sont volontaires et qui répètent toute l’année. J’ai donc débuté
une nouvelle série qui s’appelle « La suite Basque ». Les 1ers
portraits représentent une histoire datant de l’inquisition, où
un inquisiteur venu de Bordeaux avait brûlé des femmes qu’il
voyait comme des sorcières avec leurs coiffes traditionnelles
très évocatrices. Ensuite il y a 2 pastorales avec des personnages
religieux, des aristocrates qui portent tous un bâton. Pour finir,
j’ai réalisé 2 séries en couleurs qui représentent, Les Ainarates,
les filles du pays basque espagnol qui traversaient les Pyrénées
PHOTOGRAPHIE
4
_ Majorettes, 2000-2001 © Charles Fréger
_ Fantasias, 2008 © Charles Fréger
_ Empire, 2004-2007 © Charles Fréger
PHOTOGRAPHIE
De gauche à droite
_Caretos de Lazarim de la série Wilder Mann,
2010-2011
_ Yokainoshima, 2013-2015
_ Water-polo, 2000
_ Hereros, 2007
_ Opéra, 2005-2007
© Charles Fréger
avec leur tabouret pour venir travailler en France, et Les Exiliados,
des silhouettes de gens habillés comme les réfugiés républicains
de 1939 au pays basque français. Il s’agissait de familles
qui traversaient champs et rivières pour venir se réfugier. La
façon dont les hommes portaient des quantités de valises et
cette ambiance de fuite font penser à l’actualité.
Quelles sont les séries qui vous ont paru les plus intéressantes
à réaliser ?
Il y a d’un côté les séries réalisées sur le long terme qui ont ponctué
mon travail qui sont dans l’accumulation, dans le tour de
force mental jusqu’à l’épuisement : par exemple les majorettes,
la légion étrangère, les lutteurs de sumo, les gardes royaux républicain,
les bretonnes, l’Opéra de Pékin ; de l’autre les séries
courtes où on me donnait 1/2h avec des groupes et où je devais
faire fonctionner le projet en ce temps imparti : par exemple le
Waterpolo. Cela explique pourquoi je suis retourné plusieurs
fois photographier la légion étrangère entre 2000 et 2011 car
je trouvais toujours quelque chose qui m’intéressait dans cette
représentation dialectique entre l’iconique/l’exotisme et le réel.
Je fais partie des photographes qui peuvent entrer dans les régiments
traditionnels et c’est plutôt un privilège. Ainsi, quand
j’étais à Djibouti c’était assez impressionnant d’aller en hélicoptère
dans des sites symboliques : déserts de sel ou de sable où on
retrouvait l’image la plus iconique du légionnaire.
Si vous deviez décrire votre photographie en 3 mots ?
Désir, sauvage et identité.
Vous vous voyez comme un ethnologue ?
Les musées du Quai Branly et de l’Homme s’intéressent à mon
travail et l’utilisent comme point de départ de réflexion. Je ne
vis pas avec les groupes que je photographie, je ne cherche pas
à me laisser aller dans les groupes. Mais lors d’une prise de
vue l’interaction peut être excitante et intense. J’ai toutefois la
volonté de documenter les projets, d’échanger avec des spécialistes,
que ce soit sur les coiffes bretonnes ou l’Yokainoshima au
Japon. Quand on parle de coiffe bretonne en Bretagne, on peut
être vu comme un fétichiste des dentelles, mais il s’agit aussi
de culture, d’une tendance depuis les années 1970 à retrouver,
entretenir et inventer des formes de traditions. Quand on
parle de l’Yokainoshima au Japon, on parle de rituel shinto et
bouddhiste rural dont une grande partie des japonais ignorent
aujourd’hui l’existence.
Vous éditez des livres de vos photographies ?
Les gros projets sont édités en livre tous les 2 ans. Le dernier
s’appelle Yokainoshima. Le prochain, sur La suite basque, sortira
en 2018 car le projet est particulièrement lourd.
w w w . c h a r l e s f r e g e r . c o m
6
COMEDIE FIGARO Encart Peel 105x290_Mise en page 1 22/11/16 15:24 Page1
LA FOLLE
JOURNÉE
OU LE
MARIAGE
DE FIGARO
16
AU
21
DÉC
texte
Beaumarchais
mise en scène
Rémy Barché
CE
QU’ON
SAIT, DE
SAVOIR
T O UT
’ON
CE QUE L
IGNORE... VOILÀ
TOUTE
LA POLITIQUE
D’IGNORER
FEINDRE
www.lacomediedereims.fr
© Thierry Gaude
Utopie pragmatique
8
Utopie pragmatique
QUARTIER
LIBRE !
Selon le Larousse, avoir quartier libre, c’est « être
autorisé à sortir de la caserne et par extension,
être autorisé à sortir ou à faire ce qu’on veut ».
Et selon le Petit Littré, quand un militaire est de
quartier, c’est qu’il occupe une fonction de trois
mois en trois mois, cycliquement. Il ne s’agit pas,
ici, de faire une petite leçon de vocabulaire, mais
bien de démontrer, d’emblée, que le projet
Quartier Libre, qui a vu le jour le 30 octobre
dernier à Reims, porte vraiment bien son nom.
Beaucoup de médias relaient le portrait de ce
projet que personne n’a vu arriver. Et pourtant,
il n’y a qu’en s’y déplaçant, et en discutant avec
les résidents, que l’essence profonde de Quartier
Libre s’extrait.
À l’initiative de cette équation, il y a Arnaud Bassery,
et l’association Velours, qui, au détour d’une
évolution fructueuse durant les années 2015 et
2016, ont décidé de réunir, comme une grande
friche artistique, des talents divers, entrepreneurs
et créateurs de tous horizons, dans un lieu (a)vide
qui ne demandait qu’à revivre. Ne serait-ce
que quelques mois. Trois, pour être précis.
Le Petit Littré avait raison. Trois mois d’expérimentation,
en direct et sans filet, pour que cette petite
fourmilière grouillante d’idées neuves s’agite et
s’émancipe. Derrière les murs colorés et les vitres
décorées des anciens locaux de Plurial Novilia,
étage après étage, il y a des dizaines de résidents
qui y ont fait leur nid en un temps record, pour y
travailler dans des conditions extra-ordinaires.
Car si leurs installations sont éphémères, leurs
entreprises prévues à Quartier Libre visent la pérennité.
Un peu comme un tremplin sur lequel on
passe vite et qui nous envoie super loin. Espace de
coworking, boutique select-store, ateliers ouverts,
salon de gaming, bar, jardin partagé, skate park,
ce laboratoire de créativité est en constante effervescence.
Dès le matin, parfois jusque tard le soir,
et le week-end aussi pour y accueillir le public,
car le maître mot de cet espace est l’ouverture.
L’ouverture sur le monde, sur l’avenir, sur autrui.
L’ouverture d’esprit.
Et, outre l’originalité et la convivialité de ce lieu
ouvert, la particularité de Quartier Libre est de
nous faire renouer avec les fantasmes de l’enfance.
Comme une immense cabane autorisée, où il est
possible de s’installer et d’écrire sur les murs, où
les idées du voisin ne sont pas une rivalité mais
une complémentarité, où les premiers arrivés font
le café pour les suivants qui, eux aussi y ont pensé,
amènent les croissants. Ça parait presque naïf,
et pourtant : quand on y réfléchit bien, aujourd’hui,
dans notre petit monde qui tourne sur lui-même
dans une immense galaxie, il ne nous reste plus
que ça, ce partage dénué d’autre mobile que luimême.
Le partage comme fin en soi.
La maison est grande. Ils ont déjà bien poussé
les murs. Mais ne vous fiez pas à leur image de
façade. Pour comprendre Quartier Libre, il faut
creuser un peu, inviter à soi la réflexion. Ils ne pouvaient
pas envoyer de bristol à tout Reims, mais
les portes sont ouvertes jusqu’au 31 janvier.
À bon entendeur.
Utopie pragmatique
© Sylvère Hieule
uelle est la genèse du projet Quartier Libre ?
L’idée est venue philosophiquement, progressivement.
On a eu accès, avec Velours,
à des bâtiments durant l’année 2015-2016 et
l’exploitation de ces bâtiments évoluait au fur
et à mesure des projets, des partenaires, des publics. Lors d’une
discussion avec Nicolas Bourgeois, on a pu réfléchir à l’exploitation
de ce bâtiment de 2000 m 2 et très vite, on s’est questionné:
comment exploiter un tel bâtiment et lui donner du sens ? Le
premier postulat, c’est de considérer que le monde autour de
nous ne nous ressemble pas. Le monde nous oblige à ingurgiter
du négatif, les gens ne se comprennent pas, ne se rencontrent
pas, ont peur les uns des autres. Alors, soit on reste fataliste,
soit on se dit qu’avec de l’énergie et un peu d’arrogance, on peut
impulser des choses nouvelles, chacun à son échelle. L’objet politique
du projet est vraiment local. C’est en agissant localement
qu’on est le plus efficace : c’est sur des petits périmètres qu’on
peut semer un maximum de graines dans un maximum de
têtes. Le deuxième postulat, c’est qu’on est une bande de mecs
entre 30 et 40 ans et qu’on a tous envie d’évoluer dans notre
domaine, qu’on soit artiste, sportif, entrepreneur, on a envie de
proposer du neuf. Et la façon d’être innovant, c’est de réunir des
compétences différentes autour d’un projet commun. Accueillir
des savoir-faire différents, des techniques différentes, des énergies
différentes, en générant entre eux des rencontres, du bienêtre…
Envoyer de l’amour… Et voir ce qu’il en ressort. En deux
mots, Quartier Libre est une utopie pragmatique. Utopie, parce
qu’il en faut, il faut rêver au-delà de nos limites, et pragmatique
parce qu’on est dans une réalité concrète, économique. On a
besoin de vivre, de remplir nos frigos, de payer nos loyers. On a
besoin de rencontrer d’autres personnes pour faire du business
avec elles, on a besoin de se nourrir d’une créativité, et Quartier
Libre répond à ces problématiques-là.
Une utopie ou une révolution ?
En fait, c’est vraiment difficile
de définir ce projet. Car il
est avant tout expérimental.
Définir un projet, c’est aussi
le cadrer, le mettre dans un
tiroir. Et je n’ai pas envie de
ça. Une utopie ou une révolution,
je dirais que c’est un peu
les deux. Mettre des gens dans un lieu comme ça, secouer et
voir ce qui en ressort, c’est une utopie, un truc de doux rêveur.
Révolutionnaire, ok, mais ce projet ne va pas contre quelque
chose : il vient en complément de l’existant, il vient montrer que
c’est possible autrement. On n’est pas là pour couper des têtes
et les mettre au bout d’une baïonnette, on est là pour rassurer,
séduire, essayer, expérimenter.
Quartier Libre est donc pérenne et projeté sur une volonté de
renouvellement d’expérience ?
