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LAlgérie catholique (XIXe - XXe siècles) (Oissila Saaidia)

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L’Algérie catholique

XIX e -XXI e siècles

Pendant près de 130 ans, l’Église catholique

en Algérie participe au système colonial au point

d’en devenir l’un des piliers.

Les Français importent une religion qui marque

le territoire avec ses églises, le son des cloches,

les processions… Un nouvel environnement

sonore et visuel s’impose aux colonisés.

Parallèlement, les Algériens font l’expérience de

la ségrégation légale, sociale et culturelle. Que

reste-t-il de cette Église qui s’est posée en

héritière de la prestigieuse Église d’Afrique, celle

des Augustin, Cyprien ou encore Tertullien ?

À partir d’archives privées et publiques, mais

aussi de la presse et d’une riche bibliographie,

Oissila Saaidia retrace l’histoire du catholicisme

en Algérie de 1830 à nos jours. Au fil du temps,

l’infrastructure paroissiale se met en place, les

écoles se construisent, les pèlerinages voient le

jour alors que le faste des célébrations

liturgiques entend rappeler la supériorité de la

Croix sur le Croissant. Puis, 1962 : comment se

situer dans l’Algérie algérienne et musulmane ?

De l’euphorie de l’indépendance aux lendemains

de la décennie noire, des espoirs des années

1960 aux inquiétudes devant un avenir incertain,


un nouveau chapitre de l’histoire de l’Église en

Algérie continue de s’écrire.

Près de vingt-cinq ans après ses premiers

travaux sur le catholicisme en Algérie, Oissila

Saaidia livre la première synthèse sur cette

histoire partagée, sans en occulter les

ambiguïtés et les contradictions.

Oissila Saaidia, agrégée de l’Université en

histoire et licenciée en arabe, est Professeur des

Universités en histoire contemporaine. Elle dirige

actuellement l’IRMC de Tunis (Institut de

recherche sur le Maghreb contemporain / USR

3077 CNRS). Elle s’intéresse aux enjeux

religieux de part et d’autre de la Méditerranée.

Elle est notamment l’auteur d’Algérie coloniale

(CNRS Éditions, 2015).



© CNRS Éditions, Paris, 2018

ISBN : 978-2-271-12317-6

Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo.


Pour MBM,

De la part de TBD


TABLE

Couverture

Présentation de l’éditeur

Titre

Copyright

Préface

Abréviations utilisées

Introduction

Chapitre premier - Une Église coloniale dans l’Algérie française

S’installer

Se séparer ?

Chapitre 2 - Être catholique

Marquer son territoire : la sacralisation du temps et de l’espace

Encadrer la société : le projet catholique

Chapitre 3 - L’Église catholique face à l’islam

La prestigieuse Église d’Afrique


« Le retour du christianisme » : l’évangélisation des musulmans, mission impossible ?

Entre indifférence et peur : quelques perceptions catholiques des musulmans

Chapitre 4 - Vers la fin de l’Histoire ?

D’une guerre à l’autre (1914-1962)

État musulman, Église catholique dans une Algérie indépendante : quelles relations ?

Épilogue : Quel avenir pour le catholicisme algérien ?

Annexes

Liste des Évêques d’Algérie 1838-2016

Tableau de la présence catholique par diocèse en 1957

Tableau de la présence catholique par diocèse en 1982

Tableau de la présence catholique par diocèse en 2016

Tableau récapitulatif de la présence catholique en 1957, 1982 et 2016

Nombre de prêtres et de religieuses en Algérie en 1957, 1982 et 2016

Nombre de catholiques par diocèse en 1957, 1982 et 2016

Répartition de la population catholique en 1957

Journal officiel de la République algérienne no 12

Sources et bibliographie

Sources manuscrites

Bibliographie


Préface

L’histoire religieuse n’est pas particulièrement à l’aise avec l’histoire de

l’Algérie coloniale. Pour ceux qui traitent de cette dernière, il fut et il

demeure très difficile de séparer la religion de la politique, tant l’islam

constitua, aussi bien pour les conquérants que pour les conquis, et souvent

plus par préjugé que par raison, le mot ultime du rejet et du refus. Dans

cette vision, la recherche sur la diversité et l’évolution des attitudes et des

pratiques religieuses au sein des sociétés autochtones fut souvent délaissée.

La religion musulmane fut trop souvent traitée comme une donnée

intemporelle et immuable, fondement d’une identité essentielle. Il n’en alla

pas de même pour la religion chrétienne des Européens, et plus

particulièrement de leur majorité catholique. Celle-ci est fréquemment

apparue comme un élément purement folklorique d’une société coloniale

dont l’existence comme communauté avant 1962 ne va pas de soi pour tous

les chercheurs. Ou bien, au prix d’un schématisme excessif, l’adhésion au

catholicisme a été exaltée comme une renaissance de l’Église d’Afrique de

l’Antiquité tardive, avant d’être rejetée comme une sorte d’hérésie pour

avoir placé le maintien du système colonial au-dessus de la charité

évangélique. Par-delà ces visions superficielles, le catholicisme algérien a

cependant connu une naissance, un premier développement, puis une

mutation, assez généralement méconnus. Il faut remercier Oissila Saaïdia,

historienne reconnue de l’histoire religieuse de l’Algérie, d’avoir écrit ce


livre sur le catholicisme algérien à l’époque coloniale, essentiellement

depuis sa fondation jusqu’à l’orée de la Grande Guerre. Elle montre bien la

spécificité d’un projet qui, comme elle le dit très bien, s’adressa à la fois à

une France méditerranéenne, à une colonie et à une terre de mission.

France méditerranéenne, la communauté catholique le fut par sa

constitution ethnique, tant sa composante métropolitaine (les originaires du

Midi furent les plus nombreux parmi les immigrants français) que dans les

autres apports européens. C’est à partir de ces divers courants, et sous la

direction d’un clergé presque exclusivement français, que s’organisa,

pendant un siècle, la vie d’un catholicisme algérien dont l’histoire ne se

distingue guère, au fond, de ses homologues d’Europe. Son empreinte

marqua le paysage des campagnes colonisées, dont les inévitables clochers,

souvent décorés, comme en Alsace, d’un nid de cigognes, évoquaient ceux

des campagnes françaises, avec une présence sentimentale puissante. Les

formes de la dévotion marquées par les cérémonies en l’honneur des grands

saints, les pèlerinages, la pratique des sacrements mais aussi

l’enseignement, constituèrent les signes les plus visibles de sa vitalité.

L’histoire de l’Afrique ancienne fournit en abondance des preuves de

légitimité et des lieux d’enracinement. On ne peut s’empêcher d’ajouter que

cette prégnance eut, comme en métropole, sa contrepartie.

L’anticléricalisme importé des pays du Sud (France, mais aussi Espagne et

Italie), vint s’opposer ou s’associer curieusement à ce que cette

prédominance aurait pu avoir d’hégémonique, sans réussir à sortir des

catégories, pourtant bien peu adéquates, du débat métropolitain.

Le catholicisme outre-Méditerranée fut aussi marqué par le statut de

colonie que conserva toujours l’Algérie, en dépit du statut départemental,

aussi bien que des discours incantatoires et des législations

assimilationnistes. Oissila Saaïdia, auteur d’un maître-livre sur Algérie

coloniale. Musulmans et chrétiens : le contrôle de l’État (1830-1944),

rappelle très opportunément que la loi de Séparation ne fut appliquée que


très partiellement en Algérie. Le clergé catholique séculier continua à être

salarié, et la suspension des subventions gouvernementales pour la

construction ou l’entretien d’églises ne fut que très temporaire. Ce statut

privilégié s’expliquait par la volonté de continuer à salarier les personnels

musulmans, à la fois pour mieux s’assurer de leur docilité, et pour

compenser la confiscation par l’État français des habous, ces biens

immobiliers de statut religieux dont les revenus avaient assuré auparavant le

fonctionnement des lieux de culte et d’enseignement coranique. Les

congrégations enseignantes furent, en revanche, supprimées au même titre

qu’en France, et sans doute aux mêmes motifs. Cette façon de poser la

question religieuse ne permettait guère de sortir du débat français.

Il faut dire, enfin, que l’œuvre missionnaire ne fut pas au premier plan,

ce qui, au fond, ne doit pas étonner, puisque, dès le début, la vocation de

l’Église d’Algérie fut, non de convertir, mais d’accompagner le

développement d’une importante colonie, destinée peut-être à représenter

un jour la majorité de la population. Si cet espoir fut déçu, les perspectives

ne s’en trouvèrent guère modifiées. Les initiatives pour convertir les

musulmans, sans être vraiment interdites, n’eurent guère la faveur de

l’autorité, sensibles aux risques d’agitation qu’elles pourraient entraîner

dans la population autochtone. Le cardinal Charles Lavigerie renonça

rapidement à développer son programme de fondation de villages chrétiens.

Instituée par lui, la société des Missionnaires d’Afrique (Pères Blancs), qui

fut une des rares à être épargnée par la loi sur les Congrégations, exerça

essentiellement son action au Sahara et en Afrique noire. Le père Charles de

Foucauld, assassiné en 1916 à Tamanrasset par un parti de Touaregs

révoltés, fut largement ignoré d’une société européenne d’Algérie qu’il

accusait d’être peu chrétienne, et à l’égard de laquelle il partageait les

préjugés aristocratiques de ses amis Hubert Lyautey et Henri Laperrine

d’Hautpoul, peut-être prédécesseurs, sur ce point, de Charles de Gaulle.


Cette absence de prosélytisme et surtout cet abandon de la vocation

missionnaire à un clergé régulier de haute tenue spirituelle et intellectuelle,

mais plutôt à l’écart des préoccupations de la majorité des catholiques,

eurent pour contrepartie le peu d’intérêt accordé par les Français d’Algérie

à la religion des musulmans. Les prêtres eux-mêmes n’étaient guère

préparés à regarder au-delà de leurs ouailles. La masse de la population

chrétienne, concentrée dans des agglomérations urbaines, fut largement

étrangère aux croyances de ses voisins, comme elle l’était à leurs langues et

à leurs traditions, et plus généralement à leur sort. Cette indifférence devait

entraîner plus tard la vive critique de catholiques, souvent venus de

métropole, influencés par le message social, voire subversif, de l’Évangile.

Mais ces appels à la charité, parfois maladroits, ne purent que rarement

convaincre leurs destinataires, avant que la guerre ne radicalise les

positions.

Un dernier chapitre retrace, par-delà l’histoire des chrétiens dans la

guerre d’Algérie, seulement évoquée (et sur laquelle existent déjà nombre

de travaux, dont le plus récent est le mémoire d’HDR, encore inédit, de

Jérôme Bocquet), la véritable mutation qui transforma l’Église catholique

des Français en une Église catholique des Algériens. Outre la nécessité de

se fondre dans un paysage nouveau, la présence de l’Église catholique en

terre musulmane interroge désormais la question de la liberté de culte et de

conscience telle qu’elle est posée par un État indépendant qui tente de

concilier son adhésion aux principes de la Déclaration universelle des droits

de l’homme avec l’identité musulmane du pays. Cela ne va pas sans

incohérences, quand on réfléchit, par exemple, à la difficulté de rendre

compatible la réintégration de la figure de saint Augustin dans l’histoire

nationale opérée par le régime avec les gages qu’il donne en même temps à

un courant islamiste fermé à tout ce qui précède un passé musulman

imaginé plutôt que connu.


En conclusion, ce livre a le mérite de faire revivre une communauté

religieuse oubliée, et de restituer un aspect négligé de la société française

d’Algérie. En contribuant à éclairer l’histoire de cette collectivité humaine,

sur laquelle, comme le remarquait naguère la regrettée Fanny Colonna, on

sait réellement très peu de choses, Oissila Saaïdia ouvre ainsi

magistralement une piste qui mérite de continuer à être explorée.

Jacques Frémeaux, professeur à l’université de Paris-Sorbonne, membre

émérite de l’Institut universitaire de France,

membre de l’Académie des Sciences d’Outre-Mer.


Abréviations utilisées

CAOM

AN

AAA

AGMAfr

AOPM

AGO

SRO

SRA

QA

JO

Centre des Archives d’Outre-mer

Archives nationales

Archives de l’archevêché d’Alger

Archives générales des missionnaires d’Afrique

Archives des Œuvres Pontificales Missionnaires

Archives du Grand-Orient

Semaine Religieuse d’Oran

Semaine Religieuse d’Alger

Questions Actuelles

Journal officiel


Introduction

Le présent ouvrage est parti d’un constat, celui de la faiblesse

quantitative des études sur le catholicisme dans l’Algérie coloniale. Force

est de constater qu’à l’exception des années 1930, les livres sur la religion

catholique en Algérie ne sont pas légion. En effet, au moment de la

célébration du centenaire de la prise d’Alger, nombre de publications sur la

question paraissent. Leur principale caractéristique est de ne pas répondre à

la démarche historique mais de s’apparenter, bien souvent, à de

l’hagiographie. Ces livres émanent généralement de religieux dont le

dessein n’est pas de s’inscrire dans un travail scientifique, même si les

renseignements fournis, croisés avec d’autres sources, restent précieux et

parfois demeurent la seule documentation encore accessible. C’est à cette

catégorie qu’appartiennent les livres de Pons et de Répeticci 1 . Les laïcs ne

sont pas en reste puisque certains s’intéressent soit explicitement au sujet,

soit ne manquent pas de faire état de la religion quand ils abordent une

présentation générale de l’Algérie. Cette orientation est d’ailleurs décelable

bien avant les années 1930. Il est aussi possible de mentionner les chapitres

consacrés à la période coloniale du catholicisme dans des ouvrages plus

généraux qui retracent l’histoire du christianisme au Maghreb 2 .

Si une approche globale et historique du catholicisme n’est pas

détectable en grand nombre, quelques personnalités de ce catholicisme

algérien ont très tôt retenu l’attention. Trois noms dominent : Lavigerie,


Foucauld et Duval. Les livres sur celui qui restaure le siège de Carthage

sont innombrables, comme le montre la bibliographie du magistral travail

de François Renault 3 . La biographie que lui a consacrée le père blanc reste,

jusqu’à aujourd’hui, une référence incontournable. Renault a dressé un

portrait tout en nuances de ce personnage complexe, admiré et critiqué de

son vivant. À travers le genre biographique, ce travail d’historien renseigne

sur une période et est d’autant plus précieux, faute de travaux de synthèse

récents sur le sujet. En revanche, approcher la figure historique du père

Charles relève encore de la gageure. Si les ouvrages sur Charles de

Foucauld sont très nombreux pendant la période coloniale, il connaît par la

suite une certaine désaffection, à l’exception de la production issue de la

« grande famille foucauldienne 4 ». Précisons que Foucauld ne fait pas

l’objet d’un développement original dans ce livre, dans la mesure où il est

éloigné de la problématique retenue. La dernière figure emblématique de

l’Algérie catholique est, sans conteste, Jean Duval 5 . Son engagement en

faveur de l’indépendance et sa dénonciation de la torture ont permis le

maintien de l’Église après 1962. La période de la guerre d’Algérie, qui a

focalisé une grande partie de l’attention des chercheurs, a aussi retenu leur

attention sur le catholicisme 6 . Deux autres personnalités catholiques ont fait

l’objet de travaux non publiés, par Paul Fournier 7 : Dupuch et Pavy,

respectivement premier et deuxième évêques d’Algérie.

Cette rapide présentation, qui n’a pas pour ambition d’être exhaustive,

mais de donner les grandes tendances de l’historiographie, laisse percevoir

un grand espace non « couvert » : des années 1892 à la fin des années 1940.

De plus, si quelques figures ont retenu l’attention, les anonymes n’ont pas

fait l’objet de travaux d’envergure. Dès les premières années de la

conquête, l’Église algérienne présente la dichotomie traditionnelle entre un

clergé séculier et un clergé régulier. Lavigerie introduit une distinction

supplémentaire dans le clergé régulier, celle entre les pères blancs et les

autres congrégations. Les premiers sont théoriquement destinés aux


musulmans, les seconds aux Européens. La frontière n’est pas pour autant

imperméable et il n’est pas rare encore au XIX e siècle de rencontrer quelques

velléités missionnaires chez des jésuites ou des lazaristes, tout comme les

pères blancs sont, surtout dans les zones de faible peuplement européen,

amenés à assurer des fonctions paroissiales. Toutefois, à l’échelle de la

période, cette subdivision reste opératoire dans ses grandes lignes.

Pour ce qui concerne les pères blancs, pour l’instant il n’existe pas de

synthèse historique sur leur présence en Algérie, mais des ouvrages sur la

société sont disponibles 8 . Pour les autres congrégations, des travaux

systématiques n’existent pas, à ma connaissance, même si l’on peut

toujours se référer, par exemple et avec intérêt, au livre de Bernard Delpal 9

sur les trappistes pour trouver des renseignements sur la trappe de Staouëli.

Dans l’ensemble, les congrégations religieuses, pourtant en nombre en

Algérie, ne figurent que de manière très détournée dans des ouvrages plus

généraux. Quant aux séculiers, à l’exception du travail de Paul Fournier sur

le recrutement sacerdotal sous Pavy 10 , il n’y a rien, à ma connaissance, les

concernant. Ils sont, avec les populations catholiques, les grands oubliés des

historiens. Dans ces populations, je distinguerai les convertis 11 des

populations européennes. Pour les catholiques européens, si les mémoires,

les souvenirs sont pléthore, les travaux historiques brillent par leur absence.

Toutefois, il est possible d’accéder à certains aspects du catholicisme en

Algérie à partir d’autres travaux 12 .

C’est pourquoi, devant ce vaste chantier du catholicisme dans l’Algérie,

j’ai choisi de privilégier l’Église catholique comme institution, le clergé

séculier et les catholiques européens. Ils constituent l’axe principal, ce qui

n’exclut pas les références aussi bien aux pères blancs, aux autres

congrégations, aux convertis, etc. La période retenue se concentre sur le

grand XIX e siècle tout en donnant des pistes jusqu’à nos jours.

Par bien des aspects, ce livre relève des travaux pionniers et se veut une

invitation à poursuivre dans cette voie délaissée jusque-là par les historiens.


En effet, le monde catholique algérien n’a que peu suscité d’intérêt et il est

difficile de savoir à quoi imputer cette indifférence. Tentons toutefois de

fournir quelques pistes à cette question délicate.

Il semble que les aspects politiques – avec la question « indigène » –,

économiques et sociaux – en relation avec l’impérialisme colonial – aient, à

juste titre, focalisé les attentions. Les centres d’intérêt de C.-A. Julien, C.-

R. Ageron, B. Stora ou encore J. Frémeaux, A. Mérad, D. Lefeuvre, mais

aussi M. Harbi, pour ne citer qu’eux car la liste est longue, ne se sont pas

orientés vers les questions religieuses catholiques. Leurs travaux, est-il

besoin de le rappeler, n’en demeurent pas moins fondamentaux. Il fallait

avant tout que des historiens appliquent la démarche historique pour

interroger ce vaste pan de notre histoire que constitue l’histoire de la

colonisation, que ces entités sous domination française se voient, elles

aussi, analysées par des historiens de métiers et que l’histoire s’impose face

aux mémoires concurrentielles. Or, la tendance légitime du chercheur est

aussi, mais pas uniquement, de travailler en fonction des préoccupations

contemporaines. L’attention s’est donc portée sur les « indigènes » alors

qu’ils n’étaient pas au cœur des préoccupations : seuls les Français

comptaient, bien plus que les Européens, car ils avaient le droit de vote.

Dans leur majorité, les Français étaient des catholiques. L’histoire s’est

donc écrite en fonction des enjeux d’un moment historique qui est celui des

guerres de libération et de décolonisation, et non en fonction des priorités

réelles de l’époque coloniale. À cette sensibilité, s’est probablement greffée

chez certains historiens une certaine « mauvaise conscience » imprégnée

d’anticolonialisme qui s’est traduite par une inversion faisant passer les

colons au second plan.

Si pour les historiens du fait colonial, la question du catholicisme n’a

pas fait sens, elle n’a guère suscité plus d’intérêt auprès des historiens du

religieux. Certes, l’histoire religieuse a été le parent pauvre de la discipline

pendant des décennies et elle ne retrouve que tardivement ses lettres de


noblesse. Néanmoins, les historiens du religieux ont relégué l’histoire du

catholicisme en situation coloniale aux historiens de la colonisation, créant

ainsi une terra incognita. Pour l’Algérie, la situation est d’autant plus

paradoxale qu’il s’agit d’un ensemble de départements français. Pourquoi

étudier la vie religieuse de ces trois départements ? En quoi se distingue-telle

des autres ? Alors qu’elle a une organisation départementale, elle ne

figure sur aucune des cartes de la France religieuse, sociale, économique ou

politique qui intègre la Corse 13 . Est-ce bien la France ?

D’autres raisons peuvent être avancées pour expliquer ce désintérêt

avec en premier lieu la question des sources. Le classement des séries sur

les cultes au centre des archives d’Outre-Mer d’Aix-en-Provence (CAOM)

remonte au début des années 1990. Les documents disponibles en France

relèvent des archives dites de « souveraineté 14 » et concernent pour les

questions catholiques les seuls départements d’Oran et de Constantine. De

nombreux organes de presse sont aussi disponibles au CAOM ; je signale,

notamment, la présence de La croix de l’Algérie et de la Tunisie. De plus, la

majorité des dossiers sur le culte concerne l’Oranie. L’historien reste

tributaire de ses sources même s’il est vrai que la plupart des éléments sur

le département d’Oran sont valables, dans une certaine mesure, pour Alger

et Constantine. Face à cette carence, je ne peux que saluer la mémoire de

mon ami Pierre Soumille qui m’avait communiqué certains dossiers sur le

Constantinois, via son travail sur Combes archevêque de Carthage. Les

Archives nationales ne sont pas d’un grand secours car seuls les dossiers de

l’époque Lavigerie sont disponibles. Quant à la Bibliothèque nationale, elle

reste un lieu incontournable pour la presse car on peut y trouver les

Semaines religieuses d’Alger et d’Oran, celle de Constantine a été fondée

après la Première Guerre.

Du côté des archives privées, les archives de l’archevêché m’ont été

ouvertes sans restriction. Je tiens à remercier tout particulièrement

Mgr Teissier pour sa confiance et le père Henry, archiviste, dont l’aide


précieuse s’est poursuivie bien après ma présence à Alger. La consultation

de ces archives est tributaire de l’histoire du temps présent et mon séjour

n’a pas été possible avant fin 2004. Les archives de la propagation de la foi

de Lyon et de Paris (consultables à Lyon) ne sont pas à négliger tout comme

celles de la maison généralice des pères blancs à Rome. De manière annexe,

les archives du Grand Orient ont été aussi consultées. La documentation des

archives, tant privées que publiques, est considérable et ce travail ne peut à

lui seul l’épuiser.

Le XIX e siècle reste toujours peu exploré comme me l’ont encore rappelé

André Brochier et Daniel Hick, conservateurs en charge des fonds sur

l’Algérie. Et que dire des Archives nationales algériennes sur la

colonisation ? Leur exploitation s’avère indispensable 15 . Or, dans les années

qui viennent le nombre d’étudiants algériens maîtrisant le français risque

d’aller en nombre décroissant. Pourtant, il ne me semble pas envisageable

d’écrire cette histoire commune à une seule main. Le travail doit être mené

sur les deux rives de la Méditerranée.

D’autre part, pour des raisons évidentes, la période de la guerre

d’indépendance continue de focaliser toutes les attentions, alors que le

grand XIX e reste indispensable pour saisir toute la complexité du système

colonial. Les fondements de l’organisation de la colonisation de l’Algérie

sont à rechercher avant 1914. Les problématiques de la période de l’entredeux-guerres

et de l’après-Seconde Guerre mondiale ne sont que des

variations dans le prolongement de celles d’avant la Première Guerre

mondiale. Toutes les apories du système colonial sont déjà présentes : les

mécanismes qui conduisent à l’exacerbation des tensions et aux impasses

sont repérables.

C’est pourquoi faire de l’histoire religieuse du catholicisme en Algérie,

c’est faire de l’histoire de la colonisation mais aussi de l’histoire du temps

présent sur les segments spécifiques qui sont ceux de l’histoire religieuse et

de l’histoire politique. L’entrée par le religieux permet d’accéder à l’un des


aspects les moins connus de l’histoire de l’Algérie. Pour ce qui concerne la

période coloniale, il est question de rétablir l’ordre des priorités tel qu’il

était pendant la colonisation en replaçant les colons au centre du système,

sans pour autant occulter les populations soumises, à la fois centre et

périphérie. Il s’agit de présenter une autre face des sociétés coloniales et de

la société algérienne contemporaine peu connues.

Rappelons que la colonisation est à l’origine d’un ordre nouveau auquel

sont confrontées toutes les populations. Dans le cas de l’Algérie, ce nouvel

ordre a généré une colonisation que je qualifie de totale, i. e. une expérience

de l’absolu colonial, du tout colonial où une minorité d’Européens, mais en

nombre suffisant, a bouleversé le droit, y compris les principes du droit

français, la justice, y compris les décisions de justice rendue en France, les

services de santé, l’instruction, la langue, l’alphabet, etc. Ces colons sont

arrivés avec une nouvelle religion qui a marqué le territoire avec ses églises,

le son des cloches, les processions, les pèlerinages… Un nouvel

environnement sonore et visuel s’est imposé aux populations colonisées. La

domination est totale car pas un seul aspect n’est épargné. Les colons ont pu

imposer une nouvelle vision du monde qui reposait sur l’expérience de la

ségrégation légale, sociale, culturelle qui niait l’individu indigène pour ne

reconnaître que le groupe.

Toutefois, les réalités sont plus subtiles car il n’est pas question d’un

bloc colonial confronté à un bloc colonisé. Le monde colonial est lui aussi

fragmenté, car il reproduit par son importance numérique toutes les

divisions sociales présentes en France ou dans d’autres pays européens.

Quels sont les points communs entre des marins siciliens, des ouvriers

espagnols et de grands propriétaires fonciers ? Même la langue française ne

constitue pas, encore dans l’entre-deux-guerres, le plus petit dénominateur

commun entre eux. De plus, la place réservée aux juifs autochtones,

citoyens ou non, renforce les divisions. Il n’est pas plus question d’un

monde indigène uniformisé car tout est hybridation : le simple fait de passer


par l’école, d’aller chez le médecin transforme les populations de même que

leur rapport à l’autorité et au pouvoir.

Ce livre entend être une histoire de l’Algérie coloniale dans la mesure

où le catholicisme a été partie prenante de bien des réalités de la domination

coloniale pendant toute la durée de la colonisation. L’Algérie reste unique à

l’échelle de l’entreprise coloniale jusque dans l’implantation de l’Église et

apparaît, à plus d’un titre, comme un laboratoire de l’expérience coloniale.

Le projet colonial en Algérie repose sur la fondation d’une « autre-France »,

l’Église porte ce dessein.

Ce premier volet d’un travail plus large entend donc étudier le

catholicisme dans un contexte colonial unique à l’échelle de l’empire qu’est

l’Algérie. Cette « autre-France », comme la désigne Lavigerie, présente des

caractéristiques uniques. Sur le plan du catholicisme c’est à la fois la

France, l’Europe méditerranéenne, une colonie et une terre de mission.

C’est la France car l’organisation ecclésiastique est la réplique de celle qui

se trouve en métropole : des diocèses concordataires ; c’est l’Europe

méditerranéenne car les fidèles proviennent des quatre coins de la

Méditerranée ; c’est une colonie car les Français ont conquis ces rivages et

l’Église catholique est sur cette terre maghrébine arrivée avec la

colonisation, en ce sens elle est une Église coloniale ; c’est enfin une terre

de mission dans la mesure où l’écrasante majorité de la population n’est pas

catholique, mais musulmane. À la différence des autres possessions

coloniales, l’Algérie est une colonie de peuplement qui se trouve à

proximité de la métropole. Tous ces éléments ont une incidence sur

l’organisation de la vie catholique.

En effet, l’Église est, à plus d’un titre, un des piliers de l’ordre colonial :

elle participe matériellement et spirituellement à l’entreprise de la

colonisation. Par ailleurs, l’Algérie, c’est la France, affirme le discours

colonial, pourtant les lois y sont-elles appliquées de la même manière ? À

l’heure des grandes lois qui consacrent la sécularisation de la République, la


situation coloniale est le lieu où s’exposent au grand jour toutes les apories

des idéaux républicains sur la question religieuse. Sur toute la période,

l’Église entretient des rapports avec tous les acteurs de l’action

colonisatrice et s’insère, elle-même dans cet environnement (chap. I). De

plus, les catholiques algériens sont dans une situation paradoxale de devoir

vivre leur foi en situation de minorité religieuse tout en étant dans le camp

de la domination. Dans quelle mesure peut-on repérer les traits d’un

catholicisme algérien ? (chap. II). Acteur du jeu colonial, l’Église se trouve

aussi confrontée aux populations colonisées : quels regards porte-t-elle sur

l’islam et les musulmans ? Existe-t-il un regard catholique, une perception

catholique de l’Autre non-chrétien qui se distinguerait de l’approche

« laïque » ? (chap. III). Si le grand XIX e est la période fondatrice de la

colonisation, cette dernière se poursuit jusqu’en 1962. À cette date, une

certaine Église a cessé d’exister alors qu’une nouvelle phase s’ouvre pour le

catholicisme. Les cadres de l’Église et de la spiritualité catholique en

Algérie sont posés à la veille de la première déflagration mondiale. L’entredeux-guerres

et les lendemains de la Seconde Guerre mondiale ne font que

renforcer les traits d’un catholicisme qui a lié son sort à ceux qui deviennent

les rapatriés. Toutefois, l’Église par les prises de positions de son plus haut

représentant, l’archevêque d’Alger, Mgr Duval, parvient à se maintenir

dans l’Algérie indépendante. Elle fait aujourd’hui partie des cultes reconnus

(chap. IV).

