LAlgérie catholique (XIXe - XXe siècles) (Oissila Saaidia)
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L’Algérie catholique
XIX e -XXI e siècles
Pendant près de 130 ans, l’Église catholique
en Algérie participe au système colonial au point
d’en devenir l’un des piliers.
Les Français importent une religion qui marque
le territoire avec ses églises, le son des cloches,
les processions… Un nouvel environnement
sonore et visuel s’impose aux colonisés.
Parallèlement, les Algériens font l’expérience de
la ségrégation légale, sociale et culturelle. Que
reste-t-il de cette Église qui s’est posée en
héritière de la prestigieuse Église d’Afrique, celle
des Augustin, Cyprien ou encore Tertullien ?
À partir d’archives privées et publiques, mais
aussi de la presse et d’une riche bibliographie,
Oissila Saaidia retrace l’histoire du catholicisme
en Algérie de 1830 à nos jours. Au fil du temps,
l’infrastructure paroissiale se met en place, les
écoles se construisent, les pèlerinages voient le
jour alors que le faste des célébrations
liturgiques entend rappeler la supériorité de la
Croix sur le Croissant. Puis, 1962 : comment se
situer dans l’Algérie algérienne et musulmane ?
De l’euphorie de l’indépendance aux lendemains
de la décennie noire, des espoirs des années
1960 aux inquiétudes devant un avenir incertain,
un nouveau chapitre de l’histoire de l’Église en
Algérie continue de s’écrire.
Près de vingt-cinq ans après ses premiers
travaux sur le catholicisme en Algérie, Oissila
Saaidia livre la première synthèse sur cette
histoire partagée, sans en occulter les
ambiguïtés et les contradictions.
Oissila Saaidia, agrégée de l’Université en
histoire et licenciée en arabe, est Professeur des
Universités en histoire contemporaine. Elle dirige
actuellement l’IRMC de Tunis (Institut de
recherche sur le Maghreb contemporain / USR
3077 CNRS). Elle s’intéresse aux enjeux
religieux de part et d’autre de la Méditerranée.
Elle est notamment l’auteur d’Algérie coloniale
(CNRS Éditions, 2015).
© CNRS Éditions, Paris, 2018
ISBN : 978-2-271-12317-6
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo.
Pour MBM,
De la part de TBD
TABLE
Couverture
Présentation de l’éditeur
Titre
Copyright
Préface
Abréviations utilisées
Introduction
Chapitre premier - Une Église coloniale dans l’Algérie française
S’installer
Se séparer ?
Chapitre 2 - Être catholique
Marquer son territoire : la sacralisation du temps et de l’espace
Encadrer la société : le projet catholique
Chapitre 3 - L’Église catholique face à l’islam
La prestigieuse Église d’Afrique
« Le retour du christianisme » : l’évangélisation des musulmans, mission impossible ?
Entre indifférence et peur : quelques perceptions catholiques des musulmans
Chapitre 4 - Vers la fin de l’Histoire ?
D’une guerre à l’autre (1914-1962)
État musulman, Église catholique dans une Algérie indépendante : quelles relations ?
Épilogue : Quel avenir pour le catholicisme algérien ?
Annexes
Liste des Évêques d’Algérie 1838-2016
Tableau de la présence catholique par diocèse en 1957
Tableau de la présence catholique par diocèse en 1982
Tableau de la présence catholique par diocèse en 2016
Tableau récapitulatif de la présence catholique en 1957, 1982 et 2016
Nombre de prêtres et de religieuses en Algérie en 1957, 1982 et 2016
Nombre de catholiques par diocèse en 1957, 1982 et 2016
Répartition de la population catholique en 1957
Journal officiel de la République algérienne no 12
Sources et bibliographie
Sources manuscrites
Bibliographie
Préface
L’histoire religieuse n’est pas particulièrement à l’aise avec l’histoire de
l’Algérie coloniale. Pour ceux qui traitent de cette dernière, il fut et il
demeure très difficile de séparer la religion de la politique, tant l’islam
constitua, aussi bien pour les conquérants que pour les conquis, et souvent
plus par préjugé que par raison, le mot ultime du rejet et du refus. Dans
cette vision, la recherche sur la diversité et l’évolution des attitudes et des
pratiques religieuses au sein des sociétés autochtones fut souvent délaissée.
La religion musulmane fut trop souvent traitée comme une donnée
intemporelle et immuable, fondement d’une identité essentielle. Il n’en alla
pas de même pour la religion chrétienne des Européens, et plus
particulièrement de leur majorité catholique. Celle-ci est fréquemment
apparue comme un élément purement folklorique d’une société coloniale
dont l’existence comme communauté avant 1962 ne va pas de soi pour tous
les chercheurs. Ou bien, au prix d’un schématisme excessif, l’adhésion au
catholicisme a été exaltée comme une renaissance de l’Église d’Afrique de
l’Antiquité tardive, avant d’être rejetée comme une sorte d’hérésie pour
avoir placé le maintien du système colonial au-dessus de la charité
évangélique. Par-delà ces visions superficielles, le catholicisme algérien a
cependant connu une naissance, un premier développement, puis une
mutation, assez généralement méconnus. Il faut remercier Oissila Saaïdia,
historienne reconnue de l’histoire religieuse de l’Algérie, d’avoir écrit ce
livre sur le catholicisme algérien à l’époque coloniale, essentiellement
depuis sa fondation jusqu’à l’orée de la Grande Guerre. Elle montre bien la
spécificité d’un projet qui, comme elle le dit très bien, s’adressa à la fois à
une France méditerranéenne, à une colonie et à une terre de mission.
France méditerranéenne, la communauté catholique le fut par sa
constitution ethnique, tant sa composante métropolitaine (les originaires du
Midi furent les plus nombreux parmi les immigrants français) que dans les
autres apports européens. C’est à partir de ces divers courants, et sous la
direction d’un clergé presque exclusivement français, que s’organisa,
pendant un siècle, la vie d’un catholicisme algérien dont l’histoire ne se
distingue guère, au fond, de ses homologues d’Europe. Son empreinte
marqua le paysage des campagnes colonisées, dont les inévitables clochers,
souvent décorés, comme en Alsace, d’un nid de cigognes, évoquaient ceux
des campagnes françaises, avec une présence sentimentale puissante. Les
formes de la dévotion marquées par les cérémonies en l’honneur des grands
saints, les pèlerinages, la pratique des sacrements mais aussi
l’enseignement, constituèrent les signes les plus visibles de sa vitalité.
L’histoire de l’Afrique ancienne fournit en abondance des preuves de
légitimité et des lieux d’enracinement. On ne peut s’empêcher d’ajouter que
cette prégnance eut, comme en métropole, sa contrepartie.
L’anticléricalisme importé des pays du Sud (France, mais aussi Espagne et
Italie), vint s’opposer ou s’associer curieusement à ce que cette
prédominance aurait pu avoir d’hégémonique, sans réussir à sortir des
catégories, pourtant bien peu adéquates, du débat métropolitain.
Le catholicisme outre-Méditerranée fut aussi marqué par le statut de
colonie que conserva toujours l’Algérie, en dépit du statut départemental,
aussi bien que des discours incantatoires et des législations
assimilationnistes. Oissila Saaïdia, auteur d’un maître-livre sur Algérie
coloniale. Musulmans et chrétiens : le contrôle de l’État (1830-1944),
rappelle très opportunément que la loi de Séparation ne fut appliquée que
très partiellement en Algérie. Le clergé catholique séculier continua à être
salarié, et la suspension des subventions gouvernementales pour la
construction ou l’entretien d’églises ne fut que très temporaire. Ce statut
privilégié s’expliquait par la volonté de continuer à salarier les personnels
musulmans, à la fois pour mieux s’assurer de leur docilité, et pour
compenser la confiscation par l’État français des habous, ces biens
immobiliers de statut religieux dont les revenus avaient assuré auparavant le
fonctionnement des lieux de culte et d’enseignement coranique. Les
congrégations enseignantes furent, en revanche, supprimées au même titre
qu’en France, et sans doute aux mêmes motifs. Cette façon de poser la
question religieuse ne permettait guère de sortir du débat français.
Il faut dire, enfin, que l’œuvre missionnaire ne fut pas au premier plan,
ce qui, au fond, ne doit pas étonner, puisque, dès le début, la vocation de
l’Église d’Algérie fut, non de convertir, mais d’accompagner le
développement d’une importante colonie, destinée peut-être à représenter
un jour la majorité de la population. Si cet espoir fut déçu, les perspectives
ne s’en trouvèrent guère modifiées. Les initiatives pour convertir les
musulmans, sans être vraiment interdites, n’eurent guère la faveur de
l’autorité, sensibles aux risques d’agitation qu’elles pourraient entraîner
dans la population autochtone. Le cardinal Charles Lavigerie renonça
rapidement à développer son programme de fondation de villages chrétiens.
Instituée par lui, la société des Missionnaires d’Afrique (Pères Blancs), qui
fut une des rares à être épargnée par la loi sur les Congrégations, exerça
essentiellement son action au Sahara et en Afrique noire. Le père Charles de
Foucauld, assassiné en 1916 à Tamanrasset par un parti de Touaregs
révoltés, fut largement ignoré d’une société européenne d’Algérie qu’il
accusait d’être peu chrétienne, et à l’égard de laquelle il partageait les
préjugés aristocratiques de ses amis Hubert Lyautey et Henri Laperrine
d’Hautpoul, peut-être prédécesseurs, sur ce point, de Charles de Gaulle.
Cette absence de prosélytisme et surtout cet abandon de la vocation
missionnaire à un clergé régulier de haute tenue spirituelle et intellectuelle,
mais plutôt à l’écart des préoccupations de la majorité des catholiques,
eurent pour contrepartie le peu d’intérêt accordé par les Français d’Algérie
à la religion des musulmans. Les prêtres eux-mêmes n’étaient guère
préparés à regarder au-delà de leurs ouailles. La masse de la population
chrétienne, concentrée dans des agglomérations urbaines, fut largement
étrangère aux croyances de ses voisins, comme elle l’était à leurs langues et
à leurs traditions, et plus généralement à leur sort. Cette indifférence devait
entraîner plus tard la vive critique de catholiques, souvent venus de
métropole, influencés par le message social, voire subversif, de l’Évangile.
Mais ces appels à la charité, parfois maladroits, ne purent que rarement
convaincre leurs destinataires, avant que la guerre ne radicalise les
positions.
Un dernier chapitre retrace, par-delà l’histoire des chrétiens dans la
guerre d’Algérie, seulement évoquée (et sur laquelle existent déjà nombre
de travaux, dont le plus récent est le mémoire d’HDR, encore inédit, de
Jérôme Bocquet), la véritable mutation qui transforma l’Église catholique
des Français en une Église catholique des Algériens. Outre la nécessité de
se fondre dans un paysage nouveau, la présence de l’Église catholique en
terre musulmane interroge désormais la question de la liberté de culte et de
conscience telle qu’elle est posée par un État indépendant qui tente de
concilier son adhésion aux principes de la Déclaration universelle des droits
de l’homme avec l’identité musulmane du pays. Cela ne va pas sans
incohérences, quand on réfléchit, par exemple, à la difficulté de rendre
compatible la réintégration de la figure de saint Augustin dans l’histoire
nationale opérée par le régime avec les gages qu’il donne en même temps à
un courant islamiste fermé à tout ce qui précède un passé musulman
imaginé plutôt que connu.
En conclusion, ce livre a le mérite de faire revivre une communauté
religieuse oubliée, et de restituer un aspect négligé de la société française
d’Algérie. En contribuant à éclairer l’histoire de cette collectivité humaine,
sur laquelle, comme le remarquait naguère la regrettée Fanny Colonna, on
sait réellement très peu de choses, Oissila Saaïdia ouvre ainsi
magistralement une piste qui mérite de continuer à être explorée.
Jacques Frémeaux, professeur à l’université de Paris-Sorbonne, membre
émérite de l’Institut universitaire de France,
membre de l’Académie des Sciences d’Outre-Mer.
Abréviations utilisées
CAOM
AN
AAA
AGMAfr
AOPM
AGO
SRO
SRA
QA
JO
Centre des Archives d’Outre-mer
Archives nationales
Archives de l’archevêché d’Alger
Archives générales des missionnaires d’Afrique
Archives des Œuvres Pontificales Missionnaires
Archives du Grand-Orient
Semaine Religieuse d’Oran
Semaine Religieuse d’Alger
Questions Actuelles
Journal officiel
Introduction
Le présent ouvrage est parti d’un constat, celui de la faiblesse
quantitative des études sur le catholicisme dans l’Algérie coloniale. Force
est de constater qu’à l’exception des années 1930, les livres sur la religion
catholique en Algérie ne sont pas légion. En effet, au moment de la
célébration du centenaire de la prise d’Alger, nombre de publications sur la
question paraissent. Leur principale caractéristique est de ne pas répondre à
la démarche historique mais de s’apparenter, bien souvent, à de
l’hagiographie. Ces livres émanent généralement de religieux dont le
dessein n’est pas de s’inscrire dans un travail scientifique, même si les
renseignements fournis, croisés avec d’autres sources, restent précieux et
parfois demeurent la seule documentation encore accessible. C’est à cette
catégorie qu’appartiennent les livres de Pons et de Répeticci 1 . Les laïcs ne
sont pas en reste puisque certains s’intéressent soit explicitement au sujet,
soit ne manquent pas de faire état de la religion quand ils abordent une
présentation générale de l’Algérie. Cette orientation est d’ailleurs décelable
bien avant les années 1930. Il est aussi possible de mentionner les chapitres
consacrés à la période coloniale du catholicisme dans des ouvrages plus
généraux qui retracent l’histoire du christianisme au Maghreb 2 .
Si une approche globale et historique du catholicisme n’est pas
détectable en grand nombre, quelques personnalités de ce catholicisme
algérien ont très tôt retenu l’attention. Trois noms dominent : Lavigerie,
Foucauld et Duval. Les livres sur celui qui restaure le siège de Carthage
sont innombrables, comme le montre la bibliographie du magistral travail
de François Renault 3 . La biographie que lui a consacrée le père blanc reste,
jusqu’à aujourd’hui, une référence incontournable. Renault a dressé un
portrait tout en nuances de ce personnage complexe, admiré et critiqué de
son vivant. À travers le genre biographique, ce travail d’historien renseigne
sur une période et est d’autant plus précieux, faute de travaux de synthèse
récents sur le sujet. En revanche, approcher la figure historique du père
Charles relève encore de la gageure. Si les ouvrages sur Charles de
Foucauld sont très nombreux pendant la période coloniale, il connaît par la
suite une certaine désaffection, à l’exception de la production issue de la
« grande famille foucauldienne 4 ». Précisons que Foucauld ne fait pas
l’objet d’un développement original dans ce livre, dans la mesure où il est
éloigné de la problématique retenue. La dernière figure emblématique de
l’Algérie catholique est, sans conteste, Jean Duval 5 . Son engagement en
faveur de l’indépendance et sa dénonciation de la torture ont permis le
maintien de l’Église après 1962. La période de la guerre d’Algérie, qui a
focalisé une grande partie de l’attention des chercheurs, a aussi retenu leur
attention sur le catholicisme 6 . Deux autres personnalités catholiques ont fait
l’objet de travaux non publiés, par Paul Fournier 7 : Dupuch et Pavy,
respectivement premier et deuxième évêques d’Algérie.
Cette rapide présentation, qui n’a pas pour ambition d’être exhaustive,
mais de donner les grandes tendances de l’historiographie, laisse percevoir
un grand espace non « couvert » : des années 1892 à la fin des années 1940.
De plus, si quelques figures ont retenu l’attention, les anonymes n’ont pas
fait l’objet de travaux d’envergure. Dès les premières années de la
conquête, l’Église algérienne présente la dichotomie traditionnelle entre un
clergé séculier et un clergé régulier. Lavigerie introduit une distinction
supplémentaire dans le clergé régulier, celle entre les pères blancs et les
autres congrégations. Les premiers sont théoriquement destinés aux
musulmans, les seconds aux Européens. La frontière n’est pas pour autant
imperméable et il n’est pas rare encore au XIX e siècle de rencontrer quelques
velléités missionnaires chez des jésuites ou des lazaristes, tout comme les
pères blancs sont, surtout dans les zones de faible peuplement européen,
amenés à assurer des fonctions paroissiales. Toutefois, à l’échelle de la
période, cette subdivision reste opératoire dans ses grandes lignes.
Pour ce qui concerne les pères blancs, pour l’instant il n’existe pas de
synthèse historique sur leur présence en Algérie, mais des ouvrages sur la
société sont disponibles 8 . Pour les autres congrégations, des travaux
systématiques n’existent pas, à ma connaissance, même si l’on peut
toujours se référer, par exemple et avec intérêt, au livre de Bernard Delpal 9
sur les trappistes pour trouver des renseignements sur la trappe de Staouëli.
Dans l’ensemble, les congrégations religieuses, pourtant en nombre en
Algérie, ne figurent que de manière très détournée dans des ouvrages plus
généraux. Quant aux séculiers, à l’exception du travail de Paul Fournier sur
le recrutement sacerdotal sous Pavy 10 , il n’y a rien, à ma connaissance, les
concernant. Ils sont, avec les populations catholiques, les grands oubliés des
historiens. Dans ces populations, je distinguerai les convertis 11 des
populations européennes. Pour les catholiques européens, si les mémoires,
les souvenirs sont pléthore, les travaux historiques brillent par leur absence.
Toutefois, il est possible d’accéder à certains aspects du catholicisme en
Algérie à partir d’autres travaux 12 .
C’est pourquoi, devant ce vaste chantier du catholicisme dans l’Algérie,
j’ai choisi de privilégier l’Église catholique comme institution, le clergé
séculier et les catholiques européens. Ils constituent l’axe principal, ce qui
n’exclut pas les références aussi bien aux pères blancs, aux autres
congrégations, aux convertis, etc. La période retenue se concentre sur le
grand XIX e siècle tout en donnant des pistes jusqu’à nos jours.
Par bien des aspects, ce livre relève des travaux pionniers et se veut une
invitation à poursuivre dans cette voie délaissée jusque-là par les historiens.
En effet, le monde catholique algérien n’a que peu suscité d’intérêt et il est
difficile de savoir à quoi imputer cette indifférence. Tentons toutefois de
fournir quelques pistes à cette question délicate.
Il semble que les aspects politiques – avec la question « indigène » –,
économiques et sociaux – en relation avec l’impérialisme colonial – aient, à
juste titre, focalisé les attentions. Les centres d’intérêt de C.-A. Julien, C.-
R. Ageron, B. Stora ou encore J. Frémeaux, A. Mérad, D. Lefeuvre, mais
aussi M. Harbi, pour ne citer qu’eux car la liste est longue, ne se sont pas
orientés vers les questions religieuses catholiques. Leurs travaux, est-il
besoin de le rappeler, n’en demeurent pas moins fondamentaux. Il fallait
avant tout que des historiens appliquent la démarche historique pour
interroger ce vaste pan de notre histoire que constitue l’histoire de la
colonisation, que ces entités sous domination française se voient, elles
aussi, analysées par des historiens de métiers et que l’histoire s’impose face
aux mémoires concurrentielles. Or, la tendance légitime du chercheur est
aussi, mais pas uniquement, de travailler en fonction des préoccupations
contemporaines. L’attention s’est donc portée sur les « indigènes » alors
qu’ils n’étaient pas au cœur des préoccupations : seuls les Français
comptaient, bien plus que les Européens, car ils avaient le droit de vote.
Dans leur majorité, les Français étaient des catholiques. L’histoire s’est
donc écrite en fonction des enjeux d’un moment historique qui est celui des
guerres de libération et de décolonisation, et non en fonction des priorités
réelles de l’époque coloniale. À cette sensibilité, s’est probablement greffée
chez certains historiens une certaine « mauvaise conscience » imprégnée
d’anticolonialisme qui s’est traduite par une inversion faisant passer les
colons au second plan.
Si pour les historiens du fait colonial, la question du catholicisme n’a
pas fait sens, elle n’a guère suscité plus d’intérêt auprès des historiens du
religieux. Certes, l’histoire religieuse a été le parent pauvre de la discipline
pendant des décennies et elle ne retrouve que tardivement ses lettres de
noblesse. Néanmoins, les historiens du religieux ont relégué l’histoire du
catholicisme en situation coloniale aux historiens de la colonisation, créant
ainsi une terra incognita. Pour l’Algérie, la situation est d’autant plus
paradoxale qu’il s’agit d’un ensemble de départements français. Pourquoi
étudier la vie religieuse de ces trois départements ? En quoi se distingue-telle
des autres ? Alors qu’elle a une organisation départementale, elle ne
figure sur aucune des cartes de la France religieuse, sociale, économique ou
politique qui intègre la Corse 13 . Est-ce bien la France ?
D’autres raisons peuvent être avancées pour expliquer ce désintérêt
avec en premier lieu la question des sources. Le classement des séries sur
les cultes au centre des archives d’Outre-Mer d’Aix-en-Provence (CAOM)
remonte au début des années 1990. Les documents disponibles en France
relèvent des archives dites de « souveraineté 14 » et concernent pour les
questions catholiques les seuls départements d’Oran et de Constantine. De
nombreux organes de presse sont aussi disponibles au CAOM ; je signale,
notamment, la présence de La croix de l’Algérie et de la Tunisie. De plus, la
majorité des dossiers sur le culte concerne l’Oranie. L’historien reste
tributaire de ses sources même s’il est vrai que la plupart des éléments sur
le département d’Oran sont valables, dans une certaine mesure, pour Alger
et Constantine. Face à cette carence, je ne peux que saluer la mémoire de
mon ami Pierre Soumille qui m’avait communiqué certains dossiers sur le
Constantinois, via son travail sur Combes archevêque de Carthage. Les
Archives nationales ne sont pas d’un grand secours car seuls les dossiers de
l’époque Lavigerie sont disponibles. Quant à la Bibliothèque nationale, elle
reste un lieu incontournable pour la presse car on peut y trouver les
Semaines religieuses d’Alger et d’Oran, celle de Constantine a été fondée
après la Première Guerre.
Du côté des archives privées, les archives de l’archevêché m’ont été
ouvertes sans restriction. Je tiens à remercier tout particulièrement
Mgr Teissier pour sa confiance et le père Henry, archiviste, dont l’aide
précieuse s’est poursuivie bien après ma présence à Alger. La consultation
de ces archives est tributaire de l’histoire du temps présent et mon séjour
n’a pas été possible avant fin 2004. Les archives de la propagation de la foi
de Lyon et de Paris (consultables à Lyon) ne sont pas à négliger tout comme
celles de la maison généralice des pères blancs à Rome. De manière annexe,
les archives du Grand Orient ont été aussi consultées. La documentation des
archives, tant privées que publiques, est considérable et ce travail ne peut à
lui seul l’épuiser.
Le XIX e siècle reste toujours peu exploré comme me l’ont encore rappelé
André Brochier et Daniel Hick, conservateurs en charge des fonds sur
l’Algérie. Et que dire des Archives nationales algériennes sur la
colonisation ? Leur exploitation s’avère indispensable 15 . Or, dans les années
qui viennent le nombre d’étudiants algériens maîtrisant le français risque
d’aller en nombre décroissant. Pourtant, il ne me semble pas envisageable
d’écrire cette histoire commune à une seule main. Le travail doit être mené
sur les deux rives de la Méditerranée.
D’autre part, pour des raisons évidentes, la période de la guerre
d’indépendance continue de focaliser toutes les attentions, alors que le
grand XIX e reste indispensable pour saisir toute la complexité du système
colonial. Les fondements de l’organisation de la colonisation de l’Algérie
sont à rechercher avant 1914. Les problématiques de la période de l’entredeux-guerres
et de l’après-Seconde Guerre mondiale ne sont que des
variations dans le prolongement de celles d’avant la Première Guerre
mondiale. Toutes les apories du système colonial sont déjà présentes : les
mécanismes qui conduisent à l’exacerbation des tensions et aux impasses
sont repérables.
C’est pourquoi faire de l’histoire religieuse du catholicisme en Algérie,
c’est faire de l’histoire de la colonisation mais aussi de l’histoire du temps
présent sur les segments spécifiques qui sont ceux de l’histoire religieuse et
de l’histoire politique. L’entrée par le religieux permet d’accéder à l’un des
aspects les moins connus de l’histoire de l’Algérie. Pour ce qui concerne la
période coloniale, il est question de rétablir l’ordre des priorités tel qu’il
était pendant la colonisation en replaçant les colons au centre du système,
sans pour autant occulter les populations soumises, à la fois centre et
périphérie. Il s’agit de présenter une autre face des sociétés coloniales et de
la société algérienne contemporaine peu connues.
Rappelons que la colonisation est à l’origine d’un ordre nouveau auquel
sont confrontées toutes les populations. Dans le cas de l’Algérie, ce nouvel
ordre a généré une colonisation que je qualifie de totale, i. e. une expérience
de l’absolu colonial, du tout colonial où une minorité d’Européens, mais en
nombre suffisant, a bouleversé le droit, y compris les principes du droit
français, la justice, y compris les décisions de justice rendue en France, les
services de santé, l’instruction, la langue, l’alphabet, etc. Ces colons sont
arrivés avec une nouvelle religion qui a marqué le territoire avec ses églises,
le son des cloches, les processions, les pèlerinages… Un nouvel
environnement sonore et visuel s’est imposé aux populations colonisées. La
domination est totale car pas un seul aspect n’est épargné. Les colons ont pu
imposer une nouvelle vision du monde qui reposait sur l’expérience de la
ségrégation légale, sociale, culturelle qui niait l’individu indigène pour ne
reconnaître que le groupe.
Toutefois, les réalités sont plus subtiles car il n’est pas question d’un
bloc colonial confronté à un bloc colonisé. Le monde colonial est lui aussi
fragmenté, car il reproduit par son importance numérique toutes les
divisions sociales présentes en France ou dans d’autres pays européens.
Quels sont les points communs entre des marins siciliens, des ouvriers
espagnols et de grands propriétaires fonciers ? Même la langue française ne
constitue pas, encore dans l’entre-deux-guerres, le plus petit dénominateur
commun entre eux. De plus, la place réservée aux juifs autochtones,
citoyens ou non, renforce les divisions. Il n’est pas plus question d’un
monde indigène uniformisé car tout est hybridation : le simple fait de passer
par l’école, d’aller chez le médecin transforme les populations de même que
leur rapport à l’autorité et au pouvoir.
Ce livre entend être une histoire de l’Algérie coloniale dans la mesure
où le catholicisme a été partie prenante de bien des réalités de la domination
coloniale pendant toute la durée de la colonisation. L’Algérie reste unique à
l’échelle de l’entreprise coloniale jusque dans l’implantation de l’Église et
apparaît, à plus d’un titre, comme un laboratoire de l’expérience coloniale.
Le projet colonial en Algérie repose sur la fondation d’une « autre-France »,
l’Église porte ce dessein.
Ce premier volet d’un travail plus large entend donc étudier le
catholicisme dans un contexte colonial unique à l’échelle de l’empire qu’est
l’Algérie. Cette « autre-France », comme la désigne Lavigerie, présente des
caractéristiques uniques. Sur le plan du catholicisme c’est à la fois la
France, l’Europe méditerranéenne, une colonie et une terre de mission.
C’est la France car l’organisation ecclésiastique est la réplique de celle qui
se trouve en métropole : des diocèses concordataires ; c’est l’Europe
méditerranéenne car les fidèles proviennent des quatre coins de la
Méditerranée ; c’est une colonie car les Français ont conquis ces rivages et
l’Église catholique est sur cette terre maghrébine arrivée avec la
colonisation, en ce sens elle est une Église coloniale ; c’est enfin une terre
de mission dans la mesure où l’écrasante majorité de la population n’est pas
catholique, mais musulmane. À la différence des autres possessions
coloniales, l’Algérie est une colonie de peuplement qui se trouve à
proximité de la métropole. Tous ces éléments ont une incidence sur
l’organisation de la vie catholique.
En effet, l’Église est, à plus d’un titre, un des piliers de l’ordre colonial :
elle participe matériellement et spirituellement à l’entreprise de la
colonisation. Par ailleurs, l’Algérie, c’est la France, affirme le discours
colonial, pourtant les lois y sont-elles appliquées de la même manière ? À
l’heure des grandes lois qui consacrent la sécularisation de la République, la
situation coloniale est le lieu où s’exposent au grand jour toutes les apories
des idéaux républicains sur la question religieuse. Sur toute la période,
l’Église entretient des rapports avec tous les acteurs de l’action
colonisatrice et s’insère, elle-même dans cet environnement (chap. I). De
plus, les catholiques algériens sont dans une situation paradoxale de devoir
vivre leur foi en situation de minorité religieuse tout en étant dans le camp
de la domination. Dans quelle mesure peut-on repérer les traits d’un
catholicisme algérien ? (chap. II). Acteur du jeu colonial, l’Église se trouve
aussi confrontée aux populations colonisées : quels regards porte-t-elle sur
l’islam et les musulmans ? Existe-t-il un regard catholique, une perception
catholique de l’Autre non-chrétien qui se distinguerait de l’approche
« laïque » ? (chap. III). Si le grand XIX e est la période fondatrice de la
colonisation, cette dernière se poursuit jusqu’en 1962. À cette date, une
certaine Église a cessé d’exister alors qu’une nouvelle phase s’ouvre pour le
catholicisme. Les cadres de l’Église et de la spiritualité catholique en
Algérie sont posés à la veille de la première déflagration mondiale. L’entredeux-guerres
et les lendemains de la Seconde Guerre mondiale ne font que
renforcer les traits d’un catholicisme qui a lié son sort à ceux qui deviennent
les rapatriés. Toutefois, l’Église par les prises de positions de son plus haut
représentant, l’archevêque d’Alger, Mgr Duval, parvient à se maintenir
dans l’Algérie indépendante. Elle fait aujourd’hui partie des cultes reconnus
(chap. IV).
C’est donc l’histoire de cette Église, de ses membres et de ses fidèles
dans ses interactions avec les autorités politiques – françaises et
algériennes – et avec les populations locales, sur cette terre de contrastes
qu’est l’Algérie que je me propose d’aborder dans cet ouvrage.
1. P. RÉPETICCI, L’Algérie chrétienne, esquisse historique 1830-1930, Alger, Librairie À Notre
Dame, 1930 ; A. PONS, La nouvelle Église d’Afrique ou le catholicisme en Algérie, Tunisie et au
Maroc depuis 1830, Paris, Librairie L. Namura, 1930.
2. M gr TEISSIER, (s. d.), Histoire des chrétiens d’Afrique du Nord, Paris, Desclée, 1991.
3. F. RENAULT, Le cardinal Lavigerie 1825-1892, l’Église, l’Afrique et la France, Paris, Fayard,
1992.
4. Charles de Foucauld et son temps, colloque interdisciplinaire organisé par le Pr Claude
Prudhomme (Lyon 2/LARHRA UMR 5190), 6-8 juillet 2016, Viviers.
5. Entre autres : M. IMPAGLIAZZO, Duval d’Algeria. Una Chiesa tra Europa e mondo arabo
(1946-1988), Roma, Édition Studim, 1994.
6. Entre autres : F. BÉDARIDA, E. FOUILLOUX (dir.), La Guerre d’Algérie et les chrétiens, Paris,
Cahiers de l’IHTP, n o 9, oct. 1988 ; E. FOUILLOUX, Les chrétiens français entre guerre d’Algérie
et mai 1968, Paris, éd. Parole et Silence, 2008 ; S. CHAPEU, Des Chrétiens dans la Guerre
d’Algérie : l’action de la Mission de France, Paris, Éditions de l’Atelier, 2004. Cf. bibliographie
plus détaillée dans le dernier chapitre.
7. Paul Fournier nous a aimablement confié des travaux qui n’ont pas fait l’objet de publication
sur les premières années de l’Église catholique en Algérie, « La faillite de M gr
Dupuch
(1 er évêque d’Alger) en 1845 », exposé du séminaire de 3 e cycle de l’Université de Provence,
centre d’Aix-en-Provence, mai 1971 ; « Jacques Suchet (1795-1870) », travail non publié réalisé
à partir des papiers personnels de Jacques Suchet ; « Le clergé d’Algérie, séminaire de troisième
cycle, 1972-1973 ».
8. Cf. J.-C. CEILLIER, Histoire de Missionnaires d’Afrique (Pères Blancs) de la fondation par
Mgr Lavigerie à la mort du fondateur (1868-1892), Paris, Karthala, 2008.
9. B. DELPAL, Le silence des moines : les trappistes au XIX e siècle : France, Algérie, Syrie,
Beauchesne, Paris, 1998.
10. P. FOURNIER, « Le clergé d’Algérie… », art. cit.
11. K. DIRÈCHE-SLIMANI, Chrétiens de Kabylie 1873-1954. Une action missionnaire dans
l’Algérie coloniale, Paris, Édition Bouchène, 2004.
12. O. SAAIDIA, Clercs catholiques et oulémas sunnites dans la première moitié du XX e siècle,
discours croisés, Paris, Geuthner, 2004 et surtout Algérie coloniale, musulmans et chrétiens : le
contrôle de l’État (1830-1914), Paris, CNRS Éditions, 2015.
13. Le propos doit être nuancé au moins pour ce qui concerne les « Matériaux Boulard » :
O. SAAIDIA, « L’Algérie catholique, 1830-1962 », dans B. DELPAL (dir.), Matériaux Boulard,
CNRS, Paris, 2011, p. 130-137.
14. A. KUDO, R. BAËD, D. GUIGNARD, « Des lieux pour la recherche en Algérie », dans
Répression, contrôle et encadrement dans le monde colonial au XX e siècle, Bulletin de l’IHTP,
n o 83, 1 er semestre 2004, p. 158-168.
15. A. KUDO, R. BAËD, D. GUIGNARD, « Des lieux pour la recherche en Algérie », art. cit.
CHAPITRE PREMIER
Une Église coloniale dans l’Algérie française
Quand les Français débarquent sur les côtes de la Régence d’Alger en
juillet 1830, la question de leur installation ne se pose pas encore, même si
des ecclésiastiques catholiques sont présents. Leur présence se justifie alors
par leur fonction : il s’agit d’aumôniers militaires, au nombre de seize,
accompagnés d’un prêtre. En novembre 1830, quatre aumôniers sont
maintenus, deux à Alger, un à Oran et un autre à Bône. Si le rôle des
aumôniers est d’assurer le service religieux auprès des militaires, l’Église
catholique n’entend pas s’y limiter et nomme dès décembre 1831 un préfet
apostolique. Elle envisage de s’installer dans ce nouveau territoire qu’elle
place sous la juridiction de la congrégation de la propagation de la foi. Un
tout autre destin attend pourtant l’Église catholique en Algérie à partir de
1838 avec l’érection du diocèse concordataire d’Alger. Ce cadre suppose
une organisation calquée sur le modèle métropolitain, mais dans une
situation coloniale spécifique. L’Algérie devient à partir de 1848 une
extension de la France avec la mise en place de départements alors que
l’écrasante majorité des populations locales ne sont pas de confession
chrétienne.
Dans ce contexte, l’État se retrouve dans la situation de devoir gérer le
pluralisme religieux et de contribuer à l’installation du catholicisme comme
institution régie par des lois françaises. Quelles relations État et Église
catholique établissent-ils avant et après la loi de 1905 ? De son côté,
l’Église doit concilier son statut d’Église concordataire et sa dimension
missionnaire. En effet, tout est à construire en termes d’infrastructure
paroissiale et d’encadrement religieux. Une nouvelle Église d’Afrique voit
le jour au cours du XIX e : quelles sont ses caractéristiques ?
S’installer
LA COLONISATION DE L’ALGÉRIE : JALONS HISTORIQUES
De la conquête à l’installation
L’histoire de la conquête de l’Algérie est bien connue : ce qui est à
l’origine une expédition se transforme progressivement en occupation du
territoire. C’est pourquoi, dans les premières années, une grande confusion
règne tant sur le terrain qu’à Paris. La résistance des populations est
conditionnée par l’impératif d’en finir avec la domination turque sans pour
autant accepter une autre domination. C’est ce qui explique, en partie, la
désorganisation dans le front du refus de la présence française. Toutefois,
dès le début des années 1830 un homme tente de fédérer les oppositions :
Abd el-Kader 1 . Un premier accord est conclu en 1834, mais les combats
reprennent en 1835-1836, pour aboutir en 1837 à un « partage » qui, dans le
traité en langue arabe, se fait au profit de l’émir. Entre 1837 et 1840
l’occupation du territoire n’est que très partielle. Un changement de
stratégie intervient au début des années 1840 : la conquête doit être totale.
Le conflit reprend jusqu’en 1847, année de l’abdication d’Abd el-Kader.
Cette date ne marque cependant pas la fin des hostilités, d’autant plus
que le « pays kabyle » n’est pas encore soumis. C’est chose faite, au moins
théoriquement, en 1857. Les insurrections se poursuivent dans les
années 1860 et l’opposition culmine lors de la grande révolte de 1870-1871
dont la répression lamine toute résistance de grande envergure pour des
décennies sans empêcher d’autres soulèvements plus localisés. La conquête
se poursuit puisque le M’zab est sous contrôle au début des années 1880.
Le rôle des militaires, s’il est fondamental pour réaliser la conquête,
reste prépondérant dans la gestion du pays au cours des premières
décennies, mais se heurte progressivement à la volonté des colons de
dépendre d’une administration civile 2 . Le territoire est réparti, pendant une
grande partie de la colonisation, entre territoires militaires et territoires
civils avec une progression constante des territoires civils 3 . Ces derniers
sont assimilés au régime de la métropole en 1845, tout en conservant des
spécificités, ce qui reste une constante de l’organisation de l’Algérie. Ainsi,
en 1847, la loi de 1837 sur les communes françaises est certes appliquée,
mais avec des différences notables. En effet, les maires nommés de ces
communes sont rétribués, tandis que la caisse municipale est alimentée
principalement par des contribuables non citoyens.
La révolution de 1848 est, pour les colons, l’occasion de mettre fin au
régime militaire et de réaliser l’assimilation. Il existe un quiproquo sur la
conception de l’assimilation vue d’Algérie et vue de France 4 . Alors que
pour les métropolitains, l’assimilation consiste à pousser les indigènes vers
la civilisation, pour les colons cela signifie l’égalité des droits avec les
métropolitains pour les seuls Européens ainsi que quelques avantages
locaux. La ligne directrice de l’assimilation, du point de vue des colons, est
une constante qui ne varie que peu tout au long de la période de la
colonisation, même si ses fondements pour la justifier peuvent être évolutifs
dans le temps. C’est avec cette clé de lecture qu’il faut appréhender les
discours des colons en faveur du libéralisme, de la stricte application de
certaines des lois françaises, ou encore ceux qui prônent le respect des
cultures des populations soumises.
Dès décembre 1848, la Seconde République organise l’administration
selon le cadre français : les territoires civils des provinces deviennent trois
départements subdivisés en arrondissements et communes administrées par
des préfets, sous-préfets et maires. Les administrateurs contournent le
gouverneur général pour prendre leurs ordres directement des ministères
parisiens. Le reste du territoire reste aux mains des militaires. Avec
l’avènement du Second Empire, les militaires retrouvent leur pouvoir.
Toutefois, les pressions des colons en faveur de l’assimilation et donc
de la disparition du régime militaire conduisent Napoléon III à supprimer
celui-ci en juin 1858. Commence alors, pour deux ans, une gestion
centralisée à Paris à partir du ministère de l’Algérie et des colonies. Seuls
l’Instruction publique et les Cultes sont rattachés aux ministères
correspondants. Les militaires tentent de montrer à l’empereur que cette
politique bouleverse considérablement la société indigène. Avant son
voyage en 1860, l’empereur a décidé la suppression du ministère de
l’Algérie. Sa disparition et le programme de Napoléon III, abusivement
qualifié de « Royaume arabe », suscitent stupeur et consternation chez les
colons. Les pouvoirs du gouverneur général sont renforcés même si
quelques services demeurent rattachés à Paris. Les colons dénoncent cette
politique et ne manquent pas de saluer la chute de l’empire en 1870. La
Commune d’Alger est en train de se constituer quand l’insurrection
algérienne éclate en 1871. La défaite des indigènes assure la victoire
politique des colons : les militaires sont disqualifiés, l’assimilation
commence 5 .
La question de l’assimilation est une question à la fois sensible et
centrale dans le processus colonial. Elle est pensée selon une logique
double. L’assimilation consiste, au nom de l’universalisme républicain, à
appliquer toutes les lois françaises sur la représentation politique, la
justice, etc. et, au nom des intérêts spéciaux de la colonie, à repousser les
impôts directs français, le service militaire, etc. Il s’agit, en d’autres termes,
de revendiquer une interprétation à géométrie variable des principes
républicains et de ne les réserver qu’aux seuls Français.
Les prérogatives du gouverneur général sont à nouveau fortement
restreintes avec le système dit des rattachements instauré en 1881 : toutes
les affaires algériennes sont réglées dans les ministères parisiens. Cette
politique est dénoncée au début des années 1890 par certains, comme
Jonnart après son passage comme directeur du service de l’Algérie. Mais,
c’est le rapport rendu public de la commission sénatoriale dite des XVIII
présidée par Jules Ferry qui alerte l’opinion sur la situation algérienne 6 .
Ferry dénonce l’état d’esprit des colons vis-à-vis du peuple vaincu :
« Il est difficile de faire entendre au colon européen qu’il existe
d’autres droits que les siens en pays arabe et que l’indigène n’est
pas une race taillable et corvéable à merci 7 . »
Il propose un programme qui tient en une seule phrase :
« Il ne faudrait livrer à aucun degré à l’élément européen les
intérêts du peuple indigène 8 . »
Un gouverneur général soutenu par Ferry est alors nommé, Jules
Cambon (1891-1897), contre les candidats de la représentation algérienne.
Il obtient, au grand dam des colons, l’abolition des rattachements et le
renforcement de l’autorité du gouverneur. Cependant, la loi du 29 décembre
1900 confère à l’Algérie la personnalité civile et un budget spécial,
exception faite des territoires du sud qui restent sous gestion militaire.
Quelle politique musulmane ?
Un autre lien relie les militaires à l’Algérie et il dépasse le strict cadre
de la conquête ou de la gestion des populations colonisées : ils sont les
premiers à être en contact avec les habitants 9 . Le recrutement des officiers
est de deux types. Certains sont d’extraction aristocratique ou de la haute
bourgeoisie avec une tradition marquée par le royalisme et le catholicisme,
alors que d’autres sont plus proches des milieux révolutionnaires.
Rappelons que les officiers sont issus soit de Saint-Cyr soit de
Polytechnique. Il reste difficile d’établir un ratio entre les deux ainsi qu’une
périodisation de la présence des uns et des autres. Un travail remarquable,
par bien des aspects, a été mené sur la deuxième catégorie par
P. M. E. Lorcin 10 . L’une des particularités de ces hommes est d’être des
polytechniciens imprégnés de la pensée saint-simonienne. Dans le droit fil
de l’expédition d’Égypte, ils développent un versant scientifique de leur
activité. Ces officiers sont donc républicains, saint-simoniens,
polytechniciens et pour eux la logique de l’armée n’est plus celle de
l’Ancien Régime, mais celle qui met en avant le mérite. Ces hommes
partent donc chercher la gloire apportée par les faits d’armes en vue
d’obtenir une promotion. Ils étaient déjà présents lors de l’expédition
d’Égypte et à la description de l’Égypte, fait écho la description de
l’Algérie. Ces hommes sont, pour Lorcin, à l’origine du mythe kabyle et de
la perception négative de l’islam pendant toute la période coloniale 11 .
L’un des fondements du mythe kabyle repose sur la construction de la
catégorie « Arabe » qui se distingue du « Kabyle » et dont les
caractéristiques sont aux antipodes de celles du « Français ». Le choix des
mots n’est jamais anodin car il conditionne la réalité. La terminologie
s’avère fluctuante pendant les premières décennies de la présence française.
Derrière les mots de « Kabyle » ou d’« Arabe » se trouvent des sens
différents et variables d’un officier ou d’un administrateur à l’autre : le
consensus met plusieurs décennies avant de s’établir. Se pose donc la
question des catégories qu’il reste difficile à établir. Les définitions
d’« Arabe » ou de « Berbère » ne sont généralement pas détaillées ou très
différentes selon l’utilisateur. Je me trouve dans la position paradoxale de
reprendre des catégories dont je souligne la fragilité telle qu’elle apparaît
dans les sources.
Définir les populations ne relève pas simplement d’une préoccupation
taxinomique à ambition intellectuelle, mais traduit aussi une nécessité
pragmatique : leur gestion par les nouvelles autorités. L’autre défi pour les
militaires est de s’assurer du maintien de l’ordre et, par-là même, repérer les
sources potentielles de subversion. La principale fut décelée en l’islam. Ce
choix s’ancrait dans une réalité de la conquête dans la mesure où Abd el-
Kader en avait appelé au djihad pour résister à l’invasion française.
L’ennemi repéré, son contrôle s’imposait : on allait donc l’organiser et, pour
se faire, former des hommes acquis à la France.
La logique du nécessaire contrôle de l’islam devenait l’une des lignes
directrices de la politique coloniale en direction des musulmans.
La meilleure technique de contrôle s’avéra la mise sous tutelle
financière, notamment par la suppression des biens habous, bien de
mainmorte. C’est pourquoi, les spoliations de terres furent nombreuses et
l’imposition du système de propriété privée du sol fut instaurée. Précisons
que la notion de propriété individuelle du sol, sans être inconnue, ne
relevait pas des mêmes mécanismes qu’en Europe. L’origine d’une des
principales confusions réside dans la terminologie : les terres ne sont pas
collectives, mais indivises ce qui n’est pas la même chose. Par ailleurs, il
convient, et cela a été fait, de distinguer les terres indivises qui sont
rattachées à la tribu des possessions privées. De plus, une partie des
parcelles était consacrée au budget du culte : les biens habous 12 .
Pour diminuer le pouvoir des tribus, ces terres destinées, entre autres, au
culte 13 furent incorporées au domaine public et livrées, pour partie, à la
colonisation. En échange, l’État français s’engageait à rétribuer le personnel
assurant le culte. L’introduction d’un nouveau rapport au sol de type
individuel allait léser l’écrasante majorité des populations autochtones qui
ne parvint pas à en saisir les tenants et les aboutissants tandis que d’autres,
une minorité, n’hésitèrent pas à spéculer. Ainsi, les colons purent
s’approprier des terres dans la plus grande légalité.
Progressivement, organiser le culte musulman est revenu à le contrôler.
Il fallait des hommes acquis à la France. Assurer leur formation puis leur
financement a constitué les deux axes de la gestion de l’islam pendant la
période coloniale avec pour finalité la mise sous tutelle pour mieux le
contrôler. Dans un premier temps, c’est des discours militaires, inscrits dans
un contexte de conquête, puis de « pacification » et de maintien de l’ordre
qu’émerge progressivement cette nécessité de contrôler l’islam. Ces
discours ne tardent pas à se diffuser auprès de tous les dirigeants et des
colons. Partager un même discours n’implique pas inéluctablement d’être
allié. C’est pourquoi les relations entre les différentes composantes de la
société coloniale ont pu évoluer dans le temps et en fonction des
interventions de la métropole.
Le système de domination mis en place en Algérie au cours du
XIX e siècle présente des similitudes avec d’autres colonies mais aussi des
différences liées à la gestion de l’islam, à la proximité géographique, à la
spécificité du peuplement et au statut départemental à partir de 1848.
L’Algérie se présente aussi comme un terrain d’expérimentation colonial à
imiter – le régime de l’indigénat – ou à blâmer. L’organisation officielle du
culte n’est reprise dans aucun autre territoire.
Comme dans les autres espaces coloniaux, pendant longtemps seuls les
aspects extérieurs de la domination coloniale ont fait l’objet de travaux, or
cette domination n’a pas été que matérielle. De nouveaux objets ont émergé
depuis quelques décennies, tels le droit, la justice, la santé, l’école, etc. et
ont dévoilé la globalité du système colonial et son imbrication dans tous les
maillages de l’existence des colonisés ainsi que les interactions opérées. La
déstructuration des sociétés est aussi et, surtout, passée par la confrontation
avec de nouvelles visions du monde dont l’école, la santé mais aussi une
législation des terres ont été d’excellents vecteurs autant, si ce n’est plus,
que l’exploitation économique ou l’assujettissement politique. Les réalités
sont plus complexes et ne permettent pas la seule analyse dualiste des
colons contre les colonisés. Le « bloc » colonial est divisé car il reproduit
de par son importance numérique toutes les divisions sociales présentes en
France ou dans d’autres pays européens : les milieux des marins siciliens,
des ouvriers espagnols ou des cléricaux ; les divisions : entre « néos »,
« Français de souche » ou « israélites naturalisés » ou encore entre citoyens
juifs et indigènes juifs. Du côté indigène, l’unité n’est guère plus
perceptible, l’hybridation règne et se traduit par le simple fait de passer par
l’école, d’aller chez le médecin ; les rapports à l’autorité et au pouvoir ne
sont pas identiques pour tous les indigènes. Le constat est celui de
l’existence de milieux coloniaux face à des sociétés colonisées plurielles.
Si ce constat se retrouve dans toutes les parties de l’Empire, il présente
pour l’Algérie à travers la présence d’une Église catholique concordataire,
une autre dimension qui relève de l’expérience de l’absolu colonial. En
effet, l’installation du catholicisme concordataire donne à l’Algérie la
coloration d’une colonisation « totale », l’ambition de créer une autre
France avec ses églises pour s’ancrer dans le paysage et ses cloches pour
s’approprier le temps.
LE CONCORDAT AUX COLONIES : LA SINGULARITÉ ALGÉRIENNE
Rappel historique
Les ambitions apostolique et universelle sont constitutives de l’Église
catholique et se sont matérialisées à travers la mission 14 . Cette dernière a
présenté des visages différents au cours des siècles et a dû composer avec le
pouvoir politique. Avec la « découverte du nouveau monde », une nouvelle
ère commence dans les relations entre les missions catholiques et les
pouvoirs coloniaux. L’Église catholique a ainsi opté pour plusieurs
solutions. Si, dans un premier temps, le système du padroado, dans les
colonies espagnoles et portugaises (XVI e siècle), se présente comme une
solution efficace pour la diffusion du catholicisme, très vite la papauté en
perçoit les limites pour son autonomie et tente de trouver d’autres solutions.
Les réductions jésuites apparaissent comme une option dès le début du
XVII e siècle, mais s’avèrent limitées dans le temps. Avec la création de la
Congregatio generalis de Propaganda Fide (Propagande en français, 1622),
les bases juridiques et de gestion semblent trouvées pour contourner le
pouvoir politique, avec notamment la création d’évêchés in partibus
infedelium dont l’évêque porte le titre de vicaire apostolique. Dans les faits,
la situation est plus complexe, car Rome est dans l’impossibilité de revenir
sur le padroado soit sur la tutelle exercée par les monarchies espagnole et
portugaise, alors que la monarchie française entend, dans ses colonies,
exercer son pouvoir sur les ecclésiastiques. Le roi de France s’appuie sur le
gallicanisme et sur les capitulations pour faire valoir son autorité sur les
missions catholiques. À la fin du XVIII e siècle, l’autorité de la Propagande
s’exerce en Asie et en Afrique ainsi que sur certains territoires au nord du
Mexique.
Toutefois, Rome s’est dotée d’un arsenal théorique et pratique qui ne
demande qu’à se réactiver une fois les conditions réunies. C’est ce qui se
passe au cours du XIX e siècle avec la reprise de l’élan missionnaire et la
deuxième grande vague de la colonisation. La papauté entend avoir la main
sur les missions à travers les vicariats et les préfectures apostoliques placés
sous l’autorité de la Propagande. Pour ce qui est des colonies françaises au
XIX e siècle, leur organisation, qui remonte au XVII e siècle, se présente
comme hybride, car les diocèses des Antilles et de la Réunion dépendent de
Paris, mais sont organisés comme des vicariats dans la mesure où seule une
congrégation se trouve à la tête d’un territoire.
Au moment de la conquête de l’Algérie, Rome envisage d’en faire un
vicariat apostolique en raison de la présence des musulmans. De son côté,
Paris entend maintenir son autorité sur les ecclésiastiques présents dans la
colonie. Alors que jusque-là la solution éprouvée est celle du diocèse
colonial, le Gouvernement opte pour un autre modèle, le modèle
concordataire en vigueur en France. De quoi s’agit-il ?
Avec la mise en place de l’empire par Napoléon I er , il est question de
tourner la page révolutionnaire et de trouver un accord avec le Saint-Siège.
La matérialisation de cet accord est le Concordat de 1801 15 . Sans entrer
dans les détails du traité et des articles organiques, le Concordat fonde les
nouvelles bases qui président aux destinées des relations entre l’Église
catholique et l’État français jusqu’en 1905. On retiendra que l’État prend en
charge les dépenses afférentes au clergé séculier et aux édifices du culte. En
contrepartie, la nomination des ecclésiastiques se fait conjointement entre
autorités politiques et religieuses. En résumé, l’État finance le culte
catholique et le contrôle. Le Concordat de 1801 participe de la conception
moderne de l’État qui entend encadrer bien des domaines dont le religieux
ne peut pas être exclu. Cette conception de l’État moderne recouvre
d’autres réalités en situation coloniale, car elle doit composer avec la
dimension coloniale de l’État.
Si la présence d’ecclésiastiques est attestée en Algérie dès 1830, c’est
en 1838 que l’Église catholique est officiellement installée. Le diocèse
d’Alger, diocèse concordataire, est placé sous l’autorité métropolitaine de
l’archevêché d’Aix-en-Provence par la bulle du pape Grégoire XVI.
Cependant, dès son origine, se pose la question de son statut : l’Église en
Algérie doit-elle être coloniale ou missionnaire ? Le choix par les autorités
françaises du régime concordataire et non pas de la solution préconisée par
le Saint-Siège du vicariat apostolique, place de facto l’Église en Algérie ni
dans la catégorie des Églises coloniales ni dans celle des Églises
missionnaires. Pourtant, si la volonté affichée est d’en faire une Église
diocésaine, les nécessités coloniales lui donnent un aspect complexe qui
met en relief des facettes différentes. De plus, les populations catholiques
en Algérie contribuent à renforcer la dimension « algérienne » de
l’institution. C’est pourquoi l’Église catholique en Algérie relève d’une
Église à la fois algérienne, dans le sens de concordataire, et coloniale.
Une Église concordataire en situation coloniale
Certes l’Église algérienne est concordataire et son organisation est
calquée sur celle des diocèses métropolitains : c’est la France ou presque…
En effet, tout est à créer dans ce nouveau diocèse qui ne repose pas sur un
terreau chrétien local mais d’importation. Le diocèse est divisé en quatre
provinces avec un vicaire général à la tête de chacune : provinces d’Alger,
de Constantine, d’Oran et de Titteri, qui disparaît rapidement. Le chapitre
cathédrale est créé en 1839. Jusqu’en 1844, il n’y a qu’une seule paroisse à
Alger qui regroupe la ville et ses faubourgs. Dans la province, entre 15 et
27 paroisses existent en 1845 16 .
Si dans un premier temps des mosquées sont transformées en églises, la
construction d’églises fait partie du programme de colonisation de
l’Algérie. Dans les années 1850, le gouvernement impérial accorde
beaucoup de crédits. Le soutien de l’Église catholique à Napoléon III
explique en partie les investissements publics, mais c’est le cadre
concordataire qui permet cette politique. C’est pourquoi la République dans
la loi du 15 septembre 1871 dispose dans le 4 e paragraphe de son article 6 :
« Art. 6 – Chaque centre de population sera pourvu aux frais de
l’État… 4 o d’un édifice du culte avec ses accessoires obligés. »
Précisons que le gouvernement général de l’Algérie n’est dans
l’obligation de donner des subventions aux communes pour leurs édifices
religieux que lorsqu’elles-mêmes ont voté les fonds pour la même
affectation et que les conseils généraux peuvent apporter leur contribution.
Il revient souvent au préfet en collaboration avec l’évêque, mais aussi aux
communes et aux conseils généraux de procéder à des arbitrages et d’établir
la liste des villes ou des établissements jugés prioritaires. Les demandes
excèdent les fonds disponibles dans la mesure où tout est à construire pour
le culte catholique et les églises élevées à partir de deniers privés sont
rarissimes 17 ; il s’agit de cas marginaux car les populations catholiques ne
sont pas en mesure, pour diverses raisons, de pourvoir aux besoins de leur
culte. La construction d’églises et la fondation de paroisses sont donc
d’actualité dès l’implantation de l’Église et pendant toute la période étudiée.
La première église coloniale est édifiée à Delly Brahim en 1831 18 .
Dans les archives du département d’Oran, le carton 1U3 regroupe des
dossiers de création de paroisses ou de succursales sur la période 1849-
1884. Les initiatives partent invariablement soit des autorités religieuses,
soit des autorités administratives, même si, parfois, des habitants réclament
la création d’une succursale ou d’une paroisse. Une enquête est alors
demandée afin de vérifier le bien-fondé de la requête. C’est ainsi que, dans
une lettre préfectorale de 1902 à l’administrateur d’Aïn Témouchent, le
préfet donne son accord pour l’érection de la municipalité de Trois
Marabouts en paroisse 19 . Les origines de cette décision sont à chercher
auprès de la commission municipale qui avait émis ce vœu. Le préfet l’avait
émis auprès de l’évêque d’Oran, qui avait donné son accord. Le courrier du
préfet est une demande de renseignements pour constituer un dossier. Il se
renseigne sur le nombre de la population catholique de Trois Marabouts et
sur la distance qui sépare le centre de l’église paroissiale actuelle. Il réclame
une carte de la circonscription paroissiale projetée et souhaite qu’elle
coïncide avec la circonscription civile. La topographie même souligne cette
volonté d’association entre l’État et l’Église. L’État veut insérer
l’organisation ecclésiastique dans le cadre administratif et les autorités
religieuses n’y semblent pas hostiles. Selon une démarche similaire, sur
proposition du gouverneur général et de l’évêque de Constantine, des
succursales sont érigées en cures après approbation par le président de la
République et le Garde des Sceaux 20 .
Le soutien de l’État est indispensable, comme le rappelle une lettre de
l’évêque d’Oran au préfet du 27 mars 1880 21 . L’évêque commence par
remercier le préfet d’avoir augmenté le budget des communes rurales qui
manquent de tout et ne sont pas en mesure de trouver d’autres fonds que
ceux de l’État. Certes, les communes urbaines peuvent disposer de fonds
propres, néanmoins si les municipalités ne les aident pas elles se
retrouveront confrontées à des difficultés :
« J’ose donc espérer, Monsieur le Préfet, que votre bienveillante
intervention amènera les communes d’Oran, de Tlemcen, de
Mascara et de Mostaganem, à voter pour chacune des paroisses
dépendant de ces communes, une subvention proportionnée à
l’importance de ces paroisses et aux besoins constatés par leur
comptabilité. »
Dans la lettre de l’évêque, il apparaît que la commission chargée
d’examiner les comptes de la fabrique de Mostaganem a trouvé des
irrégularités qui ne sont pas, d’après l’évêque et après consultation du curé,
si importantes 22 . Par ailleurs, la commune de Mascara avait motivé son
refus par l’absence de pièces justificatives qui ont depuis lors été envoyées.
L’évêque sachant que les budgets des communes sont restreints ne manque
pas de recommander aux conseils de fabrique la plus grande économie et la
plus parfaite régularité. Une grande cordialité caractérise le ton de cette
lettre. L’évêque est bien conscient que la survie de l’institution est
entièrement tributaire du pouvoir politique. La question du financement de
l’Église est vitale en Algérie, dans la mesure où elle ne peut compter sur
d’autres sources de financement que publiques.
L’État finance donc l’érection de nouveaux lieux de culte pour le
catholicisme sans trop de difficultés jusqu’au milieu des années 1890. À
partir de 1894, les vœux exposés par l’archevêque d’Alger, Mgr Dusserre,
au conseil supérieur de Gouvernement en vue d’obtenir du Parlement la
création de nouvelles succursales, n’aboutissent pas tous. Comment
expliquer ce changement de politique ? Deux raisons peuvent être avancées.
La première repose sur la montée de l’anticléricalisme en France comme en
Algérie dans la période qui incite certains à ne plus financer l’Église. On
peut y voir les prémices de la loi de Séparation de 1905. La seconde
explication, qui peut recouvrer pour partie la thèse de l’anticléricalisme,
mais pas seulement, repose sur les priorités budgétaires. Sans être
forcément anticléricaux, d’aucuns estiment que l’édification d’un nouveau
lieu de culte est moins importante que celles d’établissements scolaires ou
de santé dans un contexte où le budget doit être restreint.
Ainsi la politique de construction des édifices du culte par l’État est
attestée dès 1831 et se poursuit pendant toute la période coloniale avec des
périodes fastes et d’autres de restriction. Avec l’arrivée en 1837 du premier
évêque Mgr Dupuch, l’érection des églises répond, avant tout à la logique
concordataire.
Après la démission de Dupuch en décembre 1845, il revient à
Mrg Pavy, son successeur, d’organiser le diocèse. Il confie la province de
Constantine à son frère, celle d’Oran à Suchet et celle d’Alger à Dagret 23 .
Pavy assiste au concile d’Aix-en-Provence en 1850, organise son diocèse
lors du premier synode diocésain en 1853, encourage le développement des
œuvres et l’installation des communautés religieuses. Il agit en évêque
français en charge d’un diocèse français où tout est à construire. Sous son
épiscopat, plus de 150 paroisses sont érigées 24 . Toutes les paroisses sont
dotées d’un conseil de fabrique comprenant un trésorier et un marguillier,
quand cela est possible.
En 1864, l’évêque sollicite auprès des autorités l’érection de deux
nouveaux diocèses pour Oran et Constantine 25 . L’année suivante, le
18 juillet 1865, Alger devient archevêché à la tête de trois évêchés,
Mgr Pavy est le premier archevêque. Ce choix de créer un archevêché
atteste de l’importance aux yeux de l’État français, mais aussi du Saint-
Siège, de ces départements d’outre-Méditerranée. La délimitation des
diocèses suit celle des départements : diocèses et départements sont
confondus sur le terrain. L’Église catholique doit tout à l’État car elle
dépend du cadre concordataire et ne dispose pas de moyens financiers
suffisants pour face à l’ampleur des besoins. Rappelons que tout est à
construire en Algérie, que les fidèles dans leur écrasante majorité sont
pauvres et venus chercher fortune dans la colonie.
Concordataire, l’Église l’est aussi à travers ces prélats qui restent
connectés avec l’Église de France et l’Église universelle. Le successeur de
Pavy, Lavigerie, s’avère un grand prélat romain et français 26 . Il soutient,
lors du concile de Vatican I (1870), le texte sur l’infaillibilité pontificale et,
de retour en Algérie, il associe son clergé à cette décision en convoquant un
concile diocésain en 1871, puis un concile provincial en 1873. Il reste
l’homme du toast d’Alger du 12 novembre 1890 qui inaugure une nouvelle
ère dans la conception romaine de la République. Quant à Mgr Oury, il est
au cœur de toutes les discussions relatives à l’application de la loi de
Séparation des Églises et de l’État. Les ecclésiastiques d’Algérie ne vivent
pas en vase clos, ils sont au fait de l’actualité religieuse et politique
française comme vaticane.
Archevêché, évêchés, paroisses, conseil de fabrique, églises : tout
semble évoquer des diocèses français banals et faire oublier la situation
coloniale. Cette dernière est perceptible dans une ordonnance de 1853, issue
du premier synode diocésain, qui donne pour obligation au clergé séculier
de porter la barbe. Cette décision, contraire aux règles canoniques en usage,
va néanmoins servir de premier signe distinctif au clergé colonial, motivé
par la présence musulmane : le port de la barbe inspirerait le respect.
De manière moins anecdotique, la situation coloniale est repérable dans
la taille des diocèses. Le diocèse d’Alger s’étend sur 52 700 km², celui
d’Oran sur 67 300 km² et celui de Constantine sur 87 500 km² 27 . Or, en
France, la taille moyenne d’un diocèse est de 7 000 km² 28 . L’immensité des
diocèses est un bon indicateur du caractère colonial et doit être mise en
relation avec les conditions de circulation qui ne sont pas comparables avec
celles de la France métropolitaine.
Un autre élément renforce la spécificité coloniale : le nombre des
Européens. La population européenne totale est de 565 315 personnes dont
294 132 en Oranie, 265 791 dans l’Algérois et 159 054 dans le
Constantinois 29 . Par ailleurs, la composition de la population européenne
est différente d’un diocèse à l’autre. Dans le diocèse d’Oran, les Espagnols
sont majoritaires, dans celui d’Alger ceux sont plutôt les Français même si
des Espagnols et des Italiens sont présents ; le diocèse de Constantine
rassemble davantage d’Italiens et de Maltais. L’histoire explique ces
répartitions : la présence espagnole en Oranie indique que cette région est
considérée par l’Espagne comme une chasse gardée depuis des siècles
comme le Constantinois et sa proximité avec la Tunisie rappellent les
ambitions italiennes sur la Tunisie. La présence de populations non
françaises a des incidences sur la vie de l’Église catholique qui doit tenir
compte de leurs spécificités et être en mesure de communiquer avec elles
dans leurs langues respectives. L’organisation de la vie religieuse peut ainsi
s’en ressentir et présenter des singularités d’un diocèse à l’autre. Le prêtre
doit donc s’adapter à ses fidèles – et vice-versa – et parcourir de longues
distances pour assurer son service. C’est pourquoi, bien souvent, dans les
annexes des paroisses, seuls les sacrements les plus répandus tels que le
baptême, le mariage et l’extrême-onction sont délivrés.
La vie catholique, comme nous le verrons dans le chapitre qui lui est
consacré, varie donc selon les lieux : Église des villes, Église des champs,
l’Église s’est adaptée aux réalités algériennes. Le catholicisme présente des
visages différents selon que les fidèles vivent en communes de plein
exercice ou en communes mixtes, selon que l’on se trouve à Alger ou à
Constantine. Malgré ces différences, le personnel ecclésiastique présente
des caractéristiques similaires dans toute l’Algérie.
LE PERSONNEL ECCLÉSIASTIQUE
Origines et formation
La question du recrutement du clergé séculier reste d’actualité pendant
tout le XIX e : comment assurer un recrutement pérenne ? Très vite il apparaît
que le seul vrai vivier de prêtres est la métropole et qu’il est difficile
d’envisager que le terreau local puisse prendre complètement la relève :
avant 1866, il n’y a qu’un seul prêtre né en Algérie car « rares sont les
enfants, élevés en Algérie et formés au petit séminaire de Saint-Eugène, qui
arrivent jusqu’à la prêtrise 30 ».
Sous Dupuch, le grand séminaire végète et compte peu de séminaristes.
Le séminaire diocésain est alors dans la maison des lazaristes revenus en
1842 et qui obtiennent la transformation de la mosquée de Bab-el-Oued en
église (N.-D. des Victoires 31 ). Il est aisé de comprendre que les vocations ne
sont pas légion sous Dupuch : l’administration de l’évêque d’Alger
décourage les meilleures volontés, la conquête se poursuit et la colonie a
mauvaise réputation. Instabilité et hétérogénéité caractérisent alors le
clergé, mais la situation évolue au tournant des années 1850. Dès son
arrivée, Pavy fonde le petit séminaire (Saint-Eugène) et le grand séminaire
(Kouba). Au début de la présence française, tous les séminaristes étaient
reçus au séminaire de Kouba où ils étaient inscrits pour le diocèse de leur
choix. En 1867, Oran est pourvu de son séminaire et dès 1869 la distinction
existe entre le petit et le grand séminaires. C’est la même année que
Constantine est dotée d’un petit et d’un grand séminaire. En 1880, à la suite
de la fermeture du collège des jésuites, le petit séminaire d’Oran est
transporté sous les toits du grand.
Les grands séminaires sont alimentés par des séminaristes en
provenance de France que les évêques et archevêques d’Algérie recrutent
dans les séminaires métropolitains. Les prélats se rendent dans les diocèses
où ils ont des attaches personnelles pour exposer les avantages à intégrer les
grands séminaires en Algérie. Le XIX e siècle se caractérise par une inflation
des vocations et par les difficultés à trouver une cure. C’est pourquoi les
avantages présentés par le choix de venir en Algérie sont importants :
études payées et poste garanti à la sortie du grand séminaire. De plus, la
relative proximité géographique avec la métropole, un climat de moins en
moins redouté, une sécurité de mieux en mieux assurée et les avantages du
Concordat finissent par convaincre les jeunes séminaristes d’opter pour
cette solution. Les deux parties sont satisfaites. En France, ces départs
allègent la charge financière des évêques et leur permettent aussi de laisser
partir les moins doués et, surtout, les plus pauvres, ceux qui ne paient pas de
pension. C’est parfois aussi l’opportunité de se débarrasser des esprits forts
qui ont pris quelques libertés avec la règle. Sur la rive sud de la
Méditerranée, déficitaire, les supérieurs se montrent moins exigeants pour
les admissions. Pourtant, si certains acceptent d’y venir terminer leurs
études, certains ne font pas le choix de l’Algérie à l’issue de leur cursus et
préfèrent retourner en métropole. Cependant, à partir des années 1870, rares
sont les prêtres venus en Algérie à avoir mal supporté le pays et à être
retournés en France.
La situation des séminaires se dégrade avec l’application de la loi du
9 décembre 1905 : les vocations sont en nette diminution. En effet, de
manière mécanique, la loi de Séparation a eu pour conséquence d’affaiblir
les vocations métropolitaines et par contrecoup celles des diocèses
algériens. Ces derniers sont devenus moins attractifs avec la perte des
avantages liés au Concordat. À terme, la disparition du clergé catholique,
tant redoutée, n’a pas lieu, car des solutions sont trouvées pour adapter la
loi de Séparation.
Le clergé ne présente pas de spécificité par rapport à celui de métropole,
car il est formé et nommé de la même manière. Comme en métropole, toute
nomination est conditionnée par l’approbation des autorités publiques qui
mènent de véritables enquêtes. Ainsi en 1889, l’évêque d’Oran fait venir « à
la mutation » un prélat de la Drôme, mais l’enquête conduite depuis Paris
laisse percevoir une attitude peu compatible avec sa charge, du moins pour
l’Algérie 32 . Le 7 novembre 1889, le ministère de la Justice et des Cultes
attire l’attention du préfet d’Oran sur M. Barre, que l’évêque a appelé à
venir dans le diocèse d’Oran, et lui demande de le surveiller. Le même jour,
le ministère adresse une lettre à l’évêque sur Barre : le personnage a de
« fâcheux antécédents ». Alors qu’il desservait la succursale de
Rochebrune, dans le département de la Drôme, on lui reprochait
« son hostilité systématique vis-à-vis de nos institutions
républicaines et les attaques qu’il dirigeait incessamment, du
haut de la chaire, contre le Gouvernement ou contre les autorités
locales et sa conduite privée. Victime d’une tentative
d’assassinat, à la date du 23 juillet de l’année 1888, les débats de
la cour d’Assise de la Drôme révélèrent à sa charge des faits
tellement scandaleux qu’il dut se démettre de ses fonctions de
desservant. »
L’évêque de Valence le nomme comme vicaire à Livron et, depuis lors,
aucune plainte n’a été enregistrée contre lui. Le ministère invite donc
l’évêque d’Oran à une surveillance attentive de l’individu. Pourtant, dans
l’ensemble, rares sont les ecclésiastiques qui posent problème, car, au-delà
du cadre concordataire qui contrôle les nominations, impose une
surveillance stricte et l’obligation de collaborer avec les autorités, en
Algérie les ecclésiastiques respectent un autre pacte plus essentiel encore :
le pacte colonial. C’est ce que formule, avec d’autres mots, le procureur
général dans un rapport de 1889 sur les évêques et le clergé d’Algérie 33 .
Soulignant le peu de conflits entre l’Église et l’État de ce côté-ci de la
Méditerranée, le procureur trouve des explications :
« … le prêtre ici a quelque chose de plus tolérant, de moins
sectaire que dans d’autres contrées 34 … ».
Je formule l’hypothèse que la situation coloniale en Algérie renforce le
caractère « docile » du clergé. De manière générale, la pression
administrative est plus forte dans les colonies qu’en métropole et l’Algérie
ne fait pas exception en la matière. Cependant, le clergé algérien semble
adhérer à cette pression car les contestataires sont rares. Le clergé a
conscience de participer à une œuvre civilisatrice d’un genre différent de
celle des destinées aux autres colonies. L’Algérie reste un cas unique à
l’échelle de l’empire : ensemble de départements français et colonie de
peuplement, outre-mer et proche de la France, elle est à la fois une autre-
France et une France autre. Dans cette entité singulière, le clergé respecte
plus qu’ailleurs le pacte colonial, car il croit en la mission de la France et de
l’Église, mission conditionnée par un indispensable soutien réciproque.
Les personnalités ecclésiastiques allient en leur sein respect du
Concordat et respect du pacte colonial.
Les exceptions
Une typologie des évêques et archevêques d’Algérie s’avère difficile
tant les parcours et les épiscopats présentent de similitudes. On se reportera,
pour plus d’éléments, à notre ouvrage Algérie coloniale, musulmans et
chrétiens : le contrôle de l’État (1830-1914) (CNRS Éditions, 2015) où de
brèves notices sont présentées pour les évêques et les archevêques. Dans
leur écrasante majorité, ils ont été formés et ont exercé des charges en
France. Rares sont ceux nés ou arrivés jeunes en Algérie ou encore passés
par les séminaires algériens. Mais, ce tableau paisible serait incomplet sans
deux personnalités qui ont défrayé la chronique, tant leur épiscopat est en
rupture avec les autres. Il s’agit du premier évêque d’Alger, Dupuch, et de
l’évêque de Constantine, Bouissière ; le premier en raison de sa faillite
retentissante, le second pour ses positions de combat contre la République.
Mgr Dupuch, est né et décédé à Bordeaux (20 mai 1800-10 juillet
1856 35 ). En 1815, il poursuit ses études à Paris, obtient sa licence de droit
en 1820 et se fait inscrire au barreau de Bordeaux. Ordonné prêtre le 27 mai
1825 à Saint-Sulpice, il revient à Bordeaux et se dévoue à des œuvres. Il est
préconisé premier évêque d’Alger le 13 septembre 1838, sacré le
28 octobre. Les travaux historiques concernant son épiscopat algérien se
résument à un travail très documenté et non publié que Paul Fournier nous a
aimablement confié 36 . L’évêque se révèle une personnalité complexe qui
suscite des jugements contrastés, de l’hagiographie à la dénonciation.
L’abbé Suchet (1795-1870), qui a été l’un des vicaires généraux du diocèse
d’Alger pendant trente ans, écrit de Dupuch qu’« Il tenait de l’ange et du
démon 37 ». Arrivé en Algérie, Dupuch prend possession d’un diocèse où
tout est à construire. Les relations qu’il entretient avec son clergé sont
difficiles d’après le journal de l’abbé Suchet :
« Il agissait toujours seul… jamais aucune communication pour
les affaires du diocèse… […] S’il arrivait qu’un grand vicaire
était obligé d’agir, dans quelques circonstances pressantes, il en
était blâmé, désapprouvé, parce que c’était lui seul qui voulait
faire. Ses vicaires généraux n’étaient pour lui que des hommes
de parade. »
Ce jugement sévère est celui d’un homme qui n’a pas hésité à prêter de
l’argent à l’évêque pour lui éviter des déboires financiers. Les relations ne
sont pas meilleures avec les congrégations religieuses. Des tensions
apparaissent très rapidement entre l’évêque et les sœurs de Saint-Joseph-del’Apparition
d’Émilie de Vialar et conduisent à l’expulsion des religieuses
en 1842. Les religieuses du Bon Pasteur d’Angers déclinent la proposition
épiscopale de s’installer dans une maison dont il entendait se réserver le
bénéfice de la revente des terrains alentours et préfèrent acheter une
propriété à El Biar. Les jésuites ont fait en sorte d’assurer leur indépendance
matérielle complète vis-à-vis de l’évêque en se chargeant de l’orphelinat
des garçons qu’ils installent dans leur propriété de Ben Aknoun. « Quant
aux traitements des prêtres auxiliaires qu’ils recevaient sur les fonds alloués
au diocèse d’Alger par la Propagation de la Foi, après accord avec l’évêque,
ils étaient versés à Lyon directement par le trésorier de l’Œuvre au
Procureur de la Province 38 . » Les lazaristes, de leur côté, avaient réglé leur
situation matérielle par un contrat avec le Gouvernement. On l’aura
compris, ordres et congrégations religieuses ont voulu éviter d’être liés à
l’évêque dont la gestion catastrophique du diocèse était de notoriété
publique.