Il faut fonctionner par étapes. Ne pas vendre la peau de l’ours
avant de l’avoir tué. On expérimente sur trois mois et on verra
après. Mais concrètement, oui, des pistes sont avancées sur le
long terme. L’idée ne serait pas de réitérer l’expérimentation à
l’identique, car on serait sur une base déjà existante, avec des
données déjà acquises et déjà fiables. Mais imaginer plus grand,
plus longtemps, oui. Une évolution en fait. Là je suis en train
d’identifier des points de rentabilité potentielle, et ce serait super
de continuer, dans un autre écrin, sur une temporalité plus
longue, voire infinie, et dans d’autres conditions.
Mais est-ce que ce serait séduisant que Quartier Libre s’inscrive
dans la durée ?
J’aimerais croire que oui, mais franchement je ne sais pas !
Je pense qu’en tout cas, les résidents qui sont ici ont fait le choix,
pour nombre d’entre eux, de quitter leurs bureaux pendant trois
mois. On a des personnes qui n’étaient pas obligées de venir ici.
D’autres, oui, qui n’ont pas de locaux ou d’atelier. Mais ce qui
est séduisant, c’est l’énergie qui fait tomber les cloisons. Cette
collaboration restera séduisante, même sur du long terme.
Après, ce qui pourrait être encore plus séduisant, ce serait de
s’installer vraiment et de voir la progression. Là, on a trois mois,
on est obligés d’être constamment sur la réactivité. Si demain
on a cinq ans pour travailler dans un lieu, on sait qu’on pourra
mettre en place d’autres outils, travailler différemment. En attendant,
on se teste comme ça. Et on en a besoin à Reims !
Mais la grosse difficulté est d’avoir un lieu assez grand pour accueillir
un maximum de monde, avec un coût minime… non ?
Oui, et c’est pour ça qu’il est primordial pour nous de pouvoir
déceler des points qui génèrent de l’économie, pour continuer
à fonctionner en autofinancement, pour assumer potentiellement
un loyer, des charges électriques…
texte
Agathe Cebe
0
Utopie pragmatique
MAXIME VALETTE
© Sylvère Hieule
TÉMOIGNAGE
Maxime Valette est un électron libre. À 28 ans, il
compte déjà plus de 13 ans d’entreprenariat actif,
avec notamment la création du célèbre VDM,
et il est aujourd’hui à la tête de trois entreprises,
trente salariés, et une présence territoriale nationale.
Mais, pour lui, ce n’est pas du génie : c’est du boulot.
Entreprendre, en 2016, c’est être pragmatique et s’établir
des directives claires. Sa présence à Quartier Libre
fait écho au dynamisme qui lui colle à la peau.
Photos ci-contre © Angèle Caucanas
… donc que l’utopie rentre dans la vraie économie ?
La volonté qu’on a d’impulser des formes nouvelles de collaboration,
elle reste utopique. Maintenant, sur les aspects économiques
et organisationnels, on est déjà dans une réalité
puisqu’on a des partenaires privés qui financent l’opération,
parce qu’on a des charges à assumer. Ces partenaires ont aussi
leur intérêt à bosser avec ce type de projets dynamiques, collectifs
et collaboratifs. Il y a des enjeux pour chacun en amont.
Mais je ne veux vraiment pas rentrer dans une forme existante.
Il faut arriver à imaginer quelque chose de différent, et le modèle
économique qui se dessine ici aujourd’hui est différent : on
l’invente, même si certains aspects ressembleront à des modèles
économiques existants. On se donne vraiment les moyens
d’assumer de part en part cette dynamique nouvelle. Moi, le
bullshit, ça ne m’intéresse pas. Le bullshit, dans le sens : l’incohérence.
Quartier Libre est cohérent dans sa ligne de conduite.
Gardons l’esprit ouvert, restons éveillés, voyons comment
avancer sans dépendre de qui que ce soit. L’indépendance est
une force aujourd’hui. Pas une force poétique, mais une force
qui rend fier. Se dire « on a réussi à faire autrement. On a coconstruit
différemment. »
Comment avez-vous été séduit par Quartier
Libre ?
Startinbloc est présent à Quartier Libre comme une
évidence, comme nous faisons la promotion d’entreprise
créatrices de valeurs, d’idées et d’emplois. Avec
Startinbloc, nous travaillons depuis un an et demi à
un autre projet parallèle, Le Bloc, un lieu générateur
d’épanouissement, tant dans l’entreprenariat que
dans l’enseignement. Quartier Libre réunit du monde,
un public. Nous pouvons ainsi observer, recueillir des
données sur ce public : leurs goûts, leur fonctionnement
économique. Quartier Libre m’a séduit comme
expérience de prospection.
Sur quoi travailliez-vous à l’instant ?
Je m’occupais d’un de mes sites, betaseries.com,
qui est une communauté réunissant les amateurs de
séries. Depuis 2007, le site a réuni 850 000 membres.
Chaque lundi, nous organisons un concours The
Walking Dead, pour qu’un de nos membres gagne son
portrait « façon zombie » ! J’étais en train de mettre ça
en place. D’ailleurs, lundi 12 décembre, nous organisons
une soirée spéciale, à Quartier Libre, autour de
The Walking Dead. Ça va être sympa.
L’expérience Quartier Libre vous inspire-t-elle
pour la suite ?
Évidemment… Être entrepreneur, c’est s’intéresser à
20% au présent et à 80% au futur. Trois mois à Quartier
Libre, c’est rapide. Ça va très vite. Mais ça permet
de réfléchir aux perspectives de communication et de
développement, pour un projet comme Le Bloc. Je
pense déjà à des extensions possibles : accueillir des
écoles, à demeure, au quotidien, comme des écoles de
développement web, qui ne sont pas encore implantées
sur Reims. Mais je pense également à élargir le
public de résidents : la richesse du futur, c’est aussi
d’attirer des personnes qui viennent d’autres villes
françaises, voire de l’étranger.
Utopie pragmatique
Photos ci-contre © Angèle Caucanas
Ce raisonnement nouveau, presque libéral, est-il propre à la dynamique
que vous avez lancée ici ou est-ce l’expression d’une
génération qui est en train de prendre son essor ?
Je ne pense pas que ce soit une question de génération. C’est
vraiment une question d’envie. L’envie de faire des choses nouvelles.
De rafraîchir les dogmes. Quand tu parles de République
et qu’on te cite la Révolution Française, t’as quand même envie
de dire que d’autres choses ont été faites après ! On est en
2016 ! Et ce constat n’est pas générationnel car il a été fait par
pas mal de personnes qui ont des âges différents. Mais libéralisme,
oui, pourquoi pas ! Pardon, mais, on s’en fout après tout,
on est sur un système mondial qui ne fonctionne pas quoiqu’il
arrive. Quartier Libre ne va pas révolutionner la façon de penser
dans le monde, mais les gens ont besoin d’entendre parler
avec conviction, de rêver et de se rendre compte que les rêves
sont atteignables.
On sent bien que le statut du salarié, pourtant tellement protégé,
est de plus en plus vigoureusement remis en question par des
discours alternatifs tels que le vôtre… Pourquoi ?
Il ne faut pas avoir peur du changement. Il faut oser l’impulser.
Si personne ne propose d’alternative, il ne se passera jamais
rien. On ne fera jamais le même métier que nos parents, avec
l’ascenseur social, la confiance, l’emploi… Ce n’est plus possible
de se projeter sur du long terme. Et il est donc intéressant de
s’interroger sur ce constat. Quels sont les nouveaux usages de
travail ? Comment développe-t-on la créativité des salariés ?
On doit prendre en compte le bien-être du salarié pour sa productivité.
Les systèmes pyramidaux actuels sont sclérosants.
Les décisions sont trop éloignées de la réalité du terrain et le
salarié ne sait plus comment ajuster le tir. Aujourd’hui, il nous
faut des circuits courts, il faut qu’on comprenne ce qu’on fait, et
on a des outils pour ça !
Ce qui va ressortir de l’expérience Quartier Libre, ce sera donc
tout sauf du salariat. Ce sera du pluridisciplinaire…
Ce que je pense, c’est que le salariat va disparaître progressivement
pour laisser place à quelque chose de plus flexible, de
plus adaptable. Faire appel à des services, des compétences,
des intelligences, sur des périodes courtes, sur des thématiques
précises, c’est être libre de ne pas avoir des grosses charges salariales
constantes et d’être dans une réactivité nouvelle, dans
des opportunités sans cesse renouvelées. Le coworking, par
exemple, se développe hyper rapidement parce qu’il représente
cette multitude de personnes aux profils différents dans un
même lieu, et on peut piocher parmi les compétences réunies
dans ce lieu en fonction des besoins.
Mais qu’est-ce qu’on va faire de tous ceux qui n’ont pas cette
logique libérale, cette logique d’indépendance ? L’innovation de
votre démarche ne va-t-elle pas venir buter contre « le reste du
monde du travail » ?
Je ne pense pas que ces formes soient concurrentielles. Elles
sont complémentaires. Le salariat est utile sur des postes clés,
des fonctions essentielles. Mais pour des projets ponctuels, les
entreprises peuvent faire appel à d’autres intelligences qui ne
viennent pas concurrencer ces postes clés. Seulement les compléter,
les développer. Cette démarche existe depuis que le salariat
et l’entreprenariat existent. Idem pour Quartier Libre : on
ne concurrence personne. On propose un complément à l’offre
existante. Il faut que les gens viennent pour comprendre ce
qui se passe ici. J’ai conscience que notre système n’est pas très
lisible. On casse un peu les codes…
Et quelle est la proportion entre les résidents qui sont venus
parce qu’ils avaient juste envie d’en être, et ceux pour qui il y a
un enjeu, pour qui il y aura un « avant » et un « après »?
Je suis assez persuadé qu’il y aura un avant et un après pour
chaque résident. Que tu viennes ici pour une mise en lumière
un peu sexy, un peu bobo, ou que tu viennes parce que tu as
besoin de locaux ou d’outils concrets, le résultat sera le même
pour tout le monde. On crée une dynamique et ça va marquer
2
Utopie pragmatique
ANTONIN LECLERE
© Sylvère Hieule
TÉMOIGNAGE
Antonin Leclere est plasticien et graphiste, habitué à
son atelier et au travail solitaire. À côté de ses projets
artistiques, il est un peu « touche-à-tout » et s’est régulièrement
impliqué dans les projets de Velours. Il a été
télescopé dans l’aventure Quartier Libre sans avoir le
temps de réaliser ce qui l’attendait.
Comment avez-vous été séduit par Quartier
Libre ?
Quartier Libre m’a embarqué le jour où Arnaud a
obtenu les clés. Je ne suis pas sur les réseaux sociaux,
je n’avais entendu parler de rien. J’ai visité les locaux
vides, et j’ai trouvé le projet géant, intéressant et libre.