C’est donc l’histoire de cette Église, de ses membres et de ses fidèles

dans ses interactions avec les autorités politiques – françaises et

algériennes – et avec les populations locales, sur cette terre de contrastes

qu’est l’Algérie que je me propose d’aborder dans cet ouvrage.

1. P. RÉPETICCI, L’Algérie chrétienne, esquisse historique 1830-1930, Alger, Librairie À Notre

Dame, 1930 ; A. PONS, La nouvelle Église d’Afrique ou le catholicisme en Algérie, Tunisie et au

Maroc depuis 1830, Paris, Librairie L. Namura, 1930.


2. M gr TEISSIER, (s. d.), Histoire des chrétiens d’Afrique du Nord, Paris, Desclée, 1991.

3. F. RENAULT, Le cardinal Lavigerie 1825-1892, l’Église, l’Afrique et la France, Paris, Fayard,

1992.

4. Charles de Foucauld et son temps, colloque interdisciplinaire organisé par le Pr Claude

Prudhomme (Lyon 2/LARHRA UMR 5190), 6-8 juillet 2016, Viviers.

5. Entre autres : M. IMPAGLIAZZO, Duval d’Algeria. Una Chiesa tra Europa e mondo arabo

(1946-1988), Roma, Édition Studim, 1994.

6. Entre autres : F. BÉDARIDA, E. FOUILLOUX (dir.), La Guerre d’Algérie et les chrétiens, Paris,

Cahiers de l’IHTP, n o 9, oct. 1988 ; E. FOUILLOUX, Les chrétiens français entre guerre d’Algérie

et mai 1968, Paris, éd. Parole et Silence, 2008 ; S. CHAPEU, Des Chrétiens dans la Guerre

d’Algérie : l’action de la Mission de France, Paris, Éditions de l’Atelier, 2004. Cf. bibliographie

plus détaillée dans le dernier chapitre.

7. Paul Fournier nous a aimablement confié des travaux qui n’ont pas fait l’objet de publication

sur les premières années de l’Église catholique en Algérie, « La faillite de M gr

Dupuch

(1 er évêque d’Alger) en 1845 », exposé du séminaire de 3 e cycle de l’Université de Provence,

centre d’Aix-en-Provence, mai 1971 ; « Jacques Suchet (1795-1870) », travail non publié réalisé

à partir des papiers personnels de Jacques Suchet ; « Le clergé d’Algérie, séminaire de troisième

cycle, 1972-1973 ».

8. Cf. J.-C. CEILLIER, Histoire de Missionnaires d’Afrique (Pères Blancs) de la fondation par

Mgr Lavigerie à la mort du fondateur (1868-1892), Paris, Karthala, 2008.

9. B. DELPAL, Le silence des moines : les trappistes au XIX e siècle : France, Algérie, Syrie,

Beauchesne, Paris, 1998.

10. P. FOURNIER, « Le clergé d’Algérie… », art. cit.

11. K. DIRÈCHE-SLIMANI, Chrétiens de Kabylie 1873-1954. Une action missionnaire dans

l’Algérie coloniale, Paris, Édition Bouchène, 2004.

12. O. SAAIDIA, Clercs catholiques et oulémas sunnites dans la première moitié du XX e siècle,

discours croisés, Paris, Geuthner, 2004 et surtout Algérie coloniale, musulmans et chrétiens : le

contrôle de l’État (1830-1914), Paris, CNRS Éditions, 2015.

13. Le propos doit être nuancé au moins pour ce qui concerne les « Matériaux Boulard » :

O. SAAIDIA, « L’Algérie catholique, 1830-1962 », dans B. DELPAL (dir.), Matériaux Boulard,

CNRS, Paris, 2011, p. 130-137.

14. A. KUDO, R. BAËD, D. GUIGNARD, « Des lieux pour la recherche en Algérie », dans

Répression, contrôle et encadrement dans le monde colonial au XX e siècle, Bulletin de l’IHTP,

n o 83, 1 er semestre 2004, p. 158-168.

15. A. KUDO, R. BAËD, D. GUIGNARD, « Des lieux pour la recherche en Algérie », art. cit.


CHAPITRE PREMIER

Une Église coloniale dans l’Algérie française

Quand les Français débarquent sur les côtes de la Régence d’Alger en

juillet 1830, la question de leur installation ne se pose pas encore, même si

des ecclésiastiques catholiques sont présents. Leur présence se justifie alors

par leur fonction : il s’agit d’aumôniers militaires, au nombre de seize,

accompagnés d’un prêtre. En novembre 1830, quatre aumôniers sont

maintenus, deux à Alger, un à Oran et un autre à Bône. Si le rôle des

aumôniers est d’assurer le service religieux auprès des militaires, l’Église

catholique n’entend pas s’y limiter et nomme dès décembre 1831 un préfet

apostolique. Elle envisage de s’installer dans ce nouveau territoire qu’elle

place sous la juridiction de la congrégation de la propagation de la foi. Un

tout autre destin attend pourtant l’Église catholique en Algérie à partir de

1838 avec l’érection du diocèse concordataire d’Alger. Ce cadre suppose

une organisation calquée sur le modèle métropolitain, mais dans une

situation coloniale spécifique. L’Algérie devient à partir de 1848 une

extension de la France avec la mise en place de départements alors que

l’écrasante majorité des populations locales ne sont pas de confession

chrétienne.

Dans ce contexte, l’État se retrouve dans la situation de devoir gérer le

pluralisme religieux et de contribuer à l’installation du catholicisme comme


institution régie par des lois françaises. Quelles relations État et Église

catholique établissent-ils avant et après la loi de 1905 ? De son côté,

l’Église doit concilier son statut d’Église concordataire et sa dimension

missionnaire. En effet, tout est à construire en termes d’infrastructure

paroissiale et d’encadrement religieux. Une nouvelle Église d’Afrique voit

le jour au cours du XIX e : quelles sont ses caractéristiques ?

S’installer

LA COLONISATION DE L’ALGÉRIE : JALONS HISTORIQUES

De la conquête à l’installation

L’histoire de la conquête de l’Algérie est bien connue : ce qui est à

l’origine une expédition se transforme progressivement en occupation du

territoire. C’est pourquoi, dans les premières années, une grande confusion

règne tant sur le terrain qu’à Paris. La résistance des populations est

conditionnée par l’impératif d’en finir avec la domination turque sans pour

autant accepter une autre domination. C’est ce qui explique, en partie, la

désorganisation dans le front du refus de la présence française. Toutefois,

dès le début des années 1830 un homme tente de fédérer les oppositions :

Abd el-Kader 1 . Un premier accord est conclu en 1834, mais les combats

reprennent en 1835-1836, pour aboutir en 1837 à un « partage » qui, dans le

traité en langue arabe, se fait au profit de l’émir. Entre 1837 et 1840

l’occupation du territoire n’est que très partielle. Un changement de

stratégie intervient au début des années 1840 : la conquête doit être totale.

Le conflit reprend jusqu’en 1847, année de l’abdication d’Abd el-Kader.


Cette date ne marque cependant pas la fin des hostilités, d’autant plus

que le « pays kabyle » n’est pas encore soumis. C’est chose faite, au moins

théoriquement, en 1857. Les insurrections se poursuivent dans les

années 1860 et l’opposition culmine lors de la grande révolte de 1870-1871

dont la répression lamine toute résistance de grande envergure pour des

décennies sans empêcher d’autres soulèvements plus localisés. La conquête

se poursuit puisque le M’zab est sous contrôle au début des années 1880.

Le rôle des militaires, s’il est fondamental pour réaliser la conquête,

reste prépondérant dans la gestion du pays au cours des premières

décennies, mais se heurte progressivement à la volonté des colons de

dépendre d’une administration civile 2 . Le territoire est réparti, pendant une

grande partie de la colonisation, entre territoires militaires et territoires

civils avec une progression constante des territoires civils 3 . Ces derniers

sont assimilés au régime de la métropole en 1845, tout en conservant des

spécificités, ce qui reste une constante de l’organisation de l’Algérie. Ainsi,

en 1847, la loi de 1837 sur les communes françaises est certes appliquée,

mais avec des différences notables. En effet, les maires nommés de ces

communes sont rétribués, tandis que la caisse municipale est alimentée

principalement par des contribuables non citoyens.

La révolution de 1848 est, pour les colons, l’occasion de mettre fin au

régime militaire et de réaliser l’assimilation. Il existe un quiproquo sur la

conception de l’assimilation vue d’Algérie et vue de France 4 . Alors que

pour les métropolitains, l’assimilation consiste à pousser les indigènes vers

la civilisation, pour les colons cela signifie l’égalité des droits avec les

métropolitains pour les seuls Européens ainsi que quelques avantages

locaux. La ligne directrice de l’assimilation, du point de vue des colons, est

une constante qui ne varie que peu tout au long de la période de la

colonisation, même si ses fondements pour la justifier peuvent être évolutifs

dans le temps. C’est avec cette clé de lecture qu’il faut appréhender les

discours des colons en faveur du libéralisme, de la stricte application de


certaines des lois françaises, ou encore ceux qui prônent le respect des

cultures des populations soumises.

Dès décembre 1848, la Seconde République organise l’administration

selon le cadre français : les territoires civils des provinces deviennent trois

départements subdivisés en arrondissements et communes administrées par

des préfets, sous-préfets et maires. Les administrateurs contournent le

gouverneur général pour prendre leurs ordres directement des ministères

parisiens. Le reste du territoire reste aux mains des militaires. Avec

l’avènement du Second Empire, les militaires retrouvent leur pouvoir.

Toutefois, les pressions des colons en faveur de l’assimilation et donc

de la disparition du régime militaire conduisent Napoléon III à supprimer

celui-ci en juin 1858. Commence alors, pour deux ans, une gestion

centralisée à Paris à partir du ministère de l’Algérie et des colonies. Seuls

l’Instruction publique et les Cultes sont rattachés aux ministères

correspondants. Les militaires tentent de montrer à l’empereur que cette

politique bouleverse considérablement la société indigène. Avant son

voyage en 1860, l’empereur a décidé la suppression du ministère de

l’Algérie. Sa disparition et le programme de Napoléon III, abusivement

qualifié de « Royaume arabe », suscitent stupeur et consternation chez les

colons. Les pouvoirs du gouverneur général sont renforcés même si

quelques services demeurent rattachés à Paris. Les colons dénoncent cette

politique et ne manquent pas de saluer la chute de l’empire en 1870. La

Commune d’Alger est en train de se constituer quand l’insurrection

algérienne éclate en 1871. La défaite des indigènes assure la victoire

politique des colons : les militaires sont disqualifiés, l’assimilation

commence 5 .

La question de l’assimilation est une question à la fois sensible et

centrale dans le processus colonial. Elle est pensée selon une logique

double. L’assimilation consiste, au nom de l’universalisme républicain, à

appliquer toutes les lois françaises sur la représentation politique, la


justice, etc. et, au nom des intérêts spéciaux de la colonie, à repousser les

impôts directs français, le service militaire, etc. Il s’agit, en d’autres termes,

de revendiquer une interprétation à géométrie variable des principes

républicains et de ne les réserver qu’aux seuls Français.

Les prérogatives du gouverneur général sont à nouveau fortement

restreintes avec le système dit des rattachements instauré en 1881 : toutes

les affaires algériennes sont réglées dans les ministères parisiens. Cette

politique est dénoncée au début des années 1890 par certains, comme

Jonnart après son passage comme directeur du service de l’Algérie. Mais,

c’est le rapport rendu public de la commission sénatoriale dite des XVIII

présidée par Jules Ferry qui alerte l’opinion sur la situation algérienne 6 .

Ferry dénonce l’état d’esprit des colons vis-à-vis du peuple vaincu :

« Il est difficile de faire entendre au colon européen qu’il existe

d’autres droits que les siens en pays arabe et que l’indigène n’est

pas une race taillable et corvéable à merci 7 . »

Il propose un programme qui tient en une seule phrase :

« Il ne faudrait livrer à aucun degré à l’élément européen les

intérêts du peuple indigène 8 . »

Un gouverneur général soutenu par Ferry est alors nommé, Jules

Cambon (1891-1897), contre les candidats de la représentation algérienne.

Il obtient, au grand dam des colons, l’abolition des rattachements et le

renforcement de l’autorité du gouverneur. Cependant, la loi du 29 décembre

1900 confère à l’Algérie la personnalité civile et un budget spécial,

exception faite des territoires du sud qui restent sous gestion militaire.

Quelle politique musulmane ?


Un autre lien relie les militaires à l’Algérie et il dépasse le strict cadre

de la conquête ou de la gestion des populations colonisées : ils sont les

premiers à être en contact avec les habitants 9 . Le recrutement des officiers

est de deux types. Certains sont d’extraction aristocratique ou de la haute

bourgeoisie avec une tradition marquée par le royalisme et le catholicisme,

alors que d’autres sont plus proches des milieux révolutionnaires.

Rappelons que les officiers sont issus soit de Saint-Cyr soit de

Polytechnique. Il reste difficile d’établir un ratio entre les deux ainsi qu’une

périodisation de la présence des uns et des autres. Un travail remarquable,

par bien des aspects, a été mené sur la deuxième catégorie par

P. M. E. Lorcin 10 . L’une des particularités de ces hommes est d’être des

polytechniciens imprégnés de la pensée saint-simonienne. Dans le droit fil

de l’expédition d’Égypte, ils développent un versant scientifique de leur

activité. Ces officiers sont donc républicains, saint-simoniens,

polytechniciens et pour eux la logique de l’armée n’est plus celle de

l’Ancien Régime, mais celle qui met en avant le mérite. Ces hommes

partent donc chercher la gloire apportée par les faits d’armes en vue

d’obtenir une promotion. Ils étaient déjà présents lors de l’expédition

d’Égypte et à la description de l’Égypte, fait écho la description de

l’Algérie. Ces hommes sont, pour Lorcin, à l’origine du mythe kabyle et de

la perception négative de l’islam pendant toute la période coloniale 11 .

L’un des fondements du mythe kabyle repose sur la construction de la

catégorie « Arabe » qui se distingue du « Kabyle » et dont les

caractéristiques sont aux antipodes de celles du « Français ». Le choix des

mots n’est jamais anodin car il conditionne la réalité. La terminologie

s’avère fluctuante pendant les premières décennies de la présence française.

Derrière les mots de « Kabyle » ou d’« Arabe » se trouvent des sens

différents et variables d’un officier ou d’un administrateur à l’autre : le

consensus met plusieurs décennies avant de s’établir. Se pose donc la

question des catégories qu’il reste difficile à établir. Les définitions


d’« Arabe » ou de « Berbère » ne sont généralement pas détaillées ou très

différentes selon l’utilisateur. Je me trouve dans la position paradoxale de

reprendre des catégories dont je souligne la fragilité telle qu’elle apparaît

dans les sources.

Définir les populations ne relève pas simplement d’une préoccupation

taxinomique à ambition intellectuelle, mais traduit aussi une nécessité

pragmatique : leur gestion par les nouvelles autorités. L’autre défi pour les

militaires est de s’assurer du maintien de l’ordre et, par-là même, repérer les

sources potentielles de subversion. La principale fut décelée en l’islam. Ce

choix s’ancrait dans une réalité de la conquête dans la mesure où Abd el-

Kader en avait appelé au djihad pour résister à l’invasion française.

L’ennemi repéré, son contrôle s’imposait : on allait donc l’organiser et, pour

se faire, former des hommes acquis à la France.

La logique du nécessaire contrôle de l’islam devenait l’une des lignes

directrices de la politique coloniale en direction des musulmans.

La meilleure technique de contrôle s’avéra la mise sous tutelle

financière, notamment par la suppression des biens habous, bien de

mainmorte. C’est pourquoi, les spoliations de terres furent nombreuses et

l’imposition du système de propriété privée du sol fut instaurée. Précisons

que la notion de propriété individuelle du sol, sans être inconnue, ne

relevait pas des mêmes mécanismes qu’en Europe. L’origine d’une des

principales confusions réside dans la terminologie : les terres ne sont pas

collectives, mais indivises ce qui n’est pas la même chose. Par ailleurs, il

convient, et cela a été fait, de distinguer les terres indivises qui sont

rattachées à la tribu des possessions privées. De plus, une partie des

parcelles était consacrée au budget du culte : les biens habous 12 .

Pour diminuer le pouvoir des tribus, ces terres destinées, entre autres, au

culte 13 furent incorporées au domaine public et livrées, pour partie, à la

colonisation. En échange, l’État français s’engageait à rétribuer le personnel

assurant le culte. L’introduction d’un nouveau rapport au sol de type


individuel allait léser l’écrasante majorité des populations autochtones qui

ne parvint pas à en saisir les tenants et les aboutissants tandis que d’autres,

une minorité, n’hésitèrent pas à spéculer. Ainsi, les colons purent

s’approprier des terres dans la plus grande légalité.

Progressivement, organiser le culte musulman est revenu à le contrôler.

Il fallait des hommes acquis à la France. Assurer leur formation puis leur

financement a constitué les deux axes de la gestion de l’islam pendant la

période coloniale avec pour finalité la mise sous tutelle pour mieux le

contrôler. Dans un premier temps, c’est des discours militaires, inscrits dans

un contexte de conquête, puis de « pacification » et de maintien de l’ordre

qu’émerge progressivement cette nécessité de contrôler l’islam. Ces

discours ne tardent pas à se diffuser auprès de tous les dirigeants et des

colons. Partager un même discours n’implique pas inéluctablement d’être

allié. C’est pourquoi les relations entre les différentes composantes de la

société coloniale ont pu évoluer dans le temps et en fonction des

interventions de la métropole.

Le système de domination mis en place en Algérie au cours du

XIX e siècle présente des similitudes avec d’autres colonies mais aussi des

différences liées à la gestion de l’islam, à la proximité géographique, à la

spécificité du peuplement et au statut départemental à partir de 1848.

L’Algérie se présente aussi comme un terrain d’expérimentation colonial à

imiter – le régime de l’indigénat – ou à blâmer. L’organisation officielle du

culte n’est reprise dans aucun autre territoire.

Comme dans les autres espaces coloniaux, pendant longtemps seuls les

aspects extérieurs de la domination coloniale ont fait l’objet de travaux, or

cette domination n’a pas été que matérielle. De nouveaux objets ont émergé

depuis quelques décennies, tels le droit, la justice, la santé, l’école, etc. et

ont dévoilé la globalité du système colonial et son imbrication dans tous les

maillages de l’existence des colonisés ainsi que les interactions opérées. La

déstructuration des sociétés est aussi et, surtout, passée par la confrontation


avec de nouvelles visions du monde dont l’école, la santé mais aussi une

législation des terres ont été d’excellents vecteurs autant, si ce n’est plus,

que l’exploitation économique ou l’assujettissement politique. Les réalités

sont plus complexes et ne permettent pas la seule analyse dualiste des

colons contre les colonisés. Le « bloc » colonial est divisé car il reproduit

de par son importance numérique toutes les divisions sociales présentes en

France ou dans d’autres pays européens : les milieux des marins siciliens,

des ouvriers espagnols ou des cléricaux ; les divisions : entre « néos »,

« Français de souche » ou « israélites naturalisés » ou encore entre citoyens

juifs et indigènes juifs. Du côté indigène, l’unité n’est guère plus

perceptible, l’hybridation règne et se traduit par le simple fait de passer par

l’école, d’aller chez le médecin ; les rapports à l’autorité et au pouvoir ne

sont pas identiques pour tous les indigènes. Le constat est celui de

l’existence de milieux coloniaux face à des sociétés colonisées plurielles.

Si ce constat se retrouve dans toutes les parties de l’Empire, il présente

pour l’Algérie à travers la présence d’une Église catholique concordataire,

une autre dimension qui relève de l’expérience de l’absolu colonial. En

effet, l’installation du catholicisme concordataire donne à l’Algérie la

coloration d’une colonisation « totale », l’ambition de créer une autre

France avec ses églises pour s’ancrer dans le paysage et ses cloches pour

s’approprier le temps.

LE CONCORDAT AUX COLONIES : LA SINGULARITÉ ALGÉRIENNE

Rappel historique

Les ambitions apostolique et universelle sont constitutives de l’Église

catholique et se sont matérialisées à travers la mission 14 . Cette dernière a

présenté des visages différents au cours des siècles et a dû composer avec le

pouvoir politique. Avec la « découverte du nouveau monde », une nouvelle


ère commence dans les relations entre les missions catholiques et les

pouvoirs coloniaux. L’Église catholique a ainsi opté pour plusieurs

solutions. Si, dans un premier temps, le système du padroado, dans les

colonies espagnoles et portugaises (XVI e siècle), se présente comme une

solution efficace pour la diffusion du catholicisme, très vite la papauté en

perçoit les limites pour son autonomie et tente de trouver d’autres solutions.

Les réductions jésuites apparaissent comme une option dès le début du

XVII e siècle, mais s’avèrent limitées dans le temps. Avec la création de la

Congregatio generalis de Propaganda Fide (Propagande en français, 1622),

les bases juridiques et de gestion semblent trouvées pour contourner le

pouvoir politique, avec notamment la création d’évêchés in partibus

infedelium dont l’évêque porte le titre de vicaire apostolique. Dans les faits,

la situation est plus complexe, car Rome est dans l’impossibilité de revenir

sur le padroado soit sur la tutelle exercée par les monarchies espagnole et

portugaise, alors que la monarchie française entend, dans ses colonies,

exercer son pouvoir sur les ecclésiastiques. Le roi de France s’appuie sur le

gallicanisme et sur les capitulations pour faire valoir son autorité sur les

missions catholiques. À la fin du XVIII e siècle, l’autorité de la Propagande

s’exerce en Asie et en Afrique ainsi que sur certains territoires au nord du

Mexique.

Toutefois, Rome s’est dotée d’un arsenal théorique et pratique qui ne

demande qu’à se réactiver une fois les conditions réunies. C’est ce qui se

passe au cours du XIX e siècle avec la reprise de l’élan missionnaire et la

deuxième grande vague de la colonisation. La papauté entend avoir la main

sur les missions à travers les vicariats et les préfectures apostoliques placés

sous l’autorité de la Propagande. Pour ce qui est des colonies françaises au

XIX e siècle, leur organisation, qui remonte au XVII e siècle, se présente

comme hybride, car les diocèses des Antilles et de la Réunion dépendent de

Paris, mais sont organisés comme des vicariats dans la mesure où seule une

congrégation se trouve à la tête d’un territoire.


Au moment de la conquête de l’Algérie, Rome envisage d’en faire un

vicariat apostolique en raison de la présence des musulmans. De son côté,

Paris entend maintenir son autorité sur les ecclésiastiques présents dans la

colonie. Alors que jusque-là la solution éprouvée est celle du diocèse

colonial, le Gouvernement opte pour un autre modèle, le modèle

concordataire en vigueur en France. De quoi s’agit-il ?

Avec la mise en place de l’empire par Napoléon I er , il est question de

tourner la page révolutionnaire et de trouver un accord avec le Saint-Siège.

La matérialisation de cet accord est le Concordat de 1801 15 . Sans entrer

dans les détails du traité et des articles organiques, le Concordat fonde les

nouvelles bases qui président aux destinées des relations entre l’Église

catholique et l’État français jusqu’en 1905. On retiendra que l’État prend en

charge les dépenses afférentes au clergé séculier et aux édifices du culte. En

contrepartie, la nomination des ecclésiastiques se fait conjointement entre

autorités politiques et religieuses. En résumé, l’État finance le culte

catholique et le contrôle. Le Concordat de 1801 participe de la conception

moderne de l’État qui entend encadrer bien des domaines dont le religieux

ne peut pas être exclu. Cette conception de l’État moderne recouvre

d’autres réalités en situation coloniale, car elle doit composer avec la

dimension coloniale de l’État.

Si la présence d’ecclésiastiques est attestée en Algérie dès 1830, c’est

en 1838 que l’Église catholique est officiellement installée. Le diocèse

d’Alger, diocèse concordataire, est placé sous l’autorité métropolitaine de

l’archevêché d’Aix-en-Provence par la bulle du pape Grégoire XVI.

Cependant, dès son origine, se pose la question de son statut : l’Église en

Algérie doit-elle être coloniale ou missionnaire ? Le choix par les autorités

françaises du régime concordataire et non pas de la solution préconisée par

le Saint-Siège du vicariat apostolique, place de facto l’Église en Algérie ni

dans la catégorie des Églises coloniales ni dans celle des Églises

missionnaires. Pourtant, si la volonté affichée est d’en faire une Église


diocésaine, les nécessités coloniales lui donnent un aspect complexe qui

met en relief des facettes différentes. De plus, les populations catholiques

en Algérie contribuent à renforcer la dimension « algérienne » de

l’institution. C’est pourquoi l’Église catholique en Algérie relève d’une

Église à la fois algérienne, dans le sens de concordataire, et coloniale.

Une Église concordataire en situation coloniale

Certes l’Église algérienne est concordataire et son organisation est

calquée sur celle des diocèses métropolitains : c’est la France ou presque…

En effet, tout est à créer dans ce nouveau diocèse qui ne repose pas sur un

terreau chrétien local mais d’importation. Le diocèse est divisé en quatre

provinces avec un vicaire général à la tête de chacune : provinces d’Alger,

de Constantine, d’Oran et de Titteri, qui disparaît rapidement. Le chapitre

cathédrale est créé en 1839. Jusqu’en 1844, il n’y a qu’une seule paroisse à

Alger qui regroupe la ville et ses faubourgs. Dans la province, entre 15 et

27 paroisses existent en 1845 16 .

Si dans un premier temps des mosquées sont transformées en églises, la

construction d’églises fait partie du programme de colonisation de

l’Algérie. Dans les années 1850, le gouvernement impérial accorde

beaucoup de crédits. Le soutien de l’Église catholique à Napoléon III

explique en partie les investissements publics, mais c’est le cadre

concordataire qui permet cette politique. C’est pourquoi la République dans

la loi du 15 septembre 1871 dispose dans le 4 e paragraphe de son article 6 :

« Art. 6 – Chaque centre de population sera pourvu aux frais de

l’État… 4 o d’un édifice du culte avec ses accessoires obligés. »

Précisons que le gouvernement général de l’Algérie n’est dans

l’obligation de donner des subventions aux communes pour leurs édifices


religieux que lorsqu’elles-mêmes ont voté les fonds pour la même

affectation et que les conseils généraux peuvent apporter leur contribution.

Il revient souvent au préfet en collaboration avec l’évêque, mais aussi aux

communes et aux conseils généraux de procéder à des arbitrages et d’établir

la liste des villes ou des établissements jugés prioritaires. Les demandes

excèdent les fonds disponibles dans la mesure où tout est à construire pour

le culte catholique et les églises élevées à partir de deniers privés sont

rarissimes 17 ; il s’agit de cas marginaux car les populations catholiques ne

sont pas en mesure, pour diverses raisons, de pourvoir aux besoins de leur

culte. La construction d’églises et la fondation de paroisses sont donc

d’actualité dès l’implantation de l’Église et pendant toute la période étudiée.

La première église coloniale est édifiée à Delly Brahim en 1831 18 .

Dans les archives du département d’Oran, le carton 1U3 regroupe des

dossiers de création de paroisses ou de succursales sur la période 1849-

1884. Les initiatives partent invariablement soit des autorités religieuses,

soit des autorités administratives, même si, parfois, des habitants réclament

la création d’une succursale ou d’une paroisse. Une enquête est alors

demandée afin de vérifier le bien-fondé de la requête. C’est ainsi que, dans

une lettre préfectorale de 1902 à l’administrateur d’Aïn Témouchent, le

préfet donne son accord pour l’érection de la municipalité de Trois

Marabouts en paroisse 19 . Les origines de cette décision sont à chercher

auprès de la commission municipale qui avait émis ce vœu. Le préfet l’avait

émis auprès de l’évêque d’Oran, qui avait donné son accord. Le courrier du

préfet est une demande de renseignements pour constituer un dossier. Il se

renseigne sur le nombre de la population catholique de Trois Marabouts et

sur la distance qui sépare le centre de l’église paroissiale actuelle. Il réclame

une carte de la circonscription paroissiale projetée et souhaite qu’elle

coïncide avec la circonscription civile. La topographie même souligne cette

volonté d’association entre l’État et l’Église. L’État veut insérer

l’organisation ecclésiastique dans le cadre administratif et les autorités


religieuses n’y semblent pas hostiles. Selon une démarche similaire, sur

proposition du gouverneur général et de l’évêque de Constantine, des

succursales sont érigées en cures après approbation par le président de la

République et le Garde des Sceaux 20 .

Le soutien de l’État est indispensable, comme le rappelle une lettre de

l’évêque d’Oran au préfet du 27 mars 1880 21 . L’évêque commence par

remercier le préfet d’avoir augmenté le budget des communes rurales qui

manquent de tout et ne sont pas en mesure de trouver d’autres fonds que

ceux de l’État. Certes, les communes urbaines peuvent disposer de fonds

propres, néanmoins si les municipalités ne les aident pas elles se

retrouveront confrontées à des difficultés :

« J’ose donc espérer, Monsieur le Préfet, que votre bienveillante

intervention amènera les communes d’Oran, de Tlemcen, de

Mascara et de Mostaganem, à voter pour chacune des paroisses

dépendant de ces communes, une subvention proportionnée à

l’importance de ces paroisses et aux besoins constatés par leur

comptabilité. »

Dans la lettre de l’évêque, il apparaît que la commission chargée

d’examiner les comptes de la fabrique de Mostaganem a trouvé des

irrégularités qui ne sont pas, d’après l’évêque et après consultation du curé,

si importantes 22 . Par ailleurs, la commune de Mascara avait motivé son

refus par l’absence de pièces justificatives qui ont depuis lors été envoyées.

