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La condition inhumaine. Le camp de Dachau

Cet ouvrage regroupe quatre textes (dont un inédit) écrits entre 1945 et 1946. L’auteur, résistant, jeune jésuite, a vécu un an, de 1944 à 1945, dans le camp de concentration de Dachau. Écrits par nécessité de témoigner et souci de vérité, ces textes n’hésitent pas à aborder des thèmes aussi difficiles que les conditions de vie des prisonniers, les conflits politiques qui surgissaient entre eux ou la paradoxale liberté que l’on pouvait éprouver dans le camp. Il en tire une grande leçon d’humanité : « Quoi d’autre nous importe, après tout, que de mieux connaître en l’homme ce qui le rend assez maître de son destin pour dominer ainsi et la mort et la vie : cela seul intéresse, à travers les contemporains de Dachau, l’homme de tous les temps. »

Cet ouvrage regroupe quatre textes (dont un inédit) écrits entre 1945 et 1946. L’auteur, résistant, jeune jésuite, a vécu un an, de 1944 à 1945, dans le camp de concentration de Dachau. Écrits par nécessité de témoigner et souci de vérité, ces textes n’hésitent pas à aborder des thèmes aussi difficiles que les conditions de vie des prisonniers, les conflits politiques qui surgissaient entre eux ou la paradoxale liberté que l’on pouvait éprouver dans le camp. Il en tire une grande leçon d’humanité : « Quoi d’autre nous importe, après tout, que de mieux connaître en l’homme ce qui le rend assez maître de son destin pour dominer ainsi et la mort et la vie : cela seul intéresse, à travers les contemporains de Dachau, l’homme de tous les temps. »

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Jacques Sommet<br />

LA CONDITION<br />

INHUMAINE<br />

<strong>Le</strong> <strong>camp</strong> <strong>de</strong> <strong>Dachau</strong>


Jacques Sommet<br />

<strong>La</strong> <strong>condition</strong> <strong>inhumaine</strong><br />

<strong>Le</strong> <strong>camp</strong> <strong>de</strong> <strong>Dachau</strong><br />

Suivi <strong>de</strong><br />

<strong>Dachau</strong>, bagne pour prêtres<br />

<strong>de</strong> Léon <strong>de</strong> Coninck, s.j.


Collection <strong>de</strong> la Revue Christus<br />

dirigée par Remi <strong>de</strong> Maindreville s.j.<br />

n o 6<br />

© 2016 Éditions jésuites<br />

Belgique : 7, rue Blon<strong>de</strong>au, 5000 Namur<br />

France : 14, rue d’Assas, 75006 Paris<br />

www.editionsjesuites.com<br />

ISBN 978-2-87299-292-8<br />

DL 2016/4255/14


PRÉSENTATION<br />

L’entretien dans lequel le P. Jacques Sommet<br />

(1912-2012) raconte sa déportation à <strong>Dachau</strong> 1 a pu<br />

faire oublier les pages qu’il écrivit dès son retour sur<br />

cette même expérience. Ce sont ces <strong>de</strong>rnières que<br />

nous publions ici.<br />

Né en 1912 dans une famille <strong>de</strong> la bourgeoisie lyonnaise,<br />

Jacques Sommet est entré dans la Compagnie<br />

<strong>de</strong> Jésus en 1934. Après avoir fait son noviciat à<br />

Yzeure (près <strong>de</strong> Moulins), il commence ses étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong><br />

philosophie à Jersey lorsqu’il est mobilisé en 1939-<br />

1940. Après la guerre durant laquelle il comman<strong>de</strong><br />

une troupe, il reprend ses étu<strong>de</strong>s à Vals-près-le-Puy,<br />

puis est envoyé à Paris en 1942 pour intégrer<br />

Sciences Po. D’emblée, il s’engage parallèlement dans<br />

1. Cf. J. Sommet, L’honneur <strong>de</strong> la liberté (entretiens avec<br />

Ch. Ehlinger), <strong>Le</strong> Centurion, Paris, 1987, en particulier p. 58-<br />

147. Cf. aussi id., L’acte <strong>de</strong> mémoire : 50 ans après la déportation<br />

(entretiens avec A. Longchamp), Éditions <strong>de</strong> l’Atelier, Paris,<br />

1995, en particulier p. 67-82.


