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Portrait Kazuyuki Tanaka P_#11

Portrait du chef étoilé rémois Kazuyuki Tanaka par #jeromedescamps et #benoitpelletier

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RENCONTRE CULINAIRE<br />

RENCONTRE CULINAIRE<br />

<strong>Kazuyuki</strong><br />

<strong>Tanaka</strong><br />

texte<br />

Jérôme Descamps<br />

portrait<br />

Benoît Pelletier<br />

photographies<br />

Jean-Charles Amey<br />

C’est la fin du service dans<br />

le petit restaurant à étage près<br />

de la place Royale, tout le monde<br />

s’agite, les clients saluent le<br />

chef, les cuisiniers savonnent<br />

la cuisine pendant que Marine<br />

<strong>Tanaka</strong> prépare la salle pour<br />

le service du soir.<br />

En attendant le chef, mon esprit<br />

s’échappe vers ce que je sais<br />

du Japon appris dans les films.<br />

Je suis envahi par d’innombrables<br />

images d’Ozu,<br />

Mizoguchi, Kurosawa, Oshima<br />

et, plus proche de nous, Kitano,<br />

Myazaki ou Kore-Eda.<br />

Des paysages de campagne<br />

avec roseaux, des villes<br />

énormes et inextricables,<br />

des chevaliers et du sang,<br />

de l’érotisme sauvage et<br />

de la délicatesse des sentiments.<br />

Je repense au « Quartier Lointain<br />

» de Taniguchi et à « Manabé<br />

Shima », livre coloré, drôle<br />

et passionnant de Florent Chavouet,<br />

jeune français en visite<br />

dans la petite île de Manebeshima.<br />

Tout un monde désiré.<br />

Visage rieur, <strong>Kazuyuki</strong> <strong>Tanaka</strong><br />

est volubile, attentif, ses yeux<br />

sont perçants, c’est un homme<br />

curieux de tout, en action.<br />

0<br />

Les origines<br />

Je viens de Fukuoka d’une famille<br />

de cuisiniers, père et oncle officient<br />

derrière les pianos. Mon frère est en<br />

cuisine avec moi à Reims. Ce qui est<br />

amusant c’est que ma belle-famille est<br />

dans la cuisine aussi : ma belle-mère,<br />

l’oncle de ma femme et sa grand-mère.<br />

C’était mon rêve de venir en France,<br />

celui de mon père aussi qui parle<br />

le français. Il a acheté son billet d’avion,<br />

il a tout préparé et, au dernier moment,<br />

il a choisi d’ouvrir son restaurant au<br />

Japon à l’âge de 27 ans. Il me disait,<br />

« Peut-être que tes yeux auraient pu<br />

être bleus si je m’étais marié avec une<br />

française ».<br />

Mon père fait une bonne cuisine avec<br />

les techniques françaises et italiennes,<br />

il a appris dans les grands hôtels,<br />

il suivait mon grand-père qui était aussi<br />

fasciné par la cuisine d’Europe. Toutes<br />

les cuisines sont présentes au Japon,<br />

cuisines chinoise, française, italienne…<br />

Le meilleur restaurant c’est celui<br />

de mon père parce qu’il mélange les<br />

influences et que je sens tout, le goût<br />

et le cœur. Chaque fois que je retourne<br />

au Japon, je mange le riz au curry de<br />

mon père. Du riz rond japonais avec<br />

une sauce au curry à base de gingembre,<br />

d’ail et de légumes.<br />

Une enfance dans la cuisine du père<br />

Quand j’étais petit, j’aidais mon père,<br />

je lavais la vaisselle, je rangeais les<br />

bouteilles vides et, pendant ce temps-là,<br />

je regardais mon père cuisiner. Ça allait<br />

vite, il faisait tout de mémoire, nous<br />

avions 150 couverts à servir.<br />

Progressivement, j’ai épluché les<br />

légumes et les crevettes, je parais les<br />

poissons. J’ai travaillé dans beaucoup<br />

de restaurants étoilés à Fukuoka, Saga,<br />

Tokyo, Osaka. Je n’ai pas fait d’école de<br />

cuisine, en fait, je me fichais des études<br />

et des diplômes, je voulais acquérir de<br />

l’expérience.<br />

Je n’ai pas travaillé dans le restaurant de<br />

mon père parce que je voulais réaliser<br />

son rêve d’aller en France et me marier<br />

avec une française aux yeux bleus<br />

(rires). Mon fils n’a pas les yeux bleus<br />

mais bon… Je voulais aussi que mon<br />

père entre dans mon restaurant.<br />

Vers 18 ans, je trouvais important de<br />

me projeter dans l’avenir et d’imaginer<br />

ce que je devrais faire à vingt-cinq,<br />