L’évêque sachant que les budgets des communes sont restreints ne manque

pas de recommander aux conseils de fabrique la plus grande économie et la

plus parfaite régularité. Une grande cordialité caractérise le ton de cette

lettre. L’évêque est bien conscient que la survie de l’institution est

entièrement tributaire du pouvoir politique. La question du financement de


l’Église est vitale en Algérie, dans la mesure où elle ne peut compter sur

d’autres sources de financement que publiques.

L’État finance donc l’érection de nouveaux lieux de culte pour le

catholicisme sans trop de difficultés jusqu’au milieu des années 1890. À

partir de 1894, les vœux exposés par l’archevêque d’Alger, Mgr Dusserre,

au conseil supérieur de Gouvernement en vue d’obtenir du Parlement la

création de nouvelles succursales, n’aboutissent pas tous. Comment

expliquer ce changement de politique ? Deux raisons peuvent être avancées.

La première repose sur la montée de l’anticléricalisme en France comme en

Algérie dans la période qui incite certains à ne plus financer l’Église. On

peut y voir les prémices de la loi de Séparation de 1905. La seconde

explication, qui peut recouvrer pour partie la thèse de l’anticléricalisme,

mais pas seulement, repose sur les priorités budgétaires. Sans être

forcément anticléricaux, d’aucuns estiment que l’édification d’un nouveau

lieu de culte est moins importante que celles d’établissements scolaires ou

de santé dans un contexte où le budget doit être restreint.

Ainsi la politique de construction des édifices du culte par l’État est

attestée dès 1831 et se poursuit pendant toute la période coloniale avec des

périodes fastes et d’autres de restriction. Avec l’arrivée en 1837 du premier

évêque Mgr Dupuch, l’érection des églises répond, avant tout à la logique

concordataire.

Après la démission de Dupuch en décembre 1845, il revient à

Mrg Pavy, son successeur, d’organiser le diocèse. Il confie la province de

Constantine à son frère, celle d’Oran à Suchet et celle d’Alger à Dagret 23 .

Pavy assiste au concile d’Aix-en-Provence en 1850, organise son diocèse

lors du premier synode diocésain en 1853, encourage le développement des

œuvres et l’installation des communautés religieuses. Il agit en évêque

français en charge d’un diocèse français où tout est à construire. Sous son

épiscopat, plus de 150 paroisses sont érigées 24 . Toutes les paroisses sont


dotées d’un conseil de fabrique comprenant un trésorier et un marguillier,

quand cela est possible.

En 1864, l’évêque sollicite auprès des autorités l’érection de deux

nouveaux diocèses pour Oran et Constantine 25 . L’année suivante, le

18 juillet 1865, Alger devient archevêché à la tête de trois évêchés,

Mgr Pavy est le premier archevêque. Ce choix de créer un archevêché

atteste de l’importance aux yeux de l’État français, mais aussi du Saint-

Siège, de ces départements d’outre-Méditerranée. La délimitation des

diocèses suit celle des départements : diocèses et départements sont

confondus sur le terrain. L’Église catholique doit tout à l’État car elle

dépend du cadre concordataire et ne dispose pas de moyens financiers

suffisants pour face à l’ampleur des besoins. Rappelons que tout est à

construire en Algérie, que les fidèles dans leur écrasante majorité sont

pauvres et venus chercher fortune dans la colonie.

Concordataire, l’Église l’est aussi à travers ces prélats qui restent

connectés avec l’Église de France et l’Église universelle. Le successeur de

Pavy, Lavigerie, s’avère un grand prélat romain et français 26 . Il soutient,

lors du concile de Vatican I (1870), le texte sur l’infaillibilité pontificale et,

de retour en Algérie, il associe son clergé à cette décision en convoquant un

concile diocésain en 1871, puis un concile provincial en 1873. Il reste

l’homme du toast d’Alger du 12 novembre 1890 qui inaugure une nouvelle

ère dans la conception romaine de la République. Quant à Mgr Oury, il est

au cœur de toutes les discussions relatives à l’application de la loi de

Séparation des Églises et de l’État. Les ecclésiastiques d’Algérie ne vivent

pas en vase clos, ils sont au fait de l’actualité religieuse et politique

française comme vaticane.

Archevêché, évêchés, paroisses, conseil de fabrique, églises : tout

semble évoquer des diocèses français banals et faire oublier la situation

coloniale. Cette dernière est perceptible dans une ordonnance de 1853, issue

du premier synode diocésain, qui donne pour obligation au clergé séculier


de porter la barbe. Cette décision, contraire aux règles canoniques en usage,

va néanmoins servir de premier signe distinctif au clergé colonial, motivé

par la présence musulmane : le port de la barbe inspirerait le respect.

De manière moins anecdotique, la situation coloniale est repérable dans

la taille des diocèses. Le diocèse d’Alger s’étend sur 52 700 km², celui

d’Oran sur 67 300 km² et celui de Constantine sur 87 500 km² 27 . Or, en

France, la taille moyenne d’un diocèse est de 7 000 km² 28 . L’immensité des

diocèses est un bon indicateur du caractère colonial et doit être mise en

relation avec les conditions de circulation qui ne sont pas comparables avec

celles de la France métropolitaine.

Un autre élément renforce la spécificité coloniale : le nombre des

Européens. La population européenne totale est de 565 315 personnes dont

294 132 en Oranie, 265 791 dans l’Algérois et 159 054 dans le

Constantinois 29 . Par ailleurs, la composition de la population européenne

est différente d’un diocèse à l’autre. Dans le diocèse d’Oran, les Espagnols

sont majoritaires, dans celui d’Alger ceux sont plutôt les Français même si

des Espagnols et des Italiens sont présents ; le diocèse de Constantine

rassemble davantage d’Italiens et de Maltais. L’histoire explique ces

répartitions : la présence espagnole en Oranie indique que cette région est

considérée par l’Espagne comme une chasse gardée depuis des siècles

comme le Constantinois et sa proximité avec la Tunisie rappellent les

ambitions italiennes sur la Tunisie. La présence de populations non

françaises a des incidences sur la vie de l’Église catholique qui doit tenir

compte de leurs spécificités et être en mesure de communiquer avec elles

dans leurs langues respectives. L’organisation de la vie religieuse peut ainsi

s’en ressentir et présenter des singularités d’un diocèse à l’autre. Le prêtre

doit donc s’adapter à ses fidèles – et vice-versa – et parcourir de longues

distances pour assurer son service. C’est pourquoi, bien souvent, dans les

annexes des paroisses, seuls les sacrements les plus répandus tels que le

baptême, le mariage et l’extrême-onction sont délivrés.


La vie catholique, comme nous le verrons dans le chapitre qui lui est

consacré, varie donc selon les lieux : Église des villes, Église des champs,

l’Église s’est adaptée aux réalités algériennes. Le catholicisme présente des

visages différents selon que les fidèles vivent en communes de plein

exercice ou en communes mixtes, selon que l’on se trouve à Alger ou à

Constantine. Malgré ces différences, le personnel ecclésiastique présente

des caractéristiques similaires dans toute l’Algérie.

LE PERSONNEL ECCLÉSIASTIQUE

Origines et formation

La question du recrutement du clergé séculier reste d’actualité pendant

tout le XIX e : comment assurer un recrutement pérenne ? Très vite il apparaît

que le seul vrai vivier de prêtres est la métropole et qu’il est difficile

d’envisager que le terreau local puisse prendre complètement la relève :

avant 1866, il n’y a qu’un seul prêtre né en Algérie car « rares sont les

enfants, élevés en Algérie et formés au petit séminaire de Saint-Eugène, qui

arrivent jusqu’à la prêtrise 30 ».

Sous Dupuch, le grand séminaire végète et compte peu de séminaristes.

Le séminaire diocésain est alors dans la maison des lazaristes revenus en

1842 et qui obtiennent la transformation de la mosquée de Bab-el-Oued en

église (N.-D. des Victoires 31 ). Il est aisé de comprendre que les vocations ne

sont pas légion sous Dupuch : l’administration de l’évêque d’Alger

décourage les meilleures volontés, la conquête se poursuit et la colonie a

mauvaise réputation. Instabilité et hétérogénéité caractérisent alors le

clergé, mais la situation évolue au tournant des années 1850. Dès son

arrivée, Pavy fonde le petit séminaire (Saint-Eugène) et le grand séminaire

(Kouba). Au début de la présence française, tous les séminaristes étaient

reçus au séminaire de Kouba où ils étaient inscrits pour le diocèse de leur


choix. En 1867, Oran est pourvu de son séminaire et dès 1869 la distinction

existe entre le petit et le grand séminaires. C’est la même année que

Constantine est dotée d’un petit et d’un grand séminaire. En 1880, à la suite

de la fermeture du collège des jésuites, le petit séminaire d’Oran est

transporté sous les toits du grand.

Les grands séminaires sont alimentés par des séminaristes en

provenance de France que les évêques et archevêques d’Algérie recrutent

dans les séminaires métropolitains. Les prélats se rendent dans les diocèses

où ils ont des attaches personnelles pour exposer les avantages à intégrer les

grands séminaires en Algérie. Le XIX e siècle se caractérise par une inflation

des vocations et par les difficultés à trouver une cure. C’est pourquoi les

avantages présentés par le choix de venir en Algérie sont importants :

études payées et poste garanti à la sortie du grand séminaire. De plus, la

relative proximité géographique avec la métropole, un climat de moins en

moins redouté, une sécurité de mieux en mieux assurée et les avantages du

Concordat finissent par convaincre les jeunes séminaristes d’opter pour

cette solution. Les deux parties sont satisfaites. En France, ces départs

allègent la charge financière des évêques et leur permettent aussi de laisser

partir les moins doués et, surtout, les plus pauvres, ceux qui ne paient pas de

pension. C’est parfois aussi l’opportunité de se débarrasser des esprits forts

qui ont pris quelques libertés avec la règle. Sur la rive sud de la

Méditerranée, déficitaire, les supérieurs se montrent moins exigeants pour

les admissions. Pourtant, si certains acceptent d’y venir terminer leurs

études, certains ne font pas le choix de l’Algérie à l’issue de leur cursus et

préfèrent retourner en métropole. Cependant, à partir des années 1870, rares

sont les prêtres venus en Algérie à avoir mal supporté le pays et à être

retournés en France.

La situation des séminaires se dégrade avec l’application de la loi du

9 décembre 1905 : les vocations sont en nette diminution. En effet, de

manière mécanique, la loi de Séparation a eu pour conséquence d’affaiblir


les vocations métropolitaines et par contrecoup celles des diocèses

algériens. Ces derniers sont devenus moins attractifs avec la perte des

avantages liés au Concordat. À terme, la disparition du clergé catholique,

tant redoutée, n’a pas lieu, car des solutions sont trouvées pour adapter la

loi de Séparation.

Le clergé ne présente pas de spécificité par rapport à celui de métropole,

car il est formé et nommé de la même manière. Comme en métropole, toute

nomination est conditionnée par l’approbation des autorités publiques qui

mènent de véritables enquêtes. Ainsi en 1889, l’évêque d’Oran fait venir « à

la mutation » un prélat de la Drôme, mais l’enquête conduite depuis Paris

laisse percevoir une attitude peu compatible avec sa charge, du moins pour

l’Algérie 32 . Le 7 novembre 1889, le ministère de la Justice et des Cultes

attire l’attention du préfet d’Oran sur M. Barre, que l’évêque a appelé à

venir dans le diocèse d’Oran, et lui demande de le surveiller. Le même jour,

le ministère adresse une lettre à l’évêque sur Barre : le personnage a de

« fâcheux antécédents ». Alors qu’il desservait la succursale de

Rochebrune, dans le département de la Drôme, on lui reprochait

« son hostilité systématique vis-à-vis de nos institutions

républicaines et les attaques qu’il dirigeait incessamment, du

haut de la chaire, contre le Gouvernement ou contre les autorités

locales et sa conduite privée. Victime d’une tentative

d’assassinat, à la date du 23 juillet de l’année 1888, les débats de

la cour d’Assise de la Drôme révélèrent à sa charge des faits

tellement scandaleux qu’il dut se démettre de ses fonctions de

desservant. »

L’évêque de Valence le nomme comme vicaire à Livron et, depuis lors,

aucune plainte n’a été enregistrée contre lui. Le ministère invite donc

l’évêque d’Oran à une surveillance attentive de l’individu. Pourtant, dans


l’ensemble, rares sont les ecclésiastiques qui posent problème, car, au-delà

du cadre concordataire qui contrôle les nominations, impose une

surveillance stricte et l’obligation de collaborer avec les autorités, en

Algérie les ecclésiastiques respectent un autre pacte plus essentiel encore :

le pacte colonial. C’est ce que formule, avec d’autres mots, le procureur

général dans un rapport de 1889 sur les évêques et le clergé d’Algérie 33 .

Soulignant le peu de conflits entre l’Église et l’État de ce côté-ci de la

Méditerranée, le procureur trouve des explications :

« … le prêtre ici a quelque chose de plus tolérant, de moins

sectaire que dans d’autres contrées 34 … ».

Je formule l’hypothèse que la situation coloniale en Algérie renforce le

caractère « docile » du clergé. De manière générale, la pression

administrative est plus forte dans les colonies qu’en métropole et l’Algérie

ne fait pas exception en la matière. Cependant, le clergé algérien semble

adhérer à cette pression car les contestataires sont rares. Le clergé a

conscience de participer à une œuvre civilisatrice d’un genre différent de

celle des destinées aux autres colonies. L’Algérie reste un cas unique à

l’échelle de l’empire : ensemble de départements français et colonie de

peuplement, outre-mer et proche de la France, elle est à la fois une autre-

France et une France autre. Dans cette entité singulière, le clergé respecte

plus qu’ailleurs le pacte colonial, car il croit en la mission de la France et de

l’Église, mission conditionnée par un indispensable soutien réciproque.

Les personnalités ecclésiastiques allient en leur sein respect du

Concordat et respect du pacte colonial.

Les exceptions


Une typologie des évêques et archevêques d’Algérie s’avère difficile

tant les parcours et les épiscopats présentent de similitudes. On se reportera,

pour plus d’éléments, à notre ouvrage Algérie coloniale, musulmans et

chrétiens : le contrôle de l’État (1830-1914) (CNRS Éditions, 2015) où de

brèves notices sont présentées pour les évêques et les archevêques. Dans

leur écrasante majorité, ils ont été formés et ont exercé des charges en

France. Rares sont ceux nés ou arrivés jeunes en Algérie ou encore passés

par les séminaires algériens. Mais, ce tableau paisible serait incomplet sans

deux personnalités qui ont défrayé la chronique, tant leur épiscopat est en

rupture avec les autres. Il s’agit du premier évêque d’Alger, Dupuch, et de

l’évêque de Constantine, Bouissière ; le premier en raison de sa faillite

retentissante, le second pour ses positions de combat contre la République.

Mgr Dupuch, est né et décédé à Bordeaux (20 mai 1800-10 juillet

1856 35 ). En 1815, il poursuit ses études à Paris, obtient sa licence de droit

en 1820 et se fait inscrire au barreau de Bordeaux. Ordonné prêtre le 27 mai

1825 à Saint-Sulpice, il revient à Bordeaux et se dévoue à des œuvres. Il est

préconisé premier évêque d’Alger le 13 septembre 1838, sacré le

28 octobre. Les travaux historiques concernant son épiscopat algérien se

résument à un travail très documenté et non publié que Paul Fournier nous a

aimablement confié 36 . L’évêque se révèle une personnalité complexe qui

suscite des jugements contrastés, de l’hagiographie à la dénonciation.

L’abbé Suchet (1795-1870), qui a été l’un des vicaires généraux du diocèse

d’Alger pendant trente ans, écrit de Dupuch qu’« Il tenait de l’ange et du

démon 37 ». Arrivé en Algérie, Dupuch prend possession d’un diocèse où

tout est à construire. Les relations qu’il entretient avec son clergé sont

difficiles d’après le journal de l’abbé Suchet :

« Il agissait toujours seul… jamais aucune communication pour

les affaires du diocèse… […] S’il arrivait qu’un grand vicaire

était obligé d’agir, dans quelques circonstances pressantes, il en


était blâmé, désapprouvé, parce que c’était lui seul qui voulait

faire. Ses vicaires généraux n’étaient pour lui que des hommes

de parade. »

Ce jugement sévère est celui d’un homme qui n’a pas hésité à prêter de

l’argent à l’évêque pour lui éviter des déboires financiers. Les relations ne

sont pas meilleures avec les congrégations religieuses. Des tensions

apparaissent très rapidement entre l’évêque et les sœurs de Saint-Joseph-del’Apparition

d’Émilie de Vialar et conduisent à l’expulsion des religieuses

en 1842. Les religieuses du Bon Pasteur d’Angers déclinent la proposition

épiscopale de s’installer dans une maison dont il entendait se réserver le

bénéfice de la revente des terrains alentours et préfèrent acheter une

propriété à El Biar. Les jésuites ont fait en sorte d’assurer leur indépendance

matérielle complète vis-à-vis de l’évêque en se chargeant de l’orphelinat

des garçons qu’ils installent dans leur propriété de Ben Aknoun. « Quant

aux traitements des prêtres auxiliaires qu’ils recevaient sur les fonds alloués

au diocèse d’Alger par la Propagation de la Foi, après accord avec l’évêque,

ils étaient versés à Lyon directement par le trésorier de l’Œuvre au

Procureur de la Province 38 . » Les lazaristes, de leur côté, avaient réglé leur

situation matérielle par un contrat avec le Gouvernement. On l’aura

compris, ordres et congrégations religieuses ont voulu éviter d’être liés à

l’évêque dont la gestion catastrophique du diocèse était de notoriété

publique.

En effet, Dupuch participe de la spéculation immobilière qui a alors

cours en Algérie. Il engage sa fortune et le diocèse dans cette course

effrénée qui le conduit à une faillite retentissante, suivie de sa démission le

9 décembre 1845. Pour P. Fournier, cette situation est la conséquence de ses

imprudences : « Son passif révèle un désastre qui dépasse largement le

cadre où s’inscrivent normalement les affaires concernant l’administration

d’un diocèse. » Sa réputation est telle qu’à partir de 1844, la Propagation de


la Foi fait une exception à la règle qu’elle s’était imposée, celle de ne pas

financer directement les œuvres mais de passer par les responsables de

missions, évêques, vicaires apostoliques, supérieurs des ordres religieux

missionnaires, en secourant directement les œuvres en Algérie, soit en

contournant l’évêque. Cette décision a été prise en accord avec le cardinal

préfet de la congrégation de la Propagande qui a indiqué lui-même la

conduite à tenir à l’égard de l’évêque d’Alger : cette mesure est une

condamnation de l’administration épiscopale 39 . Dans quelle mesure a-t-elle

précipité la chute de Dupuch ? Il est certain que celui-ci était déjà bien

engagé dans sa propre perte parfaitement décrite par Paul Fournier. Ce

dernier insiste sur le caractère du prélat, mais aussi sur la situation coloniale

de l’Algérie. Dupuch s’avère un caractère aventureux dans un pays neuf.

L’auteur rappelle aussi le lien très fort du prélat avec le milieu colonial

caractérisé par la spéculation immobilière : l’Église est un grand

propriétaire foncier, comme le rappellent les larges concessions aux

trappistes de Staouëli ou encore, dans un autre contexte, les achats de

Lavigerie pour fonder son ordre et installer les orphelins. Mais Fournier

souligne aussi le désintéressement à titre personnel de Dupuch. Lâché par la

Cour, par Rome et bientôt par le Gouvernement, le 9 décembre 1845,

Dupuch remet sa lettre de démission à Boulay de la Meurthe, conseiller

d’État envoyé spécialement pour le rencontrer à Alger. Le 22 juillet 1846, le

prélat quitte définitivement l’Algérie au grand soulagement général :

« Était-on d’ailleurs fâché à Rome de démontrer que la création

d’un diocèse à Alger était prématurée ? Louis-Philippe, en 1837,

avait imposé d’organiser le culte catholique à Alger sous la

forme d’un évêché concordataire, et non sous la forme d’un

vicariat apostolique comme le souhaitait Grégoire XVI. Les

difficultés de M gr Dupuch ne renforçaient-elles pas a posteriori

les thèses romaines ? Quant au gouvernement français il soutint


l’évêque jusqu’à ce que celui-ci ait allumé l’incendie qui allait

l’emporter 40 . »

Quand le 31 octobre 1846, les affaires personnelles de l’évêque sont

mises en vente, Suchet note dans son journal :

« Aucun membre du clergé d’Algérie n’a voulu faire la moindre

démarche pour arrêter cette infamie ou pour acheter, par-dessous

main, ces objets de leur ancien évêque, soit comme souvenir,

soit, ce qui aurait été mieux, pour les lui renvoyer 41 . »

C’est donc dans l’indifférence de son clergé que le premier évêque

d’Algérie quitte le territoire pour ne plus jamais y retourner… de son vivant

car son corps est exhumé à Bordeaux et rejoint Alger en 1864,

conformément à son vœu.

Une tout autre histoire est celle de Jules Alexandre Léon Bouissière, né

le 1 er avril 1860 dans le Tarn, mort le 9 septembre 1916 à Carcassonne.

Après des études au petit séminaire de Castres, puis au grand séminaire

d’Albi, il est ordonné prêtre le 7 juin 1884. Il est alors nommé vicaire à

Puylaurens, à Notre-Dame de Mazamet, puis à Saint-Salvé d’Albi en 1889

où il anime La semaine religieuse. Il devient aumônier du pensionnat de

Notre-Dame en Algérie à partir de 1897 et en 1899 il est chanoine.

Bouissière est à l’origine de la SRO et de la création du cercle La Jeanne

d’Arc d’Oran ainsi que de la mise en place des conférences du Sillon après

le passage de Marc Sangnier en 1904. En 1902, avant les élections

législatives, il publie des articles appelant l’attention des croyants sur

l’importance des élections et en exhortant les fidèles à faire leur devoir pour

le salut de l’Église et de la France. En d’autres termes, il préconise de faire

barrage aux candidats républicains. Dans une lettre du préfet d’Oran au

gouverneur général du 9 juin 1904, qui reprend le procès-verbal du


commissaire de police sur la conférence de Marc Sangnier, un petit

commentaire renseigne déjà sur Bouissière :

« Dans toute la force de l’âge, grand et beau garçon, affectant de

se donner des allures libérales, M. Bouissière a vite acquis ici

une grande influence parmi le monde clérical. Le mariage de son

frère notaire en France avec une jeune fille appartenant à une des

plus anciennes familles d’Oran dont le père était lui-même

officier ministériel lui a permis d’augmenter le cercle de ses

relations et l’Évêque d’Oran a pu profiter de la grande activité et

de l’entregent de son vicaire général pour constituer ici un

véritable parti clérical qui n’y existait pour ainsi dire pas avant

leur arrivée. M. Bouissière est certainement le meilleur

collaborateur et le plus souvent le véritable inspirateur de

l’Évêque. Son action n’a jamais cessé de s’affirmer 42 . »

Nous retrouvons sa trace à Mostaganem où, en 1908, il est vicaire

général. Peu de temps après, il devient vicaire général de Mgr Cantel et

directeur de la SRO.

Sa nomination comme évêque de Constantine et d’Hippone n’entame en

rien ses convictions et débouche sur des tensions récurrentes avec les

autorités publiques. Dès son arrivée, il s’est engagé dans « une campagne

cléricale et antirépublicaine », aux dires des rapports de police. Un climat

de guerres picrocholines s’installe et débouche sur diverses tensions qui

s’aggravent en 1916. Le 27 mars 1916, un rapport de police indique qu’au

cours de l’office du soir, l’évêque aurait dénigré la France républicaine tout

en flattant la France catholique et pieuse. Le prélat aurait montré que la

guerre actuelle était un fléau voulu et envoyé par Dieu pour punir la France

de son infidélité et de son indifférence en matière religieuse. En résumé,

l’évêque se serait livré à un réquisitoire en règle contre le régime. Le


10 avril 1916, la situation se détériore car le gouverneur général défère à la

justice ses actes et ses propos. Le 15 avril 1916, un degré supplémentaire

est franchi : en raison de l’attitude de l’évêque, toute procession ou

manifestation religieuses sur le territoire de la commune de Constantine à

l’occasion de la fête des Rameaux (le 16 avril) est proscrite. Cependant, les

poursuites contre le prélat ne peuvent aboutir. Le ministre de l’Intérieur en

informe alors le gouverneur général par une lettre du 16 mai 1916. Les

dispositions de la loi du 9 décembre 1905, dans son article 35, ne

permettent ni de censurer ses écrits ni de le poursuivre pour ses propos.

Néanmoins, la surveillance de l’évêque est renforcée et, comme moyen de

coercition, tout passeport lui est interdit. Une dernière arme reste entre les

mains de l’autorité civile : si l’évêque continue ses prédications « dans un

esprit de violence », le gouverneur général a la possibilité de le déférer à la

justice militaire. Le 20 juin 1916, on interdit aux fonctionnaires d’assister à

ses prêches. L’affaire Bouissière ne se termine qu’avec le décès de son

principal protagoniste le 9 septembre 1916, au grand soulagement et des

autorités militaires et civiles.

Les prises de positions du prélat sont, au vu des archives publiques, en

grande partie à l’origine de cette rupture. Mais, dans la mesure où nous ne

disposons pas des archives religieuses sur ce dossier, il convient d’être

prudent et nuancé dans la détermination des responsabilités respectives.

Bouissière est, à plus d’un titre, un cas isolé, car, dans aucun document

public, n’a été mentionnée une telle attitude de la part d’un haut dignitaire

ecclésiastique algérien. Ces derniers ont conservé la position de réserve,

obligatoire sous le Concordat, comme une direction morale à poursuivre.

Dupuch et Bouissière sont donc des exceptions au sein du haut clergé

algérien qui entend collaborer avec toutes les autorités de la colonie afin de

permettre l’ancrage de l’Église dans les meilleures conditions possibles.

L’ÉGLISE ET LES AUTRES


L’alliance du sabre et du goupillon

Si, très tôt, des tensions entre militaires et colons sont perceptibles,

armée et Église entretiennent, historiquement, dans la société d’Ancien

Régime des liens intimes qui se poursuivent en Algérie auprès de l’armée

d’Afrique.

Derrière l’appellation d’armée d’Afrique, se trouve toute une série de

corps créés dans le cadre de la conquête de l’Algérie :

« Le modèle algérien s’élabore en quelques années, entre 1830 et

1840. C’est en effet dès le premier gouvernement de Clauzel que

celui-ci signe les arrêtés (sans doute prévu par Bourmont) qui

créent zouaves, mamelouks et chasseurs algériens. Ces

premières formations sont loin d’être conçues comme des unités

ordinaires. Les zouaves au départ doivent être, comme on sait,

recrutés dans la tribu kabyle des Zouaoua, et employés aux

services des avant-postes. […] L’échec de ces projets oblige à

incorporer dans ces troupes des volontaires français et d’anciens

soldats turcs, et à leur donner un statut de plus en plus régulier.

Cette évolution finit par faire des zouaves et des chasseurs des

corps d’infanterie et de cavalerie composés de Français et

analogues aux régiments de Métropole, tandis que sont créés, sur

le modèle français, des régiments de cavalerie (spahis) et

d’infanterie (tirailleurs), dont le personnel est en majorité

indigène, et l’encadrement français 43 . »

C’est ainsi, qu’à l’origine, des soldats indigènes font partie des troupes.

Leur première action est datée d’octobre 1830 à Blida contre les troupes du

bey de Tittery 44 . Très vite, leur aura dépasse les frontières algériennes

puisqu’ils s’illustrent durant la guerre de Crimée (1854-1856) et celle

d’Italie (1859), mais aussi lors de l’expédition du Mexique (1861-1867) aux


côtés, entre autres, des chasseurs et des tirailleurs. Leur uniforme, que l’on

doit à Juchault de La Moricière, participe de leur réputation :

« boléro avec fausse poche et gilet bleus gansés de garance,

culotte bouffante ou sarouel, rouge en hiver et pour les

cérémonies, blanc en d’autres occasions, ceinture blanc en coton,

coiffe rouge genre fez appelé chéchia 45 . »

Au début des années 1840, ils sont rassemblés en un régiment avec étatmajor,

musique, trois bataillons de neuf compagnies et une compagnie

supplémentaire. Dans ce contexte, Clayton précise que le processus de

« francisation » est en cours dans la mesure où seule demeure une

compagnie à recrutement local 46 . Ils tiennent garnison pour le 1 er bataillon à

Blida, pour le 2 e à Tlemcen et pour le 3 e à Bône. Ce choix illustre l’état de

l’avancée de la conquête à la fin des années 1840. En 1852, une nouvelle

réorganisation se fait en parallèle avec la poursuite du processus de

francisation qui n’est pas encore achevé au moment de la guerre de Crimée.