En effet, Dupuch participe de la spéculation immobilière qui a alors
cours en Algérie. Il engage sa fortune et le diocèse dans cette course
effrénée qui le conduit à une faillite retentissante, suivie de sa démission le
9 décembre 1845. Pour P. Fournier, cette situation est la conséquence de ses
imprudences : « Son passif révèle un désastre qui dépasse largement le
cadre où s’inscrivent normalement les affaires concernant l’administration
d’un diocèse. » Sa réputation est telle qu’à partir de 1844, la Propagation de
la Foi fait une exception à la règle qu’elle s’était imposée, celle de ne pas
financer directement les œuvres mais de passer par les responsables de
missions, évêques, vicaires apostoliques, supérieurs des ordres religieux
missionnaires, en secourant directement les œuvres en Algérie, soit en
contournant l’évêque. Cette décision a été prise en accord avec le cardinal
préfet de la congrégation de la Propagande qui a indiqué lui-même la
conduite à tenir à l’égard de l’évêque d’Alger : cette mesure est une
condamnation de l’administration épiscopale 39 . Dans quelle mesure a-t-elle
précipité la chute de Dupuch ? Il est certain que celui-ci était déjà bien
engagé dans sa propre perte parfaitement décrite par Paul Fournier. Ce
dernier insiste sur le caractère du prélat, mais aussi sur la situation coloniale
de l’Algérie. Dupuch s’avère un caractère aventureux dans un pays neuf.
L’auteur rappelle aussi le lien très fort du prélat avec le milieu colonial
caractérisé par la spéculation immobilière : l’Église est un grand
propriétaire foncier, comme le rappellent les larges concessions aux
trappistes de Staouëli ou encore, dans un autre contexte, les achats de
Lavigerie pour fonder son ordre et installer les orphelins. Mais Fournier
souligne aussi le désintéressement à titre personnel de Dupuch. Lâché par la
Cour, par Rome et bientôt par le Gouvernement, le 9 décembre 1845,
Dupuch remet sa lettre de démission à Boulay de la Meurthe, conseiller
d’État envoyé spécialement pour le rencontrer à Alger. Le 22 juillet 1846, le
prélat quitte définitivement l’Algérie au grand soulagement général :
« Était-on d’ailleurs fâché à Rome de démontrer que la création
d’un diocèse à Alger était prématurée ? Louis-Philippe, en 1837,
avait imposé d’organiser le culte catholique à Alger sous la
forme d’un évêché concordataire, et non sous la forme d’un
vicariat apostolique comme le souhaitait Grégoire XVI. Les
difficultés de M gr Dupuch ne renforçaient-elles pas a posteriori
les thèses romaines ? Quant au gouvernement français il soutint
l’évêque jusqu’à ce que celui-ci ait allumé l’incendie qui allait
l’emporter 40 . »
Quand le 31 octobre 1846, les affaires personnelles de l’évêque sont
mises en vente, Suchet note dans son journal :
« Aucun membre du clergé d’Algérie n’a voulu faire la moindre
démarche pour arrêter cette infamie ou pour acheter, par-dessous
main, ces objets de leur ancien évêque, soit comme souvenir,
soit, ce qui aurait été mieux, pour les lui renvoyer 41 . »
C’est donc dans l’indifférence de son clergé que le premier évêque
d’Algérie quitte le territoire pour ne plus jamais y retourner… de son vivant
car son corps est exhumé à Bordeaux et rejoint Alger en 1864,
conformément à son vœu.
Une tout autre histoire est celle de Jules Alexandre Léon Bouissière, né
le 1 er avril 1860 dans le Tarn, mort le 9 septembre 1916 à Carcassonne.
Après des études au petit séminaire de Castres, puis au grand séminaire
d’Albi, il est ordonné prêtre le 7 juin 1884. Il est alors nommé vicaire à
Puylaurens, à Notre-Dame de Mazamet, puis à Saint-Salvé d’Albi en 1889
où il anime La semaine religieuse. Il devient aumônier du pensionnat de
Notre-Dame en Algérie à partir de 1897 et en 1899 il est chanoine.
Bouissière est à l’origine de la SRO et de la création du cercle La Jeanne
d’Arc d’Oran ainsi que de la mise en place des conférences du Sillon après
le passage de Marc Sangnier en 1904. En 1902, avant les élections
législatives, il publie des articles appelant l’attention des croyants sur
l’importance des élections et en exhortant les fidèles à faire leur devoir pour
le salut de l’Église et de la France. En d’autres termes, il préconise de faire
barrage aux candidats républicains. Dans une lettre du préfet d’Oran au
gouverneur général du 9 juin 1904, qui reprend le procès-verbal du
commissaire de police sur la conférence de Marc Sangnier, un petit
commentaire renseigne déjà sur Bouissière :
« Dans toute la force de l’âge, grand et beau garçon, affectant de
se donner des allures libérales, M. Bouissière a vite acquis ici
une grande influence parmi le monde clérical. Le mariage de son
frère notaire en France avec une jeune fille appartenant à une des
plus anciennes familles d’Oran dont le père était lui-même
officier ministériel lui a permis d’augmenter le cercle de ses
relations et l’Évêque d’Oran a pu profiter de la grande activité et
de l’entregent de son vicaire général pour constituer ici un
véritable parti clérical qui n’y existait pour ainsi dire pas avant
leur arrivée. M. Bouissière est certainement le meilleur
collaborateur et le plus souvent le véritable inspirateur de
l’Évêque. Son action n’a jamais cessé de s’affirmer 42 . »
Nous retrouvons sa trace à Mostaganem où, en 1908, il est vicaire
général. Peu de temps après, il devient vicaire général de Mgr Cantel et
directeur de la SRO.
Sa nomination comme évêque de Constantine et d’Hippone n’entame en
rien ses convictions et débouche sur des tensions récurrentes avec les
autorités publiques. Dès son arrivée, il s’est engagé dans « une campagne
cléricale et antirépublicaine », aux dires des rapports de police. Un climat
de guerres picrocholines s’installe et débouche sur diverses tensions qui
s’aggravent en 1916. Le 27 mars 1916, un rapport de police indique qu’au
cours de l’office du soir, l’évêque aurait dénigré la France républicaine tout
en flattant la France catholique et pieuse. Le prélat aurait montré que la
guerre actuelle était un fléau voulu et envoyé par Dieu pour punir la France
de son infidélité et de son indifférence en matière religieuse. En résumé,
l’évêque se serait livré à un réquisitoire en règle contre le régime. Le
10 avril 1916, la situation se détériore car le gouverneur général défère à la
justice ses actes et ses propos. Le 15 avril 1916, un degré supplémentaire
est franchi : en raison de l’attitude de l’évêque, toute procession ou
manifestation religieuses sur le territoire de la commune de Constantine à
l’occasion de la fête des Rameaux (le 16 avril) est proscrite. Cependant, les
poursuites contre le prélat ne peuvent aboutir. Le ministre de l’Intérieur en
informe alors le gouverneur général par une lettre du 16 mai 1916. Les
dispositions de la loi du 9 décembre 1905, dans son article 35, ne
permettent ni de censurer ses écrits ni de le poursuivre pour ses propos.
Néanmoins, la surveillance de l’évêque est renforcée et, comme moyen de
coercition, tout passeport lui est interdit. Une dernière arme reste entre les
mains de l’autorité civile : si l’évêque continue ses prédications « dans un
esprit de violence », le gouverneur général a la possibilité de le déférer à la
justice militaire. Le 20 juin 1916, on interdit aux fonctionnaires d’assister à
ses prêches. L’affaire Bouissière ne se termine qu’avec le décès de son
principal protagoniste le 9 septembre 1916, au grand soulagement et des
autorités militaires et civiles.
Les prises de positions du prélat sont, au vu des archives publiques, en
grande partie à l’origine de cette rupture. Mais, dans la mesure où nous ne
disposons pas des archives religieuses sur ce dossier, il convient d’être
prudent et nuancé dans la détermination des responsabilités respectives.
Bouissière est, à plus d’un titre, un cas isolé, car, dans aucun document
public, n’a été mentionnée une telle attitude de la part d’un haut dignitaire
ecclésiastique algérien. Ces derniers ont conservé la position de réserve,
obligatoire sous le Concordat, comme une direction morale à poursuivre.
Dupuch et Bouissière sont donc des exceptions au sein du haut clergé
algérien qui entend collaborer avec toutes les autorités de la colonie afin de
permettre l’ancrage de l’Église dans les meilleures conditions possibles.
L’ÉGLISE ET LES AUTRES
L’alliance du sabre et du goupillon
Si, très tôt, des tensions entre militaires et colons sont perceptibles,
armée et Église entretiennent, historiquement, dans la société d’Ancien
Régime des liens intimes qui se poursuivent en Algérie auprès de l’armée
d’Afrique.
Derrière l’appellation d’armée d’Afrique, se trouve toute une série de
corps créés dans le cadre de la conquête de l’Algérie :
« Le modèle algérien s’élabore en quelques années, entre 1830 et
1840. C’est en effet dès le premier gouvernement de Clauzel que
celui-ci signe les arrêtés (sans doute prévu par Bourmont) qui
créent zouaves, mamelouks et chasseurs algériens. Ces
premières formations sont loin d’être conçues comme des unités
ordinaires. Les zouaves au départ doivent être, comme on sait,
recrutés dans la tribu kabyle des Zouaoua, et employés aux
services des avant-postes. […] L’échec de ces projets oblige à
incorporer dans ces troupes des volontaires français et d’anciens
soldats turcs, et à leur donner un statut de plus en plus régulier.
Cette évolution finit par faire des zouaves et des chasseurs des
corps d’infanterie et de cavalerie composés de Français et
analogues aux régiments de Métropole, tandis que sont créés, sur
le modèle français, des régiments de cavalerie (spahis) et
d’infanterie (tirailleurs), dont le personnel est en majorité
indigène, et l’encadrement français 43 . »
C’est ainsi, qu’à l’origine, des soldats indigènes font partie des troupes.
Leur première action est datée d’octobre 1830 à Blida contre les troupes du
bey de Tittery 44 . Très vite, leur aura dépasse les frontières algériennes
puisqu’ils s’illustrent durant la guerre de Crimée (1854-1856) et celle
d’Italie (1859), mais aussi lors de l’expédition du Mexique (1861-1867) aux
côtés, entre autres, des chasseurs et des tirailleurs. Leur uniforme, que l’on
doit à Juchault de La Moricière, participe de leur réputation :
« boléro avec fausse poche et gilet bleus gansés de garance,
culotte bouffante ou sarouel, rouge en hiver et pour les
cérémonies, blanc en d’autres occasions, ceinture blanc en coton,
coiffe rouge genre fez appelé chéchia 45 . »
Au début des années 1840, ils sont rassemblés en un régiment avec étatmajor,
musique, trois bataillons de neuf compagnies et une compagnie
supplémentaire. Dans ce contexte, Clayton précise que le processus de
« francisation » est en cours dans la mesure où seule demeure une
compagnie à recrutement local 46 . Ils tiennent garnison pour le 1 er bataillon à
Blida, pour le 2 e à Tlemcen et pour le 3 e à Bône. Ce choix illustre l’état de
l’avancée de la conquête à la fin des années 1840. En 1852, une nouvelle
réorganisation se fait en parallèle avec la poursuite du processus de
francisation qui n’est pas encore achevé au moment de la guerre de Crimée.
Un dernier tournant notable, pour le XIX e siècle, est entamé après la défaite
de 1870 : le 1 er régiment est en garnison à El Goléa, le 2 e à Oran, le 3 e à
Constantine et le 4 e à Alger et Aumale, alors que, pour la première fois, des
unités sont stationnées de manière permanente en France. Si la cartographie
de l’Algérie coloniale est fixée dans ses grandes lignes, l’évolution n’est
pas seulement géographique puisque les zouaves sont en passe de se
transformer en « régiments d’appelés du contingent d’Afrique du Nord »
composés de conscrits et cesser d’être un corps de volontaires français et de
colons 47 . Ce changement ne fait que renforcer la proximité avec l’Église
catholique.
Cette dernière accompagne les principaux moments de la vie de l’armée
en célébrant ses morts, ses victoires, son glorieux passé et sa jeunesse. Un
calendrier annuel est décelable avec des moments importants comme la fête
des zouaves, la messe des conscrits et la messe pour les morts de l’année,
œuvre de l’Union des femmes de France. La fête des zouaves fait l’objet de
nombreuses descriptions dans les journaux catholiques comme l’atteste la
SRA du 14 septembre 1900. La façade est recouverte de tentures noires et de
drapeaux tricolores, sur l’escalier affûts de canons et faisceaux d’armes
attestent de la nature de la cérémonie. À l’intérieur, parures de deuil et
écussons du 1 er Zouaves côtoient des bandes tricolores et des attributs
guerriers. Le noir est la couleur du deuil pour rappeler qu’il s’agit d’un
service funèbre à la mémoire des morts du régiment, les drapeaux tricolores
sont l’incarnation de la patrie et les insignes guerriers sont la marque de
l’armée. Le prédicateur en profite pour saluer les « vaillants du 1 er bataillon
qui s’en vont au loin, dans cette terre étrange qu’on appelle la Chine, venger
la civilisation, l’honneur et la liberté si sauvagement et cruellement
opprimés ». Dans le cadre de la lutte contre la révolte des Boxers, un corps
expéditionnaire international sous commandement allemand a été envoyé
en Chine. Ce pays exerce un fort pouvoir de fascination en Europe. Les
représentations mentales s’y référant renvoient aussi bien à un certain
exotisme teinté de raffinement qu’à la barbarie poussée à son paroxysme,
comme en atteste la diffusion des images des « supplices chinois ». Le
discours de l’ecclésiastique est en tout point conforme au discours colonial
moyen de la période qui entend justifier les interventions européennes au
nom de la liberté et de la lutte pour la civilisation. Le religieux finit
toutefois par reprendre ses droits dans la triple prière pour les morts, pour le
corps expéditionnaire en Chine et pour l’assistance. L’Église place sous son
aile protectrice l’armée qui exerce dans le temporel cette protection auprès
de l’Église. La décoration de l’église propose une synthèse d’éléments
religieux, patriotiques et militaires. On repère dans les symboles religieux la
bannière ramenée de Chine dans le cadre de l’expédition de 1900 contre les
Boxers. La cérémonie se déroule à Oran, en présence, selon la SRA, de plus
de deux mille personnes. On apprend qu’une cérémonie identique se tient
aussi en même temps à Nemours et Marnia. L’Église chante les gloires
passées, mais elle pleure aussi ses soldats.
La SRA du 23 novembre 1900 rend compte de la messe qui est célébrée à
l’église de Blida le 6 novembre 1900, pour le commandant Lamy de la
mission saharienne Foureau-Lamy-Reibell, en présence des autorités civiles
et militaires. Le temps de la conquête n’est pas totalement clos, le
mouvement de colonisation se poursuit, et l’armée continue dans son rôle. Il
en est de même à Coléa qui est la ville berceau des zouaves 48 . Le service
funèbre à la mémoire des soldats et marins morts dans l’année au service de
la patrie est assuré par l’Union des femmes françaises, à l’origine de la
messe 49 .
Force est de constater aussi que la loi de Séparation de 1905 n’a en rien
affecté les liens entre l’Église et l’armée, au point de se demander si,
comme l’atteste la SRA du 7 mars 1909, nous n’avons pas affaire à deux
corps en parfaite symbiose. L’auteur de l’article insiste sur l’alliance entre
l’armée et l’Église :
« C’est devant le Dieu de notre France chrétienne que vous êtes
venus célébrer la mémoire de ces soldats français… la France
appelle l’Église à célébrer ses deuils et ses gloires… De cette
alliance est née la France et son génie ».
À le suivre, l’armée serait l’incarnation de la France aux yeux du clergé
et non l’autorité civile qui l’a expulsée hors de la vie publique officielle. Le
texte est, si besoin était, une réaffirmation de l’alliance entre « le sabre et le
goupillon ».
L’Église se tient aux côtés des conscrits avec une messe qui leur est
dédiée. Le discours est toujours le même : le prêche du prêtre recommande
la religion du drapeau comme une chose sacrée qui conduit nécessairement
à Jésus-Christ. Le curé met aussi en garde « contre le fléau des casernes ».
La complicité avec l’armée se retrouve lors de la visite officielle de
l’escadre autrichienne à Alger 50 . Mgr Combes, archevêque d’Alger,
accompagné de ses vicaires généraux, est reçu avec beaucoup d’égards,
nous rapporte la presse, par l’amiral Von Ziegler. C’est le même esprit qui
domine dans les propos tenus pour soutenir les soldats qui combattent dans
les confins oranais-marocains 51 . On n’hésite pas à rappeler que c’est le
mélange des vertus militaires et de la foi chrétienne qui a permis la
conquête de l’Algérie 52 . De plus, en Algérie, la France se confond avec
l’armée, ce qui laisse supposer qu’elle se confond indirectement avec la
religion. C’est une manière détournée de rappeler le patriotisme de l’Église
catholique dans la colonie. Ainsi, porter atteinte à la religion c’est
indirectement offenser la patrie.
Dans les rapports entre l’Église et l’armée, une ligne générale peut être
définie et résumée en un mot : la symbiose. Cette attitude est à rechercher
dans les origines de la conquête et dans les nécessités de l’implantation du
culte. Elle repose aussi sur de bonnes relations réciproques dont on trouve
les origines dans les positions adoptées par les plus hauts dignitaires
ecclésiastiques. Certes, celles-ci peuvent apparaître comme opportunistes,
dans certains cas, mais elles ont pourtant marqué de manière durable une
ère d’entente et de collaboration entre l’armée et l’Église. Les cérémonies
religieuses se veulent la quintessence d’un certain esprit colonial. L’Église
est d’une certaine façon l’un des lieux de la colonisation dans le sens où
peuvent s’y concentrer les piliers de l’ordre colonial. Si la loi de Séparation
n’a pas eu d’incidence majeure, hormis celles prescrites formellement par la
loi, cela est en partie dû à l’héritage historique de la conquête et à la
politique inaugurée au plus haut niveau de la hiérarchie tant religieuse que
militaire. Mais, c’est aussi une prise de position caractéristique d’une Église
coloniale. L’armée est la représentante de la France et constitue le lien
matériel avec la Mère-Patrie : elle est la gardienne du sol de la patrie et de
l’honneur national. D’autre part, au-delà de la dimension protectrice de la
force militaire, l’Église tient à maintenir et à démontrer la cohésion de toute
la France dans la colonie. Cette idée de faire bloc face aux indigènes et aux
étrangers, de ne pas montrer de failles, est un souci constant de l’Église
mais celui-ci est battu en brèche par d’autres considérations.
En effet, l’Église catholique entretient des rapports conflictuels avec les
juifs et les protestants, démontrant ainsi que le monde colonial ne
fonctionne pas sur le seul paradigme de l’opposition entre colonisateurs et
colonisés. Les lignes de partage sont plus complexes, comme le montrent
certains discours catholiques antisémites et antiprotestants.
L’Église et le refus de l’Autre : antijudaïsme,
antisémitisme et antiprotestantisme 53
Les années 1892-1895 voient en Algérie l’éclosion d’un malaise
général, dont les origines sont plus anciennes. Il s’exprime sous différentes
formes comme lors de la crise antijuive de 1898-1900 54 .
Pour Ageron :
« La crise connue sous le nom traditionnel de “crise antijuive”
fut en réalité une révolution manquée. Il y eut certes des émeutes
antijuives, mais l’hostilité contre la Métropole et le rêve d’une
Algérie indépendante expliquent la gravité des événements 55 . »
Ageron ne nie pas pour autant les préjugés antisémites au sein de la
population coloniale. L’hostilité envers les israélites remontait au décret
Crémieux 56 , mais elle prend d’autres connotations dans cette période.
Précisons que le décret de naturalisation ne concernait que les « indigènes
juifs » présents sur le territoire déjà conquis en 1871 57 . Concrètement, en
sont exclus les juifs du sud comme ceux du M’Zab, territoire qui ne devient
français qu’en 1882 et dont les habitants de religion juive n’obtiennent la
citoyenneté qu’à titre personnel. Ils restent ainsi soumis au statut
d’« indigènes israélites ». Si une écrasante majorité des israélites accède au
statut de citoyens français, leur nombre reste, au regard de l’ensemble de la
population non-musulmane, peu important. Il n’empêche, antijudaïsme et
antisémitisme se développent outre-Méditerranée chez les populations
européennes, même si les violences à l’encontre des juifs impliquent aussi
ponctuellement des musulmans.
Ainsi, l’antijudaïsme traditionnel des catholiques et l’antisémitisme
moderne se sont rejoints en Oranie dans les années 1890. Il apparaît que cet
antisémitisme a atteint toutes les sphères de la population et tous les
groupes politiques. L’apogée de ce mouvement se situe en 1898 lors des
élections législatives. Certes, l’Église oranaise ne joue pas de rôle en tant
qu’institution, mais elle se distingue alors par une position officielle de
silence. D’après Geneviève Dermendjian 58 , il n’y a eu ni rappel à l’ordre ni
sanctions via les organes officiels ou officieux de l’évêché. L’autorité civile
ne fit aucune pression auprès de l’évêque pour qu’il intervienne afin de
modérer certains de ses membres. Or, dans d’autres cas, le préfet n’hésite
pas à réfréner les attitudes politiques des ecclésiastiques. Tout laisse à
penser que l’antisémitisme a alors gagné de larges sections de la société
jusqu’aux plus hautes sphères de la colonie.
En cette fin de siècle, le clergé est en grande partie constitué de prêtres
d’origine espagnole imprégnés d’une forte tradition d’antijudaïsme
hispanique. Certains prêtres s’engagèrent dans l’antisémitisme militant avec
la création de L’ami du peuple oranais 59 . Cette publication se maintient
pendant deux ans, diffusant des articles d’une rare violence. L’évêché
n’interdit pas aux prêtres de participer à ce journal, pas plus qu’il ne le
condamne 60 . Par ailleurs, les ennemis des antisémites sont aussi ceux des
catholiques : la haine commune vouée aux francs-maçons contribue à
rapprocher les deux groupes. La plus grande partie du clergé évite de
s’engager ouvertement dans la bataille 61 . C’est pourquoi, si on excepte les
cléricaux de L’ami du peuple oranais, le clergé adopte une attitude réservée
en public. En privé, il se serait permis une plus grande licence dans le
vocabulaire et dans les attitudes. La sympathie du clergé oranais pour les
antijuifs perce au grand jour lors des élections municipales de 1901 :
« L’évêché laissa les prêtres et les séminaristes voter alors qu’une seule liste
antijuive se présentait et que le clergé ne remplissait guère jusque-là son
devoir électoral 62 . »
Cette action catholique est à nuancer car il existe peu de groupes
catholiques antijuifs se revendiquant comme tels. Mais n’oublions pas
qu’en Algérie tout le monde se proclame républicain et que rares sont les
« cléricaux » qui font exception. Toutefois, ils n’épousent pas toutes les
convictions républicaines quand ils en arborent la bannière. Il convient de
ne pas lutter de front sur un terrain tout acquis à la République. De plus,
certains républicains n’échappent pas aux tentations antisémites : être
républicain ou de gauche et antisémite n’est pas encore antinomique au
tournant du siècle. Quoi qu’il en soit, il est certain que des ecclésiastiques
catholiques ont indirectement et implicitement soutenu les candidats
antijuifs, car, contrairement aux autres, ils n’étaient ni francs-maçons ni
républicains. Des considérations extra-politiques ont manifestement guidé
ce choix. L’antijudaïsme traditionnel de l’Église existe aussi en Algérie,
mais les juifs y sont doublement stigmatisés, car considérés comme des
indigènes de confession israélite et des naturalisés 63 . Sur l’antijudaïsme se
greffe le mépris de cette société coloniale envers les indigènes d’Algérie,
quelle que soit leur religion. De cette rencontre naît un sentiment de rejet
renforcé par un antisémitisme affiché et un européocentrisme triomphant 64 .
L’attitude du clergé oranais ne peut être attribuée à l’ensemble du clergé
algérien, faute d’étude précise et compte tenu de la spécificité du personnel
ecclésiastique du diocèse d’Oran. Il faut préciser en effet que le clergé
oranais s’avère plus mobilisable et plus contestataire que le clergé des
autres diocèses : son tempérament frondeur et combatif ira en s’affirmant.
Si les tensions semblent se concentrer dans le diocèse d’Oran, cet état
d’esprit est relayé indirectement par la SRA.
Dans un article intitulé « Le budget des cultes », dont ni l’origine, ni
l’auteur n’est mentionné, la SRA du 9 mars 1902 livre à ses lecteurs une
vision catholique des autres cultes. Le caractère antisémite des propos se
manifeste à travers une présentation se voulant neutre. Il est ainsi rappelé
que les « petits rabbins » perçoivent chacun 2 100 francs contre 960 aux
curés et 450 aux vicaires. En revanche, on omet de préciser que les rabbins
ont charge de famille, contrairement aux ecclésiastiques catholiques. Dans
la même optique, est indiquée la somme allouée au séminaire rabbinique :
« L’unique séminaire israélite reçoit 22 000 francs. Tous les séminaires
catholiques reçoivent, ensemble, pas un seul centime (sic). »
L’antiprotestantisme se manifeste lui aussi dans le même article : « …
les pasteurs protestants reçoivent tous au moins 1 800 francs, soit deux fois
plus qu’un curé, quatre fois plus qu’un vicaire. » La somme allouée aux
deux séminaires protestants est aussi indiquée, 26 000 francs. Et de
poursuivre :
« Notons qu’à la Révolution, on prit et on vendit les biens du
clergé catholique, dont une Assemblée française s’est engagée à
payer l’intérêt. On n’a rien pris aux protestants ni aux juifs. »
Dans ces quelques lignes est résumée l’argumentation classique de la
pensée catholique antirévolutionnaire et hostile à l’idée de Séparation. La
référence historique aux biens spoliés a été tout au long du XIX e un leitmotiv
de cette droite catholique. Cette thèse est réactivée au moment de la
séparation de l’Église et de l’État. Il est intéressant de noter les raccourcis
historiques. Les protestants n’ont certes pas été « spoliés » par la
Révolution dans la mesure où ils n’avaient, depuis la révocation de l’édit de
Nantes par Louis XIV en 1685 aucune existence légale à l’exception de
l’Alsace récemment intégrée au royaume et où la présence protestante était
en nombre. Quant aux juifs, si la Révolution ne les a pas « spoliés », c’est
parce que, d’une part, il n’y avait rien à « spolier », et que, d’autre part, des
souverains précédents s’en étaient régulièrement chargés. Sans développer
une question très connue, terminons en rappelant que le statut de l’Église
catholique sous l’Ancien Régime en fait la religion du Royaume avec tous
les droits et devoirs y afférents : les révolutionnaires y ont vu un contrepouvoir
à abattre.
Les protestants sont cette même année 1902 les cibles de la SRA dans un
article du 13 avril vantant les mérites d’un « catéchisme antiprotestant ». Le
protestantisme est décrit non seulement comme opposé au catholicisme
mais aussi comme contraire à l’esprit et aux traditions françaises. C’est à
ces deux titres qu’il doit être combattu. Une fois de plus, le catholicisme est
patriotique donc français, alors que l’article indique que le protestantisme
est, lui, favorable aux idées allemandes et anglaises : « Fausse modération
et faux patriotisme sont les deux masques qu’il faut enlever aux protestants,
hommes de parti et sectaires déguisés. » Le contexte de parution est celui
des élections et les auteurs de l’article insistent sur ce fait. Le politique n’est
jamais absent de cette rhétorique dont le fondement reste religieux. C’est
pourquoi, la presse catholique ne manque pas de saluer les conversions en
provenance du protestantisme 65 . On le voit, nombre d’ecclésiastiques et de
fidèles catholiques éprouvent des difficultés à concevoir l’existence de
l’Autre. Par bien des aspects, leur comportement est en tout point similaire
à celui rencontré en métropole dans les mêmes milieux.
L’Église catholique constitue un pilier de l’ordre colonial qui se trouve
remis en question par le vote de la loi de Séparation des Églises et de l’État
du 9 décembre 1905.
Se séparer ?
LA LOI DU 9 DÉCEMBRE 1905 : DE PARIS À ALGER
Les discussions en France
Il est impossible de comprendre la loi de 1905 sans la replacer dans un
contexte plus large que celui de l’année 1905. Deux périodes peuvent être
repérées avec un tournant à la fin des années 1870. À la suite la défaite de
Sedan, en septembre 1870, la République est proclamée. À la différence des
deux Républiques précédentes, il n’est pas question de se doter d’une
constitution mais de lois constitutionnelles. La République est loin d’être
enracinée et il est de tradition de dater sa victoire de la défaite de Mac
Mahon en 1879 : majoritaires, les républicains peuvent alors imposer leur
politique.
Rappelons que l’Église catholique n’est pas républicaine : elle a dans un
premier temps soutenu l’Empire et reste proche des milieux monarchistes,
même si, vers la fin du siècle, le clergé séculier est plutôt favorable à la
République. Les tensions de l’État se concentrent autour des congrégations
car non contrôlées par l’État, avec les jésuites perçus comme une ingérence
de Rome. Les tensions se renforcent à la suite de l’affaire Dreyfus avec les
prises de positions antidreyfusardes de certains journaux catholiques
comme La Croix des assomptionnistes.
C’est pourquoi, l’Église apparaît aux yeux des républicains comme un
contre-pouvoir dont il convient de diminuer le potentiel de dangerosité. Par
ailleurs, les idéaux républicains sont porteurs d’une vision sécularisée de la
société qu’ils entendent imposer le moment venu. Jusqu’à la fin des
années 1870, tant que leur pouvoir n’est pas consolidé, il n’est pas question
de voter de nouvelles lois.
Toutefois, les idées républicaines sont connues. Ainsi, en
novembre 1876, des députés républicains demandent la suppression du
budget des cultes ; en mai 1877, Gambetta lance à la Chambre des députés :
« Le cléricalisme, voilà l’ennemi » et quelques mois à peine après l’élection
de Grévy comme président de la République, en juillet 1879, la première
proposition de loi tendant à l’abrogation du Concordat est déposée à la
Chambre. Elle est régulièrement suivie par d’autres propositions.
À partir des années 1880, les républicains peuvent appliquer leur
politique de laïcisation à travers toute une série de lois qui touchent
différentes sphères de la société comme l’enseignement ou encore la vie
privée avec la loi Naquet de 1884 rétablissant le divorce.
Précisons que les républicains ont des positions différentes envers
l’Église. Il est possible de distinguer entre ceux qui souhaitent la contrôler,
donc les concordataires, et les partisans de la Séparation, radicaux et
socialistes, longtemps minoritaires. Parmi les séparatistes, les divisions sont
aussi perceptibles entre les libéraux « sincères » qui voient dans la
séparation la possibilité pour l’Église de disposer d’une plus grande liberté
et les anticléricaux très militants.
Les élections de 1902 voient la victoire des radicaux avec l’arrivée de
Combes au pouvoir. Si ce dernier est un anticlérical notoire, il n’est pas
pour autant antireligieux : son ennemi, c’est l’Église catholique, non la
religion catholique. Le cabinet Combes se lance dans une application très
restrictive de la loi de 1901 et mène une politique anticongréganiste qui
aboutit à la loi de 1904. Les tensions avec Rome aboutissent à la rupture des
relations diplomatiques en juillet 1904. Combes, qui n’était pas un partisan
acharné de la Séparation, y vient peu à peu et en novembre 1904, son
gouvernement présente un projet de loi sur la Séparation qui suscite une
hostilité quasi générale. Son gouvernement chute en janvier 1905 et le
cabinet Rouvier se met en place.
On retiendra de cette rapide présentation, le très lourd contentieux entre
les républicains et l’Église, malgré le toast d’Alger de 1890 qui marque la
reconnaissance par l’institution de la République. Deux visions de la société
s’opposent et c’est la vision républicaine sécularisée qui l’emporte. La loi
votée en 1905 s’inscrit dans une réflexion sur le long terme avec les très
nombreux projets ou propositions de loi qui la précèdent. On retiendra aussi
que ce n’est pas le texte de Combes qui est retenu mais celui de Briand,
plus consensuel : déjà à l’époque, les divergences existent et sont fortes
autour de la manière d’envisager la Séparation. La pluralité des sensibilités
perdure et n’est pas appelée à disparaître.
En février 1905, un projet de loi du Gouvernement est présenté au nom
d’Émile Loubet, président de la République, par Rouvier président du
Conseil, et par d’autres ministres. C’est Aristide Briand ministre des cultes
qui est chargé de rédiger le projet de loi. La loi est votée le 9 décembre
1905, publiée au JO du 11 décembre 1905.
Si la loi est bien reçue par les protestants et les juifs, la situation est plus
complexe chez les catholiques. Après le vote de la loi, des divisions
apparaissent chez les catholiques pris dans la tourmente des inventaires : il
y a ceux qui demandent à rester passifs et ceux qui résistent ; la majorité du
clergé paroissial, ainsi que les archevêques, désapprouvent les résistances
aux inventaires. Mais, dans cette crise, l’encyclique Vehementer nos de
février 1906 est reçue comme une invitation à la résistance. Dans certaines
régions, l’armée et la gendarmerie doivent intervenir pour assurer le
déroulement des inventaires. Les cas les plus fréquents relèvent de la
résistance passive, voire de brèves bagarres. Mais, dans certaines régions,
plutôt rurales, la violence est au rendez-vous comme en Haute-Loire, en
Lozère, en Vendée…
Les premiers morts sont à déplorer en mars 1906 et entraînent la chute
du ministère Rouvier, et la nomination du ministère Sarrien avec
Clémenceau à l’Intérieur et Briand aux cultes. Le 20 mars 1906, une
circulaire conseille la suspension des opérations d’inventaire en cas de
résistance. En fait, la réalité des inventaires est celle de tensions très
localisées et d’un grand désintérêt des populations, comme l’attestent les
rapports de police de fin mars 1906.
En mai 1906, de nouvelles élections confirment la victoire de la gauche
avec une augmentation du nombre de sièges interprétée comme
l’approbation de la politique de Séparation. En juin 1906, l’Assemblée de
l’épiscopat français décide d’approuver Vehementer nos et donc de
condamner le principe de Séparation tout en appelant au modus vivendi et à
la nécessité de fonder des associations canoniques légales. In fine, la
majorité de l’Assemblée invite le pape à accepter la Séparation : c’est la
victoire des modérés sur les intransigeants.
La réaction de Rome est celle du refus, rendu public dans Gravissimo
officii d’août 1906. Devant la confirmation du refus romain, le
Gouvernement ne pouvait ni engager une épreuve de force, ni reculer et
perdre la face : Briand a donc imaginé de compléter la loi. Comme la loi de
1905 interdit formellement la formation pour l’exercice du culte
d’associations régies par la loi de 1901, il faut donc la modifier de manière
à placer le culte catholique dans le droit commun. L’exercice du culte
devient donc possible dans le cadre de la loi de 1901. Une nouvelle loi est
donc votée : celle du 2 janvier 1907, soit un an à peine après le vote de la
loi de Séparation.
En l’absence d’associations, les églises resteront ouvertes aux fidèles et
aux ministres du culte qui voudront y pratiquer leur religion ; ils occuperont
l’édifice sans titre juridique tant qu’ils ne se seront pas conformés aux
prescriptions légales. Cette loi est mal reçue par Pie X qui considère qu’elle
aggrave la loi du 9 décembre 1905. On aboutit à la situation d’un clergé
sans titre juridique et à la loi du 28 mars 1907 qui dispose qu’il n’y a pas
d’obligation de déclarer la messe comme réunion publique. La situation se
stabilise à la veille de la Première Guerre mondiale et un autre chapitre
s’ouvre après la Grande Guerre.
Mais, la France du début du XX e siècle ne se résume pas à l’hexagone et
l’article 43 a prévu l’application de la loi « à l’Algérie et aux colonies »
sous forme de décret rendu par les gouverneurs généraux.
Les réalités algériennes
En effet, malgré quelques tentatives infructueuses à l’Assemblée
nationale et au Sénat, la loi est rendue applicable à l’ensemble des
possessions coloniales : le débat national l’a emporté sur les considérations
coloniales. D’aucuns ont bien plaidé pour ne pas appliquer une loi conçue
pour la métropole et présentée comme inappropriée pour les colonies, rien
n’y a fait. Pour ce qui est de l’Algérie, il faut savoir que ni le clergé ni les
populations catholiques ne se sont manifestés au moment des débats en
métropole. Le clergé ne se sent pas vraiment concerné par une querelle qui
lui échappe : il entretient de bonnes relations avec les autorités politiques, il
doit son installation à l’État et partage avec lui certains éléments du projet
colonial. Les catholiques, dans leur écrasante majorité, ne saisissent pas
tous les tenants et les aboutissants de ces discussions. La situation est donc
calme en Algérie où personne ne songe réellement à voir la loi réellement
appliquée, pas même les autorités. Pourtant, un décret est bien rédigé en vue
de rendre la loi applicable en Algérie. Toutefois, certaines difficultés sont
soulevées : que faire du culte musulman ? Comment maintenir un clergé
français ?
La situation faite au culte musulman dans l’Algérie coloniale, avant la
Séparation, s’apparente au régime concordataire sans en avoir tous les
avantages. En résumé, l’État a fait entrer dans le domaine les biens habous,
qui sont, rappelons-le, des biens mobiliers et immobiliers de fondations
pieuses à destination de la bienfaisance. L’une des finalités des habous était
le financement des édifices religieux et des desservants. C’est pourquoi
l’État s’est engagé en contrepartie à prendre en charge ces besoins repérés
comme relevant du culte. Mais avant de le financer, il fallait inventer le
culte musulman qui n’existait pas.
De quoi s’agit-il ? L’État colonial a organisé un culte musulman en
Algérie c’est-à-dire qu’il a créé des fonctionnaires de Dieu qu’il a
rémunérés et des établissements du culte qu’il s’est engagé à entretenir. Il a
fait comme pour les autres cultes : il a nommé des ministres du culte, les a
subventionnés et a assuré l’entretien des édifices du culte. Or, dans les
sociétés musulmanes, le pouvoir politique ne se préoccupe pas de nommer
les imans ni d’entretenir les lieux de culte. En d’autres termes, il n’y a pas
d’ingérence du politique dans le religieux : les domaines de compétence
sont clairement définis, la distinction entre le politique et le religieux est au
XIX e une donnée pluriséculaire des sociétés musulmanes. Le culte musulman
est donc inventé en Algérie, mais à la différence des autres cultes, l’État
refuse de le doter d’un interlocuteur officiel, bref de créer une sorte de
Consistoire musulman, même si des projets ont été conçus par
l’administration coloniale mais n’ont pas été retenus. On aboutit à la
situation d’un culte incomplet dans la mesure où aucune autorité n’existe.
En revanche, le personnel du culte musulman est nommé et rémunéré par
l’État, donc contrôlé par l’État : que faire si la Séparation est appliquée ? Le
risque aux yeux des autorités coloniales est de ne plus avoir de droit de
regard sur l’islam en qui il voit une menace pour la sécurité de la colonie.
Pour ce qui est du culte catholique, l’inquiétude est double. Les
autorités redoutent d’une part que l’Église fasse appel à des prêtres
étrangers et d’autre part, que, faute de financement, elle ne s’affaiblisse.
Dans les deux cas, l’Église catholique, perçue comme favorable à la
domination française, risque d’être en difficulté : la conséquence serait un
affaiblissement de la France. Comme il n’est pas question en situation
coloniale de renoncer aux prérogatives du contrôle des cultes, les autorités
politiques d’Alger rédigent un décret qui entend concilier impératifs laïcs et
coloniaux.
Le décret du 27 septembre 1907 affirme respecter la loi, mais dans les
faits, la mise en place des indemnités de fonction, c’est-à-dire le
financement de certains ministres du culte, assure la poursuite du modèle
concordataire. Pour ce qui concerne les musulmans, des cultuelles sont
créées, mais elles sont sous le contrôle des préfets qui continuent à nommer
les agents du culte 66 . Les inventaires, terminés en 1909, se sont déroulés
dans l’indifférence générale, le clergé ayant appelé au calme et l’écrasante
majorité des fidèles étant dans l’incapacité de saisir les tenants et
aboutissants de la loi.
De son côté, le clergé décide de « faire contre mauvaise fortune bon
cœur ». Le défi pour l’Église algérienne est double : rester fidèle à Rome et
assurer sa survie dans une situation coloniale particulière. Or, sa survie
passe par l’obligation de trouver de l’argent pour parer à la disparition des
traitements. Rappelons que l’Église en Algérie n’est pas installée sur un
terreau de vieux christianisme et que les fidèles sont loin d’être
suffisamment riches pour pourvoir à l’entretien de leurs églises et de leurs
prêtres. Comme en France, les évêques instituent une nouvelle œuvre, celle
du denier du culte.
Les messages de présentation du denier du culte sont une occasion
officielle pour vilipender la loi. L’évêque de Constantine, M gr Gazaniol,
comme à son habitude, privilégie une démarche plus générale pour,
probablement, ne pas heurter les autorités locales 67 . Mgr Cantel, évêque
d’Oran, n’hésite pas à se placer sur le terrain algérien en optant pour une
argumentation incisive en prise avec les réalités de la colonie 68 . Au-delà de
ces considérations rhétoriques, le denier du culte est organisé de la même
manière dans tous les diocèses sur le modèle métropolitain et
conformément à l’esprit des instructions pontificales 69 . Le denier du culte
n’est pas une nouvelle œuvre, il ne doit donc pas dispenser des offrandes
destinées aux autres œuvres ainsi que des quêtes faites aux offices. Chaque
curé est chargé de son organisation au niveau paroissial : lui ou des
collecteurs, nommés par lui, visitent à domicile les fidèles et récoltent les
dons en nature ou en numéraire. L’intégralité des sommes est envoyée à
l’évêché, qui centralise aussi les indemnités de fonction envoyées par leurs
bénéficiaires, puis s’assure de la répartition entre tous les membres du
personnel ecclésiastique. Cette organisation traduit la volonté de ne pas
exercer de contraintes directes sur les fidèles, tout en assurant, aux
participants à cette œuvre, plus de faste à l’occasion d’un mariage, d’un
enterrement, etc. Par ailleurs, les ecclésiastiques contrôlent l’ensemble du
processus, rappelant ainsi les prérogatives canoniques qui sont les leurs. En
centralisant toutes les sommes – celles des indemnités et celles de l’œuvre –
l’évêque entend bien rappeler qu’il est le seul chef et administrateur du
diocèse. La solidarité est placée au cœur du dispositif et évite que le prêtre
ne soit à la merci de ses paroissiens.
Si les premières années de fonctionnement de l’œuvre s’avèrent
difficiles, notamment parce que les paroissiens des prêtres bénéficiaires des
indemnités de fonction n’en comprennent pas la finalité, à partir de 1918,
elle entre dans une phase de prospérité 70 . La vitalité de l’Église est attestée
par l’inauguration de la cathédrale d’Oran en février 1913. Les travaux ont
été financés par des quêtes métropolitaines mais aussi par des offrandes
diocésaines qui n’ont été acceptées que lorsque les fidèles s’étaient
acquittés du denier du culte.
Les questions de recrutement se posent aussi avec une certaine acuité,
mais sans pour autant mettre en péril l’Église. En effet, l’État veille. Il
prolonge, pour la première fois en 1917, les indemnités temporaires prévues
pour dix ans, puis régulièrement pendant toute la durée de la colonisation.
Après la guerre, la politique de construction des édifices religieux
catholiques est reprise. Ces décisions des autorités politiques sont à mettre
en relation avec la qualité des relations entretenues avec les autorités
catholiques. Ces dernières, loin d’user de la liberté d’expression que leur
accorde la loi de Séparation, restent dans une position de réserve analogue à
celle observée sous le Concordat. Les indemnités de fonction ne peuvent à
elles seules expliquer cette attitude : le clergé algérien reste un clergé
colonial donc d’esprit concordataire. Il ne peut pas imaginer des rapports
tendus avec les autorités publiques, car il partage un idéal commun : celui
de servir la France.
Toutefois, le tableau ne serait pas complet si l’on ne traitait pas de la
première guerre scolaire qui a secoué la colonie pendant cette période.
RÉPLIQUER ? EN GUERRE CONTRE L’ENSEIGNEMENT LAÏC
L’archevêque d’Alger, Mgr Oury, tout comme les évêques d’Oran et de
Constantine, ne s’expriment sur la loi de Séparation qu’à partir de
janvier 1908, soit au moment où le décret du 27 septembre 1907 devient
effectif. Les prélats sortent alors de leur réserve pour condamner une loi
qu’ils estiment injuste pour l’Église algérienne qui a toujours été fidèle à la
France. Ils entendent également résister plus vigoureusement aux lois sur
les congrégations religieuses.
Les congrégations religieuses
L’Algérie est pourvue, comme tout diocèse métropolitain, de
nombreuses congrégations religieuses contemplatives, mais aussi
hospitalières et enseignantes. Religieux et religieuses sont à la tête de
nombreux établissements. Or, les lois anticongréganistes de 1901-1904
interdisent aussi leur présence sur le territoire. La loi sur les congrégations a
été appliquée sauf pour la société des missionnaires d’Afrique qui obtient
une dérogation. Toutes les autres congrégations doivent donc quitter le
territoire algérien. L’archevêque d’Alger, dans une lettre à un conseiller
général, donne son sentiment sur la question qui fait suite à leur rencontre 71 .
Oury exprime ses regrets face au vote du conseiller général à l’une des
séances de l’assemblée départementale relative aux congrégations. Vote
motivé par le fait que les congrégations ne produisent rien. N’ayant pas pu
lui répondre de vive voix, Oury lui écrit. Il reprend les uns après les autres
les arguments généralement invoqués pour justifier la politique
anticongréganiste. Le prélat le félicite de ne pas avoir eu recours à des
arguments tels que le péril que moines et moniales font courir à la
République, le milliard des congrégations, etc. En revanche, il entend
démontrer que le monde des couvents et des monastères n’est pas peuplé
d’oisifs, bien au contraire… Et d’égrener alors les prix agricoles, les écoles,
les hôpitaux, les asiles, etc. Quant aux ordres contemplatifs, ils doivent au
moins subvenir à leurs besoins, ce qui exclut, là aussi, toute oisiveté. De
plus, il lui rappelle qu’il est un « intellectuel » et qu’au regard d’un ouvrier,
il doit lui aussi apparaître bien oisif. Puis, Oury s’étonne que l’on ne
s’insurge pas davantage contre les hommes et les femmes qui ne travaillent
pas. Il se lance aussi dans un long développement sur la liberté :
« Pour toutes ces raisons nos congrégations méritent l’estime et
la bienveillance de ceux que n’aveuglent pas l’ignorance et la
passion. Vous en tomberez d’accord, j’en suis sûr et je ne doute
pas davantage que, mieux informé, vous ne vous déclariez
partisan de leur liberté, puisque la seule raison qui vous en
rendait l’adversaire était qu’elles ne produisaient ni effort ni
travail. »
Le ton oscille entre l’ironie et l’amabilité, tout en laissant clairement
entendre les sentiments de l’archevêque. Toutefois, ni ce courrier ni
personne ne peuvent différer l’application de la loi. Les départs se sont donc
échelonnés jusqu’à la veille de la Première Guerre. Des cas de religieux non
sécularisés ont été déférés en justice et des écoles privées ont été fondées.
La présence des congrégations religieuses est attestée depuis les
premières années de l’installation française en Algérie. La première
congrégation est celle des religieuses de Saint-Joseph-de-l’Apparition,
arrivées en août 1834 avec à leur tête leur supérieure, la mère de Vialar et
reparties après leur conflit avec Dupuch dès 1842. Puis arrivent d’autres
congrégations : les religieuses trinitaires en 1840, les Sœurs de la doctrine
chrétienne de Nancy en 1841, les Dames du Sacré-Cœur de Bordeaux en
1842, les Filles de la charité la même année, les lazaristes en 1843, les
jésuites à la fin des années 1840, les ursulines en 1846, etc. Pour
l’installation et le développement des trappistes de Staouëli, on renverra à la
thèse de Bernard Delpal 72 . Sans qu’il soit ici question de traiter de l’histoire
de ces congrégations, l’application de la loi anticongréganiste est l’occasion
d’en dresser une liste rapide et d’en présenter brièvement un historique pour
celles installées dans le diocèse d’Alger.
Une présentation chronologique de leur départ permet d’en suivre les
péripéties. Dans la SRA du 17 mai 1903, il est question de la « Chapelle de
l’Amirauté 73 . – Les Pères Basiliens et les Petits-Frères de Marie ».
Notification a été faite aux pères basiliens de Blida, et aux petits frères de
Marie de Boufarick, l’Agha, Maison-Carrée, Mustapha-Inférieur, Hussein-
Dey, Orléansville, Cherchell, Marengo, Tizi-Ouzou de fermer leurs
établissements le 25 juillet 1903.
Ensuite, vient le tour des sœurs l’hôpital militaire du Dey auxquelles
Oury, depuis la France, ne manque pas de rendre hommage dans la SRA du
14 août 1904 74 . Ce dernier rappelle leur dévouement :
« … ces femmes admirables qui ont été si utiles à l’armée
d’Afrique pendant 60 ans, que le Gouvernement a tenu à les
récompenser toutes en attachant sur la poitrine de leur
Supérieure, la croix de la Légion d’Honneur. »
Explicitement, il rappelle le lien entre l’Église et l’armée, mais aussi
l’ancienneté de leur présence pour mieux souligner qu’elles ont, elles aussi,
participé à la conquête et à la construction du pays. La mention de la légion
d’honneur est là pour souligner, si besoin était, leur patriotisme et, de
manière tacite, l’absurdité de leur expulsion. Indirectement, l’archevêque
pointe le doigt sur le décalage entre un discours qui en fait des ennemis de
l’intérieur et une réalité qui prouve leur patriotisme. Il souligne en d’autres
termes le paradoxe de la situation et sa profonde injustice.
Les départs se poursuivent en cette année 1904 avec les lazaristes qui
quittent le grand séminaire, comme l’indique une lettre de Oury écrite
depuis la France 75 . Le prélat y livre un rapide historique de leur
implantation en Algérie. Leur installation s’est faite à la demande de
Dupuch en 1842 avec, d’après le texte, l’accord du maréchal Soult. Il est
ensuite question de leur installation dans une maison du séminaire qui
comptait alors 8 séminaristes. Puis en 1848, Cavaignac concède à Pavy un
terrain à Kouba. Oury termine en évoquant les supérieurs de Kouba et les
professeurs.
Les congrégations enseignantes ne sont pas les seules à être concernées
par la loi car les trappistes doivent aussi partir. C’est à travers une lettre
rédigée cette fois à Alger qu’Oury rend compte de ce départ 76 . Les
trappistes se sont installés en Algérie le 20 août 1843, le premier prieur fut
dom François-Régis. 1845 est l’année de la consécration par Dupuch de
l’église de Notre-Dame de la Trappe. L’évêque d’Alger fit alors un discours
vantant les mérites des moines :
« Ces campagnes, écrivait-il, aujourd’hui si belles et si riches,
étaient infécondes et désolées. Vous eussiez dit un manteau
d’épines et de ronces qui les recouvraient au loin, une figure
expressive de la barbarie de leurs séculaires habitants. »
La ferme de Staouëli est devenue un modèle pour les autres « et c’est là
que pendant quarante ans au moins le colon est allé apprendre les
meilleures méthodes de culture… » Les actions charitables des moines sont
rappelées : 150 personnes par jour nourries « au temps de la prospérité »,
participation à toutes les œuvres de l’Église : aide aux écoles, aux églises,
aux séminaires, aux hôpitaux, etc. Le message est identique : les religieux
ont contribué au développement de la colonie et à la gloire de France.
C’est en 1906 que les mesures sur les congrégations enseignantes se
précisent. En juillet 1906 est annoncée dans la SRA du 8 juillet la fermeture
de treize écoles congréganistes qui doit intervenir pour le 1 er octobre. La
liste des établissements pour le diocèse d’Alger est fournie : les frères des
écoles chrétiennes de Blida, les sœurs de Saint-Joseph (de Saint-Jean-de-
Maurienne en Savoie) à Bordj-Ménaïel, les sœurs de Saint-Joseph des Vans
à Médéa, Bouïra, Zeralda (école de filles), les sœurs de la doctrine
chrétienne de Nancy à Dellys, Miliana, Oued-el-Alleug, Douéra (école de
filles), les sœurs missionnaires de Notre-Dame d’Afrique de Kouba, Carnot,
les sœurs de Notre-Dame-de-la-Merci (d’Aix) à Saint-Eugène (école de
filles). On apprend que ces écoles sont ouvertes depuis soixante, quarante,
vingt ans. L’auteur de l’article se livre à un violent réquisitoire contre la
fermeture des écoles congréganistes. Il puise ses arguments dans les
préceptes de la Déclaration des Droits de l’homme et du Citoyen qui stipule
que « nul ne sera inquiété pour ses opinions mêmes religieuses ».
Néanmoins,
« …le 8 septembre 1900, le Grand Convent maçonnique a émis
le vœu que le droit d’enseigner fût retiré aux congréganistes. Ce
vœu était un ordre : le 7 juin 1904, une loi supprimant
l’enseignement congréganiste était votée. »
Une fois de plus, le responsable clairement désigné est la francmaçonnerie.
Un mince espoir apparaît en 1907 quand la fermeture annoncée pour le
1 er septembre 77 est suspendue 78 :
« … M. le Ministre de l’Instruction publique a bien voulu
surseoir à l’exécution du décret qui ordonnait la fermeture au
1 er septembre prochain au Pensionnat du Sacré-Cœur de
Mustapha ; La rentrée est donc prévue pour le 2 octobre. »
Il s’agit d’un pensionnat de religieuses. Le répit est de courte durée, car,
en 1909, la fermeture est définitive 79 :
« L’Algérie n’a pas été plus épargnée que la France et nous
avons aujourd’hui à saluer de tous nos regrets la fermeture du
Sacré-Cœur et la disparition de ses religieuses. C’était la
dernière maison du Sacré-Cœur existant encore sur le territoire
français. »
Les religieuses étaient arrivées en 1842.
En 1910, le décret ministériel du 16 juin 80 programme pour le
1 er septembre la fermeture de l’école des frères des écoles chrétiennes de la
rue de Bône à Alger. La date de l’installation des frères à Alger, en
décembre 1853, est indiquée pour bien rappeler l’ancienneté de leur
présence. La SRA du 7 août 1910 retrace l’histoire sur le sol algérien de ceux
qu’elle présente comme les « victimes de la persécution maçonnique ».
Arrivés en décembre 1853, ils ouvrent leur première école, rue Salluste à
Alger, en février 1854 et ont entre 80 et 100 élèves puis 400 ; quelques mois
plus tard, c’est l’ouverture des écoles annexes de Bab-Azoun et de Bab-el-
Oued, avec un effectif de 500 élèves. En février 1856, le conseil municipal
d’Alger vote un traitement pour quatre frères : deux pour Mustapha-
Supérieur et deux pour Mustapha-Inférieur. La même année, deux frères
sont appelés à la maîtrise de la cathédrale. En 1860, l’école Saint-Augustin
ouvre ses portes, et en 1864 c’est au tour de la maîtrise de la Casbah.
L’école libre de la cité Bugeaud est inaugurée en 1867, année de la famine,
et s’oriente vers la prise en charge, par les frères, de 510 orphelins.
L’année 1870 est celle du déménagement de la rue Salluste à la rue de
l’Intendance, où, depuis 1857, se tenait un cours pour adultes fréquenté par
200 élèves. Ils obtiennent une subvention par le conseil municipal.
L’année 1910 voit aussi le départ des sœurs de la doctrine chrétienne de
Boufarick 81 ainsi que la fermeture de la maison des sœurs de Saint-Vincentde-Paul
d’Orléansville : leur école avait été fermée par arrêté ministériel en
1909 82 . Elles reçoivent l’ordre de se disperser en 1912 83 . Elles s’occupaient,
entre autres, du fourneau économique et distribuaient 200 portions par jour :
« Le Conseil Général avait reconnu le fourneau économique
d’Orléansville d’utilité publique en lui accordant en
octobre 1911, 300 fr. de subvention. »
Il est rappelé qu’elles étaient les seules institutrices jusqu’en 1884.
Les derniers départs sont mentionnés en 1913. Ils font suite au décret
sur la fermeture totale au 1 er octobre 1913 de deux établissements, l’un
appartenant aux sœurs de la doctrine chrétienne et l’autre aux religieuses
trinitaires. Leurs pensionnats avaient été fermés en 1910, mais elles avaient
pu conserver leur maternelle. L’établissement des sœurs de la doctrine
chrétienne servait de maison de retraite aux sœurs âgées ou infirmes. « Elles
s’étaient réfugiées là, au nombre d’une quarantaine, après la fermeture de
nombreuses maisons qu’elles possédaient en Algérie. » L’article insiste sur
le fait que les religieuses espèrent ne voir fermer que les maternelles et ne
pas être expulsées de leur maison. Le décret de fermeture a été pris par le
préfet et le gouverneur général en qui elles mettent tous leurs espoirs pour
qu’ils en atténuent la portée 84 .
Parallèlement aux départs des religieux, l’Algérie a aussi connu des
affaires de congréganistes sécularisés 85 . L’affaire a été portée devant le
tribunal correctionnel d’Alger. Sont concernés les petits frères de Marie
sécularisés de Boufarick, l’Agha, Maison-Carrée, Mustapha-Inférieur,
Hussein-Dey, mais seuls ceux de Mustapha-Inférieur, Hussein-Dey se sont
présentés :
« Étaient également cités, comme complices, pour avoir prêté
aux prévenus les locaux servant d’écoles, M. l’abbé Laffitte,
curé de Saint-Bonnaventure, M. l’abbé Viala, curé de Boufarick
et M. l’abbé Géniès, curé d’Hussein-Dey, qui répondent à l’appel
de leur nom. »
Rappelons que la loi sur les associations de 1901 stipule que nul n’est
admis à diriger un établissement d’enseignement, ni à y donner
l’enseignement, s’il appartient à une congrégation non autorisée. L’enjeu est
donc de prouver qu’ils ne sont pas sécularisés. La défense s’appuie sur un
dossier composé de pièces qui, sur le plan formel, démontre la
sécularisation comme le fait de s’être fait relever de leurs vœux et
l’abandon de la vie commune, etc. Laffitte explique qu’il les a recrutés
comme instituteurs, car ils avaient les diplômes requis et qu’aucune autorité
compétente, Académie, préfecture et parquet, au courant de l’ouverture de
l’école, n’avait alors manifesté d’opposition. Il s’agit là d’une défense basée
sur un cas d’école avec preuves extérieures de la renonciation à l’état de
religieux et principe de non-interdiction d’ouverture d’école. Il revient au
Parquet de démonter l’existence de preuves contradictoires sur la
continuation de l’état de religieux. Il n’est pas possible de connaître l’issue
de l’affaire car la SRA reste muette sur le sujet.
Si, avant la Séparation, l’Église algérienne ne s’engage pas davantage
dans la querelle scolaire, à partir de 1908 elle s’organise en vue de la
création d’écoles privées. La SRA en donne la liste et en fait la publicité. La
SRA du 22 novembre 1908 annonce la réouverture du pensionnat de
l’Immaculée-Conception de Blida dont les religieuses de la doctrine
chrétienne ont dû abandonner la direction par suite d’un arrêté ministériel
de fermeture le 24 novembre 1908 sous la direction d’un personnel
enseignant laïque chrétien :
« Le pensionnat de l’Immaculée-Conception est installé au
milieu d’une orangeraie, dans un vaste édifice construit pour
cette destination, selon les meilleures règles de salubrité et
d’hygiène. »
À l’étude de la religion, dispensée dans cet établissement, s’adjoignent
toutes les matières de l’enseignement primaire : langue française, littérature,
arithmétique, dessin linéaire, tenue des livres, histoire, géographie, sciences
physiques et naturelles, économie domestique et hygiène. Des
enseignements facultatifs sont prévus : peinture, musique, chant,
gymnastique, langues étrangères. L’objectif est clairement affiché : faire des
femmes d’intérieur formées à tous les travaux manuels qu’exige la bonne
tenue d’une maison. C’est pourquoi, une part considérable du temps est
consacrée à la couture, tricot, broderie etc.
La mobilisation se poursuit en 1909 avec des appels à candidature :
« On demande plusieurs institutrices libres catholiques, de
préférence munies du brevet supérieur. Conditions avantageuses.
S’adresser à M. le Curé de Blida ou à M elle
pensionnat de l’Immaculée Conception 86 … ».
la Directrice du
Les fondations d’écoles continuent avec l’ouverture à Blida d’un
établissement secondaire libre pour jeunes gens : l’école Lavigerie. Cette
initiative revient à Piquemal et à l’abbé Gille, dont il est précisé qu’il est
licencié ès sciences 87 . La même année ont lieu deux autres inaugurations 88 .
Un établissement scolaire de garçons dans la rue de Bône est placé sous le
patronage de Bollon et la direction confiée à l’abbé Gille qui reçoit le
concours de prêtres dont il est dit que l’un d’entre eux est licencié ès lettres.
Cette institution recevra des pensionnaires, des demi-pensionnaires et des
externes. Un second établissement, pour filles cette fois-ci, est programmé à
Alger. Si son nom est connu, Sainte-Geneviève, aucune indication n’est
fournie sur l’organisation ou sur le nom de la personne qui doit recevoir les
inscriptions. Les informations parviennent dans la SRA du 28 septembre
1913 qui donne toute une série de renseignements : la rentrée de l’école
Lavigerie est annoncée pour le 30 septembre, il s’agit d’une institution
dirigée par les prêtres du diocèse ; l’ouverture de l’école Sainte-Geneviève
est prévue pour le 1 er octobre. La date de la rentrée est fixée au 1 er octobre
pour l’école de la rue Horace Vernet qui est une école primaire dirigée par
une laïque ; la rentrée est annoncée pour le pensionnat-externat Jeanned’Arc
d’El-Biar.
Les écoles continuent leur recrutement en 1914. On apprend que le
pensionnat de l’Immaculée Conception de Blida, école libre de jeunes filles,
recherche : un professeur de mathématiques et de sciences pour un cours
préparatoire au brevet, une directrice d’école maternelle pourvue du brevet
élémentaire et âgée de plus de 21 ans et une institutrice pour classe
élémentaire 89 . Et alors que la guerre a commencé, une nouvelle école est
annoncée pour la rentrée 90 .
Comme on peut le constater, les catholiques algériens ont su se
mobiliser et réagir face à la nouvelle situation engendrée par la loi de
Séparation. La chronologie des fondations d’écoles est intéressante dans la
mesure où elle renforce l’idée que rien n’a été réellement entrepris avant
qu’il ne devienne certain que la loi serait appliquée aux départements
algériens. Par ailleurs, les écoles ne sont fondées que dans les villes. Les
années 1908-1909 sont à plus d’un titre un tournant dans la question
scolaire en Algérie.
Quand la rébellion gagne la colonie
Avec la publication de la lettre pastorale des cardinaux et archevêques
de France, sur les droits et les devoirs des parents relativement à l’école,
s’ouvre en Algérie la première « guerre scolaire 91 ». Les prémices de cette
« révolte » sont perceptibles dans la SRO du 28 février 1908. Un père de
famille s’y plaint de « la prétendue neutralité de l’instruction publique » et
la SRO se fait l’écho de ces « légitimes doléances ». Malheureusement, pour
l’année 1909, la SRO n’est pas communicable. La SRA, dans son ensemble,
est plus mesurée que celle d’Oran. Elle ne mentionne, pour cette querelle
scolaire, que les faits qui se sont passés en France, se contentant de
reproduire des articles parus dans Les semaines religieuses. Il convient de
signaler que, dans les archives se rapportant au département de Constantine,
aucun document concernant ce sujet n’a été trouvé ; seule la documentation
sur l’Oranie est disponible. Or, dans ce diocèse, il semble que les velléités
ecclésiastiques aient été plus vives que dans le reste du territoire de fait de
la présence du vicaire général Bouissière. C’est pourquoi il serait abusif
d’étendre au reste de l’Algérie les positions du clergé oranais pendant la
guerre scolaire. Toutefois, des dispositions identiques, sur certains points et
avec des conséquences de moindre ampleur, sont prises dans les autres
diocèses.
Pour la première fois, les évêques d’Algérie s’associent à la contestation
sur l’école laïque et lui donnent des suites. L’autonomie implicite du clergé,
générée par la loi de Séparation, est compensée par un renforcement de la
direction ecclésiastique 92 . La spécificité de l’Église algérienne, du moins
dans ses rapports avec l’autorité civile, serait-elle vouée à disparaître en
conséquence d’un alignement sur les positions métropolitaines ? Ainsi, une
lettre pastorale commune entend réagir à deux projets de loi sur
l’enseignement et l’éducation, qui, selon les prélats, portent atteinte à
l’autorité des pères et des mères de famille. Sont rappelés, conformément à
la doctrine de l’Église, les droits et les devoirs des parents au sujet de
l’école. La lettre insiste sur la nécessité de choisir une école où les enfants
puissent être élevés comme leurs croyances le réclament. Ces
considérations ont pour l’Algérie une double implication dans la mesure où
les petits musulmans peuvent, en théorie, aller à l’école coranique, mais
dans l’optique de cette pastorale, qui s’adresse à tous les catholiques des
départements français, il est peu probable que le rapprochement ait été fait.
Cela n’exclut pas pour autant qu’il ait pu être présent dans l’esprit de
certains ecclésiastiques en Algérie.
En l’absence de ce type d’écoles préconisées par les prélats, il est
recommandé de veiller au contenu des enseignements dispensés par
l’instituteur. L’objectif est d’éviter toute « perversion morale » des enfants
qui les conduirait à « la damnation éternelle 93 ». Les prélats critiquent aussi
la « prétendue neutralité » des écoles publiques où, soit par les livres, soit
par l’enseignement oral, les instituteurs outragent la foi de leurs élèves. Il
est déploré que les sanctions prévues par la loi du 16 mars 1882, sur
l’initiative de Jules Ferry, ne soient guère appliquées. Les parents sont donc
conviés à exercer une grande surveillance par le biais des associations de
pères de famille. La lettre se termine par une liste d’ouvrages d’auteurs laïcs
à proscrire sous peine de sanctions ecclésiastiques, car « il faut obéir à Dieu
plutôt qu’aux hommes 94 ». L’Église d’Oranie se plie, sûrement de bonne
grâce, aux instructions de France. Dans les autres diocèses, il est plausible
de penser que seule la lecture de la lettre pastorale et l’affichage des livres
proscrits ont été effectués. La situation est tout autre dans le diocèse d’Oran.
Dans un rapport de la sûreté générale du 30 novembre 1909, un
historique de la lutte, conforme aux instructions de l’évêque, est dressé à
l’attention du gouverneur général 95 . Pour le commissaire central d’Oran,
l’origine de cette offensive est à rechercher dans la loi de Séparation et dans
l’expulsion des salésiens 96 . Cette explication est plus que probable dans la
mesure où, avant l’application de la loi, aucun trouble de cette nature
n’avait eu lieu. Le commissaire date le début des hostilités du 9 octobre
1909 avec la publication dans la SRO de la lettre pastorale de M gr Cantel.
Conformément aux instructions du prélat, la lettre a été lue en chaire le
1 er dimanche d’octobre dans toutes les églises paroissiales d’Oranie.
L’évêque a adressé la liste des livres interdits à tous les desservants des
paroisses afin qu’elle soit affichée à l’intérieur de toutes les églises du
département. L’évêché utilise comme courroie de transmission la SRO, Le
franc parleur, les patronages, les sacristies et les églises 97 . Ainsi, toute une
série d’articles paraissent dans la SRO. Le 2 septembre 1909, on dénonce la
rentrée dans une des écoles primaires d’Oran qui a reçu le nom de
« Voltaire ». Un article du 16 septembre 1909, sur « l’autodafé de Mers el-
Kébir », exalte l’acte commis.
À la date du 13 octobre 1909, est relatée l’histoire d’un jeune écolier qui
ne veut plus entendre parler de religion depuis qu’il fréquente ladite école
« Voltaire ». Il semble que, par son seul nom, cette école déclenche les
foudres de l’Église. Dans un article du 20 octobre 1909, le procès intenté
par les instituteurs de France aux évêques et archevêques en raison de leur
lettre collective sur la « perversité » de l’enseignement scolaire est dénoncé.
Quant au journal Le franc parleur, dans un supplément du 3 septembre
1909, qui fut, selon le commissaire général, distribué à profusion à Oran, il
s’élève contre la décision du conseil municipal de donner le nom de
« Voltaire » à la nouvelle école. Cette école a été créée pour recevoir les
élèves du quartier où étaient installés les frères de la doctrine chrétienne,
fermée à la suite d’un arrêté ministériel de juin 1909. Dans ce même
numéro est dénoncé un instituteur de Sédimar qui n’aurait pas respecté la
neutralité scolaire. C’est dans son numéro du 7 octobre 1909 que ce journal
déclare ouvertement « la guerre à l’école publique », préconise de ne pas
céder et de détruire les livres condamnés 98 .
Les patronages, au nombre de cinq sur Oran, participent aussi
activement à cette campagne. Pour le commissaire général :
« la propagande contre l’école et l’enseignement laïque s’y fait
journellement et ouvertement plus active et plus violente encore
que dans la presse bien-pensante de la ville ».
Les curés incitent à brûler les livres, l’association des pères de famille,
même si elle ne rassemble que peu de membres, est active.
Quel fut l’impact de cette campagne ? Un rapport de l’inspecteur de
l’Académie d’Oran au préfet, daté du 8 novembre 1909, donne une idée
approximative des résultats de l’offensive 99 . On y apprend qu’à Mers el-
Kébir, à la suite des instructions données en chaire par le curé, quarante
élèves sur les cinquante de la 2 e classe de l’école des filles n’ont pas acheté
ou ont détruit le livre d’histoire de France de Gauthier et Deschamps. Il est
précisé que ces élèves suivent le catéchisme et que, face aux observations
de la directrice, les mères de famille ont décrété que le curé avait dit de le
faire. Toutefois, aucun problème n’est survenu dans la classe des grandes,
qui, précise l’inspecteur, ne vont pas au catéchisme : manière indirecte de
reporter la responsabilité sur le prêtre. Il n’y a pas eu de problème dans la
classe des petites qui n’ont pas encore de livre d’histoire. Le curé de la ville
serait soutenu par le maire. D’après le rapport, le but recherché serait
d’ouvrir une école libre à la suite des désertions de l’école publique. Les
religieuses, dont la congrégation a été dissoute en 1907, sont restées et
reçoivent des élèves pour donner des cours de catéchisme, de couture et
pour corriger les devoirs. Soutenues par l’abbé de la paroisse Saint-André
de Mers el-Kébir, la rumeur leur prête le dessein de prendre l’habit laïque et
de rouvrir leur école. Cependant, ce n’est qu’à Mers el-Kébir que les
injonctions du curé ont été mises à exécution. Ni à Proudhon, ni à Mascara,
Perrégaux, Trois-Marabouts, Renault où le curé avait pourtant menacé de
refuser l’accomplissement des devoirs religieux, les élèves n’ont souscrit
aux positions défendues par leur prêtre 100 .
À Oran, le vicaire de la paroisse Saint-Louis ayant recommandé aux
enfants suivant le catéchisme de détruire les livres interdits, cinq garçons se
sont exécutés. La population de ce quartier est en grande majorité étrangère
et « subit l’influence » du clergé qui, pour partie, est d’origine espagnole
comme les habitants. Mais, pour le directeur de l’école, si les parents sont
menacés de voir leurs enfants renvoyés de l’école, ils préféreraient renoncer
à suivre les conseils donnés à l’église. Cette population est besogneuse et
manque d’argent. Elle préfère envoyer ses enfants à l’école publique, qui
est gratuite, contrairement à l’école privée, si minime soit la rétribution. Il
apparaît que le projet et l’action du clergé sont un échec, même dans les
endroits où celui-ci était susceptible d’être écouté et suivi par les familles.
En réponse à cette campagne, certains instituteurs, comme ceux de
Mascara, ont adressé une plainte au procureur de la République de
Mascara 101 . Pourtant, l’inspecteur de l’Académie, dans une lettre datée du
25 octobre 1909 adressée à l’inspecteur primaire, prône l’apaisement 102 . Il
annonce qu’il a envoyé un rapport au ministre et qu’il attend les directives
pour agir. Il demande donc aux maîtres de faire appel au bon sens et à
l’affection des enfants pour les empêcher de détruire les livres. La pression
augmente quand Cantel annonce officiellement à l’inspecteur de
l’Académie que l’association des pères de famille a l’intention d’attaquer
devant les tribunaux les instituteurs qui excluront les enfants des classes en
se basant sur leur refus d’apporter le livre d’histoire à l’école. Quant au
gouverneur général, dans une lettre du 17 novembre 1909 au préfet d’Oran,
il manifeste son intention de porter cette affaire à la connaissance du
président du Conseil et réclame le maximum de renseignements 103 .
Cette campagne est un véritable coup de tonnerre dans le ciel limpide de
l’Algérie. Les autorités civiles sont prises de court et sont désarmées.
Pourquoi tant de virulence et sur un temps aussi bref 104 ? L’interdiction
porte sur des livres de morale et cela s’explique aisément. Conformément
aux préceptes de l’Église, la morale ne peut en aucune façon être d’essence
laïque, toute morale ne peut découler que du christianisme, sous peine de ne
pas être une morale authentique. Quant au choix des livres d’histoire, leur
enjeu idéologique n’est plus à prouver. Ces livres, fidèles à l’esprit laïque,
doivent occulter certaines actions de l’Église et en mettre d’autres, peu
glorieuses, en avant. Mais alors pourquoi, contrairement à son homologue
métropolitain, le clergé algérien n’a-t-il pas dénoncé l’enseignement
laïque ? Pourquoi ne se manifeste-t-il sur ce sujet que par une flambée sans
lendemain ? Est-ce un signal qu’il envoie en direction des autorités 105 ?
De toute évidence, l’enjeu de la question scolaire n’est pas central en
Algérie pour le clergé séculier. Une fois de plus, l’opposition sur un sujet
très sensible en métropole n’a eu que des répercussions atténuées en
Algérie, du moins jusqu’en 1909. Le consensus continue de primer. Il faut
attribuer, dans ce cas précis, à la séparation la levée de boucliers de certains
membres du clergé. Néanmoins, la lecture de la SRA sur l’année 1909 ne
laisse pas apparaître que cette question a été centrale dans le diocèse
d’Alger. Il n’est nulle part fait mention de prédications de prêtres relatives à
la question, d’autodafé… l’hypothèse selon laquelle la lutte cléricale aurait
comme origine la loi de Séparation n’est donc pas entièrement satisfaisante.
D’autres paramètres sont à prendre en considération.
Tout d’abord, l’Oranie, peuplée majoritairement d’Espagnols, est un
terrain plus sensible aux revendications cléricales. Le clergé a tenu compte
de son potentiel d’influence et a adopté une attitude plus agressive que dans
l’Algérois 106 . Le clergé oranais, au vu de documents de sources différentes,
est plus combatif que ceux du Constantinois ou de l’Algérois. Ce trait de
caractère est aussi à imputer à la présence dans ses rangs d’un homme qui
ne manquera pas de faire parler de lui en devenant évêque de Constantine :
le vicaire général Bouissière. Nous l’avons vu, ses positions restent isolées
et s’éteignent avec sa disparition.
Conclusion
Dans son travail sur les évêques concordataires, J.-O. Boudon a montré
que ces derniers constituent un rouage essentiel de la société civile d’où
l’importance de recruter des prélats qui ne soient pas des hommes de partis
afin de préserver la nécessaire concorde entre l’État et l’Église 107 . Pour
l’Algérie, cela demeure d’actualité en dehors de cette période et surtout
après, est-on tenté d’écrire. Le maintien du clergé français catholique en
Algérie passe par une entente nécessaire avec l’autorité civile. La papauté
en a eu conscience en ne nommant que des ecclésiastiques conciliants issus
de la tradition Lavigerie, exception faite de Bouissière, paradoxalement
soutenu par Combes 108 . Avec la nomination de ce dernier à la tête des deux
archevêchés, un certain « modèle » Lavigerie est de retour. La nomination
de Combes comme archevêque de Carthage renforce sa position par rapport
au gouvernement français à la suite des accords de 1893 sur le siège de
Carthage 109 . Il est aussi désigné pour sa neutralité affichée vis-à-vis du
gouvernement. Le Vatican, conscient de la faiblesse du catholicisme en
Algérie, veut prévenir d’éventuelles tensions. Quant au gouvernement
français, lors de la reprise des relations diplomatiques avec le Saint-Siège,
son choix d’ambassadeur s’est porté sur Jonnart. Dans cette décision, la
politique conciliante de l’ancien gouverneur général d’Algérie, en matière
religieuse, dans la colonie, a dû forcément être prise en compte.
La spécificité algérienne dans le domaine religieux est donc manifeste.
Le clergé reste d’esprit concordataire dans le sens où, pour sa très grande
majorité, il évite tout conflit avec l’autorité. Les deux institutions sont en
effet convaincues de leurs intérêts réciproques. Il ne faut pas occulter que
les indemnités de fonction constituent une sorte d’appel comme d’abus 110
théorique et moral qui exerce une pression certaine sur le clergé. Toutefois,
au-delà de ces considérations matérielles, il apparaît clairement que le
clergé, dans son ensemble, croit réellement en la vertu de l’association avec
l’État dans les colonies. Cette différence avec le clergé métropolitain est
voulue et s’affiche symboliquement par le port de la barbe. Les clercs ne
cessent de revendiquer leur différence tout en ayant présent à l’esprit qu’ils
appartiennent à une communauté plus vaste, mais plurielle. C’est pourquoi
il convient de considérer la « guerre scolaire » comme un épiphénomène,
œuvre d’un homme qui n’a pas attendu la séparation pour attaquer la
République. Cette querelle n’a eu d’impact que dans de rares centres
populeux, le reste du diocèse n’y fut guère sensible. C’est toujours
Bouissière qui, à la tête de son diocèse entre 1913 et 1916, anime une
guerre ouverte contre les institutions. Cependant, comme sa guerre
antirépublicaine, son état d’esprit ne lui survit pas. Le clergé algérien est et
demeure, malgré la loi, un clergé d’esprit concordataire, conscient de sa
situation en terre coloniale et de la nature de son apostolat lié au prestige de
la France. Sa collaboration pendant la guerre et son calme lui valent la
prolongation des indemnités de fonction et surtout le retour à la bonne
entente avec l’autorité civile. La parenthèse Bouissière fermée et le retour à
la paix marquent le renouveau d’une ère de cordialité qui reste l’idéal de la
colonie.