trente, quarante ans… Je me suis dis,<br />

à vingt-cinq ans il faut partir pour la<br />

France et à trente, ouvrir mon restaurant.<br />

Pour la suite, tout est dans ma tête<br />

mais je ne le dis pas (des étoiles passent<br />

dans ses yeux).<br />

Mon intermédiaire fut Mme Harumi<br />

Osawa (Responsable du Centre culturel<br />

de la gastronomie française au Japon)<br />

qui connaît bien les chefs français<br />

et des directeurs de salle. Je suis arrivé<br />

« Chez Gill » (Chef, Gilles Tournadre),<br />

un restaurant deux étoiles à Rouen,<br />

puis un trois étoiles à Megève (« Flocon<br />

de sel », chef, Emmanuel Renaut) puis<br />

dans un une étoile à Dijon (« Auberge<br />

de la Charme » à Prenois, chef, David<br />

Zuddas) où j’ai rencontré ma femme,<br />

en cuisine elle-aussi. Après tous ces<br />

stages, je suis reparti au Japon et<br />

j’ai demandé un visa de travail pour<br />

la France. Quand je suis revenu, je<br />

suis retourné à Rouen puis chez Régis<br />

Marcon à Saint-Bonnet-le-Froid où<br />

j’ai travaillé trois ans avec ma femme.<br />

Marine <strong>Tanaka</strong> s’affairant : « il était trop<br />

fort. J’ai fait mes études à Dijon et Kazu<br />

me montrait beaucoup de techniques.<br />

C’est en Normandie que j’ai trouvé<br />

ma voie dans le service en salle. Je ne<br />

supportais pas la pression des cuisines,<br />

j’aime cuisiner tranquillement. En plus,<br />

j’étais frustrée parce qu’en cuisine, on ne<br />

voit pas le plaisir des gens. »<br />

Reims<br />

Je me souviens de mon premier voyage<br />

ici, c’était l’hiver, je me suis senti bien.<br />

Chaque ville a une odeur qui nous permet<br />

d’imaginer une couleur différente.<br />

Ici, il y avait des nuages clairs, j’ai senti<br />

le blanc.<br />

Ma ville d’origine, Fukuoka, c’est le<br />

bleu, la couleur des petits cailloux<br />

devant ma maison et aussi de la mer de<br />

Genkainada.<br />

Je suis venu plusieurs fois pour visiter<br />

mes beaux-parents et j’ai commencé à<br />

faire des stages aux Crayères et au Millénaire<br />

puis j’ai travaillé aux Crayères<br />

chez Philippe Mille en 2013.<br />

Ensuite, je me suis dit que cette ville<br />

n’était pas loin de Paris, qu’il y avait le<br />

champagne et beaucoup de touristes<br />

curieux, c’est un vrai potentiel. Depuis,<br />

j’apprends la ville, je regarde, je rencontre<br />

les fournisseurs.<br />

Relations franco-japonaises<br />

La cuisine classique française peut avoir<br />

tendance à alourdir les plats, il y beaucoup<br />

de cholestérol, beaucoup de gras,<br />

ce n’est pas bon pour la santé. Il faut<br />

faire les choses avec moins de beurre,<br />

moins de crème. J’utilise les techniques<br />

les plus simples de la cuisine japonaise<br />

en respectant le goût des aliments, en<br />

prenant soin de ne pas les appesantir.<br />

Les sauces, par exemple, sont un<br />

contrepoint, il en faut juste assez pour<br />

compléter le goût.<br />

Je ne pense pas beaucoup au Japon<br />

quand je cuisine, mais ma base de<br />

travail est le bouillon dashi (bouillon<br />

traditionnel japonais à base d’algue<br />

konbu et de pétales de bonite séchée)<br />

auquel je peux ajouter parfois un peu<br />

de tomates et un peu de sauce soja.<br />

L’autre incontournable ce sont les<br />

marinades. J’aime cuire les légumes et<br />

les laisser mariner dans leur propre eau.<br />

Chaque légume est cuit à part, s’il y a<br />

dix légumes, il y a dix casseroles.<br />

Je saisis chaque légume avec un peu<br />

d’ail, un peu de thym et une goutte<br />

d’huile d’olive, puis je couvre tout<br />

juste d’eau et je cuis à l’étouffée.<br />

Par exemple, pour les navets, je prélève<br />

du jus de cuisson devenu un bouillon<br />

très odorant puis je les laisse infuser car<br />

lors du refroidissement, l’eau de cuisson<br />

pénètre lentement dans les légumes<br />

et intensifie le goût.<br />

De l’Asie, j’utilise la citronnelle, les<br />

feuilles de lime, le galanga, juste pour<br />

explorer ce qu’on ne connaît pas. Si je<br />

fais des classiques de la cuisine française,<br />