J’ai vu ça comme une bouffée d’air, des possibilités de
rencontres et de créations nouvelles. J’ai donc entrepris
de déménager mon atelier pour l’occasion.
J’ai troqué ma solitude contre de l’effervescence.
Sur quoi travailliez-vous à l’instant ?
Je faisais le post-traitement des photos du dernier
Sonotium, pour pouvoir les relayer sur le site de
Quartier Libre. Ce site est une super passerelle pour
mon association. Tous les week-ends, le samedi ou le
dimanche, nous organisons un Sonotium, de la diffusion
de musique électro-ambiante, sans déranger les
voisins. C’est un projet parmi d’autres.
L’expérience Quartier Libre vous inspire-t-elle
pour la suite ?
Oui ! Tout ce que j’entreprends ici a une résonnance
pour l’avenir. J’aime faire des choses avec trois fois
rien. Ici, je travaille à rendre les extérieurs sexys,
je fais un peu de régie, je m’occupe du jardin, et je
mets en place un projet d’installation, entre structure
et architecture, dans un petit coin du 1 er étage.
C’est très motivant. Mais vraiment, ce qui me propulse
vers l’avenir, c’est ma rencontre décisive avec Pierre
Harlaut. Son aquaponie conjugué à mon jardin d’intérieur,
c’est vraiment le futur.
AURORE LECROCQ
© Sylvère Hieule
TÉMOIGNAGE
Aurore Lecrocq représente la CCI, plus particulièrement
dans les domaines de la communication et de
l’évènementiel. Elle prône une nouvelle communication,
moins institutionnelle, qui privilégie la relation
cultivée avec les entrepreneurs et les meneurs de
projets.
Comment avez-vous été séduit par Quartier
Libre ?
Le projet Quartier Libre représentait ce que la CCI
recherchait depuis longtemps, pour soutenir activement
les entrepreneurs : un espace de rencontres
improbables, et qui serait en dehors de la zone de
confort habituelle des résidents. Quartier Libre est à
l’image de notre société : multifacette et constamment
innovante. Le marketing de 80s a mis des gens dans
des cases. C’était confortable mais absolument pas
productif. Quartier Libre marque un retour aux fondamentaux,
comme les bistrots parisiens du 19 e siècle,
où les artistes se retrouvaient, jour après jour, pour
cultiver leurs relations.
Sur quoi travailliez-vous à l’instant ?
Nous venons de co-animer un atelier avec le CRESS-
CA, Chambre Régionale de l’Economie Sociale et Solidaire
de Champagne Ardenne. Quartier Libre regorge
de talents et d’initiatives bénévoles, et nous les
guidons pour qu’ils vivent mieux de leurs savoir-faire.
Arnaud Bassery dit que Quartier Libre est une utopie
pragmatique. La CCI représente le coté pragmatique.
L’expérience Quartier Libre vous inspire-t-elle
pour la suite ?
Oui, elle nous donne envie de sortir encore plus.
La CCI a longtemps été dans une logique de guichet.
Le public devait venir à la CCI. Plus que jamais, désormais,
il faut que la CCI entre dans une dynamique hors
des murs, ici et ailleurs. C’est une histoire humaine à
laquelle nous sommes ouverts, même si nous avons
conscience que le processus d’évolution est parfois
long.
Utopie pragmatique
le park'in
Osez descendre la pente, jusqu’au Park’in.
Le skate park éphémère de Quartier Libre squatte
l’ancien parking souterrain des locaux de Plurial Novilia.
« Le Short Lived Skate & BMX Park » a été pensé,
construit et bétonné par les riders de Mojito Skateshop
et Legalize BMX, en partenariat avec Velours.
Des créneaux d’initiation sont prévus les mercredis
et samedis, de 14h à 16h. Pour les confirmés, rendezvous
sur la page Facebook @lePARKin51 pour les
modalités de fréquentation.
UNE SÉRIE DE
SYLVÈRE HIEULE
www.instagram.com/sylvere_h
4
Utopie pragmatique
Utopie pragmatique
Pierre Harlaut
les esprits. C’est déjà le cas. Mais on ne peut pas nier qu’il y ait
un effet de mode. Il faut se rendre compte du challenge : on a
les clés depuis 28 jours, il y a 2000 m 2 d’espace occupé, il y a
1,3 tonne de béton coulée dans le parking souterrain pour le
Skate Park, et dans trois mois on rend les clés ! C’est un vrai
coup de force. Et on adhère ou on n’adhère pas, comme pour
toute mode.
Quels sont les apports des ouvertures au public ? Avez-vous identifié
les publics qui osent pousser la porte de Quartier Libre ?
Les gens viennent voir de leurs propres yeux, ils viennent visiter,
ils viennent se détendre. L’espace est complètement réaménagé
et ça attise la curiosité. Il y a des scolaires qui vont venir
aussi… Et pour éviter que les gens viennent et qu’il ne se passe
rien, j’ai souhaité mettre en place des temps d’évènements, réguliers,
ouverts. Ça apporte du bien-être. Et c’est la fameuse graine
qu’on veut semer.
Est-ce qu’il y a des choses qui se profilent déjà un peu ? Des tendances
? Des leviers puissants vers du concret et du pérenne ?
Pour l’autofinancement, oui. Le bar, la salle « évènementiel »,
l’aquaponie et le jardin partagé. Associer un restaurant, pourquoi
pas, pour enrichir le culturel et le social, en lien avec notre
jardin partagé, en vendant les légumes qu’on fait pousser ici,
qu’on maîtrise. En ce qui concerne les prestations qu’on propose
aux clients, on peut faire travailler tous nos résidents pour mener
à bien des prestations entières et d’excellente qualité. Pour
le reste, il est encore tôt : on observe.
C’est presque un programme politique… Le discours est très volontaire,
très construit et argumenté…
La politique fait rentrer dans des cases. Et les gens s’en gargarisent.
Ce n’est pas mon parti pris. Je veux faire autre chose.
Je suis nécessairement engagé, par mon rôle d’entrepreneur
local, sur Reims, sur la région. Mais je m’engage avec des alternatives.
Quartier Libre est l’occasion de transmettre un message
positif et dynamique. C’est une parenthèse d’expression intéressante,
mais qui n’est pas faite pour foutre la merde. Elle propose
et doit servir à tout le monde. On n’a aucune autre ambition
que de faire quelque chose de concret. Et mon propos est en
fait apolitique. Pas de parti pris, pas de préférence, pas de promesse,
pas de mensonge à Quartier Libre. On ouvre les portes
pour accueillir, en toute transparence. On s’impose. Personne
ne nous attendait, personne ne nous a demandés, mais on y va.
Et on espère que les gens viendront aussi.
© Sylvère Hieule
TÉMOIGNAGE
Pierre Harlaut est un pionnier de l’Aquaponie en
France. Il faut dire que nous avons vingt-cinq ans de
retard en la matière. Pierre a découvert cette activité
sur internet, et, fasciné, a commencé à apprendre,
en autodidacte, et à créer ses propres prototypes
amateurs. Bien conscient que la pratique révèle des
limites, et que pour faire de l’aquaponie, il faut du
matériel, des kits et du savoir-faire, Pierre a créé des
outils nouveaux, à la portée de tous : un site internet,
des formations gratuites, un livre disponible sur le net,
des matériaux. Son aventure éthique est rapidement
devenue une aventure humaine.
Comment avez-vous été séduit par Quartier
Libre ?
L’initiative, à la base, est séduisante. C’est un rêve
d’avoir ça sur Reims. On a beaucoup de libertés, tout
en étant structurés. C’est mon frère qui m’a mis en
relation avec Antonin, et j’ai intégré l’aventure deux
semaines après tout le monde. Quartier Libre est, pour
moi, un point de connexion avec la ville, une sorte de
famille que je viens voir à Reims. Car sinon, je suis plutôt
ermite, je reste dans ma campagne. Quartier Libre
est l’ouverture sur le monde qui me manquait.
Sur quoi travailliez-vous à l’instant ?
Ma réponse va être un peu anecdotique, mais j’étais
simplement en train de raccorder une tour ZipGrow
à notre paysage aquaponique. Et je vérifiais son
étanchéité. D’habitude, je pose mes tours selon mon
protocole propre. Là, je dois aussi m’adapter au travail
d’Antonin, et à l’espace partagé avec lui.
L’expérience Quartier Libre vous inspire-t-elle
pour la suite ?
Déjà, j’ai des projets qui ont fleuri avec Antonin.
Des projets autour de l’occupation de nouveaux
espaces, comme les toits par exemple. Aussi, on
aimerait proposer des aménagements d’espaces de
détente dans les entreprises ou des offres paysagistes
aquaponiques, totalement inédites. On veut
ramener le végétal près des gens. J’espère vraiment
qu’il y aura un Quartier Libre 2, dans lequel je pourrai
encore mieux m’organiser et montrer que ce n’est pas
un passe-temps amateur mais un vrai travail, avec de
vraies offres. Une véritable solution pour nos consommations
futures aussi.
w w w . q u a r t i e r l i b r e - r e i m s . c o m
6
Utopie pragmatique
L’espace Quartier Libre s’ouvre au monde : jeudi et vendredi
de 18h à 23h, samedi de 10h à 23h et dimanche de
GAUTHIER BOUGRAS
© Sylvère Hieule
10h à 21h. Trente-deux heures par semaine pour découvrir cet
espace en perpétuelle évolution. Outre la curiosité, les visiteurs
viennent également participer à des activités, vivre des expériences.
Et les résidents se laissent envahir de leur plein gré,
quelques heures, pour le plaisir de rencontrer.
TÉMOIGNAGE
Gauthier Bougras a toujours baigné dans les vins et
spiritueux. Il est désormais responsable commercial
du groupe américain Sovereign Brands, il a en charge,
plus spécifiquement, le management de la marque
Luc Belair, créée en 2012 et forte d’un dynamisme
de gamme encore peu concurrencée en France, entre
le champagne et l’effervescent.
Comment avez-vous été séduit par Quartier
Libre ?
Quartier Libre change vraiment de l’ordinaire. C’est un
projet qui casse les codes. Le credo de notre marque
est « Join the movement »: je ne pouvais pas manquer
une occasion comme celle-ci. Luc Belair s’inscrit dans
une mouvance fraîche, une identité artistique nouvelle,
et Quartier Libre répondait à nos désirs du moment.
Sur quoi travailliez-vous à l’instant ?
Je travaillais sur mes factures d’importation… Ce n’est
pas très glamour, mais enfin, il faut bien le faire !
L’expérience Quartier Libre vous inspire-t-elle
pour la suite ?
Plus que jamais, Quartier Libre m’inspire l’envie d’un
lieu pérenne, une entité locale connue et reconnue
dans laquelle je pourrais m’installer durablement.
Je travaille avec une entreprise américaine, nous
sommes assez peu de salariés en France, et je travaille
donc de chez moi. Ce n’est pas toujours évident.