1. S. AOULI, R. REDJALA, P. ZOUMMEROFF, Abd-el-Kader, Paris, Fayard, 1994.
2. J. FRÉMEAUX, Les bureaux arabes dans l’Algérie de la conquête, Paris, Denoël, 1993.
3. J. FRÉMEAUX, L’Afrique à l’ombre des épées. Des établissements côtiers aux confins
sahariens, 1830-1930,
(vol. 1), Paris, Service historique de l’armée de terre, 1993, p. 10-15 ; 18-30.
4. CH.-R. AGERON, Histoire de l’Algérie contemporaine, Paris, PUF, 9 e éd. 1990, 1 re éd. 1964,
p. 22 ; B. DURAND, « Originalité et exemplarité de la justice en Algérie (de la conquête à la
Seconde Guerre mondiale) », dans La justice en Algérie, 1830-1962, Paris, La documentation
française, 2005, p. 45-74, p. 47 sq.
5. Se reporter à J. FRÉMEAUX, L’Afrique à l’ombre des épées…, op. cit., vol. 1, p. 34-46.
6. Ch.-R. AGERON, Histoire de l’Algérie contemporaine, t. II, De l’insurrection de 1971 au
déclenchement de la guerre de libération (1954), Paris, PUF, p. 45-48.
7. Ibid., p. 47.
8. Ch.-R. AGERON, Histoire de l’Algérie contemporaine, op. cit., p. 46.
9. J. FRÉMEAUX, L’Afrique à l’ombre des épées. Officiers administrateurs et troupes coloniales,
1830-1930, vol. 2, Paris, Service historique de l’armée de terre, 1995.
10. P. M. E. LORCIN, Kabyles, Arabes, Français : identités coloniales, Limoges, Presse
universitaire de Limoges, 2005, traduit de l’anglais par L. Thommeret.
11. Les analyses de Lorcin sont à nuancer car elle a, pour l’essentiel, travaillé sur des sources
imprimées et les archives présentent une vision bien plus complexe. Dans le chapitre III, la
construction du mythe est présentée ainsi que d’autres discours sur les populations kabyles.
12. Pour la gestion des biens habous, désignés sous l’appellation de waqf-s au Machrek, voir
chapitre III.
13. Derrière ce terme de culte, les Français ont retenu, pour l’essentiel, la rétribution de certains
personnels religieux alors que la réalité était autre sous la Régence. Par exemple, les biens
habous servaient aussi à assurer un appoint financier aux personnes chargées de l’instruction
« élémentaire », mais avaient aussi bien d’autres fonctions.
14. C. PRUDHOMME, Missions chrétiennes et colonisation XVI e -XX e siècles, Paris, Cerf, 2004.
15. Rappelons qu’un concordat est un traité de droit international qui organise les relations entre
un État et le Saint-Siège.
16. A. PONS, La nouvelle Église d’Afrique…, op. cit., p. 32, avance le chiffre de 15 ;
F. COMBALUZIER, « L’Algérie catholique 1830-1930 cent ans d’histoire religieuse dans l’Algérie
française », dans P. LESOURD (s. d.), L’année missionnaire 1931, Paris, Desclée de Brouwer,
1931, p. 375-395, p. 381, donne le chiffre de 27.
17. A. BUSSIÈRE, « Le maréchal Bugeaud et la colonisation de l’Algérie. Souvenirs et récits de
la vie coloniale en Algérie », La Revue des Deux Mondes, 1 er novembre 1853, dans Tocqueville
sur l’Algérie, présentation par Seloua Luste Boulbina, Paris, Flammarion, 2003, p. 347 : « À
Saint-Ferdinand, le colonel Marengo et son gendre, M. Capone, ont construit pour l’usage de
leur famille et pour celui des habitants, une chapelle… », (note 1, p. 303 : Auguste Bussière
avait accompagné Tocqueville lors de son second voyage).
18. Tocqueville sur l’Algérie, op. cit., p. 25 : « En 1831, cinquante familles de Bade, de Bavière
et du Wurtemberg avaient déjà été détournées de leur destination première [leur intention était
de se rendre au Brésil] et installées à Delly Brahim, un camp retranché – devenu ensuite camp
agricole – crée par le général Berthézène. C’est là que fut édifiée la première église coloniale. »
19. CAOM, P1 Oran.
20. CAOM, B3 306.
21. CAOM, 1U6.
22. CAOM, 1U5, des irrégularités sont signalées à plusieurs reprises par les assemblées
départementales et communales. Elles peuvent aussi faire l’objet d’une circulaire préfectorale
comme celle du 7 février 1880, numéro 2186.
23. F. COMBALUZIER, « L’Algérie catholique 1830-1930… », art. cit., p. 381.
24. Ibid., en 1868, il y a 187 paroisses dans le diocèse.
25. A. PAVY, Mémoire à consulter sur la création des évêchés d’Oran et de Constantine, Alger,
Bastide, 2 e éd., 1864.
26. Se reporter à la magistrale biographie de F. RENAULT, Le cardinal Lavigerie…, op. cit.
27. F. COMBALUSIER, « L’Algérie catholique 1830-1930… », art. cit., note 2, p. 377.
28. Ibid.
29. Voir l’article de G. Vasco paru dans les Questions Actuelles du 21 mars au 31 mai 1908, sur
le recensement de l’Algérie de 1906. Le chiffre total de la population ne comprend pas les
64 655 israélites. Pour la répartition par département, toute la population non musulmane est
comptabilisée, sans prendre en compte les 10 976 Européens du Sud.
30. P. FOURNIER, « Le clergé d’Algérie… », art. cit.
31. F. COMBALUZIER, « L’Algérie catholique 1830-1930… », art. cit., p. 380.
32. CAOM, 1U25.
33. AN F195610.
34. Ibid.
Précisons que Dusserre, évêque de Constantine de 1880 à 1893, puis archevêque d’Alger entre
1893 et 1897 est un ancien zouave.
35. F. COMBALUZIER, « L’Algérie catholique 1830-1930… », art. cit., p. 378.
36. P. FOURNIER, « La faillite de M gr Dupuch… », art. cit.
Il est toujours possible de se référer à l’ouvrage de M. HARDY, Antoine-Adolphe Dupuch,
premier évêque d’Alger (1838-1846), un pionnier de la mission à l’épreuve du politique, Paris,
Hora Decima, 2006. Il s’agit davantage d’une hagiographie que d’une biographie répondant aux
normes de la méthode historique, mais certains éléments factuels peuvent être retenus.
37. P. FOURNIER, « Jacques Suchet… », art. cit.
38. P. FOURNIER, « La faillite de Mgr Dupuch… », art. cit.
Pour l’histoire de l’œuvre de la propagation de la foi, se reporter à R. DREVET, Laïques de
France et missions catholiques au XIX e siècle : l’œuvre de la propagation de la foi, origines et
développements lyonnais (1822-1922), thèse de doctorat d’histoire de l’université Lyon 2, 2001,
sous la direction de Cl. Prudhomme.
39. P. FOURNIER, « La faillite de Mgr Dupuch… », art. cit.
40. Ibid.
41. Ibid.
42. CAOM, 2 U18.
43. J. FRÉMEAUX, L’Afrique à l’ombre des épées…, op. cit., vol. 2, p. 158.
A. CLAYTON, Histoire de l’armée française en Afrique 1830-1962, Paris, Albin Michel, 1994,
551 p. (trad. de l’anglais par P. Gaujac). Il s’agit d’un ouvrage dans la pure tradition de
l’« histoire bataille » sans réelle analyse. Toutefois, il demeure un outil utile sur les données
factuelles même si certaines restent à manipuler avec précaution.
44. A. CLAYTON, Histoire de l’armée française…, op. cit., p. 246.
45. Ibid., p. 246-247. Pour une analyse de la symbolique du costume, se reporter à J. FRÉMEAUX,
L’Afrique à l’ombre des épées…, op. cit., vol. 2, p. 257 sq.
46. A. CLAYTON, Histoire de l’armée française…, op. cit., p. 247.
47. Ibid., p. 253.
48. La réalité historique est autre.
49. SRA du 3 janvier 1909 ; mais aussi dans la SRA du 15 décembre 1910, la SRA du 17 décembre
1911 : messe annuelle en l’église métropolitaine par le « Souvenir français », p. 804, présidence
de Mgr Combes ; SRA du 21 décembre 1913 : le comité de l’union des dames de France de Coléa
fait célébrer un service funèbre solennel pour le repos des âmes des soldats et marins morts au
service de la patrie. L’église est décorée pour l’occasion : les grandes tentures de deuil sur
lesquelles se détachent des écussons de la Croix Rouge. « On y remarquait la plupart des
habitants de notre localité, des officiers et de nombreux soldats qui y tiennent garnison. »
50. SRO, 25 avril 1908.
51. SRO, 2 mai 1908.
52. SRO, 10 octobre 1908.
53. Précisons que c’est la situation dans le diocèse d’Oran qui est pour l’essentiel développée
pour ce qui concerne l’antisémitisme, dans la mesure où les études sur les autres diocèses font
défaut. Cf. G. DERMENJIAN, La crise antijuive oranaise (1895-1905), l’antisémitisme dans
l’Algérie coloniale, Paris, L’Harmattan, 1986.
54. V. ASSAN, Les consistoires israélites d’Algérie au XIX e siècle, l’alliance de la civilisation et
de la religion, Paris, A. Colin, 2012, p. 348-368.
55. Ch.-R. AGERON, Histoire de l’Algérie contemporaine, op. cit., p. 53. C’est ainsi qu’il
explique que la flambée d’antisémitisme s’apaise avec le nouveau statut de 1900 qui confère à
l’Algérie la personnalité civile et un budget spécial. Pour un développement plus complet, voir
Ch.-R. AGERON, Histoire de l’Algérie contemporaine, t. II…, op. cit., p. 60-68 ; p. 68 : à la suite
de la révolte de Margueritte en avril 1901 (voir chapitre II), « Après cinq années de division
l’Union sacrée entre Européens d’Algérie allait se refaire face au “péril arabe”. L’opinion jugea
que les antijuifs n’avaient été finalement que de maladroits diviseurs : tous les députés antijuifs
furent balayés aux élections législatives d’avril 1902. »
56. Le sénatus-consulte du 14 juillet 1865 octroie la possibilité aux musulmans comme aux juifs
d’obtenir la citoyenneté. Cependant, ni les uns ni les autres ne se sont précipités pour la
demander : « C’est pour tourner l’abstention des Israélites que fut préparé un décret de
naturalisation collective : Émile Ollivier l’envoya au Conseil d’État. Crémieux ne fit que
promulguer le texte. », Ch. R. AGERON, Histoire de l’Algérie contemporaine, op. cit., note 1
p. 32. Le décret a aussi été signé par trois autres personnes : Gambetta, Glais-Bizoin et
Fourichon. Voir aussi Ch.-A. JULIEN, Histoire de l’Algérie contemporaine, t. I, La conquête et
les débuts de la colonisation (1827-1871), Paris, PUF, p. 467 : « Crémieux ne se faisait aucune
illusion sur l’esprit conservateur de ses coreligionnaires et la force de la résistance religieuse :
Ne leur dites pas : “Soyez Français si vous le voulez, car, volontairement, ils n’abandonneront
pas la loi de Dieu” ». C’est pourquoi il opte pour la contrainte légale.
57. Les juifs algériens présents sur le territoire avant 1871 deviennent donc des citoyens français
de confession israélite et par conséquent ne peuvent plus appliquer les règles inhérentes à leur
statut personnel comme la polygamie. Certaines familles, dont il reste difficile de déterminer
précisément le nombre mais qui n’ont pas dû être très nombreuses, optent, afin de ne pas
renoncer à leur statut personnel, pour le Maroc ou la Tunisie.
58. G. DERMENJIAN, La crise antijuive oranaise…, op. cit.
59. Ce journal était dirigé par l’abbé Sepulchre, dans G. DERMENJIAN, La crise antijuive
oranaise…, op. cit.
60. Ibid.
61. Ibid. ; toutefois un certain nombre d’entre eux était abonné à des journaux antisémites tel
que L’avenir d’Oran.
62. Ibid.
63. Les juifs algériens ne sont pas intégrés dans les documents administratifs dans le groupe des
citoyens français. L. BLÉVIS, « Une citoyenneté française contestée. Réflexion à partir d’un
incident antisémite en 1938 », dans La justice en Algérie 1830-1962, Paris, La documentation
française, 2005, p. 111-122, note 2, p. 112 : « Comme en témoigne leur catégorisation distincte
dans les recensements de 1872 à 1931, ainsi que l’a montré Kamel Kateb dans Européens,
“indigènes” et juifs en Algérie (1830-1962) », Paris, INED, 2001. Au recensement de 1931, les
juifs d’Algérie ont refusé de répondre à la question : « Êtes-vous israélite naturalisé par le décret
de 1870 ? », et ont répondu affirmativement à la question : « Êtes-vous français d’origine ? »
(Kateb, p. 192)
64. Quand l’antisémitisme légal a tout le loisir de s’exprimer avec le statut d’octobre 1940, il est
chaleureusement reçu par une grande partie de la population européenne d’Algérie. Le décret
Crémieux est aboli le 7 octobre 1940 par le ministre de l’Intérieur Peyrouton, ancien secrétaire
général du Gouvernement général à Alger, et le 11 est retiré aux juifs indigènes le droit de se
faire naturaliser.
65. SRA du 14 août 1904, à Miliana deux protestantes de 22 et 24 ans ont abjuré et ont été
baptisées le 30 juin. Leur première communion est annoncée pour le 3 juillet.
66. Se reporter à O. SAAIDIA, « L’invention du culte musulman dans l’Algérie coloniale au
XIX e siècle », dans L’Année du Maghreb, n o 14, 2016-I, p. 115-132 ; « Mosquées et
administration coloniale (1907-1910), l’impossible “séparation” ? », dans Défis démocratiques
et affirmation nationale Algérie, 1900-1962, textes réunis par A. BERERHI, N. KHADDA,
C. PHÉLINE, A. SPIQUEL, Chihab Éditions, Alger, 2016, p. 342-353.
67. Cf. sa lettre pastorale pour le carême de 1908, AOPM, Lyon G12.
68. Cf. sa lettre circulaire du 29 janvier 1908, CAOM, 1 U26.
69. AAA/12, une lettre confidentielle est adressée depuis Rome à l’archevêque d’Alger le
8 octobre 1907.
70. AOPM, Lyon G14.
71. AAA/118, lettre manuscrite de Oury à « Monsieur le conseiller général », le 30 avril 1901.
72. B. DELPAL, Le silence des moines…, op. cit.
73. Le 3 mai 1903, le ministère de la marine a ordonné la fermeture de la chapelle de l’amirauté
qui était desservie depuis quarante ans par le clergé de la cathédrale.
74. Lettre de Oury à Cornud à l’occasion du départ des sœurs, lettre datée du 30 juillet 1904 à
Crécey en Côte-d’Or.
75. SRA du 18 septembre 1904, lettre datée du 21 août 1904, Tours. Il peut sembler curieux qu’en
ces temps difficiles l’archevêque se trouve en France et non dans son diocèse à moins qu’il
n’espère éviter la loi de Séparation à l’Algérie ?
76. SRA du 27 novembre 1904, lettre datée du 13 novembre 1904.
77. SRA du 30 juin 1907.
78. SRA du 28 juillet 1907.
79. SRA du 29 août 1909.
80. SRAdu 31 octobre 1910.
81. SRA du 4 septembre 1910.
82. SRA du 1 er septembre 1910.
83. SRA du 1 er septembre 1912.
84. SRA du 13 juillet 1913.
SRA du 27 juillet 1913 : « Départ des religieuses de la doctrine chrétienne de Bône : hommage
public rendu par un radical le docteur Bulliod adjoint au maire de Bône en conseil municipal. »
85. SRA du 15 mai 1904.
86. SRA du 1 er août 1909.
87. SRA du 12 septembre 1909.
88. SRA du 11 septembre 1910.
89. SRA du 16 août 1914.
90. SRA du 27 septembre 1914 : « Une école chrétienne libre pour garçon s’ouvrira à la
prochaine rentrée d’octobre… » direction confiée à M. Seguin pourvu du brevet supérieur et du
baccalauréat de l’enseignement moderne. Enseignement primaire et préparation aux examens
des différentes administrations.
91. CAOM 1 U107.
En fait, dans un tout autre contexte, une première « guerre scolaire » avait secoué la colonie au
moment de la commune d’Alger, Y. TURIN, « La commune d’Alger et ses écoles en 1871. Un
problème de laïcité coloniale », il s’agit d’un tiré à part sur lequel ne sont indiqués ni le nom de
la revue ou de l’ouvrage d’où l’article est issu ni la date de parution.
92. Ce n’est qu’après la Première Guerre mondiale qu’est créée l’ACA, l’Assemblée des
archevêques et cardinaux de France.
93. Ce sont les mots utilisés dans la lettre pastorale.
94. Listes des ouvrages à proscrire : Calvet, Gauthier et Deschamps, Guiot et Mane, Rogie et
Despique, Devirat, Brossolette, Aulard et Debidour pour leurs ouvrages sur l’histoire de France.
Rogie et Despique, Aulard, Bayet, Payot pour leurs ouvrages de morale et d’instruction civique.
95. CAOM 1 U107.
96. Le 7 juin 1904, la commission du Sénat rejette la demande d’autorisation des salésiens.
Toutefois, ils ne quittent pas l’Algérie et se consacrent à l’œuvre de patronage, non illégale,
dans C. BEISSIÈRE, 50 ans d’apostolat salésien en Afrique du Nord 1891-1941, Paris, Tunis, éd.
SAPI, 1941.
97. CAOM 1 U107.
98. Le franc parleur est affilié à l’évêché.
99. CAOM 1 U107.
100. Pour être précise, il faut mentionner qu’à Perrégaux une élève a brûlé son livre. À Renault
deux élèves en ont fait autant ainsi qu’à Sédimar où 2 garçons sur 350 ont obéi au curé. CAOM
1 U107.
101. Ibid.
102. Ibid.
103. Ibid.
104. La brièveté du mouvement peut être attribuée à la peur de voir les indemnités de fonction
supprimées.
105. Le dernier document trouvé sur ce sujet date du 30 novembre 1909.
106. Nous ne pouvons rien dire sur le Constantinois car les archives sont muettes.
107. J.-O. BOUDON, L’épiscopat français à l’époque concordataire 1802-1905, Paris, Cerf,
1996.
108. Jubilé sacerdotal de S.G. M gr Combes Archevêque d’Alger et de Carthage 1864-1914,
Tunis, Imprimerie Borrel, 1914.
109. Une convention signée le 7 novembre 1893 par le Cardinal Rampolla, secrétaire d’État et
par l’ambassadeur Lefebvre de Behaine, représentant la République française auprès du Saint-
Siège, stipule que pendant toute la durée du protectorat de la France en Tunisie, l’archevêque de
Carthage serait Français et que le diocèse de Carthage sera détaché de la Congrégation de la
Propagande, mais qu’en échange, le gouvernement français versera une subvention annuelle de
75 000 F, on se reportera aux nombreux travaux de P. Soumille sur l’Église catholique en
Tunisie.
110. L’appel comme d’abus est un appel interjeté contre la sentence, l’acte ou l’écrit d’un
ecclésiastique dont le pouvoir séculier estime qu’il a excédé son pouvoir ou contrevenu aux lois
de l’État.
CHAPITRE 2
Être catholique
La dimension identitaire de la religion catholique est une réalité plus
manifeste en Algérie qu’ailleurs. Pour le clergé, tout comme pour les
autorités françaises et les populations en provenance de France, l’idéal est
de créer une autre France sur la rive sud de la Méditerranée. Certes, cette
autre France ne présente pas les mêmes caractéristiques pour tous.
Cependant, la présence militaire, les structures administratives, le cadre
politique, mais aussi l’Église participent de cette entreprise. Pour l’Église
catholique, le modèle de référence reste celui du Concordat pour ce qui
concerne l’infrastructure ecclésiale. Quant au contenu du message religieux,
il se veut en tout point conforme à celui de n’importe quel autre diocèse de
France.
C’est pourquoi un premier niveau d’analyse fait apparaître le transfert
du modèle français. En effet, le nouveau territoire est approprié par l’Église,
parfois au détriment des musulmans, et il est façonné pour être la réplique
du territoire religieux métropolitain : églises, chapelles, couvent,
séminaires, etc., s’inscrivent dans le paysage et rappellent un diocèse de
France. Le temps catholique avec ses célébrations journalières,
hebdomadaires et annuelles entend rythmer la vie des populations
européennes. Ainsi, tous les moments forts de l’année liturgique se
retrouvent en Algérie de Pâques à Noël, avec des solennités plus marquées
que d’autres. Comme en France métropolitaine, la piété mariale se loge au
cœur de la spiritualité catholique algérienne. À l’instar des autres
catholiques, les catholiques d’Algérie se rendent aussi en pèlerinage.
Certes, tous rêvent de se rendre à Lourdes, mais les pèlerinages algériens
leur sont plus facilement accessibles et ils les investissent avec la même
ardeur.
Le clergé se tient d’ailleurs aux côtés des fidèles dans les dévotions
collectives comme dans les pratiques familiales. Son attention oscille entre
le groupe et l’individu, les œuvres en sont une parfaite illustration. Dans ce
domaine, comme dans bien d’autres, aucune originalité n’est décelable car
les grandes œuvres qui existent en France se trouvent en Algérie. Elles sont
toutes motivées par le souci d’encadrer la société tout en se voulant proches
des ouailles. En fait, l’institution entend répondre aux besoins tant de l’élite
que de la masse des croyants. Il existe bien une Algérie catholique qui se
veut la réplique du modèle français de France.
Toutefois, un second niveau d’analyse permet de mieux saisir les
adaptations et les particularismes : s’agit-il d’un catholicisme européen en
terre d’islam ou d’un catholicisme algérien en terre française ? Même si par
définition les musulmans sont les grands absents de la vie religieuse
catholique, ils restent présents, sinon dans le paysage du moins dans les
esprits. Aussi, les musulmans conditionnent, à une certaine échelle, les
grandes orientations du catholicisme algérien qui ne présente pas un seul
visage, mais de multiples facettes.
Marquer son territoire :
la sacralisation du temps et de l’espace
UNE ANNÉE CATHOLIQUE ALGÉRIENNE
Comme en France ?
Une première approche de l’année liturgique ne laisse aucun doute :
nous serions en présence d’un christianisme de vieille chrétienté. Puis, à y
regarder de plus près, il semble qu’il s’agisse davantage d’une chrétienté
recomposée à partir d’éléments issus des quatre coins de la Méditerranée.
Syncrétisme, « sabir » ou nouvelles expressions du religieux, les
catholiques algériens ont mis en pratique un concept de la fin du XX e siècle,
celui de recomposition religieuse, mais en puisant dans des fonds
essentiellement catholiques, du moins en apparence. En effet, il est probable
qu’un certain nombre de croyances et de pratiques, non avouées, ont été
prises dans le judaïsme et dans l’islam, mais pour la période envisagée cela
reste encore difficile à établir avec certitude.
L’année catholique algérienne est donc rythmée par les grandes
célébrations catholiques et des événements ponctuels comme la prédication
d’une mission ou encore une fête de patronage. Jusqu’au mois de mai, le
calendrier religieux est relativement fluctuant. Se succèdent la fête de la
purification à Notre-Dame d’Afrique, la fête de Saint-François-de-Sales, le
dispositif pour le carême, la fête de Saint-Joseph (mars 1 ), la fête de
l’annonciation de Notre-Dame d’Afrique, la Semaine sainte, Pâques,
Pentecôte. Le mois de mai est par excellence le mois de Marie qui donne
lieu à de nombreux pèlerinages à Notre-Dame d’Afrique. En juin, la
procession du Très Saint-Sacrement, la Fête-Dieu, prend à Alger une
coloration particulière car la communauté italienne y est active. Le grand
moment de juillet reste, à Alger, la fête du Carmel de la Vallée des Consuls
qui se tient le 16 juillet. La dévotion mariale est à nouveau à l’ordre du jour
en août pour l’Assomption et en septembre pour la fête de la nativité de la
Très Sainte Vierge. Octobre est le mois du Rosaire. La Toussaint reste un
moment très fort pour les catholiques algériens 2 . Le cimetière est divisé en
plusieurs carrés : pour les enfants, les adultes et les soldats. Si les tombes
sont fleuries comme en France, des bougies sont aussi allumées aux quatre
coins de la tombe 3 . Alors que la loi du 14 novembre 1881 a abrogé
l’article 15 du décret du 23 prairial an XII, qui imposait aux communes
d’affecter une partie du cimetière ou de créer un cimetière spécialement
affecté à chaque culte, et interdit tout regroupement par confession sous la
forme d’une séparation matérielle du reste du cimetière, en Algérie les
cimetières restent confessionnels. Il existe des cimetières distincts pour les
juifs et pour les musulmans. En décembre, Marie est à nouveau célébrée le
huit, puis a lieu la fête de l’adoration perpétuelle et l’année religieuse
s’achève à Noël.
Tout au long de l’année se déroulent aussi des tournées de confirmation
et des missions prêchées par des missionnaires et par les curés. De même,
des stations quadragésimales ont lieu à la cathédrale plusieurs fois par an 4 .
L’Algérie catholique ne manque pas non plus de célébrer Jeanne d’Arc 5 ,
Jean-Baptiste de La Salle 6 , d’être en communion avec Rome, notamment
lors des décès pontificaux 7 , ou d’être ouverte aux catholiques du monde
entier à travers des messes lors d’événements dramatiques 8 ou encore de
récolter des fonds pour les œuvres pontificales missionnaires 9 .
Il serait bien fastidieux de décrire chacune de ces innombrables
cérémonies, dont les Semaines religieuses rendent compte avec moult
détails. Cependant, quelques-unes nécessitent que l’on s’y attarde afin de
mieux percevoir certaines des pratiques catholiques de la rive sud de la
Méditerranée. Commençons par le carême qui, contrairement à ce qu’on
pourrait penser, bien qu’en contexte musulman, n’est pas mis en parallèle
avec cet autre jeûne qu’est le ramadan.
Le temps de carême fait, comme en France, l’objet d’une préparation à
travers notamment les retraites qui sont prêchées différemment selon qu’il
s’agit des hommes ou des femmes. Les sermons pour la retraite des dames
de 1903 10 donnent un exemple des thématiques abordées : 1 er sermon : le
cœur chez la femme, 2 e sermon : la charité, 3 e sermon : l’épouse chrétienne,
4 e sermon : la vie chrétienne et surnaturelle ; comment doit-elle se
manifester ? Il reste difficile, à partir des seuls titres, de repérer les
spécificités algériennes. Elles ne sont d’ailleurs guère plus évidentes pour le
carême même s’il y a dans le diocèse une consommation courante de lait,
beurre et fromage, excepté le jour du vendredi saint 11 . On le voit, aucune
spécificité dans les pratiques ne semble distinguer la période de carême qui
est conçue comme le moment de préparation à Pâques.
Le temps pascal reste dans l’année liturgique un des moments forts pour
tous les catholiques, bien plus, en ce début de XX e siècle, que Noël. La
ségrégation des sexes est encore de rigueur : certaines pratiques ne se font
pas en commun. À Alger, les retraites sont ainsi prêchées séparément et les
messes de communion pascale ne sont pas communes aux hommes et aux
femmes 12 . En 1901, d’après la SRA du 14 avril, près de 1 200 femmes ont
suivi la retraite prêchée à la cathédrale par le P. Vigon ainsi que mille
hommes. Une prédication de six semaines avant la Semaine sainte a été
assurée par un prédicateur. Durant la Semaine sainte de cette même année,
des prières ont été ordonnées pour l’abolition de l’esclavage en Afrique.
Les thèmes des sermons abordés dans le cadre de la préparation pascale
ne présentent pas de spécificité : la charité dans les jugements, les paroles,
les actes, la tolérance à l’égard des différences et des défauts du prochain, la
nécessité d’apprivoiser son mauvais caractère ou de faire face à ceux qui en
ont un mauvais 13 . Des thèmes différents sont traités pour les femmes et les
jeunes filles : la vanité, son opposition avec les principales vertus
chrétiennes : l’humilité, la piété, la charité, la pureté 14 . Si le temps pascal
est pour les catholiques algériens un moment fort dans l’année liturgique,
les mois de Marie connaissent aussi un succès certains.
Les mois de Marie : le triomphe du culte marial
Certes, la piété mariale s’exprime surtout à l’occasion de pèlerinages,
mais elle est réactivée tout au long de l’année avec un premier rendez-vous
en mai qui apparaît comme le mois de Marie par excellence. Des exercices
sont prévus en fonction des heures et des églises :
« Exercices du mois de Marie. – Tous les jours de la semaine,
pendant la messe à 7 h 1/2
: récitation de trois dizaines de
chapelet ; chant d’un cantique à la Sainte Vierge. Après la
messe : lecture du mois de Marie, salut et bénédiction du
T. S. Sacrement. – Le dimanche après les vêpres : chant des
litanies de la Sainte Vierge ; prédication ou lecture ; salut et
bénédiction du T. S. Sacrement 15 . »
Les processions constituent une des étapes indispensables. Elles se
déroulent à Alger autour de la basilique au son des cantiques et de la fanfare
des élèves du petit séminaire 16 . Dans d’autres villes, les processions
peuvent se dérouler à l’intérieur de l’église comme c’est le cas à Isserville
en 1903 :
« Portée par quatre jeunes filles en blanc, Marie allait répandant
ses grâces… ; … entourée de douze petites filles tenant des lis à
la main et précédée de quatre autres jetant des fleurs sur son
passage 17 . »
Les religieux ne sont pas en reste puisque les missionnaires d’Afrique,
les pères comme les sœurs, profitent de ce mois de mai pour se rendre,
comme d’autres, en pèlerinage 18 . L’affluence est telle, si l’on en croit la
presse catholique 19 , qu’en 1909 une heure avant la cérémonie une centaine
de personnes est obligée de rester dehors. La figure mariale unit et réunit les
différentes composantes des colons européens. Si le mois de mai est le
moment marial par excellence, la fête de l’immaculée conception
rencontrerait aussi un certain écho 20 . Quant au Rosaire, il se trouve comme
partout ailleurs en Europe au cœur des pratiques.
La dévotion mariale se développe fortement au XIX e siècle parmi les
fidèles grâce à la récitation individuelle ou collective du chapelet, promu
déjà au XII e siècle par saint Bernard. Cet objet constitué de cinq séries de
grains, chaque série étant suivie d’un grain séparé, sert de support à la
prière du Rosaire. Adressée à la Vierge, elle consiste en la récitation de cinq
dizaines de Je vous salue Marie, chaque dizaine étant précédée d’un Notre
Père. La prière complète du Rosaire suppose de réciter trois chapelets,
soit 150 Je vous salue Marie, en méditant successivement sur les grands
moments de la vie du Christ ou mystères regroupés en mystères joyeux,
douloureux, glorieux. En outre, la fête de Notre-Dame du Rosaire a été
instituée après le concile de Trente et fixée au 7 octobre, elle a donné
naissance à un deuxième mois de Marie, après le mois de mai, durant lequel
on favorise la récitation du Rosaire. La lyonnaise Pauline Jaricot (1799-
1862) contribue à populariser cette forme de dévotion en lançant une
association appelée le Rosaire vivant qui aurait regroupé au milieu du
XIX e siècle plus de deux millions de fidèles en France et diffuse une
abondante littérature. Cette réalité spirituelle se retrouve pour partie chez
les fidèles d’Algérie comme l’attestent les articles publiés dans la « bonne
presse » :
« “La fête du Très Saint Rosaire à Notre-Dame d’Afrique” :
Notre beau pays de France s’est toujours montré si dévot à
Marie, qu’on a pu écrire cette touchante parole : “Le royaume de
France est le royaume de Marie. La terre algérienne partage avec
la Mère-Patrie ce doux et glorieux privilège 21 .” »
Les auteurs de l’article rappellent que des pèlerinages s’y déroulent
toute l’année. De plus, la Vierge invoquée est une Vierge noire, qualifiée de
Bonne Mère. Les pèlerins arrivent chapelet à la main. Ce dernier reste
l’objet pieux par excellence dont la diffusion s’est accélérée au XIX e siècle
avec l’industrialisation. Spiritualité populaire et individuelle, il est
recommandé de réciter le Rosaire en tout temps et en tout lieu.
Les mêmes scènes sont reproduites dans le diocèse d’Oran où le père
Ollivier entend démonter lors d’une conférence qui a duré une heure trente :
« que le Rosaire, loin d’être une dévotion à la portée des enfants
et des femmes, est une question bien plus haute, qui renferme en
elle la solution du grand problème de la question sociale qui
s’agite aujourd’hui. Pauvreté, travail et souffrances… Toutes ces
leçons se trouvent renfermées dans la question du Rosaire 22 . »
On pourrait multiplier les exemples autour de la pratique du Rosaire 23 .
La place des Italiens au cœur de la dévotion mariale est une fois de plus
réaffirmée, dans la mesure où les membres de la confrérie du saint
sacrement, confrérie italienne, ont chargé sur leurs épaules une statue de la
Vierge et ont conduit la procession autour de la basilique en 1908 24 . Dans le
même numéro, il est précisé qu’octobre est le mois de l’Ave mais aussi un
nouveau mois de Marie : le mois de Marie d’automne.
La grande dévotion mariale ne doit pas occulter que des vols et des
profanations d’églises pouvaient avoir lieu comme ce fut le cas en 1902 à
Sidi Bel-Abbès 25 et en 1904 à Santa Cruz 26 , mais ces agissements restent
marginaux en Algérie : la mère du Christ est l’objet d’un culte sans pareil, à
l’exception peut-être de la dévotion qui entoure le Très Saint-Sacrement.
La fête du Très Saint-Sacrement
L’un des moments forts de la fête du Très Saint-Sacrement reste la
procession qui rassemble, dans un ordre précis, les catholiques d’Alger.
L’une d’entre elle est décrite dans la SRA du 8 juin 1900. Le rendez-vous est
fixé à 4 heures le jeudi de la Fête-Dieu, soit le 14 juin afin que la procession
puisse s’ébranler à 5 heures. Il est indiqué dans quel ordre les différentes
paroisses sont invitées à défiler ainsi que l’organisation à l’intérieur de
chacune des paroisses : les institutions de la paroisse et les écoles, les
œuvres, les fidèles et la maîtrise et le clergé ; après les paroisses, c’est au
tour des congrégations religieuses : sœurs de Notre-Dame des Missions
d’Afrique, sœurs de Saint-Joseph-de-Vans, petites sœurs des pauvres,
religieuses trinitaires, sœurs du Bon secours, sœurs de la Doctrine
chrétienne, sœurs de Saint-Vincent-de-Paul, petits frères de Marie, frères
des écoles chrétiennes ; puis, viennent la fanfare du petit séminaire, les
élèves du petit séminaire diocésain, la croix de l’église métropolitaine, la
maîtrise métropolitaine, le scolasticat des pères de la compagnie de Marie,
le grand séminaire diocésain, le clergé de la ville et de la banlieue, le
chapitre métropolitain, les thuriféraires, les fleuristes, le dais, les membres
des conférences de Saint-Vincent de Paul, les prêtres et diacres parés et,
pour finir, les membres de la confrérie du saint sacrement. Des descriptions
plus précises permettent d’entrer au cœur de la procession :
« Les vêpres sont chantées dans la basilique, à 4 h ½ par la
maîtrise de la Cathédrale. Pendant ce temps, sous la conduite de
leur curé, les premiers communiants et les premières
communiantes, charmantes sous leurs gracieux voiles blancs, les
enfants de chœur aux rouges costumes, les jeunes filles de nos
écoles et de nos pensionnats, et de nombreuses et vaillantes
chrétiennes défilent, égrenant leurs rosaires, chantant des
cantiques… ; puis viennent le Petit Séminaire de Saint-Eugène et
son excellente fanfare… ; les élèves du Grand Séminaire de
Kouba ; ensuite, revêtus de chasubles, de dalmatiques ou de
chapes d’or, les membres du clergé et du chapitre métropolitain
précédant immédiatement le T. S. Sacrement porté par M. le
vicaire général Cornud. Aussitôt après : Monseigneur
l’Archevêque, assisté de M. l’abbé Petitot, vicaire général, et de
M. le chanoine Finateu, aumônier de la basilique, et un groupe
très compact d’hommes… Le long cortège contourne la
basilique, pénètre dans la propriété du Petit Séminaire et revient
sur l’esplanade… Le Te Deum retentit. Les cloches de la
Basilique, du Carmel, du Petit séminaire sonnent à toute volée,
ce pendant que le clergé rentre dans le sanctuaire de N.-
D. d’Afrique 27 . »
On ne manque pas de mentionner la présence de l’armée, de la
magistrature, du barreau, des administrations, de tous les corps constitués
de l’État et le fait que la bénédiction solennelle soit donnée sur la place du
Gouvernement. Des exercices pieux sont aussi prévus 28 dont les hommes ne
sont pas exclus, puisque sont présents ceux qui assistent à « la messe des
hommes », les membres des conférences de Saint-Vincent-de-Paul, du tiers
ordre et du patronage de saint Philippe 29 .
À ces célébrations communautaires s’adjoignent des manifestations qui,
au premier abord, sont plus familiales, même si elles sont l’occasion de
réunir au-delà des familles. Il s’agit de fêtes privées à caractère public
comme les prises de voile, les ordinations et les premières communions.
Les fêtes « privées »
Prise de voile et ordination
Certes, les ordinations, plus encore que les prises de voile, ne sont pas
légion, néanmoins elles attestent de l’existence d’un terreau chrétien porté
vers les ordres ou encore vers une spiritualité aussi élitiste que celle des
carmélites. Ces dernières semblent exercer une certaine fascination sur les
jeunes filles catholiques, même si les carmélites 30 ne sont pas les seules
religieuses à recruter, si l’on en croit les Semaines religieuses 31 . Faute de
monographie sur le Carmel d’Alger, il reste difficile d’en connaître
précisément l’histoire et notamment de disposer d’une analyse sociologique
de son recrutement et par conséquent de son rayonnement. On retiendra que
la fondation du carmel s’est faite sous Lavigerie. Toutefois, le grand
dynamisme de la congrégation s’est manifesté sous sa dernière prieure,
Jeanne Bibesco, personnalité complexe, s’il en est, comme l’atteste sa
correspondance avec Combes. Mère Bénie de Jésus en religion, princesse
de son état avant son entrée dans les ordres, la prieure a investi une grande
partie de sa fortune dans le carmel de la Vallée des Consuls. La fermeture
de l’établissement intervient en 1911 pour des raisons qui sembleraient plus
disciplinaires que liées à la politique sur les congrégations. Un lien très fort
unit la supérieure du carmel à Mgr Oury. C’est ainsi que l’archevêque
n’hésite pas à procéder à des ordinations à la chapelle du carmel de la
Vallée des Consuls 32 . Cependant, le nombre de prêtres ordonnés en Algérie
reste peu important. Pour l’essentiel, les ordinations concernent les ordres
mineurs 33 . Ces cérémonies semblent attirer un certain public si l’on se
réfère à la SRA du 29 octobre 1911 :
« On nous prie de faire connaître que seules les personnes
munies de carte seront admises dans la chapelle des Sœurs
Missionnaires de Notre-Dame d’Afrique, à l’occasion de la
cérémonie de vêture et de profession du 29 octobre. Il en sera de
même, à l’avenir, vu l’insuffisance du local, dans toutes les
circonstances de ce genre. »
Rançon de la gloire ?
À côté de ces célébrations qui restent assez rares, les premières
communions et les confirmations marquent l’adhésion des familles à un
certain modèle catholique.
Les fêtes « privées » familiales : première communion
et confirmation
En effet, la première communion et la confirmation restent,
manifestement, des sacrements demandés 34 . En fait, tous les sacrements
sont demandés dans la mesure où on vit et on meurt avec les signes
extérieurs de son appartenance catholique. Les rites de passage sont un
repère dans les existences. C’est aussi le moyen de renouer le contact avec
les fidèles qui ne sont pas dans les villes épiscopales ou dans de grandes
villes. L’archevêque se rend ainsi en tournée dans son diocèse. Ces visites
sont l’occasion de fêtes et d’union entre les autorités religieuses et civiles 35 .
La description des tournées permet d’appréhender certains aspects de la
colonisation. Ainsi, la fondation des villages se poursuit à la fin du
XIX e siècle comme c’est le cas pour celui de Bou-Caïd dont on apprend qu’il
a été fondé au début des années 1890 36 . Quatre cents personnes y résident,
d’origine italienne pour la plupart, et travaillent à l’extraction du zinc. Il
revient au curé d’Orléansville, qui se trouve à 54 km, d’assurer le service
religieux. Les conditions d’un diocèse colonial sont une fois de plus
perceptibles : dispersion des fidèles, circonscription religieuse étendue qui
ne permettent pas une présence religieuse fixe ni un service religieux
régulier. C’est pourquoi :
« Au commencement du mois de juin dernier, à la suite d’une
entente avec la Société des mines, M. l’abbé Thibon chargeait
son vicaire d’aller à Bou-Caïd, de s’y installer et de préparer les
enfants de ce village à faire leur première communion 37 . »
Il reste difficile de déterminer le rôle joué par la société des mines dans
l’organisation de la première communion. En revanche, les autorités civiles
acceptent que la salle d’école serve, en dehors des heures de classe,
d’église. Tous les villages sont loin d’être pourvus en lieux de culte dont
l’édification dépend des autorités politiques. À Bou-Caïd, la première
communion a pu avoir lieu après un mois de préparation et il a été promis
qu’un service religieux serait assuré tous les 15 jours. Une situation
analogue se rencontre en Kabylie où dans certains lieux la première
communion ne peut se dérouler que tous les deux ans 38 .
En revanche, les conditions ne sont pas les mêmes dans une ville de
l’importance de Blida. Il est ainsi possible d’organiser un véritable cortège
composé de petits garçons avec brassards bleus et de petites filles avec de
longs voiles 39 . D’après la Semaine religieuse, plus de cent premiers
communiants et autant de renouvelants, Piquemal en tête avec habit de
chœur, crosse en main et mitre, défilent autour de la place Lavigerie avant
d’entrer dans l’église. Sur le perron, un arc de triomphe, avec l’inscription
« À Monseigneur Piquemal, la paroisse de Blida reconnaissante », est
dressé. Les anciens paroissiens de Piquemal lui ont réservé un accueil
chaleureux.
Les tournées de confirmations sont aussi l’occasion pour l’Église de se
tenir au contact de fidèles éloignés des grands centres urbains et où la vie
religieuse ne présente pas les mêmes caractéristiques. Les distances
parcourues sont importantes 40 , mais n’empêchent pas les visites pastorales
de l’archevêque qui cultive ainsi le lien avec ses ouailles 41 . Ces deux rites
de passages destinés en priorité aux plus jeunes, ne doivent pas occulter
l’intérêt porté par l’institution aux adultes. L’une des techniques pour
maintenir l’ardeur religieuse repose sur la mission de l’intérieur.
Les missions de l’intérieur : au plus près des fidèles
La pratique des missions de l’intérieur demeure l’un des moyens à la
disposition de l’institution pour diffuser son message. Elles ne présentent
pas les mêmes spécificités selon qu’il s’agit de missions prêchées en milieu
urbain où les Européens sont nombreux ou qu’il s’agit de lieux où ils sont
minoritaires 42 et où le service religieux n’est pas assuré de manière
régulière.
Le tableau des missions du diocèse d’Alger pour l’année 1909 précise
que quatre missionnaires sont prévus : Ligonie, Le Gall, Malaval, Pagès.
Chaque missionnaire effectue, en moyenne, sept missions qui commencent
entre fin janvier et début février, se terminent toutes fin mai et reprennent à
la mi-octobre pour s’achever le 25 décembre. Leur durée moyenne oscille
entre une dizaine et une quinzaine de jours 43 . Toutes les missions sont dans
leurs structures organisées de manière similaire et ambitionnent de conduire
le maximum de catholiques à la communion. En effet, le temps de la
mission est scandé par l’instruction dispensée par le missionnaire à
différents moments de la journée 44 , selon les âges et les sexes. Dans les
faits, quand il s’agit d’un village, la mission se déroule de préférence le soir
afin de rassembler un groupe le plus large possible 45 . De plus, suivant les
lieux si des exercices spécifiques sont prévus pour les plus jeunes, en vue
notamment de les préparer à la première communion ou à la confirmation 46 .
Cependant, il reste difficile de solliciter les hommes seuls. C’est pourquoi,
quand ces derniers s’investissent, leur geste est considéré comme un signe
de réussite de la mission 47 .
Il n’est pas rare de faire appel à des missionnaires extérieurs au diocèse
comme en 1903 à Sainte-Marie-Saint-Charles de l’Agha dans les trois
dernières semaines du carême 48 . Les exercices ont été donnés par deux
lazaristes qui venaient de l’Ain, près de Bellegarde. « Le dimanche des
Rameaux avait lieu la communion générale des dames. » On apprend que
des conférences spéciales pour les hommes ont été données et qu’à Pâques
quatre cents d’entre eux ont communié.
C’est dans les endroits où la présence européenne est importante que la
mission peut se dérouler dans les meilleures conditions comme à l’Alma en
février-mars 1905 49 . La mission de 15 jours a été ponctuée par des exercices
quotidiens, par les chants, le soir, des cantiques par les jeunes filles de
l’école des sœurs de Saint-Vincent-de-Paul et par des conférences. « Le
22 février, eut lieu la bénédiction solennelle des fonts baptismaux, des
statues de Saint-Michel et de deux anges adorateurs ainsi que d’un Christ…
[que le] curé a pu acheter grâce aux dons de ses chers paroissiens. » La
décoration de l’église est, elle aussi, soignée puisque de la voûte
descendaient des guirlandes, qu’il y avait des tentures rouges semées
d’étoiles et que l’autel était paré de verdure et illuminé.
La moindre manifestation religieuse ou à connotation religieuse –
tournée de confirmation, mission de l’intérieur, fête d’un patronage, remise
de prix dans une école congréganiste, etc. – est l’occasion de mises en
scènes où le faste de l’Église peut s’exprimer. D’autre part, alors que les
distances sont importantes et le personnel ecclésiastique peu nombreux,
l’institution entend bien se maintenir auprès de ses fidèles en multipliant,
autant que faire se peut, les déplacements. L’Église occupe le territoire,
définit les limites de l’espace du sacré et en crée de nouveaux. C’est le cas
pour les grands pèlerinages algériens de Notre-Dame d’Afrique, Notre-
Dame de Santa Cruz et de Saint-Augustin.
DES PÈLERINAGES ALGÉRIENS
La spiritualité populaire a entièrement investi les deux premiers qui
sont, par bien des aspects, une des vitrines du catholicisme algérien. Quant
au pèlerinage au sanctuaire de Saint-Augustin, son aura est telle qu’il est
non seulement l’occasion de grandes manifestations de tous les fidèles
d’Algérie, mais qu’il attire en sus des ecclésiastiques du pourtour
méditerranéen.
Notre-Dame veille sur l’Afrique
Le culte marial est au cœur, nous l’avons vu, de la vie religieuse à Alger
comme à Oran. Cette ferveur mariale, les catholiques algériens la vivent au
quotidien : la Vierge est pieusement honorée, tendrement aimée et
ardemment invoquée. L’une des spécificités de ce culte est d’être aussi
l’objet d’une dévotion chez les musulmans et en particulier chez les
musulmanes 50 .
À côté des pèlerinages à date fixes comme ceux du mois de Marie, tout
au long de l’année on peut rencontrer des pèlerins qui gravissent la colline.
La SRA du 14 février 1904 rend compte de l’un d’entre eux qui a eu lieu le
4 février à 9 heures du matin. Il y est précisé que c’est assez rare en cette
saison pour être mentionné. Il s’agit des paroissiens de Dély-Ibrahim qui,
apparemment, feraient cela chaque année. Cette paroisse est présentée
comme la première implantée lors de la conquête en terre algérienne. Il y a
eu une messe solennelle, un chœur de jeunes filles, certains prennent la
communion. De nombreux exercices pieux rythment la visite comme les
longues stations devant l’autel à Marie :
« Malgré la pluie diluvienne qui ne cessait de tomber depuis
midi, on voulut visiter le berceau même du pèlerinage et l’on
descendit à N. D. du Ravin. Debout, à la porte du modeste
oratoire élevé en son honneur, on lui adressa de nouvelles et
ferventes prières. De retour à la Basilique, on récite le Saint-
Rosaire à voix haute et l’on chante quelques couplets de
cantiques après chaque dizaine. Puis M. le Curé donne lecture
d’une longue liste de recommandations et invite ses paroissiens à
prier aux intentions marquées. »
D’autres paroisses en font autant et instituent un pèlerinage annuel
comme c’est le cas pour celle de Coléa :
« Coléa que désormais, avec plus de droit que les musulmans,
les chrétiens auront le droit d’appeler Coléa la sainte (les Arabes
appellent, en effet, la ville de Coléa “Coléa la sainte”), ne seraitce
qu’à cause de la piété que ses habitants manifestent en
honorant toujours et si dignement la Très Sainte Mère de
Dieu 51 . »
La compétition dans la piété avec les musulmans n’est jamais loin tout
comme ici la volonté d’accaparer la « spiritualité » d’une ville pour le camp
catholique. Même en filigrane la présence des musulmans ne peut être
entièrement occultée. Si certains catholiques se structurent en France contre
la société moderne, en Algérie le repoussoir est constitué par l’islam. On lui
envierait presque ces signes extérieurs de piété quitte à mettre l’accent sur
leur hypocrisie et sur l’erreur dans laquelle ils se trouvent.
Mais il serait réducteur de résumer l’adhésion au culte marial à la seule
opposition avec les musulmans. En effet, le culte voué à Notre-Dame
d’Afrique est un des premiers à s’être structuré en Algérie.
Aux origines du culte
Deux documents des archives de l’archevêché d’Alger permettent de
retracer l’histoire de la Basilique et de présenter certaines dévotions.
Le premier document s’intitule Pèlerinage ND d’Alger, Notice sur le
pèlerinage de Notre-Dame d’Afrique à Alger ; le second est La Basilique de
Notre-Dame d’Afrique, Histoire du pèlerinage 52 . Il s’agit en fait de la
version abrégée de celle de 1885 et réactualisée. On note que tous les
épisodes anticléricaux ne sont plus reproduits et il n’est plus non plus
question des « miracles » à l’exception du tout premier qui a donné
naissance au sanctuaire. La comparaison entre les deux documents laisse
aussi apparaître des indications nouvelles qui n’apparaissent pas dans le
premier texte.
La première notice a été rédigée par un père blanc, le père Michel, en
1885, puis a connu des rééditions en 1923 et en 1939. La version abrégée de
1948 est due au père Cazaunau, recteur de la basilique et comporte une
préface de l’archevêque d’Alger en date du 1 er mai 1948.
Dans le document de 1948, on rappelle qu’à son arrivée en Algérie,
Pavy était accompagné de deux personnes de Lyon qui lui étaient
dévouées : Marguerite Berger et Anna Cinquin 53 . Comme Fourvière
manque aux deux Lyonnaises, elles font des retraites dans un lieu appelé le
ravin et l’une d’entre elles décide de placer dans le tronc d’un olivier une
statue de la Vierge. Dans le même temps, elles ne cessent d’implorer Pavy
de faire construire un temple pour la Vierge 54 . Un terrain est acheté et une
chapelle provisoire inaugurée en juillet 1857 55 . Or, avant de quitter Lyon
Dupuch a reçu des dames du Sacré-Cœur une vierge en bronze qu’il finit
par déposer à la trappe de Staouéli en 1843, Pavy ne sachant rien de cette
histoire 56 . Les dames du Sacré-Cœur, apprenant que l’évêque se propose
d’élever un sanctuaire en l’honneur de Marie, lui disent combien elles
seraient heureuses d’y voir honorée la Vierge offerte à son prédécesseur.
Les trappistes rendent donc la statue. Le 20 septembre 1857, la chapelle
provisoire étant achevée, l’évêque vient célébrer la première messe du
pèlerinage et installer sur un piédestal de marbre la statue de la Vierge 57 .
L’appel à la charité de tous les chrétiens pour pourvoir aux travaux de
l’église définitive permet de consacrer l’édifice le 2 juillet 1872 et de
procéder à la cérémonie de transfert de la statue le 4 mai 1873. Lavigerie
sollicite du pape l’autorisation de couronner la statue et la cérémonie est
fixée au 30 avril 1876 : l’église devient officiellement basilique 58 .
La dévotion mariale
Très vite la chapelle de la Vierge devient l’un des lieux où se concentre
la dévotion mariale. Son érection en église et sa consécration en basilique
sur un des points les plus en vue de la ville – elle se trouve sur un plateau
dominant la mer à 124 m d’altitude –, renforce une piété qui se renforce au
fil des ans. En 1885, on comptabilise 8 000 ex-voto 59 , ainsi que des
béquilles offertes par des anciens malades et des cierges en abondance 60 . En
effet, nombre de « miracles » sont attribués à la Vierge. Ainsi Lavigerie le
28 octobre 1868 institue à la chapelle de Notre-Dame d’Afrique une
association de prières pour tous les marins vivants ; ce dernier accomplit la
promesse qu’il avait faite durant une tempête 61 . Les registres de la basilique
renferment les récits des « faveurs et guérisons extraordinaires, rapportées
dans ce chapitre [, qui] ont été vérifiées et publiées… » : la terminologie est
précise, il ne peut s’agir de « miracles » tant que l’institution ne s’est pas
clairement prononcée sur la question. Les « guérisons et faveurs
extraordinaires » sont listées de la page 257 à 305. On en trouve de tout
genre : maladies, naufrages, cyclones, accidents, quelqu’un d’injustement
accusé, la conversion de pécheurs, etc. Les vœux correspondants sont
indiqués : monter à la basilique les pieds nus, offrir ses béquilles, un exvoto,
des cierges, des neuvaines, des messes, etc. La gestuelle est aussi
présentée : on fait toucher à la statue un morceau de tissu que l’on emporte
pour le malade, l’eau du puits de Notre-Dame d’Afrique sert aussi de
remède. Ses bontés, la Vierge les distribue même « aux païens », puisqu’un
« nègre » vient la remercier. Des musulmanes et des juives demandent des
cordons de la Vierge bénits par les prêtres pour leurs enfants. On apprend
que son rayonnement est important, car elle aide les missionnaires qui
l’invoquent au cœur de l’Afrique.
La basilique est l’un des lieux où se déroulent les plus importantes
manifestations catholiques. En effet, à partir de 1872, à la suite de
l’interdiction des processions de la Fête-Dieu, l’archevêque d’Alger
transporte à Notre-Dame d’Afrique la célébration de la fête 62 . Lavigerie a
donc convoqué tous les fidèles autour de l’église sur le terrain qui lui
appartient :
« L’armée tout entière y prit part avec ses chefs. Une foule
immense, évaluée à au moins 20 000 personnes, y monta
d’Alger. L’artillerie plaça ses canons sur la colline qui fait face à
Notre-Dame d’Afrique, à l’extérieur de la Vallée des Consuls, et
salua de ses détonations le Très Saint-Sacrement. Depuis cette
époque les processions de la Fête-Dieu ont lieu à Notre-Dame
d’Afrique 63 … »
Les autres processions en usage dans la liturgie, comme celle des
rameaux, de l’Assomption, de l’ouverture du mois de Marie, se font
également autour du pèlerinage.
Les autres saints patrons
Saint-Augustin
La dévotion est aussi très forte à Oran autour de Notre-Dame de Santa
Cruz sans pour autant avoir un rayonnement qui dépasse l’Algérie à la
différence du sanctuaire de Saint-Augustin à Bône 64 . Ce dernier attire,
notamment, des catholiques de Malte qui, chaque année, ne manquent pas
de s’y rendre et d’y déployer tout un faste : écussons et drapeaux de Malte :
« Tous les grands étendards de la Société musicale de La Valette et des
confréries entourent la statue de saint Augustin, que portent quatre membres
de la Société de Saint-Augustin. Les soies, les ors de ces magnifiques
étendards 65 … » « À l’Évangile, M. l’abbé Camillieri a donné le sermon en
langue maltaise. » Ils ont reçu la bénédiction du souverain pontife. « Enfin,
M. Leroy sort le bras de saint Augustin de son reliquaire. » Rappelons que
dès son arrivée en 1839, le premier évêque d’Algérie a inauguré l’autel et la
statue du saint et qu’il rapporte de Pavie l’avant-bras d’Augustin en
octobre 1842. Une estimation du nombre des participants est donnée, il
s’élèverait à 6 000 personnes. Il est probable que l’installation de la
majorité des Maltais dans le département de Constantine explique le lien
avec Malte et la mise en place d’un pèlerinage en Algérie. La dévotion est
complétée par l’inauguration de la nouvelle basilique au début du
XX e siècle.
Tout comme la Vierge, saint Augustin semble aussi susciter la dévotion
des musulmans comme le rapporte un article de la SRA du 27 août 1905 qui
livre un récit édifiant. Sur le site des ruines d’Hippone, un missionnaire
rencontre deux vieillards et une femme qui faisaient brûler des cierges près
du mur le plus élevé. Ils expliquèrent qu’ils faisaient brûler des cierges « au
grand chrétien » dont ils ne connaissaient pas le nom, mais ils faisaient cela
comme jadis leurs ancêtres le faisaient selon eux. À proximité passe une
rivière dont le missionnaire apprend le nom que lui donnent les indigènes :
la rivière du Père de l’Église. D’où sa conclusion : « Ô Saint Augustin, disje
encore, ayez pitié des enfants de ceux qui furent vos fils dans la foi :
obtenez leur grâce de Dieu. » En filigrane, l’auteur de l’article rappelle le
prestigieux passé chrétien de Bône et entend, indirectement, attester de la
présence au sein de la population d’un crypto-christianisme inconscient. Ce
type de passage est exceptionnel dans la SRA qui ne s’intéresse que très
rarement aux musulmans et encore moins à leur spiritualité, laquelle se
résume à leur fanatisme sous la plume de l’écrasante majorité des
catholiques algériens de la période.
Saint Michel : patron des Italiens
La fête de Saint-Michel est célébrée avec un faste que rapporte la SRA du
4 octobre 1908 dans un article intitulé « Cérémonie de la dédicace de Saint-
Michel à la Cathédrale d’Alger » :
« … les fidèles de la colonie italienne célébraient, avec la pompe
et la piété dont ils savent entourer nos cérémonies religieuses, la
fête de la Dédicace de Saint-Michel Archange, leur Patron. »
La décoration renforce la solennité de la célébration avec des tentures
de velours cramoisi frangées d’or. Au-dessus de l’autel, se trouve la statue
d’argent du saint qui est propriété de la « colonie italienne d’Alger ». La
revue ne manque pas de mentionner « … la présence, au grand complet, de
tous les membres de l’Archiconfrérie du T. S. Sacrement, revêtus de leurs
insignes… » et le chœur des jeunes filles italiennes avec l’organiste
M elle Lazzara. Plusieurs symphonies sous la direction du sous-chef de
l’orchestre municipal sont exécutées. Le soir, l’article souligne que
l’affluence est encore plus importante pour la messe de 8 heures. Un chiffre
est annoncé : plus de 2 000 personnes seraient présentes. À la suite de
l’allocution du vicaire général :
« … la statue du St-Archange, portée sur des rames par seize
bras vigoureux de marins, fit le tour de la Cathédrale, tandis que
le chant des Litanies et des invocations à St-Michel, répété par
mille voix, témoignait du pieux enthousiasme de l’auditoire.
Enfin, la bénédiction du T. S. Sacrement, suivie d’une cantate
populaire… »
La statue de saint Michel se trouve habituellement dans une des
chapelles de la basilique et une histoire édifiante lui est attachée. En effet, la
dévotion au saint est très importante dans l’île de Procida dont sont
originaires nombre de marins et où se trouve une statue du saint qui est le
patron de l’île. Selon l’usage, elle est recouverte d’un voile et on ne peut la
voir, à moins d’une permission du curé, que dans les fêtes solennelles ou
dans les processions.
Les marins d’Alger ont exprimé leur désir d’avoir la même statue. Or,
comme elle était en argent, il fallait réunir une somme de 15 000 francs. Ils
ont donc imposé un impôt volontaire sur le produit de leur pêche. Chaque
homme a dû donner cinq pour cent de son gain, pour couvrir le prix de la
statue. Une fois la somme récoltée, elle est portée à Lavigerie qui a été
chargé de contacter l’artiste et d’obtenir l’autorisation de faire une copie de
l’original. Mais le curé de Procida a opposé son veto face à l’inquiétude de
ses paroissiens :
« S’il y a une seconde statue de saint Michel en Afrique, notre
Saint Patron occupé à faire des miracles là-bas n’en fera plus
tant chez nous. »
L’argument a manifestement été rendu caduc par l’archevêque d’Alger
puisqu’une copie, dans des conditions cocasses, a pu être établie. Les
marins sont venus offrir la statue à l’archevêque qui a préféré qu’ils en
restent les seuls propriétaires, car « dans les temps actuels, les églises sont
un peu comme les forêts de vos Calabres ; rien n’y est plus en sûreté 66 ».
Si les catholiques algériens vivent en vase clos en Algérie, ils se
retrouvent au contact d’autres catholiques à l’occasion du pèlerinage à
Lourdes.
Les Algériens à Lourdes
La première tentative pour s’y rendre date de 1901. La SRA du 26 mai
1901 annonce l’organisation du premier pèlerinage africain. La SRA du
30 juin 1901 est plus précise, puisqu’elle indique qu’un comité de prêtres
s’est formé pour l’organisation du pèlerinage. Les dates sont fixées : le
départ d’Alger est prévu le 18 août et le retour le 27 ; l’itinéraire a été arrêté
avec un passage par Marseille et les prix sont mentionnés. Puis, on ne
trouve plus aucune indication avant 1908. Comment expliquer d’une part
que le pèlerinage n’a pas eu lieu en 1901 et, d’autre part, qu’il n’en est plus
question avant 1908 ? Ces questions restent sans réponse.
La deuxième annonce intervient donc en mars 1908, le départ est prévu
pour le 12 juin 67 . C’est du diocèse d’Oran qu’est partie cette initiative. La
présence du dynamique vicaire général, Bouissière, n’est pas étrangère à la
vitalité de ce diocèse qui est très souvent à l’origine des nouveautés.
L’organisation du pèlerinage à Lourdes est officiellement confirmée par
l’archevêque d’Alger, les évêques d’Oran et de Constantine. N’oublions pas
que pour certains il ne s’agit pas tant d’un retour, mais bien d’un premier
contact avec la France. Le journal se lance dans une description du bateau
et de la traversée qui met l’accent sur la dimension touristique car plusieurs
arrêts sont prévus, Palma, Barcelone ainsi que des visites. Les prix sont
indiqués pour les trois classes, prix tout compris d’Alger à Alger. Or, les
candidats ne se bousculent pas et le départ est finalement retardé au
15 juillet : « Le départ aura lieu, quel que soit le nombre des partants 68 . »
Manifestement, ils ne sont pas parvenus à mobiliser beaucoup de personnes.
Il est certain que bien des catholiques algériens, quels que soientt leur degré
d’adhésion au catholicisme et leur attachement au culte marial, n’ont pas les
moyens financiers d’envisager un tel voyage. Dans la SRA du 2 août 1908,
on finit par connaître leur nombre officiel : 120. Il est probable qu’un
certain nombre d’entre eux fait partie du personnel ecclésiastique, ce qui
restreint encore le nombre de participants laïques. En juillet et août 1908,
les premiers pèlerins algériens mettent enfin les pieds dans la cité mariale.
Leur séjour est relaté jour après jour 69 . Les tracasseries administratives liées
au voyage sont mises en avant pour démontrer que le Gouvernement fait
plus cas des pèlerinages musulmans que de ceux des catholiques. La
communauté catholique algérienne atteste de sa volonté de se rattacher
d’abord à son église locale, puis à l’Église universelle incarnée par sa
représentante française, montrant ainsi que la population européenne se
définit par opposition aux musulmans : « Français et catholiques », tel est
bien le cri de ralliement.
Si la Vierge de Lourdes incarne la France de toujours, si la variante
algérienne de la Vierge s’est acclimatée à travers la Vierge noire à Alger et
celle de Santa Cruz à Oran, si Augustin est un fils du pays dans lequel
peuvent se reconnaître tous les catholiques algériens, saint Michel reste
encore, avant la Première Guerre, perçu comme le saint patron des Italiens.
La vitalité de l’Église algérienne apparaît dans les archives religieuses
avec une attention particulière pour le culte marial. Ce qui transparaît aussi
dans la documentation est que l’institution reste attentive à être au plus près
de ses fidèles et à s’adapter à la diversité des pratiques. Elle ambitionne
d’encadrer la société dans le but de la réalisation d’une société catholique.
Encadrer la société : le projet catholique
DES ŒUVRES POUR TOUS : ENTRE TRANSFERT ET INNOVATION
Les œuvres apparaissent, à plus d’un titre, comme l’un des instruments
du contrôle de la société. Pour l’essentiel, elles sont davantage le résultat
d’un transfert métropolitain que le produit d’une innovation algérienne.
L’encadrement de la société est conçu à partir de la différenciation en âge et
en genre. Toutefois, les plus démunis font l’objet d’un traitement
spécifique.
Petites filles, jeunes filles et femmes : faire de bonnes
catholiques
Sainte Marcienne : une sainte africaine à l’honneur
L’une des institutions phares, pour les membres du sexe féminin, est la
congrégation Sainte-Marcienne fondée en 1902 et dont l’historique est
reproduit dans la SRA du 13 février 1910. La congrégation « Sainte-
Marcienne » de Sainte-Marie-Saint-Charles de l’Agha est une œuvre de
préservation et de persévérance pour les jeunes filles fondées par l’abbé
Warot, un des vicaires de Sainte-Marie-Saint-Charles de l’Agha.
Sainte Marcienne est présentée comme « la vierge héroïque, martyrisée,
il y a seize siècles dans l’antique Césarée (Cherchell), pour avoir renversé et
brisé une statue de Diane ». Le prestigieux passé religieux de l’Algérie est
invoqué et, au moins pour ce qui concerne le nom retenu, il s’agit d’une des
très rares œuvres algériennes. Ce souci de l’algérianité témoigne d’une
attitude paradoxale : la conjugaison d’une volonté et de se différencier et
d’être comme les autres catholiques.
À l’origine de cette œuvre se trouve l’abbé qui s’occupait des jeunes
filles de l’école publique en vue de leur première communion et qui voulait
trouver un moyen de les maintenir dans l’Église. Il a d’abord entrepris de
les grouper. C’est pourquoi il a fondé la congrégation le 10 août 1902. Au
début, 6 approbanistes seulement reçurent le ruban vert, puis trois d’entre
elles prirent le ruban rouge et 5 nouvelles approbanistes étaient admises à
postuler leur admission. Les chiffres annoncés pour 1903 font état de 23
nouvelles congréganistes ou approbanistes, en 1904 de 35, elles sont 49 en
1905 et 34 en 1906. « Le 11 février 1904, sainte Marcienne est
solennellement fêtée par celles qui se sont mises sous son patronage… […]
Au 13 février 1908, la congrégation compte 159 membres, et, ce jour-là, on
reçoit 26 approbanistes et 29 congréganistes. » La dernière indication est
celle du 1 er janvier 1909 avec 254 membres.
Toutefois, regrouper des jeunes filles ne présuppose pas de
nécessairement les garder ni de leur faire aimer leur association. C’est
pourquoi, il est apparu qu’il fallait s’efforcer de leur proposer un idéal
qu’elles puissent essayer de réaliser par des moyens qui s’adaptent à leur
âge, à leur caractère et à leur tempérament.
Au début, elles étaient reçues soit par une dame de l’association soit par
une amie de l’association. La rencontre avait les allures d’un après-midi
récréatif où elles buvaient le thé, mangeaient, jouaient, etc. À partir de cette
organisation initiale, l’abbé a pu les observer et leur proposer une nouvelle
activité, celle de jouer la comédie sur le petit théâtre du presbytère. Si l’on
se rapporte à la SRA, cette initiative rencontre un grand succès 70 . Il est
toutefois clairement stipulé que toutes les répétitions commencent et se
terminent toujours par des prières. Il y a aussi un orchestre composé des
jeunes filles de l’association. Elles ont déjà donné de nombreuses
représentations. Pour 1910, les places sont annoncées comme payantes. Les
œuvres choisies répondent « à tous les besoins de la jeune fille, à notre
époque ». « Elles ont adjoint à leur association “une École ménagère” » qui
dispense des cours de cuisine, de couture, d’hygiène, de dactylographie, de
sténographie, etc. De plus, « dans un avenir très rapproché, espérons-le, on
leur donnera des conférences d’histoire et de littérature ».
Le but de l’association est explicite : former des jeunes filles
chrétiennes pour avoir des mères de famille chrétiennes. L’Église partage
les a priori de la période sur les femmes et les renforce, afin de faire
barrage au modernisme, ennemi déclaré. Les activités ont donc pour objet
de faire de bonnes maîtresses d’intérieur ou/et de diriger les femmes vers
des activités compatibles, selon les normes catholiques, avec leur nature
féminine. Il est intéressant de noter que les conférences ne sont pas encore
en activité huit ans après la fondation et que les sujets des conférences
annoncées sont, là aussi, en conformité avec la représentation que l’on se
fait d’un savoir à destination des femmes, et des épouses catholiques en
particulier. Ces dernières sont organisées au sein d’une autre association :
les dames de la charité.
Les dames de la charité : exporter le modèle français
La société des dames de charité est aussi très active et se trouve à
l’origine de patronages pour jeunes filles 71 . Elles organisent des fêtes dans
lesquelles les différents corps sont représentés :
« Fête de Charité. – La Société des Dames de Charité de Blida,
prépare pour le dimanche, 2 mai, une grande et brillante fête qui
aura lieu au Jardin Bizot, gracieusement mis à sa disposition par
Notre Municipalité. La fanfare du 1 er Régiment de Tirailleur, la
fanfare de trompette et de cors du 1 er Régiment de Chasseurs
d’Afrique etc. 72 . »
La dimension religieuse n’est pas toujours visible et les animations
s’apparentent davantage à une kermesse : buvette, vente de sucreries, jeux
divers et variés pour les plus petits. Un prix d’entrée est même fixé et « les
jouets offerts à la Société pour la vente annoncée, remplaçant la tombola
interdite par un récent décret, sont exposés… »
Par ailleurs, les femmes catholiques algériennes, comme leurs consœurs
métropolitaines, s’investissent dans une œuvre directement destinée à
l’Église, celle des tabernacles. Elle est destinée à venir en aide aux
paroisses pauvres du diocèse – il est constamment rappelé que le don est
fait à la paroisse et non au curé – en leur procurant des ornements sacrés et
autres objets nécessaires au culte 73 . Dans le diocèse d’Alger, l’œuvre est
établie chez les dames du Sacré-Cœur par leurs anciennes élèves. Elle s’est
maintenue après le départ des religieuses sous le nom d’ouvroir B. M. Barat
et a son siège à El-Biar 74 . Les plus hautes autorités religieuses ne manquent
pas de les visiter 75 , tout comme ils le font pour les organisations
masculines 76 . Là aussi, l’encadrement est prévu selon les âges.
Petits garçons, jeunes hommes et hommes : des soldats
au service de l’Église
La SRA du 11 juin 1911 indique que les patronages de jeunes gens de la
ville d’Alger sont de création assez récente, si on excepte celui de la
cathédrale. Ils apparaissent comme isolés les uns par rapport aux autres,
d’où la décision d’organiser une journée pour les réunir. Une réunion de six
patronages d’Alger et d’El-Biar, présidée par Combes, est donc
programmée. Le journal catholique ne manque pas d’annoncer que l’un des
cantiques prévus s’intitule : Catholiques et Français…
Les semaines religieuses des 2, 9 et 16 juillet rendent comptent de la
journée et permettent de reconstituer l’histoire des différents patronages.
Le patronage Saint-Philippe
Le patronage Saint-Philippe est fondé en octobre 1905 avec
25 membres et une seule section. Trois ans plus tard, une section des
grands, entre 15 et 21 ans, et une section des petits, entre 12 et 15 ans sont
créées. Après le service militaire, les grands appartiennent à la section des
anciens. Chaque section est dirigée par un conseil présidé par l’archiprêtre
de la métropole. Chaque conseil se réunit au moins une fois par semaine. Il
faut franchir plusieurs étapes pour être admis à titre complet. Cela se
matérialise par la remise de l’insigne qui est une croix de Malte. Par la
suite, une distinction est établie par la couleur du ruban pour la porter, mais
l’insigne ne se porte que dans certaines circonstances solennelles. Le
patronage s’est aussi doté d’un étendard à trois couleurs : jaune, couleur du
pape et de l’Église, rouge, couleur des grands, car elle est le symbole du
dévouement et du sacrifice, vert, couleur des petits, car elle est la couleur
des espérances fondées sur eux ; il a sa devise : « il faut être des catholiques
sans peur, pour être des catholiques sans reproche. »
Les réunions ont lieu tous les jours, sauf le dimanche, du 1 er octobre à la
mi-juin, mais chaque membre n’est tenu de n’assister qu’à deux réunions,
dont les jours lui sont déterminés au moment de l’adhésion. Quatre
absences consécutives, non motivées, ou des absences trop fréquentes sont
punies d’une radiation. Toutes les séances commencent par une lecture de
l’Évangile, écoutée debout, et se terminent par la prière. Le mardi et le
vendredi il y a une conférence faite par l’un des membres sur des sujets
ayant trait à la religion, l’hygiène, l’économie sociale, la tenue, etc. ; les
autres jours sont consacrés à l’étude du solfège et de la musique
instrumentale. Le premier vendredi de chaque mois, les deux patronages se
réunissent à la cathédrale, chantent des cantiques, écoutent une conférence,
se consacrent au Sacré-Cœur et reçoivent la bénédiction du Très Saint-
Sacrement.
Les distractions sont en fait de deux types, musical et sportif avec une
estudiantina, deux groupes lyriques et des équipes de foot. La gratuité est
assurée pour toutes les activités. Ainsi aucune participation n’est requise
pour les leçons et les instruments de musique. Le patronage donne tous les
mois un concert privé et tous les trois mois un concert public. Le patronage
reste à vocation religieuse dans la mesure où un minimum d’obligations est
prescrit : la messe dominicale et la communion pascale. Le contrôle est
strict, puisque, par exemple, si on fait ses pâques à l’extérieur de la paroisse
il faut en apporter la preuve écrite. Une conduite irréprochable, selon les
normes catholiques, est encadrée par toute une gamme de sanctions. Il est
ainsi interdit pour les membres d’aller au casino sous peine de radiation et
parfois même d’exclusion, qui est le degré ultime, car, à la différence de la
radiation, on ne peut plus alors être réintégré. Interdiction est aussi faite
d’être membre d’une autre association mondaine quelle qu’elle soit. Quant
aux adhésions à une association sportive, il faut en demander l’autorisation
dans la mesure où ces sports n’existent pas dans le patronage comme c’est
le cas pour le tir et la gymnastique. La SRA ne manque pas de préciser que
l’exiguïté des locaux ne permet pas de recevoir plus de 150 membres.
D’une tout autre nature et plus récent, est le patronage de Sainte-Croix.
Patronages et paroisses
Le patronage Sainte-Croix est formé par un groupe de familles habitant
les quartiers Rovigo, cité Bisch et boulevard Gambetta. Il compte, en 1911,
un peu plus d’une année d’existence. Il s’agit d’une œuvre d’éducation
morale dont le but est « de protéger les enfants des mauvais contacts ».
C’est pourquoi de « saines distractions » leur sont proposées : « bonnes
lectures, promenades, chant, musique, etc. », avec la « volonté d’introduire
dans leur cœur les sentiments de justice, d’amour et de vérité développés à
la lumière de l’Évangile, afin d’en faire de bons chrétiens et de bons chefs
de famille ». La particularité de cette œuvre est d’être exclusivement et
entièrement administrée par des laïques. Le curé de la paroisse Sainte-Croix
a accepté d’en être l’aumônier. Il y a 25 enfants pour la plupart de la classe
ouvrière qui se réunissent deux fois par semaine.
D’autres paroisses comme celle de Saint-Bonnaventure (Mustapha) ont
développé des œuvres de jeunesse. Un rapport de M. Oland, vicaire de la
paroisse en rend compte. Il précise s’être servi, afin de parer à son
inexpérience, du livre de l’abbé Bozon Les patronages paroissiaux. Le
début du patronage de Saint-Bonnaventure concerne la section des petits.