6 Présentation<br />

trois réseaux <strong>de</strong> résistance. Deux d’entre eux visent à<br />

ai<strong>de</strong>r, d’une part, <strong>de</strong>s étudiants en provenance du<br />

nord <strong>de</strong> l’Europe et, <strong>de</strong> l’autre, <strong>de</strong>s aviateurs nordaméricains<br />

tombés en Allemagne dans leur passage<br />

en Espagne, puis en Algérie (libérée <strong>de</strong>puis fin 1942).<br />

<strong>Le</strong> troisième réseau, justement célèbre, est celui <strong>de</strong> Témoignage<br />

chrétien, animé par le P. Pierre Chaillet sj<br />

(1900-1976), qui publiait <strong>de</strong>s articles appelant à la « résistance<br />

spirituelle », tout en organisant dans toute la<br />

France <strong>de</strong>s filières d’évasion ou d’hébergement d’enfants<br />

juifs et <strong>de</strong> résistants. C’est pour ses activités dans<br />

l’un <strong>de</strong> ces réseaux (probablement dans le <strong>de</strong>rnier)<br />

que Jacques Sommet fut arrêté le 19 mai 1944, alors<br />

qu’entre <strong>de</strong>ux examens à Sciences Po, il rentrait déjeuner<br />

au 42, rue <strong>de</strong> Grenelle (par ailleurs siège clan<strong>de</strong>stin<br />

<strong>de</strong> Témoignage chrétien) 2 . Après avoir fouillé<br />

sa chambre, la Gestapo l’interrogea, puis le transféra<br />

à la prison <strong>de</strong> Fresnes où il resta environ trois semaines<br />

avant d’être déporté à <strong>Dachau</strong>. <strong>La</strong> suite, le<br />

P. Sommet la relate dans les textes que l’on va lire.<br />

*<br />

2. Pour plus <strong>de</strong> renseignements, cf. Renée Bédarida, <strong>Le</strong>s<br />

armes <strong>de</strong> l’esprit : Témoignage chrétien (1941-1944), Éditions ouvrières,<br />

Paris, 1977.


Présentation<br />

7<br />

Huit jours après la libération du <strong>camp</strong> <strong>de</strong> <strong>Dachau</strong><br />

par les troupes américaines, Jacques Sommet, sur<br />

<strong>de</strong>ux pages arrachées d’un agenda, écrivit à son provincial<br />

3 , au crayon, ce qui suit :<br />

<strong>Dachau</strong>, ce 5 mai 1945.<br />

Mon Révérend et bien cher Père,<br />

Votre fils prodigue vous revient d’un vrai et terrible<br />

purgatoire. <strong>Le</strong> Bon Dieu et la Compagnie ont sauvé<br />

miraculeusement ma vie à travers typhus et mauvais<br />

traitements. Mais j’ai pu recevoir chaque jour le corps<br />

bien-aimé du Seigneur : j’ai fait là un troisième an<br />

avec lui, en vraie communauté <strong>de</strong> la Compagnie avec<br />

le P. <strong>de</strong> Coninck 4 , supérieur <strong>de</strong> Bruxelles, comme supérieur<br />

<strong>de</strong> <strong>Dachau</strong>.<br />

Dites à tous mes frères bien-aimés <strong>de</strong> la Compagnie<br />

que leurs prières et leur affection m’ont sauvé à<br />

chaque instant.<br />

Mon Père, j’attendrai un peu pour rentrer, soignant<br />

les mala<strong>de</strong>s. Je suis votre fils, dans le seul amour<br />

du Christ,<br />

J. Sommet s.j.<br />

3. Il s’agit du P. Marcel Bith (1883-1963), provincial <strong>de</strong> France<br />

(Paris et alentour) entre 1942 et 1948. <strong>La</strong> lettre se trouve dans les<br />