Avoir un bureau durable dans un lieu de ce type, ce
serait vraiment confortable. Et je suis fier d’être ici,
de pouvoir me dire, plus tard « J’y étais. C’est inscrit
dans l’Histoire et j’y étais. J’ai apporté mon vin effervescent
dans un lieu qui l’est tout autant. »
« Il y a de l’affluence le week-end, parfois c’est plus le samedi,
parfois plus le dimanche !» et peu importe pour Damien
Malezet, toujours heureux de faire découvrir Byun, sa boutique
atypique. Effectivement, certains résidents ont la possibilité
de vendre leurs produits, leurs œuvres. Mais il y a aussi ceux qui
n’ont rien à vendre, et tout à donner, en montrant leur travail,
en faisant visiter. C’est le cas d’Axel Coeuret, qui expose ses
photos dans une petite salle qui résonne, près de l’entrée.
« Niveau public, on a de tout. Et c’est cette diversité qui est
intéressante. » Chaque ouverture publique est une pochette
surprise pour les résidents. Et pour fidéliser encore plus, depuis
quelques jours, Axel et ses acolytes distribuent des « Passeports
Quartier Libre » à remplir et à faire tamponner au bar. Neuf
visites, neuf tampons et une surprise après un tirage au sort.
Et neuf visites, il faut au moins ça, car l’agenda des activités
proposées s’étoffe, le lieu en lui-même ne cesse de changer,
« et ce n’est pas fini !» précise Nicolas Gillet, espiègle. On sent
bien que les projets d’aménagement ne cessent de fleurir et que
Quartier Libre d’un jour n’est pas Quartier Libre de toujours :
chacune des visites est vouée à être différente de la précédente.
De même, certaines expérimentations géantes, comme
le jardin partagé et l’Aquaponie, évoluent de jour en jour. Cette
croissance peut être suivie par les visiteurs qui participent ainsi,
par leurs observations, à l’expérience. Tandis que d’autres installations,
mises en place en dur, n’attendent que les gens pour
vivre : le Park’in, skate park tout neuf, et le salon de gaming des
80s, reconstitué par Play Again dans la petite maison indépendante,
connexe au bâtiment principal. Enfin, parce que la convivialité
multiplie ses visages, Quartier Libre possède aussi son
petit espace de bar-resto, pour des disco soupe, des apéromix,
des brunch sessions, avant des siestes électroniques
bien méritées.
Photos ci-contre © Angèle Caucanas
un livre, 5 raisons de l’aimer
5 raisons
d'aimer…
ZAÏ ZAÏ ZAÏ ZAÏ
de Fabcaro
éditions Six pieds sous terre
Par cyrille planson
Parce que l'histoire est folle.
Un homme, auteur de BD, est pris à
partie par le vigile d'une grande surface.
À la caisse, il vient de se rendre
compte qu'il avait oublié sa carte
de fidélité. En fuite, et poursuivi par
toutes les forces de sécurité du pays,
sa vie bascule dans l'absurde.
Les médias s'emparent de l'affaire
et une vraie psychose gagne le pays,
tant ce crime de " lèse-vitrine " est
incompréhensible. Chacun s'y reconnaît
bien sûr car nul ne peut s'affranchir
des absurdités de la société de
consommation poussée à l'extrême.
Simples citoyens-consommateurs,
journalistes et politiques sont mis
face à leurs propres turpitudes,
sans lourdeur aucune. Tout en finesse.
Parce que ses dessins sont saisissants
Les dessins de Fabcaro sont minimalistes.
Ses personnages sont des
silhouettes, son cadrage est celui du
cinéma, avec des plans séquences
se déroulant sur une ou deux pages.
Une seule couleur, jaune légèrement
dorée, pour donner vie à ces pages.
Aucune fioritures, les mots, l'absurdité
des situations où les personnages
se disent " tout " ce qu'ils pensent,
sans aucune convention sociale, suffit
à donner vie à ce récit haletant.
Parce que c'est une vraie révélation.
Fabcaro n'est pas un star de la bande
dessinée avant la parution de cet
ouvrage, tout juste est-il repéré
pour son activité de scénariste sur
deux aventures d'Achille Talon.
Avec Zaï Zaï Zaï Zaï, il était en lice
pour le Prix Landerneau BD, qui
revient finalement à Manu Larcenet.
Mais le président du jury, Philippe
Geluck crée immédiatement, sans
prévenir personne, un " Prix Coup
de coeur du président " spécialement
pour lui. " Je savais qu’il serait difficile
à défendre, car c’est un OVNI ",
dira-t-il.
Parce qu'on aime l'absurde.
Zaï Zaï Zaï Zaï est absurde et…
tellement vrai à la fois. On pense à
certains auteur de roman d'anticipation
(Ira Levine Ray Bradbury…).
Cette image du paria en fuite nous
renvoie à d'autres récits, d'autres
images. L'absurdité des situations,
souvent cocasses, renvoie aussi aux
derniers projets du cinéaste Bruno
Dumont et à certaines séquences de
son P'tit Quinquin. Jolies références,
non ?
Parce que " c'est vrai, ça sert à quoi
une carte de fidélité ?"
C'est vrai d'abord, ça " sert " à quoi ?
Tout est dans ce pitch très simple :
un homme oublie sa carte de fidélité
et devient un paria d'une société
dont les structures sont adossées à
une frénésie de consommation.
On ne vous dit rien, mais sachez que
Daniel Balavoine ne sera pas pour
rien dans le sauvetage in extremis
de notre héros. Rien que ça !
8
re-contextualisation musicale
Musiques en perspectives
" demande à la poussière"
de radio elvis
Cette chronique est née d’une double envie : faire
partager des textes forts portés par des auteurs,
musiciens et interprètes en langue française et
anglaise, et, comme les chansons qui relèvent de
cette catégorie sont heureusement nombreuses,
se focaliser sur certaines qui sont clairement
inspirées par des faits réels, des personnes, des
œuvres littéraires et proposent ainsi un prolongement,
une double dimension, une perspective.
Cette chronique est donc en partie muette car les
paroles des chansons, consubstantielles à la musique,
sont faites avant tout pour être entendues,
mais elles peuvent aussi se suffire à elles-mêmes.
uelques jours après avoir proposé à Peel cette idée,
Bob Dylan recevait le prix Nobel de littérature. Cette
nouvelle tombait donc à point. Et même si ces chroniques ne
célèbreront peut-être pas des auteurs aussi reconnus que Bob
Dylan, elles espèrent que le lecteur s’attardera sur les mots et
qu’il aura l’envie – ou non- de les écouter en musique.
Commençons avec une chanson d’un jeune groupe français,
Radio Elvis, inspirée d’un roman de John FANTE (1909-1983),
ASK THE DUST, paru aux États-Unis en 1939.
Demande à la poussière
RADIO ELVIS - EP Juste avant la ruée 2015 (extraits)
C’est tous les jours écrire pour deviner sa peau
C’est tous les jours écrire pour épeler ses lèvres
La forme de son nombril qui ne concerne qu’elle
Et ne concerne qu’elle
Et m’éloigner de la poussière qui s’abat sur la ville […]
Alors fendre la foule et puis quitter la ville
Les immeubles s’écroulent, les palmiers s’embrasent
La foule est médusée
La chaleur du Mojave
Et la poussière s’enroule
Au désert qui s’avance
Et ne concerne qu’elle et ne concerne qu’elle
C’est tous les jours m’enfuir
C’est tous les jours me dire
C’est tous les jours écrire
Et la mer dans tout ça, l’avancée du désert, que pourrait-elle y faire ?
Demande à la poussière.
Pierre Guénard, l’auteur et interprète de cette chanson, avoue
avoir été marqué adolescent par la lecture, entre autres, de Jack
London, Saint-Exupéry et John Fante. Ce dernier est un romancier
et scénariste américain d’origine italienne, dont Demande
à la poussière est reconnu comme l’œuvre la plus aboutie, un
chef-d’œuvre pour Charles Bukowski qui a préfacé la réédition
de Demande à la poussière en 1979 : il y évoque ses aprèsmidis
« jeune, affamé, ivrogne » à la bibliothèque municipale de
Los Angeles à chercher comme une âme en peine à travers les
rayons – littérature, religion, philosophie, mathématiques, géologie,
chirurgie – un livre qui aurait « un rapport avec moi ou
avec les rues et les gens autour de moi. […] Un jour, j’ai sorti un
livre, je l’ai ouvert et c’était ça. […] Chaque ligne avait sa propre
énergie et était suivie d’une semblable et la vraie substance
de chaque ligne donnait sa forme à la page, une sensation de
quelque chose sculptée dans le texte. Voilà enfin un homme qui
n’avait pas peur de l’émotion. L’humour et la douleur mélangés
avec une superbe simplicité. Le début du livre était un gigantesque
miracle pour moi. »
En quelques mots, forcément trop courts, la substance du roman,
essentiellement autobiographique : Arturo Bandini, jeune
homme de condition modeste, d’origine italienne, a quitté son
Colorado natal pour Los Angeles et a l’ambition de devenir un
grand écrivain. Il s’installe dans un petit hôtel dont il ne parvient
que difficilement à payer le loyer. Arturo tombe amoureux
d’une jeune et belle mexicaine, serveuse dans un bar, Camilla,
une « princesse maya ». Mais celle-ci le malmène et se moque
bien des poèmes qu’il lui écrit avec ferveur. Camilla est en revanche
amoureuse du barman, américain, lui, et qui fait bien
sentir à cette petite qu’elle n’est pas, elle, américaine. Bien sûr
l’histoire finira mal.
Outre la dramaturgie d’un amour incompris et impossible, il y
a l’omniprésence de la ville et du désert mêlés : « Los Angeles,
donne-toi un peu à moi ! Los Angeles, viens à moi comme je
suis venu à toi, les pieds sur tes rues, ma jolie ville, je t’ai tant
aimée, triste fleur dans le sable ».
La beauté du roman réside aussi dans un style fluide, direct, qui
parvient à nous rendre si proche cet Arturo Bandini, ce personnage
à la fois orgueilleux et adepte de l’autodérision, drôle
et cruel par ses tourments d’amoureux éconduit, soumis à ses
velléités et à sa crainte de devenir un écrivain raté.
C’est donc ces trois éléments – un amour malheureux, une ville
à la frontière du désert et un homme qui devient écrivain - que
Radio Elvis a su si bien assembler pour en faire une chanson.
Celle-ci commence lentement pour s’élever en colère et puissance
et finir sur cette invitation absurde et belle : « Demande
à la poussière ».
Vous pouviez toujours mourir, le désert demeurerait là pour cacher
le secret de votre mort, resterait là après vous pour recouvrir votre
mémoire de vents sans âge, de chaleur et de froid.
C’était inutile. Comment s’y prendre
pour la chercher ? Et puis d’abord
pourquoi la chercher ? […]
Au loin sur le Mojave la chaleur montait
en faisant des vagues. J’ai remonté
le chemin jusqu’à la Ford. Sur
le siège, l’exemplaire de mon livre
était toujours là. Mon premier livre.