Le début de l’association remonte à juin 1907, quand le curé de la paroisse,
Laffite, depuis vicaire général, lui a demandé de prendre en charge les
petits. Une dizaine d’entre eux a été réunie au lendemain de leur première
communion. Pendant deux ans, le groupe a peu de visibilité, puis, en 1909,
le patronage donne sa première séance récréative.
L’admission dans le patronage ne concerne que les enfants ayant fait
leur première communion car d’une part, d’après le vicaire Oland, ces
derniers seraient trop nombreux et d’autre part, il estime que ceux qui vont
au catéchisme sont déjà bien suivis. Les enfants sont réunis deux fois par
semaine le jeudi et le dimanche. La séance du jeudi commence à une heure
par une adoration courte du Saint-Sacrement, se poursuit par des jeux et se
termine au coucher du soleil par une prière du soir qui précède le départ. Le
dimanche, le rendez-vous est fixé à une heure trois-quarts avant les vêpres.
Le prêtre expose les points de piété qui laissent à désirer, explique
brièvement les fêtes religieuses de la semaine à venir, puis donne une petite
allocution sur un sujet de piété sur lequel ils seront interrogés la semaine
suivante. S’ensuiventt un quart d’heure de récréation avant les vêpres, puis
des jeux et pour clore la journée la prière du soir a lieu en commun.
Deux exercices spirituels retiennent particulièrement l’attention du
prélat : la messe et la communion. Il impose d’ailleurs aux enfants de se
munir d’un livre afin de bien suivre la liturgie. De même qu’il a composé, à
leur attention, un opuscule de méthode pratique d’action de grâces dont il
exige qu’ils l’apportent le jour où ils communient. Il semble satisfait du bon
suivi de ces obligations. « Je pousse le plus que je peux, selon les désirs de
Notre Saint-Père le Pape, à la communion fréquente. » Manifestement seul
un des enfants s’y adonne fréquemment. La discipline du patronage entraîne
l’exclusion de ceux qui manquent trop, ne vont pas assez souvent à la messe
ou dont le comportement ne donne pas satisfaction. Ainsi, sur un groupe de
75 enfants, trente sont toujours membres. Les jeux sont, aux dires de
l’ecclésiastique, nombreux : football, trapèze, jeux de boules, etc., jeux
d’intérieur et une bibliothèque qui autorise le prêt à domicile. Une
promenade est prévue une fois par trimestre. Une séance récréative est
donnée deux fois l’an afin de pourvoir aux frais de l’œuvre. Elle consiste en
représentations théâtrales avec un drame religieux et une comédie.
Un conseil de huit membres assiste le prélat dont l’une des attributions
est d’exclure ceux qui ont été repérés comme de mauvais éléments. « Enfin,
je donne le plus d’éclat possible aux réceptions. » La réception définitive
d’un enfant n’intervient pas avant six mois. Le moment fort semble être le
sermon prononcé tous ensemble la main levée vers le tabernacle : « Je
renonce au démon, à ses pompes et à ses œuvres et je promets de servir
Jésus-Christ seul et toujours. » Puis, une croix fixée à un ruban bleu est
attachée sur leur poitrine et un nouveau cantique est entonné : « Je suis
chrétien voilà ma force. » « Après la prière du soir on remet à chaque élu un
souvenir encadré sur lequel sont inscrites des sentences de l’Évangile, la
date de réception et enfin la promesse signée par l’enfant d’être fidèle à ses
devoirs de chrétien et de ne jamais rougir de sa religion. »
L’encadrement de la jeunesse est l’objet de bien des patronages et se
porte en particulier sur les petits. Certes, il faut les retenir par des activités
ludiques, mais elles doivent se faire dans un esprit religieux et non profane.
Le prélat en question impose une discipline assez stricte en apparence. Il est
aussi attentif à l’évolution de la spiritualité universelle dans son désir de se
conformer aux orientations pontificales. La communion semble être
centrale dans le dispositif et tout est fait pour inciter les plus jeunes à y
recourir fréquemment. Or, avant d’y accéder, ils doivent se soumettre à la
confession, ce qui peut expliquer certaines réticences avec la prise d’âge. La
spiritualité proposée aux enfants est en tout point conforme à celle proposée
en France à la même période. Concrètement, l’ecclésiastique est à la
recherche d’une méthode adaptée aux enfants, de même que d’autres
veulent s’adapter aux filles ou aux mères de famille. Il faut donc partir des
besoins exprimés par des laïques afin notamment d’être compétitif et
attractif sur un marché où d’autres sont présents. Cela explique aussi le
caractère souvent exclusif de l’adhésion à un groupe.
Pour les grands, il existe une association de la jeunesse catholique
fondée un an auparavant. À la lecture du rapport de M. Oland, il semble que
le vicaire ait dû être sollicité pour organiser des œuvres de jeunesse dans sa
paroisse. Il se présente comme un peu démuni pour justifier son choix de se
référer à l’ouvrage précédemment cité. Ainsi, il explicite son orientation
vers l’association de la jeunesse par le fait qu’étant ancienne, 25 ans, elle a
fait ses preuves. Nous ne sommes pas dans de l’innovation, mais bien dans
une démarche fonctionnelle et qui se veut efficace. De plus, l’ecclésiastique
justifie une nouvelle fois ses positions en se référant au pape. Ce dernier a
ouvertement approuvé cette œuvre. En tout point, il semble être attentif au
fait de se référer au Saint-Siège.
Trois grandes orientations sont décelables : la piété, l’étude et l’action.
Pour la piété, elle doit se traduire par l’assistance à la messe avec un livre et
par la communion fréquente. Il ne cache pas que seuls les petits s’y
conforment. L’étude se décline sous forme de conférences une fois par
semaine préparées à tour de rôle et où les membres sont priés de poser des
questions. L’émulation intellectuelle est recherchée. Une fois par mois, il
revient à l’aumônier de faire une conférence sur un sujet de piété. L’action,
quant à elle, consiste à être un bon exemple, à être prêt à servir le clergé et à
attirer de nouveaux membres. Tout comme pour les petits, la diminution du
nombre des membres a été importante car de 37 ils sont restés 24, à la suite
de renvois. Oland insiste en conclusion sur le fait qu’il a choisi d’être fidèle
au grand principe des œuvres : préférer la qualité à la quantité.
Un autre patronage fait l’objet d’une description, celui de l’Agha qui
existe depuis 1902. Il est dû à l’initiative de l’abbé Repeticci. Le départ de
ce dernier a jeté « un véritable désarroi ». Le patronage doit être un foyer de
vie chrétienne dans le but de faire des hommes. Il est à nouveau fait
référence au pape, plus précisément à sa lettre sur le Sillon dans laquelle il
insiste sur l’éducation totale des jeunes catholiques, éducation qui doit
entièrement être aux mains de l’Église. C’est pourquoi les laïques ne sont là
que pour seconder le prêtre à qui incombe cette lourde charge.
« Nous nous efforçons donc de répandre dans notre patronage
l’éducation du sentiment religieux, l’éducation du sentiment de
responsabilité civique, l’éducation du sens social. »
Le patronage s’organise en deux groupes : les jeunes et les chefs de
dizaines. Ces derniers se réunissent le dimanche au siège du patronage pour
rendre compte de leur mission au directeur du patronage. La participation
au patronage est liée, elle aussi, à la fréquentation de la messe et à la
communion pascale ; « en sont exclus ceux qui fréquentent les réunions
susceptibles d’exercer sur eux une influence immorale. »
Le 21 novembre 1903, c’est au tour de la conférence Saint-Vincent-de-
Paul de fonder un groupe de jeunes gens qui devient le patronage de Saint-
Joseph. Au départ et pendant deux ans, son nom est Sillon algérien, annexe
de Bab-el-Oued. Le vicaire de la paroisse est alors le directeur du groupe
qui se réunit tous les lundis soirs. L’ouverture de la séance se fait par une
lecture de l’Évangile, puis un membre du Sillon d’Alger fait une conférence
portant sur des questions religieuses, économiques et sociales. Après la
lecture de la conférence des discussions suivent. Une cotisation mensuelle
de 0,50 franc est perçue auprès des membres. Aux conférences, le Sillon,
annexe de Bab-el-Oued, ajoute l’organisation de concerts.
En 1906, une scission apparaît. Certains restent fidèles aux idées du
Sillon, d’autres s’en détachent pour fonder les premiers éléments du
patronage Saint-Joseph. Il s’organise en deux sections, les grands et les
petits, mais qui se réunissent ensemble, ce qui a été à l’origine de
nombreuses tensions entre les grands et les petits. Cette même année 1906,
le nouveau vicaire de la paroisse, qui est aussi l’auteur de l’article, Castera,
reprend la direction du patronage dont il explique ne pas comprendre
l’esprit des membres, mais opte pour la voie de la continuité. Il porte
particulièrement son attention sur les plus petits et sur le respect du
règlement : assistance à la messe du dimanche, aux réunions et
communions pour les fêtes :
« Les séances commencent par la prière puis par la lecture du
Saint Évangile que je commente. On fait la lecture du procèsverbal
de la séance précédente. Je fais ensuite une petite causerie
sur la marche du patronage, sur les écueils à éviter, sur le bon
exemple à donner et, s’il y a lieu, sur les fêtes à sanctifier par la
Sainte Communion. La prière clôture les séances. »
Il explique que face à cette nouvelle organisation, il a senti les grands se
mettre sur la marge et qu’il ne les a pas retenus, afin « qu’ils ne puissent pas
gâter les autres ».
L’intérêt pour les plus jeunes est manifeste, car ils sont porteurs d’espoir
dans la mesure où, façonnés dès leur plus jeune âge, ils constitueront des
adultes instruits dans la religion. Le vicaire organise pour eux des
distractions : une équipe de foot dont il est précisé qu’elle a des maillots
spéciaux, de la musique, etc. Le patronage compte 33 membres âgés de 14 à
23 ans. « La messe du patronage est celle de 9 heures, et un carnet de
présence, laissée à la sacristie, reçoit leur signature, chaque dimanche, sous
le contrôle du prêtre célébrant. »
Pour le groupe des jeunes de 10 à 13 ans, un ecclésiastique les prend en
charge le dimanche pour quelques leçons catéchistiques, une promenade,
une visite au Très Saint-Sacrement et la prière. À 14 ans, ils sont admis lors
d’une cérémonie. « Chaque année, le Patronage se rend dans une paroisse
voisine pour y chanter la messe et y passer la journée. » Cependant, le
constat de l’ecclésiastique est amer : « combien est immense et souvent
ingrat le travail sur la jeunesse. » Mais il reste fidèle à la devise du
patronage : « la persévérance au bien mène à Dieu. »
Autre patronage, autre fondateur : à l’origine du patronage Notre-Dame
d’El-Biar se trouve Bollon. Deux fois par semaine une réunion se tient dans
l’une des sacristies de l’église. Elle regroupe une vingtaine d’enfants que
Bollon exerce au chant. Ils vont ensuite constituer une sorte de fanfare.
Dans le même temps, a lieu la fondation d’un cercle d’études sous la
présidence d’un laïque. Depuis 1908, le patronage est doté d’une salle
spécifique hors de l’église. Le règlement impose l’assistance à la messe le
dimanche et précise les fêtes d’obligation ; quatre absences consécutives,
non motivées, aux réunions sont considérées comme un acte de démission ;
la cotisation mensuelle s’élève à 50 centimes par mois. En contrepartie, les
membres bénéficient de la gratuité des leçons de guitare, mandoline, clairon
et tambour ; de l’entrée gratuite aux séances données dans les locaux du
patronage ; de la jouissance gratuite du billard et des jeux divers dans la
salle de l’association. Les conditions d’accès au patronage sont claires : être
catholique, avoir une bonne réputation et de bonnes mœurs.
Deux sections regroupent les enfants et les adolescents : les moins et les
plus de 13 ans. Le conseil qui se trouve à la tête du patronage est composé
du curé et de l’abbé ainsi que de huit jeunes gens. Chaque semaine une
conférence religieuse est organisée à laquelle se doivent de participer les
membres. « Pour les sports, nos jeunes gens ont le football. Pour la
musique, l’Estudiantina, la clique et la chorale. » Pour le théâtre, le choix
des représentations se porte sur des sujets religieux. Des séances de cinéma
sont aussi prévues : « Aujourd’hui ce sont eux-mêmes qui font marcher le
cinéma. » Ils disposent aussi de toutes les autres distractions que l’on trouve
dans un patronage comme le billard.
En 1912, l’association catholique de la jeunesse française se rend à
Notre-Dame d’Afrique : le cercle du Sacré-Cœur, la jeunesse catholique de
Saint-Bonnaventure et son patronage, les patronages de Notre-Dame
d’Afrique et de Sainte-Croix, l’Avant-garde Jeanne d’Arc, la congrégation
de Notre-Dame-des-Victoires, des délégations de l’école Lavigerie et du
cercle Saint-Louis 77 . Ils sont reçus par Piquemal qui leur délivre les conseils
de base : être fidèle à son drapeau, vivre pour Dieu et pour la patrie. On
apprend qu’une délégation d’Algérois s’était rendue à Lyon pour assister à
un congrès organisé pour la jeunesse catholique française. Une procession
et la prière pour les morts clôturent la journée.
Les œuvres sont donc nombreuses et seules ont été mentionnées celles
qui ont le plus retenu l’attention de la SRA 78 . La diversité des œuvres ne doit
pas masquer l’objectif principal de toutes ces organisations qui est
d’encadrer au mieux la société afin de la contrôler. Les différences entre les
œuvres algériennes et françaises sont mineures quant à leur fonctionnement
interne. Les différences entre elles sont, elles aussi, négligeables dans la
mesure où elles visent un même public en vue d’un même but. Le fait d’être
en Algérie ne transparaît pas au premier abord. Il en est de même pour les
œuvres destinées aux plus pauvres.
Pauvres, mais catholiques
Le secours « moral »
Les plus démunis sont l’objet des attentions et de l’Église et des laïcs
catholiques 79 dans des œuvres qui visent aussi bien les aspects matériels
que « moraux ». Ainsi, depuis 1895, il existe une œuvre de saint François-
Régis dont le président est avocat à la cour d’Appel d’Alger, Tilloy, et le
directeur est l’abbé Warot. Son but est de faciliter le mariage religieux des
indigents, dont on sait que sa validité dépend en premier lieu du mariage
civil. Pour ce faire, les membres de l’œuvre se procurent les pièces d’étatcivil
nécessaires à ceux qui n’ont pas les moyens d’y pourvoir par euxmêmes,
assurent la traduction de celles qui sont en langues étrangères,
suivent devant les tribunaux les nombreuses instances qu’engendrent les
inexactitudes de noms ou d’orthographe, la minorité des parties, la
disparition de leurs auteurs, etc. afin de faciliter les mariages et la
légitimation des enfants. La famille reste une des préoccupations constantes
des législateurs et des moralistes. Or, si la constitution de la famille est
facile pour les personnes aisées et lettrées, elle présente souvent, pour les
personnes issues de milieux modestes, voire défavorisés, comme pour des
personnes qui ne maîtrisent pas suffisamment la langue française, de
nombreuses difficultés. Les membres de l’œuvre soutiennent ces personnes
financièrement et dans leurs démarches. Entre 1895 et 1913, 1 721 mariages
et 1 271 légitimations d’enfants ont été rendus possibles 80 . Cette question
des hommes et des femmes qui vivent hors mariage et celle de leurs enfants
qui de facto sont illégitimes, n’est pas propre à l’Algérie et se rencontre
dans d’autres colonies et en France. Cependant, aux colonies et en
particulier en milieu musulman, si elle pose problème aux autorités civiles
et religieuses, le regard des musulmans lui donne une acuité particulière.
Cette thématique renseigne aussi sur les conditions d’existence d’une partie
des colons et sur la misère dans laquelle certains se trouvent et qui
expliquent aussi la fondation de l’œuvre du fourneau économique.
Secours matériel
Cette dernière est instituée en 1905 par Bollon et Mmes Prénat,
Chapelier, Besson 81 . Elle est, elle aussi, le résultat d’une collaboration entre
ecclésiastiques et laïcs. L’objectif est de permettre aux pauvres de se
procurer, au moyen de bons distribués par les sociétés charitables ou les
particuliers, des mets chauds et préparés. Elle permet ainsi aux riches de
faire la charité en donnant aux malheureux des bons du fourneau, et surtout
pas de l’argent, qu’ils pourront faire prendre soit au presbytère soit chez les
sœurs qui dirigent l’œuvre. Elle est aussi présentée comme susceptible de
rendre service aux ouvriers qui n’ont pas le temps de préparer leur repas de
midi et qui, pour une somme minime d’après la revue catholique, auront à
leur disposition un vrai repas. Quelques bienfaiteurs ont permis par leurs
dons de faire démarrer l’œuvre qui est physiquement installée derrière la
cathédrale. Nous sommes dans une vision paternaliste du catholicisme
social caractéristique de l’esprit de la période. Il convient aux riches
d’assurer leur salut de la manière la plus utile possible aux pauvres.
C’est une démarche similaire qui guide les membres de l’œuvre de
Saint-Vincent-de-Paul : l’argent ne peut être directement donné aux pauvres
car il faut les protéger d’eux-mêmes. L’objectif est le perfectionnement
moral de ses membres par le secours matériel et moral aux pauvres.
L’activité de cette œuvre est considérable tout comme sa participation
active à la vie religieuse urbaine. Rares sont les journaux religieux qui ne
mentionnent une de leurs conférences, leurs exercices spirituels à la veille
des grandes fêtes et leurs actions charitables. Les secours doivent donc être
portés en nature, sauf rares exceptions, et à domicile. Il n’est pas question
de ne pas payer de sa personne et de se contenter d’alléger sa bourse en se
donnant bonne conscience. C’est pourquoi, les membres effectuent des
visites hebdomadaires aux domiciles des personnes démunies et
sélectionnées par la société.
Si le but des visites est de procurer des subsides en nature, il est aussi
d’inciter les pauvres à mener une vie chrétienne. Un secrétariat est même
chargé de leur trouver du travail car « l’oisiveté est mère de tous les vices ».
Rappelons que la société de Saint-Vincent-de-Paul est une société présente
dans le monde entier et dont les rouages sont bien établis. Les catholiques
algériens sont invités à verser leur obole le troisième dimanche de chaque
mois et le détail de l’affectation des dons est publié chaque année. La SRA du
3 avril 1910 donne le compte rendu pour 1909. Sans en donner ici la liste
exhaustive, le budget principal est consacré au pain, environ la moitié des
dépenses annuelles qui reflètent la réalité quotidienne des plus pauvres ;
puis, viennent les budgets pour les légumes et l’épicerie et celui de la
viande qui ne doit participer qu’aux repas des fêtes religieuses les plus
importantes. Des frais en relation avec la religion sont présents comme
l’arbre de Noël, les étrennes et les messes pour les morts. On note aussi un
petit budget pour l’œuvre du fourneau économique. Les sommes concernant
les médicaments sont quasi inexistantes. Ce type d’œuvre pare au plus
pressé et s’inscrit dans une spiritualité de proximité à connotation
paternaliste, tout comme l’action dans la paroisse de l’Agha de
Mme Terwangue 82 . Le document la présente comme une personne « que les
soins d’une santé menacée exilaient de sa famille… » et qui a recueilli des
enfants pauvres. Elle fonde l’ouvroir saint Charles dont l’objectif est
d’éduquer chrétiennement des jeunes filles et de veiller à ce qu’elles
concluent des unions chrétiennes, puis d’assurer leur bien-être matériel en
fournissant leur mobilier. Cet exemple est une illustration supplémentaire
de la présence en Algérie de catholique de familles métropolitaines
attachées à la religion.
Tout autre est l’esprit de l’œuvre des jardins ouvriers, même si le
paternalisme n’en est pas exempt 83 . L’article de la SRA retrace l’historique
de la fondation par le fondateur même, l’abbé Dauzon, curé d’El-Biar. Un
jeune homme Frédéric Delloüe est venu le trouver pour fonder l’œuvre des
jardins ouvriers sur le modèle choisi par sa mère qui en avait fondé 80 dans
le Nord. Décidé, le curé est allé rencontrer des propriétaires dont certains
lui ont confié des parcelles où des ouvriers ont pu cultiver un jardin : c’était
en juillet 1907. L’abbé s’est ensuite rendu à Paris où il a rencontré l’abbé
Lemire et l’a convaincu de venir inaugurer l’œuvre, ce qu’il fait en
avril 1908. De retour, il obtient de nouveaux terrains et constitue un comité.
En quoi consiste un jardin ouvrier ? Une parcelle de terrain est concédée
gratuitement sur laquelle un ouvrier peut cultiver et récolter pour son propre
compte. Pour en bénéficier, il faut être père de famille et être ouvrier.
Aucune corporation n’est exclue et l’œuvre accepte, toujours aux dires de
son fondateur, les ouvriers sans distinction de culte. Il restait à fixer
définitivement les statuts et à en faire la déclaration tant à la préfecture
qu’au Journal Officiel.
L’autre objectif est de favoriser l’accès à la propriété des ouvriers.
Cependant, les ouvriers regardaient l’œuvre avec une certaine méfiance :
« Pour protéger l’ouvrier contre la tentation des offres
avantageuses qu’on pourrait lui faire lorsqu’il serait entré dans la
maison ouvrière, M. Pasquier établi que le terrain sur lequel
serait bâtie la maison serait consenti immédiatement au preneur,
mais que les 300 mètres de jardin entourant la maison ne seraient
sa propriété qu’au bout de 25 ans. La Société lui en donnerait
immédiatement la jouissance gratuite. Et pour lui assurer de
façon indubitable et certaine cette libre jouissance ainsi que la
possession de ce terrain, la Société passerait avec lui un bail avec
promesse de vente au prix de 2 francs le mètre, bail enregistré et
signé dans toutes les formes de la loi. »
Cependant, certains ouvriers se sont découragés et en 1909 il y avait
huit maisons. « Nous ne dirons pas ici toute la sympathie que les Pouvoirs
publics, l’Administration diocésaine et l’opinion ont donnée aux efforts et
aux premiers résultats de la Société. » Certes, comme pour toute œuvre, il
est demandé des dons, mais la nouveauté réside dans une autre modalité de
financement. En effet, le comité a émis des actions à 100 francs, des
obligations nominatives à 100 francs et des obligations au porteur à
1 000 francs rapportant un intérêt de 4 %.
La multitude des œuvres, des conférences à caractère religieux, tout le
cortège des manifestations spirituelles d’une certaine élite pourraient
occulter un élément pourtant fondamental : une implantation sur une terre
musulmane où le christianisme vient tout juste de reprendre pied. Mais
même vu sous cet angle, les diocèses algériens sont pourvus de tout ce qui
peut exister dans un diocèse métropolitain.
LE CATHOLIQUE ALGÉRIEN : CONFIT EN DÉVOTION
OU EN CONVENANCE SOCIALE ?
Une vie spirituelle de qualité propre à l’élite
En effet, la communauté catholique n’est pas coupée de l’évolution des
grands débats religieux. Preuve en est l’existence d’un Sillon algérien créé
en 1904 84 . Marc Sangnier le visite à deux reprises, en mai 1904 et en maijuin
1907. Son passage à Oran en 1904 fait l’objet d’un rapport de police
très complet 85 . Il nous apprend que Marc Sangnier a répondu à une
invitation de l’évêché. Son objectif est de former une section du Sillon à
Oran. Trois conférences ont été données dans ce but au cercle catholique
d’Oran, La Jeanne d’Arc. 250 personnes issues de toutes les classes sociales
et constituées de jeunes pour la plupart assistent aux réunions. L’orateur a
exposé son action : assurer sur le terrain politique le triomphe de la
démocratie chrétienne. Il envisage en France la création d’un parti
catholique fort. Il engage en ce sens la constitution d’un Sillon oranais qui
doit être « un cerveau et un poing » (ces deux mots sont soulignés dans le
texte par le préfet). Pour lui, l’éducation des masses doit être physique et
morale. Les Oranais sont invités à créer un de ces groupes en remplacement
du cercle La Jeanne d’Arc dont la connotation est trop cléricale. Dès la fin
de la conférence une quinzaine de jeunes gens donnent leur adhésion
immédiate. Le vicaire général Bouissière s’engage à diriger cette action. Il
est déjà connu pour son attitude combative et sa plume virulente dans la
SRO, attitude qui ira en se confirmant.
Quelques fonctionnaires et militaires connus pour leurs sympathies
catholiques sont présents, à la grande indignation du préfet qui réclame des
sanctions à leur encontre. À l’occasion de la seconde visite de Marc
Sangnier en mai-juin 1907, se tient à Alger un congrès clôturé par une
conférence publique du fondateur. Le commandement de la place interdit
aux militaires d’assister à cette réunion 86 . Depuis leurs fondations, les
Sillons d’Alger et d’Oran ont déployé une activité considérable 87 . De
nombreuses conférences ont lieu et La croix de l’Algérie et de la Tunisie
invite à y assister. Des assises annuelles se tiennent et sont l’occasion de
rappeler les objectifs et les fondements du Sillon 88 . Les retraites de ses
membres sont annoncées dans les journaux cléricaux 89 . Toutefois, ce sont
les séances « récréatives » qui mobilisent le plus de personnes. Concerts,
pièces de théâtre et autres divertissements sont organisés et attirent un
éventail plus large de catégories sociales que les conférences ou les
retraites 90 .
Mais dans ce milieu colonial où les Européens ne sont censés être là que
pour l’appât du gain, une spiritualité progressiste s’est mise en place bien
avant le Sillon. Elle est en large partie la résultante de l’initiative de
Français d’Algérie que les contemporains présentent comme des libres
penseurs. En effet, il ne revient pas au Sillon d’avoir inauguré le cycle des
conférences. La population coloniale, isolée en terre musulmane, est
heureuse de participer à toute manifestation européenne de surcroît à
caractère religieux. Les conférences de Saint-Vincent-de-Paul ou du cercle
La Jeanne d’Arc, fondé par Bouissière, témoignent de cette ardeur et de
cette attente religieuse.
Il peut sembler donc logique que Marc Sangnier se soit intéressé à
l’Algérie. Un potentiel mobilisable existait qui a pu s’engager dans le
Sillon. C’est là encore une des particularités de cette colonie de peuplement.
Sans la présence massive des Européens, relativement aux autres parties de
l’Empire, ce genre d’engagement militant n’aurait pas pu se développer
avec une si grande ampleur. Il existe en Algérie une frange de la population
catholique très en prise avec les problèmes de son temps et au fait des
mouvements à l’intérieur du catholicisme. Leur nombre reste difficile à
évaluer même si on peut penser que, proportionnellement à la communauté
catholique dans son ensemble, la part de l’élite catholique en Algérie ne
doit pas être sensiblement différente de celle de la France. Cette élite a
intériorisé sa foi et l’oriente en début du siècle vers une action politique
novatrice. Les contacts avec les milieux catholiques progressistes de la
métropole ne doivent pas être inexistants, ce qui expliquerait le voyage de
Marc Sangnier. Ce dernier aurait-il songé à venir s’il s’était arrêté à la
représentation parlementaire de l’Algérie, composée de radicaux et de
républicains ? De plus, le fondateur du Sillon a outrepassé la vulgate sur la
réputation religieuse des Européens d’Algérie qui oscille entre deux
extrêmes : d’une part, des personnes sans foi ni Dieu et, d’autre part, des
adeptes de toutes les dévotions populaires. Ces deux visions, qui dominent
dans les écrits des contemporains, auraient dû dissuader Marc Sangnier de
l’opportunité d’une implantation du Sillon. Au-delà de l’imagerie la plus
répandue, d’où il ressort qu’en Algérie règnent l’incroyance et la
superstition, perce une autre réalité, celle de l’existence d’une spiritualité
qui marque sa présence et exprime ses attentes. Marc Sangnier ne s’y est
pas trompé : l’Algérie reste une entité à part.
C’est pourquoi, une fois à Tunis, il n’a pas manqué d’orienter son
discours vers une autre direction. Il y a pris contact avec un groupe de
jeunes intellectuels musulmans 91 . À son retour en France, il publie un
article où il appelle au rapprochement entre chrétiens et musulmans 92 .
D’après Jeanne Caron, la documentation disponible ne permet pas de
déterminer si les sillonistes d’Alger entretenaient des relations avec les
musulmans. En revanche, une certitude : Marc Sangnier n’a pas établi de
contact avec l’élite musulmane en Algérie. Ce fait est significatif de la
particularité de l’Algérie au sein des colonies. Pourquoi cette distinction de
la part de l’intellectuel catholique ? Les explications sont difficiles à
avancer faute de documents. Il se peut que seuls des problèmes d’ordre
pratique puissent expliquer son comportement. Dans le cas contraire,
quelques hypothèses peuvent être avancées.
Une des explications peut être liée au statut de l’Algérie qui n’est ni
juridiquement une colonie ni réellement la France. Le protectorat en
Tunisie, moins contraignant pour les populations, laisse en définitive plus
de liberté à l’élite musulmane. En Algérie, Sangnier a peut-être
délibérément ignoré cette élite pour ne pas heurter les colons imbus de leurs
prérogatives. Il n’a peut-être pas voulu blesser la susceptibilité d’adhérents
potentiels. Les catholiques progressistes d’Algérie, le seraient-ils moins que
ceux de Tunisie en ce qui concerne les indigènes ? Le fait que Marc
Sangnier n’ait pas contacté les élites musulmanes renforce indéniablement
la ségrégation de cette société coloniale où les populations soumises sont
occultées. Ce fait, en lui-même mineur et anecdotique, est avant tout
révélateur de l’évolution des rapports entre les deux communautés. Le
fossé, loin de se combler, ira en se creusant : les Européens, qui se
qualifient alors d’Algériens, déniant aux autochtones cette dénomination,
ignorent les indigènes et réciproquement. Cet épisode, épiphénomène de la
réalité coloniale, traduit la spécificité de l’Algérie par rapport à toutes les
autres possessions françaises : elle est la seule vraie colonie de peuplement
et les rêves chimériques d’aucuns, laissant présager une extinction des
populations locales, s’envolent dans les années d’avant-guerre devant
l’obstination à vivre des indigènes.
Aux côtés du Sillon, l’élite peut s’investir dans d’autres mouvements,
comme l’œuvre des Tabernacles, instituée à Oran en 1905 et dans bien
d’autres encore 93 . On ne pourrait pas refermer ce paragraphe sans s’attarder
sur un groupe de l’élite qui occupe lui aussi le devant de la scène
catholique : la société de Saint-Vincent-de-Paul. Cette dernière se place sur
le terrain culturel notamment via sa bibliothèque à Alger qui se trouve rue
Bab-el-Oued sous l’église de Notre-Dame-des-Victoires. Elle est ouverte
tous les jours, exceptés les dimanches et jours de fête, de 6 heures à
7 heures le soir, et propose des ouvrages d’histoire, de littérature, de
voyages avec des prix annoncés comme très modérés 94 . Leur action envers
les plus démunis en Algérie a déjà été présentée 95 et repose sur une
spiritualité mariale :
« Ces Messieurs, l’élite catholique de la cité, s’étaient préparés
par une retraite privée à cette manifestation privée de foi et
d’amour. Pendant trois jours, les 5, 6 et 7 décembre, on les avait
vus à 8 h. ½ du soir, venir nombreux et empressés dans le pieux
sanctuaire de la rue des Consuls, pour prier en commun… en
écoutant avec une sympathie et une piété croissantes les
entretiens qui leur étaient donnés sur l’apostolat chrétien, ses
raisons fondamentales et ses obstacles les plus redoutables 96 . »
Le clergé algérien ne cesse, lui aussi, de démontrer un grand
dynamisme. Il n’hésite pas à organiser, assez souvent, des pièces de théâtre,
des concerts, des remises de prix 97 … L’Église fait appel à des prédicateurs
pour des conférences dialoguées, très prisées, notamment à l’occasion des
grandes fêtes chrétiennes. Une de ces activités rencontre un grand succès : il
s’agit de « la messe des hommes », inspirée d’une pratique qui existait dans
certains diocèses en France 98 . À en croire la presse religieuse, ces messes
sont très populaires. Comment alors appliquer à l’Algérie l’une des
caractéristiques de la religiosité méditerranéenne où les hommes iraient peu
à l’église ? Le problème est beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît, car, en
Algérie, une église ne représente pas forcément la même chose qu’en
France. Elle n’a pas la même charge émotionnelle qui en fait aussi un repère
culturel. De plus, les archives indiquent que des hommes continuent à être
animés par des sentiments religieux pour diverses raisons.
Tout en s’orientant vers des actions où l’élite trouve des satisfactions,
actions dont l’élite est aussi à l’origine, l’Église ne méprise pas pour autant
la masse 99 . L’institution répond aux aspirations du grand nombre des fidèles
en allant à leur devant et en intégrant leurs formes de spiritualité. C’est cette
logique qui préside le travail apostolique en direction des « étrangers ».
Les catholiques « étrangers »
Rares sont les indications concernant les populations étrangères.
Toutefois, l’Église a mis en place toute une série de dispositions, afin de
faciliter leur insertion dans la colonie sur le plan religieux. De plus, elle n’a
pas non plus hésité à orchestrer des manifestations religieuses spécifiques
aux uns et aux autres.
Le souci de la prédication
Dans l’ordre des offices ordinaires se trouvent des indications sur les
conditions de la prédication. Ainsi, des séances en langues italienne et
espagnole sont régulièrement annoncées. La population maltaise fait, elle
aussi, l’objet d’attention, puisque :
« Pendant la durée du Temps Pascal… M. l’abbé Calleja, curé de
Birmandreïs, sera tous les samedis, à la Cathédrale, de 1 heure à
3 heures de l’après-midi, à la disposition des personnes qui ne
peuvent se confesser qu’en langue maltaise 100 . »
La paroisse Saint-Joseph, cité Bugeaud, propose le dimanche
l’instruction en langue espagnole 101 , alors qu’en l’église métropolitaine des
vêpres à destination des Italiens sont proposées. S’agit-il d’Italiens,
d’Espagnols et de Mahonnais récemment arrivés ou de descendants de
colons en provenance de ces pays ? Il reste difficile de le préciser.
Toutefois, la maîtrise de la langue française par ces populations, on le sait
pour les périodes postérieures, n’est pas toujours complète, quand bien
même les personnes sont nées en Algérie ou y sont arrivées jeunes. En plus
des offices ordinaires, des missions sont aussi prêchées à destination de ces
populations 102 et pour les fêtes des prédications sont prévues dans d’autres
langues que le français 103 . L’objectif des autorités catholiques est d’encadrer
ces fidèles et de ne pas les marginaliser. Ainsi, si la piété mariale est attestée
en France, elle l’est tout autant en Italie et en Espagne. C’est pourquoi il
reste difficile de savoir à qui attribuer son rayonnement en Algérie.
Toutefois, certaines manifestations sont clairement repérables comme
issues d’Italie ou d’Espagne. L’exemple des pêcheurs est particulièrement
significatif pour Alger :
« Ce sont les fils de Sorrento, de Castellamare, de Torre-
Annunziata, et des îles d’Ischia, de Porcida et de Capri… Ils ont
gardé les habitudes pieuses de leur patrie. On peut entrer chez
eux le samedi : presque partout on trouvera la lampe qui brûle
devant l’image de la Madone. On peut visiter leurs barques : sur
toutes on trouvera également un souvenir de Marie ou un
hommage qui lui est rendu. Ils furent en réalité les premiers
pèlerins à Notre-Dame d’Afrique 104 … »
Les Vierges italienne et espagnole en Algérie
L’un des éléments centraux de cette spiritualité méridionale reste donc
le culte marial qui semble à l’honneur aussi bien chez les Italiens que chez
les Espagnols. En ce début de siècle, les manifestations mariales restent très
marquées par les pays d’origine comme l’atteste le culte à Nostra Seniora
de las Injurias à Saint-Joseph 105 . Dans cette paroisse, fondée en 1851,
nombre d’Espagnols se sont établis et ont développé un culte en provenance
de leur village d’origine, Callosa de Ensarria, en faisant venir une statue de
Notre-Dame des Injures. Si l’on se rapporte à la SRA, l’origine de ce nom est
à rechercher dans le passé islamique de l’Espagne. Les musulmans auraient
détruit au VIII e siècle une statue de la Vierge dont on retrouva au XVI e siècle
les différents morceaux. L’épisode fut interprété dans un sens miraculeux
pour attester de la volonté de la Vierge de demeurer avec ses ouailles. Les
descendants de ce village ne manquent pas de commémorer l’événement
chaque année pendant le mois du Rosaire par « une Neuvaine à la gloire de
celle qu’ils regardent, avec raison, comme la Libératrice de la Péninsule du
joug mahométan 106 ». Cette dévotion a été importée en terre algérienne à
Bab-el-Oued. À cette occasion, un religieux vient d’Espagne et, avec
l’aumônier de la chapelle espagnole, assure les célébrations. Toutefois, si
cette pratique est bien espagnole, participent aussi les membres d’autres
communautés comme l’atteste la présence des Enfants de Marie ou encore
des Filles de la Charité. Le lien avec le pays d’origine est clairement établi
et maintenu par la présence de personnel religieux en provenance de la
péninsule ibérique. Dans le même temps, un certain brassage des croyances
est en cours. La dévotion à une Vierge victorieuse des musulmans n’est pas
anodine pour la construction d’une identité catholique en Algérie.
Pour les Italiens, le culte de la madone revêt lui aussi ses propres
spécificités. Le rôle de la confrérie des pêcheurs est particulièrement
important lors du mois de mai, mais aussi à l’occasion de la célébration de
l’Assomption et de la fête de l’Immaculée Conception. De nombreux
articles rendent comptent de la ferveur des Italiens. Ainsi dans la SRA du
16 décembre 1906 :
« Si l’on n’était pas à Rome on aurait pu facilement croire que
Rome était à la Cathédrale, car la foule qui remplissait les nefs
de l’Église Métropolitaine était en majeure partie composée
d’Italiens et c’était pour eux que, plus spécialement l’office du
soir était célébré. »
La statue de la Vierge est portée par des Italiens et l’article ne manque
pas de souligner l’ardente dévotion de la population italienne pour la
Madone.
Le faste est tout aussi important en 1910 pour le 15 août à Notre-Dame
d’Afrique 107 . L’organisation de la fête a été confiée à un comité composé
des principaux membres de « la colonie italienne » :
« En bas de la côte de l’Ermitage, un arc de triomphe avait été
élevé, sur lequel brillait, en gros caractères, l’inscription
suivante : “Honneur à la Marine” – les organisateurs sont en
effet tous pêcheurs. Des bigues, ornées d’oriflammes aux
couleurs françaises, s’échelonnaient le long de la route, de
distance en distance, reliées entre elles par un cordon de
lanternes vénitiennes. L’esplanade offrait un spectacle
magnifique. Du centre, pointait un immense poteau d’où
pendaient, en courbes majestueuses, plusieurs guirlandes de
lanternes vénitiennes rouges, qui allaient se greffer aux arbres
pour se répandre, multiples méandres tout autour de la Basilique.
Une charpente gracieuse et élégante ornait le porche de l’église,
pour l’illumination du soir. L’intérieur du sanctuaire avait revêtu
sa parure des grands jours : beaucoup de fleurs, un luminaire
étincelant… Et, Notre-Dame d’Afrique, sur son trône de
lumière… »
La messe commence dès 6 heures du matin et se poursuit par la
traditionnelle procession autour de la basilique avec la statue de la Vierge
portée par les membres de la confrérie italienne du Très Saint-Sacrement,
les autres membres formant une escorte. Ils font deux fois le tour de la
basilique au chant des cantiques populaires et une salve de coups de feu est
tirée. Le soir, la fête continue avec feux d’artifice et illuminations. Il est
précisé que :
« En Italie, le feu d’artifice et les illuminations font toujours
partie intégrante de toute fête religieuse. Un Italien ne conçoit
pas une fête religieuse, tant soit peu importante, sans ces
réjouissances populaires, toujours saines, parce que à la base, il
met la Religion : il fait servir à la gloire de Dieu ou de la Vierge
ou des Saints, ce que les mondains emploient habituellement
pour leurs plaisirs frivoles. Sous toutes les latitudes, en Afrique,
en Amérique, partout où le porte son esprit aventureux et la
légitime ambition de conquérir, par son travail, une place au
soleil, l’Italien – et surtout le Napolitain – reste solidement
attaché au culte de Marie : il garde au fond de ses yeux clairs la
vision des célèbres sanctuaires élevés sur le sol natal à la gloire
de Marie. Malgré les progrès de l’irréligion, dans le pays
d’adoption, l’Italien aime toujours profondément la Vierge. »
Les festivités s’achèvent le soir avec un regret :
« Les Italiens d’Alger, ainsi que le comité, estiment qu’ils n’ont
pas encore assez fait pour la Madona. Ils auraient voulu faire
chanter, à N.-D. d’Afrique, une messe en musique, et organiser
le cortège de la procession à Bab-el-Oued et gravir ainsi la
colline. »
Ces manifestations religieuses ne sont marquées par aucune trace
d’allégeance politique envers l’Espagne ou l’Italie. À tel point que les
drapeaux qui pavoisent sont des drapeaux français. Se pose la question de la
citoyenneté de ces populations : sont-elles officiellement françaises ? Audelà
de ces considérations légales se pose aussi la question de savoir dans
quelle mesure cette définition juridique recoupe les identités culturelles.
Une certitude : ces populations apparaissent comme ne maîtrisant pas
toujours le français et sont aux yeux de certains perçues comme étrangères
quand bien même elles sont françaises.
La diversité des populations catholiques se traduit dans une pluralité de
pratiques religieuses auxquelles l’institution religieuse répond.
Le Bab-el-Oued des Hernandez
Ainsi, quand il y a des vents contraires, des accidents de mer, l’absence
de poissons dans le golfe, les marins n’hésitent pas à monter à la basilique
où ils prient les prêtres qui la desservent, ou quelquefois Lavigerie luimême,
de venir donner une bénédiction à la mer, comme dans les villages
catholiques, on donne, à l’époque des rogations, une bénédiction aux
campagnes 108 . Il a même été composé, dans ce but, une formule de prières
qui se récitent dans ces occasions, du haut de la colline de Notre-Dame
d’Afrique.
De même que peu de temps après son arrivée en Algérie, Oury est
sollicité par ses fidèles afin de faire cesser la sécheresse qui sévit depuis des
mois 109 . L’archevêque commence par dresser un état des lieux qui fait état
d’une situation catastrophique et à laquelle il ne peut être insensible.
Toutefois, il ne manque pas de rappeler quelle est l’origine de cette absence
de pluie : « … que la main du Seigneur nous éprouve à bon droit, et que
l’éternelle Justice nous frappe parce que nous sommes coupables à son
égard de cette faute capitale qui est l’oubli. » Et de rappeler la profanation
du dimanche, les nombreux blasphèmes, une science mal comprise qui
éloigne de Dieu, etc. La source du mal ayant été diagnostiquée, le remède
ne peut se trouver que dans la pénitence et la prière. C’est pourquoi,
l’archevêque établi une liste de prières et d’actes pieux afin d’attirer les
bénédictions de Dieu et la venue de la pluie.
Une situation analogue conduit, le 18 février 1905, l’évêque d’Oran à
faire dire des prières pour faire venir la pluie 110 . La SRO du 25 février 1905
annonce que le ciel a écouté ses prières, car la pluie est venue. C’est la
même logique qui est à l’origine de l’initiative de l’archevêque d’Alger en
1913 111 . À la suite d’une période de grande sécheresse, les travaux des
champs ont presque partout été interrompus et les semailles sont
sérieusement compromises :
« La Sainte Église, toujours naturellement soucieuse des besoins,
même matériels de ses enfants, a heureusement institué des
moyens surnaturels pour prévenir les désastres dont parfois est
menacée l’agriculture nourricière de l’homme. Elle sait que
Dieu, seul Tout-Puissant, donne à son gré, la fécondité ou la
stérilité à la terre et, dans ses prescriptions rituelles, elle nous
invite à recourir par la prière, en son infinie bonté en tout temps,
mais surtout dans nos alarmes. »
L’heure est donc venue de prescrire des prières pour la pluie.
Dans un tout autre registre, mais pour les mêmes raisons, répondre aux
demandes des fidèles, les prélats accèdent aux requêtes de leurs ouailles.
Ainsi, Mgr Oury accepte, lors d’un voyage à Castiglione en 1899, de céder
aux supplications de pêcheurs venus de Chiffalo, de Ben Haroun et de
Bérard, pour recevoir la confirmation, et de venir bénir la mer et leur
maison 112 . Ces pêcheurs, dont le journal nous explique qu’ils sont de « bons
Siciliens », embarquent avec le prélat sur un bateau pavoisé et décoré pour
la circonstance. Nous avons là un exemple d’importation d’une pratique
sicilienne et l’on peut s’interroger pour savoir si Oury était préparé à ce
type de tradition, même si dans ses charges précédentes le monde de la mer
lui a été très familier.
Toutefois, le clergé reste vigilant face à ce qu’il considère comme des
superstitions. En 1914, l’archevêque condamne une pratique qui semble se
diffuser dans le diocèse 113 . De divers points du diocèse circulent une
certaine forme de prière censée avoir été découverte à Jérusalem, dans le
tombeau de Jésus. Cette prière est accompagnée de la promesse d’une
grande joie et de la préservation de tous les maux pour celui ou celle qui la
copiera neuf fois et l’adressera à neuf personnes différentes, tandis que de
grands malheurs frapperont ceux qui auront brisé « cette prétendue “Chaîne
de prières” ». Les curés sont invités à mettre en garde les fidèles contre
cette pratique « évidemment entachée de superstition » :
« La superstition, en effet, dit le Catéchisme, est une faiblesse
d’esprit qui porte à des croyances imaginaires et à des pratiques
auxquelles on attache une vertu qu’elles n’ont pas en réalité.
C’est un péché contre le premier commandement de Dieu. »
La SRA trouve regrettable que des chrétiens et des chrétiennes soient
assez naïfs pour se laisser émouvoir par des promesses ou des menaces
qu’aucune autorité religieuse n’a confirmées et qui, dès lors, ne méritent
absolument aucun crédit. Les curés doivent rappeler aussi souvent qu’ils le
jugeront nécessaire les positions de l’Église pour détourner les fidèles de
cette pratique qui « tend à ridiculiser la religion, que le simple bon sens
réprouve et que Monseigneur l’Archevêque condamne et interdit dans son
Diocèse ». La date de circulation de cette prière n’est pas anodine puisque
la Guerre vient de commencer et que les fidèles ressentent légitimement le
besoin de se préserver du malheur par tous les moyens mis à leur
disposition. Or, l’institution entend seule établir la ligne de partage entre le
licite et illicite, et se considère comme la seule habilitée à délivrer les
moyens surnaturels de protection. Ce type de « chaîne » de prières est
attesté en France et se maintient encore sous de nouvelles variantes jusqu’à
nos jours. Il convient de noter que la définition du catéchisme repose sur le
seul argument d’autorité dans la mesure où il revient à l’Église seule de
définir les croyances et les modalités de leur mise en pratique. Dans le cas
présent, la menace repose sur une rivalité de fait imposée par la circulation
de la prière, dans d’autres cas des arguments pécuniaires peuvent intervenir.
Ainsi, l’attention est attirée en 1911 sur deux marchandes de piété qui
abusent, selon la SRA du 16 avril 1911, de la bonne foi de leur clientèle :
elles prétendent que tout ce qu’elles vendent vient de Lourdes. Elles offrent,
entre autres, une médaille où se trouve gravée l’inscription « Nouvelle
Apparition de N.-D. de Lourdes ». Le journal ne manque pas de préciser
que cette nouvelle apparition est un pur mensonge.
Le clergé se prête donc aux attentes de la population. On peut se
demander où se trouve la limite avec les pratiques populaires. Quel est
l’apport de chaque communauté dans ces cérémonies qui pour certains
peuvent paraître peu orthodoxes ? Quelles sont les cérémonies propres à
l’Algérie ? Au premier abord, cette religiosité semble répondre aux critères
d’une sensibilité méditerranéenne. Les sources non-religieuses convergent
sur un point : toutes les populations européennes, les Français mis à part,
sont attachées à la religion. La population étrangère, ou d’origine étrangère,
se voit consacrer dans tous les ouvrages sur l’Algérie ou sur l’Afrique du
Nord un chapitre contenant quelques lignes sur sa spiritualité. L’emprise du
positivisme est alors telle que les auteurs ne s’intéressent que
superficiellement à la vie religieuse chrétienne. On tombe vite dans une
simplification qui en devient presque caricaturale. À lire ces auteurs, on en
déduirait que tous les Français sont des impies qui ne s’intéressent en
aucune manière à la religion et seraient même en voie de déchristianiser les
autres 114 . Quant aux autres Européens, leur attachement à la religion serait
quasi viscéral et leurs pratiques noyées dans toutes les superstitions
possibles et imaginables. La nuance n’est pas vraiment le point fort de ces
auteurs, mais il est intéressant de voir que telle a été leur impression. Il est
vrai qu’elle peut se vérifier sur certains points.
Les grands traits d’un catholicisme méditerranéen peuvent en partie être
appliqués à l’Algérie catholique. Les populations sont très attachées aux
rites de passages incarnés par certains sacrements. Les hommes tiennent à
ce que leurs épouses et leurs enfants restent dans le giron de la morale
chrétienne. Mais certains hommes sont aussi attachés à la religion, comme
en témoigne la « messe des hommes », les confréries masculines, les
demandes de certains pêcheurs, etc.
Pour la masse des fidèles, l’extériorisation de la religion, par des gestes
et des invocations, constitue l’essentiel de leurs rapports au religieux. C’est
vers 1880, selon les travaux de Jean-Jacques Jordi, que l’aspect religieux se
dessine plus clairement dans la société hispanique d’Oranie 115 . Dans cette
communauté la foi est très vive et se mêle parfois à des pratiques
« superstitieuses », « magiques ». Les fêtes religieuses sont toujours
chômées et l’ouvrier espagnol, y compris le plus miséreux, refuse de
travailler le dimanche. À cette occasion, on y revêt les plus beaux atours
autant par tradition religieuse que par nécessité sociale. Le prestige de la
famille dépend de la façon dont ses membres sont habillés ce jour-là. Les
fêtes religieuses, comme nous le rappelle Jordi, sont aussi l’occasion de
réunions familiales.
La masse des fidèles est en attente de gestes religieux de la part du
clergé, beaucoup plus que de sermons trop recherchés. Sermons qu’un
grand nombre a du mal à saisir entièrement et, plus encore, à assimiler. Le
clergé se doit de se mettre à la portée de ses ouailles et cela restreint
immanquablement le champ des prédications. Les mêmes thèmes
reviennent de manière récurrente dans les pastorales : le doute, la foi… Si le
prêtre reste indispensable pour les sacrements, le fidèle préfère
généralement s’adresser directement au Ciel.
Il invoque alors soit des saints intercesseurs, soit la Vierge. Le culte
marial domine sur tous les autres ; Marie est l’objet des plus grandes
attentions et fait partie prenante de l’histoire de l’Algérie. Les malheurs des
Oranais en 1849 ont été à l’origine du sanctuaire de Santa Cruz. Le Christ
ne manque pas aussi d’être invoqué, alors que Dieu le Père l’est beaucoup
moins.
Les grandes fêtes religieuses sont largement suivies, même si les
journaux populaires, non cléricaux, n’en font guère état. Des pratiques
espagnoles ou italiennes finissent par s’imposer, revues, corrigées, adaptées
sous le soleil algérien. Ainsi, lors de la Semaine sainte, les enfants qui
assistent à la messe tiennent des bâtons ramifiés. La particularité des
ramifications est de porter des petits jouets et des friandises, le tout
couronné d’une orange confite 116 .
Le rapport direct avec le religieux se traduit par des sortes de
« contrats » passés avec le Ciel. En période de grandes difficultés, le fidèle
invoque un saint et s’engage à accomplir un vœu si le saint l’aide à s’en
sortir 117 . Une fois le souhait accompli, le fidèle doit réaliser le vœu qui est
proportionnel à la faveur obtenue. Cela donne lieu à des scènes
pittoresques, certains choisissant, par exemple, de grimper à notre Notre-
Dame d’Afrique ou à Notre-Dame de Santa Cruz à genoux ou avec des pois
chiches dans les chaussures 118 … Les femmes sont de ferventes pratiquantes
qui, quand elles le peuvent, assistent tous les jours à la messe 119 . Elles ne
connaissent pour la plupart que peu de prières et les récitent comme de
véritables litanies. L’aspect de « superstitions pieds-noires » ne s’est pas
encore constitué dans la période étudiée. Après la Première Guerre
mondiale, un véritable syncrétisme de « pratiques magiques » issues des
traditions italiennes, espagnoles, juives, berbères, musulmanes, etc. se
structure. Au début du siècle, les distinctions existent encore : chacun
semblerait pratiquer dans son domaine culturel, chacun emprunte son
propre chemin pour s’adresser au Ciel, itinéraire balisé par des coutumes
ancestrales en provenance des pays de départ.
À quoi attribuer cette exacerbation des pratiques religieuses ? En quoi
se distinguent-elles des autres pratiques méridionales, si on admet qu’il
existe bien une spécificité à la religiosité catholique du bassin occidental de
la Méditerranée et que l’Algérie en fasse partie ? Sont-elles suscitées par les
mêmes éléments ? Des éléments coloniaux, propres à l’Algérie, ne sont-ils
pas perceptibles ?
Il me semble difficile d’insérer dans le cadre du catholicisme
méditerranéen les réalités algériennes où la « pratique » religieuse revêt des
connotations intrinsèques à la colonie. Ainsi, cette nécessité d’extérioriser
sa religion est à rechercher certes dans les pays d’origines, mais aussi dans
ce milieu colonial spécifique qu’est l’Algérie. La visibilité ne s’adresse pas
prioritairement aux anticléricaux de tous bords, elle répond à une autre
nécessité : marquer sa différence par rapport aux musulmans et, peut-être,
plus encore par rapport aux juifs, car ces derniers sont Français alors qu’ils
restent dans le regard de beaucoup d’Européens des indigènes. Cela justifie
partiellement le décorum des processions, le faste déployé lors des grandes
fêtes chrétiennes : la population est en représentation à travers ses pratiques
cultuelles. La visibilité a une vocation interne et externe, joue un rôle social,
politique, identitaire. Cette différenciation est d’autant plus nécessaire que
bien des catholiques européens vivent dans des conditions misérables
proches de celles de nombres de juifs. La religion va constituer,
progressivement, un pan important de la personnalité de ceux qui
deviendront les « Pieds-Noirs ». Alors que le colon passe pour un
irréligieux durant toute la période coloniale, après l’indépendance de
l’Algérie, c’est aussi autour de cérémonies religieuses que la communauté
se structure 120 . Ce sont les morts de la Première Guerre mondiale qui
réuniront les différentes populations. Et encore de manière incomplète car il
existera toujours une « hiérarchie » inavouable dans le regard de certains
entre les juifs 121 et les chrétiens, entre les Martinez et les Dupont. Seule la
déchirure de l’Algérie algérienne les rapprochera, faute de les souder… au
moins en apparence. Mais si cette communauté n’est pas encore formée à
notre époque, le trait religieux est très présent pour d’autres raisons.
En effet, des distinctions sont à introduire entre les trois diocèses. On ne
manifeste pas sa religiosité pour les mêmes raisons selon qu’on habite à la
ville ou à la campagne. À la campagne ou dans les communes mixtes, la
population est immergée en milieu indigène. La religion est alors un refuge,
et le clocher le symbole d’une identité ethnique. De même, dans le
Constantinois où les Européens sont minoritaires, les représentations
religieuses sont d’une importance capitale pour préserver l’unité de la
communauté face aux musulmans. De plus, les fêtes religieuses sont aussi
l’occasion de se retrouver et de se divertir. Mais toutes les populations
étrangères n’ont pas une piété extériorisée. Ainsi la communauté
mahonnaise (issue des Baléares) a déjà intériorisé sa religion.
Conclusion
Les dévotions catholiques en Algérie présentent des caractéristiques de
l’identité catholique telle qu’elle se traduit depuis le concile de Trente et se
renforce au XIX e siècle. En tout premier lieu, la dévotion mariale se trouve
au centre de la piété avec ses moments forts quotidiens, l’angélus le matin,
à midi et le soir rythme l’existence tout comme la récitation du chapelet qui
s’est structurée, ritualisée dans le rosaire ; avec ses moments forts annuels,
car chaque fête mariale est solennisée et prend un caractère public qui rend
la dévotion mariale omniprésente tout au long de l’année. Pour l’essentiel,
dévotion et spiritualité sont mariales et il n’est que rarement fait mention de
Jésus. En revanche, les références au Christ interviennent dans les
cérémonies militaires ou pour réaffirmer la force de la croix face au
croissant. Le rôle de la Vierge est de servir d’intercesseur : elle est un
moyen et non une finalité. Or, bien souvent, les fidèles occultent cette
dimension pour ne se concentrer que sur Marie et en oublieraient presque
Jésus. Tout comme chez les catholiques de France, le rosaire et le saint
sacrement sont des marqueurs de l’identité catholique.
À l’exception de saint Augustin, on ne note que peu de dévotion pour
les saints du passé. C’est ainsi que Géronimo, dont les restes ont été
transférés à la cathédrale d’Alger le 28 mai 1854, ne fait pas l’objet d’une
grande dévotion populaire en Algérie ou du moins les archives n’en font
pas état. En revanche, l’influence de dévotions et de pratiques en
provenance d’Italie ou d’Espagne, mais aussi de Malte et des Baléares,
même si la documentation écrite les concernant n’est pas abondante les
concernant, reste importante. Mais tout est fait consciemment pour se
rapprocher de la France.
C’est pourquoi la similarité avec ce qui se passe en France se traduit
aussi dans tout le décorum notamment sur le choix de la musique religieuse.
Cette dernière est conforme aux goûts et à ce qui se joue dans les églises
françaises : il est impossible de savoir qu’on est en Afrique, d’acculturation
il n’est pas question. Il s’agit bien d’une Église nationale en tout point :
Massenet, Verdi, Gounod, Mendelsohn 122 ; Kyrie de la messe en sol de
Mozart, Gloria de Schubert, Sanctus de Palestrina, Benedictus de Gounod,
Agnus de Ravanello 123 ; Kyrie de Ravanello, Gloria santus de Schubert,
Agnus de Weber, Tantum de Novello, Messe de Rinck, Alleluia de Haendel,
Sanctus de Winckel, Agnus Dei de Bizet 124 , etc. Pour les nouveaux édifices
religieux, le choix illustre aussi la continuité avec l’Église de France. Ainsi,
la nouvelle chaire de saint Augustin est en style roman :
« Elle a une certaine analogie avec la belle chaire de Saint-
Trophine d’Arles, qui sort des ateliers de M. Cantini, de
Marseille, comme celle de Saint-Augustin, d’Alger et dont les
matériaux sont d’une extrême richesse. L’onyx doré en forme la
plus grande partie. Il provient des anciennes carrières romaines
découvertes par M. Cantini à Aïn Smara (département de
Constantine). Il n’est autre que l’albâtre oriental ancien, qu’on
retrouve à profusion à Saint-Paul-hors-les-murs, et aussi à Saint-
Pierre, Sainte-Marie-Majeure et au Gésu, à Rome 125 . »
Ces carrières ont été, d’après la SRA, un lieu de travail et de détention
des martyrs chrétiens. « Les bronzes et la coupole ont aussi été ciselés dans
les ateliers de la Maison Cantini », ce dernier a été fait chevalier de la
légion d’honneur et il est précisé que les marbres bleu et blanc sont d’Italie.
Une grande fierté se dégage de cette description et traduit la volonté
d’inscrire le christianisme dans le temps long, car il s’agit pour l’Église de
renouer les fils du temps et toute occasion est bonne pour le rappeler.
D’autre part, il s’agit aussi de s’insérer dans l’Église nationale et romaine,
comme l’attestent les comparaisons. Indirectement, mais explicitement, est
réaffirmé le lien patriotique avec Cantini qui est chevalier de la légion
d’honneur. Avec ce décor, nous ne sommes manifestement pas en Afrique et
c’est volontaire ; en revanche, quand les matériaux viennent d’Algérie c’est
parce qu’ils ont acquis une réputation en Europe. Ces orientations traduisent
la volonté d’être intégrés, d’être comme les autres. Les catholiques
algériens entendent être en communion avec leurs congénères de l’autre
rive. La fête pour la béatification de Jeanne d’Arc en est une illustration 126 .
Le décor a été étudié de près : oriflammes aux couleurs de la bienheureuse
et aux couleurs du Saint-Siège, drapeaux français et du Saint-Siège,
écussons de la ville d’Alger, etc. Il y a aussi une reproduction d’un tableau
de Bartholini qui fut exposé à Rome dans la basilique Saint-Pierre le jour de
la béatification. Il n’est pas question de faire moins bien qu’à Rome… le
pape en moins. Et que dire des œuvres qui se développent sur le sol
algérien ? Elles sont des émanations de celles qui existent en France ou sont
conformes aux grandes orientations de l’Église. On retrouve aussi les
caractéristiques propres au dimorphisme sexuel observées sur le pourtour
méditerranéen. Le catholicisme en Algérie se veut algérien, français,
méditerranéen et romain.
Une vitalité certaine s’en dégage, même s’il reste difficile d’évaluer
précisément la proportion de la population directement impliquée.
Néanmoins, un peuple catholique existe en Algérie, qu’il pratique avec
assiduité ou ponctuellement. Je ne pense pas que l’adhésion au catholicisme
soit moins importante, même chez les Français en provenance de
métropole. En effet, chez ces derniers, dont la réputation dans les sources
imprimées de la période n’en fait pas de grands spirituels, il y a un certain
degré d’adhésion au catholicisme. Il a été suffisant pour justifier la
construction d’édifices du culte sur toute la période coloniale. À l’exception
de francs-maçons notoires, le catholicisme constitue même inconsciemment
un repère identitaire pour la majorité.
L’Église structure l’espace et le temps, elle contribue à l’appropriation
du territoire : à l’appel du muezzin répond le son des cloches, au minaret
fait face le clocher, à la mosquée l’église. Les musulmans semblent des
figurants dans ce décor mais la réalité est toute autre : l’Église catholique
ambitionne aussi de les convertir…
1. SRA du 9 mars 1900 : ouverture du mois de Joseph : « Aucun exercice spécial n’est imposé : il
suffit de faire des pratiques pieuses quelconques, prières et actes de vertu en l’honneur de saint
Joseph, comme on a coutume de le faire au mois de mai en l’honneur de la sainte Vierge. Nous
recommandons toutefois la récitation de la prière : Nous recourons à vous, bienheureux saint
Joseph, à laquelle est attachée une indulgence spéciale de 300 jours à gagner une fois par jour. »
2. La mort reste encore présente en ce début de siècle, comme nous l’avons constaté avec les
célébrations pour les soldats morts pour la France. Cette proximité touche aussi les enfants,
comme l’atteste un article extrait de la SRO et publié dans la SRA du 21 décembre 1902, « Le
culte des morts et les enfants » : « On nous communique un trait émouvant de la piété enfantine,
qui montre tout le parti qu’on peut tirer de la générosité de cet âge, lorsque, le soustrayant à la
fausse et funeste neutralité d’un laïcisme désolant, on ouvre l’âme candide de l’enfant aux
saintes inspirations de l’enfant… Ils venaient assister à une Messe de Requiem, commandée par
eux, pour leurs petits compagnons et leurs petites compagnes décédés dans le cours de
l’année. » Il doit manifestement s’agir d’un article de Bouissière dont l’hostilité aux grands
principes de la République ira en s’affirmant (voir chapitre I).
3. SRA du 9 novembre 1900.
4. SRA du 6 avril 1901, du 22 mars 1908, etc.
5. SRA du 27 juin 1909, fête de la béatification de Jeanne d’Arc ; SRA du 27 novembre 1910,
inauguration d’une statue de Jeanne d’Arc à Vialar offerte par deux paroissiens. D’autres
béatifications sont fêtées en Algérie comme celle de Madeleine-Sophie Barat en 1908, un
triduum est célébré les 6, 7 et 8 décembre, SRA du 11 octobre 1908.
6. SRA du 23 novembre 1900, annonce par Oury d’un triduum solennel en son honneur.
7. SRA du 26 juillet 1903, annonce de la mort de Léon XIII : « Le glas s’est fait entendre d’heure
en heure pendant cette première journée. Il a sonné les deux jours suivants à l’heure de
l’angelus. »
8. SRA du 24 août 1900, le 22 août a été célébrée la messe de requiem pour les victimes des
massacres de Chine ; SRA du 25 mai 1902, lettre circulaire de Oury sur la catastrophe de Saint-
Pierre de la Martinique ; SRA du 1 er avril 1906, liste des quêtes paroissiales pour les victimes de
Courrières, complément de la liste dans les SRA du 8 avril 1906 et du 29 avril 1906.
9. Le premier numéro des Semaines religieuses de janvier rappelle que les dons doivent parvenir
pour la fin du mois.
10. SRA du 12 avril 1903.
11. Entre autres, SRA du 5 mars 1905.
12. SRA du 15 avril 1906, dans l’église métropolitaine le jour de Pâques, les femmes ne sont pas
admises à la messe de communion générale de 7 heures, seuls les hommes sont attendus.
13. SRA du 22 mars 1908, sermons donnés par le chanoine Avril, dimanche, mercredi et
vendredi.
14. SRA du 5 avril 1908.
15. SRA du 25 mai 1903 ; SRA du 22 mai 1904, rappel des exercices, etc.
16. SRA du 12 mai 1901.
17. SRA du 14 juin 1903.
18. SRA du 14 mai 1905 : « Tour à tour les Pères Blancs et les Sœurs missionnaires d’Afrique, les
Petites Sœurs des Pauvres, les Enfants de Marie de la paroisse Saint-Joseph (cité Bugeaud)…
D’autres pèlerinages sont annoncés. Nous devons une mention spéciale à un groupe de
courageuses chrétiennes d’Alger, qui tous les matins, continuant une vieille tradition, vient
former une garde d’honneur à Marie et assister pieusement au Saint-Sacrifice de la Messe. »
« Les pécheurs italiens avaient tenu à honneur de porter la statue de Celle qu’ils appellent
l’Étoile des Naufragés et qui souvent les protège contre la fureur des flots. »
19. SRA du 9 mai 1909.
20. SRA des 15 décembre 1901, 15 décembre 1907, 6 décembre 1908, etc.
21. SRA du 19 octobre 1902.
22. Ibid.
23. SRA du 11 octobre 1903 : La fête du rosaire : Une première indication renvoie au succès
rencontré, d’après la revue, par la fête du rosaire, car il est mentionné que dès 2 h ½ , il n’y a plus
une place libre dans la basilique. « Selon l’usage, la procession, pieuse et recueillie, s’est ensuite
déroulée autour de la Basilique, s’arrêtant un instant devant le tombeau érigé en face de la mer,
par le cardinal Lavigerie, à la mémoire des naufragés, et laissant le temps au clergé de procéder
à l’absoute, toujours si impressionnante. Elle reprit ensuite sa marche et rentra, au chant du
Magnificat… » Les auteurs de l’article ne manquent pas de féliciter les jeunes de Bab-el-Oued
pour les chants etc.
24. SRA 11 octobre 1908 : « Ouverture solennelle du T. S. Rosaire à Notre-Dame d’Afrique. »
25. SRA du 1 er juin 1902, l’article commence par un démenti : la statue de la Madone de Santa
Cruz n’a pas été profanée. Cependant, des vols ont été commis à Sidi Bel-Abbès : troncs vidés,
ciboires et hosties consacrées subtilisés, sacristies saccagées. L’auteur parle de « profanation »,
« d’attentat ». Des prières de réparations publiques sont prévues « pour demander pardon au
ciel ».
26. SRA du 17 janvier 1904 : « Vol sacrilège à Santa Cruz » : la chapelle de Santa Cruz a été
pillée. Le montant du vol est estimé à 600 francs.
27. SRA du 21 juin 1903.
28. SRA du 19 octobre 1902 : « Paroisse N. D. des Victoires. Adoration perpétuelle du Saint
Sacrement. […] Les mères de famille sont invitées à apporter ou envoyer leurs petits enfants à
l’église. Après quelques prières on leur donnera une bénédiction spéciale. Dans les intervalles,
Adoration privée par les personnes pieuses de la paroisse ; on recommande surtout l’intervalle
de 11 h à 1 h. »
29. SRA du 27 novembre 1910
30. SRA du 21 octobre 1906 : « Cérémonie de quatre prises d’habit au Carmel d’Alger » : elles
passent d’une robe blanche à la robe brune et au manteau blanc de l’ordre. Sœurs Hélène du
Saint Rédempteur, Marie-Marguerite de la Résurrection, Marie-Dieudonnée et Germaine de
Jésus » ; SRA du 27 octobre 1907 : « Une prise d’habit au Carmel d’Alger » : une jeune fille de
22 ans en religion sœur Thérèse de la transfiguration ; SRA du 22 décembre 1907 : Chapelle du
Carmel de la Vallée des Consuls : deux nouvelles professes carmélites reçoivent le voile des
mains du vicaire général Petitot.
31. SRA du 1.0919.1907 : Au noviciat de la Doctrine chrétienne à Mustapha supérieur : 14
religieuses firent profession et 4 novices reçurent l’habit ; SRA du 19 octobre 1902 : « Une
cérémonie de vêture et de profession à Saint-Charles » : Oury a donné le voile religieux à 15
postulantes.
32. SRA 8 juin 1900 : « Chapelle du carmel de la Vallée des Consuls : Dimanche, 10 juin :
Ordination à 8 h. Cette ordination comprendra tous les degrés de la sainte hiérarchie, c’est-àdire
la tonsure, les ordres mineurs, le sous-diaconat, le diaconat et la prêtrise. »
33. SRA du 14 juin 1903 : Ordination le 6 juin à 7 h 1/2 par l’archevêque assisté de ses deux
vicaires généraux, Cornud et Petitot : tonsurés, minorés, sous diacres, diacres, prêtres. L’un des
deux prêtres est un ancien militaire ; SRA du 28 juin 1908 : « Dimanche dernier, Mgr Livinhac,
spécialement désigné par Mgr l’Administrateur apostolique du diocèse, a fait au Grand
Séminaire de Kouba, une ordination qui comprenait un tonsuré, deux minorés et un diacre. »
34. SRA 8 juin 1900 : première communion et confirmation au grand séminaire de Kouba (9 juin)
et à la chapelle du petit séminaire de ND de Saint-Louis (lundi 11 juin à 7 heures du matin) ; SRA
du 2 juin 1901 : « Première communion et confirmation au lycée d’Alger », l’archevêque est
reçu par le proviseur, l’aumônier et les principaux membres de l’administration. « C’est la
première fois – depuis au moins trente ans – qu’un Archevêque d’Alger dit la Messe au Lycée. »
35. SRA du 2 février 1902 : Oury arrive à Cherchell où il est accueilli par le maire de la ville.
Oury a été reçu par les autorités tant civiles que militaires. 130 enfants reçoivent le sacrement de
la confirmation. À Marengo, le maire et le curé accueillent le prélat qui rend visite aux sœurs de
Saint-Vincent de Paul. Il en profite pour donner la confirmation à 70 enfants.
36. SRA du 27 juillet 1902.
37. Ibid.
38. SRA du 14 juin 1903 Ménerville, qui se trouve à l’entrée de la Kabylie, le 7 juin, 32 enfants
qui reçoivent la première communion après deux ans de préparation (Sens de cette phrase ?)
39. SRA du 23 mai 1909.
40. SRA du 22 novembre 1908 : tournée de confirmation à Coléa où M gr Tournier, évêque
d’Hippone-Zarite est venu donner la confirmation aux 70 enfants ; il a été délégué par
l’administrateur apostolique, Combes ; SRA du 2 mai 1909, annonce de la tournée de
confirmation effectuée par Piquemal, évêque de Thagora et auxiliaire d’Alger dans les paroisses
du sud du diocèse : « sa Grandeur donnera le sacrement de Confirmation, le mardi, 4 mai, à
Boghar ; le mercredi, 5 mai, à Boghari ; le samedi, 8 mai, à Djelfa ; et le dimanche, 9 mai, à
Laghouat. » ; SRA du 16 mars 1913, tournée de confirmation en Kabylie.
41. SRA du 11 octobre 1903, description de l’une d’entre elles parmi de très nombreuses autres.
La visite de l’archevêque est toujours l’objet de grandes attentions.
42. SRA du 24 mai 1903 : mission à Margueritte, à Djelfa où 9 enfants sont présents, à Laghouat.
43. SRA du 17 janvier 1909.
44. SRA du 19 avril 1903 : mission donnée par les missionnaires diocésains pendant trois
semaines à la paroisse Saint-Joseph, cité Bugeaud. Des exercices sont prévus le matin. L’article
stipule qu’il y a eu beaucoup de confessions et plus de trois mille communions.
45. SRA du 2 février 1902, mission à Fouka prêchée par Beaubois. L’instruction a lieu le soir.
46. SRA du 14 avril 1901 : « La station quadragésimale de St-Eugène, d’Alger, s’est terminée par
une mission prêchée par M. Beaubois, des Lazaristes » d’une durée de 15 jours. « Deux
cérémonies ont été particulièrement suivies : le service solennel pour les défunts et la fête des
enfants. » La revue catholique indique que 350 enfants étaient présents et que plus de
400 fidèles ont communié.
47. SRA du 17 novembre 1901 : description d’une mission à Tipaza prêchée par l’abbé Beaubois.
Le premier jour, il semble que les enfants se sont le plus mobilisés, puisque l’article précise
qu’ils se rendent jusqu’à quatre fois par jour à l’église pour suivre la mission. Le deuxième jour,
près de deux cents personnes sont concernées avec la mention de la présence d’adultes. Très
vite, selon l’article, les hommes sont en nombre plus important que les femmes. Alors qu’une
vingtaine de femmes et de jeunes filles font, habituellement, la communion pascale, on compte
70 personnes cette année-là qui l’issue de la mission viennent prendre la communion. « On
constatait là près de cinquante retours… », dont 40 hommes et jeunes hommes. « Chose inouïe,
comme on le voit, les retours chez le sexe soi-disant fort, mais ordinairement plus sceptique ou
plus lâche, l’emportaient des deux tiers sur le sexe naturellement religieux et chrétien. » ; « …la
Mission se terminait par la remise de la médaille de postulantes à quatorze jeunes personnes qui
se constituaient définitivement en Association de Choristes, sous le patronage de la Très-Sainte
Vierge. »
48. SRA du 19 avril 1903.
49. SRA du 5 mars 1905.
50. E. DERMENGHEM, Le culte des saints dans l’islam maghrébin, Paris, Gallimard, p. 125 sq. ;
D. ALBERA, « La Vierge et l’islam », dans Débat n o 137, novembre-décembre 2005, p. 134-144,
p. 140 : « La fréquentation peut être estimée à environ 40 000 personnes par an, et plus de 95 %
des pèlerins sont des musulmans. »
J’ai pu le constater par moi-même, la dévotion mariale ne se dément pas jusqu’à aujourd’hui.
Des prières sont adressées à « Madame l’Afrique » en vue d’obtenir une guérison, la
fertilité, etc. Des bougies et des offrandes sont apportées lorsque le vœu est exaucé. Les
mécanismes sont similaires à ceux rencontrés pour des saints musulmans. Les responsables de la
basilique ont noté une poursuite des visites durant la décennie sanglante qu’a traversée
l’Algérie. Beaucoup seraient à écrire sur la dévotion mariale dans le monde arabo-musulman,
contentons-nous de rappeler que Marie est le seul prénom féminin mentionné dans le Coran où
elle est citée 34 fois contre 19 dans les Évangiles.
51. SRA du 5 juillet 1908
52. Pèlerinage ND d’Alger, Notice sur le pèlerinage de Notre-Dame d’Afrique à Alger, Adolphe
Jourdan, Alger, 1885, 314 p. (AAA/9) ; La Basilique de Notre-Dame d’Afrique, Histoire du
pèlerinage, imprimerie L. Crescenzo, Alger, 1948, 31 p., (AAA/9).
53. AAA/9, La Basilique de Notre-Dame d’Afrique, Histoire du pèlerinage, imprimerie
L. Crescenzo, Alger, 1948, p. 3.
54. Ibid., p. 4.
55. Ibid., p. 5.
56. Ibid., p. 6.
57. Ibid., p. 7.
58. Ibid., p. 8-13.
59. AAA/9, Pèlerinage ND d’Alger, Notice sur le pèlerinage de Notre-Dame d’Afrique à Alger,
Adolphe Jourdan, Alger, 1885, p. 208.
60. Ibid., p. 212-216.
61. Ibid., p. 250, article 3 : « Tous les dimanches, après les Vêpres, le Clergé et les Fidèles
présents sortiront processionnellement de la chapelle, et s’étant rendus au point de la colline qui
domine la mer, chanteront les prières de l’absoute, le Libera et le De profundis, après lesquels le
célébrant récitera l’oraison pour les marins décédés.