Un dernier tournant notable, pour le XIX e siècle, est entamé après la défaite

de 1870 : le 1 er régiment est en garnison à El Goléa, le 2 e à Oran, le 3 e à

Constantine et le 4 e à Alger et Aumale, alors que, pour la première fois, des

unités sont stationnées de manière permanente en France. Si la cartographie

de l’Algérie coloniale est fixée dans ses grandes lignes, l’évolution n’est

pas seulement géographique puisque les zouaves sont en passe de se

transformer en « régiments d’appelés du contingent d’Afrique du Nord »

composés de conscrits et cesser d’être un corps de volontaires français et de

colons 47 . Ce changement ne fait que renforcer la proximité avec l’Église

catholique.

Cette dernière accompagne les principaux moments de la vie de l’armée

en célébrant ses morts, ses victoires, son glorieux passé et sa jeunesse. Un

calendrier annuel est décelable avec des moments importants comme la fête


des zouaves, la messe des conscrits et la messe pour les morts de l’année,

œuvre de l’Union des femmes de France. La fête des zouaves fait l’objet de

nombreuses descriptions dans les journaux catholiques comme l’atteste la

SRA du 14 septembre 1900. La façade est recouverte de tentures noires et de

drapeaux tricolores, sur l’escalier affûts de canons et faisceaux d’armes

attestent de la nature de la cérémonie. À l’intérieur, parures de deuil et

écussons du 1 er Zouaves côtoient des bandes tricolores et des attributs

guerriers. Le noir est la couleur du deuil pour rappeler qu’il s’agit d’un

service funèbre à la mémoire des morts du régiment, les drapeaux tricolores

sont l’incarnation de la patrie et les insignes guerriers sont la marque de

l’armée. Le prédicateur en profite pour saluer les « vaillants du 1 er bataillon

qui s’en vont au loin, dans cette terre étrange qu’on appelle la Chine, venger

la civilisation, l’honneur et la liberté si sauvagement et cruellement

opprimés ». Dans le cadre de la lutte contre la révolte des Boxers, un corps

expéditionnaire international sous commandement allemand a été envoyé

en Chine. Ce pays exerce un fort pouvoir de fascination en Europe. Les

représentations mentales s’y référant renvoient aussi bien à un certain

exotisme teinté de raffinement qu’à la barbarie poussée à son paroxysme,

comme en atteste la diffusion des images des « supplices chinois ». Le

discours de l’ecclésiastique est en tout point conforme au discours colonial

moyen de la période qui entend justifier les interventions européennes au

nom de la liberté et de la lutte pour la civilisation. Le religieux finit

toutefois par reprendre ses droits dans la triple prière pour les morts, pour le

corps expéditionnaire en Chine et pour l’assistance. L’Église place sous son

aile protectrice l’armée qui exerce dans le temporel cette protection auprès

de l’Église. La décoration de l’église propose une synthèse d’éléments

religieux, patriotiques et militaires. On repère dans les symboles religieux la

bannière ramenée de Chine dans le cadre de l’expédition de 1900 contre les

Boxers. La cérémonie se déroule à Oran, en présence, selon la SRA, de plus

de deux mille personnes. On apprend qu’une cérémonie identique se tient


aussi en même temps à Nemours et Marnia. L’Église chante les gloires

passées, mais elle pleure aussi ses soldats.

La SRA du 23 novembre 1900 rend compte de la messe qui est célébrée à

l’église de Blida le 6 novembre 1900, pour le commandant Lamy de la

mission saharienne Foureau-Lamy-Reibell, en présence des autorités civiles

et militaires. Le temps de la conquête n’est pas totalement clos, le

mouvement de colonisation se poursuit, et l’armée continue dans son rôle. Il

en est de même à Coléa qui est la ville berceau des zouaves 48 . Le service

funèbre à la mémoire des soldats et marins morts dans l’année au service de

la patrie est assuré par l’Union des femmes françaises, à l’origine de la

messe 49 .

Force est de constater aussi que la loi de Séparation de 1905 n’a en rien

affecté les liens entre l’Église et l’armée, au point de se demander si,

comme l’atteste la SRA du 7 mars 1909, nous n’avons pas affaire à deux

corps en parfaite symbiose. L’auteur de l’article insiste sur l’alliance entre

l’armée et l’Église :

« C’est devant le Dieu de notre France chrétienne que vous êtes

venus célébrer la mémoire de ces soldats français… la France

appelle l’Église à célébrer ses deuils et ses gloires… De cette

alliance est née la France et son génie ».

À le suivre, l’armée serait l’incarnation de la France aux yeux du clergé

et non l’autorité civile qui l’a expulsée hors de la vie publique officielle. Le

texte est, si besoin était, une réaffirmation de l’alliance entre « le sabre et le

goupillon ».

L’Église se tient aux côtés des conscrits avec une messe qui leur est

dédiée. Le discours est toujours le même : le prêche du prêtre recommande

la religion du drapeau comme une chose sacrée qui conduit nécessairement

à Jésus-Christ. Le curé met aussi en garde « contre le fléau des casernes ».


La complicité avec l’armée se retrouve lors de la visite officielle de

l’escadre autrichienne à Alger 50 . Mgr Combes, archevêque d’Alger,

accompagné de ses vicaires généraux, est reçu avec beaucoup d’égards,

nous rapporte la presse, par l’amiral Von Ziegler. C’est le même esprit qui

domine dans les propos tenus pour soutenir les soldats qui combattent dans

les confins oranais-marocains 51 . On n’hésite pas à rappeler que c’est le

mélange des vertus militaires et de la foi chrétienne qui a permis la

conquête de l’Algérie 52 . De plus, en Algérie, la France se confond avec

l’armée, ce qui laisse supposer qu’elle se confond indirectement avec la

religion. C’est une manière détournée de rappeler le patriotisme de l’Église

catholique dans la colonie. Ainsi, porter atteinte à la religion c’est

indirectement offenser la patrie.

Dans les rapports entre l’Église et l’armée, une ligne générale peut être

définie et résumée en un mot : la symbiose. Cette attitude est à rechercher

dans les origines de la conquête et dans les nécessités de l’implantation du

culte. Elle repose aussi sur de bonnes relations réciproques dont on trouve

les origines dans les positions adoptées par les plus hauts dignitaires

ecclésiastiques. Certes, celles-ci peuvent apparaître comme opportunistes,

dans certains cas, mais elles ont pourtant marqué de manière durable une

ère d’entente et de collaboration entre l’armée et l’Église. Les cérémonies

religieuses se veulent la quintessence d’un certain esprit colonial. L’Église

est d’une certaine façon l’un des lieux de la colonisation dans le sens où

peuvent s’y concentrer les piliers de l’ordre colonial. Si la loi de Séparation

n’a pas eu d’incidence majeure, hormis celles prescrites formellement par la

loi, cela est en partie dû à l’héritage historique de la conquête et à la

politique inaugurée au plus haut niveau de la hiérarchie tant religieuse que

militaire. Mais, c’est aussi une prise de position caractéristique d’une Église

coloniale. L’armée est la représentante de la France et constitue le lien

matériel avec la Mère-Patrie : elle est la gardienne du sol de la patrie et de

l’honneur national. D’autre part, au-delà de la dimension protectrice de la


force militaire, l’Église tient à maintenir et à démontrer la cohésion de toute

la France dans la colonie. Cette idée de faire bloc face aux indigènes et aux

étrangers, de ne pas montrer de failles, est un souci constant de l’Église

mais celui-ci est battu en brèche par d’autres considérations.

En effet, l’Église catholique entretient des rapports conflictuels avec les

juifs et les protestants, démontrant ainsi que le monde colonial ne

fonctionne pas sur le seul paradigme de l’opposition entre colonisateurs et

colonisés. Les lignes de partage sont plus complexes, comme le montrent

certains discours catholiques antisémites et antiprotestants.

L’Église et le refus de l’Autre : antijudaïsme,

antisémitisme et antiprotestantisme 53

Les années 1892-1895 voient en Algérie l’éclosion d’un malaise

général, dont les origines sont plus anciennes. Il s’exprime sous différentes

formes comme lors de la crise antijuive de 1898-1900 54 .

Pour Ageron :

« La crise connue sous le nom traditionnel de “crise antijuive”

fut en réalité une révolution manquée. Il y eut certes des émeutes

antijuives, mais l’hostilité contre la Métropole et le rêve d’une

Algérie indépendante expliquent la gravité des événements 55 . »

Ageron ne nie pas pour autant les préjugés antisémites au sein de la

population coloniale. L’hostilité envers les israélites remontait au décret

Crémieux 56 , mais elle prend d’autres connotations dans cette période.

Précisons que le décret de naturalisation ne concernait que les « indigènes

juifs » présents sur le territoire déjà conquis en 1871 57 . Concrètement, en

sont exclus les juifs du sud comme ceux du M’Zab, territoire qui ne devient

français qu’en 1882 et dont les habitants de religion juive n’obtiennent la


citoyenneté qu’à titre personnel. Ils restent ainsi soumis au statut

d’« indigènes israélites ». Si une écrasante majorité des israélites accède au

statut de citoyens français, leur nombre reste, au regard de l’ensemble de la

population non-musulmane, peu important. Il n’empêche, antijudaïsme et

antisémitisme se développent outre-Méditerranée chez les populations

européennes, même si les violences à l’encontre des juifs impliquent aussi

ponctuellement des musulmans.

Ainsi, l’antijudaïsme traditionnel des catholiques et l’antisémitisme

moderne se sont rejoints en Oranie dans les années 1890. Il apparaît que cet

antisémitisme a atteint toutes les sphères de la population et tous les

groupes politiques. L’apogée de ce mouvement se situe en 1898 lors des

élections législatives. Certes, l’Église oranaise ne joue pas de rôle en tant

qu’institution, mais elle se distingue alors par une position officielle de

silence. D’après Geneviève Dermendjian 58 , il n’y a eu ni rappel à l’ordre ni

sanctions via les organes officiels ou officieux de l’évêché. L’autorité civile

ne fit aucune pression auprès de l’évêque pour qu’il intervienne afin de

modérer certains de ses membres. Or, dans d’autres cas, le préfet n’hésite

pas à réfréner les attitudes politiques des ecclésiastiques. Tout laisse à

penser que l’antisémitisme a alors gagné de larges sections de la société

jusqu’aux plus hautes sphères de la colonie.

En cette fin de siècle, le clergé est en grande partie constitué de prêtres

d’origine espagnole imprégnés d’une forte tradition d’antijudaïsme

hispanique. Certains prêtres s’engagèrent dans l’antisémitisme militant avec

la création de L’ami du peuple oranais 59 . Cette publication se maintient

pendant deux ans, diffusant des articles d’une rare violence. L’évêché

n’interdit pas aux prêtres de participer à ce journal, pas plus qu’il ne le

condamne 60 . Par ailleurs, les ennemis des antisémites sont aussi ceux des

catholiques : la haine commune vouée aux francs-maçons contribue à

rapprocher les deux groupes. La plus grande partie du clergé évite de

s’engager ouvertement dans la bataille 61 . C’est pourquoi, si on excepte les


cléricaux de L’ami du peuple oranais, le clergé adopte une attitude réservée

en public. En privé, il se serait permis une plus grande licence dans le

vocabulaire et dans les attitudes. La sympathie du clergé oranais pour les

antijuifs perce au grand jour lors des élections municipales de 1901 :

« L’évêché laissa les prêtres et les séminaristes voter alors qu’une seule liste

antijuive se présentait et que le clergé ne remplissait guère jusque-là son

devoir électoral 62 . »

Cette action catholique est à nuancer car il existe peu de groupes

catholiques antijuifs se revendiquant comme tels. Mais n’oublions pas

qu’en Algérie tout le monde se proclame républicain et que rares sont les

« cléricaux » qui font exception. Toutefois, ils n’épousent pas toutes les

convictions républicaines quand ils en arborent la bannière. Il convient de

ne pas lutter de front sur un terrain tout acquis à la République. De plus,

certains républicains n’échappent pas aux tentations antisémites : être

républicain ou de gauche et antisémite n’est pas encore antinomique au

tournant du siècle. Quoi qu’il en soit, il est certain que des ecclésiastiques

catholiques ont indirectement et implicitement soutenu les candidats

antijuifs, car, contrairement aux autres, ils n’étaient ni francs-maçons ni

républicains. Des considérations extra-politiques ont manifestement guidé

ce choix. L’antijudaïsme traditionnel de l’Église existe aussi en Algérie,

mais les juifs y sont doublement stigmatisés, car considérés comme des

indigènes de confession israélite et des naturalisés 63 . Sur l’antijudaïsme se

greffe le mépris de cette société coloniale envers les indigènes d’Algérie,

quelle que soit leur religion. De cette rencontre naît un sentiment de rejet

renforcé par un antisémitisme affiché et un européocentrisme triomphant 64 .

L’attitude du clergé oranais ne peut être attribuée à l’ensemble du clergé

algérien, faute d’étude précise et compte tenu de la spécificité du personnel

ecclésiastique du diocèse d’Oran. Il faut préciser en effet que le clergé

oranais s’avère plus mobilisable et plus contestataire que le clergé des

autres diocèses : son tempérament frondeur et combatif ira en s’affirmant.


Si les tensions semblent se concentrer dans le diocèse d’Oran, cet état

d’esprit est relayé indirectement par la SRA.

Dans un article intitulé « Le budget des cultes », dont ni l’origine, ni

l’auteur n’est mentionné, la SRA du 9 mars 1902 livre à ses lecteurs une

vision catholique des autres cultes. Le caractère antisémite des propos se

manifeste à travers une présentation se voulant neutre. Il est ainsi rappelé

que les « petits rabbins » perçoivent chacun 2 100 francs contre 960 aux

curés et 450 aux vicaires. En revanche, on omet de préciser que les rabbins

ont charge de famille, contrairement aux ecclésiastiques catholiques. Dans

la même optique, est indiquée la somme allouée au séminaire rabbinique :

« L’unique séminaire israélite reçoit 22 000 francs. Tous les séminaires

catholiques reçoivent, ensemble, pas un seul centime (sic). »

L’antiprotestantisme se manifeste lui aussi dans le même article : « …

les pasteurs protestants reçoivent tous au moins 1 800 francs, soit deux fois

plus qu’un curé, quatre fois plus qu’un vicaire. » La somme allouée aux

deux séminaires protestants est aussi indiquée, 26 000 francs. Et de

poursuivre :

« Notons qu’à la Révolution, on prit et on vendit les biens du

clergé catholique, dont une Assemblée française s’est engagée à

payer l’intérêt. On n’a rien pris aux protestants ni aux juifs. »

Dans ces quelques lignes est résumée l’argumentation classique de la

pensée catholique antirévolutionnaire et hostile à l’idée de Séparation. La

référence historique aux biens spoliés a été tout au long du XIX e un leitmotiv

de cette droite catholique. Cette thèse est réactivée au moment de la

séparation de l’Église et de l’État. Il est intéressant de noter les raccourcis

historiques. Les protestants n’ont certes pas été « spoliés » par la

Révolution dans la mesure où ils n’avaient, depuis la révocation de l’édit de

Nantes par Louis XIV en 1685 aucune existence légale à l’exception de


l’Alsace récemment intégrée au royaume et où la présence protestante était

en nombre. Quant aux juifs, si la Révolution ne les a pas « spoliés », c’est

parce que, d’une part, il n’y avait rien à « spolier », et que, d’autre part, des

souverains précédents s’en étaient régulièrement chargés. Sans développer

une question très connue, terminons en rappelant que le statut de l’Église

catholique sous l’Ancien Régime en fait la religion du Royaume avec tous

les droits et devoirs y afférents : les révolutionnaires y ont vu un contrepouvoir

à abattre.

Les protestants sont cette même année 1902 les cibles de la SRA dans un

article du 13 avril vantant les mérites d’un « catéchisme antiprotestant ». Le

protestantisme est décrit non seulement comme opposé au catholicisme

mais aussi comme contraire à l’esprit et aux traditions françaises. C’est à

ces deux titres qu’il doit être combattu. Une fois de plus, le catholicisme est

patriotique donc français, alors que l’article indique que le protestantisme

est, lui, favorable aux idées allemandes et anglaises : « Fausse modération

et faux patriotisme sont les deux masques qu’il faut enlever aux protestants,

hommes de parti et sectaires déguisés. » Le contexte de parution est celui

des élections et les auteurs de l’article insistent sur ce fait. Le politique n’est

jamais absent de cette rhétorique dont le fondement reste religieux. C’est

pourquoi, la presse catholique ne manque pas de saluer les conversions en

provenance du protestantisme 65 . On le voit, nombre d’ecclésiastiques et de

fidèles catholiques éprouvent des difficultés à concevoir l’existence de

l’Autre. Par bien des aspects, leur comportement est en tout point similaire

à celui rencontré en métropole dans les mêmes milieux.

L’Église catholique constitue un pilier de l’ordre colonial qui se trouve

remis en question par le vote de la loi de Séparation des Églises et de l’État

du 9 décembre 1905.


Se séparer ?

LA LOI DU 9 DÉCEMBRE 1905 : DE PARIS À ALGER

Les discussions en France

Il est impossible de comprendre la loi de 1905 sans la replacer dans un

contexte plus large que celui de l’année 1905. Deux périodes peuvent être

repérées avec un tournant à la fin des années 1870. À la suite la défaite de

Sedan, en septembre 1870, la République est proclamée. À la différence des

deux Républiques précédentes, il n’est pas question de se doter d’une

constitution mais de lois constitutionnelles. La République est loin d’être

enracinée et il est de tradition de dater sa victoire de la défaite de Mac

Mahon en 1879 : majoritaires, les républicains peuvent alors imposer leur

politique.

Rappelons que l’Église catholique n’est pas républicaine : elle a dans un

premier temps soutenu l’Empire et reste proche des milieux monarchistes,

même si, vers la fin du siècle, le clergé séculier est plutôt favorable à la

République. Les tensions de l’État se concentrent autour des congrégations

car non contrôlées par l’État, avec les jésuites perçus comme une ingérence

de Rome. Les tensions se renforcent à la suite de l’affaire Dreyfus avec les

prises de positions antidreyfusardes de certains journaux catholiques

comme La Croix des assomptionnistes.

C’est pourquoi, l’Église apparaît aux yeux des républicains comme un

contre-pouvoir dont il convient de diminuer le potentiel de dangerosité. Par

ailleurs, les idéaux républicains sont porteurs d’une vision sécularisée de la

société qu’ils entendent imposer le moment venu. Jusqu’à la fin des

années 1870, tant que leur pouvoir n’est pas consolidé, il n’est pas question

de voter de nouvelles lois.


Toutefois, les idées républicaines sont connues. Ainsi, en

novembre 1876, des députés républicains demandent la suppression du

budget des cultes ; en mai 1877, Gambetta lance à la Chambre des députés :

« Le cléricalisme, voilà l’ennemi » et quelques mois à peine après l’élection

de Grévy comme président de la République, en juillet 1879, la première

proposition de loi tendant à l’abrogation du Concordat est déposée à la

Chambre. Elle est régulièrement suivie par d’autres propositions.

À partir des années 1880, les républicains peuvent appliquer leur

politique de laïcisation à travers toute une série de lois qui touchent

différentes sphères de la société comme l’enseignement ou encore la vie

privée avec la loi Naquet de 1884 rétablissant le divorce.

Précisons que les républicains ont des positions différentes envers

l’Église. Il est possible de distinguer entre ceux qui souhaitent la contrôler,

donc les concordataires, et les partisans de la Séparation, radicaux et

socialistes, longtemps minoritaires. Parmi les séparatistes, les divisions sont

aussi perceptibles entre les libéraux « sincères » qui voient dans la

séparation la possibilité pour l’Église de disposer d’une plus grande liberté

et les anticléricaux très militants.

Les élections de 1902 voient la victoire des radicaux avec l’arrivée de

Combes au pouvoir. Si ce dernier est un anticlérical notoire, il n’est pas

pour autant antireligieux : son ennemi, c’est l’Église catholique, non la

religion catholique. Le cabinet Combes se lance dans une application très

restrictive de la loi de 1901 et mène une politique anticongréganiste qui

aboutit à la loi de 1904. Les tensions avec Rome aboutissent à la rupture des

relations diplomatiques en juillet 1904. Combes, qui n’était pas un partisan

acharné de la Séparation, y vient peu à peu et en novembre 1904, son

gouvernement présente un projet de loi sur la Séparation qui suscite une

hostilité quasi générale. Son gouvernement chute en janvier 1905 et le

cabinet Rouvier se met en place.


On retiendra de cette rapide présentation, le très lourd contentieux entre

les républicains et l’Église, malgré le toast d’Alger de 1890 qui marque la

reconnaissance par l’institution de la République. Deux visions de la société

s’opposent et c’est la vision républicaine sécularisée qui l’emporte. La loi

votée en 1905 s’inscrit dans une réflexion sur le long terme avec les très

nombreux projets ou propositions de loi qui la précèdent. On retiendra aussi

que ce n’est pas le texte de Combes qui est retenu mais celui de Briand,

plus consensuel : déjà à l’époque, les divergences existent et sont fortes

autour de la manière d’envisager la Séparation. La pluralité des sensibilités

perdure et n’est pas appelée à disparaître.

En février 1905, un projet de loi du Gouvernement est présenté au nom

d’Émile Loubet, président de la République, par Rouvier président du

Conseil, et par d’autres ministres. C’est Aristide Briand ministre des cultes

qui est chargé de rédiger le projet de loi. La loi est votée le 9 décembre

1905, publiée au JO du 11 décembre 1905.

Si la loi est bien reçue par les protestants et les juifs, la situation est plus

complexe chez les catholiques. Après le vote de la loi, des divisions

apparaissent chez les catholiques pris dans la tourmente des inventaires : il

y a ceux qui demandent à rester passifs et ceux qui résistent ; la majorité du

clergé paroissial, ainsi que les archevêques, désapprouvent les résistances

aux inventaires. Mais, dans cette crise, l’encyclique Vehementer nos de

février 1906 est reçue comme une invitation à la résistance. Dans certaines

régions, l’armée et la gendarmerie doivent intervenir pour assurer le

déroulement des inventaires. Les cas les plus fréquents relèvent de la

résistance passive, voire de brèves bagarres. Mais, dans certaines régions,

plutôt rurales, la violence est au rendez-vous comme en Haute-Loire, en

Lozère, en Vendée…

Les premiers morts sont à déplorer en mars 1906 et entraînent la chute

du ministère Rouvier, et la nomination du ministère Sarrien avec

Clémenceau à l’Intérieur et Briand aux cultes. Le 20 mars 1906, une


circulaire conseille la suspension des opérations d’inventaire en cas de

résistance. En fait, la réalité des inventaires est celle de tensions très

localisées et d’un grand désintérêt des populations, comme l’attestent les

rapports de police de fin mars 1906.

En mai 1906, de nouvelles élections confirment la victoire de la gauche

avec une augmentation du nombre de sièges interprétée comme

l’approbation de la politique de Séparation. En juin 1906, l’Assemblée de

l’épiscopat français décide d’approuver Vehementer nos et donc de

condamner le principe de Séparation tout en appelant au modus vivendi et à

la nécessité de fonder des associations canoniques légales. In fine, la

majorité de l’Assemblée invite le pape à accepter la Séparation : c’est la

victoire des modérés sur les intransigeants.

La réaction de Rome est celle du refus, rendu public dans Gravissimo

officii d’août 1906. Devant la confirmation du refus romain, le

Gouvernement ne pouvait ni engager une épreuve de force, ni reculer et

perdre la face : Briand a donc imaginé de compléter la loi. Comme la loi de

1905 interdit formellement la formation pour l’exercice du culte

d’associations régies par la loi de 1901, il faut donc la modifier de manière

à placer le culte catholique dans le droit commun. L’exercice du culte

devient donc possible dans le cadre de la loi de 1901. Une nouvelle loi est

donc votée : celle du 2 janvier 1907, soit un an à peine après le vote de la

loi de Séparation.

En l’absence d’associations, les églises resteront ouvertes aux fidèles et

aux ministres du culte qui voudront y pratiquer leur religion ; ils occuperont

l’édifice sans titre juridique tant qu’ils ne se seront pas conformés aux

prescriptions légales. Cette loi est mal reçue par Pie X qui considère qu’elle

aggrave la loi du 9 décembre 1905. On aboutit à la situation d’un clergé

sans titre juridique et à la loi du 28 mars 1907 qui dispose qu’il n’y a pas

d’obligation de déclarer la messe comme réunion publique. La situation se


stabilise à la veille de la Première Guerre mondiale et un autre chapitre

s’ouvre après la Grande Guerre.

Mais, la France du début du XX e siècle ne se résume pas à l’hexagone et

l’article 43 a prévu l’application de la loi « à l’Algérie et aux colonies »

sous forme de décret rendu par les gouverneurs généraux.

Les réalités algériennes

En effet, malgré quelques tentatives infructueuses à l’Assemblée

nationale et au Sénat, la loi est rendue applicable à l’ensemble des

possessions coloniales : le débat national l’a emporté sur les considérations

coloniales. D’aucuns ont bien plaidé pour ne pas appliquer une loi conçue

pour la métropole et présentée comme inappropriée pour les colonies, rien

n’y a fait. Pour ce qui est de l’Algérie, il faut savoir que ni le clergé ni les

populations catholiques ne se sont manifestés au moment des débats en

métropole. Le clergé ne se sent pas vraiment concerné par une querelle qui

lui échappe : il entretient de bonnes relations avec les autorités politiques, il

doit son installation à l’État et partage avec lui certains éléments du projet

colonial. Les catholiques, dans leur écrasante majorité, ne saisissent pas

tous les tenants et les aboutissants de ces discussions. La situation est donc

calme en Algérie où personne ne songe réellement à voir la loi réellement

appliquée, pas même les autorités. Pourtant, un décret est bien rédigé en vue

de rendre la loi applicable en Algérie. Toutefois, certaines difficultés sont

soulevées : que faire du culte musulman ? Comment maintenir un clergé

français ?

La situation faite au culte musulman dans l’Algérie coloniale, avant la

Séparation, s’apparente au régime concordataire sans en avoir tous les

avantages. En résumé, l’État a fait entrer dans le domaine les biens habous,

qui sont, rappelons-le, des biens mobiliers et immobiliers de fondations

pieuses à destination de la bienfaisance. L’une des finalités des habous était


le financement des édifices religieux et des desservants. C’est pourquoi

l’État s’est engagé en contrepartie à prendre en charge ces besoins repérés

comme relevant du culte. Mais avant de le financer, il fallait inventer le

culte musulman qui n’existait pas.

De quoi s’agit-il ? L’État colonial a organisé un culte musulman en

Algérie c’est-à-dire qu’il a créé des fonctionnaires de Dieu qu’il a

rémunérés et des établissements du culte qu’il s’est engagé à entretenir. Il a

fait comme pour les autres cultes : il a nommé des ministres du culte, les a

subventionnés et a assuré l’entretien des édifices du culte. Or, dans les

sociétés musulmanes, le pouvoir politique ne se préoccupe pas de nommer

les imans ni d’entretenir les lieux de culte. En d’autres termes, il n’y a pas

d’ingérence du politique dans le religieux : les domaines de compétence

sont clairement définis, la distinction entre le politique et le religieux est au

XIX e une donnée pluriséculaire des sociétés musulmanes. Le culte musulman

est donc inventé en Algérie, mais à la différence des autres cultes, l’État

refuse de le doter d’un interlocuteur officiel, bref de créer une sorte de

Consistoire musulman, même si des projets ont été conçus par

l’administration coloniale mais n’ont pas été retenus. On aboutit à la

situation d’un culte incomplet dans la mesure où aucune autorité n’existe.

En revanche, le personnel du culte musulman est nommé et rémunéré par

l’État, donc contrôlé par l’État : que faire si la Séparation est appliquée ? Le

risque aux yeux des autorités coloniales est de ne plus avoir de droit de

regard sur l’islam en qui il voit une menace pour la sécurité de la colonie.

Pour ce qui est du culte catholique, l’inquiétude est double. Les

autorités redoutent d’une part que l’Église fasse appel à des prêtres

étrangers et d’autre part, que, faute de financement, elle ne s’affaiblisse.

Dans les deux cas, l’Église catholique, perçue comme favorable à la

domination française, risque d’être en difficulté : la conséquence serait un

affaiblissement de la France. Comme il n’est pas question en situation

coloniale de renoncer aux prérogatives du contrôle des cultes, les autorités


politiques d’Alger rédigent un décret qui entend concilier impératifs laïcs et

coloniaux.

Le décret du 27 septembre 1907 affirme respecter la loi, mais dans les

faits, la mise en place des indemnités de fonction, c’est-à-dire le

financement de certains ministres du culte, assure la poursuite du modèle

concordataire. Pour ce qui concerne les musulmans, des cultuelles sont

créées, mais elles sont sous le contrôle des préfets qui continuent à nommer

les agents du culte 66 . Les inventaires, terminés en 1909, se sont déroulés

dans l’indifférence générale, le clergé ayant appelé au calme et l’écrasante

majorité des fidèles étant dans l’incapacité de saisir les tenants et

aboutissants de la loi.

De son côté, le clergé décide de « faire contre mauvaise fortune bon

cœur ». Le défi pour l’Église algérienne est double : rester fidèle à Rome et

assurer sa survie dans une situation coloniale particulière. Or, sa survie

passe par l’obligation de trouver de l’argent pour parer à la disparition des

traitements. Rappelons que l’Église en Algérie n’est pas installée sur un

terreau de vieux christianisme et que les fidèles sont loin d’être

suffisamment riches pour pourvoir à l’entretien de leurs églises et de leurs

prêtres. Comme en France, les évêques instituent une nouvelle œuvre, celle

du denier du culte.