Archives <strong>de</strong> la province jésuite <strong>de</strong> France (Vanves).<br />

4. Sur L. <strong>de</strong> Coninck, voir infra, p. 11-13.


8 Présentation<br />

Ici P. Riquet – rentré à Paris 5 .<br />

P. Pallok – un peu fatigué (Toulouse,<br />

Men<strong>de</strong>) 6 .<br />

P. Hartmann (Champagne, Nancy, bonne<br />

santé) 7 .<br />

2 candidats admis à la Compagnie :<br />

Gérard Pierré (Champagne, Nancy) 8 .<br />

Jacques Baudois (averti P. Du Bouchet,<br />

bonne santé) 9 .<br />

5. Michel Riquet (1898-1993), chargé <strong>de</strong> la formation <strong>de</strong>s étudiants<br />

en mé<strong>de</strong>cine à <strong>La</strong>ënnec, il entre en résistance dès 1940,<br />

tout en gardant une parole très libre vis-à-vis <strong>de</strong> l’occupant dans<br />

ses prédications. Arrêté en janvier 1944, il est déporté à <strong>Dachau</strong><br />

en avril.<br />

6. Adolphe Paloc (1873-1955). Aumônier <strong>de</strong>s employés <strong>de</strong><br />

Chemins <strong>de</strong> fer, <strong>de</strong>s PTT et <strong>de</strong> la communauté espagnole locale,<br />

il est arrêté à Men<strong>de</strong> en octobre 1943, puis aussitôt déporté à Buchenwald.<br />

En janvier 1945, il est transféré à <strong>Dachau</strong>.<br />

7. Pierre Hartemann (1903-1978). Arrêté en novembre 1942<br />

à la suite d’un sermon à l’église Saint-Léon (Nancy), qu’il avait<br />

débuté par : « Déjà, du temps <strong>de</strong> saint Augustin, les Vandales… »,<br />

il est déporté aussitôt à Sachsenhausen, près <strong>de</strong> Berlin, puis transféré<br />

à <strong>Dachau</strong> en octobre 1943.<br />

8. G. Pierré (né en 1923), arrêté en septembre 1944 dans le<br />

maquis <strong>de</strong> Grandrupt (Vosges), il est déporté aussitôt à <strong>Dachau</strong>.<br />

Il est entré au noviciat jésuite en octobre 1945.<br />

9. J. Bodoy (né en 1922), originaire <strong>de</strong> Saint-Étienne, est arrivé<br />

à <strong>Dachau</strong> en janvier 1945 en provenance du <strong>camp</strong> <strong>de</strong> Birtenau<br />

(Cassel). Entré au noviciat en octobre 1945, il l’a quitté l’année


Présentation<br />

9<br />

De retour à Paris dans la<br />

<strong>de</strong>uxième quinzaine du mois<br />

<strong>de</strong> mai 1945, le P. Sommet rédigea<br />

parallèlement <strong>de</strong>ux<br />

textes : l’un, inédit à ce jour,<br />

daté du 8 juin 1945, probablement<br />

à la <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> ses supérieurs<br />

étant donné les<br />

nombreux renseignements<br />

qui y sont donnés sur la vie religieuse<br />

dans le <strong>camp</strong> ; l’autre,<br />

publié en juillet 1945, sur<br />

comman<strong>de</strong> du P. René<br />

Jacques Sommet, été 1945<br />

d’Ouince sj (1896-1973), directeur <strong>de</strong> la revue Étu<strong>de</strong>s<br />

à l’époque ; intitulé « <strong>La</strong> <strong>condition</strong> <strong>inhumaine</strong> », cet<br />

article fera date, et sera d’ailleurs réédité à maintes<br />

reprises.<br />

Moins connus sont les <strong>de</strong>ux articles suivants. <strong>Le</strong><br />

premier, « Hommes libres à <strong>Dachau</strong> : essai <strong>de</strong> sociologie<br />

», est publié dans Cahiers du mon<strong>de</strong> nouveau en<br />

octobre (ou novembre) 1945 : cette revue, qui vécut<br />

<strong>de</strong> 1945 à 1951, était éditée par les Éditions du Témoignage<br />

chrétien. <strong>Le</strong> second article, « Conquête <strong>de</strong><br />

suivante. Joseph du Bouchet (1890-1972) était à l’époque le<br />

maître <strong>de</strong>s novices <strong>de</strong> la province <strong>de</strong> Lyon.