Article 4 : Nous accordons une indulgence de cent jours à toutes les personnes qui assisteront à
la cérémonie qui se fera, tous les dimanches, à Notre-Dame d’Afrique, pour les marins
défunts. »
p. 254sq : « Le prêtre est revêtu d’une chape noire, comme s’il allait célébrer les funérailles
solennelles. Devant lui quatre enfants de chœur tiennent un drap mortuaire. Deux autres portent
l’eau bénite et l’encens ; une croix les précède. […] Le drap mortuaire est soulevé comme
l’étendre entre le ministre de la miséricorde et ce linceul d’azur qui recouvre tant de victimes.
Les enfants… le chantent jusqu’à la fin, comme au jour des Morts, dans un cimetière. Quand il
est terminé, le prêtre entonne le Notre-Père, demandant à Dieu de se souvenir de tant de
créatures… Il prend de l’eau bénite et la jette pieusement vers la mer ; puis l’encensoir lui est
donné, puis il l’élève trois fois à l’Orient, à l’Occident et au Nord… Puis il récite la prière
accoutumée pour les défunts, en ajoutant seulement qu’il prie pour les trépassés qui reposent au
fond des mers. », l’explication de la bénédiction aux trois points cardinaux est donnée par le fait
qu’il s’agit des trois points que baigne la Méditerranée, AAA/9, La Basilique de Notre-Dame
d’Afrique, Histoire du pèlerinage, op. cit., p. 21.
62. Ibid., p. 230.
63. Ibid., p. 235.
64. SRA du 11 octobre 1908 « Pèlerinage annuel aux Sanctuaires de l’Afrique du Nord. –
Mercredi dernier, Mgr Potard est arrivé à Alger accompagné d’une dizaine de personnes, dont
six prêtres, pour effectuer son pèlerinage annuel aux sanctuaires vénérés de N.-D. d’Afrique, de
St-Augustin d’Hippone et de St-Louis de Carthage. »
65. SRA du 31 juillet 1904, référence reprise dans L’Écho d’Hippone.
66. L’intégralité de l’épisode est relatée dans AAA/9, Pèlerinage ND d’Alger, Notice sur le
pèlerinage de Notre-Dame d’Afrique à Alger, Adolphe Jourdan, Alger, 1885, p. 243-245.
67. SRA du 15 mars 1908.
La croix de l’Algérie et de la Tunisie, 4 mars 1908.
68. SRA du 21 juin 1908.
69. La croix de l’Algérie et de la Tunisie, 6 août 1908 et SRO du 1 er août 1908.
70. SRA du 17 mars 1907 : à l’Agha : « les petites jeunes filles de la congrégation de Ste-
Marcienne ont donné, jeudi dernier, une séance récréative… » Du Beethoven et du Mendelssohn
ont été joués ainsi qu’une opérette La foire de Séville. Les activités de l’œuvre sont
systématiquement mentionnées.
71. SRA du 2 février 1908 : création d’un patronage de jeunes filles à Rouïba par le curé de la
paroisse, l’abbé Sala sous la houlette des dames de la charité.
72. SRA du 2 mai 1909. La présence de deux colonels est mentionnée ainsi que leurs noms.
73. SRA du 20 juillet 1913, se trouve toute la liste des dons fait par l’œuvre paroisse par paroisse.
74. SRA du 18 juin 1911.
75. Ibid., le mercredi 7 juin avait lieu l’exposition des travaux de l’œuvre des tabernacles en
présence de Combes et de Piquemal.
76. SRA du 6 décembre 1908 : « Mgr Combes au Patronage de St-Philippe. – Le Vendredi,
27 novembre, les membres du Patronage de St-Philippe créé par M. le Curé de la Cathédrale et
actuellement en pleine prospérité, offraient une séance musicale à Sa Grandeur Monseigneur
l’Administrateur Apostolique à l’occasion de la Saint-Clément. »
77. SRA du 5 mai 1912.
78. SRA du 27 avril 1913 : « Les fêtes du centenaire d’Ozanam à Alger », on apprend qu’il existe
« depuis très longtemps » l’œuvre d’Ozanam à Alger.
79. SRA du 10 mars 1901, Sermon et concert de charité à l’Agha, église Sainte-Marie-Saint-
Charles de l’Agha, en faveur des pauvres de la paroisse, en présence d’Oury (SRA du 31 mars
1901), etc.
80. SRA du 9 mars 1900 : société de Saint François-Régis d’Alger.
1895 : 19 mariages et 28 légitimations.
1896 : 46 mariages et 42 légitimations.
1897 : 55 mariages et 62 légitimations.
1898 : 57 mariages et 71 légitimations.
1899 : 88 mariages et 94 légitimations.
SRA du 20 avril 1913, pour l’année 1912 il y a eu 117 mariages et 78 légitimations.
81. SRA du 26 mars 1905.
82. AAA/470, Annales de la paroisse de l’Agha (1869-1899), imprimerie V. Heintz, Alger,
1899, p. 23 sq.
83. SRA du 27 juin 1909.
84. J. CARON, Le Sillon et la Démocratie chrétienne 1894-1910, Paris, Plon, 1967.
85. CAOM, 1U107.
86. J. CARON, Le Sillon…, op. cit.
87. Faute de document, il n’est pas possible de savoir si un groupe du Sillon fut constitué à
Constantine.
88. La croix de l’Algérie et de la Tunisie, 11 juin 1908.
89. SRO 4 mars 1905, SRA 10 novembre 1907.
90. La croix de l’Algérie et de la Tunisie, 10 novembre 1907 et 16 janvier 1908.
91. J. CARON, Le Sillon…, op. cit.
92. Ibid., article paru dans L’éveil démocratique le 2 juin 1907 sous le titre : « Conseil à des
vainqueurs ».
93. SRO, 4 février 1905.
94. SRA du 1 er février 1901.
95. Entre autres, SRA du 5 mars 1905 : « Église Cathédrale. – Réunion de Charité. – Dimanche
dernier, à 5 heures, a eu lieu dans l’Église métropolitaine, une réunion de charité organisée par
la Société des Conférences de Saint-Vincent-de-Paul, en faveur des pauvres, que ses membres
vont assister, secourir et consoler à domicile », en présence de Oury.
96. SRA du 15 décembre 1907 ; SRA du 6 décembre 1908 : « Société de Saint-Vincent-de-Paul. –
Les Conférences de Saint-Vincent-de-Paul d’Alger se proposent de fêter leur céleste Patronne,
l’Immaculée-Conception. Une retraite préparatoire sera prêchée aux membres des Conférences
et aux catholiques de la ville qui voudraient y prendre part, les 10, 11 et 12 décembre, à 8 h ½ du
soir, en la chapelle du Saint Nom de Jésus, rue des Consuls. Le jour de la solennité, dimanche,
13 décembre, à 7 h du matin, en l’église Saint-Charles de l’Agha, messe de communion
générale pour tous les Messieurs qui auront assisté à la retraite. Après la messe, les Conférences
tiendront l’Assemblée générale prescrite par le règlement. »
97. SRA, 17 février 1907, 17 avril 1907, 14 juillet 1907, etc.
98. SRO, 18 février 1905, 1 er avril 1905, etc.
99. Dans la SRO du 30 décembre 1905, il est fait mention d’ouvriers qui ont créé un cercle
catholique et reçoivent le soutien de l’Église.
100. SRA du 2 mars 1913.
SRA du 24 mars 1907 : Église cathédrale : vêpres pour la population maltaise et sermon de la
Passion pour la population italienne ; de même dans la SRA du 12 avril 1908. On pourrait
multiplier les exemples.
101. Un exemple parmi tant d’autres, SRA du 3 mars 1901, « Tous les dimanches, à la Messe de
6 h, récitation du chapelet et instruction en langue espagnole. ».
102. SRA du 24 mars 1901, « Une Mission est donnée à la population italienne par M. l’abbé
Bussutil. Les exercices de cette Mission ont lieu tous les jours de la semaine à 8 h du soir. »
103. SRA du 10 août 1913 à l’occasion de la fête de l’Assomption un sermon est donné en langue
italienne par l’abbé Castagliola, vicaire à la cathédrale.
104. AAA/9, Notice sur le pèlerinage de Notre-Dame d’Afrique à Alger, Adolphe Jourdan,
Alger, 1885, p. 240.
105. SRA du 12 novembre 1911, « Une Mission espagnole à Saint-Joseph de Cité Bugeaud ».
106. Ibid.
107. SRA du 21 août 1910 ; SRA du 11 août 1912 : « Comme ces dernières années, la population
italienne d’Alger se propose de célébrer avec éclat, à Notre-Dame d’Afrique, la solennité de
l’Assomption de la T. S. Vierge, dont elle a fait sa grande fête religieuse […]. Ces rudes
travailleurs de la mer, ces humbles ouvriers de nos campagnes environnantes, ont prélevé depuis
plusieurs mois, une contribution sur leurs maigres salaires pour subvenir aux frais de cette
fête. »
108. AAA/9, Notice sur le pèlerinage de Notre-Dame d’Afrique, p. 241.
109. AAA/118, « Lettre pastorale et mandement de monseigneur l’archevêque d’Alger au clergé
et aux fidèles de son diocèse prescrivant des prières publiques pour la cessation de la sécheresse.
Alger, le 13 novembre 1889. »
110. SRO, 18 février 1905.
111. SRA du 16 novembre 1913 : « Lettre de S. G. Monseigneur l’Archevêque d’Alger au clergé
du diocèse ordonnant des prières publiques pour demander la pluie. »
112. SRA du 23 février 1900.
113. SRA du 4 octobre 1914.
114. V. DEMONTÈS, Le peuple algérien, Alger, Imprimerie Algérie, 1906 : « Les populations
méridionales de l’Italie et de l’Espagne aiment dans le catholicisme ses pompes, ses
solennités… tout ce qui est merveilleux, miraculeux… Aussi des pratiques superstitieuses se
sont insinuées dans ces âmes de simples ! » Cf. également H. LORIN, L’Afrique du Nord, Paris,
A. Colin, 1908 et M. WALH, L’Algérie, Paris, éd. Félix Alcain, 1903, (4 e édition mise à jour par
Augustin Bernard).
115. J.-J. JORDI, Les Espagnols en Oranie 1830-1914, histoire d’une migration, Montpellier,
Africa Nostra, 1986.
116. M. BAROLI, La vie quotidienne en Algérie 1830-1914, Paris, Hachette, 1967.
117. Ibid.
118. Cette manière de procéder se retrouve en tout point conforme dans la spiritualité populaire
musulmane comme l’atteste une enquête d’André Demeerseman à la veille de la Seconde
Guerre mondiale. Les fidèles sollicitent leur saint en vue d’obtenir son intercession, puis, une
fois le vœu exaucé, ils honorent la contrepartie de ce contrat moral par diverses manifestations.
Voir O. SAAÏDIA, « A. Demeerseman : l’ethnologie au service de la mission ? », dans C. PAISANT
(éd.), La mission en textes et images XVI e -XX e siècles, Paris, 2004, p. 157-171.
119. M. DONATO, L’émigration des Maltais en Algérie au XIX e , Montpellier, Africa Nostra, 1985.
120. On peut notamment penser à la réunion qui a lieu à Nîmes-Courbessac chaque année en
l’honneur de Notre Dame de Santa Cruz.
121. Si la crise antijuive de la fin du XIX e siècle et la période de Vichy sont bien connues pour la
réactivation de l’antisémitisme, un autre épisode est tout aussi révélateur : la radiation des
électeurs juifs des listes électorales de Sidi-Bel-Abbès en 1938, voir L. BLÉVIS, « Une
citoyenneté française contestée… », art. cit.
Il reste réducteur de présenter une vision dichotomique des sociétés, et non de la société,
coloniales. La ligne de partage est mobile et se déplace selon les périodes, les lieux, les
thématiques, les producteurs de discours et leurs destinataires.
122. SRA du 10 mars 1901, concert pour la fête de l’Agha.
123. SRA du 22 mai 1904, morceaux exécutés lors de la grand’ messe de Pentecôte.
124. SRA du 15 avril 1906, musique pour Pâques.
125. SRA du 31 mars 1901.
126. SRA du 27 juin 1909.
CHAPITRE 3
L’Église catholique face à l’islam
Tertullien, Cyprien ou encore Augustin : autant de noms illustres qui
rappellent à une institution qui se veut universelle que le christianisme a
connu son heure de gloire sur la rive sud de la Méditerranée. Si cette Église
n’est plus depuis très longtemps, son souvenir continue à émouvoir les
catholiques du XIX e siècle et d’aucuns envisagent même de renouer le fil du
temps. L’histoire est là pour attester de ce prestigieux passé, au XIX e comme
aujourd’hui. Pourtant, il reste toujours difficile de savoir avec précision quel
fut le degré d’adhésion au christianisme et quelles furent les populations
concernées. Cependant, la réalité historique du phénomène ne peut être niée
ni minorée. L’une des inconnues reste l’immanquable hiatus entre la
religion chrétienne et les pratiques qui s’en revendiquent ou ne s’en
revendiquent pas, mais il s’agit là d’une interrogation valable en d’autres
temps, en d’autres lieux et pour d’autres religions. Ainsi, nous partageons
avec les hommes du XIX e siècle l’idée de la christianisation du nord de
l’Afrique ; seules les modalités de son existence diffèrent tout comme les
interprétations données à ce fait historique.
Néanmoins, au moment où les Français imposent leur domination en
Algérie, de chrétientés autochtones il n’est plus question depuis des siècles.
C’est donc à l’islam que se retrouve confronté le catholicisme. Si la
rencontre entre le christianisme et l’islam s’inscrit dans une histoire
pluriséculaire, faite de rencontres et de conflits, les catholiques français
n’ont de l’islam, et ce depuis des siècles, qu’une approche livresque. Il en
est de même de leur connaissance de la prestigieuse Église d’Afrique.
Pourtant les imaginaires sont extrêmement féconds en direction de l’un
comme de l’autre et finissent par conditionner la réalité…
Ainsi, très tôt, l’Église entend renouer avec sa dimension missionnaire,
mais c’est avec la fondation, par Lavigerie, de la Société des missionnaires
d’Afrique que les choses s’institutionnalisent. Toutefois, à la mort de leur
fondateur, la diversité des positions quant à l’évangélisation des musulmans
domine chez les pères blancs faute d’un cadre normatif contraignant.
Cependant, si des divergences existent sur l’appréciation des techniques
d’apostolat et sur leur opportunité, le discours sur les musulmans, aussi bien
chez les missionnaires que chez les catholiques, est relativement homogène.
D’ailleurs existe-t-il un discours catholique spécifique sur l’islam ? Il
semblerait que dans leur écrasante majorité les catholiques partagent une
vulgate commune avec l’ensemble de la population européenne au sujet de
l’islam et des musulmans.
La prestigieuse Église d’Afrique
LE RAPPEL DE L’ÂGE D’OR
Une terre romaine et chrétienne
Une certitude est commune aux hommes du XIX e
siècle et à nos
contemporains : l’Église africaine a connu un âge d’or. Cependant, il
convient de ne pas perdre de vue que notre savoir sur le christianisme
africain des premiers siècles n’est pas celui du XIX e
siècle. Certes, pour
l’essentiel, les sources écrites dont nous disposons sont connues au
XIX e siècle. Toutefois, l’étude critique de certains documents, notamment les
textes hagiographiques, n’est pas menée selon les mêmes méthodes. De
plus, l’archéologie et l’épigraphie occupent une place importante qui n’était
pas la leur précédemment, même si des découvertes de vestiges suscitent
une réelle émotion 1 . D’autre part, certaines périodes, comme la période
byzantine, ont longtemps été les parents pauvres de ces études. Or, les
recherches menées à partir des années 1980 laissent percevoir des réalités
jusque-là sous-estimées.
Il reste difficile de dresser de manière laconique le tableau de dix siècles
de présence chrétienne dans le nord de l’Afrique tant cette histoire est riche
et complexe. Cette présentation repose, pour l’essentiel, sur les trois
premiers tomes de la magistrale Histoire du christianisme 2 .
Nul n’est en mesure de savoir, encore aujourd’hui, d’où, par où, quand,
comment le message évangélique est parvenu sur les rivages du nord de
l’Afrique. Seules des suppositions permettraient d’évoquer des hypothèses
comme celle de premiers contacts établis dès le premier siècle par des
voyageurs venus d’Orient ou de Rome.
L’Afrique entre « officiellement » dans l’histoire du christianisme
en 180 avec les martyrs scillitains 3 . La localisation de Scilli est toujours
inconnue, mais grâce aux Actes dits proconsulaires nous disposons de
quelques renseignements sur les chrétiens présents en Afrique. Ainsi, nous
apprenons qu’ils sont en possession de lettres de Paul rédigées en latin :
c’est le premier témoignage, en Occident, de la traduction latine de Paul. Le
deuxième élément marquant de la fin du II e siècle et du début du III e siècle
est la personnalité exceptionnelle de Tertullien 4 . Nous savons qu’il a vécu à
Carthage à l’époque des Sévères et que sa production littéraire est attestée
entre 197 et 220. Pour les spécialistes, le plus important de ses traités est
l’Apologétique. Ce texte de défense du christianisme et de critique du
paganisme a été adressé à la plus haute autorité politique, le proconsul.
Cette audace, impunie, renforce les arguments en faveur de son
appartenance à un milieu social privilégié. De tempérament rigoriste,
Tertullien adhère, sur la fin de sa vie au montanisme, puis s’en détache pour
former un « conventicule de “tertulianistes 5 ” ». Les sources sont ensuite
silencieuses jusqu’à Cyprien 6 .
Ce dernier est né au début du III e siècle et meurt en martyr vers la fin des
années 250 au moment de la persécution de Valérien (257-258). Rhéteur de
renom, il est baptisé vers le milieu des années 240 et est aussitôt ordonné
prêtre. Il a probablement été élevé à l’épiscopat en 248 et s’est réfugié hors
de Carthage lors de la persécution de Dèce en 249-250. Évêque de Carthage
et, de fait, primat de l’Église d’Afrique, son rayonnement dépasse Carthage
pour se diffuser en Espagne, en Gaule mais aussi en Cappadoce. Du concile
de Carthage de 256 est parvenue une liste faisant état de la présence de 87
évêques africains. Les sources font à nouveau défaut jusqu’au début du
IV e siècle. Les témoignages attestent alors d’un progrès constant de la
christianisation et de la provincialisation de l’Église d’Afrique. La grande
persécution de Dioclétien (303-306) n’épargne pas l’Afrique et engendre de
nombreuses apostasies. La réconciliation des fidèles qui avaient failli, les
lapsi, est à l’origine de tensions au sein de l’Église comme elle l’avait été
déjà à l’époque de Cyprien. C’est dans ce contexte que le donatisme va
rencontrer un réel succès en Afrique où il compte en 336, soit vingt-cinq
ans après sa naissance, près de 270 évêques 7 . « Assurément, le donatisme
cristallise les réactions rigoristes qui contestent une indulgence trop laxiste
dans la réconciliation des faillis, et il faut, à ses origines, le rapprocher de
mouvements contestataires antérieurs (celui de Novatien) ou contemporains
(le schisme d’Héraclius à Rome 8 ) ». Le donatisme s’impose malgré des
dissensions internes.
Toutefois, le catholicisme, loin de disparaître, s’affirme dans les
dernières années du IV e siècle avec les personnalités d’Aurélius de Carthage
et d’Augustin d’Hippone 9 . Leur victoire est celle de 411 lors du concile de
Carthage qui consacre le retour à l’unité. Le donatisme disparaît en une
vingtaine d’années sous les coups d’une alliance entre le pouvoir politique
(édit de proscription de 412) et l’épiscopat catholique. Le IV e siècle est pour
la chrétienté africaine celui de l’expansion d’une vitalité à nul autre
comparable dans tout l’Occident chrétien 10 . Le nombre des évêchés
africains s’élève en 411 à six cents : leur densité dépasse de loin toutes les
chrétientés occidentales, Italie comprise.
Saint Augustin
Un personnage incarne à lui seul, jusqu’à aujourd’hui encore, le
christianisme africain : Augustin 11 . Né à Thagaste en 354, il part étudier la
rhétorique à Carthage en 370 où il va enseigner ainsi que dans sa ville de
naissance. Sur le plan religieux, Augustin adhère au manichéisme et, lors de
son séjour à Rome, il rejoint la communauté manichéenne de la Ville.
À plus de 30 ans, il se fait catéchumène et se convertit au christianisme
en 387. De retour en Afrique en 388 et jusqu’en 391, il vit et enseigne à
Thagaste dans une communauté de type monastique pratiquant l’ascèse et la
chasteté. En 395, il est sacré évêque d’Hippone, mais continue son
existence de type monacal. Son œuvre est considérable, des Confessions à
La cité de Dieu, et consacre un esprit universel. Au moment de sa mort vers
430, pendant le siège d’Hippone par les Vandales, une nouvelle ère s’ouvre
pour le catholicisme en Afrique 12 .
D’origine germanique, les Vandales ont traversé la Gaule, puis l’Ibérie
avant de s’installer dans le nord de l’Afrique. C’est plus de 80 000 hommes,
femmes, enfants et vieillards qui débarquent sur la rive sud de l’empire
d’Occident. L’arianisme, religion des nouveaux conquérants, allait
s’imposer dans ce qui apparaît comme « le plus solide bastion du
catholicisme en Occident 13 ». Entre 429 et 523, année de l’avènement du roi
Hildéric qui inaugure une phase de liberté pour le catholicisme, périodes de
persécutions et d’accalmies se sont succédé pour l’Église catholique et ses
fidèles. Les dernières analyses laissent à penser que l’invasion vandale n’a
pas été le moment de l’effondrement du catholicisme. Pour Modéran, la
résistance des catholiques et leur capacité d’adaptation ont été plus forts.
Avec l’arrivée des Byzantins, près d’un siècle plus tard, l’Église catholique
allait pouvoir retrouver son ancien prestige 14 .
En 530, Gélimer, cousin du roi soutenu par la noblesse vandale et dans
un contexte d’incursions répétées des Maures dans le royaume vandale,
dépose Hildéric. Les opposants de Gélimer se tournent vers l’empereur
Justinien qui ne cache pas sa volonté d’intervenir dans les affaires
africaines. Les armées impériales interviennent en 533 et en 535 la
conquête du royaume vandale est achevée. Toutefois, le problème maure ne
disparaît pas pour autant. L’Église attend de Justinien qu’il la rétablisse
dans ses droits et anéantisse l’arianisme. L’Église arienne avait été l’Église
officielle et, à ce titre, avait spolié les biens de sa rivale catholique dont,
pour l’un des plus emblématiques, la basilique de Carthage. Malgré la
politique d’apaisement, le conflit entre les deux Églises subsiste. Or,
Justinien souhaite ne pas avoir à gérer un conflit religieux contre les Ariens
dans la mesure où sa principale préoccupation reste les Maures. C’est
pourquoi, s’il ordonne la restitution des biens catholiques, il permet aussi
aux Ariens de contester devant les tribunaux certaines revendications. De
plus, tout en intimant aux clercs hérétiques de se convertir, il leur octroie un
délai imprécis pour se préparer, et il aurait laissé entendre qu’il pourrait
ensuite les maintenir dans leurs fonctions et dans leurs biens au sein du
clergé catholique. La réaction de l’Église catholique est sans appel : elle
refuse catégoriquement ces aménagements. Face à cette résistance,
l’empereur condamne définitivement les ariens, consacrant la victoire du
catholicisme.
APOGÉE ET DÉCLIN
Sous Byzance
Les auteurs ne manquent pas de souligner la carence des sources écrites
pour la période byzantine. Toutefois, les progrès de l’archéologie et une
attention nouvelle portée par des chercheurs à une période autrefois
méprisée car appréhendée comme un temps de décadence permettent de
nuancer certaines affirmations. Ainsi il s’avère que bien des édifices
religieux furent construits pendant la période byzantine des VI e et
VII e
siècles. Les recherches récentes ont révélé un immense effort
architectural attestant de constructions soignées et même, pour certaines,
luxueuses.
« Le trait cependant le plus remarquable de ces églises
byzantines est la place privilégiée qu’elles accordent aux cultes
des saints… […]. Sans négliger les grands saints africains et la
masse des martyrs locaux, souvent obscurs, la piété populaire,
clairement canalisée par le clergé, leur associe plus fréquemment
qu’autrefois de célèbres saints de l’extérieur 15 »,
notamment des saints orientaux. On ne peut que constater un
développement extraordinaire du culte des intercesseurs comme l’atteste le
nombre exceptionnel des dédicaces. Parmi les intercesseurs, la Vierge
occupe une place privilégiée. L’expansion du culte marial a été importante
sous les Vandales et se renforce pendant la période byzantine.
Sur le plan politique, les Byzantins héritent de « la question maure ».
Des royaumes et des principautés berbères s’étaient constitués pendant la
période vandale. L’objectif de Justinien est de reconstituer les frontières
dans les limites de celles de l’empire avant les Vandales et les incursions
maures. À l’ouest, ce fut un échec, à l’est et au sud un succès relatif dans la
mesure où la région restait dans une situation de rébellion endémique.
« Dans leurs rapports avec les tribus berbères, l’État romain tardif et le
royaume vandale ne s’étaient en effet jamais réellement occupés de la
religion de leurs alliés ou ennemis 16 . » Avec Justinien, le christianisme se
trouve au cœur de la politique impériale : soumission politique et
soumission religieuse se doivent d’aller de pair. L’un est le gage de l’autre,
toute expansion territoriale doit avoir pour corollaire l’évangélisation des
populations. En Byzacène et en Numidie les populations sont converties
depuis longtemps. « Mais en Tripolitaine intérieure et dans la Syrte, où les
Austuriani et les Laguatan étaient encore de fervents adorateurs d’Ammon
ou de Gurzil, la guerre prit très vite l’allure d’une véritable croisade.
Lorsque, enfin, l’empire eut le dessus en 548, et qu’il put poursuivre ces
peuples sur leurs territoires, l’armée et la mission chrétienne avancèrent de
pair 17 . » Pendant un certain temps les progrès de l’évangélisation sont liés à
l’autorité romaine. Mais toutes les conversions ne sont pas la seule
conséquence du recours à la force. Les situations varient dans le temps et
selon les lieux.
Les sources écrites se font de plus en plus rares dès le milieu du
VI e siècle sans que l’on puisse pour autant en déduire un repli du
christianisme.
Quelles christianisations ?
L’archéologie et l’épigraphie prennent la relève. Elles attestent d’une
présence chrétienne au-delà du limes et jusqu’au milieu du X e siècle :
« Une peinture aperçue par les premiers explorateurs du Djedar
F de Ternaten, monumental tombeau d’un souverain berbère de
la fin du VI e siècle, confirmerait peut-être cette conclusion : elle
représentait, en effet, un personnage tenant une crosse et portant
une sorte de mitre sur la tête, elle-même ceinte d’un nimbe, avec
un caractère chrétien très vraisemblable 18 . »
À Djorf Torba, près de Colomb-Béchar, se trouve une stèle funéraire
peinte datant environ du VI e siècle où l’on peut voir un chef berbère et sa
famille brandissant des croix.
Toutefois, il faut préciser qu’entre l’épitaphe de Volubilis, datée de 655,
et les tombes du cimetière chrétien d’En Gila (Tripoli), datées de la
deuxième moitié du X e , à l’exception d’une inscription de 1003, on ne
dispose d’aucune autre trace 19 . Cuoq précise que dans une correspondance
du pape Grégoire VII, au XI e
siècle, il est mentionné l’impossibilité de
trouver les trois évêques canoniquement requis pour une consécration
épiscopale 20 : « Il apparaît qu’en 1076 il n’y avait dans toute l’Afrique du
Nord qu’un seul évêque, Cyriacus 21 . » L’extinction de la hiérarchie
épiscopale semblerait donc dater du XI e
siècle, sans qu’il soit possible
d’établir avec certitude la date de la disparition totale des communautés
chrétiennes.
Derrière cette appellation de « communautés chrétiennes », se trouvent,
tout au long de ces dix siècles, des groupes très différents dont il est
difficile de connaître précisément le degré d’adhésion au christianisme et
les croyances. Quelles sont les populations présentes dans l’Empire romain
à la fin du II e
siècle de notre ère quand les premières mentions du
christianisme sont attestées et quelles sont leurs religions ? Quelles sont les
évolutions dans le temps de la proportion de chrétiens ?
La diversité des populations et leur brassage tout comme le peu de
connaissances dont nous disposons sur bien des groupes sont des données
de base. Garamantes, Gétules, Maures, Libyens, Puniques, Phéniciens,
Romano-Africains, Romains… autant de populations présentes, mais
quelles réalités recouvrent cette énumération ? De même qu’il reste difficile
de connaître toutes les religions présentes. Le judaïsme, les christianismes
« orthodoxe, schismatiques et hérétiques », les cultes orientaux, la religion
civile romaine, les cultes « berbères » sont attestés. Une des caractéristiques
du christianisme africain a été de toucher dans un premier temps les élites
romanisées, puis de s’être propagé dans l’Empire. Dans quelle mesure le
christianisme s’est-il diffusé dans les campagnes et hors du limes ? La
répartition des évêchés par province civile est un fait du milieu du III e siècle.
Globalement, les implantations chrétiennes vont de pair avec la
romanisation même si le christianisme, en Afrique comme ailleurs, peut
exister sans l’Empire. La densité du christianisme diminue selon un
gradient décroissant est-ouest et nord-sud. La christianisation est aussi un
phénomène essentiellement urbain pendant de nombreux siècles, même si
les populations rurales ont été progressivement converties. Le monde
chrétien du nord de l’Afrique a connu l’« orthodoxie » mais aussi les
« schismes et les hérésies ». C’est pourquoi il est impossible de savoir
précisément quelles étaient les croyances et les pratiques, sachant qu’elles
ont dû fluctuer selon les lieux et les périodes. De même, l’Église a dû
composer avec les croyances locales. En revanche, l’une des spécificités
attestées est le culte des intercesseurs rendu d’autant plus populaire par la
grande quantité de martyrs africains.
Avec l’arrivée de l’islam et de ses conquérants, la situation allait
considérablement évoluer. Rappelons que la conquête s’est étendue entre
649 et 715 et qu’il y eut plusieurs campagnes. Les musulmans rencontrent
des populations romanisées et chrétiennes, des populations associées au
monde romain qui peuvent ou non être chrétiennes et des populations sans
contact avec la romanité et dont les croyances sont diverses. Les tribus de
confession juive sont aussi présentes et l’une des variantes du mythe de la
Kahina, qui s’est opposée militairement aux invasions arabes, en fait une
femme juive. L’Empire byzantin cède sur le front occidental et
progressivement les populations se convertissent à l’islam. Tout comme le
christianisme en son temps, l’islam sait s’adapter aux croyances
rencontrées. Le culte des saints intercesseurs reste, jusqu’à aujourd’hui, une
des caractéristiques majeures de l’islam maghrébin comme il le fut du
christianisme.
De cette importance du christianisme de la rive sud de la Méditerranée,
tant par son importance quantitative que par la qualité de ses penseurs, les
catholiques français du XIX e siècle qui s’intéressent à l’Algérie sont
parfaitement conscients. Après une interruption de quelques siècles, le
temps de la croix semblerait à nouveau revenu.
« Le retour du christianisme » :
l’évangélisation des musulmans, mission
impossible ?
LA MISSION AVANT LES PÈRES BLANCS
Des tentatives missionnaires sont attestées en Algérie dès les premières
décennies de la conquête et elles sont décrites dans mon ouvrage Algérie
coloniale, chrétiens et musulmans : le contrôle de l’État (1830-1914). On
retiendra le programme de Pavy et les déboires du père Creusat, jésuite.
La mission selon Pavy et Creusat
Mgr Pavy, alors évêque d’Alger, se trouve dans une position difficile,
car il est juridiquement à la tête d’un diocèse concordataire et
sociologiquement le chef d’un diocèse colonial. En d’autres termes, il
dépend financièrement de l’État français qui dans une perspective
concordataire finance une Église diocésaine, mais il dépend aussi de la
Propagande qui dans une perspective missionnaire entend qu’il s’occupe de
la mission auprès des musulmans. Il doit donc relever un double défi :
assurer l’installation d’une Église à destination des colons et s’occuper de
convertir les indigènes. Il dispose, ni pour l’une ni pour l’autre de ces
missions, de suffisamment d’argent ni de personnel en nombre. Mais il doit
donner des gages de bonne volonté à ces deux pourvoyeurs de fond. C’est
pourquoi, tout en agissant en évêque concordataire soucieux d’implanter
son Église, il doit aussi assurer Rome qu’il a conscience de sa mission
apostolique. Il organise donc son diocèse et imagine un plan d’apostolat
qu’il soumet aux autorités en 1850 22 . Il envisage de confier aux jésuites une
mission dans la province de Constantine auprès des tribus. Le gouverneur
général, s’il salue l’initiative, estime que
« prêcher l’Évangile aux musulmans, c’est faire inutilement des
martyrs… […] En présence de ces faits comment ose-t-on
proposer une mission quasi officielle chez les tribus
arabes… […] S’il y a bonne foi d’une pareille demande, quelle
ignorance des choses, des hommes et du pays ! S’il n’y a pas
ignorance, où est la bonne foi ? et que veut-on ? »
Certes, la domination a été acceptée, mais uniquement parce qu’il y a eu
une promesse faite par le premier gouverneur général de respecter la
religion. L’Algérie est presque tranquille, elle peut jouir des bienfaits de la
civilisation et des modifications dans la société arabe sont perceptibles.
D’autre part, la prospérité naissante est aussi un indicateur de la civilisation.
Or, le gouverneur général ne manque pas de souligner qu’elle a été
chèrement acquise et s’interroge pour savoir si le moment est venu de la
remettre en question.
Toutefois, il souhaiterait la victoire de la croix sur le croissant, mais
estime que la moralisation des populations indigènes relève d’« un beau
rêve de l’imagination produit par un zèle plus ardent qu’éclairé ». Il faut,
selon lui, d’abord saper le Coran comme règlement politique et social, avant
de s’attaquer à son versant religieux, mais il s’interroge sur la question de
savoir si le Coran n’empêcherait pas le progrès et rappelle la tolérance de
l’Espagne musulmane.
Pour le moment, il ne voit que des dangers à la propagande chrétienne
en regard des résultats escomptés. En effet, sur les vingt ans de présence, les
conversions sont, sinon nulles, du moins insignifiantes, alors que toutes les
conditions étaient réunies dans les villes, malgré « toutes les vertus et la
persévérance de nos pasteurs ».
Le gouverneur général Charon donne des pistes pour comprendre cet
échec. Tout d’abord, la situation n’est pas la même qu’en Asie ou en
Océanie où le christianisme est une alternative à « des croyances grossières
et barbares » : le christianisme apparaît alors comme une consolation,
comme une protection contre la tyrannie qui pèse sur les populations. En
Afrique, la religion musulmane est trop proche du christianisme pour que
les musulmans puissent en saisir toute la supériorité. « Le sauvage de la
Polynésie » est livré à toutes les superstitions, la charité n’existe pas chez
eux et jusqu’aux premières règles de la morale. En revanche :
« la loi de Mahomet a pris à l’Évangile la plus grande partie des
prescriptions humaines, elle n’en diffère que par la partie
spirituelle, par la croyance divine qui perfectionne l’âme
humaine… »
Certes, les jésuites sont habiles et le cas de la Chine en est une bonne
illustration : « Aussi est-ce ni l’idée ni les moyens que je repousse, mais
bien l’opportunité. » En effet, si l’un d’entre eux mourait, les autorités se
devraient de réagir. La France apparaîtrait alors comme reniant son
engagement car la religion chrétienne est celle du conquérant et tout
prosélytisme apparaîtrait comme un abus de force. La conséquence
immédiate sera la levée de la « guerre sainte » dont on sait, précise-t-il, que
les musulmans lui sacrifient tout. La mission ne pourra avoir lieu qu’une
fois la pacification complètement acquise afin qu’elle se déroule sans
aucune participation militaire. Il propose, malgré les dangers, de poursuivre
le prosélytisme dans les villes et de calmer le préjugé religieux qui est le
véritable ennemi. Il est donc inutile de fournir aux agitateurs des prétextes
pour réveiller la guerre sainte. Si la tentative de mission avait lieu, des
milliers de marabouts viendraient de Tunis ou du Maroc pour faire une
contre mission.
Que retenir de ce document ? Tout d’abord, Charon et Pavy partagent
sur de nombreux points une même vision d’un islam fanatique et
obscurantiste qu’il convient d’appréhender par les œuvres et non par un
apostolat direct. On apprend aussi que la mission est possible dans les villes
et qu’elle n’a pas rencontré de grands succès en termes quantitatifs. Le refus
de la conversion des musulmans apparaît relever davantage de questions
d’ordre public ou de sécurité que d’une volonté idéologique de préserver la
religion des populations soumises. Une fois les conditions de sécurité
remplies, le gouverneur général n’est pas hostile à la mission et explique
que cette dernière peut se dérouler dans les villes.
Les autorités restent surtout vigilantes et sensibles aux affaires
concernant des enfants. Deux cas délicats sont rapportés par les archives où
les enfants ont été soustraits à leurs familles. Un autre cas, moins
dramatique, est évoqué dans les documents d’archives. Il s’agit cette fois
d’un homme qui adresse une réclamation pour récupérer sa fille. L’affaire
se déroule en 1893 23 . Le père d’une jeune enfant explique, dans une lettre
traduite par un écrivain public en français directement, qu’il a remis sa fille
au prêtre dans une période où il ne pouvait pas faire face aux frais de
nourriture pour toute sa famille. Dans son esprit, le prêtre subvenait aux
besoins des enfants le temps nécessaire, puis les restituait aux familles. Or,
quand les familles sont venues chercher leurs enfants, il n’est donc pas le
seul dans cette situation, une partie avait été envoyée à Alger et l’autre
demeurait chez le prélat qui refusait de les laisser partir en expliquant qu’il
les avait achetés. De plus, le prêtre en question charge des personnes à son
service de circuler avec du pain et « chaque fois qu’ils rencontrent un
enfant, ils lui donnent du pain et l’emmènent en voiture ».
Le récit est suffisamment grave pour qu’une enquête soit ouverte par le
cabinet du préfet. Il en ressort que le père ne reconnaît absolument pas avoir
dicté de tels propos à l’écrivain public et l’accuse d’avoir dénaturé sa
déclaration :
« … il désirait, dit-il, seulement obtenir l’autorisation de se
rendre à l’asile S t -Charles près d’Alger, pour y chercher sa fille.
Dans ces conditions l’accusation portée contre l’asile de S t -
Cyprien tombe d’elle-même. »
Le cabinet du préfet estime qu’il est inutile d’engager une procédure
contre l’écrivain faute de preuve formelle à l’exception du témoignage du
père de l’enfant.
Que retenir de cet épisode ? Tout d’abord que les œuvres catholiques
s’adressent sans distinction de religion aux plus démunis et permettent aux
familles pendant les périodes de difficultés d’envoyer leurs enfants dans les
asiles. Cela atteste que les familles ont suffisamment confiance – ou sont
trop démunies ? – pour envoyer leurs enfants dans des établissements
catholiques. Par ailleurs, le texte rédigé par l’écrivain public, à son initiative
ou à celle du père cela reste impossible à établir, renseigne sur certaines
représentations qui existent au sein des populations. Dans quelle mesure
sont-elles représentatives ? Il est difficile de le savoir. Toutefois, elles
renvoient à un vieux fonds de croyances populaires véhiculées, parfois, par
des contes, mais pas uniquement et portent sur des disparitions d’enfants.
Le schéma est classique : les enfants sont attirés par des inconnus avec des
friandises ou du pain, en cas de disette, et sont enlevés. Les commanditaires
des enlèvements sont nombreux : ogre, djinn ou humain. Rappelons que
l’existence des djinns est affirmée par le Coran. Dans ce cas précis, le
commanditaire est le prêtre catholique perçu comme un étranger malfaisant.
Quel est le degré d’adhésion des populations à ces croyances ? Deux
possibilités cohabitent : soit les populations y croient, pas en ce qui
concerne les ogres, soit il ne s’agit que d’effrayer les enfants pour éviter
qu’ils ne s’aventurent trop loin et qu’ils restent vigilants dans leur rencontre
avec des étrangers. Ce type d’accusation, dans les documents consultés, est
plus que rarissime.
Seules trois affaires attestent d’activités où des ecclésiastiques
catholiques ont posé problème aux autorités. La question de la mission ne
semble pas perturber outre mesure les relations entre l’Église et l’État. De
plus, contrairement à une idée bien répandue, l’État n’a pas été par principe
hostile à la mission : la situation est plus complexe, comme le démontre
l’affaire Creusat.
Le père Creusat entreprend à la fin des années 1860, avec l’autorisation
des autorités, une mission auprès des tribus kabyles du cercle de Fort-
Napoléon 24 . Le projet de Pavy semble donc s’être concrétisé une quinzaine
d’années plus tard ce qui atteste une fois de plus de l’absence d’interdiction
de principe à l’apostolat. Hanoteau, officier des bureaux arabes, livre un
rapport complet sur les activités de Creusat depuis 1863 :
« En 1863, le père Creusat, de la compagnie de Jésus, fut
autorisé par l’autorité supérieure à s’établir comme curé à Fort-
Napoléon, pour y faire des essais sur les Kabyles qu’il présentait,
je ne sais sur quelles données, comme beaucoup mieux disposés
que les autres musulmans de l’Algérie à embrasser le
Christianisme 25 . »
Nous reviendrons sur la constitution du mythe kabyle qui n’a pas fait
l’unanimité chez tous les acteurs de la période. En mission auprès des
Kabyles depuis 1863, Creusat est convaincu que ces derniers veulent se
convertir au catholicisme. La réalité est autre et le père jésuite se retrouve la
victime d’une farce de mauvais goût dont il ressort que les Kabyles ne
songent pas à se convertir. L’affaire est remontée jusqu’à Lavigerie à qui le
père Creusat avait annoncé l’imminence des baptêmes…
Échec et espérance
La mission auprès des musulmans n’a pas été interdite par les autorités,
mais cantonnée dans les villes. L’échec n’est donc pas à imputer à la
prohibition de l’apostolat par les autorités, car les conversions urbaines ne
sont pas plus légion. Face à cet échec, les autorités catholiques ont préféré
l’imputer au pouvoir plutôt qu’à des raisons internes à la mission ou liées à
la religion musulmane. Cette stratégie se poursuit et a fini par convaincre
bien des chercheurs de l’existence d’une interdiction formelle des autorités.
Si cette dernière existe pour les tribus – pas tout le temps et partout –, elle
n’est pas fondée pour les villes.
Si interdiction formelle il y a pu y avoir à certains moments, il faut la
replacer dans la période de la conquête et l’expliquer par des raisons de
sécurité. Alors qu’il est déjà difficile de maintenir l’ordre sur les portions du
territoire conquis et que la conquête se poursuit, les militaires n’entendent
pas se préoccuper de la protection de prêtres ou de religieux qui voudraient
convertir les populations et des réactions face à ces velléités. De plus, il faut
aussi nuancer la portée de l’interdiction : qui était réellement en mesure de
convertir les musulmans ?
L’analyse du recrutement sacerdotal laisse peu de place aux ambitions
missionnaires de la part des séculiers. Le choix de l’Algérie ne semble que
rarement motivé par un zèle apostolique et, même si ce zèle existe, les
prêtres n’ont pas les moyens de leur ambition. En effet, l’un de ces moyens
fait cruellement défaut et reste, à mon sens, bien plus prohibitif qu’une
politique coercitive des autorités : la non-maîtrise de la langue. Faute
d’éminents arabisants ou berbérisants en nombre parmi le clergé catholique,
comment envisager une évangélisation, dans un pays qui n’est pas conquis
et alors qu’il manque déjà du personnel pour les Européens ?
En fait, il y a eu certes des préventions de la part des autorités militaires,
mais dans le même temps, elles ne peuvent pas à elles seules expliquer
pourquoi il n’y a pas eu de mission. La raison essentielle réside dans le fait
que le camp catholique n’est manifestement pas prêt. C’est pourquoi les
militaires n’ont pas intérêt à créer un conflit là où il n’y a pas lieu :
personne n’est réellement en mesure de convertir les musulmans. D’autre
part, la période de la conquête justifie en grande partie l’interdiction
d’apostolat et au moment de la fondation des pères blancs, dont la mission
est explicite, les militaires, sans être enthousiastes, ne peuvent bloquer le
projet de Lavigerie. En d’autres termes, la justification sécuritaire semble
plus probable qu’une hypothétique politique de privilège du croissant au
détriment de la croix. Pourtant, il ne faut pas exclure chez certains militaires
des bureaux arabes la volonté de préserver les populations de menées
évangélisatrices.
Il serait réducteur de restreindre la mission auprès des musulmans à la
seule prédication directe. Les catholiques ont, parmi les techniques
d’évangélisation, d’autres possibilités moins matérielles, mais dans
lesquelles certains fondent bien des espérances. La prière est l’une des plus
utilisées et les musulmans d’Algérie en sont très tôt destinataires.
L’idée serait née dans l’esprit d’un jésuite en 1857 alors qu’il est rappelé
momentanément de Constantine en France :
« Tandis que Ses Supérieurs en Afrique, s’occupaient à examiner
ce plan d’association, ils apprirent que M. le Curé de Notre-
Dame-des-Victoires à Alger avait eu, comme lui, la pensée
d’attirer sur les indigènes les plus abondantes bénédictions
célestes par la prière, et que, désirant attirer l’attention du
Souverain Pontife, il avait depuis peu fait le voyage de Rome. Le
Saint Père entra parfaitement dans ses intentions. Il répondit
avec vivacité qu’il faut contre l’Islamisme 26 , une croisade de
prières 27 . »
En janvier 1858, Pavy constitue une archiconfrérie de prières et
l’installe canoniquement par l’ordonnance épiscopale du 31 mars 1858 :
Article 1 : « … sous la présidence de Mgr l’Évêque d’Alger, une
Association de Prières dont le but général est la conversion des quatrevingt-dix
millions de Musulmans qui sont répandus dans la Turquie
d’Europe, en Asie et en Afrique, et le but particulier, la conversion des deux
millions cinq cent mille qui peuplent l’Algérie. […] »
Article 2 : « Le centre de l’Association est dans la Chapelle provisoire
de Notre-Dame d’Afrique, auprès d’Alger. »…
Article 3 : l’association ouverte aux fidèles du diocèse mais aussi à
toutes personnes intéressées.
Article 5 : « Chaque Associé récitera, tous les jours, un Pater, un Ave et
un Gloria Patri, et l’invocation qui suit : Cœur immaculé de Marie, priez
pour nous et pour les pauvres infidèles ! »
Article 6 : « On conseille aux Associés de faire, à l’intention de
l’œuvre, la Communion du premier vendredi du mois ou celle du premier
dimanche du mois. »
Article 8 : « La fête principale de l’Association est celle du Cœur
Immaculé de Marie, qui dans le diocèse d’Alger se célèbre après
l’Assomption. »
Article 9 : « Il est établi à Alger, sous la présidence de Monseigneur,
une Direction de l’Œuvre. »
Au 15 octobre 1858, d’après les sources catholiques, on dénombre
10 000 membres (dont 3 000 de Besançon et d’autres en provenance
d’autres diocèses) ; en août 1859, ils sont 20 000 associés répartis dans 22
diocèses de France et à l’étranger ; en 1863, leur nombre s’élève à 60 000 et
en 1885 à 80 000 28 . De plus, une indulgence de 100 jours est attachée à la
récitation de la prière :
« Ô Cœur saint et immaculé de Marie, si plein de miséricorde,
soyez touché de l’aveuglement et de la profonde misère des
pauvres Musulmans, etc. »
Les jours de fête en plus de la prière, il y a un cantique spécialement
composé en 1874 pour « la conversion des infidèles de l’Afrique 29 ».
L’apostolat par la prière est une arme spirituelle à laquelle il est fait
fréquemment appel dans les situations où manifestement un apostolat de la
prédication n’est pas possible. Il est appelé à se développer au XX e siècle
selon des modalités différentes et dans des cadres théologiques structurés,
mais très fluctuants au gré des objectifs recherchés : sanctification de la
prière des musulmans, théologie de la substitution, etc.
Dans ce cas précis, notons que l’association de prières vise tous les
musulmans et non pas spécialement ceux d’Algérie. Il est intéressant de
noter que la Turquie d’Europe – en fait, il s’agit officiellement de l’Empire
ottoman –, est nommée à part alors que l’Afrique et l’Asie apparaissent
comme des masses uniformes. Comment expliquer ce traitement de faveur ?
L’une des raisons est peut-être à rechercher dans le fait que les musulmans
d’Europe sont en grande majorité des Européens et qu’à ce titre, ils
bénéficieraient d’un statut distinct des autres musulmans.
À cette vision planétaire de l’islam, se greffe la vision d’un catholicisme
universel si l’on en croit les chiffres des affiliés. L’intercesseur choisi est
Marie, ce qui atteste une fois de plus de la prégnance de la piété mariale au
XIX e
siècle. Même si l’Église n’a de cesse de rappeler que l’objet de la
dévotion est le Christ et que Marie est l’un des intercesseurs, la dévotion
populaire place la figure mariale au cœur du dispositif spirituel. Les
origines lyonnaises de Pavy peuvent aussi expliquer le choix marial même
s’il entre aussi en parfaite résonance avec la spiritualité qui traverse tout le
siècle. Le dernier élément à retenir est la qualification d’infidèles pour les
musulmans qui sont dans « l’aveuglement et la profonde misère ». La
terminologie a du sens, le terme d’infidèle est très fort puisqu’il renvoie à
l’absence de foi, celui d’aveuglement n’est pas sans rappeler le statut de la
Synagogue.
Si les deux premiers évêques d’Algérie ne peuvent pas structurer la
mission auprès des musulmans pour les raisons exposées, la solution est
trouvée par Lavigerie avec la fondation des pères blancs. En l’absence de la
solution du vicariat apostolique, la création d’un ordre religieux destiné à
l’apostolat en direction des populations colonisées permet de satisfaire
Rome et Paris à la fois. Une séparation intervient de facto : au clergé
séculier les Européens et le cadre concordataire, au clergé régulier les
musulmans et les œuvres spécifiquement missionnaires. Pourtant, cette
dichotomie n’est opératoire que sur le papier. En effet, les frontières, loin
d’être étanches, sont soumises aux contingences du statut politique de
l’Algérie sur lequel s’est greffé le cadre religieux et qui en fait à la fois une
terre diocésaine – métropolitaine et coloniale – et un territoire de mission.
Toutefois, des hommes sont clairement destinés à l’évangélisation des
musulmans : les pères blancs.
CONVERTIR LES MUSULMANS : LE RECYCLAGE DU MYTHE
KABYLE
Les pères blancs, des missionnaires pour les musulmans
Le choix des Kabyles
L’initiative de la fondation des Missionnaires d’Afrique ou pères blancs,
revient à l’archevêque d’Alger, Mgr Lavigerie (1825-1892 30 ). Un de ses
grands objectifs, quand il arrive à Alger, est de ressusciter l’ancienne Église
d’Afrique. Le fer de lance de cette ambitieuse entreprise est trouvé en
Algérie, il s’agit des populations kabyles, chez qui persisterait un fonds de
christianité 31 . Ce choix des Kabyles n’est pas neutre. Il est l’écho du mythe
selon lequel l’islamisation du Maghreb n’aurait été que partielle sur les
tribus montagnardes et plus particulièrement sur les Kabyles 32 . Comment
s’est-il forgé ?
Il s’agit de la construction par des officiers français, pétris de saintsimonisme
et d’idéal républicain, formés à l’École polytechnique 33 , engagés
dans la conquête d’un territoire, la Régence d’Alger, d’un discours sur les
populations rencontrées. Il faut bien garder à l’esprit que le mythe s’est
construit sur plusieurs décennies et qu’il est le résultat de plusieurs
discours, à ce titre il est polymorphe. De plus, il s’est complexifié avec des
réflexions des orientalistes métropolitains et des nouvelles idéologies
comme celle de la race ou encore par de nouveaux concepts élaborés dans
les sciences humaines comme par exemple la linguistique (opposition
langues indo-européennes/langues sémitiques) et l’ethnographie ou les
« sciences exactes » comme l’anthropologie physique. D’autre part, il n’est
pas question de dresser un quelconque acte d’accusation : les gens n’ont pas
eu conscience de construire une image de l’Autre.
Ces militaires, supposés maîtriser la langue arabe et les langues
berbères, sont devenus, de facto, des experts « ès islam » par leur seule
maîtrise des langues. Leur description de la religion a été effectuée dans un
objectif militaire, donc ce qu’ils recherchaient en priorité, c’était les
éléments éventuels de sédition, en d’autres termes ce qui pourrait poser
problème pour le maintien de l’ordre. Ces préoccupations ont orienté leurs
champs d’investigation et mis en évidence, ce qui est logique pour un
militaire, la dangerosité potentielle de la religion des populations soumises.
C’est de là que daterait la perception de l’islam sous l’angle institutionnel et
belliqueux, même si ce n’est pas eux qui l’ont inventée et que cette vision
remonte au moins aux croisades. Cependant, ils font partie de ceux qui ont
contribué à en livrer une lecture réactualisée au XIX e . Les productions des
militaires permettent de réactiver in situ les discours qui insistent sur les
aspects dangereux et « fanatiques » de l’islam.
La première étape consiste dans la description des sociétés qu’ils
rencontrent en tant que militaires marqués par certaines idéologies et en
situation de guerre. La principale observation est l’existence de différences
entre les populations rencontrées et la nécessité de nommer ces différents
groupes après les avoir identifiés à partir d’un certain nombre de critères : la
langue, l’organisation sociale et politique, les « mœurs et coutumes » et
enfin la religion. Ce constat ne peut être en soi nié ni même minimisé : il
existe bien des groupes qui se distinguent en fonction de plusieurs critères.
La deuxième étape dans la réflexion est d’élaborer des catégories et de
construire une théorie explicative de ces différences. Deux grands groupes
apparaissent sous leur plume : les « Kabyles » et les « Arabes ». Or, un
certain flottement est décelable pendant quelques décennies sur la définition
des Kabyles et par rapport aux Arabes et par rapport aux Berbères ; de plus,
jusqu’à la fin des années 1850, 1857 précisément, il n’est pas vraiment
possible de se rendre en « pays kabyle », car ce dernier n’est pas encore
conquis par les Français. Cet obstacle n’empêche pas ces officiers de
décrire la société kabyle soit à partir d’analogies soit à partir de récits de
voyageurs ou de militaires qui se trouvent en bordure de ce « pays kabyle ».
La délimitation géographique de la petite et de la grande Kabylie n’est
d’ailleurs pas, elle aussi, stabilisée avant les années 1850. Les catégories
sont établies sur la base d’une différence entre « Kabyles » et « Arabes ».
Ce fait ne peut qu’être confirmé tout en étant nuancé dans la mesure où des
spécificités kabyles se retrouvent chez d’autres populations « berbères »
comme les tatouages cruciformes. Le terme ne doit pas induire en erreur,
car il n’existe pas plus de Berbère authentique en Algérie que de Gaulois en
France au XIX e siècle, et a fortiori aujourd’hui. Le nord de l’Afrique a été
une zone de brassage de populations sur un substrat ancien qui, depuis au
moins l’Antiquité, a connu de nombreux mélanges. Ce qui ne signifie pas
qu’il n’existe pas de cultures berbères qui s’interpénètrent avec d’autres
cultures et vice et versa. Qui pourra nier l’influence des Arabes, des
Andalous ou encore des Ottomans ? À partir de ce constat de la différence
entre populations, les militaires en ont déduit une supériorité des
« Kabyles » sur les « Arabes ». La conséquence de cette supériorité
supposée des uns sur les autres a été d’envisager que les Kabyles étaient
plus proches des Français que les Arabes ne pouvaient l’être. Cette
proximité faisait des Kabyles des candidats à l’assimilation. Le mythe
kabyle est donc le discours qui établit une hiérarchie dans laquelle les
Kabyles se trouvent en haut. Ce mythe du « bon Kabyle » n’allait pas
résister aux attaques de Chronos.
Si dans un premier temps l’héroïsme des Kabyles dans la résistance à la
conquête militaire renforce l’admiration des producteurs du mythe que sont
les militaires, la grande révolte de 1871 et la politique extrêmement dure de
répression menée en Kabylie ont mis un sérieux bémol à l’appréciation
positive. De plus, les colons ont vécu la grande révolte –
200 000 combattants, 800 000 insurgés – comme une trahison de la part
des Kabyles. Ne perdons pas de vue qu’entre-temps le mythe avait transité
dans les milieux universitaires parisiens et avait évolué. Cependant, le
mythe connaît un sérieux revers, comme tout mythe, quand ses producteurs
n’en ont plus besoin.
En effet, l’évolution de la colonisation, avec l’arrivée progressive
d’Européens, diminuait considérablement le rôle des Kabyles comme
interlocuteurs privilégiés. La « nouvelle race latine » était en train de se
forger, non sans difficultés, et les progrès réalisés par les idéologies racistes
ne laissaient plus de place à la fin du XIX e
siècle à une politique
d’assimilation même limitée aux seuls Kabyles. Ils regagnaient – mais
l’avaient-ils vraiment quitté ? – le camp des colonisés, sans bonification. De
plus, les rivalités entre administrations civile et militaire ont évolué au
détriment de l’armée.
On peut se demander ce qui dans les sociétés kabyles rencontrées avait
pu laisser suggérer une proximité avec la société française. Les officiers
avaient déduit de leurs observations que les Kabyles étaient des sédentaires,
à la différence des Arabes qui étaient des nomades. La découverte des
villages kabyles et de l’existence du commerce n’a fait que renforcer cette
impression avec comme corollaire un Kabyle travailleur et un Arabe
fainéant. De plus, leurs techniques guerrières laissaient percevoir un
individualisme et un jusqu’au-boutisme qui traduisaient la vaillance, mais
plus encore l’attachement à la terre, sentiment inconnu du nomade, toujours
dans un regard français. Le caractère sédentaire de cette société attestait
d’un niveau supérieur de civilisation dont le nomadisme était le degré zéro.
Le Kabyle combattait donc pour la sauvegarde de son village et de son
indépendance à la différence de l’Arabe qui, lui, se battait pour l’islam. À
cela s’ajoutait que les Kabyles vivaient dans une société « égalitaire 34 »,
propre à plaire aux officiers saint-simoniens, et les Arabes vivaient, eux,
dans une société « féodale ». La « démocratie au village » était donc plus à
même, pensait-on, de permettre une assimilation à la société française qui
en avait fini avec les affres médiévales du monde féodal, à comprendre dans
le sens d’arbitraire quand il s’agissait du « féodalisme arabe ». Sur le plan
« moral », le Kabyle s’avérait plus moral car pratiquant peu la polygamie et
laissant, pensait-on, une place plus importante aux femmes 35 , à la différence
une fois de plus de l’Arabe dont le goût de plaisirs charnels n’était plus à
démontrer, d’autant plus que sa religion le lui permettait. La question
religieuse n’était plus de mise, pour ce qui concerne la religion des Kabyles,
car une théorie en faisait des descendants de Germains aryens qui s’étaient
opposés aux Vandales. La preuve se trouvait dans les tatouages cruciformes
des femmes. Cette ascendance germanique se traduisait aussi dans
l’existence d’un droit que des officiers eurent tôt fait de repérer comme
proche du droit romain, ce qui ne pouvait que favoriser un rapprochement
avec le droit français. Les officiers en déduisirent une islamisation
superficielle qui les rendait plus assimilables que les Arabes trop
religieux 36 . En parallèle au mythe du « bon Kabyle » se forgeait celui du
« mauvais Arabe ». Il était en tout le symétrique opposé. La langue arabe
était classée dans la famille des langues sémitiques, inférieures aux langues
indo-européennes. Sur le plan politique triomphait la « féodalité », soit ce
mélange d’arbitraire et d’archaïsme. Sur le plan religieux, le fanatisme de
l’islam et du « musulman » avait de beaux jours devant lui. Le corollaire de
sa religion se traduisait sur le plan « moral » par des propensions à la
fainéantise, à la concupiscence, bref à être l’Oriental exotique et érotique.
Le pouvoir attractif du mythe serait retombé, au moins chez les laïques,
à la fin du XIX e siècle.
Pourtant, il reste opératoire dans les milieux catholiques pour qui les
Kabyles auraient maintenu un patrimoine chrétien qu’il ne resterait qu’à
réactiver. Toute une littérature se construit alors cherchant à déceler un
certain crypto-christianisme dans les coutumes et mettant en exergue
surtout les différences entre les Kabyles et les habitants « arabisés » de la
plaine. Rappelons que les habitants de la plaine, dans leur écrasante
majorité, ne sont pas plus que ceux des montagnes des « Arabes ». Ces
derniers n’ont pas pu pratiquer de colonisation de peuplement, se sont
généralement installés dans les villes, quelques siècles auparavant et ont
conclu des alliances matrimoniales avec les populations rencontrées.
D’autre part, les Arabes sont loin d’avoir été les seules populations à s’être
installées dans cette zone. De plus, les particularités de l’islam kabyle
peuvent se retrouver dans d’autres populations, sous d’autres formes, tant il
est vrai que l’islam maghrébin présente ses propres caractéristiques et ce
jusqu’à nos jours. Il faut aussi savoir que des pratiques religieuses
spécifiques ne présagent en rien d’une islamisation superficielle, mais
simplement d’une religiosité différente. Rappelons que l’islam comme le
christianisme sont des religions à ambition universelle qui sont entrées en
contact avec des croyances et des pratiques avec lesquelles elles ont dû
composer. C’est ce qui explique la diversité des pratiques qui peuvent se
revendiquer de l’islam comme du christianisme jusqu’à nos jours.
La méthode Lavigerie et ses avatars
Quoi qu’il en soit, l’imaginaire constitué autour du mythe kabyle a été
suffisamment porteur pour inciter l’archevêque d’Alger à entreprendre une
évangélisation. Cette politique est poursuivie par ses héritiers comme en
témoigne l’importance des installations des pères blancs en Kabylie en
comparaison du reste de l’Algérie. L’archevêque en appelle toutefois à la
prudence face à des autorités françaises hostiles, selon lui, à tout
prosélytisme religieux 37 . Il fonde la Société des Missionnaires d’Afrique
lors de la grande famine de 1866 qui touche l’Algérie 38 . Deux villages sont
ensuite fondés pour prendre en charge les orphelins, Saint-Cyprien et
Sainte-Monique (nom de la mère d’Augustin 39 ). L’encadrement de ces
villages est assuré par des missionnaires qui doivent aussi visiter les
populations musulmanes 40 , mais bien souvent ils ne le peuvent pas. En
revanche, la rencontre avec les musulmans est prévue à l’école et à
l’hôpital. L’école ne rencontre pas dans les premières années un grand
succès, à la différence de l’hôpital 41 . Le problème de l’enseignement dans
l’Algérie coloniale est complexe 42 . Si, dans un premier temps, les
populations soumises refusent d’envoyer leurs enfants à l’école française,
vers le début du XX e siècle un changement s’opère dans les mentalités, en
particulier chez les Kabyles : l’étude du français apparaît alors comme un
gage de réussite sociale.
L’expérience des villages chrétiens n’est pas renouvelée. En 1876,
Lavigerie y met un terme, car financièrement la gestion de ces villages
s’avère onéreuse et parce que ces noyaux d’Arabes chrétiens ne réussissent
pas à constituer les pôles religieux espérés par l’archevêque 43 . Les causes
de ce manque de rayonnement sont multiples, mais si pour certains
missionnaires les convertis ne constituent pas le modèle attractif escompté,
c’est surtout du côté des populations musulmanes, peu disposées à la
conversion, que se trouve l’essentiel des explications 44 . Lavigerie ne
maintient qu’un personnel minimum dans ces deux villages et réoriente les
missionnaires vers la Kabylie et le Sahara 45 . Trois communautés s’installent
en Kabylie bientôt suivies par d’autres.
Le développement de la société s’est fait pendant les années Lavigerie
en conformité avec les idées du fondateur sur la mission. Il ne peut la
concevoir que par étapes, tant pour les musulmans que pour les Noirs, entre
lesquels il n’opère pas de véritable distinction comme en témoignent ses
Instructions 46 .
Dans un premier temps, l’objectif consiste à gagner les cœurs afin de
changer le milieu. Pendant cette phase, aucun prosélytisme n’est permis et il
est interdit de parler de religion tout en se présentant comme homme de
Dieu. Concrètement l’action doit se manifester à travers les écoles et les
dispensaires. Dans un deuxième temps, renouant avec les pratiques de
l’Église primitive, il rétablit le catéchuménat. Il le subdivise en une période
d’instruction, le postulat, d’un ou deux ans durant lesquels aucun des
mystères chrétiens ne doit être abordé et où le postulant n’est pas admis au
culte. Pendant la deuxième période on aborde le catéchuménat à proprement
parler. Durant deux années les mystères chrétiens tels que l’Incarnation, la
Trinité, la Rédemption sont enseignés, mais il est encore interdit de parler
des sacrements à l’exclusion de celui du baptême. Une fois baptisé, il est
alors possible d’exposer les autres sacrements comme moyens pour mener
une vie chrétienne 47 .
L’objectif n’est donc pas de baptiser mais de gagner les cœurs. Le
cardinal ne souhaite pas dépasser ce stade en Afrique du Nord avant
longtemps, même s’il lui arrive ponctuellement de déroger en acceptant le
baptême d’adultes, toutefois il s’agit là d’exceptions. Sa démarche ne fut
pas toujours comprise par ses missionnaires et ce même de son vivant 48 .
Le fond du débat est d’ordre théologique : le cardinal ne semble pas
faire du baptême la condition sine qua non du salut. C’est là l’une des rares
explications possibles pour justifier ses réticences face au baptême. De plus,
Lavigerie, très sensible à l’univers culturel de l’islam, redoute les apostasies
qui ne peuvent, pense-t-il, qu’avoir lieu dans un milieu non préparé aux
conversions au christianisme. L’expérience des villages chrétiens s’étant
soldée, selon lui, par un échec, il ne faut envisager de baptême que si les
convertis demeurent dans leur milieu d’origine. Il refuse d’en faire des
assistés tributaires de l’aide permanente des missionnaires et vivant dans un
monde à part.
Dans les années qui suivent la mort du fondateur, l’avenir même de la
mission en Afrique du Nord semble hypothéqué. La fin du XIX e siècle est
caractérisée par une tension croissante entre l’Église et l’État français qui
aboutit à la Séparation de 1905. Certes, la loi n’est pas appliquée dans toute
sa rigueur en Algérie, mais elle entraîne, malgré tout, certaines
modifications. Les missionnaires d’Afrique se sentent aussi menacés par la
législation française contre les congrégations 49 . À ces éléments extérieurs
s’ajoutent les divisions internes qui pourraient mettre en péril la mission
auprès des musulmans. Les divergences viennent du contraste entre l’essor
de la mission en Afrique Équatoriale et les faibles succès rencontrés en
Afrique du Nord, alors que se pose un problème de personnel et donc de
priorités à établir 50 . En outre, le cardinal n’avait rédigé que des
constitutions provisoires et il faut attendre le Directoire de 1914 pour que
les problèmes de l’apostolat, abordés pour le monde musulman lors du
chapitre de 1912, soient tranchés. Or, dès la mort de Lavigerie, des
changements dans la pratique missionnaire apparaissent. En 1894, le père
Malfreyt, provincial d’Algérie-Kabylie (1894-1897) envisage de passer à la
deuxième phase de l’évangélisation 51 . Il préconise, conformément au
Chapitre de 1894 sur la Kabylie, d’assurer une instruction religieuse à tous
ceux susceptibles d’y être sensibles : « Le temps de la sage réserve imposée
jadis par notre vénéré Fondateur, Son Éminence le Cardinal Lavigerie
semble fini 52 . » Le père Malfreyt demeure prudent puisqu’il ajoute : « Nous
pouvons et nous devons marcher de l’avant en matière religieuse, tout en se
gardant bien de le dire et tout en restant dans les limites de la prudence. »
Toutefois, la rupture avec la période précédente est manifeste. Plus qu’une
révolution dans les conceptions de l’apostolat, n’est-ce pas l’expression
officielle de pratiques ou du moins de velléités jusque-là tues ? L’émulation
avec les confrères d’Afrique Équatoriale a dû faciliter cette nouvelle
optique et ainsi donner aux jeunes missionnaires le sentiment plus clair
d’œuvrer pour la mission.
Dans la pratique, les supports de l’action ont peu différé. Écoles,
dispensaires et visites à domicile constituent toujours les vecteurs de
l’apostolat. L’école reste le lieu privilégié pour préparer la mission car, à
travers les internats, il est possible d’instruire de jeunes gens si leur famille
est consentante 53 . Des conversions ont lieu comme le rappelle la conférence
de Boh Noh 54 . Le succès numérique n’est pas très important, mais il faut
tenir compte du petit nombre de missionnaires présents pour avoir une idée
juste du travail apostolique. Néanmoins, les interrogations demeurent quant
aux raisons de l’échec de l’évangélisation des musulmans : comment
concilier l’intégration au milieu, qui doit passer par la maîtrise de la langue,
et les attentes de populations pour une instruction en français ? Que faire de
convertis désormais exclus de leur milieu d’origine ? Quelle part accorder
aux traditions locales ?
Dès lors, la mission auprès des musulmans ne semble plus obéir à des
règles communes et se caractérise par le manque d’unité. Toutes les
tendances peuvent s’exprimer comme le signale le père Vidal à
Mgr Livinhac 55 :
« Les uns prétendent qu’il faut d’abord détruire l’islamisme dans
l’âme du Kabyle avant d’y asseoir l’Évangile. D’autres disent
qu’il faut instruire, car la vérité par elle-même chasse les
ténèbres 56 […]. »
La réflexion sur l’apostolat en milieu musulman reste très féconde dans
cette période, comme en témoignent les travaux de Baldit ou encore cette
organisation de pères blancs en vue du V e Congrès anti-islamique 57 . Ce
document, daté du 30 août 1909, est un compte-rendu de la réunion
préparatoire au V e Congrès anti-islamique. Aucune mention de ce congrès,
ni des précédents, n’a été rencontrée dans la documentation consultée. Lors
de cette rencontre deux grandes décisions sont prises. La première est la
création « d’une revue anti-islamique à l’usage exclusif des
Missionnaires ». Les objectifs sont doubles, faire bénéficier les
missionnaires de connaissances sur les questions relatives à l’apostolat et à
la controverse en pays musulmans et préparer la formation intellectuelle des
missionnaires. La seconde grande décision est dans la continuité de l’action
de la revue puisqu’il s’agit de donner aux missionnaires les possibilités pour
se former.
Face à cette profusion des orientations, le Chapitre de 1912 décide de se
donner une ligne cohérente. Outre l’élection d’Henri Marchal 58 comme
assistant du supérieur général, le Chapitre rappelle l’un des principes clés
du fondateur : le but n’est pas de baptiser des individus mais de former une
société chrétienne. C’est la voie sur laquelle s’engagent les pères blancs,
mais elle n’est pas celle qui a les faveurs de tous les pères. Les débats
attestent surtout d’une grande division au sein des pères blancs quant à la
démarche apostolique à envisager, car elle est fonction de la perspective
sotériologique, de la définition de la mission qui en découle et de
l’approche du peuple que l’on a à évangéliser.
Théologies de la mission
Derrière la mission auprès des musulmans, se profilent d’autres débats
décisifs à la mission catholique dont celui du salut. La finalité de tout
apostolat est de permettre de sauver des âmes. Or, l’Église n’a jamais défini
de manière positive les conditions requises pour obtenir le salut, elle a
procédé de manière négative en indiquant ce qu’il ne fallait pas faire pour
ne pas être exclu du salut. Néanmoins, si l’universalité du salut est admise
pour tous, celui-ci demeure difficilement accessible pour les non-chrétiens.
Des réponses très variables sont proposées par la théologie catholique,
reposant sur la distinction Église visible/Église invisible. Elles débouchent
sur la question de savoir si l’adhésion formelle au catholicisme est
indispensable au salut. Si elle l’est, la mission doit se faire selon le schéma
classique de prédication de l’Évangile et d’administration du baptême : il ne
saurait alors être question d’admettre la possibilité du salut en dehors d’une
appartenance à l’Église visible. Cette conception reste majoritaire au
XIX e siècle et se maintient dans l’entre-deux-guerres. C’est pourquoi les
missionnaires témoignent dans leurs rapports adressés à leurs supérieurs de
leur satisfaction d’avoir pu baptiser des moribonds 59 . Dans l’hypothèse
inverse, où l’adhésion au christianisme n’est pas l’adhésion à l’Église, une
mission rénovée peut alors être envisagée et, dans une certaine mesure, le
salut devient possible hors de l’Église visible. Sans doute, la théologie de
l’Église invisible est-elle admise de manière classique par l’institution, mais
cette dernière n’en a pas tiré toutes les conséquences pour la mission, d’où
des positions très fluctuantes sur l’économie du salut. La coïncidence entre
Église visible et Église invisible s’impose à certains, alors que d’autres
admettent une vision plus large. Entre ces deux positions coexistent une
multitude de pratiques. Ainsi, Lavigerie croit en la possibilité du salut sans
que le sacrement du baptême en constitue la condition sine qua non.
L’archevêque d’Alger devait être persuadé de cette possibilité de salut, en
avoir eu l’intuition théologique, car il ne pouvait trouver dans la théologie
du XIX e siècle les ancilla theologiæ, pour paraphraser les scolastiques,
susceptibles de justifier sa pastorale. Mais il bouleverse dans le même
temps la conception classique de l’action missionnaire qui consiste à
annoncer l’Évangile et à administrer le baptême. Cette mission rénovée est
difficile à admettre pour certains pères blancs du vivant de leur fondateur,
car elle remet en cause le sens même de leur engagement, et elle se trouve
discutée à la disparition du cardinal. Lavigerie a fait preuve, sur la question
de la sotériologie, d’une modernité annonciatrice de celle de Foucauld.
La mission autrement, le père Charles
Charles de Foucauld (1858-1916) est sans nul doute la figure la plus
populaire et la plus controversée parmi les pionniers d’une nouvelle
démarche missionnaire. On le sait, le personnage n’est pas sans ambiguïté,
parce qu’il reste un homme de son temps, fidèle à ses engagements et à ses
amitiés de jeune officier. Ses activités de renseignement au service de
l’armée française ont suscité une abondante littérature, d’abord pour servir à
la glorification du patriote, puis pour alimenter la démystification de l’agent
double, au point d’en faire le prototype du missionnaire masquant ses
convictions colonialistes. Mon propos n’est pas d’entrer dans ce débat,
probablement sans fin, mais de rappeler pourquoi le frère Charles a
constitué un modèle alternatif pour des catholiques épris d’un engagement
missionnaire d’un nouveau type.
Son itinéraire prend sa source dans la spiritualité classique de
l’imitation du Christ, mais il en tire des conclusions radicales, propres à
renouveler en profondeur l’idéal missionnaire. Charles de Foucauld
inaugure son itinéraire par cet indispensable retour aux sources qui, au
lendemain de sa « conversion », inspire tous ses choix ultérieurs. De la
Trappe de Notre-Dame-des-Neiges au séjour en Syrie et en Palestine, il
expérimente, en se mettant dans les traces de Jésus, une forme de vie
érémitique qui passe par le renoncement au monde et le choix d’une totale
pauvreté évangélique. Ordonné prêtre en 1901, il s’installe à Beni-Abbès,
puis dans le fameux ermitage de Tamanrasset en 1905. Assassiné le
1 er juillet 1916, il semble avoir échoué dans un projet qui prenait à contrepied
le modèle missionnaire courant. Pourtant, radicalité et nonconformisme
ne tardent pas à devenir des modèles qui stimulent l’invention
et l’exploration de nouvelles voies.
À la mission itinérante, qui quadrille l’espace et repousse les limites
géographiques de l’Église visible, il substitue la mission immobile. À la
stratégie de la mission par le haut, celle des rois et des élites, il préfère le
choix de la dernière place et du dénuement absolu. Renonçant enfin à la
prédication offensive et au prosélytisme, il privilégie l’adoration
eucharistique et entend se faire l’hôte des populations, jusqu’à entrer dans
leur complète dépendance.
Sans doute ne faudrait-il pas conclure à une rupture totale avec l’idée
missionnaire telle qu’elle s’est épanouie au XIX e siècle. Charles de Foucauld
rejoint une longue tradition missionnaire quand il se lance dans l’étude de la
langue et l’élaboration d’un dictionnaire franco-touareg. De plus, la
conversion des musulmans reste bien l’horizon de son action, même si le
temps de l’annonce n’est pas encore venu, ce qui explique d’accepter un
temps de présence et de renoncer aux conversions. Mais le marabout
chrétien n’expose pas de théologie de la mission révolutionnaire. La prière,
à laquelle il consacre sa vie, est doublée d’une théologie de la substitution
qui marque les limites de la reconnaissance de l’islam comme message
religieux. Il n’en reste pas moins que sa pensée et son exemple sont
porteurs d’approches novatrices, tant dans la compréhension de l’islam que
dans la conception de la vie communautaire en pays de mission 60 . Charles
de Foucauld esquisse ainsi une réponse catholique à l’échec missionnaire
pour convertir les musulmans. C’est pourquoi, bien au-delà de la famille
spirituelle qui se réclame de son exemple dans les années 1930 – les petits
frères et les petites sœurs de Jésus –, il va constituer une référence pour tous
ceux qui cherchent à sortir de l’impasse. Il rompt avec la mission pour
passer au témoignage : ce n’est pas l’action sociale mais une vie de prière
qui doit attirer.