Les messages de présentation du denier du culte sont une occasion

officielle pour vilipender la loi. L’évêque de Constantine, M gr Gazaniol,

comme à son habitude, privilégie une démarche plus générale pour,

probablement, ne pas heurter les autorités locales 67 . Mgr Cantel, évêque

d’Oran, n’hésite pas à se placer sur le terrain algérien en optant pour une

argumentation incisive en prise avec les réalités de la colonie 68 . Au-delà de

ces considérations rhétoriques, le denier du culte est organisé de la même

manière dans tous les diocèses sur le modèle métropolitain et

conformément à l’esprit des instructions pontificales 69 . Le denier du culte

n’est pas une nouvelle œuvre, il ne doit donc pas dispenser des offrandes


destinées aux autres œuvres ainsi que des quêtes faites aux offices. Chaque

curé est chargé de son organisation au niveau paroissial : lui ou des

collecteurs, nommés par lui, visitent à domicile les fidèles et récoltent les

dons en nature ou en numéraire. L’intégralité des sommes est envoyée à

l’évêché, qui centralise aussi les indemnités de fonction envoyées par leurs

bénéficiaires, puis s’assure de la répartition entre tous les membres du

personnel ecclésiastique. Cette organisation traduit la volonté de ne pas

exercer de contraintes directes sur les fidèles, tout en assurant, aux

participants à cette œuvre, plus de faste à l’occasion d’un mariage, d’un

enterrement, etc. Par ailleurs, les ecclésiastiques contrôlent l’ensemble du

processus, rappelant ainsi les prérogatives canoniques qui sont les leurs. En

centralisant toutes les sommes – celles des indemnités et celles de l’œuvre –

l’évêque entend bien rappeler qu’il est le seul chef et administrateur du

diocèse. La solidarité est placée au cœur du dispositif et évite que le prêtre

ne soit à la merci de ses paroissiens.

Si les premières années de fonctionnement de l’œuvre s’avèrent

difficiles, notamment parce que les paroissiens des prêtres bénéficiaires des

indemnités de fonction n’en comprennent pas la finalité, à partir de 1918,

elle entre dans une phase de prospérité 70 . La vitalité de l’Église est attestée

par l’inauguration de la cathédrale d’Oran en février 1913. Les travaux ont

été financés par des quêtes métropolitaines mais aussi par des offrandes

diocésaines qui n’ont été acceptées que lorsque les fidèles s’étaient

acquittés du denier du culte.

Les questions de recrutement se posent aussi avec une certaine acuité,

mais sans pour autant mettre en péril l’Église. En effet, l’État veille. Il

prolonge, pour la première fois en 1917, les indemnités temporaires prévues

pour dix ans, puis régulièrement pendant toute la durée de la colonisation.

Après la guerre, la politique de construction des édifices religieux

catholiques est reprise. Ces décisions des autorités politiques sont à mettre

en relation avec la qualité des relations entretenues avec les autorités


catholiques. Ces dernières, loin d’user de la liberté d’expression que leur

accorde la loi de Séparation, restent dans une position de réserve analogue à

celle observée sous le Concordat. Les indemnités de fonction ne peuvent à

elles seules expliquer cette attitude : le clergé algérien reste un clergé

colonial donc d’esprit concordataire. Il ne peut pas imaginer des rapports

tendus avec les autorités publiques, car il partage un idéal commun : celui

de servir la France.

Toutefois, le tableau ne serait pas complet si l’on ne traitait pas de la

première guerre scolaire qui a secoué la colonie pendant cette période.

RÉPLIQUER ? EN GUERRE CONTRE L’ENSEIGNEMENT LAÏC

L’archevêque d’Alger, Mgr Oury, tout comme les évêques d’Oran et de

Constantine, ne s’expriment sur la loi de Séparation qu’à partir de

janvier 1908, soit au moment où le décret du 27 septembre 1907 devient

effectif. Les prélats sortent alors de leur réserve pour condamner une loi

qu’ils estiment injuste pour l’Église algérienne qui a toujours été fidèle à la

France. Ils entendent également résister plus vigoureusement aux lois sur

les congrégations religieuses.

Les congrégations religieuses

L’Algérie est pourvue, comme tout diocèse métropolitain, de

nombreuses congrégations religieuses contemplatives, mais aussi

hospitalières et enseignantes. Religieux et religieuses sont à la tête de

nombreux établissements. Or, les lois anticongréganistes de 1901-1904

interdisent aussi leur présence sur le territoire. La loi sur les congrégations a

été appliquée sauf pour la société des missionnaires d’Afrique qui obtient

une dérogation. Toutes les autres congrégations doivent donc quitter le

territoire algérien. L’archevêque d’Alger, dans une lettre à un conseiller


général, donne son sentiment sur la question qui fait suite à leur rencontre 71 .

Oury exprime ses regrets face au vote du conseiller général à l’une des

séances de l’assemblée départementale relative aux congrégations. Vote

motivé par le fait que les congrégations ne produisent rien. N’ayant pas pu

lui répondre de vive voix, Oury lui écrit. Il reprend les uns après les autres

les arguments généralement invoqués pour justifier la politique

anticongréganiste. Le prélat le félicite de ne pas avoir eu recours à des

arguments tels que le péril que moines et moniales font courir à la

République, le milliard des congrégations, etc. En revanche, il entend

démontrer que le monde des couvents et des monastères n’est pas peuplé

d’oisifs, bien au contraire… Et d’égrener alors les prix agricoles, les écoles,

les hôpitaux, les asiles, etc. Quant aux ordres contemplatifs, ils doivent au

moins subvenir à leurs besoins, ce qui exclut, là aussi, toute oisiveté. De

plus, il lui rappelle qu’il est un « intellectuel » et qu’au regard d’un ouvrier,

il doit lui aussi apparaître bien oisif. Puis, Oury s’étonne que l’on ne

s’insurge pas davantage contre les hommes et les femmes qui ne travaillent

pas. Il se lance aussi dans un long développement sur la liberté :

« Pour toutes ces raisons nos congrégations méritent l’estime et

la bienveillance de ceux que n’aveuglent pas l’ignorance et la

passion. Vous en tomberez d’accord, j’en suis sûr et je ne doute

pas davantage que, mieux informé, vous ne vous déclariez

partisan de leur liberté, puisque la seule raison qui vous en

rendait l’adversaire était qu’elles ne produisaient ni effort ni

travail. »

Le ton oscille entre l’ironie et l’amabilité, tout en laissant clairement

entendre les sentiments de l’archevêque. Toutefois, ni ce courrier ni

personne ne peuvent différer l’application de la loi. Les départs se sont donc


échelonnés jusqu’à la veille de la Première Guerre. Des cas de religieux non

sécularisés ont été déférés en justice et des écoles privées ont été fondées.

La présence des congrégations religieuses est attestée depuis les

premières années de l’installation française en Algérie. La première

congrégation est celle des religieuses de Saint-Joseph-de-l’Apparition,

arrivées en août 1834 avec à leur tête leur supérieure, la mère de Vialar et

reparties après leur conflit avec Dupuch dès 1842. Puis arrivent d’autres

congrégations : les religieuses trinitaires en 1840, les Sœurs de la doctrine

chrétienne de Nancy en 1841, les Dames du Sacré-Cœur de Bordeaux en

1842, les Filles de la charité la même année, les lazaristes en 1843, les

jésuites à la fin des années 1840, les ursulines en 1846, etc. Pour

l’installation et le développement des trappistes de Staouëli, on renverra à la

thèse de Bernard Delpal 72 . Sans qu’il soit ici question de traiter de l’histoire

de ces congrégations, l’application de la loi anticongréganiste est l’occasion

d’en dresser une liste rapide et d’en présenter brièvement un historique pour

celles installées dans le diocèse d’Alger.

Une présentation chronologique de leur départ permet d’en suivre les

péripéties. Dans la SRA du 17 mai 1903, il est question de la « Chapelle de

l’Amirauté 73 . – Les Pères Basiliens et les Petits-Frères de Marie ».

Notification a été faite aux pères basiliens de Blida, et aux petits frères de

Marie de Boufarick, l’Agha, Maison-Carrée, Mustapha-Inférieur, Hussein-

Dey, Orléansville, Cherchell, Marengo, Tizi-Ouzou de fermer leurs

établissements le 25 juillet 1903.

Ensuite, vient le tour des sœurs l’hôpital militaire du Dey auxquelles

Oury, depuis la France, ne manque pas de rendre hommage dans la SRA du

14 août 1904 74 . Ce dernier rappelle leur dévouement :

« … ces femmes admirables qui ont été si utiles à l’armée

d’Afrique pendant 60 ans, que le Gouvernement a tenu à les


récompenser toutes en attachant sur la poitrine de leur

Supérieure, la croix de la Légion d’Honneur. »

Explicitement, il rappelle le lien entre l’Église et l’armée, mais aussi

l’ancienneté de leur présence pour mieux souligner qu’elles ont, elles aussi,

participé à la conquête et à la construction du pays. La mention de la légion

d’honneur est là pour souligner, si besoin était, leur patriotisme et, de

manière tacite, l’absurdité de leur expulsion. Indirectement, l’archevêque

pointe le doigt sur le décalage entre un discours qui en fait des ennemis de

l’intérieur et une réalité qui prouve leur patriotisme. Il souligne en d’autres

termes le paradoxe de la situation et sa profonde injustice.

Les départs se poursuivent en cette année 1904 avec les lazaristes qui

quittent le grand séminaire, comme l’indique une lettre de Oury écrite

depuis la France 75 . Le prélat y livre un rapide historique de leur

implantation en Algérie. Leur installation s’est faite à la demande de

Dupuch en 1842 avec, d’après le texte, l’accord du maréchal Soult. Il est

ensuite question de leur installation dans une maison du séminaire qui

comptait alors 8 séminaristes. Puis en 1848, Cavaignac concède à Pavy un

terrain à Kouba. Oury termine en évoquant les supérieurs de Kouba et les

professeurs.

Les congrégations enseignantes ne sont pas les seules à être concernées

par la loi car les trappistes doivent aussi partir. C’est à travers une lettre

rédigée cette fois à Alger qu’Oury rend compte de ce départ 76 . Les

trappistes se sont installés en Algérie le 20 août 1843, le premier prieur fut

dom François-Régis. 1845 est l’année de la consécration par Dupuch de

l’église de Notre-Dame de la Trappe. L’évêque d’Alger fit alors un discours

vantant les mérites des moines :

« Ces campagnes, écrivait-il, aujourd’hui si belles et si riches,

étaient infécondes et désolées. Vous eussiez dit un manteau


d’épines et de ronces qui les recouvraient au loin, une figure

expressive de la barbarie de leurs séculaires habitants. »

La ferme de Staouëli est devenue un modèle pour les autres « et c’est là

que pendant quarante ans au moins le colon est allé apprendre les

meilleures méthodes de culture… » Les actions charitables des moines sont

rappelées : 150 personnes par jour nourries « au temps de la prospérité »,

participation à toutes les œuvres de l’Église : aide aux écoles, aux églises,

aux séminaires, aux hôpitaux, etc. Le message est identique : les religieux

ont contribué au développement de la colonie et à la gloire de France.

C’est en 1906 que les mesures sur les congrégations enseignantes se

précisent. En juillet 1906 est annoncée dans la SRA du 8 juillet la fermeture

de treize écoles congréganistes qui doit intervenir pour le 1 er octobre. La

liste des établissements pour le diocèse d’Alger est fournie : les frères des

écoles chrétiennes de Blida, les sœurs de Saint-Joseph (de Saint-Jean-de-

Maurienne en Savoie) à Bordj-Ménaïel, les sœurs de Saint-Joseph des Vans

à Médéa, Bouïra, Zeralda (école de filles), les sœurs de la doctrine

chrétienne de Nancy à Dellys, Miliana, Oued-el-Alleug, Douéra (école de

filles), les sœurs missionnaires de Notre-Dame d’Afrique de Kouba, Carnot,

les sœurs de Notre-Dame-de-la-Merci (d’Aix) à Saint-Eugène (école de

filles). On apprend que ces écoles sont ouvertes depuis soixante, quarante,

vingt ans. L’auteur de l’article se livre à un violent réquisitoire contre la

fermeture des écoles congréganistes. Il puise ses arguments dans les

préceptes de la Déclaration des Droits de l’homme et du Citoyen qui stipule

que « nul ne sera inquiété pour ses opinions mêmes religieuses ».

Néanmoins,

« …le 8 septembre 1900, le Grand Convent maçonnique a émis

le vœu que le droit d’enseigner fût retiré aux congréganistes. Ce


vœu était un ordre : le 7 juin 1904, une loi supprimant

l’enseignement congréganiste était votée. »

Une fois de plus, le responsable clairement désigné est la francmaçonnerie.

Un mince espoir apparaît en 1907 quand la fermeture annoncée pour le

1 er septembre 77 est suspendue 78 :

« … M. le Ministre de l’Instruction publique a bien voulu

surseoir à l’exécution du décret qui ordonnait la fermeture au

1 er septembre prochain au Pensionnat du Sacré-Cœur de

Mustapha ; La rentrée est donc prévue pour le 2 octobre. »

Il s’agit d’un pensionnat de religieuses. Le répit est de courte durée, car,

en 1909, la fermeture est définitive 79 :

« L’Algérie n’a pas été plus épargnée que la France et nous

avons aujourd’hui à saluer de tous nos regrets la fermeture du

Sacré-Cœur et la disparition de ses religieuses. C’était la

dernière maison du Sacré-Cœur existant encore sur le territoire

français. »

Les religieuses étaient arrivées en 1842.

En 1910, le décret ministériel du 16 juin 80 programme pour le

1 er septembre la fermeture de l’école des frères des écoles chrétiennes de la

rue de Bône à Alger. La date de l’installation des frères à Alger, en

décembre 1853, est indiquée pour bien rappeler l’ancienneté de leur

présence. La SRA du 7 août 1910 retrace l’histoire sur le sol algérien de ceux

qu’elle présente comme les « victimes de la persécution maçonnique ».

Arrivés en décembre 1853, ils ouvrent leur première école, rue Salluste à


Alger, en février 1854 et ont entre 80 et 100 élèves puis 400 ; quelques mois

plus tard, c’est l’ouverture des écoles annexes de Bab-Azoun et de Bab-el-

Oued, avec un effectif de 500 élèves. En février 1856, le conseil municipal

d’Alger vote un traitement pour quatre frères : deux pour Mustapha-

Supérieur et deux pour Mustapha-Inférieur. La même année, deux frères

sont appelés à la maîtrise de la cathédrale. En 1860, l’école Saint-Augustin

ouvre ses portes, et en 1864 c’est au tour de la maîtrise de la Casbah.

L’école libre de la cité Bugeaud est inaugurée en 1867, année de la famine,

et s’oriente vers la prise en charge, par les frères, de 510 orphelins.

L’année 1870 est celle du déménagement de la rue Salluste à la rue de

l’Intendance, où, depuis 1857, se tenait un cours pour adultes fréquenté par

200 élèves. Ils obtiennent une subvention par le conseil municipal.

L’année 1910 voit aussi le départ des sœurs de la doctrine chrétienne de

Boufarick 81 ainsi que la fermeture de la maison des sœurs de Saint-Vincentde-Paul

d’Orléansville : leur école avait été fermée par arrêté ministériel en

1909 82 . Elles reçoivent l’ordre de se disperser en 1912 83 . Elles s’occupaient,

entre autres, du fourneau économique et distribuaient 200 portions par jour :

« Le Conseil Général avait reconnu le fourneau économique

d’Orléansville d’utilité publique en lui accordant en

octobre 1911, 300 fr. de subvention. »

Il est rappelé qu’elles étaient les seules institutrices jusqu’en 1884.

Les derniers départs sont mentionnés en 1913. Ils font suite au décret

sur la fermeture totale au 1 er octobre 1913 de deux établissements, l’un

appartenant aux sœurs de la doctrine chrétienne et l’autre aux religieuses

trinitaires. Leurs pensionnats avaient été fermés en 1910, mais elles avaient

pu conserver leur maternelle. L’établissement des sœurs de la doctrine

chrétienne servait de maison de retraite aux sœurs âgées ou infirmes. « Elles

s’étaient réfugiées là, au nombre d’une quarantaine, après la fermeture de


nombreuses maisons qu’elles possédaient en Algérie. » L’article insiste sur

le fait que les religieuses espèrent ne voir fermer que les maternelles et ne

pas être expulsées de leur maison. Le décret de fermeture a été pris par le

préfet et le gouverneur général en qui elles mettent tous leurs espoirs pour

qu’ils en atténuent la portée 84 .

Parallèlement aux départs des religieux, l’Algérie a aussi connu des

affaires de congréganistes sécularisés 85 . L’affaire a été portée devant le

tribunal correctionnel d’Alger. Sont concernés les petits frères de Marie

sécularisés de Boufarick, l’Agha, Maison-Carrée, Mustapha-Inférieur,

Hussein-Dey, mais seuls ceux de Mustapha-Inférieur, Hussein-Dey se sont

présentés :

« Étaient également cités, comme complices, pour avoir prêté

aux prévenus les locaux servant d’écoles, M. l’abbé Laffitte,

curé de Saint-Bonnaventure, M. l’abbé Viala, curé de Boufarick

et M. l’abbé Géniès, curé d’Hussein-Dey, qui répondent à l’appel

de leur nom. »

Rappelons que la loi sur les associations de 1901 stipule que nul n’est

admis à diriger un établissement d’enseignement, ni à y donner

l’enseignement, s’il appartient à une congrégation non autorisée. L’enjeu est

donc de prouver qu’ils ne sont pas sécularisés. La défense s’appuie sur un

dossier composé de pièces qui, sur le plan formel, démontre la

sécularisation comme le fait de s’être fait relever de leurs vœux et

l’abandon de la vie commune, etc. Laffitte explique qu’il les a recrutés

comme instituteurs, car ils avaient les diplômes requis et qu’aucune autorité

compétente, Académie, préfecture et parquet, au courant de l’ouverture de

l’école, n’avait alors manifesté d’opposition. Il s’agit là d’une défense basée

sur un cas d’école avec preuves extérieures de la renonciation à l’état de

religieux et principe de non-interdiction d’ouverture d’école. Il revient au


Parquet de démonter l’existence de preuves contradictoires sur la

continuation de l’état de religieux. Il n’est pas possible de connaître l’issue

de l’affaire car la SRA reste muette sur le sujet.

Si, avant la Séparation, l’Église algérienne ne s’engage pas davantage

dans la querelle scolaire, à partir de 1908 elle s’organise en vue de la

création d’écoles privées. La SRA en donne la liste et en fait la publicité. La

SRA du 22 novembre 1908 annonce la réouverture du pensionnat de

l’Immaculée-Conception de Blida dont les religieuses de la doctrine

chrétienne ont dû abandonner la direction par suite d’un arrêté ministériel

de fermeture le 24 novembre 1908 sous la direction d’un personnel

enseignant laïque chrétien :

« Le pensionnat de l’Immaculée-Conception est installé au

milieu d’une orangeraie, dans un vaste édifice construit pour

cette destination, selon les meilleures règles de salubrité et

d’hygiène. »

À l’étude de la religion, dispensée dans cet établissement, s’adjoignent

toutes les matières de l’enseignement primaire : langue française, littérature,

arithmétique, dessin linéaire, tenue des livres, histoire, géographie, sciences

physiques et naturelles, économie domestique et hygiène. Des

enseignements facultatifs sont prévus : peinture, musique, chant,

gymnastique, langues étrangères. L’objectif est clairement affiché : faire des

femmes d’intérieur formées à tous les travaux manuels qu’exige la bonne

tenue d’une maison. C’est pourquoi, une part considérable du temps est

consacrée à la couture, tricot, broderie etc.

La mobilisation se poursuit en 1909 avec des appels à candidature :

« On demande plusieurs institutrices libres catholiques, de

préférence munies du brevet supérieur. Conditions avantageuses.


S’adresser à M. le Curé de Blida ou à M elle

pensionnat de l’Immaculée Conception 86 … ».

la Directrice du

Les fondations d’écoles continuent avec l’ouverture à Blida d’un

établissement secondaire libre pour jeunes gens : l’école Lavigerie. Cette

initiative revient à Piquemal et à l’abbé Gille, dont il est précisé qu’il est

licencié ès sciences 87 . La même année ont lieu deux autres inaugurations 88 .

Un établissement scolaire de garçons dans la rue de Bône est placé sous le

patronage de Bollon et la direction confiée à l’abbé Gille qui reçoit le

concours de prêtres dont il est dit que l’un d’entre eux est licencié ès lettres.

Cette institution recevra des pensionnaires, des demi-pensionnaires et des

externes. Un second établissement, pour filles cette fois-ci, est programmé à

Alger. Si son nom est connu, Sainte-Geneviève, aucune indication n’est

fournie sur l’organisation ou sur le nom de la personne qui doit recevoir les

inscriptions. Les informations parviennent dans la SRA du 28 septembre

1913 qui donne toute une série de renseignements : la rentrée de l’école

Lavigerie est annoncée pour le 30 septembre, il s’agit d’une institution

dirigée par les prêtres du diocèse ; l’ouverture de l’école Sainte-Geneviève

est prévue pour le 1 er octobre. La date de la rentrée est fixée au 1 er octobre

pour l’école de la rue Horace Vernet qui est une école primaire dirigée par

une laïque ; la rentrée est annoncée pour le pensionnat-externat Jeanned’Arc

d’El-Biar.

Les écoles continuent leur recrutement en 1914. On apprend que le

pensionnat de l’Immaculée Conception de Blida, école libre de jeunes filles,

recherche : un professeur de mathématiques et de sciences pour un cours

préparatoire au brevet, une directrice d’école maternelle pourvue du brevet

élémentaire et âgée de plus de 21 ans et une institutrice pour classe

élémentaire 89 . Et alors que la guerre a commencé, une nouvelle école est

annoncée pour la rentrée 90 .


Comme on peut le constater, les catholiques algériens ont su se

mobiliser et réagir face à la nouvelle situation engendrée par la loi de

Séparation. La chronologie des fondations d’écoles est intéressante dans la

mesure où elle renforce l’idée que rien n’a été réellement entrepris avant

qu’il ne devienne certain que la loi serait appliquée aux départements

algériens. Par ailleurs, les écoles ne sont fondées que dans les villes. Les

années 1908-1909 sont à plus d’un titre un tournant dans la question

scolaire en Algérie.

Quand la rébellion gagne la colonie

Avec la publication de la lettre pastorale des cardinaux et archevêques

de France, sur les droits et les devoirs des parents relativement à l’école,

s’ouvre en Algérie la première « guerre scolaire 91 ». Les prémices de cette

« révolte » sont perceptibles dans la SRO du 28 février 1908. Un père de

famille s’y plaint de « la prétendue neutralité de l’instruction publique » et

la SRO se fait l’écho de ces « légitimes doléances ». Malheureusement, pour

l’année 1909, la SRO n’est pas communicable. La SRA, dans son ensemble,

est plus mesurée que celle d’Oran. Elle ne mentionne, pour cette querelle

scolaire, que les faits qui se sont passés en France, se contentant de

reproduire des articles parus dans Les semaines religieuses. Il convient de

signaler que, dans les archives se rapportant au département de Constantine,

aucun document concernant ce sujet n’a été trouvé ; seule la documentation

sur l’Oranie est disponible. Or, dans ce diocèse, il semble que les velléités

ecclésiastiques aient été plus vives que dans le reste du territoire de fait de

la présence du vicaire général Bouissière. C’est pourquoi il serait abusif

d’étendre au reste de l’Algérie les positions du clergé oranais pendant la

guerre scolaire. Toutefois, des dispositions identiques, sur certains points et

avec des conséquences de moindre ampleur, sont prises dans les autres

diocèses.


Pour la première fois, les évêques d’Algérie s’associent à la contestation

sur l’école laïque et lui donnent des suites. L’autonomie implicite du clergé,

générée par la loi de Séparation, est compensée par un renforcement de la

direction ecclésiastique 92 . La spécificité de l’Église algérienne, du moins

dans ses rapports avec l’autorité civile, serait-elle vouée à disparaître en

conséquence d’un alignement sur les positions métropolitaines ? Ainsi, une

lettre pastorale commune entend réagir à deux projets de loi sur

l’enseignement et l’éducation, qui, selon les prélats, portent atteinte à

l’autorité des pères et des mères de famille. Sont rappelés, conformément à

la doctrine de l’Église, les droits et les devoirs des parents au sujet de

l’école. La lettre insiste sur la nécessité de choisir une école où les enfants

puissent être élevés comme leurs croyances le réclament. Ces

considérations ont pour l’Algérie une double implication dans la mesure où

les petits musulmans peuvent, en théorie, aller à l’école coranique, mais

dans l’optique de cette pastorale, qui s’adresse à tous les catholiques des

départements français, il est peu probable que le rapprochement ait été fait.

Cela n’exclut pas pour autant qu’il ait pu être présent dans l’esprit de

certains ecclésiastiques en Algérie.

En l’absence de ce type d’écoles préconisées par les prélats, il est

recommandé de veiller au contenu des enseignements dispensés par

l’instituteur. L’objectif est d’éviter toute « perversion morale » des enfants

qui les conduirait à « la damnation éternelle 93 ». Les prélats critiquent aussi

la « prétendue neutralité » des écoles publiques où, soit par les livres, soit

par l’enseignement oral, les instituteurs outragent la foi de leurs élèves. Il

est déploré que les sanctions prévues par la loi du 16 mars 1882, sur

l’initiative de Jules Ferry, ne soient guère appliquées. Les parents sont donc

conviés à exercer une grande surveillance par le biais des associations de

pères de famille. La lettre se termine par une liste d’ouvrages d’auteurs laïcs

à proscrire sous peine de sanctions ecclésiastiques, car « il faut obéir à Dieu

plutôt qu’aux hommes 94 ». L’Église d’Oranie se plie, sûrement de bonne


grâce, aux instructions de France. Dans les autres diocèses, il est plausible

de penser que seule la lecture de la lettre pastorale et l’affichage des livres

proscrits ont été effectués. La situation est tout autre dans le diocèse d’Oran.

Dans un rapport de la sûreté générale du 30 novembre 1909, un

historique de la lutte, conforme aux instructions de l’évêque, est dressé à

l’attention du gouverneur général 95 . Pour le commissaire central d’Oran,

l’origine de cette offensive est à rechercher dans la loi de Séparation et dans

l’expulsion des salésiens 96 . Cette explication est plus que probable dans la

mesure où, avant l’application de la loi, aucun trouble de cette nature

n’avait eu lieu. Le commissaire date le début des hostilités du 9 octobre

1909 avec la publication dans la SRO de la lettre pastorale de M gr Cantel.

Conformément aux instructions du prélat, la lettre a été lue en chaire le

1 er dimanche d’octobre dans toutes les églises paroissiales d’Oranie.

L’évêque a adressé la liste des livres interdits à tous les desservants des

paroisses afin qu’elle soit affichée à l’intérieur de toutes les églises du

département. L’évêché utilise comme courroie de transmission la SRO, Le

franc parleur, les patronages, les sacristies et les églises 97 . Ainsi, toute une

série d’articles paraissent dans la SRO. Le 2 septembre 1909, on dénonce la

rentrée dans une des écoles primaires d’Oran qui a reçu le nom de

« Voltaire ». Un article du 16 septembre 1909, sur « l’autodafé de Mers el-

Kébir », exalte l’acte commis.

À la date du 13 octobre 1909, est relatée l’histoire d’un jeune écolier qui

ne veut plus entendre parler de religion depuis qu’il fréquente ladite école

« Voltaire ». Il semble que, par son seul nom, cette école déclenche les

foudres de l’Église. Dans un article du 20 octobre 1909, le procès intenté

par les instituteurs de France aux évêques et archevêques en raison de leur

lettre collective sur la « perversité » de l’enseignement scolaire est dénoncé.

Quant au journal Le franc parleur, dans un supplément du 3 septembre

1909, qui fut, selon le commissaire général, distribué à profusion à Oran, il

s’élève contre la décision du conseil municipal de donner le nom de


« Voltaire » à la nouvelle école. Cette école a été créée pour recevoir les

élèves du quartier où étaient installés les frères de la doctrine chrétienne,

fermée à la suite d’un arrêté ministériel de juin 1909. Dans ce même

numéro est dénoncé un instituteur de Sédimar qui n’aurait pas respecté la

neutralité scolaire. C’est dans son numéro du 7 octobre 1909 que ce journal

déclare ouvertement « la guerre à l’école publique », préconise de ne pas

céder et de détruire les livres condamnés 98 .

Les patronages, au nombre de cinq sur Oran, participent aussi

activement à cette campagne. Pour le commissaire général :

« la propagande contre l’école et l’enseignement laïque s’y fait

journellement et ouvertement plus active et plus violente encore

que dans la presse bien-pensante de la ville ».

Les curés incitent à brûler les livres, l’association des pères de famille,

même si elle ne rassemble que peu de membres, est active.