J’ai trouvé un crayon, j’ai ouvert le
livre à la page de garde et j’ai écrit :
À Camilla, avec tout mon amour.
Arturo
Toujours avec le livre, j’ai fait une
centaine de pas vers le sud-est […].
De toutes mes forces je l’ai jeté le
plus loin que j’ai pu dans la direction
qu’elle avait prise.
Extrait, Demande à la poussière,
John Fante, Éditions
10 / 18, traduction Philippe
Garnier, 1986.
texte
Nathalie Mougin
_ Radio Elvis © Éric Deguin
délocalisation féline
Les noces
félines #5
au château
de Malbrouk
Petite nouveauté chez Velours,
les Noces Félines, évènement
quasi-traditionnel de la vie musicalo-culturello-festive
rémoise se
déroulant depuis 4 ans au palais
du Tau, se sont pour la première
fois exportées pour une session
supplémentaire au château de
Malbrouck en Moselle avec,
entre autres, Puzupuzu et Flat
Nathan. Cette petite excursion a
donné lieu à une série d’images
de Dorian Cessa aka l’épiphanographe
que nous vous livrons
ici. Les prochaines Noces seront à
nouveau rémoises et se tiendront
les 31 mars et 1 er avril prochains.
velours-prod.com
UNE SÉRIE DE
Dorian Cessa / l'épiphanographe
www.facebook.com/epiphanographe/
LAURÉAT DU CONCOURS INTERNATIONAL
GALLERY OF STYLE / SHU UEMURA 2016
CRÉATION / CONCEPTION WWW.BELLERIPE.FR
51 rue de Talleyrand - 51100 Reims 03 26 47 49 85
Suivez-nous sur et
design
Le quartier de Paris auquel il est attaché : « Saint-
Germain-des-Prés, c’est là que j’ai vécu, c’est là que j’ai
décidé d’implanter la première boutique à mon nom ».
La star qui porte le mieux ses lunettes : « Eva
Mendes, sublime beauté latine ».
Le modèle de lunettes fétiche : « la Lively, inspirée
par l’actrice Blake Lively qui est à mes yeux la fille la
plus magique, mais qui n'a jamais porté ce modèle. »
La marque de mode qu’il admire : « Rick Owens, une
marque importante qui a su rester indépendante. »
La boisson favorite : « un champagne rosé Veuve
Clicquot ».
L’artiste contemporain qui l’inspire : « le New Yorkais
Kaws, je collectionne ses figurines géantes, les Art
Toys, et je me retrouve dans l’approche très années 80
de ses tableaux ».
2
design
magazine Peel
la lunetterie champenoise
Thierry Lasry
génération Y
Il met des « Y » partout.
Sa lettre fétiche qui termine
ses nom et prénom, le créateur
de lunettes Thierry Lasry en
accroche un à la fin du nom
de chacun de ses modèles de
solaires : Lively, Anorexxxy,
Adultery, Bikiny, Insomny, Porny,
Exhiby, Virginity,Fetishy…
Adulé par Madonna et bon
nombre de stars, le frenchy
conquiert les yeux de la planète
showbiz. Récit d’une successstory…
absolutely crazy !
De Paris à New York et Los Angeles,
le créateur Thierry Lasry construit
sa formidable réussite dans la mode
internationale avec des lunettes, pour
certaines, déjà iconiques. Beaucoup
d’entre elles ornent les pages people des
magazines, portées par quelques-unes
des plus grandes célébrités du cinéma
ou de la musique. Madonna a été
parmi les premières, Kate Moss, Fergie,
Gwyneth Paltrow, Nicole Kidman,
Alicia Keys, Jennifer Lopez, Rihanna,
Miley Cyrus, Beyonce, Paris Hilton,
Lady Gaga, Dita Von Teese et bien
d’autres ont suivi. Ce sont ces prestigieuses
clientes qui ont fait décoller
mondialement la marque créée il y a
seulement dix ans par Thierry Lasry.
Et ce, sans publicité ni placement de
produit. « Mes lunettes, elles les ont
achetées, confirme, non sans fierté, le
créateur. Le soutien spontané des stars
et leurs apparitions pleines de glamour
dans les magazines ont suffi à imposer
mes lunettes comme des accessoires
de mode incontournables pour des
clientes en quête de différenciation.
Mes modèles sont maintenant distribués
dans mille points de vente et dans
plus de cinquante pays. »
Oxymore stylistique
Elevé dans un univers ultra-créatif,
fils d’un père opticien et d’une mère
designer, Thierry Lasry est à présent
reconnu pour son style très personnel
qu’il définit lui-même de « Futuristic
Vintage », avec un art consommé
de l’oxymore. De l’avant-gardisme retro,
du passéisme prospectif, du modernisme
à l’ancienne, ou… l’inverse ?
Obscurs dédales du temps et de la
création. « Ce n’est pas compliqué,
réfute le créateur, mon travail puise à
la fois dans un style rétro et futuriste,
avec des modèles ultra-graphiques qui
rassemblent à la fois des formes rétro et
des détails modernes dans un registre
résolument rock et électro. Avec pour
devise « back to the future », mes
inspirations sont très variées mais, de
manière générale, cela tourne souvent
autour de l'esthétique des années 80,
une période incroyablement créative. »
Made in France
Thierry Lasry retravaille des images et
des matériaux vintage dans une forme
contemporaine, une face plate, des
coins souvent exagérés et une monture
un peu surdimensionnée. La pureté
des lignes s’appuyant sur cette synthèse
de styles, le raffinement des détails et
la discrétion de son logo - sobrement
gravé à l’intérieur des branches - ont
vite fait le succès des modèles du créateur
français et sa marque de fabrique.
Savant mélange d’élégance stylée et
d’audace, les lunettes de soleil de
Thierry Lasry sont aussi l’expression
d’un savoir-faire français. « La marque
est parisienne, affirme le designer, je
tiens à ce que mes lunettes soient entièrement
faites à la main en France, par
les meilleurs artisans lunetiers, selon
des techniques traditionnelles
et de haute technicité. »
Lego-typé
Pas encore quarantenaire, Thierry Lasry
a été élevé aux Lego et en a conservé
un goût pour les imbrications créatives.
« Cela m’a toujours fasciné la façon
dont les pièces de Lego s’imbriquent
et m’a inspiré dans les méthodes de
fabrication de mes lunettes. Je combine
des couches d’acétate de différentes
couleurs, auxquelles j’incorpore
souvent des paillettes colorées, ou
d’or, ou d’argent. À chaque saison,
j’expérimente de nouvelles techniques
avec les acétates de grande qualité que
me fournit la très renommée maison
italienne Mazzuchelli. » Mais Thierry
Lasry se passionne aussi pour d’anciens
matériaux qu’il peut récupérer en
provenance d’usines de lunettes ayant
fermé au cours des dernières décennies.
Lancé à travers la planète, son réseau
recherche dans des stocks délaissés les
pépites qui pourront servir à ses nouvelles
créations. Il produit ainsi, à partir
de ces matériaux vintage, des séries très
limitées, très exclusives, que les clients
privilégiés s’arrachent.
l e s l u n e t t e s t h i e r r y l a s r y s o n t
d i s p o n i b l e s à r e i m s à l a l u n e t t e r i e
c h a m p e n o i s e , r u e d e t a m b o u r .
e t s e u l e m e n t l à .
l a l u n e t t e r i e c h a m p e n o i s e ,
2 1 r u e d e t a m b o u r
w w w . l a l u n e t t e r i e c h a m p e n o i s e . f r
w w w . t h i e r r y l a s r y . c o m
texte
Dominique Bunel
portrait
Vincent Brisson
témoignage littéraire
LE SPECTACLE
« il faut beaucoup aimer les hommes »
&
marie darrieussecq
Le spectacle « il faut beaucoup aimer les hommes », joué du 6 au 14 décembre à la Comédie de
Reims est une adaptation du roman éponyme de Marie Darrieussecq. Elle décrit ici son rapport
à la pièce qui en est tirée par le collectif Das Plateau
UN TEXTE
DE Marie Darrieussecq,
POUR LE
MAGAZINE PEEL.
Je ne veux pas interférer avec le travail d’autres artistes donc j’ai laissé les Das Plateau travailler à leur
guise, c’est toujours ce que je fais en cas d’adaptation. Mais nous avons été en contact. Par exemple je leur
ai donné des pistes pour leur voyage au Cameroun, là où ils ont fait les images de la forêt. Ils sont allés
exactement sur les lieux de mon propre voyage en 2012, et ce sont des lieux assez difficiles d’accès, dans
la forêt primaire. Je les ai trouvés courageux. Pour eux c’était leur tout premier voyage sur le continent
africain - comme Solange.
Solange est une femme qui découvre qu’elle est blanche. Elle n’y avait jamais pensé avant. Pour elle, être
blanche était une sorte d’état de nature, quelque chose de « normal ». C’était le reste du monde qui était
un peu bizarre… Elle voyait les Africains comme des " autres " et son amour pour Kouhouesso va lui
apprendre que l'autre, c'est aussi elle.
Mon roman est certes engagé, politique, mais j’espère qu’il pose plus de questions qu'il n'apporte de réponses.
Pour moi la littérature c'est proposer des questions, toujours un peu les mêmes sans doute : amour,
vie et mort, guerre et paix, mais posées de façon différentes, contemporaines, renouvelées. Inviter le lecteur
ou la lectrice à cheminer dans la forêt des signes. Les romans ne sont pas des leçons ou des pamphlets.
Dans ce roman-ci c'est une question de peau, de sensualité, mais pas forcément comme on s'y attendrait,
peut-être. Je crois que le Collectif Das Plateau sait faire avec ça, et prolonge mon geste, le déplace, le réactive.
Leur quête artistique, je m’y retrouve.
Dans leur pièce, je reconnais mon roman d’une façon très troublante, c’est comme les images qui étaient
dans ma tête. C’est un peu de l'« inquiétante familiarité » pour moi. Ils rebondissent sur mes mots – par
exemple le thème de la poudre, de la pulvérisation, dont je n’avais pas conscience en écrivant. Moi seule
sait la part d’imaginaire et d’autobiographie qu’il y a dans ce roman, or sur scène il se produit comme un
retour du passé, du réel, qui est très fort pour moi. Mais c’est sans doute une impression toute personnelle.
En tous cas la façon dont les Das Plateau inventent les dialogues est juste, à mon avis. Ils développent ce
qui est dans l’esprit des personnages, avec un certain sens du comique qui me plaît. Solange est en effet un
personnage comique, par moments. La passion rend idiot. Elle empêche de vivre, alors même qu’elle vous
fait vivre quelque chose de très intense – mais qui vous coupe le souffle, qui vous coupe la vie. C’est un
accident, la passion, au sens catastrophique du terme.