10 Présentation<br />

la liberté : témoignage d’un déporté », écrit en 1946<br />

à la <strong>de</strong>man<strong>de</strong> du P. Henri <strong>de</strong> Lubac (1896-1991), autre<br />

éminent responsable <strong>de</strong> Témoignage chrétien, se veut<br />

« un prolongement plus réflexif <strong>de</strong> « <strong>La</strong> <strong>condition</strong> <strong>inhumaine</strong><br />

». Il fut également publié dans les Cahiers<br />

du mon<strong>de</strong> nouveau en avril 1946.<br />

L’article publié dans Étu<strong>de</strong>s et les <strong>de</strong>ux autres aux<br />

Cahiers du mon<strong>de</strong> nouveau seront réédités entre octobre<br />

1976 et avril 1977 dans la revue Christus, alors<br />

dirigée par le P. Joseph Thomas sj (1915-1992) 10 .<br />

*<br />

Après 1946, année <strong>de</strong> son ordination, le P. Sommet,<br />

à notre connaissance, n’écrivit aucun autre texte sur<br />

<strong>Dachau</strong>. Ce n’est que quarante ans plus tard, à l’occasion<br />

<strong>de</strong> différents entretiens et interventions, qu’il<br />

reparlera ouvertement <strong>de</strong> son expérience concentrationnaire.<br />

Si l’on y retrouve la même obsession <strong>de</strong> la<br />

10. Nous tenons à remercier Mme Barbara Baudry, archiviste<br />

<strong>de</strong> la Compagnie <strong>de</strong> Jésus en France, M. Christophe <strong>La</strong>nglois,<br />

directeur <strong>de</strong>s bibliothèques <strong>de</strong> l’Institut catholique <strong>de</strong> Paris, et<br />

le P. Gérard Pierré sj pour leur attention constante à nos <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s<br />

<strong>de</strong> renseignement pour établir l’appareil critique <strong>de</strong>s<br />

textes du P. Sommet.


Présentation<br />

11<br />

« liberté », un mot fait clairement son apparition, mot<br />

qu’il n’osait guère encore employer au sortir <strong>de</strong> l’horreur<br />

— le mot « espérance », comme ici en 1990 :<br />

C’était <strong>Dachau</strong>. À la fin du <strong>camp</strong>, je me suis trouvé<br />

<strong>de</strong>vant l’accumulation <strong>de</strong>s corps-victimes pas encore<br />

entamés ou consumés. Et ce charnier (avant tant<br />

d’autres découvertes faites <strong>de</strong>puis) m’a donné espoir !<br />

À ces corps vidés <strong>de</strong> vie, désarticulés par la torture<br />

collective <strong>de</strong> la faim et du mépris systématique, <strong>de</strong> ce<br />

mal accompli, une espérance m’a été donnée. Car tous<br />

les hommes n’étaient pas morts par suici<strong>de</strong>. Certes,<br />

ils étaient certains <strong>de</strong> mourir. Ils ne <strong>de</strong>vaient échapper<br />

ni au désespoir ni à ses effets. Or, ils avaient, tous<br />

ceux-là, tenté <strong>de</strong> survivre. Ils avaient lutté pour cela<br />

jusqu’à la fin ! Paradoxe du bien caché dans l’extrême<br />

du mal ! Sens affirmé <strong>de</strong> la vie dans la mort 11 .<br />

*<br />

En annexe, nous donnons à lire un article du<br />

P. Léon (ou <strong>Le</strong>o) <strong>de</strong> Coninck, qui fut le supérieur <strong>de</strong><br />

Jacques Sommet dans le <strong>camp</strong>. « <strong>Dachau</strong>, bagne pour<br />

11. J. Sommet, « Quelle espérance au cœur <strong>de</strong> la torture ? »,<br />

dans FIACAT, Torturés, tortionnaires, espérance chrétienne (actes<br />

<strong>de</strong> la rencontre internationale <strong>de</strong> Bâle, 26-28 octobre 1990), Cerf,<br />

Paris, 1992, p. 108.