les clients connaissent le goût à<br />

l’avance, c’est moins excitant que la découverte,<br />

l’important est de brouiller les<br />

lignes. Comme je suis japonais, je peux<br />

introduire des produits mal connus<br />

ici pour surprendre les clients. Mais je<br />

n’aurai pas envie d’ouvrir un restaurant<br />

au Japon parce que j’aime les français,<br />

ils aiment manger, ils aiment la cuisine,<br />

ils sont gourmands, ils aiment passer<br />

du temps dans un restaurant, pour<br />

moi c’est important. Au Japon, les gens<br />

sont trop sérieux, ils ne partagent pas


RENCONTRE CULINAIRE<br />

leurs sentiments. Ici, vous mangez,<br />

vous rigolez, vous discutez fort, vous<br />

êtes très vivants et vous partagez avec<br />

le cuisinier. La cuisine c’est beaucoup<br />

de travail, le partage est essentiel, c’est<br />

la base du plaisir. La cuisine c’est un<br />

croisement entre la clientèle et nous, un<br />

dialogue. C’est le sens de notre métier.<br />

Les produits, les fournisseurs<br />

J’aime travailler tous les produits, je<br />

n’ai pas de préférences mais j’aime particulièrement<br />

les légumes car ce sont<br />

des couleurs, des textures, des saveurs<br />

différentes. En plus c’est important<br />

pour la santé. Je me fournis chez Stan<br />

au marché du Boulingrin (La ferme<br />

des Bonnevals – Craonne), parfois<br />

je lui donne des graines de légumes<br />

japonais. Je change ma carte toutes les<br />

trois semaines, alors je parle avec lui de<br />

ce que nous allons faire, par exemple<br />

des mini céleris boulles. Stan prévoit<br />

ses plantations en fonction de ma carte.<br />

C’est important d’avoir un dialogue<br />

avec un passionné. Parfois, il m’apporte<br />

des légumes, je les cuisine et je prends<br />

des photographies pour lui montrer<br />

l’assiette obtenue, c’est important qu’il<br />

voit les finitions. Il y a beaucoup de travail<br />

de part et d’autre, il faut préparer la<br />

terre, semer, arroser avant d’arriver en<br />

cuisine où quelqu’un trie, lave, épluche,<br />

je suis au bout de toute cette chaine de<br />

travail. Il doit y avoir du respect et c’est<br />

important de montrer le résultat final<br />

à mes fournisseurs, comme ça, ils sont<br />

contents, tout simplement.<br />

Sinon, j’ai un petit jardin du côté de<br />

Rethel et comme j’aime les herbes<br />

sauvages, je vais les cueillir dans la<br />

nature juste à côté. Ce jardin est comme<br />

un paradis, il y a de la menthe, de la<br />

livèche. J’aime travailler la terre, je<br />

plante des betteraves et bien d’autres<br />

légumes, mon rêve serait de fournir<br />

mon restaurant. Je connais un restaurant<br />

en Belgique qui produit 90% de ses<br />

besoins en légumes.<br />

Pour le poisson, j’aime beaucoup les<br />

poissons d’eau douce, par exemple<br />

l’omble-chevalier, le fera ou le sandre.<br />

Il faut se singulariser car tout le monde<br />

travaille le Saint-Pierre, la sole, le turbot<br />

qui sont de bons poissons mais à la fin<br />

on mange toujours la même chose.<br />

Je travaille aussi une entrée avec des<br />

escargots qui viennent de Bourgogne,<br />

maintenant les cuisiniers n’osent plus<br />

travailler ce produit. Je travaille beaucoup<br />

avec le local mais si un produit<br />

est meilleur ailleurs, il faut aller le<br />

chercher.<br />

Les desserts<br />

Je n’aime pas trop en parler parce que<br />

je ne suis pas à l’aise avec les montages<br />

trop complexes. Pour moi, le<br />

meilleur dessert c’est un bon fruit. Par<br />

exemple, avec les fraises on peut faire<br />

une mousse, une tarte mais pour moi<br />

l’excellence, c’est la fraise à maturité et<br />

mangée nature. La fraise est naturellement<br />

équilibrée, elle est sucrée, acide,<br />

la texture est intéressante, c’est comme<br />

l’orange ou l’ananas.<br />

Donc, je n’utilise pas beaucoup<br />

de farine, juste assez pour donner<br />

un peu de moelleux. Aujourd’hui,<br />

par exemple, j’ai préparé une clémentine<br />

avec une bille chocolat fourrée<br />

à la crème de chocolat et je m’attaque à<br />