Quel fut l’impact de cette campagne ? Un rapport de l’inspecteur de

l’Académie d’Oran au préfet, daté du 8 novembre 1909, donne une idée

approximative des résultats de l’offensive 99 . On y apprend qu’à Mers el-

Kébir, à la suite des instructions données en chaire par le curé, quarante

élèves sur les cinquante de la 2 e classe de l’école des filles n’ont pas acheté

ou ont détruit le livre d’histoire de France de Gauthier et Deschamps. Il est

précisé que ces élèves suivent le catéchisme et que, face aux observations

de la directrice, les mères de famille ont décrété que le curé avait dit de le

faire. Toutefois, aucun problème n’est survenu dans la classe des grandes,

qui, précise l’inspecteur, ne vont pas au catéchisme : manière indirecte de

reporter la responsabilité sur le prêtre. Il n’y a pas eu de problème dans la

classe des petites qui n’ont pas encore de livre d’histoire. Le curé de la ville

serait soutenu par le maire. D’après le rapport, le but recherché serait

d’ouvrir une école libre à la suite des désertions de l’école publique. Les


religieuses, dont la congrégation a été dissoute en 1907, sont restées et

reçoivent des élèves pour donner des cours de catéchisme, de couture et

pour corriger les devoirs. Soutenues par l’abbé de la paroisse Saint-André

de Mers el-Kébir, la rumeur leur prête le dessein de prendre l’habit laïque et

de rouvrir leur école. Cependant, ce n’est qu’à Mers el-Kébir que les

injonctions du curé ont été mises à exécution. Ni à Proudhon, ni à Mascara,

Perrégaux, Trois-Marabouts, Renault où le curé avait pourtant menacé de

refuser l’accomplissement des devoirs religieux, les élèves n’ont souscrit

aux positions défendues par leur prêtre 100 .

À Oran, le vicaire de la paroisse Saint-Louis ayant recommandé aux

enfants suivant le catéchisme de détruire les livres interdits, cinq garçons se

sont exécutés. La population de ce quartier est en grande majorité étrangère

et « subit l’influence » du clergé qui, pour partie, est d’origine espagnole

comme les habitants. Mais, pour le directeur de l’école, si les parents sont

menacés de voir leurs enfants renvoyés de l’école, ils préféreraient renoncer

à suivre les conseils donnés à l’église. Cette population est besogneuse et

manque d’argent. Elle préfère envoyer ses enfants à l’école publique, qui

est gratuite, contrairement à l’école privée, si minime soit la rétribution. Il

apparaît que le projet et l’action du clergé sont un échec, même dans les

endroits où celui-ci était susceptible d’être écouté et suivi par les familles.

En réponse à cette campagne, certains instituteurs, comme ceux de

Mascara, ont adressé une plainte au procureur de la République de

Mascara 101 . Pourtant, l’inspecteur de l’Académie, dans une lettre datée du

25 octobre 1909 adressée à l’inspecteur primaire, prône l’apaisement 102 . Il

annonce qu’il a envoyé un rapport au ministre et qu’il attend les directives

pour agir. Il demande donc aux maîtres de faire appel au bon sens et à

l’affection des enfants pour les empêcher de détruire les livres. La pression

augmente quand Cantel annonce officiellement à l’inspecteur de

l’Académie que l’association des pères de famille a l’intention d’attaquer

devant les tribunaux les instituteurs qui excluront les enfants des classes en


se basant sur leur refus d’apporter le livre d’histoire à l’école. Quant au

gouverneur général, dans une lettre du 17 novembre 1909 au préfet d’Oran,

il manifeste son intention de porter cette affaire à la connaissance du

président du Conseil et réclame le maximum de renseignements 103 .

Cette campagne est un véritable coup de tonnerre dans le ciel limpide de

l’Algérie. Les autorités civiles sont prises de court et sont désarmées.

Pourquoi tant de virulence et sur un temps aussi bref 104 ? L’interdiction

porte sur des livres de morale et cela s’explique aisément. Conformément

aux préceptes de l’Église, la morale ne peut en aucune façon être d’essence

laïque, toute morale ne peut découler que du christianisme, sous peine de ne

pas être une morale authentique. Quant au choix des livres d’histoire, leur

enjeu idéologique n’est plus à prouver. Ces livres, fidèles à l’esprit laïque,

doivent occulter certaines actions de l’Église et en mettre d’autres, peu

glorieuses, en avant. Mais alors pourquoi, contrairement à son homologue

métropolitain, le clergé algérien n’a-t-il pas dénoncé l’enseignement

laïque ? Pourquoi ne se manifeste-t-il sur ce sujet que par une flambée sans

lendemain ? Est-ce un signal qu’il envoie en direction des autorités 105 ?

De toute évidence, l’enjeu de la question scolaire n’est pas central en

Algérie pour le clergé séculier. Une fois de plus, l’opposition sur un sujet

très sensible en métropole n’a eu que des répercussions atténuées en

Algérie, du moins jusqu’en 1909. Le consensus continue de primer. Il faut

attribuer, dans ce cas précis, à la séparation la levée de boucliers de certains

membres du clergé. Néanmoins, la lecture de la SRA sur l’année 1909 ne

laisse pas apparaître que cette question a été centrale dans le diocèse

d’Alger. Il n’est nulle part fait mention de prédications de prêtres relatives à

la question, d’autodafé… l’hypothèse selon laquelle la lutte cléricale aurait

comme origine la loi de Séparation n’est donc pas entièrement satisfaisante.

D’autres paramètres sont à prendre en considération.

Tout d’abord, l’Oranie, peuplée majoritairement d’Espagnols, est un

terrain plus sensible aux revendications cléricales. Le clergé a tenu compte


de son potentiel d’influence et a adopté une attitude plus agressive que dans

l’Algérois 106 . Le clergé oranais, au vu de documents de sources différentes,

est plus combatif que ceux du Constantinois ou de l’Algérois. Ce trait de

caractère est aussi à imputer à la présence dans ses rangs d’un homme qui

ne manquera pas de faire parler de lui en devenant évêque de Constantine :

le vicaire général Bouissière. Nous l’avons vu, ses positions restent isolées

et s’éteignent avec sa disparition.

Conclusion

Dans son travail sur les évêques concordataires, J.-O. Boudon a montré

que ces derniers constituent un rouage essentiel de la société civile d’où

l’importance de recruter des prélats qui ne soient pas des hommes de partis

afin de préserver la nécessaire concorde entre l’État et l’Église 107 . Pour

l’Algérie, cela demeure d’actualité en dehors de cette période et surtout

après, est-on tenté d’écrire. Le maintien du clergé français catholique en

Algérie passe par une entente nécessaire avec l’autorité civile. La papauté

en a eu conscience en ne nommant que des ecclésiastiques conciliants issus

de la tradition Lavigerie, exception faite de Bouissière, paradoxalement

soutenu par Combes 108 . Avec la nomination de ce dernier à la tête des deux

archevêchés, un certain « modèle » Lavigerie est de retour. La nomination

de Combes comme archevêque de Carthage renforce sa position par rapport

au gouvernement français à la suite des accords de 1893 sur le siège de

Carthage 109 . Il est aussi désigné pour sa neutralité affichée vis-à-vis du

gouvernement. Le Vatican, conscient de la faiblesse du catholicisme en

Algérie, veut prévenir d’éventuelles tensions. Quant au gouvernement

français, lors de la reprise des relations diplomatiques avec le Saint-Siège,

son choix d’ambassadeur s’est porté sur Jonnart. Dans cette décision, la

politique conciliante de l’ancien gouverneur général d’Algérie, en matière

religieuse, dans la colonie, a dû forcément être prise en compte.


La spécificité algérienne dans le domaine religieux est donc manifeste.

Le clergé reste d’esprit concordataire dans le sens où, pour sa très grande

majorité, il évite tout conflit avec l’autorité. Les deux institutions sont en

effet convaincues de leurs intérêts réciproques. Il ne faut pas occulter que

les indemnités de fonction constituent une sorte d’appel comme d’abus 110

théorique et moral qui exerce une pression certaine sur le clergé. Toutefois,

au-delà de ces considérations matérielles, il apparaît clairement que le

clergé, dans son ensemble, croit réellement en la vertu de l’association avec

l’État dans les colonies. Cette différence avec le clergé métropolitain est

voulue et s’affiche symboliquement par le port de la barbe. Les clercs ne

cessent de revendiquer leur différence tout en ayant présent à l’esprit qu’ils

appartiennent à une communauté plus vaste, mais plurielle. C’est pourquoi

il convient de considérer la « guerre scolaire » comme un épiphénomène,

œuvre d’un homme qui n’a pas attendu la séparation pour attaquer la

République. Cette querelle n’a eu d’impact que dans de rares centres

populeux, le reste du diocèse n’y fut guère sensible. C’est toujours

Bouissière qui, à la tête de son diocèse entre 1913 et 1916, anime une

guerre ouverte contre les institutions. Cependant, comme sa guerre

antirépublicaine, son état d’esprit ne lui survit pas. Le clergé algérien est et

demeure, malgré la loi, un clergé d’esprit concordataire, conscient de sa

situation en terre coloniale et de la nature de son apostolat lié au prestige de

la France. Sa collaboration pendant la guerre et son calme lui valent la

prolongation des indemnités de fonction et surtout le retour à la bonne

entente avec l’autorité civile. La parenthèse Bouissière fermée et le retour à

la paix marquent le renouveau d’une ère de cordialité qui reste l’idéal de la

colonie.


1. S. AOULI, R. REDJALA, P. ZOUMMEROFF, Abd-el-Kader, Paris, Fayard, 1994.

2. J. FRÉMEAUX, Les bureaux arabes dans l’Algérie de la conquête, Paris, Denoël, 1993.

3. J. FRÉMEAUX, L’Afrique à l’ombre des épées. Des établissements côtiers aux confins

sahariens, 1830-1930,

(vol. 1), Paris, Service historique de l’armée de terre, 1993, p. 10-15 ; 18-30.

4. CH.-R. AGERON, Histoire de l’Algérie contemporaine, Paris, PUF, 9 e éd. 1990, 1 re éd. 1964,

p. 22 ; B. DURAND, « Originalité et exemplarité de la justice en Algérie (de la conquête à la

Seconde Guerre mondiale) », dans La justice en Algérie, 1830-1962, Paris, La documentation

française, 2005, p. 45-74, p. 47 sq.

5. Se reporter à J. FRÉMEAUX, L’Afrique à l’ombre des épées…, op. cit., vol. 1, p. 34-46.

6. Ch.-R. AGERON, Histoire de l’Algérie contemporaine, t. II, De l’insurrection de 1971 au

déclenchement de la guerre de libération (1954), Paris, PUF, p. 45-48.

7. Ibid., p. 47.

8. Ch.-R. AGERON, Histoire de l’Algérie contemporaine, op. cit., p. 46.

9. J. FRÉMEAUX, L’Afrique à l’ombre des épées. Officiers administrateurs et troupes coloniales,

1830-1930, vol. 2, Paris, Service historique de l’armée de terre, 1995.

10. P. M. E. LORCIN, Kabyles, Arabes, Français : identités coloniales, Limoges, Presse

universitaire de Limoges, 2005, traduit de l’anglais par L. Thommeret.

11. Les analyses de Lorcin sont à nuancer car elle a, pour l’essentiel, travaillé sur des sources

imprimées et les archives présentent une vision bien plus complexe. Dans le chapitre III, la

construction du mythe est présentée ainsi que d’autres discours sur les populations kabyles.

12. Pour la gestion des biens habous, désignés sous l’appellation de waqf-s au Machrek, voir

chapitre III.

13. Derrière ce terme de culte, les Français ont retenu, pour l’essentiel, la rétribution de certains

personnels religieux alors que la réalité était autre sous la Régence. Par exemple, les biens

habous servaient aussi à assurer un appoint financier aux personnes chargées de l’instruction

« élémentaire », mais avaient aussi bien d’autres fonctions.

14. C. PRUDHOMME, Missions chrétiennes et colonisation XVI e -XX e siècles, Paris, Cerf, 2004.

15. Rappelons qu’un concordat est un traité de droit international qui organise les relations entre

un État et le Saint-Siège.

16. A. PONS, La nouvelle Église d’Afrique…, op. cit., p. 32, avance le chiffre de 15 ;

F. COMBALUZIER, « L’Algérie catholique 1830-1930 cent ans d’histoire religieuse dans l’Algérie

française », dans P. LESOURD (s. d.), L’année missionnaire 1931, Paris, Desclée de Brouwer,

1931, p. 375-395, p. 381, donne le chiffre de 27.


17. A. BUSSIÈRE, « Le maréchal Bugeaud et la colonisation de l’Algérie. Souvenirs et récits de

la vie coloniale en Algérie », La Revue des Deux Mondes, 1 er novembre 1853, dans Tocqueville

sur l’Algérie, présentation par Seloua Luste Boulbina, Paris, Flammarion, 2003, p. 347 : « À

Saint-Ferdinand, le colonel Marengo et son gendre, M. Capone, ont construit pour l’usage de

leur famille et pour celui des habitants, une chapelle… », (note 1, p. 303 : Auguste Bussière

avait accompagné Tocqueville lors de son second voyage).

18. Tocqueville sur l’Algérie, op. cit., p. 25 : « En 1831, cinquante familles de Bade, de Bavière

et du Wurtemberg avaient déjà été détournées de leur destination première [leur intention était

de se rendre au Brésil] et installées à Delly Brahim, un camp retranché – devenu ensuite camp

agricole – crée par le général Berthézène. C’est là que fut édifiée la première église coloniale. »

19. CAOM, P1 Oran.

20. CAOM, B3 306.

21. CAOM, 1U6.

22. CAOM, 1U5, des irrégularités sont signalées à plusieurs reprises par les assemblées

départementales et communales. Elles peuvent aussi faire l’objet d’une circulaire préfectorale

comme celle du 7 février 1880, numéro 2186.

23. F. COMBALUZIER, « L’Algérie catholique 1830-1930… », art. cit., p. 381.

24. Ibid., en 1868, il y a 187 paroisses dans le diocèse.

25. A. PAVY, Mémoire à consulter sur la création des évêchés d’Oran et de Constantine, Alger,

Bastide, 2 e éd., 1864.

26. Se reporter à la magistrale biographie de F. RENAULT, Le cardinal Lavigerie…, op. cit.

27. F. COMBALUSIER, « L’Algérie catholique 1830-1930… », art. cit., note 2, p. 377.

28. Ibid.

29. Voir l’article de G. Vasco paru dans les Questions Actuelles du 21 mars au 31 mai 1908, sur

le recensement de l’Algérie de 1906. Le chiffre total de la population ne comprend pas les

64 655 israélites. Pour la répartition par département, toute la population non musulmane est

comptabilisée, sans prendre en compte les 10 976 Européens du Sud.

30. P. FOURNIER, « Le clergé d’Algérie… », art. cit.

31. F. COMBALUZIER, « L’Algérie catholique 1830-1930… », art. cit., p. 380.

32. CAOM, 1U25.

33. AN F195610.

34. Ibid.

Précisons que Dusserre, évêque de Constantine de 1880 à 1893, puis archevêque d’Alger entre

1893 et 1897 est un ancien zouave.

35. F. COMBALUZIER, « L’Algérie catholique 1830-1930… », art. cit., p. 378.

36. P. FOURNIER, « La faillite de M gr Dupuch… », art. cit.

Il est toujours possible de se référer à l’ouvrage de M. HARDY, Antoine-Adolphe Dupuch,

premier évêque d’Alger (1838-1846), un pionnier de la mission à l’épreuve du politique, Paris,


Hora Decima, 2006. Il s’agit davantage d’une hagiographie que d’une biographie répondant aux

normes de la méthode historique, mais certains éléments factuels peuvent être retenus.

37. P. FOURNIER, « Jacques Suchet… », art. cit.

38. P. FOURNIER, « La faillite de Mgr Dupuch… », art. cit.

Pour l’histoire de l’œuvre de la propagation de la foi, se reporter à R. DREVET, Laïques de

France et missions catholiques au XIX e siècle : l’œuvre de la propagation de la foi, origines et

développements lyonnais (1822-1922), thèse de doctorat d’histoire de l’université Lyon 2, 2001,

sous la direction de Cl. Prudhomme.

39. P. FOURNIER, « La faillite de Mgr Dupuch… », art. cit.

40. Ibid.

41. Ibid.

42. CAOM, 2 U18.

43. J. FRÉMEAUX, L’Afrique à l’ombre des épées…, op. cit., vol. 2, p. 158.

A. CLAYTON, Histoire de l’armée française en Afrique 1830-1962, Paris, Albin Michel, 1994,

551 p. (trad. de l’anglais par P. Gaujac). Il s’agit d’un ouvrage dans la pure tradition de

l’« histoire bataille » sans réelle analyse. Toutefois, il demeure un outil utile sur les données

factuelles même si certaines restent à manipuler avec précaution.

44. A. CLAYTON, Histoire de l’armée française…, op. cit., p. 246.

45. Ibid., p. 246-247. Pour une analyse de la symbolique du costume, se reporter à J. FRÉMEAUX,

L’Afrique à l’ombre des épées…, op. cit., vol. 2, p. 257 sq.

46. A. CLAYTON, Histoire de l’armée française…, op. cit., p. 247.

47. Ibid., p. 253.

48. La réalité historique est autre.

49. SRA du 3 janvier 1909 ; mais aussi dans la SRA du 15 décembre 1910, la SRA du 17 décembre

1911 : messe annuelle en l’église métropolitaine par le « Souvenir français », p. 804, présidence

de Mgr Combes ; SRA du 21 décembre 1913 : le comité de l’union des dames de France de Coléa

fait célébrer un service funèbre solennel pour le repos des âmes des soldats et marins morts au

service de la patrie. L’église est décorée pour l’occasion : les grandes tentures de deuil sur

lesquelles se détachent des écussons de la Croix Rouge. « On y remarquait la plupart des

habitants de notre localité, des officiers et de nombreux soldats qui y tiennent garnison. »

50. SRO, 25 avril 1908.

51. SRO, 2 mai 1908.

52. SRO, 10 octobre 1908.

53. Précisons que c’est la situation dans le diocèse d’Oran qui est pour l’essentiel développée

pour ce qui concerne l’antisémitisme, dans la mesure où les études sur les autres diocèses font

défaut. Cf. G. DERMENJIAN, La crise antijuive oranaise (1895-1905), l’antisémitisme dans

l’Algérie coloniale, Paris, L’Harmattan, 1986.


54. V. ASSAN, Les consistoires israélites d’Algérie au XIX e siècle, l’alliance de la civilisation et

de la religion, Paris, A. Colin, 2012, p. 348-368.

55. Ch.-R. AGERON, Histoire de l’Algérie contemporaine, op. cit., p. 53. C’est ainsi qu’il

explique que la flambée d’antisémitisme s’apaise avec le nouveau statut de 1900 qui confère à

l’Algérie la personnalité civile et un budget spécial. Pour un développement plus complet, voir

Ch.-R. AGERON, Histoire de l’Algérie contemporaine, t. II…, op. cit., p. 60-68 ; p. 68 : à la suite

de la révolte de Margueritte en avril 1901 (voir chapitre II), « Après cinq années de division

l’Union sacrée entre Européens d’Algérie allait se refaire face au “péril arabe”. L’opinion jugea

que les antijuifs n’avaient été finalement que de maladroits diviseurs : tous les députés antijuifs

furent balayés aux élections législatives d’avril 1902. »

56. Le sénatus-consulte du 14 juillet 1865 octroie la possibilité aux musulmans comme aux juifs

d’obtenir la citoyenneté. Cependant, ni les uns ni les autres ne se sont précipités pour la

demander : « C’est pour tourner l’abstention des Israélites que fut préparé un décret de

naturalisation collective : Émile Ollivier l’envoya au Conseil d’État. Crémieux ne fit que

promulguer le texte. », Ch. R. AGERON, Histoire de l’Algérie contemporaine, op. cit., note 1

p. 32. Le décret a aussi été signé par trois autres personnes : Gambetta, Glais-Bizoin et

Fourichon. Voir aussi Ch.-A. JULIEN, Histoire de l’Algérie contemporaine, t. I, La conquête et

les débuts de la colonisation (1827-1871), Paris, PUF, p. 467 : « Crémieux ne se faisait aucune

illusion sur l’esprit conservateur de ses coreligionnaires et la force de la résistance religieuse :

Ne leur dites pas : “Soyez Français si vous le voulez, car, volontairement, ils n’abandonneront

pas la loi de Dieu” ». C’est pourquoi il opte pour la contrainte légale.

57. Les juifs algériens présents sur le territoire avant 1871 deviennent donc des citoyens français

de confession israélite et par conséquent ne peuvent plus appliquer les règles inhérentes à leur

statut personnel comme la polygamie. Certaines familles, dont il reste difficile de déterminer

précisément le nombre mais qui n’ont pas dû être très nombreuses, optent, afin de ne pas

renoncer à leur statut personnel, pour le Maroc ou la Tunisie.

58. G. DERMENJIAN, La crise antijuive oranaise…, op. cit.

59. Ce journal était dirigé par l’abbé Sepulchre, dans G. DERMENJIAN, La crise antijuive

oranaise…, op. cit.

60. Ibid.

61. Ibid. ; toutefois un certain nombre d’entre eux était abonné à des journaux antisémites tel

que L’avenir d’Oran.

62. Ibid.

63. Les juifs algériens ne sont pas intégrés dans les documents administratifs dans le groupe des

citoyens français. L. BLÉVIS, « Une citoyenneté française contestée. Réflexion à partir d’un

incident antisémite en 1938 », dans La justice en Algérie 1830-1962, Paris, La documentation

française, 2005, p. 111-122, note 2, p. 112 : « Comme en témoigne leur catégorisation distincte

dans les recensements de 1872 à 1931, ainsi que l’a montré Kamel Kateb dans Européens,

“indigènes” et juifs en Algérie (1830-1962) », Paris, INED, 2001. Au recensement de 1931, les

juifs d’Algérie ont refusé de répondre à la question : « Êtes-vous israélite naturalisé par le décret

de 1870 ? », et ont répondu affirmativement à la question : « Êtes-vous français d’origine ? »

(Kateb, p. 192)


64. Quand l’antisémitisme légal a tout le loisir de s’exprimer avec le statut d’octobre 1940, il est

chaleureusement reçu par une grande partie de la population européenne d’Algérie. Le décret

Crémieux est aboli le 7 octobre 1940 par le ministre de l’Intérieur Peyrouton, ancien secrétaire

général du Gouvernement général à Alger, et le 11 est retiré aux juifs indigènes le droit de se

faire naturaliser.

65. SRA du 14 août 1904, à Miliana deux protestantes de 22 et 24 ans ont abjuré et ont été

baptisées le 30 juin. Leur première communion est annoncée pour le 3 juillet.

66. Se reporter à O. SAAIDIA, « L’invention du culte musulman dans l’Algérie coloniale au

XIX e siècle », dans L’Année du Maghreb, n o 14, 2016-I, p. 115-132 ; « Mosquées et

administration coloniale (1907-1910), l’impossible “séparation” ? », dans Défis démocratiques

et affirmation nationale Algérie, 1900-1962, textes réunis par A. BERERHI, N. KHADDA,

C. PHÉLINE, A. SPIQUEL, Chihab Éditions, Alger, 2016, p. 342-353.

67. Cf. sa lettre pastorale pour le carême de 1908, AOPM, Lyon G12.

68. Cf. sa lettre circulaire du 29 janvier 1908, CAOM, 1 U26.

69. AAA/12, une lettre confidentielle est adressée depuis Rome à l’archevêque d’Alger le

8 octobre 1907.

70. AOPM, Lyon G14.

71. AAA/118, lettre manuscrite de Oury à « Monsieur le conseiller général », le 30 avril 1901.

72. B. DELPAL, Le silence des moines…, op. cit.

73. Le 3 mai 1903, le ministère de la marine a ordonné la fermeture de la chapelle de l’amirauté

qui était desservie depuis quarante ans par le clergé de la cathédrale.

74. Lettre de Oury à Cornud à l’occasion du départ des sœurs, lettre datée du 30 juillet 1904 à

Crécey en Côte-d’Or.

75. SRA du 18 septembre 1904, lettre datée du 21 août 1904, Tours. Il peut sembler curieux qu’en

ces temps difficiles l’archevêque se trouve en France et non dans son diocèse à moins qu’il

n’espère éviter la loi de Séparation à l’Algérie ?

76. SRA du 27 novembre 1904, lettre datée du 13 novembre 1904.

77. SRA du 30 juin 1907.

78. SRA du 28 juillet 1907.

79. SRA du 29 août 1909.

80. SRAdu 31 octobre 1910.

81. SRA du 4 septembre 1910.

82. SRA du 1 er septembre 1910.

83. SRA du 1 er septembre 1912.

84. SRA du 13 juillet 1913.

SRA du 27 juillet 1913 : « Départ des religieuses de la doctrine chrétienne de Bône : hommage

public rendu par un radical le docteur Bulliod adjoint au maire de Bône en conseil municipal. »


85. SRA du 15 mai 1904.

86. SRA du 1 er août 1909.

87. SRA du 12 septembre 1909.

88. SRA du 11 septembre 1910.

89. SRA du 16 août 1914.

90. SRA du 27 septembre 1914 : « Une école chrétienne libre pour garçon s’ouvrira à la

prochaine rentrée d’octobre… » direction confiée à M. Seguin pourvu du brevet supérieur et du

baccalauréat de l’enseignement moderne. Enseignement primaire et préparation aux examens

des différentes administrations.

91. CAOM 1 U107.

En fait, dans un tout autre contexte, une première « guerre scolaire » avait secoué la colonie au

moment de la commune d’Alger, Y. TURIN, « La commune d’Alger et ses écoles en 1871. Un

problème de laïcité coloniale », il s’agit d’un tiré à part sur lequel ne sont indiqués ni le nom de

la revue ou de l’ouvrage d’où l’article est issu ni la date de parution.

92. Ce n’est qu’après la Première Guerre mondiale qu’est créée l’ACA, l’Assemblée des

archevêques et cardinaux de France.

93. Ce sont les mots utilisés dans la lettre pastorale.

94. Listes des ouvrages à proscrire : Calvet, Gauthier et Deschamps, Guiot et Mane, Rogie et

Despique, Devirat, Brossolette, Aulard et Debidour pour leurs ouvrages sur l’histoire de France.

Rogie et Despique, Aulard, Bayet, Payot pour leurs ouvrages de morale et d’instruction civique.

95. CAOM 1 U107.

96. Le 7 juin 1904, la commission du Sénat rejette la demande d’autorisation des salésiens.

Toutefois, ils ne quittent pas l’Algérie et se consacrent à l’œuvre de patronage, non illégale,

dans C. BEISSIÈRE, 50 ans d’apostolat salésien en Afrique du Nord 1891-1941, Paris, Tunis, éd.

SAPI, 1941.

97. CAOM 1 U107.

98. Le franc parleur est affilié à l’évêché.

99. CAOM 1 U107.

100. Pour être précise, il faut mentionner qu’à Perrégaux une élève a brûlé son livre. À Renault

deux élèves en ont fait autant ainsi qu’à Sédimar où 2 garçons sur 350 ont obéi au curé. CAOM

1 U107.

101. Ibid.

102. Ibid.

103. Ibid.

104. La brièveté du mouvement peut être attribuée à la peur de voir les indemnités de fonction

supprimées.

105. Le dernier document trouvé sur ce sujet date du 30 novembre 1909.

106. Nous ne pouvons rien dire sur le Constantinois car les archives sont muettes.


107. J.-O. BOUDON, L’épiscopat français à l’époque concordataire 1802-1905, Paris, Cerf,

1996.

108. Jubilé sacerdotal de S.G. M gr Combes Archevêque d’Alger et de Carthage 1864-1914,

Tunis, Imprimerie Borrel, 1914.

109. Une convention signée le 7 novembre 1893 par le Cardinal Rampolla, secrétaire d’État et

par l’ambassadeur Lefebvre de Behaine, représentant la République française auprès du Saint-

Siège, stipule que pendant toute la durée du protectorat de la France en Tunisie, l’archevêque de

Carthage serait Français et que le diocèse de Carthage sera détaché de la Congrégation de la

Propagande, mais qu’en échange, le gouvernement français versera une subvention annuelle de

75 000 F, on se reportera aux nombreux travaux de P. Soumille sur l’Église catholique en

Tunisie.

110. L’appel comme d’abus est un appel interjeté contre la sentence, l’acte ou l’écrit d’un

ecclésiastique dont le pouvoir séculier estime qu’il a excédé son pouvoir ou contrevenu aux lois

de l’État.


CHAPITRE 2

Être catholique

La dimension identitaire de la religion catholique est une réalité plus

manifeste en Algérie qu’ailleurs. Pour le clergé, tout comme pour les

autorités françaises et les populations en provenance de France, l’idéal est

de créer une autre France sur la rive sud de la Méditerranée. Certes, cette

autre France ne présente pas les mêmes caractéristiques pour tous.

Cependant, la présence militaire, les structures administratives, le cadre

politique, mais aussi l’Église participent de cette entreprise. Pour l’Église

catholique, le modèle de référence reste celui du Concordat pour ce qui

concerne l’infrastructure ecclésiale. Quant au contenu du message religieux,

il se veut en tout point conforme à celui de n’importe quel autre diocèse de

France.

C’est pourquoi un premier niveau d’analyse fait apparaître le transfert

du modèle français. En effet, le nouveau territoire est approprié par l’Église,

parfois au détriment des musulmans, et il est façonné pour être la réplique

du territoire religieux métropolitain : églises, chapelles, couvent,

séminaires, etc., s’inscrivent dans le paysage et rappellent un diocèse de

France. Le temps catholique avec ses célébrations journalières,

hebdomadaires et annuelles entend rythmer la vie des populations

européennes. Ainsi, tous les moments forts de l’année liturgique se


retrouvent en Algérie de Pâques à Noël, avec des solennités plus marquées

que d’autres. Comme en France métropolitaine, la piété mariale se loge au

cœur de la spiritualité catholique algérienne. À l’instar des autres

catholiques, les catholiques d’Algérie se rendent aussi en pèlerinage.

Certes, tous rêvent de se rendre à Lourdes, mais les pèlerinages algériens

leur sont plus facilement accessibles et ils les investissent avec la même

ardeur.