12 Présentation<br />

prêtres » est daté du 31 août 1945 et a été publié<br />

durant l’automne <strong>de</strong> cette même année dans la Nouvelle<br />

revue théologique (no 67/4) 12 , dont l’auteur fut<br />

un collaborateur assidu.<br />

Jésuite flamand né à Anvers en 1889 et mort à<br />

Bruxelles en 1956, le P. <strong>de</strong> Coninck, entré en 1905<br />

dans la Compagnie, était un prédicateur, un conférencier<br />

et un confesseur reconnu. Secrétaire national<br />

<strong>de</strong> l’Apostolat <strong>de</strong> la prière et <strong>de</strong> la Croisa<strong>de</strong> eucharistique<br />

(ancêtre du MEJ), il donnait par ailleurs les<br />

Exercices spirituels, tout en enseignant, à partir <strong>de</strong><br />

1939, la théologie pastorale à Louvain. C’est alors<br />

qu’il était supérieur <strong>de</strong> la communauté du Gesù à<br />

Bruxelles que la Gestapo l’arrêta en octobre 1941. Il<br />

arriva à <strong>Dachau</strong> le 18 juin 1942.<br />

« Là-bas, écrit l’historien Roger Mols sj dans sa<br />

nécrologie, le détenu no 30.494 <strong>de</strong>vient le supérieur<br />

régulier <strong>de</strong> 67 jésuites incarcérés, représentant douze<br />

provinces <strong>de</strong> la Compagnie. D’ailleurs, son ascen-<br />

12. Nous remercions son actuel rédacteur en chef, le P. Alban<br />

Massie sj, <strong>de</strong> nous avoir autorisés à le reproduire, ainsi que le<br />

P. Michel Hermans sj, archiviste <strong>de</strong> la Compagnie <strong>de</strong> Belgique<br />

méridionale et Luxembourg, Mme Patricia Quaghebeur (Kadoc,<br />

<strong>Le</strong>uven) et le P. Pierre Sauvage sj <strong>de</strong> nous avoir aidés à établir<br />

l’appareil critique <strong>de</strong> cet article.


Présentation<br />

13<br />

dant considérable et sa connaissance courante d’une<br />

<strong>de</strong>mi-douzaine <strong>de</strong> langues européennes firent <strong>de</strong> lui<br />

un <strong>de</strong>s chefs incontestés du <strong>La</strong>ger tout entier […].<br />

<strong>Le</strong> P. <strong>de</strong> Coninck lui-même fut versé dès son arrivée<br />

parmi la fournée <strong>de</strong>s condamnés à la chambre à gaz.<br />

Un concours <strong>de</strong> circonstances qu’il attribua à une<br />

protection évi<strong>de</strong>nte <strong>de</strong> Notre-Dame lui permit d’y<br />

échapper. De son séjour à <strong>Dachau</strong>, il revient, après<br />

la libération, aussi vaillant <strong>de</strong> corps et d’âme qu’il y<br />

était parti. Sans l’ombre d’un sentiment <strong>de</strong> rancune,<br />

mais enrichi <strong>de</strong> nombreuses amitiés forgées dans la<br />

souffrance et d’une expérience unique <strong>de</strong>s abîmes<br />

d’abjection et d’héroïsme auxquels peut atteindre la<br />

créature humaine. »<br />

<strong>Le</strong>s pages <strong>de</strong> Léon <strong>de</strong> Coninck font davantage que<br />

compléter celles <strong>de</strong> Jacques Sommet. Elles offrent un<br />

tout autre regard, celui <strong>de</strong> l’homme qui endosse l’autorité<br />

dans une vallée <strong>de</strong> larmes, qui encourage alors<br />

qu’il y a tout lieu <strong>de</strong> désespérer, qui tente d’unifier,<br />

<strong>de</strong> donner <strong>de</strong>s directions dans un espace et dans un<br />

temps voués au chaos le plus total, qui ne cè<strong>de</strong> jamais<br />

le pas aux accents tragiques quand tout alentour <strong>de</strong>vrait<br />

l’y porter jusqu’à la démesure.<br />

Yves Roullière<br />

31 mars 2016.