Si les questionnements et les techniques d’apostolat demeurent
nombreux en direction des musulmans, les réflexions sur les convertis et sur
les « Arabes chrétiens » sont tout aussi fondamentales.
Les « Arabes chrétiens »
Les deux villages d’« Arabes chrétiens » fondés par Lavigerie sont
devenus, au premier abord, des villages de « vieux christianisme ». Ainsi, à
l’instar des autres paroisses, des missions y sont prêchées et la SRA du
19 mars 1905 rend compte de l’une d’entre elles. Deux missions ont été
prêchées en simultané à Sainte-Monique et à Saint-Cyprien des Attafs.
L’article de la revue ne manque pas de rappeler les conditions de la
fondation de ces deux villages, i. e. la famine de 1867 et le recueil des
orphelins par l’archevêque d’Alger. Puis,
« Le 9 février 1873, le P. Feuillet vint des Attafs avec les grands
jeunes gens arabes qui devaient choisir leurs épouses ; il les
conduisit à Saint-Charles où se trouvait l’orphelinat des filles
arabes ».
La date du mariage et de l’installation est alors fixée au 15 mars 1873.
Chaque couple a reçu une maison, un champ et des bœufs. Pères blancs et
sœurs blanches se sont maintenus auprès de ces nouvelles familles. Après
ce rappel historique, l’article relate les conditions de la mission à laquelle
assistait une cinquantaine d’hommes, une soixantaine de femmes et de
jeunes filles et une quarantaine d’enfants. « J’avais là, à mes genoux, à côté
de moi des fils de l’Islam convertis, priant Jésus-Christ dans la belle langue
de saint Louis ! » Se pose la question de savoir à partir de quelle génération
on cesse d’être un converti : dans quelle mesure les enfants nés de parents
convertis au christianisme demeurent eux-mêmes des convertis ? Quant à la
référence à saint Louis, si elle est pour le moins curieuse au vu de
l’évolution de la langue depuis le XIII e siècle, elle n’en est pas pour autant
anodine, car elle renvoie de manière tacite à la croisade. Le missionnaire
leur a rappelé leur histoire ainsi que « tous les bienfaits de tant de
catholiques de la Mère-Patrie qui s’étaient intéressés à leur malheureux
sort… » Le prêtre insiste sur le recueillement qu’envieraient bien des
paroisses peuplées d’Européens et témoigne de sa grande émotion à leurs
chants :
« Ce n’était plus la voix criarde, monotone des musulmans,
c’était l’organe souple et exercé de l’Occidental. La religion
adoucit même les voix. »
La dévotion des paroissiens est totale si l’on en croit l’ecclésiastique qui
indique que tous les jours de la semaine, pour les exercices du soir comme
pour ceux du matin, l’église est pleine. Il précise que, du mercredi au
dimanche, le confessionnal a été pris d’assaut et que l’apothéose est
intervenue le dimanche pour le dernier jour de la mission. La description de
la mission est en tout point conforme à celles des autres missions qui se
déroulent dans le diocèse. La spécificité de ce village peuplé d’autochtones
chrétiens n’est pas perceptible à travers les écrits. Un constat similaire
s’impose lors de la tournée de confirmation effectuée en 1911 61 par
Mgr Piquemal.
À Saint-Cyprien, le prélat a été accueilli par les pères Baldit et
Monnier : « sous un dais que portent les anciens du village, Monseigneur se
dirige vers l’église au chant du Magnificat et du cantique : Je suis
chrétien. » Dans l’édifice religieux se trouve la statue de saint Cyprien. Le
supérieur des pères blancs, Livinhac, est présent, ce qui atteste des liens
indissolubles entre les villages et la société des missionnaires d’Afrique. Le
rédacteur de l’article est sensible aux chants religieux : « Les chanteuses de
Saint-Cyprien exécutent avec un accord parfait et une voix bien dirigée un
motet à deux voix et le Regina coeli de Lambillotte. L’assistance entière
chante à l’unisson les autres parties de l’office. » Le lendemain a lieu la
première communion :
« Comme entrée, les jeunes chanteuses font entendre un Ecce
Sacerdos de belle allure, à trois voix, La Messe royale est
chantée à deux chœurs bien nourris, hommes et femmes ; car
tout le monde chante à Saint-Cyprien, avec un entrain parfois
difficile à modérer. […] Aux habitants du village sont venus
s’adjoindre les colons des fermes environnantes et les
catholiques des Attafs et de Wattignies. »
La mémoire de Lavigerie ne manque pas d’être saluée. Piquemal visite
ensuite toutes les œuvres notamment celles des sœurs blanches : l’hôpital
Sainte-Elisabeth et l’ouvroir indigène où les religieuses apprennent aux
jeunes filles à tisser les tapis. Il est précisé que « ces travaux ne le cèdent en
rien aux plus belles productions des ouvroirs similaires que le
Gouvernement général multiplie en Algérie pour encourager l’art
indigène ». L’auteur de l’article entend bien rappeler que l’Église participe à
la mission civilisatrice comme les laïcs. Il est aussi question d’un petit
pèlerinage qui atteste de l’organisation d’une dévotion locale avec la
présence d’une chapelle que les habitants désignent sous l’appellation de
basilique de Notre-Dame d’Afrique : « À cette chapelle, chaque année, tous
les villages de la plaine se rendent en pèlerinage. » Il s’agit en fait de Notre-
Dame d’Afrique du Chélif. Tout comme en France les sanctuaires mariaux
se développent et quadrillent le territoire, créant ainsi des espaces du sacré
catholique de « proximité ».
Piquemal poursuit sa tournée à Sainte-Monique qui se trouve à 6 km de
Saint-Cyprien. Il y est reçu avec la même qualité d’accueil : salves de coups
de fusil et chœur de jeunes filles. « L’annexe de Rouïna, qui comprend
400 catholiques, s’est réunie à l’église mère. Les colons de ce village, les
directeurs et les ouvriers des mines de fer sont venus en grand nombre. » Il
est intéressant de constater que Rouïna est l’annexe de Sainte-Monique.
Dans l’annexe de Rouïna des dames catéchistes qui œuvrent pour les
enfants, le chœur, un patronage et une bibliothèque. Piquemal rappelle « …
la charité du cardinal Lavigerie et témoigner aux vaillants chrétiens qui ont
quitté l’Islam pour embrasser la Croix » et précise que :
« La communion fréquente est en honneur à Sainte-Monique ; au
jour de Pâques on ne comptait que deux abstentions parmi les
habitants du village chrétien ; tous les autres avaient rempli le
devoir pascal. »
Piquemal se rend aussi chez les sœurs blanches. La tournée ressemble à
toutes les autres tournées. La SRA livre une vision idéalisée de ces chrétiens
qui ne correspond pas à d’autres discours et notamment ceux de
Lavigerie 62 .
La dernière mention des chrétiens des Attafs date de 1914 et relate
l’« hommage des Arabes chrétiens à Mgr Combes 63 ». Le texte est livré en
arabe avec la traduction suivante :
« Notre père Monseigneur, nous Vos enfants en Dieu, remercions
Notre Seigneur qui Vous a donné les cinquante années dans son
Église, et demandons qu’il Vous conserve longtemps pour le
bien du pays, où vous avez tant fait de bien. Les Arabes
convertis de la Régence. »
Toutefois, la traduction que je propose diverge quelque peu :
« Notre père monseigneur, nous vos enfants en Dieu, nous
rendons grâce à notre seigneur le messie 64 qui vous a donné
cinquante ans dans notre Église et nous demandons qu’il vous
laisse à nous longtemps pour le bien du pays où vous avez fait le
bien. Les musulmans chrétiens du pays (ou les musulmans
christianisés). »
Ma traduction renseigne d’une part sur le vocabulaire théologique en
vigueur, al-masih, le messie, n’est pas al-rabb, le seigneur, et d’autre part
sur la terminologie qu’ils utilisent pour se désigner : ils ne se désignent pas
comme « arabe » et le mot de Régence n’apparaît pas dans le texte en arabe.
La formule pour laquelle ils optent est une hybridation entre leur ancienne
condition et leur nouvelle religion. Ils ne se perçoivent pas comme chrétiens
à l’image des Européens, mais restent attachés à une certaine filiation. Ce
vocable de « musulmans chrétiens ou de musulmans christianisés » est-il
d’eux ou doit-il être attribué aux missionnaires d’Afrique ? Dans le texte
arabe ils ne recourent jamais au vocable « Arabe » pour se désigner. Or, il
peut apparaître paradoxal que le texte français l’utilise dans la mesure où le
discours évangélisateur fondateur repose sur la distinction entre « Kabyles »
et « Arabes ». Le mythe kabyle n’est opératoire que si les populations ne
sont pas « Arabes ». Par conséquent, sous la plume des rédacteurs de la
Semaine religieuse d’Alger, sont-ils à nouveau des « Arabes » à comprendre
dans le sens d’indigènes ? Eux ne se perçoivent pas dans cette grille
d’analyse.
De plus, le vocabulaire du texte arabe fait écho à la réalité du système
colonial pour lequel un musulman converti au christianisme restait, au
regard de la loi, un musulman dans le sens où il demeurait soumis au statut
personnel musulman « sans qu’il y ait lieu de distinguer ou non s’il
appartient au culte mahométan 65 ». Le statut des indigènes convertis et des
indigènes chrétiens par filiation est celui des indigènes musulmans. C’est
pourquoi l’argument souvent invoqué pour expliquer que les musulmans ne
pouvaient ni ne voulaient accéder à la citoyenneté française afin de ne pas
renoncer à leur statut personnel, s’il n’est que partiellement opératoire pour
les musulmans 66 , est complètement caduc pour les chrétiens indigènes. Il
faut savoir que l’abandon du statut personnel pour accéder à la citoyenneté
française n’est que l’arbre qui cache la forêt dans la mesure où il n’est
qu’un des éléments sur lequel les autorités et les élites musulmanes se sont
focalisées. De plus, les critères ont varié pendant la durée de la
colonisation : ils ne sont pas les mêmes en 1865 et après la Seconde Guerre
mondiale. D’autres conditions que la renonciation au statut personnel
prévalaient comme l’obtention du certificat d’étude. Or, le taux de
scolarisation est de 1,9 % en 1890, 6 % en 1930, 10 % en 1937, 14,6 % en
1954 67 pour les indigènes musulmans. La possession d’un titre de propriété
fait aussi partie prenante des conditions requises. L’indigence des
populations n’est plus à démontrer depuis les travaux fondateurs de
Germaine Tillion, qui mettent en évidence la « clochardisation » des
musulmans d’Algérie, et ceux de Pierre Bourdieu. Certes, il s’agit d’études
portant sur la seconde partie du XX e siècle, toutefois les conditions de vie
étaient autant, si ce n’est plus difficiles au XIX e
dans la mesure où les
révoltes donnaient lieu systématiquement à des confiscations de terre. À la
suite de la grande famine de la fin des années 1860, d’aucuns se sont plu,
comme le Dr Eugène Bodichon 68 , à imaginer une extinction des populations
à l’instar des Indiens d’Amérique. L’avenir devait leur donner tort, mais
cela est une indication supplémentaire des conditions d’existence. Ces
conditions imposées à l’accès à la citoyenneté ne concernent pas les
populations européennes.
Les chrétiens indigènes se retrouvent donc en situation de marginalité
sur le plan religieux vis-à-vis des autres indigènes et dans un statut
d’infériorité vis-à-vis des autres chrétiens. De plus, leurs rapports avec
l’institution ecclésiale ne sont pas toujours apaisés et reposent parfois sur
des malentendus culturels 69 . Ces difficultés renvoient à l’une des
interrogations centrales de la mission qui est celle de l’acculturation. Certes,
le terme n’existe pas encore mais sa réalité est un fait qui remonte, pour la
période moderne, à la querelle des rites chinois et atteste de la mise en place
par la réforme tridentine d’un catholicisme latin peu enclin à se dissoudre
qui, au contact de l’islam, renforce son identité. Cette tendance que l’on
constate face à d’autres religions est particulièrement prégnante vis-à-vis de
l’islam. Face à un système religieux structuré sur un modèle voisin du sien,
le catholicisme ne peut pas prendre le risque de s’acculturer. De plus, le
contexte colonial algérien ne peut que renforcer cette orientation et suscite
des réactions qui oscillent entre l’indifférence et la peur.
Entre indifférence et peur :
quelques perceptions catholiques
des musulmans
L’ISLAM, UN DÉCOR SONORE ET VISUEL
Un premier constat s’impose quand il s’agit d’analyser la vision
catholique des musulmans : ils sont les grands absents de la documentation
consultée. Au mieux, ils apparaissent en filigrane comme figurant du décor
colonial. Il arrive que leur présence soit signalée lors des tournées de
dignitaires religieux pour indiquer la chaleur de leur accueil 70 . C’est le cas
dans la sra du 18 mai 1900 dans un article intitulé : « écho de la visite
pastorale » : Djelfa, Bou-Saada, Boghar, Berrouaghia. Le texte décrit la
réception qui est faite à Djelfa à l’archevêque en la comparant à celle qui
avait été faite à Pavy en 1861. Cette année-là, les « Arabes » avaient tué des
habitants et l’évêque fut reçu par le curé accompagné de deux enfants de
chœur « dont l’un portait un bandeau autour de sa tête ensanglantée par un
coup de sabre, et le sacristain avait un bras en écharpe, brisé par coup de
feu ». Depuis, les temps ont changé et « les indigènes ressentent pour le
grand marabout des Français un respect et une confiance sans limite ».
C’est pourquoi, parce que pendant son séjour il a plu :
« … tous les indigènes de dire : “Le grand marabout est toutpuissant
; il a la crosse verte – c’est-à-dire la puissance de faire
verdir les champs – il obtient du Ciel tout ce qu’il veut !” »
Les caïds ont été admis dans l’église de Laghouat à l’occasion de son
inauguration et se seraient répandus en commentaires flatteurs sur Oury.
Puis, l’article souligne la grande délicatesse dans les invitations qu’ils lui
ont été faites avec le « déploiement de tout le faste oriental et de ses
délicatesses raffinées dont notre civilisation n’a même pas idée ». Nous
sommes avec ce récit dans le registre de l’Orient exotique. Force est de
constater que les articles qui évoquent les musulmans sont inaccoutumés.
Le silence des Semaines religieuses algériennes ne constitue pas une
exception : rares sont les périodiques catholiques qui font état de la
présence musulmane quand bien même celle-ci est majoritaire 71 . À la
lecture de la presse catholique, transparaît la curieuse impression d’une
Algérie peuplée des seuls catholiques dont sont également absents aussi
bien les protestants, les juifs, les musulmans, les agnostiques et les athées.
De fait, cette perception, loin d’être le seul fruit d’un imaginaire, traduit la
réalité d’une existence en vase clos, de sociétés en partie hermétiques les
unes aux autres et qui s’ignorent réciproquement. Cette distance qui
s’apparente à de la ségrégation, se trouve renforcée par l’existence d’une
société catholique en nombre suffisant pour faire abstraction de la pluralité
de l’environnement dans lequel elle évolue. Cette tendance ira en
s’accentuant après la Première Guerre et renforce un des traits des sociétés
coloniales.
Certes, la presse catholique est aussi le reflet de la répartition des tâches
inaugurée par Lavigerie qui confie les musulmans aux pères blancs et les
Européens au clergé séculier. Cependant, cette dichotomie ne saurait à elle
seule expliquer ce désintérêt. En effet, les catholiques, clergés et fidèles,
partagent avec le reste de la société la perception d’un monde où la
visibilité de l’islam et des musulmans est occultée dans les grandes villes où
la présence européenne se trouve concentrée, sauf dans des circonstances
précises.
Les regards du colonisateur sur l’islam ont évolué depuis la conquête,
mais une constante demeure : sa dangerosité supposée qui ne manque pas,
pense-t-on, de s’exprimer dès que l’occasion lui en est donnée. Discours
laïques et catholiques se rejoignent aussi sur ce thème.
PEUR ET CONTRÔLE : PRÉCEPTES DE L’ORDRE COLONIAL
Construction d’une altérité religieuse : l’islam
des orientalistes
Très tôt s’est développée une vision belliciste de l’islam qui remonte à
l’époque de la conquête musulmane et se renforce au moment des
croisades. Précisons que la langue arabe n’intègre pas le mot « croisades »,
al-hurub al-salibiyya, avant le XVI e siècle ; il s’agit alors d’un néologisme
qui apparaît sous la plume de chrétiens d’Orient. C’est par la suite
seulement que les musulmans saisissent le sens religieux des croisades. En
effet, pour eux, il ne s’agissait que de guerres de conquêtes.
Il faut aussi savoir que les premiers discours sur l’islam sont les
produits de religieux chrétiens : leur histoire serait trop longue à retracer ici.
Indiquons que pour le dernier représentant de la patristique orientale, Jean
Damascène, l’islam est une hérésie du christianisme. Le père Youakim
Moubarak a retracé les grandes lignes de cette approche pour les périodes
médiévales et modernes 72 . Les imaginaires se structurent de part et d’autre
car les musulmans produisent aussi des visions du christianisme et des
chrétiens. C’est avec cet héritage pluriséculaire que les Français abordent
les côtes du nord de l’Afrique en 1830.
Cependant, les nouveaux discours qui se structurent s’expliquent en
grande partie par les conditions de la conquête et par le monopole
intellectuel exercé pendant des décennies par les officiers : « C’est ainsi
qu’une bonne partie de ce qui n’était qu’une réaction subjective fut travestie
en érudition pour être absorbé dans le canon de pensée sur l’Islam 73 . » Il en
découle une vision belliciste liée, notamment, au fait que Abd el-Kader a
mené sa lutte au nom de l’islam. Depuis, les résistances des populations
sont essentiellement perçues en termes religieux.
La sécurité était la condition sine qua non du succès de la colonisation
de l’Algérie. Il était vital de repérer toutes les sources possibles de sédition.
L’une d’entre elles fut clairement identifiée dans l’islam. Dans cette
logique, l’islam a été envisagé comme un système idéologique et non
comme une religion, il a été perçu comme un obstacle à la pacification du
pays. Il a été vu comme à l’origine de toutes les formes d’opposition.
C’est ainsi qu’en 1844, dans une brochure publiée par le Gouvernement,
« Exposé actuel de la société arabe, du Gouvernement et de la législation
qui la régit », il est précisé, dès l’introduction, que le Coran amalgame loi
religieuse et aspects fondamentaux de la loi civile 74 . Le Coran est présenté
comme ayant lié de manière intime les intérêts de l’État avec ceux de la
religion, d’où la difficulté d’imposer un système administratif français sans
heurter les populations. Or, il faut rappeler trois données. La première est la
question des versets normatifs dans le Coran : ils représentent entre 150 et
250 versets sur environ 6 200 versets, soit moins de cinq pour cent des
versets. Deuxièmement, il faut bien comprendre que pour un militaire, ne
pas heurter les populations signifie ne pas se trouver en situation de
combats. Troisièmement, il y a probablement eu « placage », dans les
esprits des officiers saint-simoniens, de préoccupations franco-françaises
héritées de la Révolution comme la séparation de l’Église et de l’État et la
problématique de la sécularisation. Ainsi, dans leurs écrits ils envisagèrent
le « chef de l’État musulman » comme un « chef de l’Église » reprenant à
leur compte les a priori sur le fanatisme.
L’obsession majeure de ces officiers est la sécurité. C’est pourquoi leurs
recherches se sont focalisées sur les institutions de l’islam afin de contrôler
le pays et maintenir une stabilité :
« l’attention fut donc orientée vers celles des institutions
musulmanes qui renfermaient la possibilité de saper la sécurité
dans la colonie. Parmi les institutions jugées parmi les plus
importantes à cet égard, il y avait les “khouans” (ou confréries
secrètes) et les “marabouts” (ou saints vivants 75 ). »
L’une des œuvres en ce sens est l’ouvrage d’Édouard de Neveu, officier
saint-simonien membre de la commission scientifique, publié en 1845 : Les
Khouans. Ordre religieux chez les musulmans de l’Algérie, Paris, Guyot, (2
rééditions en 1846 et 1913, publication soutenue par le Gouvernement). Le
choix du titre « ordre religieux chez les musulmans » est révélateur d’un
placage intellectuel avec la comparaison comme outil d’analyse car la
référence de base reste l’Église catholique. La dangerosité des confréries est
mise en exergue :
« L’ouvrage ne fut pas une étude de la signification
institutionnelle de ces confréries en relation à l’Islam, mais un
exposé de leur potentiel comme paravent à la sédition 76 . »
Pour de Neveu, l’islam incarne l’obstacle au progrès. Il préconise de
remplacer les chefs de ces confréries par des hommes formés à la française.
Par la suite, il sera question « des hommes acquis à la France ». Les
imaginaires conditionnent la réalité puisque cet a priori sur la dangerosité a
eu des implications politiques bien concrètes dans la gestion de l’islam
pendant la période coloniale à travers les biens habous et la formation d’un
clergé. Cet ouvrage d’Édouard de Neveu a constitué pendant quarante ans
l’une des références avec un autre ouvrage publié en 1884 dont l’auteur est
lui aussi officier des bureaux arabes.
La mythologie coloniale française allait, peu à peu, développer l’idée de
l’impossibilité de comprendre cette société théocratique. De cette
impossibilité découle l’axiome d’une société musulmane incompatible avec
la société française. La justification se trouve dans l’islam, supposé générer
des codes de conduite sociale et morale en inadéquation avec les valeurs
françaises. Deux entrées principales étayent l’argumentaire : la polygamie
et le statut des femmes 77 .
La documentation rassemblée par des officiers en fonction de
préoccupations militaires fournit des descriptions des sociétés qu’il
convient d’aborder avec une clé d’interprétation « sécuritaire ». Or, cette
documentation a été récupérée dans les milieux intellectuels pour servir à
élaborer des théories sans s’interroger suffisamment sur les producteurs des
discours. Il s’est ensuite produit un mouvement de balancier entre les
cercles érudits et les militaires de terrain confortant mutuellement une
vision stéréotypée de l’islam et des musulmans.
Peu d’historiens « professionnels », au XIX e siècle, se sont intéressés à la
question de l’islam. Ce constat se retrouve pour d’autres zones de l’empire
colonial et pour d’autres religions ou sociétés 78 . Les premiers travaux
proviennent souvent du terrain et de non spécialistes : administrateurs
coloniaux, officiers, missionnaires, diplomates, etc. Une répartition des
tâches, qui ne dit pas son nom, s’installe progressivement avec des hommes
de terrain qui collectent l’information et des savants de laboratoire qui
élaborent à partir de ces matériaux des théories sans forcément connaître le
terrain. Certes, la « scientificité » de certaines disciplines ne devait pas
résister au temps alors que la démarche scientifique de disciplines comme
l’histoire n’allait pas être appliquée à ces zones du monde. Ainsi, alors que
l’école dite méthodique fonde la méthode historique sur la critique interne
et externe des documents, cette dernière n’est pas appliquée pour la
documentation extra-européenne. Pourtant, identifier l’auteur d’un discours,
repérer le destinataire, s’interroger sur la nature du document et le contexte
de son élaboration, si ce n’est sur la véracité de son contenu, permet une
analyse pertinente. Or, l’orientalisme, qui se constitue et dont la base
disciplinaire est la linguistique, adopte une approche décontextualisée des
sociétés qu’il se propose de décrire. La description et l’analyse livrent la
vision de groupes figés dans un temps anhistorique et confrontés à des
réalités supposées valables en tout temps et en tout lieu.
Pour ce qui concerne les sociétés de culture musulmane le religieux
allait être placé au cœur de leur système d’organisation avec une place
centrale pour le Coran. La conférence de Renan, « L’islamisme et la
science », donnée à la Sorbonne le 23 mars 1883, en est l’un des exemples
les plus aboutis et les plus diffusés. L’autorité du professeur ne fait alors
aucun doute et la publication intégrale du texte dans Le journal des débats
du 30 mars 1883 contribue à la diffusion de ses idées dans une certaine
élite. L’idée directrice de la conférence est celle du retard du monde
musulman dont la responsabilité incombe à l’islam. Son hypothèse de
départ devient vite postulat. Le discours de Renan est marqué par le
scientisme et le positivisme caractéristiques de la période, et par le contexte
colonial d’une France blessée par la défaite de 1870. Une fois décrétée
l’indigence intellectuelle des musulmans, il est aisé de justifier le principe
de la mission civilisatrice de l’Occident. Si Renan est allé en Orient, son
homo islamicus, il le crée dans son cabinet de philologie : il construit et
explique son objet d’étude à partir de l’histoire comparée des religions et de
la linguistique. Cet homme islamique est une construction de l’esprit en
décalage avec la réalité. Il n’est en fait que l’homuncule d’un laboratoire où
parallèlement s’édifie l’ethnocentrisme européen 79 . Les orientalistes
participent activement à cet ethnocentrisme en façonnant leur Orient.
L’orientalisme, dont les mécanismes ont été parfaitement décrits par
Édward Saïd pour la littérature, s’est en fait diffusé non seulement dans les
productions en direction du monde arabe, mais aussi vers d’autres espaces
comme l’Asie. La langue, comme l’atteste à Paris la prestigieuse école des
langues orientales qui a formé des générations d’orientalistes, est restée au
cœur du dispositif d’approche des sociétés extra-européennes. Le fait de
maîtriser une langue est une condition nécessaire à la recherche, mais pas
une condition suffisante. En d’autres termes, l’étude d’une langue ne peut
conduire à la maîtrise de disciplines aussi diverses que le droit, la
philosophie, l’histoire, etc. Concrètement, après un cursus linguistique les
uns et les autres s’autoproclamaient qui spécialiste du « droit musulman »,
invention coloniale s’il en est, qui philosophe, théologien, historien, etc. Si
le propos n’est pas de contester toute la production scientifique issue de
l’orientalisme, il est de souligner les carences méthodologiques de certains
résultats et des erreurs immanquables, faute de la démarche scientifique
propre à chaque discipline et qu’un cursus en langues « orientales » ne peut
fournir à lui seul.
Le mythe militaire s’est donc mué en une construction intellectuelle aux
fondements tout aussi mythiques avec, en parallèle, sa variante religieuse.
Le tout a transité dans les sphères politiques et s’est diffusé dans toute la
population, participant à un ensemble plus vaste, à une des facettes d’un
imaginaire commun sur l’islam. Les imaginaires conditionnent la réalité et
donc les politiques en direction des populations de confession musulmane.
Le contrôle
Dans ces conditions le contrôle des populations à travers le contrôle de
la religion devient une des clés de la politique de la France en Algérie. La
première mesure est sans conteste la confiscation des biens habous. L’une
des meilleures définitions des habous est donnée par Jean-Paul Charnay 80 :
« … mise hors commerce d’un bien dont la nue-propriété
demeure au constituant (et, fictivement après sa mort), tandis
que les revenus de ces biens – l’usufruit – seraient attribués à
une entité ayant une activité pieuse ou relative à la satisfaction
des besoins religieux ou sociaux de la communauté islamique
(mosquée, cimetière, tombeau d’un marabout, fontaine, zaouïas,
medersa, établissement de bienfaisance, entretien des routes,
villes saintes de La Mecque ou de Médine…). Le constituant
pouvant d’ailleurs stipuler que les revenus de ce bien –
l’usufruit – reviendront à un ou plusieurs dévolutaires (les akabs),
librement déterminés par lui (qui peut se désigner comme
premier dévolutaire infra, p. 95), avant d’être définitivement
affectés au financement de l’organisme caritatif 81 . »
On distingue donc les habous publics, i. e. là où il n’y a plus de
dévolutaire, des habous privés ou de famille :
« À côté donc du habous public, qui autorise le fonctionnement
des “services publics” religieux, cultuels, charitables, etc. le
habous privé est, temporairement, une charte familiale régissant
le partage et l’attribution des biens entre les générations
successives 82 . »
Cela permet, entre autres, de mettre des biens à l’abri des spoliations
des puissants. Le système du habous permet aussi d’échapper aux règles
successorales, car il est possible à travers ce système de privilégier certains
membres de la famille :
« Le habous est inaliénable, imprescriptible, insaisissable,
perpétuel : son auteur même ne peut le modifier ou le retraire
(tout au moins dans le rite malékite : non dans le rite hanéfite, si
le constituant s’est réservé ce droit 83 ). »
Au bout de quelques générations, chacun des propriétaires se retrouve
avec peu de bien à cause de l’émiettement du habous entre les héritiers et
faute de pouvoir le vendre :
« Le habous, constituant l’une des formes de résistance les plus
efficaces à l’accession des arrivants à la pleine propriété, devait
être démantelé par la législation française 84 . »
C’est ainsi que la suppression des habous publics en Algérie a suivi la
disparition de la Régence. Elle s’est accompagnée de la prise en charge par
l’État français de la voirie, de l’enseignement, de la charité, du culte… et,
en contrepartie, les habous furent versés au Domaine. Dans un premier
temps, il n’y aurait pas eu de grosses émotions à la disparition de ces
habous publics dont les gestionnaires n’avaient pas bonne presse auprès des
populations, puis après la Première Guerre mondiale se produit un
changement d’orientation.
« Quant aux habous privés, une ordonnance du 1 er octobre 1844,
confirmée par une loi du 16 juin 1851, supprimait leur
inaliénabilité face aux acquéreurs européens ; un décret du
30 octobre 1858 étendait cette suppression en faveur des
acquéreurs musulmans : mesure destinée à ne plus entraver les
achats de terre musulmane par les colons, dont un certain
nombre avaient été évincés à la suite d’acquisitions effectuées
sans information suffisante 85 . »
Toutefois, il semblerait que dans les « tribus » de la Régence la plupart
des habous appartenaient en indivision aux membres du groupe et étaient
inaliénables. Avant la conquête de l’Algérie, une partie du sol appartient à
la tribu dans l’indivision ce qui ne s’apparente pas, rappelons-le, à du
collectivisme dans la mesure où la notion de propriété individuelle existe
aussi. Sur ces terres, une partie était constituée par les biens habous. Au
moment de la conquête, pour punir les tribus qui avaient résisté, leurs terres
ont été versées dans le Domaine puis livrées à la colonisation. Cette
manière de procéder a été l’aboutissement inéluctable de tout mouvement
de résistance. De plus, comme on attribuait à l’islam d’être le principal
obstacle à la colonisation, en privant le culte musulman de son support
financier, on entendait en diminuer le potentiel de dangerosité. En
contrepartie de cette confiscation des terres, les autorités se sont engagées à
subventionner le culte musulman.
C’est pourquoi au moment du vote de loi de 1905 s’est posée la
question de savoir si elle devait être appliquée au culte musulman. La
réponse fut négative et deux types d’arguments furent invoqués. Le premier
consiste à affirmer qu’en cas d’application de la loi, il faudrait alors
restituer les biens habous. Or, une partie avait été vendue et on n’était pas
en mesure de rembourser en argent. Par ailleurs, un « obstacle »
administratif allait être régulièrement invoqué pendant toute la période
coloniale : l’impossibilité de recenser ces terres, soit des questions liées au
cadastre. Le second argument, en liaison directe avec les biens habous,
relève de la politique de sécurité et du contrôle nécessaire de l’islam. En
continuant à subventionner le personnel religieux, les autorités coloniales
entendent ainsi bénéficier d’un contrôle accru du discours à destination des
musulmans. Un personnel religieux formé par les Français s’est alors
progressivement constitué. Le contrôle de la société par les notables
religieux est un des outils de la politique coloniale, mais le pouvoir n’a pas
su repérer les notables susceptibles d’avoir un poids important sur toute la
durée de la colonisation. De plus, cette politique n’avait pas pris en compte
d’autres paramètres : les musulmans n’allaient pas tarder à faire la
distinction entre les « mosquées d’État » et les « mosquées libres » qui se
développent après la Première Guerre mondiale. D’autre part, le contrôle
des mosquées ne génère pas forcément un contrôle des musulmans car les
mosquées sont essentiellement urbaines et la pratique des cinq prières
quotidiennes à la mosquée est le fait d’une élite citadine. Mais, dans sa
grande majorité, l’Algérie reste rurale pendant la période coloniale. Dès
l’entre-deux-guerres, le mouvement réformiste algérien réclame
l’application au culte musulman de la loi de Séparation, alors que le
personnel salarié par l’État, lui, s’y oppose. Le débat autour de la nonapplication
de la loi du 9 décembre 1905 allait progressivement contribuer à
cimenter le nationalisme algérien de l’association des oulémas d’Ibn
Bâdîs 86 . Par un mouvement de balancier et de réappropriation d’un des
idéaux de la République, la laïcité, le mouvement nationaliste sut, à son
tour, instrumentaliser le discours colonial et le mettre face à ses
contradictions.
Le contexte colonial, dès le moment de la conquête, a permis de
construire un discours sur l’islam et les musulmans qui s’est diffusé dans
toute la société française. Les milieux religieux catholiques ne sont pas en
marge de ce mouvement de fond et ils y participent. Le discours sur les
indigènes musulmans se réactive à la moindre opposition de ces derniers.
« Le drame de Margueritte » permet de mieux saisir une partie des
mécanismes de la vision des indigènes par des autorités catholiques
algériennes.
LA RÉVOLTE DE MARGUERITTE 87 OU LE « FANATISME »
MUSULMAN EN ACTION
Le 26 avril 1901, une révolte de la population indigène conduit à la
mort de plusieurs colons. La première mention de l’événement date du
5 mai 1901 88 . La Semaine religieuse d’Alger livre un article, non signé, et le
texte de la lettre que l’archevêque a adressée au curé de Margueritte.
L’objectif du texte est de restaurer « l’honneur » du curé accusé d’avoir
abjuré sa foi. Cet objectif est perceptible dans tous les autres articles. Ce
premier document est marqué par un vocabulaire religieux qui renvoie à la
lutte pluriséculaire entre islam et christianisme. Il est ainsi question
d’Européens « chrétiens héroïques », « martyrs », « morts pour Dieu, pour
la France, pour l’Algérie » et d’insurgés désignés sous les appellations de
« fanatiques », « forcenés », etc. Les colons ont donc été les « nobles
victimes du fanatisme musulman » et sont morts en martyrs, car ils « ont
préféré mourir que de prononcer, fût-ce du bout des lèvres, la formule impie
de l’imposteur, du faux prophète, père de l’islam… ».
« Imposteur, faux prophète », autant de désignations pour qualifier le
fondateur de l’islam. La littérature catholique est riche de commentaires sur
Muhammad où la note dominante est, dans cette période, le dénigrement
systématique 89 . Après s’être livré à ces critiques, l’article de la SRA rappelle
les grandes lignes de l’installation du catholicisme en Algérie à partir de
Dupuch. Alors que parfois la rhétorique sur le passé antique chrétien du
Maghreb est réactivée, ce n’est pas le cas ici. Implicitement, le passé auquel
on souhaite se rattacher est bien le passé colonial, donc l’association entre
colonisation et implantation du catholicisme, en d’autres termes le lien
organique qui existe entre les deux.
La lettre d’Oury reprend, dans ses grandes lignes, une orientation
similaire, puisqu’il est encore question de montrer la barbarie des uns avec
le recours à une terminologie adéquate telle que « invasion », « pillage »,
« traitements barbares », « capture », etc. pour mieux souligner la résistance
chrétienne dans la mesure où tous ont préféré la mort à l’abjuration : « il y a
là une page écrite avec un sang de martyrs 90 . » Mais, le discours religieux
est relié au discours laïque puisque « mourir pour la Patrie Française c’est
se réveiller au Ciel ». Ces deux premiers textes donnent une lecture
religieuse des événements : les uns ont agi par fanatisme, les autres ont
résisté par fidélité à leur foi. L’action des colonisés n’est alors
compréhensible que motivée par une logique religieuse dont le but demeure
encore flou : convertir des Européens ou tuer des mécréants ?
Dès la semaine suivante, une lettre-circulaire de l’archevêque sur ce
sujet est publiée 91 . Le récit est, cette fois, plus fourni. Le comportement
sauvage des indigènes est rappelé tout comme la résistance héroïque des
colons à la tentative de conversion : « ils sacrifièrent généreusement leur
vie pour l’honneur de l’église et la gloire du Christ 92 . » Le prélat se lance
ensuite dans une analyse des faits. Il ne peut s’agir pour lui de livrer une
lecture superficielle qui ferait des événements un acte de brigandage ou une
manifestation passagère de mécontentement s’inscrivant dans un contexte
local. La clé se trouve ailleurs, dans le « fanatisme musulman ». Ce dernier
après avoir connu un glorieux passé est encore appelé à un brillant avenir
sous des plumes catholiques dans l’entre-deux-guerres. Concept difficile à
définir avec précision, mais constamment mis en avant, indémontrable et
toujours vérifiable si l’on en croit certaines productions catholiques : tout
part et tout vient du « fanatisme musulman ». Mgr Oury le réaffirme
nettement :
« … l’enseignement de l’Histoire qui nous montre que l’Arabe
ne se soulevant, partout et toujours, qu’à la parole de ses
Marabouts et pour le triomphe du Croissant, l’enquête à laquelle
cette catastrophe a donné lieu a conclu dans le même sens et
nous a mis en présence d’une véritable tentative
insurrectionnelle, provoquée par les prédications excitant à la
guerre sainte 93 . »
Seul le motif religieux semble pertinent aux yeux de l’archevêque car il
affirme qu’il s’agit de tribus paisibles « n’ayant, de leur propre aveu, aucun
grief contre notre administration 94 ».
En revanche, le prélat affirme que parmi les populations circulait un
homme qui avait appelé à la révolte au nom de l’islam, argument qui ne
peut que conforter le sentiment du prélat. Cet « agitateur » aurait, toujours
selon la lettre-circulaire, annoncé la victoire de l’islam et garanti
l’invulnérabilité des musulmans face aux armes des colons. Le mécanisme
décrit renvoie à des situations similaires dans d’autres parties de l’empire :
un homme providentiel se lève pour mettre fin à la domination étrangère et
assure aux combattants des pouvoirs surnaturels délivrés par des talismans
ou des amulettes. Résistance d’un autre temps qui atteste surtout du manque
de perspective de ces populations, de leur sentiment d’impuissance face à la
machine coloniale, de l’impossibilité de livrer bataille à armes égales, d’une
dernière tentative dans la mesure où ils n’ont plus rien à perdre.
L’explication par le fanatisme a de beaux jours devant elle, car
l’appréhension de ces sociétés ne se fait que par la seule grille
d’interprétation religieuse. Ces populations sont en effet désignées sous le
vocable de leur appartenance religieuse, toute leur identité tiendrait
exclusivement à leur adhésion à l’islam. Il s’agit d’une des variantes qui fait
de l’islam un système de dîn wa dawla, religion et État, de l’idée que
spirituel et temporel sont inextricablement liés de tout temps, en tout lieu et
à tout jamais. Cette vision issue de la pensée orientaliste qui s’élabore dans
un contexte intellectuel spécifique du second XIX e et de certains courants
musulmans, est, elle aussi, promise à un brillant avenir. Rappelons qu’il
s’agit d’une des interprétations de l’islam parmi d’autres. À la même
période, des penseurs musulmans exposent des positions radicalement
opposées qui insistent sur la distinction des pouvoirs en islam.
La révolte de Margueritte réaffirme, si besoin était, un des aspects des
dualités coloniales : il y a d’un côté l’Arabe, le musulman, mots
interchangeables, et de l’autre côté le Français, donc catholique. Pour
exposer ses convictions profondes, Oury a recours à un procédé stylistique
en les attribuant à « des hommes vieillis dans l’étude des choses
d’Afrique 95 ». Il ne s’agit en aucun cas de restreindre le culte musulman,
mais de le contrôler. C’est pourquoi il dénonce les écoles indigènes car elles
enseignent le Coran, lequel « apprend l’horreur du Chrétien et la haine du
Français 96 ». De plus, la politique de la construction des mosquées « d’une
utilité contestable, et dans des lieux où il n’en existait pas avant la
conquête » lui paraît bien étrange. Les propos se font plus précis et le cœur
de l’argumentation transparaît : le croissant est privilégié au détriment de la
croix, la religion du vaincu est honorée, celle du vainqueur méprisée. Oury
avance un dernier argument déterminant : le pèlerinage à La Mecque est
financé par le Gouvernement.
En résumé, pour la plus haute autorité catholique, le culte musulman est
favorisé : on construit trop de mosquées, est-ce vraiment utile ? On
subventionne le pèlerinage à La Mecque, est-ce bien raisonnable ? En fait,
cette politique, annoncée comme généreuse vis-à-vis des musulmans, vise
avant tout à les contrôler. L’organisation du pèlerinage à La Mecque est
encadrée par les autorités à qui il revient de sélectionner les personnes qui
partiront 97 . Des sanctions sont prévues en cas de contournement. Rappelons
que les pèlerins catholiques ne sont astreints à aucune contrainte de ce type.
Concrètement, un numerus clausus est prévu chaque année par les autorités,
ce qui fait que toutes les personnes désireuses de partir en pèlerinage ne le
peuvent pas quand bien même elles en auraient les moyens. Certes, certains
pèlerins bénéficient, parfois, de soutien financier en contrepartie de bons et
loyaux services, mais ils sont loin de constituer la majorité. De plus, les
documents administratifs sur le sujet insistent sur le fait que l’on doit
veiller, avant le départ, à ce que les pèlerins partent avec suffisamment
d’argent pour subvenir à leurs besoins. La sélection apparaît comme un
moyen indirect de contrôle de l’islam. En effet, d’aucuns sont convaincus
que le pèlerinage à La Mecque est susceptible de renforcer le « fanatisme »,
d’où la nécessité, pour des raisons de sécurité, de sélectionner des candidats
en qui l’administration a confiance. Quant à la politique de construction des
mosquées, d’une part, elle est financée par les musulmans et, d’autre part, la
croissance démographique de ces derniers est plus importante que celle des
catholiques d’où la nécessité pour le pouvoir colonial, afin de limiter les
contestations sur le sujet, d’accepter l’érection de lieux de cultes.
La position de Oury, bien qu’éloignée de la réalité historique, renseigne
sur la perception qui a été celle de la période. Puis, le discours religieux de
l’archevêque cède le pas à celui sur les bienfaits de la colonisation et sur ce
paradoxe que constitue aux yeux du prélat le désir d’indépendance.
Toutefois, la conclusion de l’ecclésiastique est sans appel : tous les
avantages matériels engendrés par la colonisation ne servent à rien, seule la
conversion est la solution 98 . En effet, devenus catholiques les musulmans ne
devraient plus songer à l’indépendance. De toute évidence, il s’agit d’un
argument qui vise davantage à réaffirmer l’importance de l’Église et son
patriotisme que d’un véritable appel à l’évangélisation. Il n’existe nulle
trace d’une réelle volonté de convertir les musulmans chez l’archevêque.
Au-delà des difficultés qu’atteste la faiblesse numérique des conversions, la
logique coloniale, qu’il partage avec l’écrasante majorité, ne peut lui laisser
percevoir la fin de la dichotomie inhérente à la ségrégation coloniale. Cette
dualité du système colonial, Oury appelle à y être attentif afin que le bloc
des colonisateurs n’apparaisse pas divisé car les colonisés en tireraient parti
pour s’émanciper. Face à ces velléités la seule attitude, le seul langage reste,
en définitive, pour l’archevêque, le recours à la force.
Un troisième article, publié dans la SRA du 19 mai 1901, clôt ce cycle sur
Margueritte. Le récit de la journée est détaillé, mettant une fois de plus en
exergue le fanatisme musulman. Du côté européen, il semblerait qu’à
l’exception d’un seul colon, tous aient accepté de se convertir pour avoir la
vie sauve ; mais, par un concours de circonstances, le curé n’a pas abjuré.
L’armée finit par arriver, ouvre le feu avec des balles à blanc qui laissent
croire aux révoltés qu’ils sont invincibles, puis met un terme au
soulèvement. En ce début de siècle, le rôle de l’armée reste encore
déterminant. La barbarie et la sauvagerie des musulmans n’ont point besoin
d’être démontrées, ce qui n’empêche pas de les rappeler à l’occasion 99 .
Précisons que le contexte de la période est celui d’une politique
d’assimilation dénoncée en métropole, notamment par le rapport Ferry. Si
Jules Cambon, gouverneur général de l’Algérie entre 1891 et 1897, a tenté
de limiter cette politique d’assimilation, dans les faits la loi du 29 décembre
1900 confère à l’Algérie la personnalité civile et un budget spécial.
L’affaire de Margueritte donne lieu à un
« … rapport sur les causes du soulèvement [qui] ne cacha pas
que la population indigène était à l’étroit (1,2 ha par tête),
qu’elle avait été victime de “spoliations légales mais
profondément regrettables”, mais attribua le mouvement à “une
explosion de fanatisme 100 ”. »
Une fois de plus, discours laïque et discours religieux se rejoignent dans
leur analyse des colonisés car il ne s’agit que des deux faces d’un même
discours, le discours colonial.
L’épilogue de l’affaire de Margueritte conduit à Montpellier :
« L’opinion métropolitaine presque unanime avait en effet
manifesté, lors du procès des insurgés de Margueritte mené
devant les assises de Montpellier (81 acquittements et aucune
condamnation à mort), contre le régime imposé aux Musulmans
algériens 101 . »
Mais, une fois de retour en Algérie, les prévenus ont été internés comme
le prévoit le statut de l’indigénat. La justice en Algérie 102 , qui a connu de
nombreuses « réformes » pendant la période coloniale, se caractérise par
une constante : la volonté d’imposer une logique juridique française dans
une perspective colonialiste.
Dans les premières années de la conquête, les autorités oscillent entre
un placage des institutions françaises et ce qu’Ageron qualifie de « justice
musulmane de type moderne avec des mahakma (mah’âkem) [sic] de cadis
jugeant en première instance et des medjlès (majâlas) comme tribunaux
d’appel 103 ». Il est intéressant de souligner que, pour Ageron, le placage de
ce qui apparaît au premier abord comme un embryon de la logique
judiciaire française soit qualifié de moderne.
Dans tous les cas de figure, les modalités de l’exercice du droit ont été
considérablement bouleversées pendant toute la période coloniale. Le droit
et la justice ne peuvent se résumer à de simples techniques, ils sont les
vecteurs d’une représentation du monde et à ce titre sont porteurs de
nouvelles structures de pensée. Que le droit soit transposé comme ce fut le
cas pour le code forestier français de 1827 par la Deuxième République ;
qu’il soit « adapté » avec la mise en place d’une justice « musulmane » dans
des cadres français comme la première instance ou la cour d’appel ; qu’il
soit codifié à partir de corpus juridiques islamiques : la révolution est totale
pour les populations colonisées qui perdent leur référentiel et voient se
modifier leur rapport au monde. Pour terminer, rappelons que le régime de
l’indigénat de 1881, régulièrement amendé, instaure des contraventions,
délits et crimes spécifiques aux seuls indigènes. Sa mise en pratique est
confiée à des administrateurs coloniaux et non pas aux juges. En parallèle,
la justice française s’applique aussi aux indigènes avec des magistrats ou
des jurys français – pour les Assises – soit des personnes qui imposent une
approche française et du droit et de la société coloniale.
Conclusion
À l’issue de ce chapitre sur les relations entre le catholicisme et l’islam
en Algérie, est-il possible d’en déduire une spécificité des discours
catholiques sur les musulmans ?
Un premier constat s’impose, les catholiques partagent avec le reste de
la population un registre sémantique identique. Ainsi, les mêmes substantifs
sont utilisés pour désigner les populations colonisées : indigènes, Arabes et
musulmans.
Il n’est pas inutile de préciser que les Algériens sont pour les
catholiques, comme pour le reste de la population européenne, les
Européens d’Algérie et non pas les populations autochtones. Ce glissement
sémantique se retrouve pour la Tunisie. Les populations soumises sont
rangées dans une catégorie informe et interchangeable sous l’appellation
d’Arabes et de musulmans. Il est rare, d’ailleurs, dans les textes d’auteurs
catholiques, que les individus soient nommés : l’autonomisation du sujet
n’est pas manifeste. Désigner les populations autochtones sous l’appellation
générique d’« Arabe » renseigne sur la perception que l’on s’en fait. À
travers la non-différenciation lexicale, perce l’idée que l’enracinement à
leur terre natale n’est pas envisagé, ni envisageable : ils constituent une
« nation » extra-territorialisée sur un espace qualifié « d’arabo-musulman ».
Il s’agit de nier toute spécificité en assimilant une dénomination valable en
tout temps, en tout lieu et à jamais.
Même quand ils deviennent chrétiens, ils sont désignés sous
l’appellation d’« Arabes chrétiens ». Quelle est la place de ces derniers dans
la société coloniale au-delà de leur statut juridique ? Leur existence est en
soi la négation de la bipolarisation des sociétés coloniales. Ni la société des
colons ni la société des colonisés n’est une catégorie opératoire : des
sociétés coloniales et des sociétés colonisées cohabitent. La division est
grande au sein des premières comme des secondes.
Par ailleurs, opposer de manière binaire des Européens aux indigènes ne
reflète qu’une partie de la réalité du système colonial. En effet, dans quelle
catégorie ranger les convertis, les descendants d’indigènes chrétiens, mais
aussi les grands propriétaires indigènes ou encore les israélites naturalisés ?
Seules des typologies plus fines peuvent rendre compte de la diversité des
situations rencontrées. Ainsi, on peut repérer un premier groupe à partir du
critère juridique qui distingue ceux qui sont soumis au statut de l’indigénat
et ceux qui n’y sont pas soumis. D’autres groupes peuvent apparaître : ceux
qui ont des papiers français, par naturalisation ou par filiation, et ceux qui
n’en ont pas, ces derniers se subdivisant entre les Européens et les
indigènes, musulmans et juifs. On pourrait ainsi multiplier à l’envi les
catégories et si l’on ajoute la dimension sociologique la pluralité est
renforcée. Le caractère hybride de ces sociétés est indéniable, même s’il a
été et reste nié par certains.
Toutefois, l’un des binômes garde toute sa pertinence celui qui distingue
les Algériens des indigènes, dans l’acception de la période coloniale. La
domination coloniale est multiple et son expression dans le vocabulaire
traduit aussi le degré de dépossession des populations colonisées qui se voit
priver d’une partie de leur identité. Il ne s’agit pas ici de faire un
anachronisme ni de soulever une problématique historique qui a été
instrumentalisée par le politique de part et d’autre : l’Algérie préexiste-telle
à la colonisation ou en est-elle le produit ? Pour un historien du
XXI e siècle cette question n’a pas de sens formulée ainsi dans la mesure où
derrière des mots en apparence sans ambiguïté se cachent des définitions
très différentes pour ne pas dire opposées. Est-il question de l’Algérie
« géographique », du sentiment d’appartenance des populations, du début
de la conquête, de l’entre-deux-guerres, etc. ? Cependant, il est possible de
saisir tous les enjeux de ces définitions en contexte colonial pour toutes les
parties et d’expliquer pourquoi telle ou telle acception a pu être mise en
avant. Derrière cette distinction entre Algériens et indigènes, telle qu’elle
est employée au XIX e siècle dans le cadre du système colonial, il est possible
de décoder une construction mentale : les sentiments patriotiques, puis
nationalistes ne sont recevables que pour l’Europe. C’est pourquoi un vaste
et informe « monde arabo-musulman » se construit. Réduites à leur
dimension religieuse, les populations soumises sont supposées être mues
par les seules considérations religieuses : tout leur être se résume à leur foi.
Ils ne peuvent s’adjoindre d’autre identité que celle d’un islam qui est
présenté comme monolithique.
La similitude dans le vocabulaire se retrouve dans les discours puisque
les catholiques partagent les a priori de leurs contemporains sur l’islam et
sur les musulmans comme leurs certitudes sur la colonisation. L’Église
catholique, comme ses fidèles, participent du discours colonial sur les
bienfaits de la mission civilisatrice. Le versant laïque de la mission
civilisatrice est bien connu et s’est avéré l’une des justifications de
l’expansion coloniale. L’Église catholique pense en fournir le versant
religieux. Elle salue l’œuvre coloniale de la France tout en insistant sur sa
propre participation à l’action civilisatrice. Pour elle, il ne peut y avoir de
civilisation sans christianisme. Certes, clergé séculier et fidèles
n’envisagent pas réellement de conversions massives, mais conçoivent la
rechristianisation de l’Algérie par le biais de « la nouvelle race latine ».
L’objectif n’est pas tant de sanctifier les populations autochtones que de
sanctifier cette terre anciennement chrétienne par le « retour » des chrétiens
et une domination politique non musulmane.
L’Église d’Algérie se trouve confrontée à l’islam qu’elle perçoit comme
un modèle sociétal fortement structuré. Elle tente, elle aussi, de proposer
son projet de société : faire du catholicisme une religion identitaire pour les
Européens.
1. SRA du 17 août 1902 : G. Vallade, curé de Tigzirt, « Rusucurrus-Tigzirt », historique du lieu et
du christianisme en ce lieu ; SRA du 19 octobre 1902 : « Les ruines romaines dans le sud de
Teniet-el-Haad », signé par « un vieux prêtre algérien » ; SRA du 9 novembre 1902 : « La
praetura-l’éptitaphe d’un diacre », archéologie, signé un ancien missionnaire ; SRA du
4 janvier 1903 : « Découverte intéressante à N’Gaous », à 100 km de Batna, chapelle chrétienne
découverte ; SRA du 19 avril 1903 : A. Leroy, « Les ruines d’Hippone », pris dans L’écho
d’Hippone, la date n’est pas indiquée.
2. Les ouvrages consacrés aux auteurs chrétiens de l’Antiquité tels Tertullien, Cyprien ou
Augustin renseignent aussi sur le christianisme africain. Ponctuellement, des renseignements ont
été pris dans J. CUOQ, L’Église d’Afrique du Nord du II e au XII e siècle, Paris, Le Centurion, 1984,
211p. Le ton de l’ouvrage est parfois très éloigné de celui convenu pour un ouvrage scientifique.
L’auteur ne soumet pas systématiquement les sources, chrétiennes comme musulmanes, ces
dernières étant particulièrement tardives, à la rigueur indispensable de la critique textuelle. Sa
lecture des documents ne parvient pas toujours à se départir du regard christiano-centré dans les
rapports entre chrétiens et musulmans et d’une position pro-dialogue qui peut s’expliquer par
son appartenance à la Société des Missionnaires d’Afrique (pères blancs). En d’autres termes, il
arrive à l’auteur de plaquer des réalités et des interrogations contemporaines sur un corpus des
périodes passées.
3. V. SAXER, « L’Afrique chrétienne (180-260) », dans J.-M. MAYEUR, Ch. PIETRI, L. PIETRI,
A. VAUCHEZ et M. VENARD (dir.), Histoire du christianisme, t. I, Le nouveau peuple (des
origines à 250), sous la responsabilité de L. PIETRI, Paris, Desclée, 2000, p. 579-623, p. 583-
585.
4. Ibid., p. 585-589.
5. Ibid., p. 585.
6. Y. DUVAL, « L’Occident et ses marges danubiennes et balkaniques. L’Église d’Afrique » (titre
de sous-partie), dans J.-M. MAYEUR, CH. PIETRI, L. PIETRI, A. VAUCHEZ et M. VENARD (dir.),
Histoire du christianisme, t. II, Naissance d’une chrétienté (250-430), sous la responsabilité de
CH. PIETRI et L. PIETRI, Paris, Desclée, 1995, p. 127-132.
7. J. CUOQ, L’Église d’Afrique du Nord…, op. cit., p. 43.
8. CH. PIETRI, « L’échec de l’unité “impériale” en Afrique. La résistance donatiste
(jusqu’en 361) », dans J.-M. MAYEUR, CH. PIETRI, L. PIETRI, A. VAUCHEZ et M. VENARD (dir.),
Histoire du christianisme, t. II, Naissance d’une chrétienté (250-430), sous la responsabilité de
Ch. PIETRI et L. PIETRI, Paris, Desclée, 1995, p. 229-248, p. 229.
9. CH. PIETRI, « Les difficultés du nouveau système en Occident : la querelle donatiste (363-
420) », dans J.-M. MAYEUR, CH. PIETRI, L. PIETRI, A. VAUCHEZ et M. VENARD (dir.), Histoire
du christianisme, t. II, Naissance d’une chrétienté (250-430), sous la responsabilité de
CH. PIETRI et L. PIETRI, Paris, Desclée, 1995, p. 435-451.
10. Y. DUVAL, « L’Afrique : Aurelius et Augustin », dans J.-M. MAYEUR, CH. PIETRI, L. PIETRI,
A. VAUCHEZ et M. VENARD (dir.), Histoire du christianisme, t. II, Naissance d’une chrétienté
(250-430), sous la responsabilité de CH. PIETRI et L. PIETRI, Paris, Desclée, 1995, p. 799-812.
11. Un colloque international s’est tenu en Algérie en avril 2001 sur la double problématique de
son africanité et de son universalité. Plus récemment, des travaux ont été entrepris à Souk-
Ahras, Thagaste dans l’Antiquité, pour restaurer le lieu où il est supposé avoir dispensé son
enseignement. Il faut savoir que ce Père de l’Église n’a pas toujours été revendiqué et honoré
dans sa patrie africaine (se reporter au dernier chapitre de l’ouvrage).
12. Y. MODERAN, « L’Afrique et la persécution vandale », dans J.-M. MAYEUR, CH. PIETRI,
L. PIETRI, A. VAUCHEZ et M. VENARD (dir.), Histoire du christianisme, t. III, Les Églises
d’Orient et d’Occident, sous la responsabilité de CH. PIETRI et L. PIETRI, Paris, Desclée, 1998,
p. 247-278.
13. Ibid., p. 248.
14. Y. MODERAN, « Les Églises et la Reconquista byzantine. L’Afrique », dans J.-M. MAYEUR,
CH. PIETRI, L. PIETRI, A. VAUCHEZ et M. VENARD (dir.), Histoire du christianisme, t. III, Les
Églises d’Orient et d’Occident, sous la responsabilité de CH. PIETRI et L. PIETRI, Paris, Desclée,
1998, p. 699-717.
15. Ibid., p. 711.
16. Ibid., p. 713.
17. Ibid.
18. Ibid., p. 715.
19. J. CUOQ, L’Église d’Afrique du Nord…, op. cit., p. 149. Le père Cuoq indique trois autres
inscriptions à Volubilis dont il indique pour dates 599, 605 et 653. Ces indications, comme celle
sur le cimetière ne figurent pas dans l’Histoire du christianisme qui ne mentionne que de
manière très laconique le nord de l’Afrique dans les t. IV et V.
20. J. CUOQ, L’Église d’Afrique du Nord…, op. cit., p. 127.
21. Ibid., p. 130.
22. CAOM, 16H114.
23. Ibid.
24. CAOM, 16H114, Fort-Napoléon, le 31 mai 1868, subdivision de Dellys, cercle de Fort-
Napoléon, lettre du commandant supérieur du cercle, Hanoteau, au général commandant la
subdivision. Objet : au sujet des tentatives de propagande religieuse.
25. Ibid.
26. Le mot islamisme est un synonyme de celui d’islam au XIX e et dans le premier XX e siècle. Il
ne renvoie en aucun cas à la définition contemporaine.
27. AAA/9, Pèlerinage ND d’Alger. Notice sur le pèlerinage de Notre-Dame d’Afrique à Alger,
p. 186.
28. Ibid., p. 190 sq.
29. Ibid., p. 204.
30. F. RENAULT, Le Cardinal Lavigerie…, op. cit. Cet ouvrage sert de référence principale pour
la présentation des premières années de la Société.
31. Ibid., p. 272-278.
32. On trouvera abordé en quelques pages la description de cette Kabylie idéalisée dans
F. RENAULT, Le Cardinal Lavigerie…, op. cit., p. 272-278.
33. L’école est fondée en 1794, le terme polytechnique est ajouté en 1795 et un décret impérial
militarise l’école en 1804.
34. Le terme est couramment employé par les militaires de cette époque en référence aux
djemaa, les assemblées de la société kabyle.
35. Dans les années 1920-1930, la perception de « la femme kabyle » a évolué dans un sens
diamétralement opposé. C’est ce que montre un article de D. SAMBRON, « L’évolution du statut
juridique de la femme musulmane à l’époque coloniale », dans La justice en Algérie, 1830-
1962, Paris, La documentation française, 2005, p. 123-142 ; p. 124 : « Pour le Gouvernement
français et les juristes coloniaux, le statut personnel de la femme kabyle apparaît
particulièrement discriminatoire et non conforme au droit musulman […]. Cet état de fait, ne
permet pas, en particulier, à la femme kabyle d’hériter ou d’accéder au droit de divorcer,
conformément aux autres musulmanes », p. 125 : « C’est ainsi qu’une commission de réformes
du statut de la femme kabyle, est instituée le 6 février 1925, par la commission de codification
du droit musulman. C’est en choisissant parmi la législation musulmane, les interprétations les
plus favorables à l’évolution du statut de la femme, qu’est réalisé le travail de la commission »,
p. 133 : « Ainsi, l’ensemble des modifications apporté au statut personnel de la femme kabyle a
consisté à rapprocher leur statut, dépendant des coutumes kabyles, de celui des femmes
musulmanes du reste de l’Algérie. Cette harmonisation a été entreprise, en choisissant parmi les
rites orthodoxes de l’islam, les dispositions qui étaient les plus proches du Code civil. »
36. Mentionnons qu’au CAOM des documents attestent de positions plus complexes puisque des
Kabyles n’hésitent pas au milieu des années 1830 à solliciter les autorités en vue d’effectuer le
pèlerinage à La Mecque.
37. L’administration coloniale s’est engagée à respecter le libre exercice de la religion
musulmane. Même si l’enseignement de l’arabe a été prescrit au grand séminaire par Mgr Pavy
(cf. F. RENAULT, Le Cardinal Lavigerie…, op. cit., p. 138) et renforcé par Mgr Lavigerie, les
résultats ne sont guère encourageants, d’autant plus que les autorités n’y sont pas favorables. On
peut se demander comment motiver l’apprentissage d’une langue aussi difficile que l’arabe alors
que les contacts religieux avec les indigènes ne sont pas encouragés.
38. Pour les prémices de la fondation voir F. RENAULT, Le Cardinal Lavigerie…, op. cit., p. 164-
178.
39. Ibid., p. 252-271.
40. Ibid., p. 259. Cependant, par manque de temps ils ne peuvent le faire. Cette situation n’est
pas sans rappeler celle du Proche-Orient où les missionnaires catholiques ne peuvent, dans leur
écrasante majorité, que s’occuper des chrétiens.
41. Ibid.
42. Y. TURIN, Affrontements culturels dans l’Algérie coloniale, Écoles, médecines et religion,
1830-1880, Paris, Maspéro, 1971 ; et F. COLONNA, Instituteurs algériens 1883-1939, Alger,
Presse de la Fondation nationale des sciences politiques et Office des publications universitaires
d’Alger, 1975.
43. F. RENAULT, Le Cardinal Lavigerie…, op. cit., p. 260 sq.
44. O. SAAÏDIA, « L’évangélisation des musulmans : mission impossible ? », dans J. PIROTTE
(dir.), Résistances à l’évangélisation. Interprétations historiques et enjeux théologiques, Paris,
Karthala, 2004, p. 257-271.
45. Ibid., p. 272-295.
46. Instructions du Cardinal Lavigerie à ses missionnaires, Alger, Imprimerie des Missionnaires
d’Afrique, 1907. En 1929, les instructions de 1907 font l’objet d’une réédition à laquelle tous
les écrits du cardinal, imprimés ou manuscrits, relatifs à la vie apostolique sont ajoutés pour
constituer un Directoire à l’usage des missionnaires. L’ensemble comporte 526 pages qui sont
réimprimées en 1939.
47. On pourra trouver un résumé de sa méthode dans H. MAURIER, Lavigerie. La mission
civilisatrice du christianisme en Afrique, Petit Écho, 5, 1992, p. 48-50, ou encore consulter ses
Instructions du cardinal Lavigerie à ses missionnaires, Alger, Imprimerie des missionnaires
d’Afrique, 1907.
48. H. MAURIER, Lavigerie…, op. cit., p. 37 sq.
49. Les jésuites sont expulsés d’Algérie en 1881. Il faut souligner le fait que les pères blancs
reçoivent par un vote de la Chambre l’autorisation d’exister comme congrégation. Cf.
P. SOUMILLE † , O. SAAÏDIA, « Algérie et Tunisie : le repli en terre d’islam ? », dans P. CABANEL,
J.-D. DURAND (dir.), Le grand exil des congrégations religieuses françaises 1901-1914, Paris,
Le Cerf, 2005, p. 332-361.
50. Le problème de la double orientation géographique de la vocation des pères blancs n’est
toujours pas complètement résolu aujourd’hui. Missionnaires d’Afrique ils le sont tous, mais de
quelle Afrique ? Quelle cohésion peut avoir un groupe destiné à des univers si différents, si ce
n’est une histoire commune ?
51. AGMAfr, Dos. I. 56/1 a, circulaire Malfreyt 1894.
52. Ibid.
53. AGMAfr. Dos. I. 55, P. Baldit « Essai de direction pour la Kabylie », 1909. Il s’agit d’un
document manuscrit de 21 pages qui nous renseigne sur les pratiques en usage. Dans les
internats, des orphelins ou ceux dont la famille accepte qu’ils reçoivent une instruction de la
religion chrétienne sont accueillis. « Quand pouvons-nous ou devons-nous les baptiser ? Un
pensionnaire qui a passé 4 ans à étudier la religion, qui a travaillé sans trop de relâche […] qui a
la foi et le désir de mener une vie chrétienne pourra passer un examen pour l’admission au
baptême et être baptisé, s’il a la permission de sa famille ou tuteurs » (p. 15). Baldit rappelle que
cette permission est nécessaire.
54. « Conférence des Supérieurs de Kabylie, Boh Noh 1937 », p. 37 : on dénombre un chrétien à
Boh Noh en 1888, 110 en 1910 et 167 en 1920.
55. Léon Livinhac (1846-1922), supérieur des pères blancs entre 1894 et 1922. On pourra se
reporter à sa notice biographique dans les Rapports annuels 1921-1922, p. 21-36.
56. AGMAfr. Dos. I. 55, sans date.
57. AGMAfr. Dos. 124/10, 4 pages dactylographiées.
58. O. SAAIDIA, « Henri Marchal, techniques d’apostolat auprès des musulmans », dans
F. JACQUIN et J.-F. ZORN (dir.), L’altérité religieuse, un défi pour la mission chrétienne XVIII e -
XX e
siècles, Paris, Karthala, 2001, p. 121-137 ; O. SAAIDIA, « Henri Marchal, un regard
missionnaire sur l’islam », Annales Islamologiques, 35, 2001, p. 491-502.
59. Il s’agit, rappelons-le, de leur éviter les limbes. Certes, Jacques Gélis a montré qu’elles
« déclinaient » progressivement depuis la fin du XVII e siècle, Les enfants des limbes. Mort-nés et
parents dans l’Europe chrétienne, Paris, Audibert, 2006. Toutefois, pour les missionnaires elles
restent sinon une réalité, l’une des rares opportunités de délivrer le baptême en terre d’islam.
Précisons que leur statut de simple « hypothèse théologique » (Joseph Ratzinger) a permis leur
éviction dans le Catéchisme de l’Église catholique de 1992.
60. La fécondité de Charles de Foucauld n’a pas été immédiate. Mais l’exaltation ambiguë de sa
conversion et de son exemple, inaugurée par la biographie à succès de René Bazin – Charles de
Foucauld, explorateur du Maroc, ermite du Sahara, Paris, Plon, – en 1921, bien que trop
édifiante pour résister aux années, a permis dans un second temps de mettre les catholiques
français en contact direct avec des écrits spirituels qui font découvrir la richesse du témoignage
et la richesse du projet. Un peu à la manière de ce qui se passe avec Thérèse de Lisieux, des
croyants découvrent bientôt, au-delà de l’éloge convenu du converti et les répercussions
patriotiques, un idéal mystique et apostolique adapté à leur temps. L’œuvre et l’action de
Massignon, conjuguant réhabilitation de la mystique musulmane et dialogue islamo-chrétien,
n’auraient peut-être pas été possibles sans la rencontre du frère Charles. Et les fils et les filles
spirituels de ce dernier, en particulier René Voillaume et la petite sœur Magdeleine
(respectivement fondateurs des petits frères (1933) et des petites sœurs (1939) de Jésus) disent
l’impact de cette « mystique de l’incognito et de l’enfouissement » (H. DIDIER, Petite vie de
Charles de Foucauld, Paris, Desclée de Brouwer, 2000) sur toute une génération.
61. SRA du 14 mai 1911.
62. F. RENAULT, Le Cardinal Lavigerie…, op. cit., p. 263.
63. SRA du 5 juillet 1914.
64. C’est Jésus qui est implicitement désigné, car al-masih est synonyme de Jésus. En effet, il
est le seul à être désigné ainsi dans l’islam sunnite et dans le christianisme, sans pour autant que
les uns et les autres en donnent la même définition.
65. Revue algérienne et tunisienne de législation et de jurisprudence, Alger 5 novembre 1903.
66. La citoyenneté française a été octroyée dès 1848 aux habitants de Quatre Communes du
Sénégal et aux habitants des cinq établissements indiens (Pondichéry, Chandernagor, Mahé,
Karikal et Yanaon), sans exiger d’eux l’abandon de leur statut personnel musulman. De même,
l’ordonnance du 7 mars 1944 attribue à 60 000 musulmans algériens la citoyenneté sans mettre
en cause leur statut. Cette situation devait perdurer au-delà de la période coloniale si l’on se
réfère au statut spécifique des habitants de Mayotte qui leur permet de conserver leur « statut
personnel musulman ». Dans la pratique et pour ne donner qu’une seule illustration, jusqu’en
2010, il était encore possible à un citoyen français de Mayotte né avant 1987 d’être polygame.
67. C. LIAUZU (s.d.), Colonisation : droit d’inventaire, Paris, A. Colin, 2004, p. 138.
68. P. LORCIN, Kabyles, Arabes, Français…, op. cit., p. 59.
69. K. DIRÈCHE-SLIMANI, Chrétiens de Kabylie…, op. cit.
70. SRA du 19 mai 1901.
71. On pourra se reporter à l’analyse d’une revue comme les Relations d’Orient, dans
O. SAAÏDIA, Chrétiens et musulmans en terres d’islam, DEA d’histoire religieuse sous la
direction du Pr. Claude Prudhomme, Université Lyon 2, 1997.
72. Pour le premier XX e siècle voir O. SAAÏDIA, Clercs catholiques et oulémas sunnites…, op. cit.
73. P. M. E. LORCIN, Kabyles, Arabes, Français…, op. cit., p. 78.
74. Ibid.
75. Ibid., p. 79.
76. Ibid., p. 80.
77. On ne peut que souligner la pérennité et des thématiques et de l’argumentaire : des députés
n’ont-ils pas, faisant écho aux analyses d’une académicienne, expliqué que parmi les causes des
émeutes de 2005 la polygamie était un facteur à retenir ?
78. O. SAAÏDIA et L. ZERBINI, De la construction du discours colonial dans l’Empire français
XIX e -XX e siècles, Paris, Karthala, 2009.
79. Mais derrière la critique en règle de l’islam, à la manière d’un philosophe du XVIII e siècle,
Renan vise aussi le christianisme. L’orientaliste est opposé à toute forme de cléricalisme
normalisateur et dogmatique, mais il ne conçoit pas pour autant que l’athéisme soit une solution
appropriée. Il faut croire en quelque chose, Renan croit en l’homme, à la science et au progrès.
Lui qui, de son temps, fut considéré comme le type même du contestataire, apparaît comme
l’incarnation du conformisme de la fin du XIX e siècle.
80. J.-P. CHARNAY, La vie musulmane en Algérie d’après la jurisprudence de la première moitié
du XX e siècle, Paris, PUF, 1 re éd. 1965, rééd. 1991.
81. Ibid., p. 92.
82. Ibid.
83. Ibid., p. 93.
84. Ibid., p. 94.
85. Ibid.
86. R. ACHI, « La laïcité à l’épreuve de la situation coloniale. Usages politiques croisés du
principe de séparation des Églises et de l’État en Algérie coloniale. Le cas de l’islam (1907-
1954) », dans La justice en Algérie 1830-1962, La documentation française, Paris, 2005, p. 163-
176.
87. La version « laïque » de l’épisode est relatée dans CH.-R. AGERON, Histoire de l’Algérie
contemporaine, t. II…, op. cit., p. 67 sq.
88. SRA du 5 mai 1901, p. 274-277.
89. Voir O. SAAÏDIA, « Muhammad », dans J.-D. DURAND et C. PRUDHOMME (dir.), Dictionnaire
historique du catholicisme, Paris, Robert Laffont, 2017, p. 886-887.
Pour une analyse plus complète voir O. SAAÏDIA, Clercs catholiques et oulémas sunnites…,
op. cit., p. 149-154.
90. SRA du 5 mai 1901, p. 276.
91. SRA du 12 mai 1901, p. 291-297.
92. Ibid., p. 292.
93. Ibid., p. 293.
94. Ibid.
95. SRA du 12 mai 1901, p. 293.
96. Le contenu du corpus coranique ne cesse de susciter des fantasmes : que renferme-t-il
vraiment ? Si des siècles durant on ne s’interroge pas sur son contenu tout en lui en attribuant un
issu des imaginaires les plus fantasques, la question fait aujourd’hui partie des grands leitmotivs
sur l’islam. Toutefois, ce qui est écrit dans un texte religieux ne peut prendre tout son sens
qu’une fois interprété car aucun texte ne « parle », ce sont les hommes qui le font parler en
l’interprétant. Or, l’exégèse d’un texte varie selon l’exégète, le temps et les lieux. Les croyances
et les pratiques religieuses s’insèrent toujours dans un contexte historique. En ce sens,
l’orthodoxie religieuse, pour un historien, est constituée par un ensemble de croyances, de
dogmes et de pratiques qui n’accèdent au statut de la « vérité » que dans un temps et en un lieu
donné. Par conséquent, orthodoxie comme orthopraxie sont des réalités évolutives et non des
données immuables.
97. Le contrôle des pèlerins à destination de La Mecque est aussi pratiqué par certains pays
musulmans aux XIX e et XX e siècles.
98. Argument qui a déjà été celui de Pavy et de bien d’autres.
99. La SRA du 1 er septembre 1907 annonce la parution d’un ouvrage, Salvia, écrit par
Mgr Ribolet vicaire général honoraire d’Alger : « L’inspiration nettement chrétienne de ce récit
dont la barbarie musulmane est le théâtre, évoque, avec l’image des lieux souvent visités par
l’auteur, avec l’histoire des institutions et des mœurs assez mal connues de l’Algérie du Moyen
Âge, l’horreur que l’esclavage africain a fait peser assez longtemps sur le Midi de l’Europe. » Il
est question de la piraterie au XVI e siècle. L’auteur est connu pour une biographie de Pavy.
100. CH.-R. AGERON, Histoire de l’Algérie contemporaine, t. II…, op. cit., p. 68.
101. CH.-R. AGERON, Histoire de l’Algérie contemporaine (1830-1988), Paris, PUF, 1990,
1 re éd. 1964, p. 66.
102. La justice en Algérie 1830-1962, Paris, La documentation française, 2005.
103. CH.-R. AGERON, Histoire de l’Algérie contemporaine, op. cit., p. 27.
CHAPITRE 4
Vers la fin de l’Histoire ?
Ce dernier chapitre est d’une facture différente des précédents car il
entend couvrir une période qui court de l’après Première Guerre mondiale à
nos jours, soit une période où les travaux historiques sur l’Église catholique
en Algérie sont peu nombreux. Si les trois chapitres précédents ne
prétendent pas à l’exhaustivité, ils permettent d’avoir une première
approche historique de l’Église catholique en Algérie avant 1914. Pourquoi
alors ne pas avoir terminé l’ouvrage sur l’année 1914 ?
J’ai estimé nécessaire de poursuivre au-delà pour plusieurs raisons. La
première est la prise en compte des attentes : un livre sur le catholicisme en
Algérie qui s’arrête en 1914 laisserait sur leur faim beaucoup de lecteurs.
Mais j’ai surtout fait ce choix, qui n’est pas sans risques, parce qu’il m’a
paru opportun et nécessaire de proposer un état provisoire des
connaissances, tel qu’il est possible à l’été 2016, et afin d’encourager des
investigations systématiques sur le catholicisme algérien durant cette
période. Même si tous les éléments réunis reposent sur des sources, le
lecteur voudra bien tenir compte des limites de mon propos ; et s’il
entretient un lien personnel avec les événements évoqués se garder de mêler
ou confondre histoire et mémoires.
D’une guerre à l’autre (1914-1962)
ESSAI DE BILAN DE LA SÉPARATION
La période de la Séparation n’a été qu’une petite parenthèse dans
l’histoire des relations entre l’État et l’Église dans la colonie. Même
l’ébauche d’une « guerre de religion » version algérienne n’est pas
décelable tant les enjeux de la métropole y sont étrangers. Enjeux que
l’Église algérienne a, d’ailleurs, du mal à saisir. Elle refuse de participer au
débat idéologique autour des rapports entre l’Église et l’État. Pourquoi le
ferait-elle, elle qui a toujours perçu la nécessité de la présence de l’État
pour son propre développement ? C’est donc à la fois des sentiments
d’incompréhension et d’injustice qui dominent au sein du clergé : il se voit
imposer une loi dont il ne se sent pas responsable.