4
témoignage littéraire
Solange avait des projets, une carrière, de la force. Elle est comme interrompue. Lui, Kouhouesso, c’est un
homme habité par une grande idée : faire un film au coeur de la forêt. Cette idée fait partie de sa séduction,
et va devenir la rivale de Solange.
Il ne sont pas complètement étrangers l’un à l’autre, ces deux-là. On sent d’ailleurs sur scène leur grande
connivence dans l’adaptation des Das Plateau, et j’aime spécialement la scène de la fin, la camaraderie
– quasiment – qui émane d’eux. Il y a des points de contacts entre eux, sur lesquels prend la passion.
Ce sont deux villageois, au départ, deux dominés – une femme, un noir – et deux exilés, chacun à leur
façon. Kouhouesso est né dans un village à l'Ouest de l'Afrique, très loin du village natal de Solange, dans
le Sud-Ouest de la France, mais il y a comme des échos entre les deux golfes, Guinée et Gascogne.
Solange est comédienne : c'est une spécialiste de l'attente. Les comédiens attendent sur un plateau, avant de
tourner ; ils attendent entre deux films, qu'on pense à eux, qu'on les appelle. Je me demande comment les
acteurs font pour supporter de dépendre à ce point des autres. Moi, je peux exercer mon métier d'écrivain
quand je veux. D'ailleurs beaucoup d’acteurs ou d’actrices deviennent réalisateurs,
comme mon personnage Kouhouesso.
Les femmes sont éduquées à attendre, plus que les hommes. C'est le syndrome
Belle au bois dormant. Le prince traverse la forêt à cheval, il se bat
contre les épineux, il taille sa route ; la Belle attend endormie dans le château.
On peut lutter contre cette éducation, mais il y a toujours le risque qu'elle
rattrape les femmes, sur un " accident " de la vie. Je trouve que Das Plateau
nous fait sentir l’attente de Solange, dans la mise et scène et le jeu de la comédienne,
en particulier avec l’usage audacieux de la voix off « dans sa tête ».
_ Marie Darrieussecq © Yanndiener
J'avais envie d'un livre très cinématographique, d'une aventure. J'adore raconter
des histoires, entraîner les gens ailleurs, sans tomber dans la pure distraction.
J'ai envie que les gens se demandent comment l'histoire se termine,
mais qu'ils réfléchissent aussi en chemin. Le Collectif Das Plateau invente un
théâtre très « hollywoodien », et ça me plaît.
two hours inside
dans l’intimité de
l'« art de la fugue »
de Mié Coquempot
S’immiscer dans l’intimité des répétitions, des coulisses
au plateau, est un véritable privilège photographique.
Nous remercions le Manège et Mié Coquempot, artiste
associée, de nous avoir permis ce regard discret et fasciné
sur les répétitions de 1080 - Art de la fugue, création
présentée les 26 et 27 janvier 2017.
Artiste associée au Manège, Mié Coquempot est une chorégraphe
au travail pluridisciplinaire mais en particulier
orienté sur la relation danse-musique, qui a créé sa
compagnie en 1998, K622, avec laquelle elle ne cesse
de penser des nouvelles expressions corporelles, comme
des symboles de notre monde environnant.
Infos et réservations
Le manège, scène nationale - reims
2 boulevard du Général Leclerc
03 26 47 30 40 / manege-reims.eu
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photographies
Benoît Pelletier
le 09 / 11 au Studio Théâtre de Vitry
création
Trop Shu *
*Japonais, prononcer [Shou[
0
création
Un vent nippon souffle sur les
créations de Jean-Noël Gabriel.
Coiffeur et compétiteur,
le Rémois a récemment remporté
le concours organisé
par la marque japonaise Shu
Uemura. Avec, au bout du
peigne, une immersion dans
le Tokyo de la mode et
un shooting pour son modèle en
vue d’une campagne de communication
internationale. Rencontre
avec un pro du cheveu
aussi simple que talentueux.
Dans la vibe
Après « Tokyo Chic » en 2015, le thème
du concours 2016 lancé par la marque
Shu Uemura, « Tokyo Vibe », a inspiré
quelques-uns des plus grands coiffeurs
à travers le monde. Jean-Noël Gabriel
a trusté la première marche du podium
et a pu aller réaliser sa coiffure primée
à Tokyo. Une occasion unique de faire
valoir son travail internationalement et
d’être associé au shooting photo de la
campagne de communication mondiale
qui affiche son modèle-studio.
Compétiteur né
Etes-vous un habitué des compétitions
dans la coiffure ?
J.-N. G. : Pas vraiment, c’est la seconde
fois que j’étais en sélection pour ce
concours Shu Uemura. L’an dernier, je
m’étais énormément préparé pour finalement
manquer la dernière marche.
Mon idée d’alors était peut-être un peu
trop compliquée. Cette fois, je suis allé
au concours en toute décontraction
et avec pas mal d’improvisation. Et ça
a matché ! Aux côtés de deux autres
gagnants pour la Grande-Bretagne et
le Canada, j’ai donc été invité à passer
quatre jours dans la capitale japonaise.
Au programme, un shooting pro et un
parcours touristique dans Tokyo.
Banzaï !
Quelle était votre idée de création pour
impressionner le jury ?
J.-N. G. : Depuis le départ, mon projet
était de travailler sur des cheveux
clairs en blond platine. Je voulais une
exagération de volume en donnant
une matière très aérienne, mousseuse,
cotonneuse, avec un effet crêpé. Pour le
côté « vibe », j’ai travaillé un mouvement
léger et noueux qui a fait son
effet apparemment. Pour le shooting à
Tokyo, j’ai dû réinterpréter ce que j’avais
fait à Paris avec, cette fois, un mannequin
russe qui, ayant la particularité
d’être albinos, avait des cheveux d’un
clair extrême. Nous avons réalisé avec
elle une photo studio et une autre dans
une maison traditionnelle japonaise.
Là, le travail est un peu différent de la
présentation en concours, plus technique,
plus sophistiqué, le visuel devant
être davantage publicitaire.
À travers les demandes qu’expriment
vos clientes, percevez-vous les
influences prescrites par la mode, les
magazines, les célébrités… ?
J.-N. G. : C’est bien sûr inévitable. Les
people vus dans les magazines, les
égéries des marques et, depuis moins
longtemps, les youtubeuses sont des
influenceurs importants, surtout pour
les plus jeunes clientes. Elles sont avides
de nouveauté, ce qui nécessite de rester
en éveil sur toutes les tendances. Bien
sûr, je suis cela à travers les salons,
les shows et les défilés, également sur
Internet et les réseaux sociaux, mais ma
première source d’information, c’est la
rue. C’est là que je flaire les tendances
et ce que j’observe m’inspire. J’adore
observer et, à ce titre, j’en ai eu plein les
yeux au Japon… Des looks déjantés,
excentriques et toujours élégants, mais
côté coiffure, des choses assez sobres
finalement. Tout cela nourrit mes
connaissances et mes idées,
j’y ajouterais une source complémentaire,
qui est de visionner des
films d’époque ; j’y trouve d’anciennes
coiffures qui sont formidables et ne
demandent qu’à être réinterprétées.
Pas de choucroute à la carte
Vos créations sont prisées par de
nombreuses femmes pour le jour de leur
mariage. C’est une responsabilité importante
pour vous…
C’est d’abord un plaisir que mon travail
soit reconnu pour des moments qui
comptent dans la vie des clientes. Je me
suis fait une spécialité des chignons qui
permettent une coiffure sophistiquée,
chic, tout en gardant de la spontanéité.
La coiffure « choucroutée » n’a pas lieu
d’être, l’heure est à des constructions
qui, tout en étant solides, préservent
une certaine simplicité et beaucoup
de naturel. Une autre spécialité que
j’aime beaucoup, c’est de travailler des
coiffures pour les soirées à thème…
Années folles ou années disco, ça m’inspire
beaucoup.
De l’art bien peigné
Salon ou galerie d’art ? Jean-Noël
Gabriel et Marie-Line, son associée,
aiment à fouiner parmi les tendances
artistiques et à repérer de jeunes
créateurs. « Nous ne voulions pas, à
l’Atelier JNG, des murs uniquement
couverts de photos de modèles, confie
Jean-Noël, nous avions envie d’exposer
des artistes de la région, des gens dont
nous apprécions le travail, en peinture,
en photo, en graff… » Iemza, BMZ,
Anthony Suply, leurs œuvres exposées
sont autant d’occasions de commenter,
d’échanger avec les clientes et de bousculer
quelques idées reçues…
a t e l i e r j n g
5 1 r u e d e t a l l e y r a n d
texte
Dominique Bunel
portrait
Benoît Pelletier
Shu, maître japonais dans l’art de la beauté
Bon d’accord, Shu Uemura, c’est une marque, mais c’est d’abord un esprit. Celui de son créateur,
un légendaire artiste maquilleur, maître-artisan japonais porté par le goût de l’esthétisme, pionnier
des années 1960. Pour explorer de nouveaux contours de la beauté, Shu Uemura conjugue
ses talents artistiques, son intérêt pour la science et son amour des ingrédients naturels ; ainsi,
quand il crée ses soins cheveux, des huiles précieuses font partie de la recette, comme celles de
rosier muscat, d'argan ou de camélia… L’essence d’un jardin extraordinaire !
cinéma
Édouard Baer :
Ouvert la nuit
Beaucoup connaissent Edouard
Baer en tant que comédien
et apprécient sa jubilation des
mots. Il passe aussi épisodiquement
derrière la caméra.
Son dernier film « Ouvert la
nuit », qui sera sur les écrans
le 11 janvier 2017 relate les tribulations
de Luigi, un directeur
de théâtre parisien qui a une
nuit pour sauver son établissement,
trouver un singe capable
de monter en scène, récupérer
l'estime de son metteur
en scène japonais, regagner
la confiance de son équipe et
le respect de sa meilleure amie,
une nuit pour démontrer à une
jeune stagiaire de Sciences Po
pétrie de certitudes qu'il existe
d'autres façons dans la vie
d'appréhender les obstacles en
transformant vite ces pérégrinations
dans le Paris nocturne
en parcours initiatique.
Tu fais de la radio, tu es comédien et
aussi réalisateur. Peux-tu nous parler
d’« Ouvert la nuit » ton dernier film qui
se déroule dans un milieu que tu connais
bien, le théâtre?
Ouvert la nuit, c’est une « Traversée de
Paris », une visite du Paris nocturne,
ni branché-ni passé. C’est un film qui
dépeint un personnage, un style de vie
singulier, une aventure, et l’aventure
commence, on le sait bien, au coin de la
rue… On part avec Luigi qui est directeur
de théâtre, on va dans SON Paris,
à SON rythme. Il vit la nuit comme on
vit le jour car pour lui, tout s’y passe :
la séduction, le travail, le théâtre. Luigi
aime cette abolition des codes sociaux
habituels qui s’opère une fois que les
gens ordinaires sont rentrés se coucher.
