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rapport_violences_policieres_acat (1)

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L’ORDRE ET LA FORCE . RAPPORT D’ENQUÊTE<br />

59<br />

Il ressort pourtant très nettement de l’enquête conduite par l’ACAT que l’utilisation des<br />

menottes est bien plus fréquente que ce que permet le cadre de la loi. Depuis des années,<br />

la CNDS, puis le Défenseur des droits, dénoncent inlassablement l’utilisation abusive des<br />

menottes. En 2009, la CNDS affirmait ainsi qu’il s’agissait du plus grand nombre de manquements<br />

à la déontologie constatés, et appelait à un véritable « changement de culture ».<br />

Elle y voyait une technique souvent utilisée « pour asseoir l’autorité des agents, voire<br />

pour humilier les personnes interpellées 119 ». Ce constat a été confirmé à de nombreuses<br />

reprises par des avocats, des magistrats ou des responsables associatifs rencontrés par<br />

l’ACAT au cours de son enquête. Ce sujet faisait notamment l’objet d’un chapitre du <strong>rapport</strong><br />

2013 sur les centres et les locaux de rétention : « En pratique, l’ensemble des intervenants<br />

s’accorde à dire que les menottes sont utilisées bien plus que les textes ne le<br />

prévoient. » Les associations présentes en centre de rétention précisent que les critères<br />

qui président à l’usage des menottes sont souvent sans lien avec une dangerosité ou un<br />

risque de fuite présumés de la personne. Il dépend de toutes autres considérations : « le<br />

moyen de transport (au CRA de Nice, les personnes sont menottées dès lors qu’elles<br />

sont escortées en voiture, mais sont placées sans menottes dans les fourgons) ; le lieu<br />

du transfert (au CRA de Lyon, les personnes ne sont pas menottées lors de leur transfert<br />

vers le tribunal administratif, mais le sont lorsqu’elles doivent être présentées au juge des<br />

libertés et de la détention) ou le nombre de personnes faisant l’objet d’un transfert (en<br />

Guadeloupe et à Hendaye, le port des menottes est fréquent lors des transferts, lorsque<br />

les personnes sont nombreuses) » 120 . Pour beaucoup, le menottage est ainsi davantage<br />

perçu comme un moyen de confort pour les policiers. L’ACAT a, en outre, reçu plusieurs<br />

témoignages de menottages excessivement serrés.<br />

DES PRATIQUES RAREMENT DÉNONCÉES EN JUSTICE ET SANCTIONNÉES<br />

Bien que l’utilisation abusive des menottes soit unanimement constatée, elle n’est que<br />

très peu soulevée en justice et ne semble pas être sanctionnée. Plusieurs avocats rencontrés<br />

par l’ACAT reconnaissent ainsi que, bien que la pratique soit fréquente, elle n’est<br />

même plus dénoncée devant les tribunaux. La très grande difficulté à obtenir justice dans<br />

des affaires jugées plus spectaculaires et plus graves (infirmité résultant d’armes policières,<br />

décès, etc.) obligerait les avocats à se concentrer sur ces dernières. Certains font<br />

le constat « d’une sorte d’acceptation du moins mauvais, de pratiques faisant partie du<br />

quotidien ». Même constat du côté des associations présentes en centre de rétention : les<br />

juges des libertés et de la détention ne sanctionnent que très rarement des procédures<br />

d’interpellation dans lesquelles un menottage abusif est mis en avant. À force d’échecs,<br />

certaines associations renoncent ainsi à soulever cet argument devant les juges.<br />

RECOMMANDATIONS<br />

L’ACAT rappelle que les<br />

menottes ne doivent<br />

être utilisées que dans<br />

les circonstances légales<br />

dans lesquelles elles sont<br />

autorisées, à savoir lorsque<br />

la personne est dangereuse<br />

ou susceptible de prendre<br />

la fuite. Toute utilisation<br />

de menottes en dehors de<br />

ces situations devrait être<br />

sanctionnée.<br />

L’ACAT recommande<br />

par ailleurs d’interdire<br />

strictement la pratique<br />

consistant à serrer<br />

excessivement des<br />

menottes.<br />

4.3. TUTOIEMENT ET INJURES<br />

L’ACAT a enfin reçu de nombreux témoignages d’injures proférées par des agents<br />

des forces de l’ordre lors d’interpellations, de transports de police, au sein de CRA ou<br />

de commissariats. Sont <strong>rapport</strong>ées des allégations d’insultes, de propos humiliants,<br />

homophobes, ou encore de propos à caractère racial, sexiste ou religieux. La pratique<br />

du tutoiement est par ailleurs régulièrement dénoncée. En 2013, le Défenseur des<br />

droits affirmait que les propos déplacés et le tutoiement constituent le deuxième motif<br />

de saisine en matière de déontologie de la sécurité 121 . Dès 2004, la CNDS y voyait un<br />

moyen pour les forces de l’ordre de « marquer une relation de supériorité vis-à-vis<br />

d’un plaignant, qui, lui, doit vouvoyer 122 . »<br />

119. CNDS, Rapport d’activité 2004, p. 508<br />

120. Assfam, Forum Réfugiés-Cosi, FTDA, La Cimade, Ordre de Malte, Centres et locaux de rétention administrative, Rapport 2013,<br />

p. 40<br />

121. Défenseur des droits, Bilan d’activité 2013, p. 102 ; Défenseur des droits, Déontologie et sécurité : le point sur les propos déplacés et<br />

le tutoiement, 4 avril 2014<br />

122. CNDS, Rapport d’activité 2004, p. 508

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