L’Église algérienne a conscience d’appartenir à une communauté
universelle, mais elle revendique son « droit à la différence », car elle est
implantée en terre coloniale. Il est vrai que sa structure et son organisation,
même après la Séparation, sont des émanations de celles de France, mais
son état d’esprit est différent. Le clergé, conscient d’être aussi le
représentant de la France, veut rester fidèle à l’État. Nous l’avons vu,
Mgr Bouissière excepté, le clergé demeure « d’esprit concordataire ». Cette
liberté d’expression, implicitement inhérente à la loi de 1905 n’est pas
usuelle en Algérie. Il est vrai que l’octroi des indemnités de fonction peut
être à l’origine de ce silence prudent. Cette épée de Damoclès, suspendue
sur les ministres du culte, exerce une pression diffuse quand bien même elle
est amputée de la contrepartie honorifique qu’offrait le Concordat. Pourtant,
les indemnités n’ont pas, à elles seules, conditionné les attitudes politiques
du clergé. Ce dernier est convaincu que sans le soutien de l’État il ne peut
survivre dans la colonie. Il ne tient guère à cette nouvelle liberté car il n’a
jamais ressenti de contrainte dans son passé pour avoir à les dénoncer
quand il en a eu la possibilité légale. Le Gouvernement général est sensible
à la fragilité du culte et ne tient pas à le voir disparaître. La Séparation n’a
jamais été dangereuse pour la survie de l’institution dans la mesure où le
Gouvernement général ne souhaite point son extinction.
En effet, l’Église a une dimension autre dans la colonie. Si la Séparation
a pu contribuer en France au processus de déchristianisation, en Algérie il
en va autrement. Il n’y a pas à proprement parler de projet d’affaiblissement
du catholicisme, car un lien affectif lie les Européens à leur religion. Les
conséquences de l’application de la loi dans la colonie n’ont rien à voir avec
celles de la France, il faut les envisager au travers du prisme de la vie
coloniale.
Dans ces conditions les débats parlementaires à propos de la Séparation
prennent une dimension paradoxale. Pourquoi le débat national prend-il le
pas sur la volonté de l’État de ne pas mettre en péril l’ordre colonial en
Algérie ? Pourquoi « l’exception algérienne » n’a-t-elle pas été d’emblée
admise, d’autant que, dans les faits, c’est un système de séparation atténuée
qui est adopté et se met en place ?
Les années de la Séparation constituent une courte parenthèse. Après la
Première Guerre mondiale, l’État intervient à nouveau dans le
fonctionnement de l’Église en subventionnant des créations d’édifices du
culte et en poursuivant l’octroi des indemnités. Au bout du compte,
contrairement à ce que pouvaient laisser penser les débats autour de 1905,
l’Église algérienne a traversé sans bouleversement la période et digéré la
Séparation. Cette dernière, loin de lui donner un nouveau visage, a renforcé
un profil modelé dès les premiers temps de la conquête. Contrairement à
son homologue de l’autre rive de la Méditerranée, l’Église catholique n’a
pas eu à inventer un nouveau type de relations avec ses fidèles appelés à
financer l’institution ou avec un clergé privé de son traitement. Le contexte
colonial a naturellement conduit le clergé à être proche des fidèles et à faire
corps avec eux, car tous deux appartiennent à une même communauté, celle
des colonisateurs, au regard des colonisés. Cette volonté d’unité et ce
sentiment de solidarité ont permis à la Séparation de se dérouler sans
martyrs et sans fracas. L’Église algérienne est une victime, selon elle, dont
« l’agresseur » semble se repentir en contribuant à son maintien et, sur le
long terme, à son développement. Les réalités coloniales l’emportent
rapidement sur les conflits idéologiques.
Sans doute l’exception algérienne n’est-elle pas absolue. La République
radicale n’a pas la même politique partout outre-mer, comme en témoignent
les autres diocèses coloniaux, peu nombreux au demeurant. Puisqu’ils se
limitent aux seuls évêchés des vieilles colonies de la Guadeloupe, de la
Martinique et de la Réunion. Dans ces derniers, la Séparation a été
appliquée dans toute sa rigueur, mais plus tardivement. En effet, le décret
qui applique la Séparation aux colonies date du 6 février 1911, alors qu’il
avait été préparé depuis 1906 1 . C’est par crainte d’émeutes, écrit le père
Janin, que le Gouvernement a tardé à la faire appliquer. De plus, comme
pour l’Algérie, l’État redoute l’implantation aux Antilles de prédicants
étrangers, notamment américains. Face à la Séparation, les évêques et la
majorité du clergé colonial ont adopté la même réserve qu’en Algérie.
Néanmoins, contrairement à cette dernière, les diocèses sont rattachés par
Rome à la congrégation romaine de la Propagande, et entrent dans le champ
des missions, alors que Rome doit accepter la singularité de l’Église
d’Algérie et son assimilation aux diocèses de métropole.
Une fois de plus les diocèses algériens ne peuvent pas être assimilés à
des diocèses coloniaux quelconques. La proximité avec la métropole, le
statut particulier de l’Algérie et surtout la présence massive d’Européens
ont contribué à forger un catholicisme algérien original. À mon sens, on
peut parler de modèle algérien dans la mesure où l’Église algérienne
constitue une entité assimilable à aucune autre. Elle participe à la
construction de l’image des Européens, image qui s’édifie par opposition
aux indigènes assimilés aux musulmans. Être Européen, pour la grande
majorité, c’est être catholique : la religion sert de dénominateur commun et
d’identité sociale. Elle est le repère visible de l’appartenance à une même
communauté, comme l’islam l’est pour les musulmans. L’Église se fait
acteur de la construction d’une communauté qui est encore en gestation en
ce début de siècle.
Certes, l’anticléricalisme existe, mais, comme toute chose en Algérie, il
n’a ni les mêmes connotations ni les mêmes implications qu’en France. Une
fois de plus, le contexte colonial propre à l’Algérie façonne différemment
les concepts de part et d’autre de la Méditerranée. En Algérie, la distinction
entre le religieux et le politique est nette, et d’autant plus aisée à maintenir
que la sphère religieuse n’entend pas être politisée. Ce non-engagement est
peut-être dû à des résistances locales ou à la faiblesse de l’institution. Il
convient aussi de prendre en considération la volonté du clergé qui a une
haute idée de l’action coloniale de la France et veut y contribuer, non
l’entraver. Pour le clergé, le respect dû à la Patrie est fondamental, surtout
quand la France mène une action qui se présente comme civilisatrice.
L’objectif est de faire de l’Algérie une autre France. Il est aisé de constater
la permanence des objectifs définis par Lavigerie :
« Faire de la terre algérienne le berceau d’une nation grande,
généreuse, chrétienne, d’une autre France, en un mot, fille et
sœur de la nôtre, et heureuse de marcher dans les voies de la
justice et de l’honneur à côté de la mère patrie ; répandre autour
de nous, avec cette ardente initiative qui est le don de notre grâce
et de notre foi, les vraies lumières d’une civilisation dont
l’Évangile est la source et la loi ; les porter au-delà du désert,
avec les flottes terrestres qui la traversent et que vous guiderez,
un jour, jusqu’au centre de ce continent encore plongé dans la
barbarie ; relier ainsi l’Afrique du Nord et l’Afrique centrale à la
vie des peuples chrétiens, telles est, je le répète, dans les desseins
de Dieu, dans les espérances de la patrie, dans celles de l’Église,
votre destinée providentielle… Je prie (Dieu) de vous bénir,
vous tous habitants chrétiens de ce diocèse, issus de tant de
nations diverses, mais devenus nos frères depuis que vos pieds
se sont reposés sur le sol d’une seconde France 2 … »
Les ministres du culte anticipent cet avenir. Ils se sont adaptés au milieu
colonial dans leur rapport avec l’État, et ils demeurent des prêtres français
dans leur contact avec les fidèles et leur action pastorale. Ils espèrent
contribuer à façonner ce peuple algérien en lui donnant une allure la plus
française possible. La présence de nombreuses œuvres et de patronages
témoigne de cette volonté de transporter en Algérie les méthodes et les
moyens expérimentés en métropole.
Le clergé séculier oriente donc son apostolat exclusivement vers les
Européens et dans les documents consultés, il n’est pas ou peu fait mention
des musulmans. Les rapports entre les catholiques et les musulmans sont
rarement évoqués. Certes, c’est au regard de l’histoire du temps présent,
caractérisé par un souci de dialogue et la volonté de connaître l’Autre, que
cette absence du monde musulman étonne. Pour la période envisagée
connaître la culture indigène constitue une préoccupation marginale aux
yeux d’un milieu colonial qui vit en vase clos. L’islam apparaît dans le
discours quand il s’agit de dénoncer la politique gouvernementale qui
tendrait à le favoriser, au détriment, pense-t-on, du culte catholique. En
l’absence d’un prosélytisme missionnaire organisé, qui oblige à connaître
l’Autre pour mieux le convertir, la population musulmane s’efface, à
l’exception des Kabyles.
Certes, avant la Première Guerre mondiale certains clercs
ambitionnaient encore de ressusciter les évêchés du passé, rêve ambitieux et
chimérique. Mgr Oury, dans sa correspondance avec l’Œuvre de la
Propagation de la foi, fait part de son désir de sortir de son obscurantisme
ces populations jadis chrétiennes 3 . Toutefois, il s’agit d’une chimère, d’un
thème à succès de la littérature coloniale bien plus que d’une volonté réelle.
Mais après la guerre, le rapport aux musulmans entre dans une nouvelle
phase, et les rêves de rechristianisation ne sont plus d’actualité. Seuls les
Européens sont désormais l’objet d’un intérêt.
La méconnaissance de la culture de l’Autre est symétrique du côté
musulman. Ces derniers, dans leur grande majorité, ignorent la culture
européenne et les fondements du christianisme 4 .
Dans ces conditions, la perspective d’un échange ou d’un dialogue perd
toute signification. Chacun est au mieux spectateur des manifestations
extérieures de la religion de l’autre. La situation coloniale y est pour
beaucoup. Seules des études documentées permettront d’interpréter cet
éloignement des populations indigènes dans les sources catholiques et du
peu d’intérêt manifesté par les musulmans.
Ce premier constat ne saurait pour autant rendre compte de toute la
réalité. Il n’implique pas l’absence de relations personnelles entre juifs,
chrétiens et musulmans, ni que certaines aient pu être empreintes de respect
réciproque à défaut de véritables rencontres. Par ailleurs, nous savons qu’à
la fin des années 1930 a existé à Alger un groupe de croyants monothéistes
auquel Monchanin fait référence et dont le seul document trouvé, jusqu’à
aujourd’hui, se trouve à Alger 5 . En effet, en 1935 est fondé, à l’initiative
d’un catholique, Henri Bernier, et du cheikh Taïeb Okbi rejoints par Élie
Gozlan, Fernand Touboul et plusieurs membres du cercle de jeunesse Quol
Aviv, à Alger le cercle des croyants monothéistes.
L’ENTRE-DEUX-GUERRES : « LE BON TEMPS DES COLONIES » ?
Dans les années 1920, la concorde et la coopération semblent à nouveau
triompher en Algérie entre l’Église catholique et l’État. En effet, les
indemnités de fonction sont prorogées, les palais épiscopaux sont restitués,
en d’autres termes, la parenthèse de la Séparation est enfin refermée au
grand soulagement de tous. L’application de la loi du 9 décembre 1905 a été
un moment décisif pour l’Église d’Algérie. Elle a finalement obtenu ce
qu’elle désirait : être une Église diocésaine sans perdre pour autant sa
spécificité coloniale. Église diocésaine, elle l’est, car la loi de 1905 lui est
en principe appliquée. Église coloniale elle demeure, avec un statut
particulier qui lui permet de conserver des avantages matériels, financiers,
symboliques. Les études de cas effectuées des dernières années confirment
la spécificité de la situation algérienne qui fait rêver certains prélats
coloniaux 6 . Elle garde cette place unique grâce à sa proximité avec le
territoire métropolitain, aux échanges étroits avec celui-ci et surtout à son
caractère de colonie de peuplement.
Permanences
La continuité se vérifie d’abord dans le choix des évêques 7 .
Mgr Leynaud préside aux destinées du diocèse d’Alger depuis 1917, après
la démission de Mgr Combe qui, très âgé, ne se sentait plus en mesure
d’assurer à la fois ses fonctions à la tête de Carthage et d’Alger.
Mgr Légasse arrivé en Algérie pendant la guerre (1915) succède à
Mgr Capmartin comme évêque d’Oran 8 ; Mgr Durand est intronisé sur le
siège d’Oran (1921) à la suite du départ de Mgr Légasse. À Constantine,
Mgr Bessière prend la succession de Bouissière en 1917 dans un contexte
difficile – « Tous les ponts étaient coupés entre les autorités religieuses et
les autorités civiles 9 . » – à cause des différends qui avaient opposé
l’évêque aux autorités avant son décès en septembre 1916. À Mgr Bessière
succède en 1923, après sa mort, Mgr Thiénard consacré le 1 er mai 1924 dans
la cathédrale d’Alger.
Les évêques d’Algérie, entre les deux guerres, ont des parcours
similaires et une formation qui ne diffère guère de l’avant-guerre. La
plupart sont issus du clergé « africain », c’est-à-dire d’Algérie. Augustin
Leynaud, originaire de l’Ardèche, s’est porté volontaire à 17 ans pour le
diocèse d’Alger et a été formé au grand séminaire de Kouba. Il est curé de
La Goulette, puis de Sousse, et sa notoriété dans les milieux académiques
contribue à sa nomination sur le siège archiépiscopal d’Alger le
2 janvier 1917. Il meurt en charge après un long épiscopat le 5 août 1953.
Amiel-François Bessière, né dans l’Hérault, suit sa famille venue s’établir
en Algérie où son père gère un domaine des frères de l’Annonciation.
D’abord professeur au petit séminaire, il est curé de Sidi-Bel-Abbès au
moment de sa promotion à l’épiscopat pour le siège de Constantine. Il
meurt prématurément le 3 octobre 1923 à Aix-en-Provence où il venait de
prêcher une retraite. Émile Thiénard, qui lui succède est natif de la Drôme.
Il part faire son grand séminaire à Kouba pour raisons de santé. Vicaire à
Cherchell, curé de Novi, puis doyen du chapitre d’Alger, il est consacré
évêque de Constantine par Mgr Leynaud dont il a été le secrétaire. Il y reste
jusqu’à sa mort le 26 octobre 1946. Léon Durand, le seul à être né en
Algérie (Oran, 1878), accomplit ses études supérieures à Rome au
Séminaire français et à l’Université grégorienne. Professeur de théologie au
grand séminaire de Marseille, évêque auxiliaire de Marseille en 1919, il est
transféré à l’évêché d’Oran en 1921. Lui aussi meurt, à Oran dont il est en
charge, le 20 mars 1945. Christophe Légasse, né au pays basque dans une
famille de marins-pêcheurs, est d’abord nommé préfet apostolique de Saint-
Pierre-et-Miquelon en 1899, puis consacré évêque d’Oran le 22 février
1906. Il achève sa vie sur le siège métropolitain de Périgueux (1920-1931).
Tous sont des prélats familiers du monde colonial. Quatre d’entre eux
ont des liens personnels avec l’Algérie et restent sur leur siège jusqu’à leur
mort. Ils connaissent bien la population européenne et ont l’expérience de la
nature si particulière des rapports entretenus avec les représentants de
l’État. Ces itinéraires expliquent, en partie, des relations de cordialité qui
favorisent le retour à des conditions de vie proches de celle d’avant-guerre :
Leynaud retrouve le palais de l’archevêché en 1922.
Comme par le passé, les autorités religieuses sont présentes dans les
grands moments de la colonie et se réjouissent du climat de bonne entente :
« Cette entente, cette sympathie même, qui préside
généralement, depuis onze ans, aux relations du clergé et des
représentants de l’autorité en Algérie, donna un éclat spécial aux
fêtes célébrées, en novembre 1925, à l’occasion du centenaire du
cardinal Lavigerie. Le discours du gouverneur général Viollette,
l’accueil fait au légat pontifical, le cardinal Charost, et aux
évêques de la métropole, la présence des chefs des
administrations civiles et militaires aux diverses cérémonies,
donnèrent au peuple d’Alger accouru en masse l’impression
d’une heureuse union sacrée 10 . »
Une situation identique prévaut à Oran :
« Et puis, quelle place de premier rang, est faite aux hommes et
aux choses de l’Église, dans la vie sociale contemporaine de
cette importante cité 11 ! »
Au-delà des liens formels et publics, le pacte colonial est poursuivi sur
le plan financier avec la poursuite des indemnités de fonction et le
financement des édifices du culte. Les indemnités voient même le nombre
de leurs bénéficiaires augmenter 12 notamment en Oranie :
« Les délégations financières de l’Algérie, soit dans leurs
commissions, soit dans leur réunion plénière, soit au conseil
supérieur, ont augmenté dernièrement le nombre des bénéficiers
de ces indemnités dans l’Oranie 13 . »
Consolider l’infrastructure
Ce contexte favorable a un effet visible sur l’infrastructure paroissiale
qui est renforcée par la création de nouveaux édifices du culte. Au début
des années 1920, dans le diocèse d’Oran, deux nouvelles églises sont
érigées avec la contribution des paroissiens, de riches mécènes mais aussi
des pouvoirs publics 14 . Ainsi, l’église de Saint-Leu a bénéficié d’une
subvention de la municipalité. Sous l’épiscopat de Mgr Durand, c’est près
de 15 nouvelles églises qui sont construites 15 . À Alger, deux nouvelles
paroisses sont créées en 1919 : Saint-Vincent-de-Paul et Saint-Pierre 16 .
Dans les années 1920, trois églises sont construites dans la métropole :
Sainte-Anne-de-la-Redoute, Sainte-Monique-du-Ruisseau et Sainte-
Marcienne-d’Isly ; cinq autres dans le reste du diocèse : Voltaire, Victor-
Hugo, Burdeau, Cheragas, Orléansville 17 .
Toutefois, cette politique volontariste de l’État ne permet pas à l’Église
catholique de résoudre les problèmes qui se posent à tous les diocèses
coloniaux, en particulier celui du recrutement sacerdotal. L’une des
premières urgences a été la réouverture des séminaires. Leynaud annonce,
dès son arrivée, l’ouverture du séminaire et son financement par l’œuvre
des vocations sacerdotales. Le nouveau séminaire commence sous la
direction des lazaristes qui rejoignent les locaux de l’ancien petit séminaire
Saint-Etienne en 1928. En 1930, 43 nouveaux prêtres en seraient sortis,
l’établissement compterait 30 grands séminaristes et 51 petits
séminaristes 18 . En 1916, le séminaire d’Oran compte 9 élèves, ils sont 50 en
1920 au moment du départ de Légasse 19 . La réouverture du grand et du petit
séminaire sous le même toit a lieu en 1918 à Constantine 20 ; en 1930 on
compte 60 élèves entre le grand et le petit séminaire et 17 prêtres
ordonnés 21 .
Un tissu paroissial affecté par la pénurie de clercs
Ces chiffres ne doivent pas masquer une autre réalité : celle de l’étendue
des diocèses et des difficultés inhérentes à cette situation. En Algérie s’y
ajoute la dichotomie observée plus haut entre les paroisses urbaines et les
paroisses rurales. Elle se poursuit et s’accentue dans certains diocèses. Dans
bien des villes du diocèse d’Oran, le nombre de catholiques permet une vie
religieuse proche de celle de la métropole 22 . En revanche, le diocèse de
Constantine rassemble plutôt des « paroisses des champs » dans leur
variante coloniale. C’est le diocèse où la présence européenne est la plus
faible et la présence musulmane la plus importante : 130 000 fidèles et
2 500 000 indigènes. Il compte 83 paroisses, 110 prêtres en exercice,
religieux compris 23 . Le département de Constantine est marqué par un
processus observable dans toute l’Algérie : l’installation des colons dans les
villes. L’évêque parle de « l’affaiblissement croissant de l’élément européen
dans les villages et petits centres » et Pons déplore :
« L’on voit de la sorte des églises, quelquefois assez belles,
esseulées, au milieu des mahométans 24 … »
Les paroisses dont la taille ne justifie pas la présence permanente d’un
prêtre sont supprimées et se transforment en annexes desservies par le curé
d’une paroisse voisine, ce qui permet de faire face à la pénurie en prêtre.
Plus du tiers des curés dessert quatre à cinq paroisses, voire huit ou neuf
distantes de trente à soixante kilomètres de la paroisse centrale. La paroisse
de Clauzel, avec ses cinq annexes, compte 150 fidèles ; Saint-Arnaud, avec
huit annexes, compte 1 500 fidèles, etc. Le curé de Bordj-Bou-Arreridge
visite 17 centres dont le plus près est à 7 km, le plus loin à 60 km pour
3 000 fidèles 25 .
La situation est meilleure en ville, sans être exceptionnelle : Constantine
compte quatre paroisses, Bône, deux et Philippeville une seule 26 . Les
difficultés de recrutement sacerdotal dans ce diocèse sont plus graves que
dans les deux autres. Cela se traduit aussi par un nombre moins important
d’œuvres, même si on y retrouve les principales œuvres présentes en
Algérie comme les conférences de Saint-Vincent-de-Paul ou encore les
Dames de la Charité 27 . Un constat identique s’impose pour les
congrégations religieuses. L’inégalité des ressources selon les diocèses et
selon la localisation des paroisses reste une des constantes de l’Église en
Algérie. Elle n’empêche pas la vie catholique de se poursuivre avec la
même ardeur pour ce qui concerne les œuvres.
À côté des œuvres « classiques » telles que les conférences de Saint-
Vincent-de-Paul ou les Dames de la Charité, présentes sur tout le territoire,
ou encore les associations par classe d’âge et par genre, des nouveautés ont
gagné les diocèses algériens. C’est ainsi que le mouvement des scouts de
France lancé en 1918 compte 105 membres en 1930 sur Alger 28 . Des
syndicats catholiques se structurent chez les pécheurs de Mers el-Kébir 29 et
chez les cheminots de Perregaux 30 et d’Alger 31 . La jeunesse n’est pas en
reste même si certaines fondations remontent à avant la Guerre, comme les
étudiantes catholiques, fondées en 1895, dirigées par les jésuites et
comptant 70 membres, alors que l’association des étudiants catholiques
d’Alger est fondée en 1927 et dénombre 110 membres. Les œuvres
destinées à l’élite sont toujours actives et se diversifient comme le montre la
fondation du cercle de Mun en 1922 (260 membres à Alger 32 ). On peut
aussi mentionner plusieurs associations sportives fondées dans un cadre
paroissial ou scolaire qui marquent la volonté d’occuper aussi cet espace à
côté des associations juives, musulmanes ou laïques.
La nouvelle action catholique spécialisée, qui s’organise en métropole
autour de 1930, s’implante assez tôt dans les diocèses algériens, en 1929
sous la forme de la Jeunesse Ouvrière chrétienne, puis en 1934 de la
Jeunesse Agricole chrétienne et de la Jeunesse Étudiante chrétienne. Les
effectifs semblent modestes et son influence est difficile à mesurer avant
1939.
Pour ce qui est de l’enseignement catholique, il continue à se
développer essentiellement dans le diocèse d’Alger avec 20 écoles de
garçons et 29 écoles de filles. Mais il reste minoritaire face à
l’enseignement laïque et gratuit. Dans les écoles pour garçons, on dénombre
82 professeurs et 1 470 élèves ; dans celles destinées aux filles
147 maîtresses et 3 913 élèves 33 . L’arrivée de deux nouvelles congrégations
religieuses – les sœurs franciscaines missionnaires de Marie et les salésiens
de Don Bosco – semble attester de l’attractivité des diocèses algériens et de
la volonté des évêques de favoriser l’action sociale 34 .
Manifestation publique de la place éminente reconnue au catholicisme,
le faste des cérémonies religieuses se maintient et les catholiques, à travers
leurs ouvrages ou la « bonne presse », insistent sur l’éclat donné à toutes les
cérémonies religieuses même dans les villages les plus reculés. L’abbé Pons
explique que :
« Cet apparat extérieur, souvent et partout renouvelé, est une
forme d’apostolat très prisée et partant très efficace auprès des
populations impressionnables d’Afrique 35 . »
Il donne aussi une visibilité à une minorité en situation de domination :
le faste s’avère encore plus important qu’avant 1914. Les archives
diocésaines d’Alger sont riches d’albums de photos qui donnent vie aux
célébrations catholiques. Aux grands moments de l’existence, le clergé se
tient aux côtés de ses ouailles. Fêtes collectives ou privées, glorification de
la France ou de l’Église : Pâques, communion, célébration du centenaire de
l’Algérie ou participation à la croisade eucharistique de Tunis en 1931,
l’Église catholique est toujours dans l’objectif du photographe. Elle se
retrouve même au centre de toutes les attentions en 1939 lors du congrès
eucharistique national qui se déroule entre le 3 et le 7 mai à Alger dans un
contexte international plus que tendu.
Les sources sur l’événement sont nombreuses et gagneraient à être
exploitées 36 . Un film a même été tourné pour couvrir l’événement 37 . Les
images de ce documentaire témoignent de la solidité du lien avec les
autorités civiles et militaires mais aussi avec l’Église métropolitaine qui fait
le choix d’organiser son congrès national à Alger. L’Église universelle n’est
pas en reste car le cardinal Verdier, archevêque de Paris, est présent en tant
que légat de Pie XII. L’accueil est à la hauteur de l’événement : présence
des officiels à la descente de bateau du légat, fanfare, parade aérienne, etc.
La cathédrale Saint-Philippe est pavoisée de drapeaux tricolores –
jusqu’aux minarets – et d’écussons de la République française. Des
musulmans – femmes voilées, hommes et enfants – sont présents dans la
foule au milieu des fidèles.
Trois grands moments religieux marquent ce congrès : la messe de
communion générale des enfants, célébrée par Mgr Leynaud et organisée
dans un stade Saint-Eugène comble ; le chœur dialogué, organisé par le père
Parra face à un parterre de jeunes gens en tuniques de croisés ; la procession
dans les rues d’Alger lors de la Fête-Dieu.
Seule la présence des musulmans et des minarets à l’arrière-plan, ainsi
que quelques burnous de pères blancs laissent à penser que nous sommes en
terre d’islam. Les célébrations religieuses sont des reproductions de la
scénographie catholique dans le reste du monde. D’acculturation, il n’est
pas question : l’Algérie reste l’autre France. Le choix de 1939 laisse
possible une dernière lecture du congrès comme moment de la célébration
du centenaire de l’Église catholique en Algérie : l’érection du premier
diocèse algérien ne date-t-elle pas de 1838 ?
À l’instar d’autres institutions, l’Église catholique se trouve bien au
cœur de la colonisation de l’Algérie avec ses édifices et son occupation de
l’espace, sa capacité à imposer son temps religieux et sa synchronie avec les
autorités.
Fragile apogée
La décennie des années 1930 est, à juste titre, présentée comme
l’apogée et le début du déclin du système colonial. Derrière les
rassemblements de masse, l’apparente unanimité catholique laisse aussi
apparaître des failles. La plus visible se manifeste à l’occasion des luttes
politiques qui divisent le clergé et les fidèles. Ces années sont
particulièrement mouvementées dans le département d’Oran avec l’élection
de l’abbé Gabriel Lambert à la mairie d’Oran en 1934. Interdit de sacerdoce
dans son diocèse d’origine, Toulouse, il se pose en leader politique face au
Front populaire malgré l’opposition de l’évêque, Mgr Durand qui étend sa
suspension au diocèse d’Oran. Tribun populaire, il met en avant ses dons de
sourcier pour promettre d’assurer l’alimentation en eau à la ville, puis
évolue en antisémite militant. Il contribue à l’échec du candidat soutenu par
l’évêque en 1936 face à un socialiste, fait route avec des mouvements
fascisants, avant de poursuivre un parcours particulièrement sinueux. La
guerre civile en Espagne constitue un autre motif de divisions au sein d’une
population européenne en grande partie originaire de ce pays.
Le faste des célébrations de 1930 ne doit pas davantage occulter la
montée des revendications nationalistes dans toutes les parties de l’empire
et particulièrement en Algérie. L’Église universelle l’a parfaitement compris
avec Benoît XV et son encyclique Maximum illud, qui entend en 1919 se
démarquer de la colonisation. Or, si évangélisation et colonisation
collaborent volontiers mais répondent à des logiques indépendantes dans
certaines zones de l’empire, pour l’Algérie les deux réalités sont
inextricablement imbriquées.
L’État a poursuivi sa politique de collaboration avec l’Église pendant
l’entre-deux-guerres et au-delà. Marie et Marianne contribuent ensemble à
l’édification de la plus grande France comme l’atteste la création en 1954
de l’évêché de Laghouat.
Néanmoins, la Seconde Guerre mondiale marque un tournant et une
accélération dans l’histoire de l’Algérie, et l’Église ne tarde pas à en subir
les conséquences.
LE TEMPS DES REMISES EN CAUSE (1945-1962)
Les lendemains de victoires qui chantent ont été sanglants en Algérie
avec la terrible répression de Sétif du 8 mai 1945. Cet événement ramène au
premier plan les populations soumises sans qu’aucune mesure significative
ne soit prise. Quelle est alors la réaction de l’Église face au processus de
décolonisation ?
Le surgissement de la question coloniale dans
le catholicisme
La papauté, prompte à intervenir sur les questions de société à l’époque
contemporaine, ne consacre pas d’encyclique à la décolonisation et observe
une prudente réserve conforme à la position adoptée face à la
colonisation 38 . Elle n’expose pas une doctrine officielle définissant un droit
de la décolonisation. Seuls de rares théologiens atypiques s’y emploient
comme le laïque lyonnais Jacques Folliet qui a effectué son service militaire
en Tunisie et, après avoir consacré sa thèse au droit de colonisation (1928),
sera très actif au sein du catholicisme social français dans le débat autour de
la guerre d’Algérie. Rome produit cependant une série de textes dont elle
laisse les acteurs du terrain tirer les conséquences pratiques en fonction des
circonstances de temps et de lieu.
On trouve ainsi dans les interventions de la hiérarchie un mélange subtil
et déconcertant, de déclarations générales favorables à l’émancipation des
peuples colonisés et de conditions qui rendent difficiles leur mise en
pratique à court terme. Pourtant, consciente que la décolonisation est
inéluctable, l’Église catholique entend être présente dans un processus dont
dépend son avenir sur le terrain. Elle appelle les fidèles à s’investir et le
clergé à ne pas se lier aux autorités coloniales, à condition de ne se
compromettre dans la collaboration avec un communisme très actif. Cela ne
débouche pas partout sur une position tout à fait claire, encore moins
unanime.
Depuis le message de Noël 1955 du pape Pie XII, Rome préconise une
décolonisation par étapes : « De toutes façons, qu’une liberté juste et
progressive ne soit pas refusée à ces peuples, et qu’on n’y mette pas
d’obstacle ». Mais cette approbation donnée à un nationalisme pacifique ne
peut pas être appliquée de la même manière dans les colonies africaines et
en Algérie où les catholiques sont aussi les Européens qui dirigent et
contrôlent la vie politique, économique et sociale. Dans ce contexte, toute
prise de position devient extrêmement délicate et l’appui éventuel aux
aspirations nationalistes ne tarde pas à passer pour une trahison des
catholiques locaux. Dès lors que la guerre s’installe, la question devient
cruciale : comment mettre en œuvre les grandes orientations romaines sans
paraître contredire toute une histoire et provoquer l’hostilité de la majorité
du clergé et des fidèles ?
La consultation des rapports annuels des pères blancs offre un bon
observatoire du lent déplacement qui s’opère. La continuité semble
l’emporter jusqu’au milieu des années 1950. Jusqu’au déclenchement de la
guerre, les préoccupations portent essentiellement sur les œuvres
caritatives, éducatives et de santé. Cependant, sous l’influence du
catholicisme de métropole, des sessions de formation aux questions sociales
sont organisées et attestent d’une prise de conscience de la nécessité de
mieux former les laïcs. La situation des chrétiens kabyles et la mission en
Kabylie restent une priorité pour les pères blancs qui y ajoutent
l’accompagnement en France (surtout en région parisienne) des travailleurs
algériens.
À partir de 1955, l’inflexion dans le sens de l’action sociale en direction
de la population musulmane, en Algérie auprès des jeunes musulmans non
ou peu scolarisés et parmi les émigrés en métropole, s’accentue au fil des
rapports. L’action catholique spécialisée de la JEC et de la JOC est
encouragée et influence durablement l’itinéraire de plusieurs militants laïcs.
André Mandouze (1916-2006), nommé professeur à la Faculté d’Alger en
1946 et éminent spécialiste des pères de l’Église 39 , marque par sa
personnalité plusieurs générations d’étudiants catholiques qui s’engagent en
faveur d’une évolution sociale et politique, et parfois soutiendront comme
lui le FLN. L’enseignement de l’arabe dans les séminaires, ou au travers de
sessions destinées aux séculiers et aux religieux, est développé. Quelques
clercs sont appelés à se former en littérature arabe et « islamologie » à
Tunis ou au Caire 40 .
D’autres questions se greffent sur ces objectifs, à commencer par la
position à choisir en matière d’apostolat dans un contexte de réorientation
de l’action missionnaire :
« Mais à l’heure actuelle, sous prétexte de charité apostolique,
plusieurs ont tendance à énerver les forces apostoliques des
chrétiens désireux d’être missionnaires. […] Pas d’autre
témoignage, disent-ils, que celui de la vie de charité au milieu
des musulmans et pas de témoignage de la parole. On sent là
toute l’ambiguïté de telles consignes qui contiennent une part de
vérité, mais qui en arriveraient, poussées à l’extrême, à faire
renoncer les chrétiens à leur rôle apostolique de témoins de la
vérité par la parole autant que par l’exemple. À partir de là on
n’ose pas reconnaître les erreurs évidentes, les oppositions
caractérisées de la doctrine musulmane à la chrétienté en des
points qui sont capitaux, fondamentaux 41 . »
Ce passage renvoie aux débats sur les différentes méthodes
d’évangélisation qui ont commencé dans l’entre-deux-guerres et traversent
les milieux missionnaires avec notamment le développement de la
spiritualité foucauldienne du témoignage discret et du refus de tout
prosélytisme. Cette influence conduit certains pères blancs à redéfinir leurs
méthodes apostoliques en direction des musulmans sans pour autant
souscrire à toutes les orientations issues de la pensée et l’action du « frère
Charles 42 ». Ces adaptations ne font pas l’unanimité au sein de la société
des missionnaires d’Afrique : privilégier un mode d’action ne signifie pas
exclure les autres. Mais dans la citation précédente, extraite du rapport de
1955, perce un certain malaise : doit-on renoncer à une conception de
l’apostolat qui passe par la parole ?
Le débat sous-jacent rejoint une autre question, ancienne et toujours
cruciale, celle des conversions obtenues après quatre-vingts ans d’apostolat
en Algérie :
« Pour en donner une idée précise, le Supérieur de la Mission
des Pères Blancs, Vicaire Général d’Alger, a accordé, entre 1948
et juillet 1955, 34 autorisations de baptême d’adultes 43 . »
Ces chiffres corroborent ceux que j’avais établis à partir des rapports
annuels des pères blancs, soit environ 650 baptêmes entre 1905 et 1950 44 .
Leur faiblesse constitue une interrogation persistante dans les débats
internes sur l’utilité d’une présence missionnaire qui doit renoncer à faire
des chrétiens. L’état des lieux du catholicisme tel qu’il est dressé en 1960
par une encyclopédie catholique – quasi officielle – confirme que l’Église
d’Algérie continue à se considérer comme « une partie de l’Église de
France », malgré « l’évolution récente d’une élite catholique vers une
attitude d’intérêt et de rapprochement avec la communauté musulmane 45 ».
Face à la guerre et l’indépendance, hésitations
et divisions
La question politique ne peut plus être évitée à partir des années 1950.
Les pères blancs apparaissent soucieux de l’influence du marxisme et
pensent que l’islam risque d’en pâtir. Ils estiment que la thèse la plus
vraisemblable destine la Tunisie et l’Algérie à être des États laïques 46 . En
revanche, ils ne prennent pas position publiquement sur l’avenir de
l’Algérie et laissent à la hiérarchie le soin de le faire. Non sans laisser
percer leur embarras :
« Certains auraient souhaité que les Pères Blancs, eux aussi,
fassent connaître publiquement leur sentiment par des “prises de
positions” personnelles. […] Ils y sont, comme tels, soumis aux
chefs spirituels responsables de l’Église et ne sauraient prendre
officiellement des “positions” ou avancer des points de vue qui
ne seraient pas ceux des Évêques ou qui simplement même
manifesteraient une dualité d’orientation ou d’action. Leur rôle
ne peut donc être et a voulu en fait n’être que d’aider la
hiérarchie en suivant fidèlement ses consignes et l’éclairant sur
les aspects missionnaires que donnent à l’Église leurs activités
propres et le caractère universel et catholique qu’elles réclament
d’Elle dans la conjoncture présente 47 . »
La hiérarchie catholique et le clergé n’échappent pas aux divisions qui
traversent les catholiques, en métropole comme en Algérie. Si certains
prennent conscience du changement qui s’opère, d’autres optent pour le
maintien du statu quo. Mais nous manquons d’une vision d’ensemble. Si les
positions des catholiques français pendant la guerre d’Algérie ont fait
l’objet de travaux historiques, celles des catholiques en Algérie restent
rares. En effet, à l’exception des travaux sur Mgr Duval, des livres-
témoignages comme ceux des pères Scotto ou Bérenguer, de l’ouvrage
d’André Nozière 48 , issu de sa thèse de 3 e cycle ou encore du livre de Sybille
Chapeu sur les prêtres de la Mission de France 49 , la plupart des publications
portent sur les catholiques hors d’Algérie 50 . Toutefois, une journée d’étude
tenue, à Alger le 25 mai 2013 et intitulée « Des Chrétiens dans la
guerre 1954-1962 » a été organisée par le centre d’études diocésain des
Glycines et fournit quelques informations 51 .
À défaut de pouvoir entrer dans une analyse fine et chronologique, la
ligne de partage entre l’Algérie française et l’Algérie algérienne, dont les
définitions sont souvent floues et évolutives, s’impose progressivement. Les
facteurs qui déterminent les positions mettent en évidence des visions
différentes du catholicisme, de l’Église et de la colonisation. Elles sont
profondément pénétrées par les situations et les expériences personnelles.
On a coutume chez les évêques d’opposer la position favorable à
l’indépendance de l’archevêque d’Alger Mgr Duval et celle de l’évêque
d’Oran, Mgr Lacaste 52 favorable au maintien de la présence française. L’un
et l’autre ont été nommés évêques, alors qu’ils appartiennent à des diocèses
métropolitains, celui d’Annecy pour Duval, celui de Bayonne pour Lacaste.
Ils sont de la même génération, née autour de 1900, et ont reçu une
formation classique dans les séminaires de leur diocèse, complétée pour
Léon Duval par un doctorat de théologie à Rome. Pourtant, leur évolution
en Algérie se révèle très différente. Le premier a été évêque de Constantine
avant d’être appelé à l’archevêché d’Alger en février 1954. Malgré sa
prudence et le ton mesuré de ses propos, surtout quand il aborde la
dimension proprement politique en public, ses prises de position lui valent
d’être parfois censuré par une partie de son clergé qui refuse de lire ses
déclarations en chaire ; à la fin de la guerre il est affublé par des partisans
de l’Algérie française du surnom de Mohammed Duval. À l’inverse,
Mgr Lacaste acquiert la réputation d’être aux côtés de la population
européenne de son diocèse, le plus européanisé d’Algérie, d’autant qu’il
garde le silence sur les questions les plus sensibles comme le recours à la
torture. Mais le même homme signe les prises de position collective des
évêques d’Algérie durant la guerre. Il protège l’abbé Bérenguer « inquiété
par la police pour ses accointances avec le FLN et surtout par rapport à ses
prises de positions franchement exposées depuis 1956 53 ». Et le 29 juin
1962, il « préside avec le Cheikh Tayeb el Mehaïdji un grand meeting de
réconciliation entre les deux communautés et en présence du chef de la
Zone Autonome d’Oran le capitaine Nemiche 54 ».
Les positions des uns et des autres sont donc complexes et évoluent au
cours des années. Il reste toujours difficile, faute d’études précises, de
proposer une lecture qui ne soit pas caricaturale. Aucune présentation
d’ensemble des différentes attitudes et de leur poids respectif n’est possible.
C’est pourquoi, je souscris aux propos de Fouad Soufi quand il écrit :
« Il y aurait à sortir (ou en tous les cas à entrer dans les détails)
de cette légende noire des curés tous acquis à l’OAS. Il est vrai
que certains clochers d’églises à Oran avaient servi de point
d’appui aux snippers de l’OAS. Mais en face, la vie du curé de
Bedeau/Ras el Mas, le père Delacommune, est à écrire. Il y
aurait à mieux connaître celle d’Henri Quiévreux de Quiévrain,
maire de Télagh, catholique et monarchiste assassiné par l’OAS,
le 22 février 1962 à Oran 55 . »
L’histoire des fidèles catholiques en Algérie pendant la guerre, mais
aussi celles du clergé régulier et séculier restent, dans une large mesure
encore, à écrire, tout comme celles des dizaines de milliers de catholiques
qui ne quittent l’Algérie qu’après l’indépendance. Rappelons que près de
200 000 Français sont présents en Algérie en octobre 1962 et entre
50 000 et 60 000 en juillet 1965 56 .
Dans son choix courageux, Duval n’est pas seul. Une minorité de
fidèles, difficile à quantifier, l’accompagne, on citera, parmi tant d’autres,
les noms de laïcs militants comme le médecin Pierre Chaulet et sa femme
Claudine 57 . Des prêtres sont à ses côtés, comme les pères Carmona,
Bérenguer, Scotto, pour les plus connus.
Pourtant, cette Église, massivement tournée vers les Européens, apparaît
à plus d’un titre comme « vassale » du pouvoir politique. C’est là qu’avait
résidé sa force, car c’est une volonté politique qui a contribué au maintien
de son influence, c’est là aussi que se trouvent désormais les raisons de sa
faiblesse. Trop liée à l’État français, elle n’a pas pris en compte les
changements des réalités sociales. Son évolution s’est arrêtée à l’époque
concordataire alors qu’en France l’Église a dû s’adapter aux nouvelles
données. De plus, son rapport intime avec la communauté européenne s’est
renforcé avec le temps. Elle est devenue un élément du système de valeurs
des Européens d’Algérie. Elle a poursuivi le projet catholique d’être une
religion façonnant l’identité des fidèles quitte à ne s’adresser qu’aux seules
populations européennes de la colonie.
Cette identification du catholicisme à la colonisation européenne pose
en outre le problème de la place des autres communautés confessionnelles
des Européens d’Algérie dans la construction d’une conscience collective.
La référence constante au catholicisme occulte la place des protestants
susceptibles de mettre en cause l’unité revendiquée par ce « peuple ».
Toutefois, c’est surtout avec la communauté israélite que le paradoxe est le
plus étonnant. Les juifs ont souvent été rejetés du groupe des Européens
d’Algérie et n’ont pas suscité de mouvement de solidarité face aux mesures
antisémites de Vichy car ils étaient considérés comme des indigènes
francisés, au moins jusqu’à la Grande Guerre. Or, ils sont devenus au fil des
années, et ce depuis la fin de l’Algérie française, la composante la plus
souvent mise en avant des Pieds noirs. Paradoxalement, ils ont fortement
contribué à former après 1962 une « culture » dont ils avaient souvent été
exclus en Algérie : ils ont, d’une certaine façon, forgé l’image du rapatrié.
Comment, minorité française en Algérie, sont-ils devenus les représentants
les plus hauts en couleurs et souvent mis en scène au cinéma du « peuple
pied-noir » ? Paradoxe supplémentaire, cela n’a pas empêché que soit
largement diffusée l’image de Pieds noirs unis autour du catholicisme et de
ses dévotions mariales.
Il est vrai que l’Église catholique a elle-même largement contribué à
forger cette représentation. En s’identifiant à la population européenne et en
lui consacrant la grande majorité de ses efforts, elle a irrémédiablement lié
son sort à ceux qui deviendront les Rapatriés d’Algérie. Il est d’ailleurs
significatif que la mémoire exalte aujourd’hui cette Église, comme si elle
était le principal lieu dans lequel pouvait se reconnaître un peuple qui n’en
devint un qu’après 1962 58 . Peuple dont la naissance et la mort ont,
paradoxalement, la même origine : la migration.
Être catholique après 1962
À l’issue de la guerre d’Algérie, une certaine Église cesse d’exister en
Algérie sans pour autant que l’Église ne disparaisse. L’Église qui a cessé
d’exister est celle du « million » de rapatriés 59 . Dans les quelques mois qui
ont suivi l’indépendance – et même avant – les Européens quittent leur terre
natale pour une métropole que la plupart ne connaissent pas. Les structures
de l’Église ne peuvent que sortir bouleversées par cet exode.
Un groupe de chrétiens décide de réagir et s’organise autour de
l’Association d’Études 60 . De quoi s’agit-il ? Des catholiques et des
protestants ont décidé, une fois que l’indépendance de l’Algérie semblait un
fait acquis, de rester dans le pays et de réfléchir à ce que pouvait être la
configuration de leurs Églises. Le contexte de la création de ce mouvement
est celui du départ massif de leurs coreligionnaires et du besoin, pour ceux
qui avaient fait le choix de rester, de se regrouper à un moment où « la
restructuration interne des Églises était encore très faible. [fin 1962, début
1963 61 ] ». Ils considèrent que seules deux possibilités s’offrent à l’Église en
Algérie : être une Église « d’ambassade » ou être une Église « du pays »
tout en étant pénétrés par la conviction que l’Église ne peut qu’être
composée d’éléments étrangers au pays. C’est pourquoi, ils en viennent à
s’interroger sur la question de l’algérianité de l’Église :
« Il est à remarquer tout d’abord que le fait que le problème ne
se soit vraiment posé que depuis l’indépendance est
symptomatique et, somme toute, assez accablant. »
L’implication des auteurs dans leur temps ne leur permet pas d’analyser
avec l’arrière-plan historique nécessaire la révolution intervenue dans la
perception de l’algérianité. Les Européens d’Algérie se sont très vite
présentés comme les Algériens et par conséquent l’algérianité de leur Église
allait de soi. Mais l’indépendance a provoqué un renversement qui, surtout
à partir de Boumédiène, associe algérianité à arabité et islamité, sans définir
clairement la place laissée à ceux qui ne sont ni arabes, ni musulmans.
Pour les catholiques qui ont fait le choix de rester, tout est à créer car il
s’agit de fonder quelque chose de nouveau et non pas de faire une Église
« concordataire » comme c’est déjà le cas pour la Tunisie 62 . La question
fondamentale est alors de savoir s’il peut exister une Église nationale dans
un pays où les nationaux chrétiens sont si peu nombreux.
Cette mise en contexte n’est pas inutile quand on connaît le passif que
représentent la Guerre d’Algérie et la spécificité de cette Église catholique
en terre d’islam. Les nouvelles conditions politiques génèrent de nouvelles
interrogations et soulèvent un problème crucial : quelle Église en Algérie,
pour quels fidèles ?
La question sur le plan théologique a été posée, entre autres, par Pierre
Le Baut (o.p.) dans un article intitulé « Église algérienne ou Église
universelle 63 ? ». Il définit sa position en se référant au théologien allemand
Karl Rahner :
« L’Église locale n’est pas seulement comme une agence,
librement créée dans la suite, de l’unique Église universelle,
mais elle est l’événement même de cette Église universelle 64 . »
Dans le cas algérien se pose tout particulièrement la question du fait, car
s’il existe bien une Église locale, elle est composée, pour son plus grand
nombre, par des étrangers. Pour Le Baut la solution existe :
« C’est en s’acclimatant culturellement que l’Église cessera
d’être et d’apparaître sociologiquement étrangère. Être
algérienne est la condition concrète de son universalité 65 . »
L’auteur rejoint, et surtout justifie sur le plan théologique, l’affirmation
de Mgr Duval :
« En Algérie l’Église, comme elle le doit, n’a pas choisi d’être
étrangère, mais d’être algérienne 66 . »
Personnalité charismatique, le chef de l’Église catholique est un de ceux
qui au sommet de la hiérarchie permettent le passage vers l’Église
algérienne. Une nouvelle ère dans les rapports entre Église et État débute
que les quelques pages qui suivent esquissent seulement. Deux thématiques
principales retiendront ici l’attention : le cadre juridique et les nouvelles
relations entre pouvoirs politiques et religieux.
État musulman, Église catholique dans
une Algérie indépendante : quelles
relations ?
LES PREMIÈRES ANNÉES : LE CADRE JURIDIQUE ET LÉGAL
Au moment de l’indépendance, il n’existe pas, à proprement parler, de
texte juridique réglant les relations entre l’Église catholique et l’État
algérien. De plus, les accords d’Évian ne soulèvent pas directement l’avenir
des différentes institutions religieuses au sein du nouvel État. Les textes qui
pourraient s’y référer – de manière indirecte – ont en fait une portée plus
générale et traitent du respect des droits de l’homme :
« L’État algérien souscrira sans réserve à la Déclaration
universelle des droits de l’homme et fondera ses institutions sur
les principes démocratiques et sur l’égalité des droits politiques
entre tous les citoyens sans discrimination de race, de race ou de
religion 67 . »
D’autre part, très tôt, une partie des accords d’Évian, sur les droits de la
minorité européenne, s’est avérée caduque à la suite de la forte diminution
numérique de cette population. Quant à l’islam, il est la religion de l’État
même si le respect des opinions et des croyances ainsi que le libre exercice
du culte sont garantis 68 .
L’existence légale des diocèses algériens, qui se sont maintenus tels
quels, a relevé d’un statut d’association 69 . Cependant, un historique
s’impose au préalable. En effet, pour comprendre les fondements légaux il
faut remonter à la loi de Séparation des Églises et de l’État de 1905,
appliquée à l’Algérie à partir du décret du 27 septembre 1907. Il faut
attendre les années 1920 pour que de nouvelles dispositions soient prises.
Par l’encyclique Maximam gravissimamque du 18 juin 1924, Pie XI
approuve les associations diocésaines :
« Douée de la personnalité juridique dans le cadre des lois de
1901 et de 1905, l’association diocésaine a pouvoir d’acquérir et
de gérer les biens destinés à l’exercice du culte 70 . »
L’Algérie étant la France, les associations diocésaines y ont été
introduites au même moment.
Or, à l’indépendance, la loi du 31 décembre 1962 devait prolonger le
système. C’est le 18 décembre 1972 qu’est fondée l’association diocésaine
comme le stipulent les statuts à notre disposition. N’étant pas en mesure au
moment de la rédaction de disposer ni du texte des associations diocésaines
d’Algérie avant l’indépendance, ni du statut, s’il s’avérait différent, de
l’Église entre 1962 et 1972, seul est analysé le texte en vigueur jusqu’en
février 2006, date de la nouvelle législation sur les cultes 71 .
Le but de l’association est de pourvoir aux frais des activités de
l’Église. Elle dispose de la personnalité civile : article 4 « Elle peut
acquérir, administrer, les biens meubles et immeubles qu’elle juge utile à
l’exercice du culte catholique et de ses activités humanitaires… » Le rôle
des évêques est prépondérant, puisque, pour être membre, il faut être
proposé par l’évêque du lieu (art. 8). De plus, le président ne peut qu’être
un des évêques des diocèses ou l’un des prêtres qu’ils proposeront
(art. 17 72 ). L’administration et la gestion sont, dans la pratique, confiées au
conseil d’administration dont les membres sont nommés par l’assemblée
générale pour une durée de quatre ans renouvelables plusieurs fois (art. 20).
Dans ses grandes lignes, les statuts reproduisent la situation avant
l’indépendance et présentent des similitudes avec les pratiques dans la
France d’aujourd’hui. La continuité se retrouve partiellement dans le
financement du clergé paroissial, mais les frais de l’Église incluent aussi les
traitements de tout le personnel, laïque et religieux.
L’État algérien a poursuivi l’octroi des indemnités de fonction telles
qu’elles ont été instituées par le Gouvernement général de l’Algérie
française en 1908 et maintenues durant toute la période coloniale 73 .
L’Algérie, rappelons-le, a fait figure d’exception quant à l’application de la
loi de Séparation dans la mesure où dans tous les départements français, y
compris ceux d’outre-mer, la loi n’a subi aucun aménagement. Le mot que
l’on prête à Gambetta, « l’anticléricalisme n’est pas un article
d’exportation », s’avère dans le cas des départements français d’Algérie.
Jusqu’en 1975, la législation française reste en vigueur dans le nouvel
État et permet le maintien des indemnités. En revanche, par la suite, il s’agit
d’une réelle volonté des autorités algériennes de continuer à les verser. Il
convient toutefois de relativiser l’importance de ces indemnités dans la
mesure où seuls les ressortissants algériens du culte en sont les
bénéficiaires, soit, en 2003, 13 personnes 74 . Le montant mensuel s’élève,
d’après les informations fournies par Mgr Teissier en 2004, à 1 700 dinars
algériens soit environ une trentaine d’euros 75 . La prolongation du versement
des indemnités de fonction atteste d’un bel exemple de continuité historique
qui se retrouve aussi dans les modalités de nomination des évêques.
Pendant la période coloniale, il y avait consultation de l’État français
avant la publication de la nomination faite par Rome et préparée par la
nonciature de Paris. Depuis l’indépendance, le processus est, dans ses
grandes lignes, identique puisque la nomination des évêques est toujours
faite par le pape, sur présentation d’un dossier préparé par la nonciature
d’Algérie. Le gouvernement algérien est informé du choix quelques heures
avant la publication officielle dans l’Osservatore Romano. Si la continuité
existe, jusqu’à un certain point, dans le domaine de l’administration
générale, la rupture apparaît au moment de la nationalisation des écoles
privées. Cette dernière ne peut se comprendre que dans le cadre plus global
de l’orientation prise par le régime à partir de 1971.
VERS UNE NOUVELLE ALGÉRIE ?
La Charte de 1976
C’est en 1971 qu’interviennent la nationalisation des richesses
naturelles du pays, la réorientation agricole et la gestion socialiste des
entreprises, pour ne citer que les éléments les plus symboliques. À partir de
1975, la coupure avec le passé colonial est consommée par l’ordonnance du
5 juillet 1975 qui abroge officiellement la loi du 31 décembre 1962 qui
reconduisait jusqu’à nouvel ordre la législation française en vigueur. La
même année, à l’occasion du dixième anniversaire du coup d’État, Houari
Boumédiène annonce l’élaboration d’une Charte nationale, l’élection d’une
Assemblée nationale et d’un président de la République. La Charte
nationale consacre le nouveau régime quand elle est adoptée en 1976.
Rappelons que depuis le XIX e , l’Église catholique en Algérie dispose de
tout un réseau d’œuvres, surtout au service des familles européennes, mais
pas exclusivement comme l’atteste les écoles professionnelles ou les
dispensaires tenus par les sœurs blanches et les pères blancs. Au moment de
l’indépendance, l’Église a mis au service de la population algérienne
« les écoles, jardins d’enfants, centres de formation féminine,
foyers de jeunes filles, centre de formation professionnelle,
dispensaires, centres de soins, PMI, et même hôpitaux à Biskra,
aux Attafs et à Aïn al-Hammam 76 ».
De nouvelles structures étaient créées dans le cadre du Secrétariat
national des écoles diocésaines ou en soutenant des initiatives
gouvernementales 77 . L’investissement dans l’enseignement diocésain,
notamment à travers les cours d’alphabétisation des adultes, a permis à des
milliers d’Algériens d’accéder à la lecture et à l’écriture. On pense, entre
autres, au père Gauthier, salésien, qui a animé après l’indépendance une
« école populaire » dans un quartier d’Oran, Eckmül. Il s’agit de permettre
« à des jeunes de milieu très pauvre, de reprendre un minimum de scolarité
pour pouvoir accéder ensuite à des centres de formation professionnelle 78 ».
L’année 1976 marque la fin de l’enseignement privé en Algérie, y
compris musulman, décidée par le décret du 16 avril. Les écoles catholiques
sont intégrées au système éducatif 79 . L’objectif réaffirmé du pouvoir est
celui de l’unité du peuple algérien, unité dont l’école doit servir de vecteur
au même titre que l’islam. Une évolution similaire est constatée pour le
secteur social : les services Caritas des diocèses d’Algérie, qui avaient
assuré la prise en charge directe des besoins sociaux, ont renoncé à leur
autonomie pour venir en appui de structures étatiques 80 .
Comme le rappelle Mgr Teissier :
« La fermeture des institutions propres aux quatre diocèses
en 1976 a entraîné l’éclatement des grandes communautés en
petits groupes… Les congrégations… découvraient les
possibilités de collaboration et d’engagement qui s’offraient
dans les structures publiques 81 . »
La charte de 1976 ne met pas un terme à l’implication sociale, médicale
ou éducative de l’Église, mais l’engage à se recomposer pour penser sa
présence dans ce nouveau cadre.
D’autres mesures significatives sont aussi prises telles que celle du
repos hebdomadaire du vendredi, au lieu du dimanche, ou encore
l’interdiction de la vente de boissons alcoolisées aux musulmans (décret du
16 août 1976). L’uniformisation du système éducatif participe autant de la
réaffirmation de l’islamisation du pays que de son orientation socialiste et
de la rupture avec le passé colonial.
L’Église au quotidien
La cordialité : maître mot des relations avec l’État
Parallèlement aux dispositions législatives, l’État algérien conserve des
relations qui se veulent cordiales avec son Église. Dès les premières années
de l’indépendance, les relations entre la hiérarchie catholique et les autorités
algériennes sont, officiellement, définies. Mgr Duval n’hésite pas à
expliciter la situation dans Le Monde du 11 janvier 1964. Il insiste sur le fait
que le départ des Européens d’Algérie ne s’explique pas par des raisons
religieuses. Il rappelle le respect par les autorités de la Déclaration
universelle des droits de l’homme et précise que les fêtes chrétiennes sont
légales.
Sur le plan du temporel :
« la plupart des églises sont comme par le passé, propriété des
communes (c’est un héritage français de la loi de Séparation)
mais les communes respectent la destination religieuse des
églises. Il arrive que des églises n’aient plus d’utilisation en
vertu d’un accord conclu entre les autorités compétentes, elles
sont alors affectées à l’éducation et à la culture, qu’il s’agisse de
l’enseignement privé ou de l’enseignement d’État. »
Mgr Duval inscrit la vie de l’Église algérienne au sein de l’Église
universelle notamment dans ses relations avec le Vatican :
« Lorsque, en septembre 1963, le pape fit savoir qu’il pensait à
la création d’un secrétariat pour les relations entre l’Église et les
religions non chrétiennes, la première réponse fut celle de M. le
président de la République algérienne. »
Les positions de l’archevêque d’Alger sont – faut-il s’en étonner ? – en
conformité avec la ligne directrice pour laquelle il a opté bien avant
l’indépendance. Cependant, il faudrait là aussi pouvoir consulter les
archives de la période et notamment la correspondance et les dossiers des
autorités algériennes compétentes sur ces questions. En effet, dans les
années qui ont suivi, les réaffectations d’églises ne se sont pas toutes faites
dans la direction présentée par le prélat.
En fait, plus que des textes, ce sont les actes qui réglementent les
rapports entre les deux entités. Les différentes autorités, tant civiles que
religieuses, n’hésitent pas à manifester leur amitié à l’Église à l’occasion
des grands événements religieux tels que les fêtes chrétiennes 82 ou profanes
comme les traditionnels vœux de fin d’année. Nous sommes dans le registre
pluriséculaire des relations d’hospitalité accordées par l’islam aux autres
religions monothéistes et qui ne se comprend que dans le cadre de la cité
islamique. Cette thématique est un leitmotiv des autorités musulmanes dans
tous les pays musulmans.
À d’autres occasions, les plus hautes instances de l’État algérien ont
manifesté leur reconnaissance comme lors de l’allocution du Président
Bouteflika aux Baléares où il a demandé d’instruire un procès en
béatification pour Mgr Duval. Dans El Moudjahid, 22-23 octobre 1999, le
passage sur Duval a été reproduit dans son intégralité :
« Permettriez-vous donc, à un Algérien, musulman comme
l’ensemble de ses compatriotes, venu pourtant du pays de Saint-
Augustin, et admirateur de Raymond Lulle, ce savant philosophe
natif de Majorque lui permettrez-vous de suggérer humblement,
mais solennellement devant vous, qu’il soit demandé aux
instances autorisées la sanctification, la canonisation de notre
ami et frère Monseigneur Duval. Je voudrais le faire non
seulement pour le caractère exemplaire de sa vie spirituelle et
active, mais aussi, pour tout ce que, au-delà des barrières
idéologiques, ethniques, raciales et religieuses, il a eu le courage
d’incarner, en affirmant l’unité du genre humain devant
l’adversité qui frappe les uns au profit des autres. Inébranlable
dans ses convictions, constamment aux côtés de son peuple, le
peuple algérien, sans compromis ni compromission… pendant la
période coloniale, durant la guerre de Libération, au lendemain
de l’Indépendance, où il s’est fait partout le chantre des humbles
et des opprimés. »
La référence au cardinal Duval n’est pas la seule à être mise en avant
par les autorités algériennes, d’autres figures chrétiennes sont sollicitées
comme saint Augustin, « redécouvert » dans les années 2000.
Saint Augustin : un enfant de l’Algérie indépendante ?
Pour ce qui est de saint Augustin, il semblerait que les autorités de
l’Algérie indépendante l’aient occulté pendant quelques décennies, mais tel
ne semble pas être le cas de tous les Algériens. En 2005, lors d’un séjour
effectué en Algérie, je me suis rendue à Souk-Ahras, l’ancienne Thagaste.
Des personnes ont voulu me montrer l’olivier de saint Augustin, celui où il
venait méditer. Ces mêmes personnes m’ont dit que ce dernier était l’objet
d’une dévotion à travers un autre nom celui de Bou Chlélig, l’homme aux
petits morceaux de tissu. De quoi s’agit-il ? Sur l’olivier, présenté comme
celui d’Augustin, étaient accrochés de petits morceaux de tissu rouge. On
m’a expliqué que des personnes venaient confier au saint, dont elles
ignoraient le nom, leur vœu matérialisé par ce bout de tissu et
s’engageaient, si le vœu se réalisait, à honorer le saint personnage de
diverses manières. Cette pratique était déjà attestée pendant la période
coloniale m’ont assuré des personnes plus âgées.
Dans l’impossibilité de proposer une analyse scientifique du
phénomène, on ne développera pas davantage, mais cela permettra de
nuancer l’impression d’oubli dont Augustin semble être l’objet depuis la fin
de la présence française, même si le lycée Saint-Augustin d’Annaba n’a
jamais été débaptisé…
A priori, avec le départ des populations européennes d’Algérie, de saint
Augustin il n’est plus officiellement question avant que le Président
Bouteflika ne crée l’événement. En août 1999, lors du meeting annuel à
Rimini de l’association catholique italienne Communione e Liberazione,
Abdelaziz Bouteflika a stupéfié la presse et les intellectuels algériens par un
discours dithyrambique :
« Augustin traitait une question de droit comme un avocat de
Rome, une question d’exégèse comme un docteur d’Alexandrie.
Il argumentait comme un philosophe d’Athènes. Il racontait une
anecdote comme un bourgeois de Carthage… »
Cette citation atteste à elle seule qu’Augustin n’avait pas été oublié
mais occulté aux yeux du plus grand nombre.
Comment expliquer cet effacement de près de quarante ans ? Plusieurs
hypothèses peuvent être avancées. Après l’indépendance, le passé colonial
de l’Algérie n’a pas fait l’objet d’une approche historique. L’histoire, qui
bien souvent n’est que la servante du pouvoir, a été instrumentalisée à
travers les manuels scolaires pour prendre le contre-pied d’une autre
histoire, servante elle aussi du pouvoir, celle produite pendant la
colonisation. En effet, l’histoire coloniale, faisant la part belle à la conquête
et à la période romaine, a dévalorisé la période islamique. C’est pourquoi,
aussi bien la période romaine que le temps colonial ont été minorés dans
l’enseignement de l’histoire après 1962 pour insister sur le prestigieux
passé arabo-islamique et sur la période de la lutte contre la colonisation.
C’est ainsi que les petits Algériens se sont retrouvés coupés d’une partie de
leur histoire, donc des grands hommes de l’Antiquité comme Augustin 83 .
Par ailleurs, le développement d’un discours à connotation islamique ne
laissait que peu de place à ce Père de l’Église. Augustin s’est retrouvé dans
la situation d’être né dans une période historique non islamique et de ne pas
être musulman : il ne pouvait donc être perçu comme faisant partie du passé
de l’Algérie.
Il faut attendre 1999 pour qu’en quelques phrases, Augustin redevienne
l’enfant du pays. Une étape supplémentaire est franchie avec le colloque
organisé en son honneur en avril 2001 en Algérie. Rappelons brièvement le
contexte dans lequel cette rencontre scientifique s’est déroulée. Le contexte
international, tout d’abord : les talibans viennent de détruire les bouddhas
de Bamiyan (mars 2001). 2001 est aussi l’année consacrée par l’ONU au
dialogue entre les cultures et les civilisations. Et puis, il y a la situation
nationale algérienne. L’Algérie est en train de sortir d’une décennie
sanglante dont les victimes ont été de toutes confessions.
Toutefois, la pression du camp islamo-conservateur a conduit à modifier
le titre du colloque de « Saint Augustin entre africanité et universalité » en
« Premier colloque international sur le philosophe algérien Augustin ». Les
participants et même certains membres du comité scientifique ont découvert
le changement à l’ouverture du colloque. Deux lectures de cette
modification peuvent être proposées. Elle peut être interprétée comme un
recul face à une pression exercée par certains milieux dans un contexte de
fin de guerre civile toujours fragile. Certes, Augustin perdait sa sainteté
mais redevenait algérien. Chacun évaluera les gains et les pertes en fonction
du point de vue adopté : depuis Alger, nationaliser – j’insiste et non pas
naturaliser – Augustin semblerait plus pertinent pour renouer avec le passé
de l’Algérie ; hors d’Algérie, Augustin est surtout connu comme Père de
l’Église et sa dimension universelle semblerait plus centrale que son
enracinement algérien. Au-delà du titre, Mahmoud Bouayad, responsable de
l’organisation du colloque et conseiller auprès de la présidence, n’a pas
hésité dans un point presse à affirmer :
« On n’a eu de cesse d’expliquer que saint Augustin est algérien
et qu’il est mort avant l’avènement de l’islam. Donc on ne peut
pas lui reprocher d’être de confession chrétienne. »
Pour en revenir au colloque, il est inauguré par Bouteflika : en langue
française, cela a son importance, au Club des pins, palais où sont organisés
les grands événements du pays devant un parterre de diplomates, d’hommes
politiques, d’invités et de participants. Après avoir souligné la fierté de son
pays de compter Augustin parmi ses enfants, il a déclaré qu’Augustin se
trouve au cœur du dialogue entre les cultures et les civilisations replaçant le
colloque dans le cadre des manifestations prévues par l’ONU cette année-là.
Discours de circonstance ? Il est difficile de trancher, même si son
discours a permis de nuancer sur la scène internationale, au moins
momentanément, l’image d’une Algérie associée au fanatisme et à la
barbarie. Incontestablement, ce colloque a été salué pour sa dimension
scientifique mais aussi comme le point de départ du retour de l’enfant
prodigue.
Que s’est-il passé depuis ? Les Algériens connaissent-ils mieux leur
passé ? Si Augustin a été nationalisé par le pouvoir politique, dans quelle
mesure l’intégration dans la société algérienne à l’exception de rares cercles
est-elle opératoire ? Difficile de répondre à ces questions qui, en Algérie
comme en Europe, ne passionnent pas le grand public.
D’Augustin, il est à nouveau question au moment des travaux de
restauration de sa basilique qui après une centaine d’années d’existence a
besoin d’un lifting. L’histoire du monument est en elle-même représentative
de malentendus qui traversent les siècles. « Lala Bouna », la bonne mère,
est le nom donné à la basilique d’Augustin à Annaba. Le nom choisi par les
Algériens atteste que ce n’est pas tant le Père de l’Église mais quelqu’un
d’autre qui semble vénéré. Le lieu était avant la colonisation un espace
sacralisé par les populations qui y venaient et y pratiquer leurs dévotions :
traces de henné, de bougies, etc. Ces pratiques auraient laissé à penser aux
colons du XIX e que les populations venaient honorer « le grand marabout
chrétien » et se sont empressés, comme Dupuch, de localiser en cet endroit
les restes du monastère d’Augustin. Des fouilles ont démontré que le site de
l’emplacement actuel de la basilique n’est pas celui de l’Antiquité qui se
situe plus bas.
En 2010, il est apparu que les ravages du temps étaient en train d’avoir
raison de l’édifice et des travaux sont envisagés. Une convention est signée
entre la ville d’Annaba et celle de Saint-Étienne, avec qui elle est jumelée,
et entre la wilaya d’Annaba et la Région Rhône-Alpes 84 . Parmi les autres
donateurs, on compte l’ambassade de France, l’ambassade d’Allemagne,
des entreprises publiques et privées algériennes et étrangères (Air Algérie,
Algérie Télécom, Sider, Sonelgaz, Total, Vinci, etc.). De nombreuses
églises et communautés religieuses (l’Ordre de Saint-Augustin, la
Conférence des Évêques d’Italie, l’Église d’Allemagne…) ont aussi
participé comme le pape Benoît XVI, à titre personnel, à la demande de
Paul Desfarges, évêque de Constantine et d’Hippone. Sans oublier les dons
des anonymes. Le coût total de la restauration est estimé à près de
4,5 millions d’euros. La restauration lancée fin 2010 s’est achevée en
juin 2013. L’architecte Xavier David, en charge de la basilique de Saint-
Augustin, avait déjà été le maître d’œuvre de la restauration, achevée en
2010, de la basilique de Notre-Dame à Alger.
Le 19 octobre 2013 en présence de l’évêque de Constantine et
d’Hippone, du président du Conseil de la nation (Sénat), Abdelkader
Bensalah, deuxième personnage de l’État représentant le président
Abdelaziz Bouteflika, l’édifice a été inauguré. Parmi les invités, les
ambassadeurs en Algérie de la France, la Norvège, la Croatie, l’Allemagne,
l’Italie, la Pologne, l’Espagne, la Finlande, le Cameroun, les États-Unis,
l’Argentine, le Mexique et le chef de la délégation de l’Union européenne à
Alger ont assisté à l’inauguration.
Le 2 mai 2014, en présence de nombreux évêques, des cardinaux
Barbarin et Tauran – président du conseil pontifical pour le dialogue
interreligieux et envoyé spécial du pape François –, de Mgr Yeh Sheng Nan,
nonce apostolique en Algérie, et de nombreuses autres personnalités, ont eu
lieu les cérémonies du centenaire de son élévation au rang de basilique.
Avant sa restauration, la basilique, était visitée chaque année par
18 000 touristes, chercheurs ou curieux, et près de 1 000 pèlerins chrétiens.
Entre relations officielles et de proximité
Une autre basilique a été à l’honneur trois ans plus tôt, celle de Notre-
Dame d’Afrique. Le 13 décembre 2010 a lieu l’inauguration de la basilique
restaurée après trois ans de travaux en présence de dignitaires algériens,
d’ambassadeurs européens et d’élus marseillais. Sur le budget de 5 millions
d’euros, l’État algérien a dépensé 560 000 euros ; la ville de Marseille, le
département des Bouches-du-Rhône et la région Provence-Alpes-Côte
d’Azur 360 000 euros chacun ; l’Union européenne a mis 1 000 000 d’euros
et le reste a été pris en charge par des entreprises françaises et algériennes 85 .
Parmi les personnalités présentes : le ministre des Affaires religieuses,
Bouabdallah Ghlamallah ; le wali d’Alger (préfet) ; Jean-Claude Gaudin,
maire de Marseille ; Jean-Noël Guérini, président du Conseil général ;
Michel Vauzelle, président du Conseil régional 86 . Les travaux ont été
confiés aux mêmes experts que ceux qui ont restauré Notre-Dame de la
Garde : l’architecte Xavier David et l’entreprise française Girard 87 . Les
sujets qui fâchent n’ont pas été abordés publiquement, comme la
condamnation à des peines de prison avec sursis de quatre Algériens
protestants pour avoir ouvert illégalement un lieu de culte en Kabylie :
« Nul n’a songé non plus à s’attarder devant les mosaïques dédiées aux
moines de Tibhirine, dans l’abside droite intérieure de la basilique 88 . »
Au-delà des relations entre l’État et l’Église 89 , il ne faudrait pas oublier
les liens qui se sont forgés entre les Algériens et leur Église et dont les
manifestations au quotidien sont multiples. Il suffira de rappeler l’émotion
suscitée dans tout le pays par l’assassinat des religieux et notamment des
moines trappistes de Thibérine 90 . Cette émotion n’est que le reflet d’une
réelle « convivance » dont l’enterrement à Constantine du père d’Oncieu est
l’une des nombreuses illustrations. El Moudjahid du 25 novembre 2001 en
rendait compte :
« La foule qui a accompagné ce père chrétien qui s’appelait
François-Abdelaziz était différente de religions, de nationalités,
de niveaux culturels et économiques mais elle avait la même
appréciation sur la personnalité de l’homme : c’était un homme
de bien, et le bien sincère et désintéressé transcende toutes les
frontières de quelque nature qu’elles soient. »
Si les mouvements du cœur de la population algérienne vis-à-vis de son
Église sont empreints de respect et d’affection 91 pour ces hommes et ces
femmes qui ont choisi en conscience d’être à leurs côtés dans la période
difficile qu’ils traversent, les relations qu’entretiennent les autorités sont
plus délicates à interpréter, car influencées par des considérations tant de
politique intérieure que de politique extérieure. Dans une période où
l’Algérie a besoin de ménager son image sur la scène internationale, les
gestes et les paroles en direction de l’Église pourraient aussi être interprétés
en ce sens. Plusieurs lectures des propos du Président Bouteflika à
l’Assemblée nationale française sont possibles :
« Permettez-moi ici de rendre un hommage à la rare abnégation
dont l’Église d’Algérie a fait preuve, aux pires moments de la
tourmente, en poursuivant, sans sourciller, sa mission de
témoignage et de solidarité humaine dans mon pays 92 . »
Si les relations de bon voisinage sont réelles et s’il n’est pas possible a
priori de douter de la sincérité des hommages officiels, il n’est pas possible
de les déconnecter de leur contexte national et international. De plus, les
déclarations publiques et solennelles n’empêchent pas l’existence de
tensions entre les autorités et l’Église. Les conflits sont de natures diverses
et peuvent aller jusqu’au procès. À titre d’illustration, le contentieux entre
la direction des biens waqfs et l’association diocésaine d’Algérie sur un
terrain à Oran. L’affaire commencée en 1995 n’était pas encore résolue en
1999 alors que différentes instances judiciaires avaient donné gain de cause
à l’association diocésaine. Il est encore difficile d’établir une typologie des
contentieux, mais les contestations de biens d’Église doivent être parmi les
plus courantes.
Les relations ne se limitent pas aux déclarations de bonnes intentions et
les sources de conflits sont réelles. Certes, les rapports se sont établis sur
des modalités de bonne entente, mais l’absence, jusqu’en 2006, d’une
législation en dit long.
LE TOURNANT DE 2006
La législation du 29 muharram 1427 (28 février 2006)
En février 2006, le statut légal de l’Église catholique, dans un pays qui
affirme dans l’article 2 de sa constitution que « L’islam est la religion de
l’État », a changé. Il n’existait pas avant l’ordonnance n o 06-03 du
29 muharram 1427, correspondant au 28 février 2006 (publiée dans le
Journal officiel de la République algérienne du 1 er mars 2006), de texte
fixant les conditions et règles d’exercice des cultes autres que musulman.
En effet, au moment de l’indépendance, l’Église catholique, nous l’avons
vu, a continué à être régie par la législation en vigueur pendant la période
coloniale car la loi du 31 décembre 1962 reconduisait la législation
française. Cette dernière est abrogée par l’ordonnance du 5 juillet 1975. À
partir de ce moment, le culte catholique va progressivement s’inscrire dans
la législation sur les associations qui connaît différentes évolutions. La
dernière en date est celle de la loi n o 90-31 du 4 décembre 1990 relative aux
associations, publiée au Journal officiel de la République algérienne n o 53
du 5 décembre 1990. C’est le 17 juin 1993 que les nouveaux statuts de
l’Association diocésaine ont été mis en conformité avec la loi n o 90-31.
Depuis février 2006, un nouveau cadre juridique spécifique aux cultes
non musulmans est en vigueur. Les autorités l’ont justifié d’une part, par
l’activité de missionnaires d’obédiences néo-évangéliques et des
conversions supposées ou réelles auprès des populations et, d’autre part, par
la volonté de doter les cultes non musulmans d’un véritable statut qui les
distinguerait des autres associations. Implicitement, il revient à l’État de
désigner qui peut accéder au statut de culte reconnu et non plus seulement à
celui d’association reconnue.