C’est un drogué des rencontres qui
va vers les gens auprès de qui il sait
d’instinct qu’il va se sentir bien, un
adepte de « la vie de hasard », toujours
dans une sorte de fuite pour échapper à
des angoisses sûrement plus profondes.
C’est quelqu’un qui aime être dérangé,
ça l’arrange et le rassure.
Quelle importance donnes-tu au texte, à
la parole dans ce film ?
Le film est un peu bavard, à l’image de
Luigi. Le verbe est son arme, sa façon
d’enchanter le réel mais aussi d’envoûter,
d’habiter le vide. C’est sans doute
lié à mon goût pour les personnages
hauts en couleur et au verbe haut : une
certaine idée de la France, entre Sacha
Guitry, Jamel Debouze et les mythos de
comptoir.
C’est aussi une histoire qui se déroule
dans le monde particulier du spectacle
vivant où les mots jouent un rôle important,
un milieu particulier…
Ce qui est amusant, ce sont les rapports
sociaux et économiques des gens
pendant la création artistique. C’est un
rapport hiérarchisé, comme dans les
autres milieux professionnels. Devoir
traiter des gens au travail est plus étonnant
dans les métiers du spectacle parce
que ça va plus vite. L’enjeu est plus fort
parce que c’est du court terme et il y a
peu d’autres endroits où le temps est
aussi court entre l’idée puis le résultat
artistique et commercial. On y croise
alors celui qui a peur de perdre son
emploi, celui qui vole, celui qui passait
par là et qu’on embauche, celui qui est
magnifique sur scène mais qui est prêt
à faire un scandale en répétition, ou
celui qui, comme Luigi, craint de ne pas
vendre son spectacle. Ce qui est beau,
c’est le mélange de mesquineries, de
craintes et d’accomplissements insensés…
En fait, le vrai métier de Luigi,
c’est l’admiration. Il fait partie de ceux
qui permettent que les choses s’accomplissent,
quelqu’un qui met son énergie
au service du talent des autres.
En homme de spectacle, Luigi n’est-il
pas dans la sur-représentation ?
Luigi est un homme qui balade un
univers avec lui. Il est à l’aise dans tous
les milieux, comme les princes ou les
gitans, convaincu que sa verve et le
contact d’homme à homme peut tout
résoudre. Il décrète qu’on doit s’amuser
à n’importe quel prix et que tout doit
être léger. Prendre le parti de cette vie
de plaisir, en mouvement permanent,
avec un culte du superficiel dans les
rapports humains, c’est violent pour
ceux qui vous aiment ou qui voudraient
vous aimer. Luigi crée un rapport avec
les autres qui est aussi de l’ordre de la
courtisanerie, un truc de hiérarchie
déguisée. Ce n’est pas que de la fraternité,
il est le chef et ne se gêne pas pour
le rappeler !
Et cela affecte sa vie personnelle ?
Pour Luigi, rejoindre sa famille c’est
aller au théâtre et c’est un peu par
hasard, comme ça, qu’il passe au
petit matin voir ses vrais enfants. Il
les abandonne par égoïsme mais les
aime en même temps. Il y a beaucoup
de gens qui ne se l’avouent pas, mais
pour lesquels les choses de la vie sont
ainsi inversées, non seulement par le
temps réel passé au travail, mais aussi
par le temps virtuel de ce travail qui
les occupe mentalement, surtout dans
des métiers qui sont liés à la passion
comme c’est le cas ici.
Luigi est un héritier des dandys, par
l’élégance, avec son smoking et sa chemise
rouge…
Ce que je trouve formidable dans le
smoking, c’est que c’est à la fois une
tenue mondaine et une tenue de garçon
de café. C’est aussi un petit clin d’œil
au Paris vu par les anglo-saxons dans
leurs comédies des 30 glorieuses et qui
se passent dans des milieux fantaisistes
et chics. Luigi est un homme dont les
codes, la façon de vivre dans les cafés,
de tout régler en face à face est héritée
de cette époque. C’est aussi un personnage
théâtral et ce côté overdressed
appuie encore cet aspect.
À leur instar, il doit avoir un certain
détachement face à l’argent, n’est-ce
pas contradictoire avec la gestion d’un
théâtre ?
Evidemment, Luigi est un gestionnaire,
par obligation. Mais il fait comme si
l’argent n’était pas un problème. Il aime
le mouvement, le coté fluctuant du fric,
le cash, c’est un type généreux, mais qui
a aussi une fierté immense, une sorte
d’orgueil aristo !
_ Edouard Baer © Pascal Chantier
texte
Alexis Jama-Bieri
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et des assiettes inédites chaque semaine
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par nos maîtres sushi
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new in town
les caves
du boulingrin
C’est nouveau, c’est bon et c’est plutôt cool. Petit retour
en image sur les premiers pas dans la life des " caves
du boulingrin ", un spot de cuisine bistronomique
soignée au fil des saisons que vous allez forcément
fréquenter. Un projet orchestré par Arnaud Suisse
et mis en espace par l'architecte Alain Motto avec deux
membres de son équipe Lisa Motto et Gaëlle Ducoisy.
www.facebook.com/LesCavesDuBoulingrin/
23 bis rue de mars
4
new in town
EXPOSITION
FLORENCE
KUTTEN
COGITATA
8 DÉCEMBRE 2016
5 FÉVRIER 2017
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musée-saint-remi
I J L
53 rue Simon
51100 Reims
Tél. : 03 26 35 36 90
CONCEPTION : LINKS CRÉATION GRAPHIQUE • PHOTO : JEAN-CHRISTOPHE HANCHÉ
cinéma
L'Atelier de
Sébastien Laudenbach
C’est un village hors du temps dans Paris. Un village
mangé par la capitale mais où tout est resté en
place, une église, des petites maisons, des cours,
des rues pavées, des arbres. Le soleil pâle d’automne
fait croire à quelques week-end en Champagne
ou en Bourgogne. Dans une allée cachée,
trois artistes dont le réalisateur Sébastien Laudenbach,
travaillent dans un rez-de-chaussée petit mais grand
ouvert sur la nature, sièges et table de jardin en fer.
Il est grand et mince, son visage garde un sourire
de jeune homme rigolard. Il est encore ce double,
dessiné dans son premier film Journal (1999).
« Un film au jour le jour », annonce-t-il en voix-off,
une annonce qui vaudra pour beaucoup de ses
films. Dix-sept ans plus tard, il y a toujours une
jeune fille, de l’eau et un trait libre dans La jeune
fille sans main, son premier long-métrage.
6
cinéma
afé soluble dans une tasse D2R2, et c’est parti pour
2h30 de conversations autour de ses outils et de ses
modes opératoires. Bientôt, nous nous concentrons sur ce nouveau
film, long-métrage très remarqué au Festival de Cannes
dans la sélection de l’ACID (Association du Cinéma Indépendant
pour sa Diffusion), aboutissement d’un travail immense
où l’artisanat le dispute à l’art.
Un film comme une peinture en mouvement, un conte pour
les grands et moins grands, une histoire sombre qui s’illumine,
parcours d’une jeune fille qui devient femme au prix de mille
tourments, comme dit Sébastien « Mieux vaut être une femme
entière qu’une princesse amputée ».
Reprenons.
Il était une fois un jeune réalisateur contacté en 2001 par les
Films Pelléas pour adapter une pièce d’Olivier Py La jeune fille,
le diable et le moulin d’après un conte des frères Grimm. Et c’est
parti pour quinze ans d’une épopée initiatique.
Emporté par l’écriture et le tempo des phrases de Py, Sébastien
s’attaque à l’adaptation de la pièce avec la scénariste Nathalie
Hertzberg. Ils compulsent les différentes sources du conte et
façonnent un scénario.
Dans la version 2016, il restera de ce travail la présence de l’eau
qui relie tous les points de l’histoire, une traversée de forêt en
solitaire et un prince qui cherche les traces de sa femme dans
le moulin même du sacrifice premier. Il restera aussi un scénario
annoté par Sébastien et dont la page de gauche est remplie
de dessins, un story-board sauvage, des visages, un chemin qui
sort de son cadre, des plans de décor, les esquissent semblent
sortir des mots. « Voir quelqu’un dessiner c’est incroyable, et
même quand je me vois dessiner, c’est incroyable. C’est dans le
film « L’Île » de Chiara Malta que je me suis vu dessiner, je me suis
demandé mais d’où ça vient ce trait, tout ce qui sort du pinceau,
c’est vraiment curieux. »
Sébastien change de place. À quatre pattes devant une bibliothèque,
il sort une valise en toile noire. Zip, zip, zip, à l’intérieur,
de grandes chemises cartonnées bleues avec élastiques. Ouverture,
des dizaines de pages A3, dessiné en 2002 par la réalisatrice
Emilie Mercier (voir son film Bisclaveret, très beau conte
moyenâgeux). Tout le story-board de cette première version, le
film est là, prêt à surgir.
Il y aura aussi des cahiers de croquis noir remplis des dessins de
Sébastien : personnages, expressions du visage, notes, études de
corps notamment celui de la jeune fille « je me suis inspiré des
Eve de Lucas Cranach avec leurs petits ventres ronds ».
Crayon de mine, stylo, tout est bon « je prends ce que j’ai sous
la main ». Quelques dessins au pastel gras sont protégés pas
des morceaux de papier absorbant, les couleurs sont vives, les
visages de la jeune fille s’ornent de couleurs par morceaux, certains
font penser aux portraits de Jacqueline Roque par Pablo
Picasso.
2008, le couperet tombe. Pas de coproductions internationales,
pas de chaines de télévisions, le projet est abandonné.
Sébastien travaille. Il dessine, enchaîne les cours à l’ENSAD
(École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs) et les films
courts, explore d’autres façons de raconter une histoire, il fait
des expériences comme dans le virtuose Regarder Oana (2010)
où il mélange en pixilation (stop motion en bon français) du
sable, de la craie avec œufs, farine, crêpe et chocolat. Et aussi
des mots et de la musique.
Mais la jeune fille est rebelle, en embuscade, toujours.
2010, Sébastien s’attelle à un synopsis de dix pages pour prises
de vues réelles ou « en vues continues » en trente-deux séquences.
Cette histoire sera incarnée par des comédiens.
« Ce que j’aime dans l’animation, c’est qu’on peut parler en utilisant
un autre langage, on peut parler de sensations humaines
avec un médium qui n’est que dans une représentation très éloignée
du réel. Les films d’animation qui copient le réel m’intéresse
moins que ceux qui prennent de la distance avec lui. Ce que
j’explore dans tous mes films c’est, comment parler de l’humain
avec une technique qui n’est pas humaine. La prise de vues réelles
m’intéresse car il y a une puissance du corps incarné que nous ne
pouvons pas atteindre en animation. »
2012, un nouvel acte fondateur. Sébastien est invité par le réalisateur
Romain Blanc-Tailleur (un de ces anciens élèves) en
résidence à la médiathèque de Tournefeuille (Haute-Garonne)
pour une sorte de marathon avec contraintes selon les règles
de l’OUANIPO. Le challenge : à raison de 1 minute d’animation
par heure (720 dessins) arriver au bout de la semaine avec une
heure de film. C’est simple, non ?