un dessert avec du sapin. Je transforme<br />

les épines en glace que je propose avec<br />

de la banane pour le côté gras, un morceau<br />

caramélisé, l’autre pistaché<br />

et du chocolat. Sinon, j’aime travailler<br />

le gingembre. Un dessert classique pour<br />

moi, c’est gingembre, ananas et yuzu.<br />

Tout doit rester simple.<br />

Trouver sa propre voie<br />

Pour reconnaître un bon produit, il faut<br />

tout goûter, comme pour les vins et les<br />

champagnes. Parfois, il y a des marques<br />

de références, mais il ne faut pas le penser<br />

à priori, mon travail est de trouver<br />

le goût qui me correspond et tant pis si<br />

je ne travaille pas avec les fournisseurs<br />

de tel ou tel grand restaurant. Mes deux<br />

attentions vont vers les saveurs et le<br />

prix pour offrir un large choix à ma<br />

clientèle.<br />

Je n’aime pas les catégories comme<br />

« cuisine française ou cuisine japonaise<br />

» parce que ça n’évolue pas,<br />

je ne veux pas me mettre une étiquette,<br />

c’est trop réducteur, je fais de la bonne<br />

cuisine c’est tout ce que je sais.<br />

Un restaurant c’est comme un livre, un<br />

film ou un tableau, derrière le titre il y<br />

a des histoires différentes qui inspirent<br />

des sentiments différents, c’est le client<br />

qui décide de ce qu’est ma cuisine.<br />

D’ailleurs, il faut souvent se mettre à la<br />

place du client « si j’étais assis dans ce<br />

restaurant, que penserais-je ? ».<br />

Il faut que tout soit soigné, la taille des<br />

légumes, les assaisonnements, chaque<br />

détail compte, il faut toujours donner<br />

le petit plus. J’aime beaucoup aussi<br />

les mises en bouche et les mignardises.<br />

Elles ne sont pas inscrites sur les<br />

menus, elles sont reçues comme des<br />

cadeaux par les clients, c’est un atout<br />

majeur.<br />

Mémoire et sentiment<br />

La mémoire fonctionne en mettant en<br />

valeur les plats très bons ou très mauvais,<br />

les très mauvais on s’en souvient<br />

aussi (rires). Les clients cherchent,<br />

je cherche. Il faut se singulariser,<br />

il faut trouver les éléments qui vont<br />

faire progresser une recette, ça peut être<br />

le dressage, le goût et même l’ambiance<br />

du restaurant. Je suis content quand les<br />

gens ont des frissons, mais c’est difficile.<br />

Quand je cuisine, j’ai déjà tout dans<br />

la tête, je goûte très peu, c’est ma<br />

femme qui goûte (sourire). En fait,<br />

je mélange et je goûte dans ma tête,<br />

je vois même les finitions. J’imagine<br />

toujours une progression des formes et<br />

des goûts dans l’assiette, le doux, l’amer,<br />

l’aigre-doux, le piquant, c’est pourquoi,<br />

j’aime les petits restaurants, car dans<br />

les grands restaurants quand il faut<br />

envoyer 60 plats, le sentiment est divisé<br />

en 60 portions. Quand j’étais en restaurant<br />

trois étoiles, j’étais fier de rôtir<br />

60 pigeons, maintenant je suis passé à<br />

autre chose. Nous sommes des artisans,<br />

nous avons nos deux mains, nous<br />

finissons chaque assiette avec minutie<br />

et quand j’envoie quatre assiettes le sentiment<br />

est divisé par quatre, c’est plus<br />

agréable. Ma seule question aujourd’hui<br />

est « Est-ce que je peux mettre tous les<br />

sentiments dans tous les produits ? ».<br />

r e s t a u r a n t r a c i n e<br />

Sous une bonne étoile :<br />

Cuisine moderne, créative, gastronomique<br />

: c’est vif, savoureux, très soigné,<br />

et d’autant meilleur que les produits<br />

utilisés sont de qualité. Dans sa livraison<br />

de février 2017, le guide Michelin vient de<br />

décerner sa première étoile à <strong>Kazuyuki</strong><br />

<strong>Tanaka</strong>. Sur la route de la voie lactée…<br />

8 r u e c o l b e r t 5 1 1 0 0 r e i m s<br />

0 3 2 6 3 5 1 6 9 5<br />

w w w . r a c i n e . r e<br />

2<br />

atelier<br />

coiffure<br />

CRÉATION / CONCEPTION WWW.BELLERIPE.FR<br />

_© <strong>Kazuyuki</strong> <strong>Tanaka</strong><br />

51 rue de Talleyrand - 51100 Reims 03 26 47 49 85<br />

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