LA CONDITION<br />

INHUMAINE


RÉCIT 1<br />

Il y avait au <strong>camp</strong> <strong>de</strong> <strong>Dachau</strong> 65 jésuites environ,<br />

parmi lesquels une quarantaine <strong>de</strong> Polonais. <strong>Le</strong>s Français<br />

étaient les PP. R., H., P., V. et moi, plus <strong>de</strong>ux futurs<br />

novices 2 . <strong>Le</strong>s jésuites polonais se trouvaient au<br />

block 28. Je me trouvais dans le block 26 qui ne comprenait<br />

que <strong>de</strong>s prêtres : le R.P. <strong>de</strong> C. s.j. <strong>de</strong> Bruxelles<br />

était notre supérieur 3 . Dans mon block, il y avait aussi<br />

1. Ce récit inédit a probablement été commandé par le P. Bith,<br />

provincial <strong>de</strong> France, à J. Sommet alors au repos dans la communauté<br />

<strong>de</strong> Vanves. L’auteur avait précieusement conservé cet<br />

écrit dans ses papiers, preuve <strong>de</strong> son importance pour lui. <strong>Le</strong><br />

titre et les mots entre crochets sont <strong>de</strong> l’éditeur (N.D.E.).<br />

2. Allusion aux personnes suivantes : M. Riquet, P. Hartemann,<br />

A. Paloc (supra, p. 8) ; Louis Valton (1891-1985), directeur<br />

d’une maison <strong>de</strong> retraites à Nancy, arrêté en juin 1941 pour avoir<br />

contribué à l’évasion <strong>de</strong> prisonniers : emprisonné en région parisienne,<br />

à Munich, puis dans le Tyrol, il est transféré à <strong>Dachau</strong><br />

en mars 1945 ; les <strong>de</strong>ux futurs novices : J. Bodoy et G. Pierré<br />

(supra, p. 8) (N.D.E.).<br />

3. <strong>Le</strong>o ou Léon <strong>de</strong> Coninck (voir infra, p. 105) (N.D.E.).


18 <strong>La</strong> <strong>condition</strong> <strong>inhumaine</strong><br />

200 prêtres allemands. À mon arrivée, il y a un an,<br />

4 ecclésiastiques français seulement étaient internés à<br />

<strong>Dachau</strong> ; à mon départ, on comptait plus <strong>de</strong> 100 ecclé -<br />

siastiques français, dont 35 séminaristes. Quelquesuns<br />

d’entre eux avaient été déportés avec tout leur<br />

village, spécialement <strong>de</strong>s Vosgiens ; d’autres, partis en<br />

Allemagne pour motif d’apostolat, avaient été arrêtés.<br />

J’ai été frappé par l’habilité <strong>de</strong>s métho<strong>de</strong>s alleman<strong>de</strong>s<br />

et par ce qu’elles avaient <strong>de</strong> conscient, spécialement en<br />

ce qui concerne celles qui étaient appliquées dans les<br />

<strong>camp</strong>s <strong>de</strong> concentration. Dans les prisons françaises, à<br />

Fresnes, à Compiègne, nous étions entre les mains <strong>de</strong><br />

la Wermacht, nos gardiens nous répétaient fréquemment<br />

: « Nous ne sommes pas <strong>de</strong>s SS ou la Gestapo. »<br />

Recevions-nous <strong>de</strong>s coups <strong>de</strong> quelques SS ? « Nous,<br />

nous n’aurions pas fait ça », protestaient-ils auprès <strong>de</strong><br />

nous. Sans doute ils nous traitaient en prisonniers, mais<br />

ils nous respectaient. <strong>Le</strong> drame commença à la gare <strong>de</strong><br />

