Solution Notaire Hebdo - Décembre

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16 éclairage Affaires InsolvabilitÉ transfrontaliÈre Vente d’immeuble grevé et procédure d’insolvabilité ouverte dans un État membre de l’UE Inf. 15 David Boulanger, maître de conférences des Universités, directeur du Cridon Nord-Est et du CFPN/IMN-Lille L’ordonnance 2017-1519 du 2 novembre 2017 a adapté le droit français au règlement 2015/848. Les notaires français sont confrontés à la vente d’immeubles grevés, situés en France, mais dont le propriétaire fait l’objet d’une procédure d’insolvabilité ouverte dans un autre État membre. Ord. 2017-1519 2-11-2017 1. Le règlement (UE) 2015/848 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015 relatif aux procédures d’insolvabilité a révisé le règlement (CE) 1346/2000 du Conseil du 29 mai 2000. Il est applicable aux procédures d’insolvabilité ouvertes postérieurement au 26 juin 2017 (Règl. 2015/848 art. 84). Il détermine des règles de procédures applicables aux situations d’insolvabilité transfrontalières, spécialement lorsque les débiteurs exercent leur activité économique dans plusieurs États membres de l’Union européenne, à l’exception du Danemark. Complété par un règlement d’exécution (UE) 2017/1105 de la Commission du 12 juin 2017 établissant des formulaires, pour l’information des créanciers et la production des créances, le règlement 2015/848 a amené un certain nombre de nouveautés, notamment la prise en compte des groupes de sociétés, l’élargissement des procédures entrant dans son champ d’application et la suppression du caractère obligatoirement liquidatif des procédures secondaires. Il a pour objectif d’assurer la coordination des mesures à prendre concernant le patrimoine d’un débiteur insolvable et la prévention du forum shopping. Une ordonnance 2017-1519 du 2 novembre 2017 (JO 3-11 ; voir aussi au JORF du même jour le rapport au Président de la République) a adapté le droit français à cet instrument. La combinaison entre l’effet direct de la procédure d’insolvabilité principale et les droits réels des créanciers dans d’autres États membres demeure délicate 2. Concrètement, le règlement 2015/848 conforte les principes du règlement 1346/2000, propres à la reconnaissance immédiate et de plein droit de la décision d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité dans les autres États membres (Règl. 2015/848 art. 19, § 1), et à la compétence de la loi de l’État membre sur le territoire duquel la procédure est ouverte (art. 7, § 1). La juridiction compétente est toujours celle du lieu où se situe le centre des intérêts principaux du débiteur, lequel est défini comme le lieu où le débiteur gère habituellement ses intérêts et qui est vérifiable par les tiers (art. 3, § 1). La procédure ouverte dans le ressort du tribunal où est situé le centre des intérêts principaux du débiteur est invariablement dite « procédure d’insolvabilité principale ». L’objectif du législateur européen est de n’ouvrir qu’une seule procédure d’insolvabilité principale pour chaque débiteur. Toutefois, des « procédures d’insolvabilité secondaires » peuvent être ouvertes dans d’autres États membres si le débiteur y possède un ou des établissements (art. 34). Ces derniers correspondent à « tout lieu d’opérations où un débiteur exerce ou a exercé au cours de la période de trois mois précédant la demande d’ouverture de la procédure d’insolvabilité principale, de façon non transitoire, une activité économique avec des moyens humains et des actifs » (art. 2, 10). Une procédure d’insolvabilité secondaire ne produit ses effets que sur les biens du débiteur situés dans l’État membre où cette procédure a été ouverte (art. 34, 1), alors que la procédure d’insolvabilité principale peut produire ses effets dans tous les États membres. SOLUTION NOTAIRE HEBDO 21 décembre 2017 n° 14
Éclairage 17 3. Parmi les nouveautés, le règlement a introduit des règles afin de faciliter la coordination des procédures d’insolvabilité ouvertes dans différents États membres. Recueillir l’accord de tous les créanciers locaux concernés par l’engagement Ainsi, il prévoit que les juridictions des États membres, outre les praticiens de l’insolvabilité ont l’obligation de communiquer entre eux et de se coordonner, par exemple, ces derniers peuvent conclure des protocoles. Dans le même ordre d’idées, il prévoit que les États membres mettront en place des registres d’insolvabilité dont la Commission européenne assurera, d’ici au 26 juin 2019, l’interconnexion. Les citoyens auront ainsi accès, gratuitement, sur le portail e-justice de la Commission européenne, aux informations relatives à toutes les procédures d’insolvabilité ouvertes dans l’Union européenne. 