Au bout de la semaine, Sébastien avait réalisé Onze, la force,
un film de douze minutes dont il a tiré de nombreux enseignements
qui vont servir le long-métrage, notamment l’envie d’aller
à l’essentiel, de dépouiller le dessin pour ne garder que le geste
comme dans la cryptochronographie (une addition de signes
cinéma
inintelligibles si vous les regardez un par un mais qui forme un
tout intelligible). Ne garder que l’essence, le mouvement.
Sexy sushi, Mansfield Tia, PJ Harvey, Nick Cave à fond les
ballons, le casque vibre et créé une bulle de musique pour une
concentration maximale. A l’extérieur, l’harmonie de la renaissance
italienne, palais blanc, jardin structuré, arbres centenaires,
peintures et sculptures et une vue, une vue à couper le
souffle, celui de l’air, comme celui de l’histoire.
2013, Sébastien accompagne sa femme, réalisatrice elle aussi,
à Rome. Elle vient d’obtenir une résidence d’artiste à la Villa
Médicis sur le Mont Pincio. Ni une, ni deux, les enfants sous
les bras, la voiture est chargée d’une perforatrice, d’une grande
table lumineuse, et hop un an de travail à la suite de Jean-Honoré
Fragonard, Hector Berlioz, Charles Garnier, Claude Debussy,
Lili Boulanger, Claire Diterzi…
« Car voici, l’hiver est passé ; la pluie a cessé, elle s’en est allée.
Les fleurs paraissent sur terre, Le temps de chanter est revenu »
La musique de Claudio Monteverdi (Vêpres à la vierge - Nigra
Sum) magnifie les jours de travail, la musique c’est du rythme,
le rythme c’est le moteur de Sébastien pour dessiner et pour
animer.
Les outils ? Du papier à machine à écrire 60 grammes, des
feutres-pinceaux Pentel et ceux avec réservoir pour l’encre diluée
des pastels, remplis, s’il vous plaît, aux fontaines de la Villa,
il faut bien ça pour un film où l’eau à tant d’importance.
Le début est une longue plongée dans la matière du dessin dans
l’ordre chronologique du scénario pour comédiens.
Au bout de quatre semaines, Sébastien est à la tête de trente
plans. Il photographie le tout, devant lui les traits, les points,
les pleins et les déliés s’assemblent, sa technique est au point, la
cryptochronographie, ça marche.
Une immersion de huit mois va commencer, huit mois où
Sébastien ne regardera plus son travail, l’ouvrage de chaque
jour sera de continuer et à chaque fin de journée de préparer
la journée suivante. Le travail c’est aussi regarder autour de soi,
s’inspirer d’une lumière, d’un rire d’enfant, d’un décor (tiens,
le château du prince ressemble fortement à la Villa Médicis !).
« Là, je garde mes feuilles de papier comme un trésor (potentiel) à
(déc)ouvrir plus tard. Dans 6 mois peut-être. Je suis alors certain
d'avoir un regard neuf sur ces images.
Cet aspect différé du résultat est en train de devenir une partie
importante du projet. Une esthétique, presque. Lorsque je dessine,
je ne reviens jamais sur ce que je fais. Je garde le geste et ses
erreurs, ses approximations.
Avec le numérique, on a tendance à trop voir notre travail. Si
dans certains cas c'est important et même pratique (voire nécessaire),
cela colle notre regard. On est souvent trop près. Là, je suis
loin, presque trop loin.
En ce sens, j'ai la sensation de revenir à une pratique presque
perdue, comme un retour dans le temps. Un travail en aveugle.
J'espère juste avoir la possibilité d'ouvrir les yeux un de ces
jours… » (Extrait de son blog / journal « Mon propre jardin » - 7
novembre 2013)
Au moment de rentrer à Paris, 460 plans sont dessinés « 460
plans que je ne connaissais pas. » Il pense à un film entre 45
minutes et 1h05, pour une version finale à 1h16.
Est entré un acteur important du film, Jean-Christophe Soulageon,
producteur et fondateur des Films Sauvage. C’est lui qui
va accompagner cette nouvelle version, c’est lui qui va conseiller,
épauler Sébastien, il donne son avis, sa passion porte aussi
le film et c’est lui qui va assurer l’assise financière de l’aventure
(même si cet édifice est bien fragile).
Plusieurs aides sont décrochées, notamment auprès du CNC
(Centre National du Cinéma et de l’image animé). Le film, parti
de la main de Sébastien, continue de s’écrire progressivement
au rythme de son travail, créant ses propres chemins (ardus) de
réalisation et de production.
2014, en juin, retour dans l’atelier du jardin (avec passage par
l’Île d’Elbe) pour dessiner la fin du film. Décembre, Sébastien
a un bout à bout des quarante minutes dessinées à la Villa
Médicis sur lequel il enregistre des voix. Prémonitions que des
séquences vont s’ajouter et que la fin doit être décidée.
2015, en février / mars, vingt minutes peuvent être finalisées
pour une projection test et pour démarcher un distributeur et
d’éventuels coproducteurs. Les travaux fastidieux commencent,
les dessins sont dans les ordinateurs, viennent le compositing,
certains mouvements de caméra déterminés assistés par des
logiciels et la mise en couleurs (une couleur par niveau, un
niveau avec fond papier pour la texture, un niveau pour chaque
personnage, pour chaque élément de décor, pour les poiriers,
pour les feuillages…).
« Il y a une forme d’écriture automatique, ouverte et au final le
8
cinéma
film s’écrit et se monte parallèlement. Je fais toutes les étapes en
même temps. Quand ça ne marche pas, je retourne au compositing
pour ajuster des cadrages ou des rythmes d’animation et
quelquefois je retourne à l’animation et en même temps j’écris les
dialogues que j’enregistre avec mon smartphone. »
Décembre 2015, Festival de Bruz (Ille-et-Vilaine), dans le grenier
de ses logeurs, Sébastien enregistre sur son smartphone la
musique de la fin du film à la guitare sèche (voix et instruments
sur plusieurs pistes) d’après des vocalises de Clorinde Baldassari
qui faisait le compositing du film et qui est aussi chanteuse.
Il restera la guitare sèche et le sifflement de Sébastien dans la
chanson finale orchestrée par Olivier Méllano.
C’est aussi à Bruz, que la fin du film sera décidée après un
échange nourri entre Sébastien, Jean-Christophe et la réalisatrice
Chloé Mazlo. La jeune fille sera devenue une femme accomplie
après un parcours en solitaire mais elle retrouvera son
prince, le père de son enfant.
Sourire malicieux, Sébastien pianote sur son ordi pour parler
du casting des voix « C’est assez drôle, tu vas voir ». Il ouvre plusieurs
fichiers, nous écoutons 7 versions, 7 couleurs de voix,
plus jeune, plus mature, plus grave, plus cristalline, plus volontaire.
C’est Anaïs Demoustier qui sera la jeune fille tandis que
Jérémy Elkaïm sera le prince « pour sa voix douce et son côté
prince charmant », ils enregistreront en janvier 2016 et Olivier
Mellano finalisera la musique.
Restera une fin éprouvante pour les finitions du film et une immense
terreur un mois avant la projection à Cannes « J’ai eu des
pensées terribles, je pensais que mon travail n’allait intéresser personne
qu’en fait il n’y avait pas de film, que rien ne tenait debout,
que ce film était trop bizarre pour être projeté ».
Comme dans les contes, le héros a beaucoup navigué, il a appris
de chaque rivage, il a laissé beaucoup de plumes mais, comme
dans la plupart des contes, de plus belles ont repoussé.
OUANIPO : OUvroir d’ANImation Potentiel. A l’instar de
l’OULIPO (Ouvroir de LIttérature Potentiel) qui rassemble
Raymond Queneau ou Georges Pérec, l’OUANIPO propose la
fabrication de films avec des contraintes.
« Et un auteur oulipien, c’est quoi ? C’est « un rat qui construit luimême
le labyrinthe dont il se propose de sortir » (Marcel Bénabou
& Jacques Roubaud).
Cryptokinographie : Animation qui ne prend son sens qu’en
étant en mouvement. En clair, quand ça ne bouge pas on ne
peut pas dire ce que ça représente, quand ça bouge, tout devient
clair (avec une variante qui est que quand ça ne bouge pas ça
représente autre chose que ce que ça doit représenter en mouvement).
www.ouanipo.fr
La jeune fille sans mains : film de Sébastien Laudenbach, sortie
le 14 décembre
La jeune fille sans mains : un beau livre avec le conte revu par
Sébastien Laudenbach et dessins d’après le film. Éditions Shellac,
sortie le 10 décembre.
Pour les plus curieux : La jeune fille, le diable et le moulin, une
pièce de théâtre d’Olivier Py d’après le conte des frères Grimm.
Éditions Actes Sud Papiers.
À guetter : un nouveau film de Sébastien Laudenbach à venir
en février / mars 2017 disponible sur le site de l’Opéra de Paris,
réalisation pour la 3 ème scène.
v i m e o . c o m / s e b a s t i e n l a u d e n b a c h
texte
Jérôme Descamps
Sébastien Laudenbach
Réalisateur de films d'animation, illustrateur
et enseignant à l'ENSAD (École Nationale Supérieure
des Arts Décoratifs) depuis 2001. Auteur
de 8 courts métrages, dont Journal (primé à
Clermont-Ferrand en 1999), Des câlins dans les
cuisines (présélectionné pour les César 2004),
Vasco (Semaine de la Critique – Cannes 2011,
présélectionné pour les César 2012) et Daphné
ou la belle plante (Prix Émile Reynaud 2014).
Son travail a été sélectionné et primé dans de
nombreux festivals internationaux.
En tant que graphiste, il conçoit des affiches
de films (La Fille du 14 juillet) et des génériques,
notamment pour Emmanuel Mouret
(Laissons Lucie Faire, Fais-moi plaisir, Vénus
et Fleur…). Depuis 2014 il collabore avec Luc
Bénazet, poète, sur une collection de films de
poésies (4 opus à ce jour à voir sur vimeo.com/
user26356568).
La jeune fille sans mains est son premier longmétrage,
Prix du Public à Brasilia, Prix du Jury
Jeune à Pau…
UN CONNU
David perrin
NOM
David Perrin.
PROFESSION
Physio à la Loge.
ÂGE
47 ans.
PLUS BEAU SOUVENIR
Le permis moto.
votre rêve
Faire la route 66.
une passion
Le poker et le rock'n'roll.
photographie
Sylvère Hieule
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