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L’ORDRE ET LA FORCE . RAPPORT D’ENQUÊTE<br />
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Il ressort pourtant très nettement de l’enquête conduite par l’ACAT que l’utilisation des<br />
menottes est bien plus fréquente que ce que permet le cadre de la loi. Depuis des années,<br />
la CNDS, puis le Défenseur des droits, dénoncent inlassablement l’utilisation abusive des<br />
menottes. En 2009, la CNDS affirmait ainsi qu’il s’agissait du plus grand nombre de manquements<br />
à la déontologie constatés, et appelait à un véritable « changement de culture ».<br />
Elle y voyait une technique souvent utilisée « pour asseoir l’autorité des agents, voire<br />
pour humilier les personnes interpellées 119 ». Ce constat a été confirmé à de nombreuses<br />
reprises par des avocats, des magistrats ou des responsables associatifs rencontrés par<br />
l’ACAT au cours de son enquête. Ce sujet faisait notamment l’objet d’un chapitre du <strong>rapport</strong><br />
2013 sur les centres et les locaux de rétention : « En pratique, l’ensemble des intervenants<br />
s’accorde à dire que les menottes sont utilisées bien plus que les textes ne le<br />
prévoient. » Les associations présentes en centre de rétention précisent que les critères<br />
qui président à l’usage des menottes sont souvent sans lien avec une dangerosité ou un<br />
risque de fuite présumés de la personne. Il dépend de toutes autres considérations : « le<br />
moyen de transport (au CRA de Nice, les personnes sont menottées dès lors qu’elles<br />
sont escortées en voiture, mais sont placées sans menottes dans les fourgons) ; le lieu<br />
du transfert (au CRA de Lyon, les personnes ne sont pas menottées lors de leur transfert<br />
vers le tribunal administratif, mais le sont lorsqu’elles doivent être présentées au juge des<br />
libertés et de la détention) ou le nombre de personnes faisant l’objet d’un transfert (en<br />
Guadeloupe et à Hendaye, le port des menottes est fréquent lors des transferts, lorsque<br />
les personnes sont nombreuses) » 120 . Pour beaucoup, le menottage est ainsi davantage<br />
perçu comme un moyen de confort pour les policiers. L’ACAT a, en outre, reçu plusieurs<br />
témoignages de menottages excessivement serrés.<br />
DES PRATIQUES RAREMENT DÉNONCÉES EN JUSTICE ET SANCTIONNÉES<br />
Bien que l’utilisation abusive des menottes soit unanimement constatée, elle n’est que<br />
très peu soulevée en justice et ne semble pas être sanctionnée. Plusieurs avocats rencontrés<br />
par l’ACAT reconnaissent ainsi que, bien que la pratique soit fréquente, elle n’est<br />
même plus dénoncée devant les tribunaux. La très grande difficulté à obtenir justice dans<br />
des affaires jugées plus spectaculaires et plus graves (infirmité résultant d’armes policières,<br />
décès, etc.) obligerait les avocats à se concentrer sur ces dernières. Certains font<br />
le constat « d’une sorte d’acceptation du moins mauvais, de pratiques faisant partie du<br />
quotidien ». Même constat du côté des associations présentes en centre de rétention : les<br />
juges des libertés et de la détention ne sanctionnent que très rarement des procédures<br />
d’interpellation dans lesquelles un menottage abusif est mis en avant. À force d’échecs,<br />
certaines associations renoncent ainsi à soulever cet argument devant les juges.<br />
RECOMMANDATIONS<br />
L’ACAT rappelle que les<br />
menottes ne doivent<br />
être utilisées que dans<br />
les circonstances légales<br />
dans lesquelles elles sont<br />
autorisées, à savoir lorsque<br />
la personne est dangereuse<br />
ou susceptible de prendre<br />
la fuite. Toute utilisation<br />
de menottes en dehors de<br />
ces situations devrait être<br />
sanctionnée.<br />
L’ACAT recommande<br />
par ailleurs d’interdire<br />
strictement la pratique<br />
consistant à serrer<br />
excessivement des<br />
menottes.<br />
4.3. TUTOIEMENT ET INJURES<br />
L’ACAT a enfin reçu de nombreux témoignages d’injures proférées par des agents<br />
des forces de l’ordre lors d’interpellations, de transports de police, au sein de CRA ou<br />
de commissariats. Sont <strong>rapport</strong>ées des allégations d’insultes, de propos humiliants,<br />
homophobes, ou encore de propos à caractère racial, sexiste ou religieux. La pratique<br />
du tutoiement est par ailleurs régulièrement dénoncée. En 2013, le Défenseur des<br />
droits affirmait que les propos déplacés et le tutoiement constituent le deuxième motif<br />
de saisine en matière de déontologie de la sécurité 121 . Dès 2004, la CNDS y voyait un<br />
moyen pour les forces de l’ordre de « marquer une relation de supériorité vis-à-vis<br />
d’un plaignant, qui, lui, doit vouvoyer 122 . »<br />
119. CNDS, Rapport d’activité 2004, p. 508<br />
120. Assfam, Forum Réfugiés-Cosi, FTDA, La Cimade, Ordre de Malte, Centres et locaux de rétention administrative, Rapport 2013,<br />
p. 40<br />
121. Défenseur des droits, Bilan d’activité 2013, p. 102 ; Défenseur des droits, Déontologie et sécurité : le point sur les propos déplacés et<br />
le tutoiement, 4 avril 2014<br />
122. CNDS, Rapport d’activité 2004, p. 508