Le clergé se tient d’ailleurs aux côtés des fidèles dans les dévotions

collectives comme dans les pratiques familiales. Son attention oscille entre

le groupe et l’individu, les œuvres en sont une parfaite illustration. Dans ce

domaine, comme dans bien d’autres, aucune originalité n’est décelable car

les grandes œuvres qui existent en France se trouvent en Algérie. Elles sont

toutes motivées par le souci d’encadrer la société tout en se voulant proches

des ouailles. En fait, l’institution entend répondre aux besoins tant de l’élite

que de la masse des croyants. Il existe bien une Algérie catholique qui se

veut la réplique du modèle français de France.

Toutefois, un second niveau d’analyse permet de mieux saisir les

adaptations et les particularismes : s’agit-il d’un catholicisme européen en

terre d’islam ou d’un catholicisme algérien en terre française ? Même si par

définition les musulmans sont les grands absents de la vie religieuse

catholique, ils restent présents, sinon dans le paysage du moins dans les

esprits. Aussi, les musulmans conditionnent, à une certaine échelle, les

grandes orientations du catholicisme algérien qui ne présente pas un seul

visage, mais de multiples facettes.

Marquer son territoire :

la sacralisation du temps et de l’espace


UNE ANNÉE CATHOLIQUE ALGÉRIENNE

Comme en France ?

Une première approche de l’année liturgique ne laisse aucun doute :

nous serions en présence d’un christianisme de vieille chrétienté. Puis, à y

regarder de plus près, il semble qu’il s’agisse davantage d’une chrétienté

recomposée à partir d’éléments issus des quatre coins de la Méditerranée.

Syncrétisme, « sabir » ou nouvelles expressions du religieux, les

catholiques algériens ont mis en pratique un concept de la fin du XX e siècle,

celui de recomposition religieuse, mais en puisant dans des fonds

essentiellement catholiques, du moins en apparence. En effet, il est probable

qu’un certain nombre de croyances et de pratiques, non avouées, ont été

prises dans le judaïsme et dans l’islam, mais pour la période envisagée cela

reste encore difficile à établir avec certitude.

L’année catholique algérienne est donc rythmée par les grandes

célébrations catholiques et des événements ponctuels comme la prédication

d’une mission ou encore une fête de patronage. Jusqu’au mois de mai, le

calendrier religieux est relativement fluctuant. Se succèdent la fête de la

purification à Notre-Dame d’Afrique, la fête de Saint-François-de-Sales, le

dispositif pour le carême, la fête de Saint-Joseph (mars 1 ), la fête de

l’annonciation de Notre-Dame d’Afrique, la Semaine sainte, Pâques,

Pentecôte. Le mois de mai est par excellence le mois de Marie qui donne

lieu à de nombreux pèlerinages à Notre-Dame d’Afrique. En juin, la

procession du Très Saint-Sacrement, la Fête-Dieu, prend à Alger une

coloration particulière car la communauté italienne y est active. Le grand

moment de juillet reste, à Alger, la fête du Carmel de la Vallée des Consuls

qui se tient le 16 juillet. La dévotion mariale est à nouveau à l’ordre du jour

en août pour l’Assomption et en septembre pour la fête de la nativité de la

Très Sainte Vierge. Octobre est le mois du Rosaire. La Toussaint reste un

moment très fort pour les catholiques algériens 2 . Le cimetière est divisé en


plusieurs carrés : pour les enfants, les adultes et les soldats. Si les tombes

sont fleuries comme en France, des bougies sont aussi allumées aux quatre

coins de la tombe 3 . Alors que la loi du 14 novembre 1881 a abrogé

l’article 15 du décret du 23 prairial an XII, qui imposait aux communes

d’affecter une partie du cimetière ou de créer un cimetière spécialement

affecté à chaque culte, et interdit tout regroupement par confession sous la

forme d’une séparation matérielle du reste du cimetière, en Algérie les

cimetières restent confessionnels. Il existe des cimetières distincts pour les

juifs et pour les musulmans. En décembre, Marie est à nouveau célébrée le

huit, puis a lieu la fête de l’adoration perpétuelle et l’année religieuse

s’achève à Noël.

Tout au long de l’année se déroulent aussi des tournées de confirmation

et des missions prêchées par des missionnaires et par les curés. De même,

des stations quadragésimales ont lieu à la cathédrale plusieurs fois par an 4 .

L’Algérie catholique ne manque pas non plus de célébrer Jeanne d’Arc 5 ,

Jean-Baptiste de La Salle 6 , d’être en communion avec Rome, notamment

lors des décès pontificaux 7 , ou d’être ouverte aux catholiques du monde

entier à travers des messes lors d’événements dramatiques 8 ou encore de

récolter des fonds pour les œuvres pontificales missionnaires 9 .

Il serait bien fastidieux de décrire chacune de ces innombrables

cérémonies, dont les Semaines religieuses rendent compte avec moult

détails. Cependant, quelques-unes nécessitent que l’on s’y attarde afin de

mieux percevoir certaines des pratiques catholiques de la rive sud de la

Méditerranée. Commençons par le carême qui, contrairement à ce qu’on

pourrait penser, bien qu’en contexte musulman, n’est pas mis en parallèle

avec cet autre jeûne qu’est le ramadan.

Le temps de carême fait, comme en France, l’objet d’une préparation à

travers notamment les retraites qui sont prêchées différemment selon qu’il

s’agit des hommes ou des femmes. Les sermons pour la retraite des dames

de 1903 10 donnent un exemple des thématiques abordées : 1 er sermon : le


cœur chez la femme, 2 e sermon : la charité, 3 e sermon : l’épouse chrétienne,

4 e sermon : la vie chrétienne et surnaturelle ; comment doit-elle se

manifester ? Il reste difficile, à partir des seuls titres, de repérer les

spécificités algériennes. Elles ne sont d’ailleurs guère plus évidentes pour le

carême même s’il y a dans le diocèse une consommation courante de lait,

beurre et fromage, excepté le jour du vendredi saint 11 . On le voit, aucune

spécificité dans les pratiques ne semble distinguer la période de carême qui

est conçue comme le moment de préparation à Pâques.

Le temps pascal reste dans l’année liturgique un des moments forts pour

tous les catholiques, bien plus, en ce début de XX e siècle, que Noël. La

ségrégation des sexes est encore de rigueur : certaines pratiques ne se font

pas en commun. À Alger, les retraites sont ainsi prêchées séparément et les

messes de communion pascale ne sont pas communes aux hommes et aux

femmes 12 . En 1901, d’après la SRA du 14 avril, près de 1 200 femmes ont

suivi la retraite prêchée à la cathédrale par le P. Vigon ainsi que mille

hommes. Une prédication de six semaines avant la Semaine sainte a été

assurée par un prédicateur. Durant la Semaine sainte de cette même année,

des prières ont été ordonnées pour l’abolition de l’esclavage en Afrique.

Les thèmes des sermons abordés dans le cadre de la préparation pascale

ne présentent pas de spécificité : la charité dans les jugements, les paroles,

les actes, la tolérance à l’égard des différences et des défauts du prochain, la

nécessité d’apprivoiser son mauvais caractère ou de faire face à ceux qui en

ont un mauvais 13 . Des thèmes différents sont traités pour les femmes et les

jeunes filles : la vanité, son opposition avec les principales vertus

chrétiennes : l’humilité, la piété, la charité, la pureté 14 . Si le temps pascal

est pour les catholiques algériens un moment fort dans l’année liturgique,

les mois de Marie connaissent aussi un succès certains.

Les mois de Marie : le triomphe du culte marial


Certes, la piété mariale s’exprime surtout à l’occasion de pèlerinages,

mais elle est réactivée tout au long de l’année avec un premier rendez-vous

en mai qui apparaît comme le mois de Marie par excellence. Des exercices

sont prévus en fonction des heures et des églises :

« Exercices du mois de Marie. – Tous les jours de la semaine,

pendant la messe à 7 h 1/2

: récitation de trois dizaines de

chapelet ; chant d’un cantique à la Sainte Vierge. Après la

messe : lecture du mois de Marie, salut et bénédiction du

T. S. Sacrement. – Le dimanche après les vêpres : chant des

litanies de la Sainte Vierge ; prédication ou lecture ; salut et

bénédiction du T. S. Sacrement 15 . »

Les processions constituent une des étapes indispensables. Elles se

déroulent à Alger autour de la basilique au son des cantiques et de la fanfare

des élèves du petit séminaire 16 . Dans d’autres villes, les processions

peuvent se dérouler à l’intérieur de l’église comme c’est le cas à Isserville

en 1903 :

« Portée par quatre jeunes filles en blanc, Marie allait répandant

ses grâces… ; … entourée de douze petites filles tenant des lis à

la main et précédée de quatre autres jetant des fleurs sur son

passage 17 . »

Les religieux ne sont pas en reste puisque les missionnaires d’Afrique,

les pères comme les sœurs, profitent de ce mois de mai pour se rendre,

comme d’autres, en pèlerinage 18 . L’affluence est telle, si l’on en croit la

presse catholique 19 , qu’en 1909 une heure avant la cérémonie une centaine

de personnes est obligée de rester dehors. La figure mariale unit et réunit les

différentes composantes des colons européens. Si le mois de mai est le


moment marial par excellence, la fête de l’immaculée conception

rencontrerait aussi un certain écho 20 . Quant au Rosaire, il se trouve comme

partout ailleurs en Europe au cœur des pratiques.

La dévotion mariale se développe fortement au XIX e siècle parmi les

fidèles grâce à la récitation individuelle ou collective du chapelet, promu

déjà au XII e siècle par saint Bernard. Cet objet constitué de cinq séries de

grains, chaque série étant suivie d’un grain séparé, sert de support à la

prière du Rosaire. Adressée à la Vierge, elle consiste en la récitation de cinq

dizaines de Je vous salue Marie, chaque dizaine étant précédée d’un Notre

Père. La prière complète du Rosaire suppose de réciter trois chapelets,

soit 150 Je vous salue Marie, en méditant successivement sur les grands

moments de la vie du Christ ou mystères regroupés en mystères joyeux,

douloureux, glorieux. En outre, la fête de Notre-Dame du Rosaire a été

instituée après le concile de Trente et fixée au 7 octobre, elle a donné

naissance à un deuxième mois de Marie, après le mois de mai, durant lequel

on favorise la récitation du Rosaire. La lyonnaise Pauline Jaricot (1799-

1862) contribue à populariser cette forme de dévotion en lançant une

association appelée le Rosaire vivant qui aurait regroupé au milieu du

XIX e siècle plus de deux millions de fidèles en France et diffuse une

abondante littérature. Cette réalité spirituelle se retrouve pour partie chez

les fidèles d’Algérie comme l’attestent les articles publiés dans la « bonne

presse » :

« “La fête du Très Saint Rosaire à Notre-Dame d’Afrique” :

Notre beau pays de France s’est toujours montré si dévot à

Marie, qu’on a pu écrire cette touchante parole : “Le royaume de

France est le royaume de Marie. La terre algérienne partage avec

la Mère-Patrie ce doux et glorieux privilège 21 .” »


Les auteurs de l’article rappellent que des pèlerinages s’y déroulent

toute l’année. De plus, la Vierge invoquée est une Vierge noire, qualifiée de

Bonne Mère. Les pèlerins arrivent chapelet à la main. Ce dernier reste

l’objet pieux par excellence dont la diffusion s’est accélérée au XIX e siècle

avec l’industrialisation. Spiritualité populaire et individuelle, il est

recommandé de réciter le Rosaire en tout temps et en tout lieu.

Les mêmes scènes sont reproduites dans le diocèse d’Oran où le père

Ollivier entend démonter lors d’une conférence qui a duré une heure trente :

« que le Rosaire, loin d’être une dévotion à la portée des enfants

et des femmes, est une question bien plus haute, qui renferme en

elle la solution du grand problème de la question sociale qui

s’agite aujourd’hui. Pauvreté, travail et souffrances… Toutes ces

leçons se trouvent renfermées dans la question du Rosaire 22 . »

On pourrait multiplier les exemples autour de la pratique du Rosaire 23 .

La place des Italiens au cœur de la dévotion mariale est une fois de plus

réaffirmée, dans la mesure où les membres de la confrérie du saint

sacrement, confrérie italienne, ont chargé sur leurs épaules une statue de la

Vierge et ont conduit la procession autour de la basilique en 1908 24 . Dans le

même numéro, il est précisé qu’octobre est le mois de l’Ave mais aussi un

nouveau mois de Marie : le mois de Marie d’automne.

La grande dévotion mariale ne doit pas occulter que des vols et des

profanations d’églises pouvaient avoir lieu comme ce fut le cas en 1902 à

Sidi Bel-Abbès 25 et en 1904 à Santa Cruz 26 , mais ces agissements restent

marginaux en Algérie : la mère du Christ est l’objet d’un culte sans pareil, à

l’exception peut-être de la dévotion qui entoure le Très Saint-Sacrement.

La fête du Très Saint-Sacrement


L’un des moments forts de la fête du Très Saint-Sacrement reste la

procession qui rassemble, dans un ordre précis, les catholiques d’Alger.

L’une d’entre elle est décrite dans la SRA du 8 juin 1900. Le rendez-vous est

fixé à 4 heures le jeudi de la Fête-Dieu, soit le 14 juin afin que la procession

puisse s’ébranler à 5 heures. Il est indiqué dans quel ordre les différentes

paroisses sont invitées à défiler ainsi que l’organisation à l’intérieur de

chacune des paroisses : les institutions de la paroisse et les écoles, les

œuvres, les fidèles et la maîtrise et le clergé ; après les paroisses, c’est au

tour des congrégations religieuses : sœurs de Notre-Dame des Missions

d’Afrique, sœurs de Saint-Joseph-de-Vans, petites sœurs des pauvres,

religieuses trinitaires, sœurs du Bon secours, sœurs de la Doctrine

chrétienne, sœurs de Saint-Vincent-de-Paul, petits frères de Marie, frères

des écoles chrétiennes ; puis, viennent la fanfare du petit séminaire, les

élèves du petit séminaire diocésain, la croix de l’église métropolitaine, la

maîtrise métropolitaine, le scolasticat des pères de la compagnie de Marie,

le grand séminaire diocésain, le clergé de la ville et de la banlieue, le

chapitre métropolitain, les thuriféraires, les fleuristes, le dais, les membres

des conférences de Saint-Vincent de Paul, les prêtres et diacres parés et,

pour finir, les membres de la confrérie du saint sacrement. Des descriptions

plus précises permettent d’entrer au cœur de la procession :

« Les vêpres sont chantées dans la basilique, à 4 h ½ par la

maîtrise de la Cathédrale. Pendant ce temps, sous la conduite de

leur curé, les premiers communiants et les premières

communiantes, charmantes sous leurs gracieux voiles blancs, les

enfants de chœur aux rouges costumes, les jeunes filles de nos

écoles et de nos pensionnats, et de nombreuses et vaillantes

chrétiennes défilent, égrenant leurs rosaires, chantant des

cantiques… ; puis viennent le Petit Séminaire de Saint-Eugène et

son excellente fanfare… ; les élèves du Grand Séminaire de


Kouba ; ensuite, revêtus de chasubles, de dalmatiques ou de

chapes d’or, les membres du clergé et du chapitre métropolitain

précédant immédiatement le T. S. Sacrement porté par M. le

vicaire général Cornud. Aussitôt après : Monseigneur

l’Archevêque, assisté de M. l’abbé Petitot, vicaire général, et de

M. le chanoine Finateu, aumônier de la basilique, et un groupe

très compact d’hommes… Le long cortège contourne la

basilique, pénètre dans la propriété du Petit Séminaire et revient

sur l’esplanade… Le Te Deum retentit. Les cloches de la

Basilique, du Carmel, du Petit séminaire sonnent à toute volée,

ce pendant que le clergé rentre dans le sanctuaire de N.-

D. d’Afrique 27 . »

On ne manque pas de mentionner la présence de l’armée, de la

magistrature, du barreau, des administrations, de tous les corps constitués

de l’État et le fait que la bénédiction solennelle soit donnée sur la place du

Gouvernement. Des exercices pieux sont aussi prévus 28 dont les hommes ne

sont pas exclus, puisque sont présents ceux qui assistent à « la messe des

hommes », les membres des conférences de Saint-Vincent-de-Paul, du tiers

ordre et du patronage de saint Philippe 29 .

À ces célébrations communautaires s’adjoignent des manifestations qui,

au premier abord, sont plus familiales, même si elles sont l’occasion de

réunir au-delà des familles. Il s’agit de fêtes privées à caractère public

comme les prises de voile, les ordinations et les premières communions.

Les fêtes « privées »

Prise de voile et ordination

Certes, les ordinations, plus encore que les prises de voile, ne sont pas

légion, néanmoins elles attestent de l’existence d’un terreau chrétien porté


vers les ordres ou encore vers une spiritualité aussi élitiste que celle des

carmélites. Ces dernières semblent exercer une certaine fascination sur les

jeunes filles catholiques, même si les carmélites 30 ne sont pas les seules

religieuses à recruter, si l’on en croit les Semaines religieuses 31 . Faute de

monographie sur le Carmel d’Alger, il reste difficile d’en connaître

précisément l’histoire et notamment de disposer d’une analyse sociologique

de son recrutement et par conséquent de son rayonnement. On retiendra que

la fondation du carmel s’est faite sous Lavigerie. Toutefois, le grand

dynamisme de la congrégation s’est manifesté sous sa dernière prieure,

Jeanne Bibesco, personnalité complexe, s’il en est, comme l’atteste sa

correspondance avec Combes. Mère Bénie de Jésus en religion, princesse

de son état avant son entrée dans les ordres, la prieure a investi une grande

partie de sa fortune dans le carmel de la Vallée des Consuls. La fermeture

de l’établissement intervient en 1911 pour des raisons qui sembleraient plus

disciplinaires que liées à la politique sur les congrégations. Un lien très fort

unit la supérieure du carmel à Mgr Oury. C’est ainsi que l’archevêque

n’hésite pas à procéder à des ordinations à la chapelle du carmel de la

Vallée des Consuls 32 . Cependant, le nombre de prêtres ordonnés en Algérie

reste peu important. Pour l’essentiel, les ordinations concernent les ordres

mineurs 33 . Ces cérémonies semblent attirer un certain public si l’on se

réfère à la SRA du 29 octobre 1911 :

« On nous prie de faire connaître que seules les personnes

munies de carte seront admises dans la chapelle des Sœurs

Missionnaires de Notre-Dame d’Afrique, à l’occasion de la

cérémonie de vêture et de profession du 29 octobre. Il en sera de

même, à l’avenir, vu l’insuffisance du local, dans toutes les

circonstances de ce genre. »

Rançon de la gloire ?


À côté de ces célébrations qui restent assez rares, les premières

communions et les confirmations marquent l’adhésion des familles à un

certain modèle catholique.

Les fêtes « privées » familiales : première communion

et confirmation

En effet, la première communion et la confirmation restent,

manifestement, des sacrements demandés 34 . En fait, tous les sacrements

sont demandés dans la mesure où on vit et on meurt avec les signes

extérieurs de son appartenance catholique. Les rites de passage sont un

repère dans les existences. C’est aussi le moyen de renouer le contact avec

les fidèles qui ne sont pas dans les villes épiscopales ou dans de grandes

villes. L’archevêque se rend ainsi en tournée dans son diocèse. Ces visites

sont l’occasion de fêtes et d’union entre les autorités religieuses et civiles 35 .

La description des tournées permet d’appréhender certains aspects de la

colonisation. Ainsi, la fondation des villages se poursuit à la fin du

XIX e siècle comme c’est le cas pour celui de Bou-Caïd dont on apprend qu’il

a été fondé au début des années 1890 36 . Quatre cents personnes y résident,

d’origine italienne pour la plupart, et travaillent à l’extraction du zinc. Il

revient au curé d’Orléansville, qui se trouve à 54 km, d’assurer le service

religieux. Les conditions d’un diocèse colonial sont une fois de plus

perceptibles : dispersion des fidèles, circonscription religieuse étendue qui

ne permettent pas une présence religieuse fixe ni un service religieux

régulier. C’est pourquoi :

« Au commencement du mois de juin dernier, à la suite d’une

entente avec la Société des mines, M. l’abbé Thibon chargeait

son vicaire d’aller à Bou-Caïd, de s’y installer et de préparer les

enfants de ce village à faire leur première communion 37 . »


Il reste difficile de déterminer le rôle joué par la société des mines dans

l’organisation de la première communion. En revanche, les autorités civiles

acceptent que la salle d’école serve, en dehors des heures de classe,

d’église. Tous les villages sont loin d’être pourvus en lieux de culte dont

l’édification dépend des autorités politiques. À Bou-Caïd, la première

communion a pu avoir lieu après un mois de préparation et il a été promis

qu’un service religieux serait assuré tous les 15 jours. Une situation

analogue se rencontre en Kabylie où dans certains lieux la première

communion ne peut se dérouler que tous les deux ans 38 .

En revanche, les conditions ne sont pas les mêmes dans une ville de

l’importance de Blida. Il est ainsi possible d’organiser un véritable cortège

composé de petits garçons avec brassards bleus et de petites filles avec de

longs voiles 39 . D’après la Semaine religieuse, plus de cent premiers

communiants et autant de renouvelants, Piquemal en tête avec habit de

chœur, crosse en main et mitre, défilent autour de la place Lavigerie avant

d’entrer dans l’église. Sur le perron, un arc de triomphe, avec l’inscription

« À Monseigneur Piquemal, la paroisse de Blida reconnaissante », est

dressé. Les anciens paroissiens de Piquemal lui ont réservé un accueil

chaleureux.

Les tournées de confirmations sont aussi l’occasion pour l’Église de se

tenir au contact de fidèles éloignés des grands centres urbains et où la vie

religieuse ne présente pas les mêmes caractéristiques. Les distances

parcourues sont importantes 40 , mais n’empêchent pas les visites pastorales

de l’archevêque qui cultive ainsi le lien avec ses ouailles 41 . Ces deux rites

de passages destinés en priorité aux plus jeunes, ne doivent pas occulter

l’intérêt porté par l’institution aux adultes. L’une des techniques pour

maintenir l’ardeur religieuse repose sur la mission de l’intérieur.

Les missions de l’intérieur : au plus près des fidèles


La pratique des missions de l’intérieur demeure l’un des moyens à la

disposition de l’institution pour diffuser son message. Elles ne présentent

pas les mêmes spécificités selon qu’il s’agit de missions prêchées en milieu

urbain où les Européens sont nombreux ou qu’il s’agit de lieux où ils sont

minoritaires 42 et où le service religieux n’est pas assuré de manière

régulière.

Le tableau des missions du diocèse d’Alger pour l’année 1909 précise

que quatre missionnaires sont prévus : Ligonie, Le Gall, Malaval, Pagès.

Chaque missionnaire effectue, en moyenne, sept missions qui commencent

entre fin janvier et début février, se terminent toutes fin mai et reprennent à

la mi-octobre pour s’achever le 25 décembre. Leur durée moyenne oscille

entre une dizaine et une quinzaine de jours 43 . Toutes les missions sont dans

leurs structures organisées de manière similaire et ambitionnent de conduire

le maximum de catholiques à la communion. En effet, le temps de la

mission est scandé par l’instruction dispensée par le missionnaire à

différents moments de la journée 44 , selon les âges et les sexes. Dans les

faits, quand il s’agit d’un village, la mission se déroule de préférence le soir

afin de rassembler un groupe le plus large possible 45 . De plus, suivant les

lieux si des exercices spécifiques sont prévus pour les plus jeunes, en vue

notamment de les préparer à la première communion ou à la confirmation 46 .

Cependant, il reste difficile de solliciter les hommes seuls. C’est pourquoi,

quand ces derniers s’investissent, leur geste est considéré comme un signe

de réussite de la mission 47 .

Il n’est pas rare de faire appel à des missionnaires extérieurs au diocèse

comme en 1903 à Sainte-Marie-Saint-Charles de l’Agha dans les trois

dernières semaines du carême 48 . Les exercices ont été donnés par deux

lazaristes qui venaient de l’Ain, près de Bellegarde. « Le dimanche des

Rameaux avait lieu la communion générale des dames. » On apprend que

des conférences spéciales pour les hommes ont été données et qu’à Pâques

quatre cents d’entre eux ont communié.


C’est dans les endroits où la présence européenne est importante que la

mission peut se dérouler dans les meilleures conditions comme à l’Alma en

février-mars 1905 49 . La mission de 15 jours a été ponctuée par des exercices

quotidiens, par les chants, le soir, des cantiques par les jeunes filles de

l’école des sœurs de Saint-Vincent-de-Paul et par des conférences. « Le

22 février, eut lieu la bénédiction solennelle des fonts baptismaux, des

statues de Saint-Michel et de deux anges adorateurs ainsi que d’un Christ…

[que le] curé a pu acheter grâce aux dons de ses chers paroissiens. » La

décoration de l’église est, elle aussi, soignée puisque de la voûte

descendaient des guirlandes, qu’il y avait des tentures rouges semées

d’étoiles et que l’autel était paré de verdure et illuminé.

La moindre manifestation religieuse ou à connotation religieuse –

tournée de confirmation, mission de l’intérieur, fête d’un patronage, remise

de prix dans une école congréganiste, etc. – est l’occasion de mises en

scènes où le faste de l’Église peut s’exprimer. D’autre part, alors que les

distances sont importantes et le personnel ecclésiastique peu nombreux,

l’institution entend bien se maintenir auprès de ses fidèles en multipliant,

autant que faire se peut, les déplacements. L’Église occupe le territoire,

définit les limites de l’espace du sacré et en crée de nouveaux. C’est le cas

pour les grands pèlerinages algériens de Notre-Dame d’Afrique, Notre-

Dame de Santa Cruz et de Saint-Augustin.

DES PÈLERINAGES ALGÉRIENS

La spiritualité populaire a entièrement investi les deux premiers qui

sont, par bien des aspects, une des vitrines du catholicisme algérien. Quant

au pèlerinage au sanctuaire de Saint-Augustin, son aura est telle qu’il est

non seulement l’occasion de grandes manifestations de tous les fidèles

d’Algérie, mais qu’il attire en sus des ecclésiastiques du pourtour

méditerranéen.


Notre-Dame veille sur l’Afrique

Le culte marial est au cœur, nous l’avons vu, de la vie religieuse à Alger

comme à Oran. Cette ferveur mariale, les catholiques algériens la vivent au

quotidien : la Vierge est pieusement honorée, tendrement aimée et

ardemment invoquée. L’une des spécificités de ce culte est d’être aussi

l’objet d’une dévotion chez les musulmans et en particulier chez les

musulmanes 50 .

À côté des pèlerinages à date fixes comme ceux du mois de Marie, tout

au long de l’année on peut rencontrer des pèlerins qui gravissent la colline.

La SRA du 14 février 1904 rend compte de l’un d’entre eux qui a eu lieu le

4 février à 9 heures du matin. Il y est précisé que c’est assez rare en cette

saison pour être mentionné. Il s’agit des paroissiens de Dély-Ibrahim qui,

apparemment, feraient cela chaque année. Cette paroisse est présentée

comme la première implantée lors de la conquête en terre algérienne. Il y a

eu une messe solennelle, un chœur de jeunes filles, certains prennent la

communion. De nombreux exercices pieux rythment la visite comme les

longues stations devant l’autel à Marie :

« Malgré la pluie diluvienne qui ne cessait de tomber depuis

midi, on voulut visiter le berceau même du pèlerinage et l’on

descendit à N. D. du Ravin. Debout, à la porte du modeste

oratoire élevé en son honneur, on lui adressa de nouvelles et

ferventes prières. De retour à la Basilique, on récite le Saint-

Rosaire à voix haute et l’on chante quelques couplets de

cantiques après chaque dizaine. Puis M. le Curé donne lecture

d’une longue liste de recommandations et invite ses paroissiens à

prier aux intentions marquées. »

D’autres paroisses en font autant et instituent un pèlerinage annuel

comme c’est le cas pour celle de Coléa :


« Coléa que désormais, avec plus de droit que les musulmans,

les chrétiens auront le droit d’appeler Coléa la sainte (les Arabes

appellent, en effet, la ville de Coléa “Coléa la sainte”), ne seraitce

qu’à cause de la piété que ses habitants manifestent en

honorant toujours et si dignement la Très Sainte Mère de

Dieu 51 . »

La compétition dans la piété avec les musulmans n’est jamais loin tout

comme ici la volonté d’accaparer la « spiritualité » d’une ville pour le camp

catholique. Même en filigrane la présence des musulmans ne peut être

entièrement occultée. Si certains catholiques se structurent en France contre

la société moderne, en Algérie le repoussoir est constitué par l’islam. On lui

envierait presque ces signes extérieurs de piété quitte à mettre l’accent sur

leur hypocrisie et sur l’erreur dans laquelle ils se trouvent.

Mais il serait réducteur de résumer l’adhésion au culte marial à la seule

opposition avec les musulmans. En effet, le culte voué à Notre-Dame

d’Afrique est un des premiers à s’être structuré en Algérie.

Aux origines du culte

Deux documents des archives de l’archevêché d’Alger permettent de

retracer l’histoire de la Basilique et de présenter certaines dévotions.

Le premier document s’intitule Pèlerinage ND d’Alger, Notice sur le

pèlerinage de Notre-Dame d’Afrique à Alger ; le second est La Basilique de

Notre-Dame d’Afrique, Histoire du pèlerinage 52 . Il s’agit en fait de la

version abrégée de celle de 1885 et réactualisée. On note que tous les

épisodes anticléricaux ne sont plus reproduits et il n’est plus non plus

question des « miracles » à l’exception du tout premier qui a donné

naissance au sanctuaire. La comparaison entre les deux documents laisse

aussi apparaître des indications nouvelles qui n’apparaissent pas dans le

premier texte.