4. Malgré tout, la combinaison entre l’effet direct de la procédure d’insolvabilité principale et les droits réels des créanciers dans d’autres États membres demeure délicate. D’une part, le règlement 2015/848 prévoit toujours que l’ouverture de la procédure d’insolvabilité n’affecte pas le droit réel d’un créancier ou d’un tiers sur des biens corporels ou incorporels, meubles ou immeubles appartenant au débiteur et qui sont situés, au moment de l’ouverture de la procédure, sur le territoire d’un autre État membre (art. 8, § 1). D’autre part, une nouveauté importante est issue du règlement précité : est créé un dispositif permettant d’éviter l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité secondaire sans léser les créanciers locaux (art. 36). Ainsi, le praticien de l’insolvabilité de la procédure d’insolvabilité principale peut prendre l’engagement de garantir aux créanciers de l’établissement le même traitement que si une procédure d’insolvabilité secondaire avait été ouverte. Ce mécanisme a fait, en droit interne, l’objet des articles L 692-7 et suivants du code de commerce, issus de l’ordonnance 2017-1519. 5. Il convient d’appréhender l’impact pour le notaire français de ces nouvelles dispositions. En effet, il est régulièrement sollicité pour procéder à la vente d’immeubles situés en France, et grevés de diverses hypothèques conventionnelles, judiciaires ou légales alors que le propriétaire est concerné par une procédure d’insolvabilité principale ouverte hors de France. 6. On sait que l’article 19, paragraphe 1, du règlement prévoit que « toute décision ouvrant une procédure d’insolvabilité rendue par une juridiction d’un État membre (…) est reconnue dans tous les autres États membres dès qu’elle produit ses effets dans l’État d’ouverture ». L’article 21, paragraphe 1, précise que le praticien de l’insolvabilité désigné par une juridiction compétente peut exercer dans un autre État membre tous les pouvoirs qui lui sont conférés par la loi de l’État d’ouverture. On en déduit que ce praticien peut directement exercer ses pouvoirs en France ; notamment, si cette loi le lui accorde, il devrait donc pouvoir faire vendre de gré à gré les immeubles situés en France, évidemment sans passer par une quelconque procédure d’exequatur de la décision ouvrant la procédure d’insolvabilité. 7. Cependant, le notaire doit prendre en compte la protection des « droits réels » des tiers sur les biens appartenant au débiteur et qui se trouvent, au moment de l’ouverture de la procédure, sur le territoire français. Sous l’empire du règlement 1346/2000 du 29 mai 2000, la CJUE avait déjà considéré qu’il fallait comprendre l’article 5, paragraphe 1 comme « une disposition qui, dérogeant à la règle de la loi de l’État d’ouverture, permet d’appliquer au droit réel d’un créancier ou d’un tiers sur certains biens appartenant au débiteur la loi de l’État membre sur le territoire duquel se trouve le bien en question » (CJUE 5 juill. 2012 aff. C-527/10, Erste Bank Hungary : Banque et droit 151/2013 p. 13 obs. A. Gautron et E. Dal Maso). Le 26 octobre 2016, elle a précisé « que constitue un “ droit réel ”, au sens de cet article, une sûreté constituée en vertu d’une disposition de droit national selon laquelle l’immeuble du débiteur de taxes foncières est grevé de plein droit d’une charge foncière de droit public et que ce propriétaire doit tolérer l’exécution forcée du titre constatant la créance fiscale, sur cet immeuble » (CJUE 26-10-2016 aff. C-195/15, SCI Senior Home). Ces interprétations demeurent pertinentes. 8. Alors quelle doit être l’attitude du notaire français pour parvenir à une vente amiable du bien immobilier grevé de sûretés réelles ? 9. La distinction opérée selon l’ancien règlement peut être reprise. En premier lieu, si le débiteur possède un établissement en France, il faudrait, en principe, ouvrir une procédure secondaire pour rendre applicable le droit français et permettre au liquidateur de poursuivre la vente de l’immeuble avec une autorisation du juge-commissaire (Circulaire de la DACS 2006-19 15-12-2006 art. 3.3.4). Cependant, pour les procédures entrant dans le champ du règlement 2015/848, le notaire préconisera l’engagement de l’article 36 du règlement (N. B. : l’ordonnance distingue selon que la procédure principale est ouverte en France, dans ce cas l’engagement concerne des créanciers locaux d’un établissement du débiteur situé sur le territoire d’un autre État membre [C. com. art. L 691-2], ou qu’elle est ouverte dans un autre État membre, dans ce cas l’établissement et les créanciers intéressés par l’engagement sont situés en France [C. com. art. L 692-2, I]). Le praticien de l’insolvabilité recueillera l’accord de tous les créanciers locaux concernés par l’engagement (C. com. art. L 692-7, al. 1 er ). Réaliser le bien grevé selon les formes de la loi de l’État de situation du bien Il s’agit de s’assurer que ces derniers peuvent vérifier que l’engagement proposé est conforme à leurs droits et à la loi française lorsque la procédure principale est ouverte dans un autre État membre. Le défaut de réponse des créanciers locaux dont les droits sont affectés, dans le délai de soixante jours à compter de la réception de la proposition d’engagement, vaudra approbation de l’engagement (C. com. art. L 692-7, al. 3). SOLUTION NOTAIRE HEBDO 21 décembre 2017 n° 14
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