Compiègne. Avant notre départ, on ne nous adressait<br />

que <strong>de</strong> bonnes paroles ; évi<strong>de</strong>mment on voulait écarter<br />

<strong>de</strong> nous toute appréhension. Mais à Compiègne, on<br />

nous entassa dans le train à raison <strong>de</strong> 115 à 120<br />

hommes par wagon à bestiaux ; et <strong>de</strong>ux sur quatre <strong>de</strong>s<br />

ouvertures <strong>de</strong>stinées à les aérer furent irrémédiablement<br />

condamnées. <strong>La</strong> première heure se passa sans


Récit<br />

19<br />

trop <strong>de</strong> mal ; mais quand nous eûmes dépassé Reims,<br />

les phénomènes d’asphyxie commencèrent ; puis après<br />

7 à 8 heures, les cas <strong>de</strong> folie. <strong>Le</strong>s morts qui furent retirés<br />

à l’arrivée [avaient succombé] dès le premier soir du<br />

voyage. Nous ne fûmes pas les plus à plaindre ; dans le<br />

convoi suivant, il y eut 900 morts. Nous, nous eûmes<br />

encore la chance que, pendant le trajet, la pluie rafraîchît<br />

les wagons. Au passage dans les gares, il était répondu<br />

à nos cris <strong>de</strong>mandant <strong>de</strong>s rafraîchissements par<br />

<strong>de</strong>s quolibets. Une fois cependant nos gardiens feignirent<br />

<strong>de</strong> se laisser attendrir : mais ce fut pour asperger<br />

l’intérieur <strong>de</strong> notre wagon avec l’énorme jet d’eau<br />

d’une pompe locomotive. Nous fûmes inondés, mais<br />

aucun prisonnier ne put boire, et la chaleur humi<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>s vêtements qui séchaient sur nous fut encore plus<br />

pénible à supporter.<br />

C’est le 20 juin que nous arrivâmes à <strong>Dachau</strong> ; nous<br />

avions quitté Compiègne le 18. Devant nous et <strong>de</strong>vant<br />

la population alleman<strong>de</strong>, les cadavres furent sortis et<br />

chargés sur <strong>de</strong>s voitures. Nous partîmes à pied. 2 à<br />

3 km nous séparaient du <strong>camp</strong>. Nous y entrâmes par<br />

une porte grillée surmontée <strong>de</strong> l’inscription : « Arbeit<br />

Macht Frei ». En français : « <strong>Le</strong> travail rend libre ». Dès<br />

ce moment, nous nous sommes sentis pris dans l’engrenage<br />

inexorable du <strong>camp</strong> : l’homme est mécanisé ;


En lecture partielle…


BIBLIOGRAPHIE SUCCINCTE<br />

Josse Alzin, Ce petit moine dangereux : le P. Titus<br />

Brandsma, recteur d’université et martyr à <strong>Dachau</strong>,<br />

<strong>La</strong> Bonne Presse, Paris, 1954.<br />

Stephan Biskupski, Un évêque martyr : Mgr Michal<br />

Kozal, Imprimerie franciscaine missionnaire,<br />

Vanves, 1946.<br />

François Goldschmitt, Alsaciens et Lorrains à <strong>Dachau</strong><br />

; t. 4 : <strong>Le</strong> Bon Dieu au KZ, Éditions <strong>Le</strong> Lorrain,<br />

Metz, 1947.<br />

Jean Kammerer, <strong>La</strong> Baraque <strong>de</strong>s prêtres à <strong>Dachau</strong><br />

(postf. J. Sommet), Brépols, Paris, 1995.<br />

Maurice <strong>Le</strong> Bas, Pierre <strong>de</strong> Porcaro, prêtre-ouvrier<br />

(STO), mort à <strong>Dachau</strong>, <strong>Le</strong>thielleux, Paris, 1948.<br />

Éloi <strong>Le</strong>clerc, <strong>Le</strong> soleil se lève sur Assise, Desclée <strong>de</strong><br />

Brouwer, Paris, 1999.<br />

Henri <strong>de</strong> Lubac, Résistance chrétienne au nazisme,<br />

Cerf, Paris, 2006.<br />

Edmond Michelet, Rue <strong>de</strong> la Liberté (<strong>Dachau</strong>, 1943-<br />

1945), Seuil, Paris, 1955.