Dans les faits, la nouveauté réside, en partie, dans les sanctions pénales
prévues par l’ordonnance notamment dans son article 11 :
« Sans préjudice des peines plus graves, est puni d’un
emprisonnement de deux (2) ans à cinq (5) ans et d’une amende
de 500 000 DA à 1 000 000 DA quiconque :
1. incite, contraint ou utilise des moyens de séduction tendant à
convertir un musulman à une autre religion, ou en utilisant
à cette fin des établissements d’enseignement, d’éducation, de
santé, à caractère social ou culturel, ou institutions de formation,
ou tout autre moyen financier,
2. fabrique, entrepose, ou distribue des documents imprimés ou
métrages audiovisuels ou par tout autre support ou moyen qui
vise à ébranler la foi d’un musulman 93 . »
En d’autres termes, le prosélytisme religieux est désormais strictement
interdit par la loi, ce qui n’était pas le cas auparavant. La jurisprudence qui
sera faite laisse une marge d’interprétation aux juges. En effet, dans quelle
mesure pourra-t-on estimer qu’il y a « séduction » ou que la foi est ébranlée
par tel ou tel document ? On remarquera que les vecteurs de la diffusion des
idées religieuses sont clairement identifiés : l’enseignement, la santé, la
culture et l’argent. Certes, l’enseignement, la santé et la culture constituent
des vecteurs classiques de la présence des missions chrétiennes. Toutefois,
pour les missions catholiques d’hier comme d’aujourd’hui, dans leur grande
majorité, l’argument pécuniaire ne semble pas fondé. Il en est de même
pour bien des Églises protestantes, notamment européennes. La situation
semblerait moins tranchée pour ce qui concerne certaines Églises anglosaxonnes
et américaines. En revanche, l’argument financier comme outil de
la propagande missionnaire est activé du côté musulman depuis une
centaine d’années dans des discours visant à dénoncer les activités des
missions chrétiennes. Quelle est sa réalité aujourd’hui ? Une pluralité de
situations coexiste.
Si des sanctions sont prévues à l’encontre des prosélytes, ni
l’ordonnance ni le texte de la constitution, qui garantit dans son article 36 la
liberté de conscience et la liberté d’opinion, ne semblent prévoir de
sanctions en direction des convertis. En effet, à la différence de bien
d’autres pays où l’islam est la religion de l’État, la République algérienne
ne connaît pas, juridiquement, le statut d’apostat.
L’apostasie (irtidâd, ou ridda, litt. « retrait, recul, repli ») dans une
conception islamique, consiste dans le changement de religion au détriment
de l’islam, l’inverse, i. e. la conversion à l’islam, n’est pas considérée
comme un acte apostat. Délicat sujet que celui de l’apostasie étant donné
que le Coran n’indique pas de châtiment terrestre pour l’apostat (murtadd)
mais des peines dans l’au-delà (voir notamment S XVI, V108-106 94 , 109-
107 95 , 111-110, 112-111, etc.). En revanche, la question ne semble pas
pouvoir être tranchée pour le Hadith car selon les tendances exégétiques et
les hadiths choisis, les conclusions sont diamétralement opposées.
Cependant, les différentes écoles n’ont pas hésité à prescrire la
condamnation à mort qui fut mise en application par certains gouvernants.
Le statut des apostats varie encore aujourd’hui d’un État à l’autre. De plus,
il faut être attentif au fait que son existence dans la loi n’indique pas quelle
application sera faite en cas de litige. Dans les États où la condamnation à
mort pour apostasie est prévue par la législation, le fiqh prévoit aussi
l’invitation à la repentance. Le non-respect de ce principe a déclenché la
levée de boucliers des grands ayatollahs dans l’affaire Rushdie, alors que
son application formelle et non sincère dans le cas de Mahmoud
Muhammad Taha a conduit ce dernier à la mort 96 . Tous les cas de figure
sont possibles dans le domaine juridique qu’il convient de bien distinguer
des réactions des populations face aux convertis : là aussi, les généralités
sont à proscrire. Ainsi, l’évaluation de la portée réelle des textes de loi ne
devrait pas dépendre seulement de leur lecture, mais aussi d’une analyse
socio-anthropologique de leur application. Pour ce qui concerne la
législation algérienne, nous pouvons simplement dire qu’elle n’a pas codifié
de statut de l’apostat.
Toutefois, l’existence d’un statut personnel régi par la loi n o 84-11 du
9 juin 1984 sur le code de la famille et modifiée par l’ordonnance n o 05-02
du 27 février 2005, pose la question du statut d’un citoyen algérien de
confession chrétienne. Ces derniers existent actuellement sur le territoire
algérien et sont régis, comme leurs concitoyens musulmans, par une
législation de statut personnel musulman 97 . Dans ce cadre juridique, ils se
trouvent confrontés à une série de difficultés notamment celles concernant
les règles successorales : il est, par exemple, interdit à un non-musulman
d’hériter d’un musulman 98 . Le citoyen algérien non-musulman ne peut
donc, si l’on applique strictement cette logique, hériter ni de son conjoint ni
de ses ascendants et descendants. Cette attitude n’est pas sans rappeler celle
des autorités coloniales pour qui un musulman converti au christianisme
restait au regard de la loi un musulman dans le sens où il restait soumis au
statut personnel musulman « sans qu’il y ait lieu de distinguer ou non s’il
appartient au culte mahométan 99 ».
La question non résolue du pluralisme religieux
Depuis l’indépendance, la législation algérienne, comme toute autre
législation, entend soumettre tous ses citoyens à des normes légales
identiques. De plus, à la différence du Machrek, le Maghreb ne connaît plus
de chrétienté autochtone issue de l’Antiquité. Dans le processus de
codification engagé par l’Algérie indépendante, les sources du droit sont
plurielles et la « charia » en fait d’autant plus partie que la mystique
révolutionnaire a fait de l’identité islamique de la nation algérienne un
adage. Or, l’Algérie, plus encore que d’autres États, connaît une évolution
de la sociologie religieuse avec, entre autres, des personnes qui ne se
reconnaissent plus dans l’islam.
Lors d’un séjour à Alger en décembre 2004, Mgr Teissier, alors
archevêque d’Alger, me faisait part de sa préoccupation face à l’action de
groupes évangéliques 100 . Si la question de la mission auprès des musulmans
a pu exister dans le catholicisme, elle n’est plus d’actualité dans sa variante
qui faisait du baptême la finalité de l’action missionnaire catholique en
terres d’islam. Le prélat redoutait l’amalgame qui pourrait être fait entre ces
actions missionnaires et l’Église catholique. Amalgame que j’ai pu
constater dans certaines discussions, mais qui relevait, dans ces cas précis,
d’une confusion manifeste de vocabulaire où les mots « chrétiens » et
« christianisme » étaient interchangeables avec ceux de « catholiques » et
« catholicisme ». Les mêmes imprécisions existent en Occident où les
« musulmans » sont appréhendés comme un bloc monolithique, quand ils
ne sont pas confondus avec les « Arabes ». Précisons que les discussions,
notamment dans la presse algérienne, faisaient alors état de
25 000 conversions en Kabylie et de l’édification de nouveaux lieux de
culte. Ces informations ont circulé sans qu’il soit possible de les confirmer
ou de les infirmer. Il n’est toutefois pas anodin de souligner l’accord
unanime pour affirmer que les conversions avaient essentiellement lieu en
Kabylie. Que cela soit fondé ou non, cette affirmation renvoie à des débats
internes à l’Algérie, à sa construction identitaire sur le modèle de l’Étatnation
et aux limites de ce modèle. C’est dans ce contexte qu’il faut aussi
replacer la législation actuelle.
Cependant, le droit algérien renvoie, comme bien d’autres, au paradoxe
de devoir concilier à la fois une législation nationale qui se veut, pour
partie, d’inspiration religieuse et le respect de principes internationaux
auxquels l’État algérien a souscrit dès sa création, comme la Déclaration
universelle des droits de l’homme. Dans les faits, cette situation conduit à
une aporie juridique. De plus, les dirigeants sont confrontés, eux aussi, à
une évolution de la sociologie religieuse qui, si elle n’est pas significative
en termes quantitatifs, pose sur le plan théorique de nouvelles questions 101 .
L’environnement international et les discours à prétention universaliste des
uns et des autres ne sont pas non plus à minimiser. Les perceptions des
réalités conditionnent des représentations où domine le sentiment d’une
offensive en direction de l’islam. Cela peut, en partie, expliquer la mise en
œuvre de politiques défensives dans un contexte où une majorité des
musulmans se sent agressée. Étrange constat que celui de peurs réciproques
dont il faut tenir compte, fussent-elles fondées, en partie, sur des
imaginaires réactivés de part et d’autre et amplifiés par des médias en quête
de sensationnel.
Le sujet est jugé suffisamment important pour que le gouvernement
algérien organise en 2010 un colloque intitulé « L’exercice du culte, un
droit garanti par la religion et la loi » auquel étaient conviés les
représentants de différentes religions. Même si l’une des finalités de ce
colloque était de « redorer son blason et faire une opération de
communication », l’archevêque d’Alger a précisé que « le colloque luimême
a laissé chacun s’exprimer en toute liberté 102 ».
Les évêques d’Algérie avaient déjà dénoncé, dans un communiqué du
25 janvier 2010, le saccage d’un temple protestant à Tizi-Ouzou. Lors du
colloque, l’archevêque a cité des passages du synode sur l’Afrique
dénonçant les entraves à la liberté de culte dans les pays à majorité
musulmane. Il a aussi évoqué de manière explicite la situation en Algérie
où, certes, l’existence d’autres religions que l’islam est reconnue mais où
demeurent certains problèmes concrets. Parmi les questions soulevées, celle
de la difficulté d’obtention des visas : « De fait, l’administration refuse de
plus en plus fréquemment leurs visas aux prêtres et religieux 103 . » Cette
situation est attestée depuis une quinzaine d’années, mais les difficultés
semblent s’accroître. Il faut rappeler que le personnel religieux est de plus
en plus âgé et que le maintien de la présence d’ecclésiastiques est
conditionné par l’arrivée de nouveaux prêtres. Par ailleurs, un autre
problème se fait jour : celui du renouvellement des titres de séjour.
Rappelons que la question des visas touche tous les religieux catholiques
toutes nationalités confondues mais ne concerne pas les laïcs catholiques.
Se pose la question de l’asphyxie de la communauté catholique en termes
de clercs et du rôle des laïcs au sein de l’Église. Cette problématique se
retrouve dans des pays de vieux catholicisme même si elle conserve des
spécificités en Algérie.
La seconde interrogation porte sur les lieux de culte dans la mesure où
l’ordonnance de 2006 précise que la pratique religieuse doit se dérouler
dans des lieux prévus à cet effet. Le texte précise que « les édifices destinés
à l’exercice du culte sont soumis au recensement par l’État qui assure leur
surveillance » : il faut donc déclarer tous les lieux où un culte peut être
célébré ; l’article 7 indique que « l’exercice du culte a lieu exclusivement
dans des édifices destinés à cet effet, ouverts au public et identifiables de
l’extérieur ». C’est pourquoi, est interdite « toute activité dans les lieux
destinés à l’exercice du culte contraire à leur nature et aux objectifs pour
lesquels ils sont destinés ». Cette loi laisse aux autorités administratives et
policières un grand pouvoir en direction de tous les groupes religieux.
Or, dans le Sud, il n’existe pas d’église et les demandes d’autorisations
administratives pour organiser le culte n’arrivent pas toujours. Ainsi, en
2007, à Ouargla, il a été impossible de célébrer la messe de Pâques dans un
camp d’expatriés travaillant dans le secteur des hydrocarbures car aucun
lieu de culte officiel n’y est déclaré.
Deux possibilités s’offrent alors aux ecclésiastiques et à leurs fidèles :
renoncer à leur pratique ou tomber sous le coup de la loi s’ils décident de
célébrer l’office dans un lieu pour lequel ils n’ont pas reçu d’autorisation
administrative.
L’histoire ne se répète jamais, mais bégaie étrangement : le parallèle
avec les difficultés auxquelles ont été confrontés les musulmans pendant la
période coloniale renvoie à celles rencontrées par les catholiques mais aussi
les protestants aujourd’hui.
Un paysage contrasté dans un contexte délicat
Aujourd’hui, l’Église catholique en Algérie est plus que jamais une
Église de l’enfouissement, par choix théologique mais aussi en réponse à la
contrainte sociale. Je reproduirai ici une anecdote révélatrice de certains
points de vue. Un doctorant en sciences religieuses de l’université de
Constantine, venu faire un stage à Lyon, avait pour objectif de se
familiariser avec le catholicisme à travers la bibliographie. Je lui indiquais
alors la possibilité de s’adresser au diocèse de Constantine qui dispose
d’une bibliothèque lui permettant une première approche. Il était
parfaitement au fait de cette possibilité, mais expliquait que cette démarche
lui apparaissait comme beaucoup plus complexe : comment justifier qu’il
franchisse la porte d’un établissement chrétien ? Le regard des autres et la
nécessité de devoir s’expliquer justifiaient qu’il préfère venir en France 104 .
Je lui ai donc suggéré de se rendre au centre diocésain des Glycines à Alger
où l’anonymat de la capitale lui permettrait de poursuivre sa quête
documentaire. Le rôle de ces bibliothèques a été et reste fondamental pour
une partie de l’élite algérienne comme l’atteste la présence de nombreux
étudiants lors des funérailles de Pierre Lafitte,
« un prêtre très discret qui travaillait dans une bibliothèque… : la
cathédrale était bondée, pour les trois quarts des étudiants
musulmans qui ont prié et apporté des témoignages
bouleversants 105 ! »
L’investissement dans le monde universitaire reste important à travers
des centres de documentation spécialisés comme le CDES (centre de
documentation économique et sociale) d’Oran ou encore le centre
interdiocésain des Glycines à Alger qui regroupe des fonds en provenance
de plusieurs bibliothèques. Pour l’Église d’Algérie, ces bibliothèques
représentent des lieux de culture et de rencontre. Dans le diocèse d’Oran,
existent plusieurs bibliothèques depuis plusieurs décennies. À Oran, les
sœurs blanches ont une bibliothèque ouverte aux étudiants de langues, de
littérature et les pères blancs ont créé une bibliothèque biomédicale ; à
Mascara et à Sidi-Bel-Abbes se trouvent d’autres établissements. Toutes ces
bibliothèques disposent d’ouvrages sur des sujets de société comme la
démocratie, la citoyenneté, la situation de la femme, etc. 106 .
« Sur le diocèse de Constantine, “Dilou”, au sein même de
l’évêché, accueille à la fois des étudiants en langue anglaise et
ceux de l’Institut des sciences islamiques, dans le cadre de
modules sur les religions comparées. Sur le diocèse du Sahara
s’installent grâce aux Pères Blancs une bibliothèque et un centre
de documentation sur les cultures et civilisations du Sahara. À
Tizi-Ouzou… une bibliothèque de langue anglaise, tenue par les
Pères Blancs 107 . »
Toutefois, certains prélats comme Mgr Vesco, évêque d’Oran,
s’inquiètent de la place de leurs bibliothèques dans un monde où internet
permet d’accéder directement à l’information et où le nombre de
bibliothèques publiques est en augmentation 108 . Quelle sera la place pour
une Église catholique dont la fonction sociale semble remise en question
par la diffusion du réseau internet ? Les modalités de son insertion sociale
sont à court terme à repenser.
Dans un premier temps, il a été question de poursuivre la présence
catholique à travers les différentes œuvres héritées de la période coloniale
en les mettant à la disposition de l’Algérie indépendante. Avec la charte de
1976, cette option a été repensée dans le nouveau programme politique :
l’action catholique pouvait se poursuivre, mais pas en son nom propre.
C’est de là qu’il est possible de dater la première phase d’enfouissement de
l’action sociale de l’Église. Clergé séculier comme régulier ont accepté de
perdre leur autonomie et leur visibilité en tant qu’Église pour se maintenir
auprès des Algériens. Leur nombre est en constante diminution 109 .
Dans un document remis par l’archevêché d’Alger, nous pouvons avoir
un tableau de la présence de l’Église dans le diocèse en mars 2002. Il est
reproduit dans son intégralité :
« Évolution des présences sacerdotales et religieuses dans le
diocèse d’Alger depuis 1995.
Prêtres et religieux arrivés depuis 1995 : 13 nouveaux arrivés
sur 50.
En 1995 : 60 prêtres et religieux (13 départs et 15 décès dont nos
11 victimes).
Religieuses arrivées depuis 1995 : 34 nouvelles arrivées sur 75.
Il y avait 145 religieuses en 1995 (dont 28 Clarisses, 28 Sœurs
Blanches et 15 petites Sœurs des Pauvres).
Ce qui fait 47 nouveaux arrivés sur 125 prêtres, religieux et
religieuses. »
Les activités sont diversifiées : bibliothèques, centres de soutien
scolaire, jardin d’enfants, foyer des jeunes, catéchisme (filles de la Charité,
20 enfants), Caritas interdiocésaine, etc.
En 2010, il reste à Constantine une seule religieuse, sœur blanche, après
la fermeture en 2009 de la maison constantinoise des religieuses de la
doctrine chrétienne 110 . À Oran, en vingt ans le nombre de prêtres est passé
de dix à cinq, celui des religieuses de 70 à 35 et celui des lieux de culte est
passé de douze à six 111 . Rappelons qu’en 1975, l’Oranie comptait un millier
de fidèles, 150 religieuses et 50 prêtres 112 . En 2012, le diocèse d’Oran,
comptait environ 500 fidèles catholiques répartis dans sept paroisses, « soit
25 fidèles par prêtre (au nombre de 20) : le taux le plus faible du
monde 113 … ». Il s’agit pour l’écrasante majorité d’entre eux d’expatriés
avec une part croissante représentée par des populations issues d’Afrique
subsaharienne. Un grand nombre est constitué d’étudiants :
« Il y avait 300 personnes lors de la messe du premier dimanche
de l’Avent, à Oran, et seulement trente “visages pâles”, tous les
autres étaient Noirs. La moyenne d’âge était d’environ 22 ans !
Ce sont des étudiants qui viennent de toute l’Afrique, souvent
des boursiers de l’État algérien, francophones, anglophones ou
lusophones, d’au moins quarante nationalités 114 . »
Mais d’autres sont des migrants qui envisagent de rejoindre l’Europe :
« Oran est à 140 kilomètres du Maroc. Ces migrants ont traversé
le désert pour arriver jusque-là en espérant passer au Maroc puis
en Espagne. En 2002-2005, il y avait des camps non loin de la
frontière, où ils se rassemblaient par pays, mais tout a été rasé et
les autorités ne laissent plus se développer de tels sites. On
retrouve donc beaucoup de migrants à Oran, avec beaucoup
d’enfants qui naissent – environ 150 en 2013. Souvent, ils sont
envoyés dans le pays d’origine mais beaucoup s’installent et
s’installeront de plus en plus 115 . »
Ces caractéristiques se retrouvent aussi en Tunisie : une présence
catholique discrète, remplissant une fonction éducative – notamment à
travers les bibliothèques – et dont la composition sociologique a évolué
avec la présence de fidèles en provenance d’Afrique subsaharienne.
Autre spécificité partagée avec la Tunisie, le premier archevêque non
européen est un Jordanien 116 . Il s’agit de Mgr Ghaleb Moussa Abdallah
Bader. Né en 1951 en Jordanie, ordonné prêtre en 1975, docteur en droit
civil de l’Université de Damas, docteur en philosophie et droit canonique de
l’Université du Latran. Il a enseigné dans plusieurs séminaires et a été
président du tribunal ecclésiastique de Jérusalem. Il a exercé une activité
paroissiale en Jordanie. De 1996 à 2001, il a été consulteur pour le Conseil
Pontifical pour le dialogue interreligieux. Il reste en poste à Alger entre
2008 et 2015. Depuis mai 2015, Mgr Bader est nonce apostolique au
Pakistan.
Lors de son investiture comme archevêque d’Alger, le vendredi
9 octobre 2008, la presse indique que « l’église était archicomble 117 … ». Le
journal algérien El Watan n’est pas en reste : il donne la liste de tous les
officiels présents et relate la cérémonie 118 . Du côté officiel algérien, étaient
présents : Chérif Rahmani, ministre de l’environnement venu en qualité de
représentant officiel du chef de l’État, Abdelaziz Bouteflika ; Cheikh
Bouamrane, président du Haut Conseil islamique ; le ministre des Affaires
religieuses, Bouabdallah Ghlamallah, le président de l’association des
oulémas algériens, Abderrahmane Chibane, Mustapha Chérif, le directeur
de la Bibliothèque nationale, Amin Zaoui.
Du côté catholique, les évêques de Tunis et de Rabat, le nonce
apostolique ont fait le déplacement ; on mentionne aussi la présence de
représentants de l’Église de Jérusalem et d’une importante délégation
jordanienne. En tout, plus de 600 personnes, selon El Watan. Le journal
reproduit plusieurs déclarations de l’archevêque dont deux nous semblent
particulièrement pertinentes : « Tout citoyen arabe devrait se sentir chez lui
dans tout pays arabe » et « Cela veut dire aussi que l’Église ne fait pas
partie de l’héritage de l’ère coloniale. »
Ce choix pour un prélat arabe est un signal fort donné par le Vatican et
une nouveauté radicale dans le paysage religieux algérien. Certes, les
Algériens savent qu’il existe des chrétiens arabes mais, jusque-là, leur
existence était théorique. Avec le nouvel archevêque, le catholicisme prend
un nouveau visage qui est en rupture avec des représentations séculaires.
Pourtant, la présence de cet ecclésiastique est diversement appréciée des
laïcs algériens qui travaillent aux côtés des catholiques et même de certains
catholiques. Cette nomination renvoie à la question des rapports complexes
entre « Orientaux » et Maghrébins, au-delà des considérations religieuses.
C’est ainsi que l’arrivée de sœurs en provenance du Machrek a pu susciter
certaines tensions qui ont conduit à leur départ alors que la présence de
religieux et d’autres religieuses, notamment d’Europe du Sud, ne pose pas
de problèmes. Il en est de même pour les prêtres africains qui se retrouvent
confrontés au racisme de certains Algériens et dont certains comportements
sont incompris des populations comme des fidèles. Le constat qui est fait
est celui d’une incompatibilité perçue comme culturelle entre certains clercs
africains comme orientaux et même certaines religieuses arabes et la société
algérienne musulmane, voire catholique.
En optant pour une arabisation du clergé en Tunisie comme en Algérie,
Rome entendait probablement mettre un terme à une présence française et
européenne, qui jusque-là était en position dominante, en nommant des
Arabes catholiques. Cette volonté d’arabisation devait, vraisemblablement,
signifier un tournant politique. Cependant, dans le cas algérien, le Saint-
Siège n’a pas suffisamment mesuré les conséquences et les malentendus
possibles liés à une situation algérienne paradoxale. Si, en Algérie, certains
considèrent qu’il est important pour l’Église de restreindre les liens avec
l’ancienne puissance coloniale, force est de constater que les religieux et les
religieuses catholiques français restent avec ceux d’Europe du Sud, ceux
qui possèdent les clés pour comprendre cette société complexe. En
juin 2016, le Saint-Siège a nommé Mgr Luciano Russo, ancien nonce
apostolique du Rwanda, comme nonce en Algérie, mais le siège
archiépiscopal d’Alger était toujours vacant à cette date.
Malgré ces considérations, les relations avec les autorités algériennes
n’ont pas été bouleversées par la présence d’un prélat arabe. En
septembre 2012, le ministère des affaires religieuses a présenté au
Gouvernement un nouveau projet de décret régissant l’organisation des
associations religieuses, soit une application effective d’une loi adoptée le
12 janvier 2012. Le nouveau texte proposé demande instamment à ces
associations de « respecter l’unité nationale et la référence religieuse de la
société ». Il poursuit en indiquant que la création de telles associations est
« soumise à une déclaration constitutive, avant d’être soumise aux autorités
des affaires religieuses » chargées d’examiner leurs demandes. Selon le
journal La Croix du 12 septembre 2012, si ce texte est adopté, le
Gouvernement aura à tout moment le pouvoir de mettre un terme aux
activités sociales et caritatives de l’Église. Si les modalités de son insertion
sociale se posent, la question de sa vocation missionnaire a-t-elle été
résolue depuis plusieurs décennies.
L’Église catholique dispose d’un nouveau cadre théologique depuis le
concile Vatican II et la déclaration Nostra Aetate (28 octobre 1965). Le
cheminement vers ce texte atteste de la victoire d’une conception
jusqu’alors minoritaire dans l’Église, celle d’un apostolat du témoignage
incarné par le père Charles de Foucauld.
Ce dernier est, depuis l’indépendance, perçu par la majorité des
Algériens comme un agent de la colonisation et présenté comme tel dans les
manuels d’histoire officiels ou par certains médias. Des tensions sont
apparues avec les autorités algériennes au moment de sa béatification. En
2016, année du centième anniversaire de sa mort, il est à nouveau question
de canonisation du père Charles chez les différents groupes qui se réclament
de sa spiritualité, essentiellement chez les membres qui sont hors d’Algérie.
Les autorités algériennes restent sur la réserve car une distinction est établie
entre les « bons » et les « mauvais » chrétiens de l’histoire de l’Algérie :
saint Augustin comme Mgr Duval font partie du premier groupe, Charles de
Foucauld du second. Parmi les points de divergence entre les autorités
catholiques et les autorités civiles, la question de la canonisation du père
Charles mais aussi de celle des victimes de la décennie sanglante est un
sujet délicat et éminemment politique qui pèsera dans les années à venir. Du
point de vue de l’État algérien, le père Charles reste un symbole de
l’époque coloniale alors que pour ses disciples il a inauguré une nouvelle
forme de mission, toujours d’actualité, qui offre les conditions d’une
présence catholique respectueuse des musulmans.
Dans l’entre-deux-guerres, différentes stratégies missionnaires ont été
expérimentées et différentes options théologiques élaborées. Le contexte
conciliaire crée une conjoncture favorable à l’ouverture dont l’islam ne fait
que bénéficier sans l’avoir suscitée : c’est le texte sur le judaïsme qui est le
catalyseur. Des personnes jusque-là minoritaires et ouvertes à l’islam font
de leur discours la référence, la norme. Cette ouverture et cette issue
n’étaient en aucun cas prévisibles 119 . L’Église a depuis une position
officielle, celle du dialogue, mais la diversité des positions subsiste 120 .
Cet apostolat du témoignage n’implique pas de renoncer à la pratique
religieuse même si cette dernière présente ses propres spécificités. Les
témoignages sont nombreux, celui du père Janicot est retenu ici comme
exemple du type de vie religieuse rencontré en Algérie 121 . Le père Janicot
décrit la réalité de son ministère à Aïn Turck, dans les années 1980 et au
début des années 1990. Il fait état de peu de fidèles, essentiellement des
expatriés comme les Polonais des chantiers navals de Mers el-Kébir ou
encore des coopérants français, des étudiants d’Afrique subsaharienne et
parfois des Algériens musulmans désireux de partager un moment de prière
avec leurs amis catholiques. Il explique aussi comment il a célébré
l’eucharistie tous les quinze jours avec une quinzaine de personnes dans
l’église du Saint-Esprit qui se situe au centre-ville d’Oran, en face de la
grande poste, tout près de la rue des Aurès en présence d’une quinzaine de
fidèles. Parmi les personnes présentes, trois petites sœurs de Jésus qui
vivent dans l’un des quartiers les plus populaires d’Oran ; trois sœurs de la
doctrine chrétienne qui vivent dans un appartement au-dessus de l’église,
l’une d’entre elle s’active au service Caritas du diocèse d’Oran ; trois sœurs
blanches et une jeune femme polonaise qui travaillent dans une
bibliothèque et s’occupent de formation auprès des femmes algériennes ;
trois frères maristes, « un Irlando-Australien, un Hispano-Chilien, et un
Français » qui travaillent dans une bibliothèque et donnent des cours de
langue française. À cette petite communauté, peut se joindre une personne
de passage. Les petites communautés de ce type sont présentes dans toute
l’Algérie et sont le reflet de la vie des catholiques en Algérie depuis
quelques décennies déjà. Cette vie est relayée par la presse catholique
comme l’attestent les semaines religieuses, mais aussi une nouvelle revue,
Pax et Concordia 122 .
Quatre parutions annuelles donnent un aperçu de l’actualité des
diocèses et de l’Église universelle. « Chaque mois, un auteur algérien
proposera une analyse pour la rubrique “Regard sur l’Algérie” et un dossier
présentera un aspect de la société algérienne témoignant de l’implication de
l’Église dans ce domaine. » Il s’agit d’une revue interdiocésaine avec une
équipe de rédaction qui comporte une personne de chaque diocèse. Le
français reste la langue principale de la revue.
« Pax et Concordia tire son nom d’une célèbre mosaïque trouvée
à Tipasa, site romain situé à 60 km à l’ouest d’Alger, qui porte
l’inscription suivante : In Deo, pax et concordia sit convivion
nostro (“En Dieu, que la paix et la concorde soit sur notre
partage”). Le Convivium évoqué sur cette stèle est probablement
stricto sensu un repas funéraire. Mais une interprétation
contemporaine aime à élargir le cercle des convives pour appeler
la paix et la concorde sur tous ceux qui vivent ensemble sur cette
terre d’Algérie 123 . »
1. J. JANIN, Les diocèses coloniaux jusqu’à la loi de Séparation (1850-1912), Paris, Imprimerie
d’Auteuil, 1938.
2. H. MAUrier, « Lavigerie, la mission civilisatrice du christianisme en Afrique », Petit écho,
spécial n o 5, 1992.
3. AOPM G9 Alger.
4. O. SAAÏDIA, Clercs catholiques et oulémas sunnites dans la première moitié du XX e siècle,
Discours croisés, Paris, Geuthner, 2004.
5. AAA/212, R. BÉNICHOU, « Ce que fut “L’union des croyants monothéistes” », édité par la
commission culturelle juive d’Algérie et le bureau nord-africain du congrès juif mondial, 1 rue
Mahon, Alger, p. 221-227, « L’amitié judéo-chrétienne », janvier 1949.
6. Le centenaire du vote de la loi de Séparation a donné lieu à de nombreuses publications dont
certaines se sont ouvertes sur l’outre-mer. C’est le cas du colloque tenu à Lyon en 2004, édité
par J.-P. Chantin et D. Moulinet qui fait la part belle aux colonies. Outre-Mers Revue d’histoire
a consacré un numéro spécial à l’application de la loi aux colonies Outre-Mers Revue
d’Histoire, « La loi de 1905 et les colonies », 2 e semestre, 2005.
7. On trouvera une notice biographique rédigée par Jacques Cantier et Jacques Prévotat pour
chacun d’eux dans le Dictionnaire des évêques français au XX e
siècle sous la direction de
Dominique-Marie Dauzet et Frédéric Lemigne, Paris, Cerf, 2010.
8. A. PONS, La nouvelle…, op. cit., p. 173.
9. Ibid., p. 194.
10. Ibid., p. 150.
11. Ibid., p. 176.
12. O. SAAÏDIA, L’Algérie coloniale…, op. cit., p. 333-334.
13. A. PONS, La nouvelle…, op. cit., p. 177.
14. C. MYCINSKI, « Une chrétienté algérienne après l’épreuve. La vie religieuse des Européens
de confession catholique du diocèse d’Oran au sortir de la Grande Guerre d’après la Semaine
Religieuse (1918-1924) », mémoire de Master II, sous la direction de O. Saaïdia, Université
Lyon 2/ENS de Lyon, 2014, p. 32-34.
15. A. PONS, La nouvelle…, op. cit., p. 175.
16. Ibid., p. 151.
17. Ibid.
18. Ibid., p. 149.
19. Ibid., p. 173.
20. Ibid., p. 195.
21. Ibid., p. 203.
22. Ibid., p. 178 : « Sidi-Bel-Abbès : 25 000 catholiques sur 41 000 habitants ; Mostaganem :
12 000 catholiques, 24 129 habitants ; Perrgaux : 7 000 catholiques, 16 000 habitants ; Saïda :
7 000 catholiques, 12 000 habitants ; Mascara : 6 000 catholiques, 25 000 habitants ; Tiaret :
6 000 catholiques, 15 795 habitants ; Azrew : 5 000 catholiques, 7 135 habitants ; Aïn-
Témouchent : 5 000 catholiques, 10 000 habitants ; Tlemcen : 4 500 catholiques,
40 775 habitants ; Relizane : 4 000 catholiques, 14 023 habitants ; Le Sig : 4 000 catholiques,
10 000 habitants, etc. » Il est difficile de vérifier ces chiffres dont l’auteur n’indique pas la
source.
23. Ibid., p. 202.
24. Ibid.
25. Ibid.
26. Ibid., p. 203.
27. Ibid.
28. Ibid., p. 152.
29. Ibid., p. 176.
30. Ibid.
31. Ibid., p. 152.
32. Ibid.
33. Ibid., p. 153.
34. Ibid., p. 154.
35. Ibid., p. 151.
36. Je pense à un dépouillement systématique de la presse nationale, algérienne catholique ou
non. Un petit opuscule a aussi été publié Alger 3-7 mai 1939 XII e
Congrès eucharistique
national Compte rendu officiel Archevêché d’Alger. Des articles ont notamment été publiés dans
La Croix du 19 janvier 1939 et un appel à souscription lancé par l’archevêque paraît aussi dans
ce journal. L’article du 19 janvier 1939, signé par l’abbé Thellier de Poncheville, annonce le
programme des festivités.
37. Il est disponible sur le site de la médiathèque de Bretagne. Intitulé « Congrès eucharistique
d’Alger, 1939 », il a pour réalisateur Emmanuel Vaillant. Il s’agit d’un documentaire, amateur et
muet, qui, en 25 minutes, filme, depuis le départ de congressistes bretons, les moments qu’il a
estimé les plus importants.
38. Cf. Claude Prudhomme, Missions chrétiennes et colonisation, op. cit., p. 141-146.
39. D. PELLETIER et J.-L. SCHLEGEL (dir.), À la gauche du Christ : Les chrétiens de gauche en
France de 1945 à nos jours, Paris, Seuil, 2012, p. 294-297.
40. AGMAfr., Rapports annuels, 1958/15, 4.2. Consultables en ligne sur le site www.mafromearchivio.org.
41. AGMAfr., Rapports annuels, 1955/13, 7. Consultables en ligne sur le site www.mafromearchivio.org.
42. O. SAAIDIA, Clercs catholiques et oulémas sunnites…, op. cit., Chapitre VII : Le renouveau
missionnaire, p. 220-276.
43. AGMAfr., Rapports annuels, 1955/13, 12.
44. O. SAAIDIA, Clercs catholiques et oulémas sunnites…, op. cit., p. 197, graphique établi à
partir des rapports annuels de la société des missionnaires d’Afrique.
45. Encyclopédie du Monde chrétien, Bilan du Monde, Paris-Tournai, Casterman, 1960, t. II,
p. 39.
46. AGMAfr., Rapports annuels, 1955/13.
47. Ibid., 1958/15, 3.1.
48. A. NOZIÈRE, Algérie. Les Chrétiens dans la guerre, Cana, Paris, 1979.
49. S. CHAPEU, Des chrétiens dans la guerre d’Algérie…, op. cit.
50. F. BÉDARIDA, E. FOUILLOUX (dir.), La Guerre d’Algérie et les chrétiens…, op. cit. ;
E. FOUILLOUX, Les chrétiens français…, op. cit. ; J. BOCQUET, Les chrétiens et la guerre
d’Algérie, HDR, EPHE, 2014, P. D. Pelletier garant scientifique ; D. FONTAINE, Decolonizing
Christianity, Religion and the End of Empire in France and Algeria, Cambridge, Cambridge
University Press, 2016.
Parmi les thèses soutenues : M. BOULATROUS-EL KORSO, La guerre d’Algérie à travers cinq
journaux catholiques métropolitains, 1954-1958, thèse de doctorat de 3 e cycle sous la direction
de Charles-Robert Ageron, Paris, EHESS, 1984 ; A. MAILLARD DE LA MORANDAIS, De la
colonisation à la torture : depuis leurs origines jusqu’à leurs engagements, débats des
consciences chrétiennes françaises pendant la guerre d’Algérie (1954-1962), thèse de doctorat
de 3 e cycle en science des religions, Paris, Université Paris IV, 1983 ; A. FITTE, « Quelques
aspects du monde catholique algérien à la fin de la IV e
République », dans Cahiers de la
Méditerranée, année 1971, vol. 3, n o 1, p. 74-86, issu de sa thèse de 3 e cycle soutenue à
l’Université de Nice en 1969.
51. Les textes sont tous disponibles en ligne.
52. Mgr Lacaste (1897-1994) est évêque d’Oran de 1946 à 1973. L. COLLET, En Algérie avec
Monseigneur Lacaste 1946-1962, éd. Collet, Pau, 1987, donne une première approche dont la
perspective hagiographique n’est pas absente.
53. F. SOUFI, « L’Église d’Oran durant l’entre-deux-guerres et après », journée d’étude « Des
Chrétiens dans la guerre 1954-1962 » organisée par le centre d’études diocésain des Glycines,
Alger, 25 mai 2013, texte disponible sur le site des Glycines.
54. Ibid.
55. Ibid.
56. J.-L. PLANCHE, « Français d’Algérie, Français en Algérie (1962-1965) », dans R. GALLISSOT
(éd.), Les accords d’Évian en conjoncture et en longue durée, Paris, Karthala, 1997, p. 104-105.
57. Ils ont publié en 2012 leurs mémoires sous le titre Le choix de l’Algérie : deux voix, une
mémoire, Alger, éd. Barzakh.
58. Je ne donnerai qu’un seul exemple, celui de la rencontre annuelle de Nîmes-Courbessac
autour de Notre Dame de Santa Cruz.
59. « L’Église catholique en Algérie », in Maghreb, n o 6, 1964, p. 34-40, p. 39 : « Le “Bilan du
monde”, encyclopédie catholique du monde chrétien, dans son édition de 1964, donne des
statistiques religieuses portant sur l’année 1961 pour les diocèses d’Alger et de Constantine, et
1960 pour ceux d’Oran et de Laghouat [soit un total de 946 000]. Nous reproduisons ces
chiffres, et notamment la répartition des fidèles par diocèse : Alger 350 000, Constantine
160 000, Oran 380 000, Laghouat 56 000. En 1964, la répartition des 100 000 catholiques
restant est très inégale. » Ces chiffres renvoient aux baptisés.
60. Le bulletin intérieur de l’association d’études du 30 mai 1964 nous aimablement a été
communiqué par Paul Fournier. Il retranscrit l’essentiel des débats des rencontres des 2 et 3 mai
1964.
61. Ibid., p. 3.
62. On se reportera avec grand intérêt à P. SOUMILLE, « L’Église catholique et l’État tunisien
après l’indépendance : le “modus vivendi” du 9 juillet 1964 », dans Ph. DELISLE, M. SPINDLER
(dir.), Les relations Églises-État en situation postcoloniale. Amérique, Afrique, Asie, Océanie
XIX e -XX e siècles, Karthala, Paris, 2003, p. 155-201.
63. Aujourd’hui, numéro un, 1964, p. 30-33, (revue qui ne dépassera pas la dizaine
d’exemplaires, lancée à Alger par les dominicains).
64. Ibid., p. 31.
65. Ibid., p. 33.
66. Le Monde, 11 janvier 1964.
67. La Déclaration des droits de l’homme, rappelons-le, affirme le droit à la liberté de pensée,
de conscience, de religion, la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, seul ou en
commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et
l’accomplissement des rites. De plus, elle précise que le statut religieux des personnes ne doit
entraîner aucune discrimination de la part du législateur civil car nul ne doit être incommodé à
cause de son appartenance religieuse.
68. Constitution algérienne du 10 septembre 1963.
L’une des conséquences directes de cette affirmation est le fait que le président de la République
ne peut qu’être musulman.
69. Le document m’a été transmis par l’archevêché d’Alger, Mgr Teissier, et reste valable
jusqu’en février 2006.
70. A. DANSETTE, Histoire religieuse de la France contemporaine, sous la Troisième
République, Flammarion, Paris, 1951, p. 509.
71. « Son Assemblée Générale, réunie le 17 juin 1993 sur convocation du Président a approuvé
à l’unanimité les présents statuts de leur Association, mis en conformité avec la loi n o 90-31 du
4 décembre 1990. »
72. La désignation du président se fait par l’assemblée générale (art. 13) pour un mandat de
quatre ans renouvelable plusieurs fois (art. 17). En 2006, Henri Teissier, archevêque d’Alger en
était encore le président.
73. Initialement prévues pour dix ans, les indemnités de fonction sont successivement
reconduites en 1917, 1922, 1941 puis prolongées pour une période indéterminée.
74. Toute discussion relative à l’acquisition de la citoyenneté algérienne doit prendre en
considération les éléments juridiques mais aussi la dimension psychologique de l’engagement. Il
n’est pas possible ici de développer la question. Précisons, toutefois, que les ecclésiastiques qui
ont fait une demande de naturalisation se sont heurtés à de très nombreux obstacles
administratifs et nombre d’entre eux ont été déboutés.
75. Il serait intéressant de connaître les grilles de salaire des autres desservants du culte,
notamment du culte musulman, Algériens et non Algériens (s’ils existent).
76. H. TEISSIER, Église en islam, médiation sur l’existence chrétienne en Algérie, Paris, Le
Centurion, 1984, p. 141.
77. Ibid., note 14 : « Pour toutes les structures de service de l’Église à cette époque, voir une
présentation globale dans R. Facelina, Théologie en situation. Une communauté chrétienne dans
le tiers-monde (Algérie, 1962-1974), USHS, Strasbourg, p. 85-98. »
78. B. JANICOT, Prêtre en Algérie, 40 ans dans la maison de l’Autre, Paris, Karthala, 2010,
p. 29. Cette école est fermée en 1969. Dans le cadre de son service national, Bernard Janicot est
affecté dans une école tenue par les salésiens à Aïn el-Turck, l’école Saint-Augustin, pour
enseigner le français et les maths (p. 30).
79. Mais la mémoire collective persiste : l’ancien petit séminaire d’Eckmül « abrite maintenant
un collège public algérien que tout le quartier dénomme encore “p’tit s’minair” », ibid., p. 75.
80. H. TEISSIER, Église en islam…, op. cit., p. 142.
81. Ibid.
82. « La seule loi à incidence religieuse qu’il ait promulguée [le législateur algérien] est celle du
24 juillet 1963 concernant les fêtes légales dont l’article 3 décide que “sont fêtes légales,
chômées et payées chaque année pour les personnels algériens et étrangers de confession
chrétienne le lundi de Pâques, l’Ascension, le lundi de Pentecôte, l’Assomption et la Noël” »,
dans « L’Église catholique en Algérie », art. cit.
Renseignement pris, ces dispositions sont toujours en vigueur en 2005. Il nous a toutefois été
précisé qu’avant la crise sécuritaire, une notification était faite avec avis public dans la presse où
il était stipulé que la mesure concernait les personnels algériens et étrangers.
83. Le propos doit être nuancé car une information, qui m’est parvenue en juillet 2016, mais que
je n’ai pas pu vérifier, faisait état de l’introduction d’Augustin dans les manuels scolaires
algériens : depuis quand, dans quelle classe et comment ?
84. Les subventions votées par la ville de Saint-Étienne et le conseil régional du Rhône ont
suscité une levée de bouclier au nom de la loi du 9 décembre 1905. Un recours avait été déposé
par une association et par plusieurs contribuables face à cette situation qui, selon eux, pose un
problème de laïcité. Dans sa décision, le tribunal ne tranche pas sur cette question, mais estime
que Rhône-Alpes a outrepassé ses compétences en n’établissant pas « un intérêt régional
suffisant ». Ainsi, dans l’article 1 er du jugement rendu lors de l’audience du 22 mars 2012 il est
stipulé que « la délibération des 21 et 22 octobre 2010 par laquelle la Région Rhône-Alpes a
approuvé la convention de financement pour la restauration de la Basilique Saint-Augustin
d’Hippone à Annaba est annulée ».
La région s’est pourvue en appel auprès de la cour administrative d’appel de Lyon (juin 2012)
qui a rejeté sa requête (mars 2013). In fine, le Conseil d’État a validé, le 17 février 2016, la
subvention votée par la région Rhône-Alpes. Le juge administratif suprême a établi que le
conseil régional avait, à bon droit, approuvé la convention de financement pour la restauration
de la Basilique Saint-Augustin d’Hippone à Annaba.
85. I. MANDRAUD, « “Madame l’Afrique” réunit Algériens et Français », Le Monde, le
15 décembre 2010.
86. Ibid.
87. Ibid.
88. Ibid.
89. Seules les relations entre l’institution séculière et les autorités ont été envisagées. Une autre
étude devrait s’intéresser aux rapports entretenus par les congrégations religieuses présentes en
Algérie et l’État.
90. Les publications sur le sujet sont nombreuses. L’une d’entre elles propose une lecture
historique qui replace la présence des moines dans un temps plus long que celui de
l’événement : B. DELPAL, « Tibhirine, le drame dans l’histoire », dans O. SAAÏDIA, L. ZERBINI
(dir.), L’Afrique et la mission. Terrains anciens, questions nouvelles avec Claude Prudhomme,
Karthala, Paris, 2015, p. 125-143.
91. L’enterrement de Pierre Claverie en a été une confirmation, si besoin était.
92. Le Monde, 17 juin 2000.
Il n’est probablement pas anodin que le chef de l’État fasse ces références au catholicisme
algérien devant les parlementaires français.
93. Se reporter au texte complet en annexe.
94. S XVI, V108-106 : « Celui qui renie Allah après [avoir eu] foi en Lui – excepté celui qui a
subi la contrainte et dont le cœur reste paisible en sa foi –, ceux dont la poitrine s’est ouverte à
l’impiété, sur ceux-là tomberont le courroux d’Allah et un tourment terrible. » Toutes les
citations coraniques sont extraites de la traduction de R. Blachère.
95. S XVI, V109-107 : « C’est là le prix de ce qu’ils ont plus aimé la Vie Immédiate que la [Vie]
Dernière et de ce qu’Allah ne saurait conduire le peuple des Infidèles. »
96. M. KHAYATI, « Le devenir de la shari’a dans le second message de M. M. Taha », dans
Politiques législatives Égypte, Tunisie, Algérie, Maroc, dossier du CEDEJ, Le Caire, 1994,
p. 185-192.
97. Cette situation se rencontre dans la plupart des États dont l’islam est la religion officielle.
L’explication est à rechercher dans la volonté d’uniformiser au maximum les législations
nationales et de ne plus opérer de distinction entre les citoyens. Il ne s’agit pas forcément dans
la logique du législateur d’appliquer des normes « islamiques », même si celles-ci sont parfois
décelables. Rappelons que bien des législations se sont constituées pendant la période coloniale
et le discours nationaliste, jusque dans sa manifestation juridique, entendait faire front commun
contre le colonisateur. C’est le cas notamment pour l’Égypte où les Coptes n’ont pas voulu, au
moins dans l’entre-deux-guerres, être dissociés de leurs concitoyens musulmans. Voir
B. BOTIVEAU, Loi islamique et droit dans les sociétés arabes, Paris, Karthala-IREMAM, 1993.
98. J.-F. RYCX, « Règles islamiques et droit positif en matière de successions : présentation
générale », dans M. GAST (éd.), Hériter en pays musulman, habus, lait vivant, manyahuli, Paris,
CNRS, 1987, p. 19-41.
Toutefois, de nouvelles interprétations sont décelables en Europe. Je renvoie notamment à une
fatwa émise par le conseil européen de la fatwa et de la recherche (instance autoproclamée
fondée en 1987 et dont le siège se trouve au Royaume-Uni). En effet, à la question de savoir si
un converti britannique pouvait hériter de son père et de sa mère, la réponse a été affirmative.
L’argumentaire reposait sur un hadith dont l’interprétation retenue consistait à affirmer que
l’islam devait en toutes circonstances être victorieux. Rappelons que dans ce contexte, la
réponse n’a de sens que pour une personne qui intègre une norme autre que la législation
britannique, i. e. qu’aux yeux de la loi britannique il hérite et que la fatwa ne donne qu’un
confort psychologique. Notons aussi que pour bien des musulmans vivant en Europe ce type de
questionnement est caduc. La sécularisation de la transmission héréditaire est généralement
consommée. En d’autres termes, au moment d’hériter, on ne s’interroge pas pour déterminer s’il
est licite ou non d’hériter.
99. Revue algérienne et tunisienne de législation et de jurisprudence, Alger 5 novembre 1903.
100. Les autorités algériennes ont ainsi reçu des représentants de ces Églises évangéliques, fait
suffisamment rarissime pour être mentionné.
101. L’évolution sociologique n’est pas cantonnée au religieux et ne concerne pas que la seule
législation sur les cultes. En effet, le code de la nationalité a lui aussi changé en 2006, puisqu’il
est désormais possible à une Algérienne de transmettre à sa descendance sa citoyenneté. Deux
lectures peuvent être proposées. La première peut souligner une amélioration de la condition
féminine prise en compte par les dirigeants algériens, mais les récentes discussions sur le code
de la famille ne laissent pas percevoir une dynamique féministe. La seconde explication est,
elle, à rechercher dans la prise en compte des descendants de citoyens algériens installés à
l’étranger et notamment en Europe et en Amérique du Nord. La tendance est de ne pas vouloir
« perdre » des citoyens potentiels. Elle se manifeste par une prise de conscience de l’évolution
des mœurs de cette descendance et notamment de celle des femmes. C’est bien le pragmatisme
qui permet d’expliquer cette situation rarissime dans la plupart des pays musulmans où seul
l’homme peut transmettre sa citoyenneté. Rappelons, par ailleurs, que c’est le droit du sang qui
conditionne dans la majorité des cas l’accès à la citoyenneté.
102. I. DE GAULMYN, « Le gouvernement algérien a ouvert la discussion sur la liberté
religieuse », La Croix, 18 février 2010.
103. Ibid.
104. Il faudrait peut-être nuancer la position de cet étudiant dans la mesure où la bibliothèque
diocésaine, « “Dilou”, au sien même de l’évêché, accueille à la fois des étudiants en langue
anglaise et ceux de l’Institut des sciences islamiques, dans le cadre de modules sur les religions
comparées », dans B. JANICOT, Prêtre en Algérie…, op. cit., p. 104.
105. M. CARTIER, « Une nouvelle génération pour l’Église d’Algérie », dans La Croix,
23 décembre 2010 ; citation de Mgr Bader, archevêque d’Alger.
106. B. JANICOT, Prêtre en Algérie…, op. cit., p. 103-106.
107. Ibid., p. 104-105.
108. Blog de Jean-Christophe Ploquin, rédacteur adjoint en chef de La Croix, http://parisinternational.blogs.la-croix.com/leglise-catholique-en-algerie-une-petite-flammefragile/2013/12/26/,
consulté le 24 février 2016.
109. Se reporter aux tableaux de répartition à différentes périodes en annexe.
110. M. CARTIER, « Une nouvelle génération pour l’Église d’Algérie », dans La Croix,
23 décembre 2010.
Mrg Paul Desfarges est évêque est depuis 2008.
111. Blog de Jean-Christophe Ploquin, rédacteur adjoint en chef de La Croix, http://parisinternational.blogs.la-croix.com/leglise-catholique-en-algerie-une-petite-flammefragile/2013/12/26/,
consulté le 24 février 2016.
112. B. JANICOT, Prêtre en Algérie…, op. cit., p. 39.
113. G. P., « Oran et l’Algérie » dans Peuples du monde, n o 458, juillet-août-septembre 2012,
p. 13. Toujours dans le même article : « La part de chrétiens serait aujourd’hui de 0,2 % de la
population (source ONU), soit environ 70 000 fidèles. Les Églises protestantes d’Algérie
avancent le chiffre de 50 000 fidèles (2008), alors que le ministère des Affaires religieuses
évoque le chiffre de 50 000 chrétiens, essentiellement catholiques et résidant à Alger et dans
l’Ouest du pays. »
114. Blog de Jean-Christophe Ploquin, rédacteur adjoint en chef de La Croix, http://parisinternational.blogs.la-croix.com/leglise-catholique-en-algerie-une-petite-flammefragile/2013/12/26/,
consulté le 24 février 2016, propos de Mgr Vesco.
115. Ibid.
116. Mrg Fouad Boutros Ibrahim Twal a été le premier archevêque arabe à occuper le siège
archiépiscopal de Tunis en 1994. Il reste à ce poste jusqu’en 2005.
117. Voir dans Revue de presse, Maghreb, Moyen-Orient, sept. oct. 2008, n o 513, F. DJOUADI,
« L’accueil de Mrg Ghaleb Moussa Abdallah Bader dans la cathédrale d’Alger », dans Algérie
News, n o 152, 11 octobre 2008, p. 2.
118. Voir El Watan du 11 octobre 2008, p. 4, mais aussi F. DJOUADI, « L’accueil de Mrg Ghaleb
Moussa Abdallah Bader… », art. cit., p. 2 et Liberté, 27, du 10 octobre 2008, p. 8.
119. O. SAAIDIA, Clercs catholiques et oulémas sunnites…, op. cit.
120. Mouna Chérif a entrepris, sous ma direction, un travail de thèse qui s’interroge sur les
différentes options missionnaires de l’Église catholique en Algérie entre 1976 et 2006.
121. B. JANICOT, Prêtre en Algérie…, op. cit., p. 42-56.
122. « L’Église en Algérie lance une nouvelle revue : Pax et Concordia », interview de Michel
Guillaud, coordinateur de l’équipe de rédaction ; propos recueillis par Marine Soreau pour
ZENIT.org, 3 mars 2010. Document consulté aux OPM de Lyon en février 2016 en « version
papier ».
123. Ibid.
Épilogue : Quel avenir pour le catholicisme
algérien ?
Ce visage de l’Église marqué par un certain dynamisme – dont
témoigne le regain pour la communication – où le poids de catholiques
d’Afrique subsaharienne se confirme tout comme la faiblesse du nombre de
fidèles, le vieillissement des prêtres et leur diminution, etc. se retrouve aussi
dans les zones rurales de vieux christianisme… telle la France. Église de la
pauvreté et de l’enfouissement, l’Église d’Algérie est-elle vouée à la
disparition ou peut-elle constituer un modèle de catholicisme pour les
sociétés européennes sécularisées ?
L’option pour une présence discrète auprès des Algériens contraste avec
la politique d’évangélisation entreprise par des églises néo-évangéliques 1 .
Si le nombre de convertis à ces églises et leur implantation fait l’objet de
débats sociétaux, nous retiendrons qu’à leur tête se trouve un pasteur
algérien et que plus d’une vingtaine d’églises ont obtenu une
reconnaissance officielle. Par ailleurs, sur internet les convertis apparaissent
à visage découvert ce qui laisse à penser, malgré les procès et les
tracasseries administratives, qu’ils ont obtenu une certaine forme de
reconnaissance. Ce phénomène a commencé dans les années 1980 et s’est
renforcé dans la dernière décennie. Il reste difficile de chiffrer précisément
le nombre de convertis, mais le sujet est débattu dans la presse algérienne.
Je retiendrai l’analyse de Mgr Teissier :
« Notre propos n’est pas de défendre les nouveaux groupes
missionnaires qui bien souvent ont une conception très agressive
du témoignage chrétien. […] Ce qui m’est apparu important,
c’est l’évolution des positions qui s’exprime à travers une partie
des articles concernant notre sujet. Pendant des siècles, les
sociétés musulmanes, ou au moins les sociétés arabomusulmanes,
ont considéré que toute conversion d’un musulman
à un autre groupe religieux était inconcevable en islam et devait
être punie de mort. Et voici que ces évolutions se poursuivent
par centaines dans un pays musulman et sont mêmes rapportées,
parfois avec sympathie, par des journalistes musulmans ou
considérés comme musulmans qui, en tout cas, écrivent pour des
lecteurs musulmans ou considérés comme tels. Mieux encore les
responsables mêmes des Affaires religieuses, au niveau national,
affirment dans ce contexte la liberté de conscience…
Il me semble qu’il y a, jusqu’à ce jour, peu ou pas de sociétés
arabo-musulmanes qui acceptent de telles évolutions, et, encore
moins qui les rapportent avec sympathie. La société algérienne
tient là une position tout à fait remarquable et qui annonce une
évolution qui pourrait être capitale pour l’avenir de la relation
islamo-chrétienne et pour celui du dialogue : reconnaître
concrètement le droit de chacun à la liberté religieuse 2 . »
La question de la liberté religieuse se pose dans toutes les sociétés et les
sociétés musulmanes n’y ont pas échappé. Il faut rappeler que de tout temps
des musulmans se sont convertis à d’autres religions, volontairement ou
sous la contrainte. Ces dernières décennies la possibilité de changer de
religion est devenue l’un des marqueurs des sociétés démocratiques : aux
problématiques religieuses se greffent des enjeux politiques. Sans doute les
enjeux politiques ont toujours existé, mais ils n’étaient de même nature 3 . À
l’instar d’autres religions, l’islam est confronté à l’individualisation du
religieux et à la pluralité de l’offre religieuse qui induisent une mobilité vers
d’autres religions, vers d’autres courants de l’islam ou encore vers
l’athéisme ou l’agnosticisme. Cette option va à l’encontre des
représentations les plus courantes où l’islam apparaît comme une religion
conquérante qui gagne des fidèles et dont personne ne sort. Ce discours,
partagé à la fois par ceux qui insistent sur la dangerosité de l’islam et par
bien des musulmans, ne correspond pas à la réalité, comme l’a montré un
colloque organisé à Tunis en mai 2013 4 .
Convertis à une autre religion, agnostiques, déistes ou athées, tous se
retrouvent dans la catégorie des non-musulmans dont le statut interroge les
sociétés musulmanes, mais aussi des systèmes juridiques conçus dans le
cadre de l’État-nation où l’islam a servi de plus petit dénominateur commun
aux côtés d’une langue et d’une culture arabes déclarées officielles 5 .
Comment alors concilier l’adhésion à la déclaration des droits de l’homme,
à laquelle un pays comme l’Algérie a souscrit et qui prévoit la liberté de
conscience, avec le cadre juridique qui entend s’inscrire dans une certaine
conception de l’islam ? Le droit peut être perçu comme une métaphore du
politique et renvoie alors à des questions qui dépassent les différents statuts
du converti en terres d’islam puisqu’il interroge sur la capacité de ces États
à intégrer le pluralisme sous toutes ses formes. En d’autres termes, il
renvoie aux fondements démocratiques de pays dont l’islam est la religion
de l’État.
En parallèle des législations, l’évolution des sensibilités des sociétés de
culture musulmane comme la société algérienne est à suivre de près. En
effet, l’Algérie, plus peut-être que d’autres Etats, se trouve probablement à
la croisée des chemins :
« “À côté de l’emprise croissante du salafisme, analyse Mgr Paul
Desfarges, évêque de Constantine, la société algérienne est
travaillée par une quête de liberté de conscience et de
pluralisme.” En témoigne à ses yeux le soutien inédit reçu par les
non-jeûneurs du Ramadan lors de leur récent procès. “Sans
vouloir être chrétiens, de nombreux Algériens cherchent une
identité plus libre dans un monde pluriel 6 .” »
Loin d’être close, l’histoire du christianisme se poursuit en Algérie et
reste à écrire…
1. K. DIRÈCHE, « Évangélisation en Algérie : débats sur la liberté de culte », L’Année du
Maghreb [En ligne], V | 2009, mis en ligne le 1 er novembre 2012, consulté le 22 février 2016.
URL : http://anneemaghreb.revues.org/596 ; « Dolorisme religieux et reconstructions
identitaires. Les conversions néo-évangéliques dans l’Algérie contemporaine », Annales.
Histoire, Sciences Sociales 5/2009 (64 e
année) p. 1137-1162, URL : www.cairn.info/revueannales-2009-5-page-1137.htm
consulté en ligne le 22 février 2016 ; « Jésus et Muhammad :
des fois en dissonance ? Discours des convertis néo-évangéliques sur l’islam dans l’Algérie
d’aujourd’hui », dans C. PONS (dir.), Jésus, moi et les autres. La construction collective d’une
relation personnelle à Jésus dans les Églises évangéliques : Europe, Océanie, Maghreb, CNRS
Éditions, Paris, 2013, p. 125-146.
2. H. TEISSIER, « La presse algérienne et les nouveaux groupes de musulmans convertis au
christianisme », dans H. O. LUTHE et M.-T. URVOY, Relations islamo-chrétiennes, Bilan et
perspectives, Paris, éditions de Paris, 2007, p. 143-144. Se reporter aussi aux p. 125-145 pour
l’analyse d’Henri Teissier.
3. Ainsi, pendant la période coloniale, le fait de quitter l’islam pouvait donner lieu à une lecture
de renoncement patriotique.
4. O. SAAÏDIA (dir.), « D’une foi à l’autre : le cas de l’islam », HMC, n o 28, Paris, Karthala,
2013.
5. Pour les pays membres de la Ligue arabe, le propos doit être nuancé pour le Maroc et dans
une certaine mesure l’Algérie pour l’amazighité.
6. M. CARTIER, « Une nouvelle génération pour l’Église d’Algérie », dans La Croix,
23 décembre 2010.
ANNEXES
Liste des Évêques d’Algérie 1838-2016
Évêques d’Alger (le diocèse regroupe alors tout le territoire) :
DUPUCH Antoine (1838-1846)
PAVY Auguste (1846-1866)
En 1866, les trois diocèses sont constitués :
ARCHEVÊCHÉ D’ALGER
LAVIGERIE Charles (1866-1892)
DUSSERRE Prosper (1892-1897)
OURY Frédéric-Henri (1898-1908)
COMBES Barthélémy (1908-1917)
LEYNAUD Augustin (1917-1953)
DUVAL Léon-Étienne (1954-1988)
TEISSIER Henry (1988-2008)
BADER Ghaleb (2008-2015)
Juillet 2016 : vacant
ÉVÊQUES D’ORAN
CALLOT Jean-Baptiste (1867-1875)
VIGNE Louis-Marie (1876-1880)
ARDIN Pierre-Marie (1880-1883)
GAUSSAIL Noël (1884-1886)
SOUBRIER Gérard (1886-1898)
CANTEL Édouard (1898-1910)
CAPMARTIN Pierre (1911-1914)
LEGASSE Christophe (1916-1920)
DURAND Léon-Marie (1921-1945)
LACASTE Bertrand (1946-1972)
TEISSIER Henri (1972-1980)
CLAVERIE Pierre (1981-1996)
GEORGER Alphonse (1998-2012)
VESCO Jean-Paul (2012-), en poste en 2016
ÉVÊQUES DE CONSTANTINE ET D’HIPPONE
LAS CASES Félix (1867-1870)
ROBERT Joseph-Louis (1872-1878)
DUSSERRE Prosper (1878-1880)
COMBES Barthélémy (1881-1893)
LAFERRIÈRE, Ludovic (1894-1896)
GAZANIOL Jules (1896-1913)
BOUSSIÈRE Jules (1913-1916)
BESSIÈRE Amiel (1916-1923)
THIENARD François-Émile (1924-1945)
DUVAL Léon-Étienne (1946-1954)
PINIER Paul-Pierre (1954-1970)
SCOTTO Jean (1970-1983)
PIROIRD Gabriel (1983-2008)
DESFARGES Paul (2008-) en poste en 2016
ÉVÊQUES DE GHARDAÏA
MERCIER Georges (1955-1968)
RAIMBAUD Jean-Marie (1968-1989)
1989-1991 : vacant
GAGNON Michel (1991-2004)
RAULT Claude (2004-2016)
Tableau de la présence catholique par diocèse en 1957
Source : Informations catholiques internationales, n o 171, janvier 1957
Tableau de la présence catholique par diocèse en 1982
Source : Annuario Pontificio 1982
Tableau de la présence catholique par diocèse en 2016
Source : Annuario Pontificio 2016
Tableau récapitulatif de la présence catholique en 1957, 1982 et 2016
Sources : Informations catholiques internationales, n o
1982 et 2016
171, janvier 1957 ; Annuario Pontificio
Nombre de prêtres et de religieuses en Algérie en 1957, 1982 et 2016
Sources : Informations catholiques internationales, n o 171, janvier 1957 ; Annuario Pontificio
1982 et 2016
Nombre de catholiques par diocèse en 1957, 1982 et 2016
Sources : Informations catholiques internationales, n o 171, janvier 1957 ; Annuario Pontificio
1982 et 2016
Répartition de la population catholique en 1957
Sources : Informations catholiques internationales, n o 171, janvier 1957
Journal officiel de la République algérienne
n o 12
Ordonnance n o 06-03 du 29 Moharram 1427
correspondant au 28 février 2006 fixant
les conditions et règles d’exercice des cultes
autres que musulman
Le président de la République,
Vu la Constitution, notamment ses articles 2, 29, 36, 43, 122 et 124 ;
Vu le pacte international relatif aux droits civils et politiques auquel
l’Algérie a adhéré par le décret présidentiel n o 89-67 du 16 mai 1989 ;
Vu l’ordonnance n o 66-154 du 8 juin 1966, modifiée et complétée, portant
code de procédure civile ;
Vu l’ordonnance n o 66-155 du 8 juin 1966, modifiée et complétée, portant
code de procédure pénale ;
Vu l’ordonnance n o 66-156 du 8 juin 1966, modifiée et complétée, portant
code pénal ;
Vu l’ordonnance n o 77-03 du 19 février 1977 relative aux quêtes ;
Vu la loi n o 89-28 du 31 décembre 1989, modifiée et complétée, relative aux
réunions et manifestations publiques ;
Vu la loi n o 90-08 du 7 avril 1990, complétée, relative à la commune ;
Vu la loi n o 90-09 du 7 avril 1990, complétée, relative à la wilaya ;
Vu la loi n o 90-31 du 4 décembre 1990 relative aux associations ;
Le Conseil des ministres entendu,
Promulgue l’ordonnance dont la teneur suit :
Chapitre premier
DISPOSITIONS GÉNÉRALES
Article 1 er . – La présente ordonnance a pour objet de fixer les conditions et
règles d’exercice des cultes autres que musulman.
Art. 2. – L’État algérien dont la religion est l’Islam garantit le libre exercice
du culte dans le cadre du respect des dispositions de la Constitution, de la
présente ordonnance, des lois et règlements en vigueur, de l’ordre public,
des bonnes mœurs et des droits et libertés fondamentaux des tiers.
L’État garantit également la tolérance et le respect entre les différentes
religions.
Art. 3. – Les associations religieuses des cultes autres que musulman
bénéficient de la protection de l’État.
Art. 4. – Il est interdit d’utiliser l’appartenance religieuse comme base de
discrimination à l’égard de toute personne ou groupe de personnes.
Chapitre 2
DES CONDITIONS D’EXERCICE DU CULTE
Art. 5. – L’affectation d’un édifice à l’exercice du culte est soumise à l’avis
préalable de la commission nationale de l’exercice des cultes prévue à
l’article 9 de la présente ordonnance.
Est interdite toute activité dans les lieux destinés à l’exercice du culte
contraire à leur nature et aux objectifs pour lesquels ils sont destinés.
Les édifices destinés à l’exercice du culte sont soumis au recensement par
l’État qui assure leur protection.
Art. 6. – L’exercice collectif du culte est organisé par des associations à
caractère religieux dont la création, l’agrément et le fonctionnement sont
soumis aux dispositions de la présente ordonnance et de la législation en
vigueur.
Art. 7. – L’exercice collectif du culte a lieu exclusivement dans des édifices
destinés à cet effet, ouverts au public et identifiables de l’extérieur.
Art. 8. – Les manifestations religieuses ont lieu dans des édifices, elles sont
publiques et soumises à une déclaration préalable.
Les conditions et modalités d’application du présent article sont fixées par
voie réglementaire.
Art. 9. – Il est créé, auprès du ministère chargé des affaires religieuses et
des wakfs, une commission nationale des cultes, chargée en particulier de :
– veiller au respect du libre exercice du culte ;
– prendre en charge les affaires et préoccupations relatives à l’exercice du
culte ;
– donner un avis préalable à l’agrément des associations à caractère
religieux.
La composition de cette commission et les modalités de son fonctionnement
sont fixées par voie réglementaire.
Chapitre 3
DISPOSITIONS PÉNALES
Art. 10. – Est puni d’un emprisonnement d’un (1) an à trois (3) ans et d’une
amende de 250 000 DA à 500 000 DA quiconque, par discours prononcé ou
écrit, affiché ou distribué dans les édifices où s’exerce le culte ou qui utilise
tout autre moyen audiovisuel, contenant une provocation à résister à
l’exécution des lois ou aux décisions de l’autorité publique, ou tendant à
inciter une partie des citoyens à la rébellion, sans préjudice des peines plus
graves si la provocation est suivie d’effets.
La peine est l’emprisonnement de trois (3) ans à cinq (5) ans et l’amende de
500 000 DA à 1 000 000 DA si le coupable est un homme de culte.
Art. 11. – Sans préjudice des peines plus graves, est puni d’un
emprisonnement de deux (2) ans à cinq (5) ans et d’une amende de
500 000 DA à 1 000 000 DA quiconque :
1 – incite, contraint ou utilise des moyens de séduction tendant à convertir
un musulman à une autre religion, ou en utilisant à cette fin des
établissements d’enseignement, d’éducation, de santé, à caractère social ou
culturel, ou institutions de formation, ou tout autre établissement, ou tout
moyen financier,
2 – fabrique, entrepose, ou distribue des documents imprimés ou métrages
audiovisuels ou par tout autre support ou moyen qui visent à ébranler la foi
d’un musulman.
Art. 12. – Est puni d’un emprisonnement d’un (1) an à trois (3) ans et d’une
amende de 100 000 DA à 300 000 DA, quiconque a recours à la collecte de
quêtes ou accepte des dons, sans l’autorisation des autorités habilitées
légalement.
Art. 13. – Est puni d’un emprisonnement d’un (1) an à trois (3) ans et d’une
amende de 100 000 DA à 300 000 DA, quiconque :
1 – exerce un culte contrairement aux dispositions des articles 5 et 7 de la
présente ordonnance,
2 – organise une manifestation religieuse contrairement aux dispositions de
l’article 8 de la présente ordonnance,
3 – prêche à l’intérieur des édifices destinés à l’exercice du culte, sans être
désigné, agréé ou autorisé par l’autorité religieuse de sa confession,
compétente, dûment agréée sur le territoire national et par les autorités
algériennes compétentes.
Art. 14. – La juridiction compétente peut interdire à un étranger, condamné
suite à la commission de l’une des infractions prévues par la présente
ordonnance, le séjour sur le territoire national définitivement ou pour une
période qui ne peut être inférieure à dix (10) ans.
Il découle de l’interdiction de séjour l’expulsion, de plein droit, hors du
territoire national, de la personne condamnée, après exécution de la peine
privative de liberté.
Art. 15. – La personne morale qui commet l’une des infractions prévues par
la présente ordonnance est punie :
1 – D’une amende qui ne peut être inférieure à quatre (4) fois le maximum
de l’amende prévue par la présente ordonnance pour la personne physique
qui a commis la même infraction.
2 – D’une ou de plusieurs des peines suivantes :
– la confiscation des moyens et matériels utilisés dans la commission de
l’infraction,
– l’interdiction d’exercer, dans le local concerné, un culte ou toute activité
religieuse,
– la dissolution de la personne morale.
Chapitre 4
DISPOSITIONS TRANSITOIRES ET FINALES
Art. 16. – Les personnes exerçant un culte autre que musulman, dans un
cadre collectif, sont tenues de se conformer aux dispositions de la présente
ordonnance, dans un délai de six (6) mois, à compter de sa publication au
Journal officiel.
Art. 17. – La présente ordonnance sera publiée au Journal officiel de la
République algérienne démocratique et populaire.
Fait à Alger, le 29 Moharram 1427 correspondant au 28 février 2006.
Abdelaziz BOUTEFLIKA
Sources et bibliographie
Sources manuscrites
CAOM – Centre des Archives d’Outre-Mer, Aix-en-Provence
DÉPARTEMENT DE CONSTANTINE :
B3 306 :
1901-1907 :
.
B3 318 :
B3 320 :
B3 436 :
1877-1906 : instructions, nominations, allocations,
comptabilité.
état nominatif du clergé catholique pour servir au paiement des
traitements
1899-1935 : culte catholique, indemnités, renseignements,
incidents. Dossiers personnels dont celui de M gr Bouissière.
1902-1924 : culte catholique correspondance.
1917 : mémoire des évêques d’Algérie en vue d’obtenir les
prorogations des indemnités de fonction en faveur du clergé
français de la colonie.
DÉPARTEMENT D’ORAN :
1 U1 :
1 U2 :
1 U3 :
1 U4 :
1 U5 :
1843-1882 : affaires générales ; binage, bourse aux
séminaristes d’Oran, communautés religieuses, évêché d’Oran,
tournées pastorales.
1839-1883 : personnel : mutations (affaires collectives),
prêtres auxiliaires, secours à des prêtres, caisse de retraite en
faveur des prêtres âgés, malades ou infirmes, plaintes, conflits.
1849-1884 : création de paroisses et de succursales (affaires
générales, affaires collectives).
cérémonies et fêtes, processions, convois funèbres, refus de
sépultures, enterrements civils, matériel (décisions
collectives), édifices diocésains, fabriques (affaires générales
et collectives), instructions, affaires générales.
1871-1886 : congrès des ecclésiastiques, comptabilité des
conseils de fabrique, certificats de résidence.
1 U6 : 1870-1880 : subventions aux fabriques (affaires collectives)
1 U22 :
1 U24 :
inventaires de la bibliothèque et des séminaires du diocèse
d’Oran.
1873-1898 : règlement sur les sonneries des cloches, tarifs
diocésains.
1 U25 : 1875-1897 : mutations.
1 U26 :
1 U27 :
congés de 1898 à 1900, réunions des conseils de fabriques,
prêtres étrangers (1885-1905).
1857-1908 : divers : congrégations, mutations, personnel,
réclamations, instructions, création de paroisses.
1 U29 : 1902-1918, congrégations religieuses.
1 U103 : 1907-1910, séparation de l’Église et de l’État, instructions.
1 U104 : 1908-1909, inventaires par arrondissements.
1 U105 : 1902-1908, congrégations.
1 U106 : 1880-1914, congrégations, établissements congréganistes,
1 U107 :
1 U108 :
expulsion des jésuites. 1901-1906, renseignements sur le
clergé, séparation de l’Église et de l’État.
1907-1927, conférences religieuses, renseignements, rapports
de police, manifestations du culte.
1909, séparation de l’Église et de l’État : séquestres, procèsverbaux
de notification.
1 U110 : 1868-1883 : subventions pour construction d’édifices religieux
P1 :
culte catholique.
Fonds du Gouvernement général de l’Algérie
3F 146 :
3F 147 :
3F 149 :
3F 171 à 3F
174 :
procès-verbaux du conseil de Gouvernement du 18 janvier
1907 et du 14 juin 1907.
procès-verbaux du conseil de Gouvernement du 26 novembre
1907.
procès-verbaux du conseil de Gouvernement du 22 juillet
1908.
affaires soumises au conseil de Gouvernement.
Série H, affaires religieuses
16H114 :
propagande catholique, circulaire Charon et enquête ; pères
blancs, société antiesclavagiste ; frères armés du Sahara
(1891), vicariat apostolique du Sahara ; missionnaires
assassinés au Sahara, 1875, 1881, 1898 ; père de Foucauld,
Béni Abbès, 1901 ; mission évangélisation.
FONDS SECONDAIRES
AN – Archives nationales, Paris
F19 5447 :
F19 5499 :
F19 5501 :
F19 5610 :
1899-1904, semaines religieuses et bulletins paroissiaux :
surveillance et poursuites.
1801-1906, mandements.
1905-1907, lettres pastorales.
dossiers personnels des évêques et archevêques.
AAA – Archives de l’archevêché d’Alger
AAA/9 :
AAA/9 :
AAA/212,
La Basilique de Notre-Dame d’Afrique, Histoire du
pèlerinage, imprimerie L. Crescenzo, Alger, 1948
Pèlerinage ND d’Alger. Notice sur le pèlerinage de Notre-
Dame d’Afrique à Alger, Adolphe Jourdan, Alger, 1885
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AAA/415 : Castiglione, dossier Castiglione, Bou Ismaïl, Téfeschoun
AAA/118 :
AAA/470 :
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d’Alger au clergé et aux fidèles de son diocèse prescrivant des
prières publiques pour la cessation de la sécheresse. Alger, le
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AGMAfr., Rapports annuels, 1955/13, 7
AGOF – Archives du Grand Orient de France, Paris
AOPM – Archives des Œuvres Pontificales Missionnaires, Lyon
Fonds Lyon :
G9 : archevêché d’Alger 1891-1924.
G12 : évêché de Constantine 1895-1924.
G14 : évêché d’Oran 1895-1924.
Fonds Paris (disponibles à Lyon, classé mais non répertorié)
G8 :
G9 :
G10 :
Alger
Oran
Constantine
SOURCES IMPRIMÉES
PÉRIODIQUES
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La croix de l’Algérie et de la Tunisie, 1905-1908
L’éclaireur algérien, 1905
Le socialiste, 1901
Le socialiste d’Afrique du Nord, 1906-1907
L’écho d’Oran, 1902-1903
La pensée libre, 1906-1907
Le libéral, 1906-1907
La semaine religieuse d’Alger, 1906, 1907, 1909
La semaine religieuse d’Oran, 1905, 1908
Presse nationale
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