134 Bibliographie<br />

Gérard Pierré, Témoignage : huit mois à <strong>Dachau</strong>,<br />

Éditions AFMD 49, Angers, 2013.<br />

Gabriel Piguet, Prison et déportation : témoignage<br />

d’un évêque français, Spes, Paris, 1947.<br />

Michel Riquet, Chrétiens <strong>de</strong> France dans l’Europe<br />

enchaînée, Éditions SOS, Paris, 1973.<br />

Jacques Sommet, L’honneur <strong>de</strong> la liberté (avec C. Ehlinger),<br />

<strong>Le</strong> Centurion, Paris, 1987.<br />

—, L’acte <strong>de</strong> mémoire : 50 ans après la déportation<br />

(avec A. Longchamp), Éditions ouvrières/Éditions<br />

<strong>de</strong> l’Atelier, Paris, 1995.<br />

Guillaume Zeller, <strong>La</strong> baraque <strong>de</strong>s prêtres : <strong>Dachau</strong><br />

(1938-1945), Taillandier, Paris, 2015.


TABLE DES MATIÈRES<br />

Présentation, par Yves Roullière............................ 5<br />

LA CONDITION INHUMAINE<br />

Récit .......................................................................... 17<br />

<strong>La</strong> <strong>condition</strong> <strong>inhumaine</strong> ........................................ 30<br />

Hommes libres à <strong>Dachau</strong> ...................................... 52<br />

Conquête <strong>de</strong> la liberté ............................................ 74<br />

ANNEXE<br />

<strong>Dachau</strong>, bagne pour prêtres, par Léon <strong>de</strong> Coninck 105<br />

Bibliographie succincte .......................................... 133


Imprimé en Belgique<br />

Juin 2016


Cet ouvrage regroupe quatre textes (dont un<br />

inédit) écrits entre 1945 et 1946. L’auteur, résistant,<br />

jeune jésuite, a vécu un an, <strong>de</strong> 1944 à 1945, dans le<br />

<strong>camp</strong> <strong>de</strong> concentration <strong>de</strong> <strong>Dachau</strong>. Écrits par nécessité<br />

<strong>de</strong> témoigner et souci <strong>de</strong> vérité, ces textes<br />

n’hésitent pas à abor<strong>de</strong>r <strong>de</strong>s thèmes aussi difficiles<br />

que les <strong>condition</strong>s <strong>de</strong> vie <strong>de</strong>s prisonniers, les conflits<br />

politiques qui surgissaient entre eux ou la paradoxale<br />

liberté que l’on pouvait éprouver dans le <strong>camp</strong>. Il en<br />

tire une gran<strong>de</strong> leçon d’humanité: «Quoi d’autre nous<br />

importe, après tout, que <strong>de</strong> mieux connaître en<br />

l’homme ce qui le rend assez maître <strong>de</strong> son <strong>de</strong>stin<br />

pour dominer ainsi et la mort et la vie: cela seul intéresse,<br />

à travers les contemporains <strong>de</strong> <strong>Dachau</strong>,<br />

l’homme <strong>de</strong> tous les temps.»<br />

Jacques SOMMET (1912-2012) est un <strong>de</strong>s jésuites les<br />

plus connus <strong>de</strong> la secon<strong>de</strong> partie du XX e siècle. Proche <strong>de</strong><br />

Témoignage chrétien, il fut recteur <strong>de</strong> Fourvière, fondateur<br />

du Centre Sèvres, responsable du CERAS, secrétaire<br />

national du service Incroyance et foi. Sa renommée s’étend<br />

aussi en Asie, dans les pays <strong>de</strong> l’Est et en Afrique noire, où<br />

il anima <strong>de</strong> nombreuses formations.<br />

ISBN :978-2-87299-292-8<br />

9 782872 992928<br />

Collection <strong>de</strong> la<br />

revue Christus<br />

8€<br />

www.editionsjesuites.com

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