La première notice a été rédigée par un père blanc, le père Michel, en

1885, puis a connu des rééditions en 1923 et en 1939. La version abrégée de

1948 est due au père Cazaunau, recteur de la basilique et comporte une

préface de l’archevêque d’Alger en date du 1 er mai 1948.

Dans le document de 1948, on rappelle qu’à son arrivée en Algérie,

Pavy était accompagné de deux personnes de Lyon qui lui étaient

dévouées : Marguerite Berger et Anna Cinquin 53 . Comme Fourvière

manque aux deux Lyonnaises, elles font des retraites dans un lieu appelé le

ravin et l’une d’entre elles décide de placer dans le tronc d’un olivier une

statue de la Vierge. Dans le même temps, elles ne cessent d’implorer Pavy

de faire construire un temple pour la Vierge 54 . Un terrain est acheté et une

chapelle provisoire inaugurée en juillet 1857 55 . Or, avant de quitter Lyon

Dupuch a reçu des dames du Sacré-Cœur une vierge en bronze qu’il finit

par déposer à la trappe de Staouéli en 1843, Pavy ne sachant rien de cette

histoire 56 . Les dames du Sacré-Cœur, apprenant que l’évêque se propose

d’élever un sanctuaire en l’honneur de Marie, lui disent combien elles

seraient heureuses d’y voir honorée la Vierge offerte à son prédécesseur.

Les trappistes rendent donc la statue. Le 20 septembre 1857, la chapelle

provisoire étant achevée, l’évêque vient célébrer la première messe du

pèlerinage et installer sur un piédestal de marbre la statue de la Vierge 57 .

L’appel à la charité de tous les chrétiens pour pourvoir aux travaux de

l’église définitive permet de consacrer l’édifice le 2 juillet 1872 et de

procéder à la cérémonie de transfert de la statue le 4 mai 1873. Lavigerie

sollicite du pape l’autorisation de couronner la statue et la cérémonie est

fixée au 30 avril 1876 : l’église devient officiellement basilique 58 .

La dévotion mariale

Très vite la chapelle de la Vierge devient l’un des lieux où se concentre

la dévotion mariale. Son érection en église et sa consécration en basilique

sur un des points les plus en vue de la ville – elle se trouve sur un plateau


dominant la mer à 124 m d’altitude –, renforce une piété qui se renforce au

fil des ans. En 1885, on comptabilise 8 000 ex-voto 59 , ainsi que des

béquilles offertes par des anciens malades et des cierges en abondance 60 . En

effet, nombre de « miracles » sont attribués à la Vierge. Ainsi Lavigerie le

28 octobre 1868 institue à la chapelle de Notre-Dame d’Afrique une

association de prières pour tous les marins vivants ; ce dernier accomplit la

promesse qu’il avait faite durant une tempête 61 . Les registres de la basilique

renferment les récits des « faveurs et guérisons extraordinaires, rapportées

dans ce chapitre [, qui] ont été vérifiées et publiées… » : la terminologie est

précise, il ne peut s’agir de « miracles » tant que l’institution ne s’est pas

clairement prononcée sur la question. Les « guérisons et faveurs

extraordinaires » sont listées de la page 257 à 305. On en trouve de tout

genre : maladies, naufrages, cyclones, accidents, quelqu’un d’injustement

accusé, la conversion de pécheurs, etc. Les vœux correspondants sont

indiqués : monter à la basilique les pieds nus, offrir ses béquilles, un exvoto,

des cierges, des neuvaines, des messes, etc. La gestuelle est aussi

présentée : on fait toucher à la statue un morceau de tissu que l’on emporte

pour le malade, l’eau du puits de Notre-Dame d’Afrique sert aussi de

remède. Ses bontés, la Vierge les distribue même « aux païens », puisqu’un

« nègre » vient la remercier. Des musulmanes et des juives demandent des

cordons de la Vierge bénits par les prêtres pour leurs enfants. On apprend

que son rayonnement est important, car elle aide les missionnaires qui

l’invoquent au cœur de l’Afrique.

La basilique est l’un des lieux où se déroulent les plus importantes

manifestations catholiques. En effet, à partir de 1872, à la suite de

l’interdiction des processions de la Fête-Dieu, l’archevêque d’Alger

transporte à Notre-Dame d’Afrique la célébration de la fête 62 . Lavigerie a

donc convoqué tous les fidèles autour de l’église sur le terrain qui lui

appartient :


« L’armée tout entière y prit part avec ses chefs. Une foule

immense, évaluée à au moins 20 000 personnes, y monta

d’Alger. L’artillerie plaça ses canons sur la colline qui fait face à

Notre-Dame d’Afrique, à l’extérieur de la Vallée des Consuls, et

salua de ses détonations le Très Saint-Sacrement. Depuis cette

époque les processions de la Fête-Dieu ont lieu à Notre-Dame

d’Afrique 63 … »

Les autres processions en usage dans la liturgie, comme celle des

rameaux, de l’Assomption, de l’ouverture du mois de Marie, se font

également autour du pèlerinage.

Les autres saints patrons

Saint-Augustin

La dévotion est aussi très forte à Oran autour de Notre-Dame de Santa

Cruz sans pour autant avoir un rayonnement qui dépasse l’Algérie à la

différence du sanctuaire de Saint-Augustin à Bône 64 . Ce dernier attire,

notamment, des catholiques de Malte qui, chaque année, ne manquent pas

de s’y rendre et d’y déployer tout un faste : écussons et drapeaux de Malte :

« Tous les grands étendards de la Société musicale de La Valette et des

confréries entourent la statue de saint Augustin, que portent quatre membres

de la Société de Saint-Augustin. Les soies, les ors de ces magnifiques

étendards 65 … » « À l’Évangile, M. l’abbé Camillieri a donné le sermon en

langue maltaise. » Ils ont reçu la bénédiction du souverain pontife. « Enfin,

M. Leroy sort le bras de saint Augustin de son reliquaire. » Rappelons que

dès son arrivée en 1839, le premier évêque d’Algérie a inauguré l’autel et la

statue du saint et qu’il rapporte de Pavie l’avant-bras d’Augustin en

octobre 1842. Une estimation du nombre des participants est donnée, il

s’élèverait à 6 000 personnes. Il est probable que l’installation de la


majorité des Maltais dans le département de Constantine explique le lien

avec Malte et la mise en place d’un pèlerinage en Algérie. La dévotion est

complétée par l’inauguration de la nouvelle basilique au début du

XX e siècle.

Tout comme la Vierge, saint Augustin semble aussi susciter la dévotion

des musulmans comme le rapporte un article de la SRA du 27 août 1905 qui

livre un récit édifiant. Sur le site des ruines d’Hippone, un missionnaire

rencontre deux vieillards et une femme qui faisaient brûler des cierges près

du mur le plus élevé. Ils expliquèrent qu’ils faisaient brûler des cierges « au

grand chrétien » dont ils ne connaissaient pas le nom, mais ils faisaient cela

comme jadis leurs ancêtres le faisaient selon eux. À proximité passe une

rivière dont le missionnaire apprend le nom que lui donnent les indigènes :

la rivière du Père de l’Église. D’où sa conclusion : « Ô Saint Augustin, disje

encore, ayez pitié des enfants de ceux qui furent vos fils dans la foi :

obtenez leur grâce de Dieu. » En filigrane, l’auteur de l’article rappelle le

prestigieux passé chrétien de Bône et entend, indirectement, attester de la

présence au sein de la population d’un crypto-christianisme inconscient. Ce

type de passage est exceptionnel dans la SRA qui ne s’intéresse que très

rarement aux musulmans et encore moins à leur spiritualité, laquelle se

résume à leur fanatisme sous la plume de l’écrasante majorité des

catholiques algériens de la période.

Saint Michel : patron des Italiens

La fête de Saint-Michel est célébrée avec un faste que rapporte la SRA du

4 octobre 1908 dans un article intitulé « Cérémonie de la dédicace de Saint-

Michel à la Cathédrale d’Alger » :

« … les fidèles de la colonie italienne célébraient, avec la pompe

et la piété dont ils savent entourer nos cérémonies religieuses, la

fête de la Dédicace de Saint-Michel Archange, leur Patron. »


La décoration renforce la solennité de la célébration avec des tentures

de velours cramoisi frangées d’or. Au-dessus de l’autel, se trouve la statue

d’argent du saint qui est propriété de la « colonie italienne d’Alger ». La

revue ne manque pas de mentionner « … la présence, au grand complet, de

tous les membres de l’Archiconfrérie du T. S. Sacrement, revêtus de leurs

insignes… » et le chœur des jeunes filles italiennes avec l’organiste

M elle Lazzara. Plusieurs symphonies sous la direction du sous-chef de

l’orchestre municipal sont exécutées. Le soir, l’article souligne que

l’affluence est encore plus importante pour la messe de 8 heures. Un chiffre

est annoncé : plus de 2 000 personnes seraient présentes. À la suite de

l’allocution du vicaire général :

« … la statue du St-Archange, portée sur des rames par seize

bras vigoureux de marins, fit le tour de la Cathédrale, tandis que

le chant des Litanies et des invocations à St-Michel, répété par

mille voix, témoignait du pieux enthousiasme de l’auditoire.

Enfin, la bénédiction du T. S. Sacrement, suivie d’une cantate

populaire… »

La statue de saint Michel se trouve habituellement dans une des

chapelles de la basilique et une histoire édifiante lui est attachée. En effet, la

dévotion au saint est très importante dans l’île de Procida dont sont

originaires nombre de marins et où se trouve une statue du saint qui est le

patron de l’île. Selon l’usage, elle est recouverte d’un voile et on ne peut la

voir, à moins d’une permission du curé, que dans les fêtes solennelles ou

dans les processions.

Les marins d’Alger ont exprimé leur désir d’avoir la même statue. Or,

comme elle était en argent, il fallait réunir une somme de 15 000 francs. Ils

ont donc imposé un impôt volontaire sur le produit de leur pêche. Chaque

homme a dû donner cinq pour cent de son gain, pour couvrir le prix de la


statue. Une fois la somme récoltée, elle est portée à Lavigerie qui a été

chargé de contacter l’artiste et d’obtenir l’autorisation de faire une copie de

l’original. Mais le curé de Procida a opposé son veto face à l’inquiétude de

ses paroissiens :

« S’il y a une seconde statue de saint Michel en Afrique, notre

Saint Patron occupé à faire des miracles là-bas n’en fera plus

tant chez nous. »

L’argument a manifestement été rendu caduc par l’archevêque d’Alger

puisqu’une copie, dans des conditions cocasses, a pu être établie. Les

marins sont venus offrir la statue à l’archevêque qui a préféré qu’ils en

restent les seuls propriétaires, car « dans les temps actuels, les églises sont

un peu comme les forêts de vos Calabres ; rien n’y est plus en sûreté 66 ».

Si les catholiques algériens vivent en vase clos en Algérie, ils se

retrouvent au contact d’autres catholiques à l’occasion du pèlerinage à

Lourdes.

Les Algériens à Lourdes

La première tentative pour s’y rendre date de 1901. La SRA du 26 mai

1901 annonce l’organisation du premier pèlerinage africain. La SRA du

30 juin 1901 est plus précise, puisqu’elle indique qu’un comité de prêtres

s’est formé pour l’organisation du pèlerinage. Les dates sont fixées : le

départ d’Alger est prévu le 18 août et le retour le 27 ; l’itinéraire a été arrêté

avec un passage par Marseille et les prix sont mentionnés. Puis, on ne

trouve plus aucune indication avant 1908. Comment expliquer d’une part

que le pèlerinage n’a pas eu lieu en 1901 et, d’autre part, qu’il n’en est plus

question avant 1908 ? Ces questions restent sans réponse.

La deuxième annonce intervient donc en mars 1908, le départ est prévu

pour le 12 juin 67 . C’est du diocèse d’Oran qu’est partie cette initiative. La


présence du dynamique vicaire général, Bouissière, n’est pas étrangère à la

vitalité de ce diocèse qui est très souvent à l’origine des nouveautés.

L’organisation du pèlerinage à Lourdes est officiellement confirmée par

l’archevêque d’Alger, les évêques d’Oran et de Constantine. N’oublions pas

que pour certains il ne s’agit pas tant d’un retour, mais bien d’un premier

contact avec la France. Le journal se lance dans une description du bateau

et de la traversée qui met l’accent sur la dimension touristique car plusieurs

arrêts sont prévus, Palma, Barcelone ainsi que des visites. Les prix sont

indiqués pour les trois classes, prix tout compris d’Alger à Alger. Or, les

candidats ne se bousculent pas et le départ est finalement retardé au

15 juillet : « Le départ aura lieu, quel que soit le nombre des partants 68 . »

Manifestement, ils ne sont pas parvenus à mobiliser beaucoup de personnes.

Il est certain que bien des catholiques algériens, quels que soientt leur degré

d’adhésion au catholicisme et leur attachement au culte marial, n’ont pas les

moyens financiers d’envisager un tel voyage. Dans la SRA du 2 août 1908,

on finit par connaître leur nombre officiel : 120. Il est probable qu’un

certain nombre d’entre eux fait partie du personnel ecclésiastique, ce qui

restreint encore le nombre de participants laïques. En juillet et août 1908,

les premiers pèlerins algériens mettent enfin les pieds dans la cité mariale.

Leur séjour est relaté jour après jour 69 . Les tracasseries administratives liées

au voyage sont mises en avant pour démontrer que le Gouvernement fait

plus cas des pèlerinages musulmans que de ceux des catholiques. La

communauté catholique algérienne atteste de sa volonté de se rattacher

d’abord à son église locale, puis à l’Église universelle incarnée par sa

représentante française, montrant ainsi que la population européenne se

définit par opposition aux musulmans : « Français et catholiques », tel est

bien le cri de ralliement.

Si la Vierge de Lourdes incarne la France de toujours, si la variante

algérienne de la Vierge s’est acclimatée à travers la Vierge noire à Alger et

celle de Santa Cruz à Oran, si Augustin est un fils du pays dans lequel


peuvent se reconnaître tous les catholiques algériens, saint Michel reste

encore, avant la Première Guerre, perçu comme le saint patron des Italiens.

La vitalité de l’Église algérienne apparaît dans les archives religieuses

avec une attention particulière pour le culte marial. Ce qui transparaît aussi

dans la documentation est que l’institution reste attentive à être au plus près

de ses fidèles et à s’adapter à la diversité des pratiques. Elle ambitionne

d’encadrer la société dans le but de la réalisation d’une société catholique.

Encadrer la société : le projet catholique

DES ŒUVRES POUR TOUS : ENTRE TRANSFERT ET INNOVATION

Les œuvres apparaissent, à plus d’un titre, comme l’un des instruments

du contrôle de la société. Pour l’essentiel, elles sont davantage le résultat

d’un transfert métropolitain que le produit d’une innovation algérienne.

L’encadrement de la société est conçu à partir de la différenciation en âge et

en genre. Toutefois, les plus démunis font l’objet d’un traitement

spécifique.

Petites filles, jeunes filles et femmes : faire de bonnes

catholiques

Sainte Marcienne : une sainte africaine à l’honneur

L’une des institutions phares, pour les membres du sexe féminin, est la

congrégation Sainte-Marcienne fondée en 1902 et dont l’historique est

reproduit dans la SRA du 13 février 1910. La congrégation « Sainte-

Marcienne » de Sainte-Marie-Saint-Charles de l’Agha est une œuvre de


préservation et de persévérance pour les jeunes filles fondées par l’abbé

Warot, un des vicaires de Sainte-Marie-Saint-Charles de l’Agha.

Sainte Marcienne est présentée comme « la vierge héroïque, martyrisée,

il y a seize siècles dans l’antique Césarée (Cherchell), pour avoir renversé et

brisé une statue de Diane ». Le prestigieux passé religieux de l’Algérie est

invoqué et, au moins pour ce qui concerne le nom retenu, il s’agit d’une des

très rares œuvres algériennes. Ce souci de l’algérianité témoigne d’une

attitude paradoxale : la conjugaison d’une volonté et de se différencier et

d’être comme les autres catholiques.

À l’origine de cette œuvre se trouve l’abbé qui s’occupait des jeunes

filles de l’école publique en vue de leur première communion et qui voulait

trouver un moyen de les maintenir dans l’Église. Il a d’abord entrepris de

les grouper. C’est pourquoi il a fondé la congrégation le 10 août 1902. Au

début, 6 approbanistes seulement reçurent le ruban vert, puis trois d’entre

elles prirent le ruban rouge et 5 nouvelles approbanistes étaient admises à

postuler leur admission. Les chiffres annoncés pour 1903 font état de 23

nouvelles congréganistes ou approbanistes, en 1904 de 35, elles sont 49 en

1905 et 34 en 1906. « Le 11 février 1904, sainte Marcienne est

solennellement fêtée par celles qui se sont mises sous son patronage… […]

Au 13 février 1908, la congrégation compte 159 membres, et, ce jour-là, on

reçoit 26 approbanistes et 29 congréganistes. » La dernière indication est

celle du 1 er janvier 1909 avec 254 membres.

Toutefois, regrouper des jeunes filles ne présuppose pas de

nécessairement les garder ni de leur faire aimer leur association. C’est

pourquoi, il est apparu qu’il fallait s’efforcer de leur proposer un idéal

qu’elles puissent essayer de réaliser par des moyens qui s’adaptent à leur

âge, à leur caractère et à leur tempérament.

Au début, elles étaient reçues soit par une dame de l’association soit par

une amie de l’association. La rencontre avait les allures d’un après-midi

récréatif où elles buvaient le thé, mangeaient, jouaient, etc. À partir de cette


organisation initiale, l’abbé a pu les observer et leur proposer une nouvelle

activité, celle de jouer la comédie sur le petit théâtre du presbytère. Si l’on

se rapporte à la SRA, cette initiative rencontre un grand succès 70 . Il est

toutefois clairement stipulé que toutes les répétitions commencent et se

terminent toujours par des prières. Il y a aussi un orchestre composé des

jeunes filles de l’association. Elles ont déjà donné de nombreuses

représentations. Pour 1910, les places sont annoncées comme payantes. Les

œuvres choisies répondent « à tous les besoins de la jeune fille, à notre

époque ». « Elles ont adjoint à leur association “une École ménagère” » qui

dispense des cours de cuisine, de couture, d’hygiène, de dactylographie, de

sténographie, etc. De plus, « dans un avenir très rapproché, espérons-le, on

leur donnera des conférences d’histoire et de littérature ».

Le but de l’association est explicite : former des jeunes filles

chrétiennes pour avoir des mères de famille chrétiennes. L’Église partage

les a priori de la période sur les femmes et les renforce, afin de faire

barrage au modernisme, ennemi déclaré. Les activités ont donc pour objet

de faire de bonnes maîtresses d’intérieur ou/et de diriger les femmes vers

des activités compatibles, selon les normes catholiques, avec leur nature

féminine. Il est intéressant de noter que les conférences ne sont pas encore

en activité huit ans après la fondation et que les sujets des conférences

annoncées sont, là aussi, en conformité avec la représentation que l’on se

fait d’un savoir à destination des femmes, et des épouses catholiques en

particulier. Ces dernières sont organisées au sein d’une autre association :

les dames de la charité.

Les dames de la charité : exporter le modèle français

La société des dames de charité est aussi très active et se trouve à

l’origine de patronages pour jeunes filles 71 . Elles organisent des fêtes dans

lesquelles les différents corps sont représentés :


« Fête de Charité. – La Société des Dames de Charité de Blida,

prépare pour le dimanche, 2 mai, une grande et brillante fête qui

aura lieu au Jardin Bizot, gracieusement mis à sa disposition par

Notre Municipalité. La fanfare du 1 er Régiment de Tirailleur, la

fanfare de trompette et de cors du 1 er Régiment de Chasseurs

d’Afrique etc. 72 . »

La dimension religieuse n’est pas toujours visible et les animations

s’apparentent davantage à une kermesse : buvette, vente de sucreries, jeux

divers et variés pour les plus petits. Un prix d’entrée est même fixé et « les

jouets offerts à la Société pour la vente annoncée, remplaçant la tombola

interdite par un récent décret, sont exposés… »

Par ailleurs, les femmes catholiques algériennes, comme leurs consœurs

métropolitaines, s’investissent dans une œuvre directement destinée à

l’Église, celle des tabernacles. Elle est destinée à venir en aide aux

paroisses pauvres du diocèse – il est constamment rappelé que le don est

fait à la paroisse et non au curé – en leur procurant des ornements sacrés et

autres objets nécessaires au culte 73 . Dans le diocèse d’Alger, l’œuvre est

établie chez les dames du Sacré-Cœur par leurs anciennes élèves. Elle s’est

maintenue après le départ des religieuses sous le nom d’ouvroir B. M. Barat

et a son siège à El-Biar 74 . Les plus hautes autorités religieuses ne manquent

pas de les visiter 75 , tout comme ils le font pour les organisations

masculines 76 . Là aussi, l’encadrement est prévu selon les âges.

Petits garçons, jeunes hommes et hommes : des soldats

au service de l’Église

La SRA du 11 juin 1911 indique que les patronages de jeunes gens de la

ville d’Alger sont de création assez récente, si on excepte celui de la

cathédrale. Ils apparaissent comme isolés les uns par rapport aux autres,

d’où la décision d’organiser une journée pour les réunir. Une réunion de six


patronages d’Alger et d’El-Biar, présidée par Combes, est donc

programmée. Le journal catholique ne manque pas d’annoncer que l’un des

cantiques prévus s’intitule : Catholiques et Français…

Les semaines religieuses des 2, 9 et 16 juillet rendent comptent de la

journée et permettent de reconstituer l’histoire des différents patronages.

Le patronage Saint-Philippe

Le patronage Saint-Philippe est fondé en octobre 1905 avec

25 membres et une seule section. Trois ans plus tard, une section des

grands, entre 15 et 21 ans, et une section des petits, entre 12 et 15 ans sont

créées. Après le service militaire, les grands appartiennent à la section des

anciens. Chaque section est dirigée par un conseil présidé par l’archiprêtre

de la métropole. Chaque conseil se réunit au moins une fois par semaine. Il

faut franchir plusieurs étapes pour être admis à titre complet. Cela se

matérialise par la remise de l’insigne qui est une croix de Malte. Par la

suite, une distinction est établie par la couleur du ruban pour la porter, mais

l’insigne ne se porte que dans certaines circonstances solennelles. Le

patronage s’est aussi doté d’un étendard à trois couleurs : jaune, couleur du

pape et de l’Église, rouge, couleur des grands, car elle est le symbole du

dévouement et du sacrifice, vert, couleur des petits, car elle est la couleur

des espérances fondées sur eux ; il a sa devise : « il faut être des catholiques

sans peur, pour être des catholiques sans reproche. »

Les réunions ont lieu tous les jours, sauf le dimanche, du 1 er octobre à la

mi-juin, mais chaque membre n’est tenu de n’assister qu’à deux réunions,

dont les jours lui sont déterminés au moment de l’adhésion. Quatre

absences consécutives, non motivées, ou des absences trop fréquentes sont

punies d’une radiation. Toutes les séances commencent par une lecture de

l’Évangile, écoutée debout, et se terminent par la prière. Le mardi et le

vendredi il y a une conférence faite par l’un des membres sur des sujets

ayant trait à la religion, l’hygiène, l’économie sociale, la tenue, etc. ; les


autres jours sont consacrés à l’étude du solfège et de la musique

instrumentale. Le premier vendredi de chaque mois, les deux patronages se

réunissent à la cathédrale, chantent des cantiques, écoutent une conférence,

se consacrent au Sacré-Cœur et reçoivent la bénédiction du Très Saint-

Sacrement.

Les distractions sont en fait de deux types, musical et sportif avec une

estudiantina, deux groupes lyriques et des équipes de foot. La gratuité est

assurée pour toutes les activités. Ainsi aucune participation n’est requise

pour les leçons et les instruments de musique. Le patronage donne tous les

mois un concert privé et tous les trois mois un concert public. Le patronage

reste à vocation religieuse dans la mesure où un minimum d’obligations est

prescrit : la messe dominicale et la communion pascale. Le contrôle est

strict, puisque, par exemple, si on fait ses pâques à l’extérieur de la paroisse

il faut en apporter la preuve écrite. Une conduite irréprochable, selon les

normes catholiques, est encadrée par toute une gamme de sanctions. Il est

ainsi interdit pour les membres d’aller au casino sous peine de radiation et

parfois même d’exclusion, qui est le degré ultime, car, à la différence de la

radiation, on ne peut plus alors être réintégré. Interdiction est aussi faite

d’être membre d’une autre association mondaine quelle qu’elle soit. Quant

aux adhésions à une association sportive, il faut en demander l’autorisation

dans la mesure où ces sports n’existent pas dans le patronage comme c’est

le cas pour le tir et la gymnastique. La SRA ne manque pas de préciser que

l’exiguïté des locaux ne permet pas de recevoir plus de 150 membres.

D’une tout autre nature et plus récent, est le patronage de Sainte-Croix.

Patronages et paroisses

Le patronage Sainte-Croix est formé par un groupe de familles habitant

les quartiers Rovigo, cité Bisch et boulevard Gambetta. Il compte, en 1911,

un peu plus d’une année d’existence. Il s’agit d’une œuvre d’éducation

morale dont le but est « de protéger les enfants des mauvais contacts ».


C’est pourquoi de « saines distractions » leur sont proposées : « bonnes

lectures, promenades, chant, musique, etc. », avec la « volonté d’introduire

dans leur cœur les sentiments de justice, d’amour et de vérité développés à

la lumière de l’Évangile, afin d’en faire de bons chrétiens et de bons chefs

de famille ». La particularité de cette œuvre est d’être exclusivement et

entièrement administrée par des laïques. Le curé de la paroisse Sainte-Croix

a accepté d’en être l’aumônier. Il y a 25 enfants pour la plupart de la classe

ouvrière qui se réunissent deux fois par semaine.

D’autres paroisses comme celle de Saint-Bonnaventure (Mustapha) ont

développé des œuvres de jeunesse. Un rapport de M. Oland, vicaire de la

paroisse en rend compte. Il précise s’être servi, afin de parer à son

inexpérience, du livre de l’abbé Bozon Les patronages paroissiaux. Le

début du patronage de Saint-Bonnaventure concerne la section des petits.

Le début de l’association remonte à juin 1907, quand le curé de la paroisse,

Laffite, depuis vicaire général, lui a demandé de prendre en charge les

petits. Une dizaine d’entre eux a été réunie au lendemain de leur première

communion. Pendant deux ans, le groupe a peu de visibilité, puis, en 1909,

le patronage donne sa première séance récréative.

L’admission dans le patronage ne concerne que les enfants ayant fait

leur première communion car d’une part, d’après le vicaire Oland, ces

derniers seraient trop nombreux et d’autre part, il estime que ceux qui vont

au catéchisme sont déjà bien suivis. Les enfants sont réunis deux fois par

semaine le jeudi et le dimanche. La séance du jeudi commence à une heure

par une adoration courte du Saint-Sacrement, se poursuit par des jeux et se

termine au coucher du soleil par une prière du soir qui précède le départ. Le

dimanche, le rendez-vous est fixé à une heure trois-quarts avant les vêpres.

Le prêtre expose les points de piété qui laissent à désirer, explique

brièvement les fêtes religieuses de la semaine à venir, puis donne une petite

allocution sur un sujet de piété sur lequel ils seront interrogés la semaine


suivante. S’ensuiventt un quart d’heure de récréation avant les vêpres, puis

des jeux et pour clore la journée la prière du soir a lieu en commun.

Deux exercices spirituels retiennent particulièrement l’attention du

prélat : la messe et la communion. Il impose d’ailleurs aux enfants de se

munir d’un livre afin de bien suivre la liturgie. De même qu’il a composé, à

leur attention, un opuscule de méthode pratique d’action de grâces dont il

exige qu’ils l’apportent le jour où ils communient. Il semble satisfait du bon

suivi de ces obligations. « Je pousse le plus que je peux, selon les désirs de

Notre Saint-Père le Pape, à la communion fréquente. » Manifestement seul

un des enfants s’y adonne fréquemment. La discipline du patronage entraîne

l’exclusion de ceux qui manquent trop, ne vont pas assez souvent à la messe

ou dont le comportement ne donne pas satisfaction. Ainsi, sur un groupe de

75 enfants, trente sont toujours membres. Les jeux sont, aux dires de

l’ecclésiastique, nombreux : football, trapèze, jeux de boules, etc., jeux

d’intérieur et une bibliothèque qui autorise le prêt à domicile. Une

promenade est prévue une fois par trimestre. Une séance récréative est

donnée deux fois l’an afin de pourvoir aux frais de l’œuvre. Elle consiste en

représentations théâtrales avec un drame religieux et une comédie.

Un conseil de huit membres assiste le prélat dont l’une des attributions

est d’exclure ceux qui ont été repérés comme de mauvais éléments. « Enfin,

je donne le plus d’éclat possible aux réceptions. » La réception définitive

d’un enfant n’intervient pas avant six mois. Le moment fort semble être le

sermon prononcé tous ensemble la main levée vers le tabernacle : « Je

renonce au démon, à ses pompes et à ses œuvres et je promets de servir

Jésus-Christ seul et toujours. » Puis, une croix fixée à un ruban bleu est

attachée sur leur poitrine et un nouveau cantique est entonné : « Je suis

chrétien voilà ma force. » « Après la prière du soir on remet à chaque élu un

souvenir encadré sur lequel sont inscrites des sentences de l’Évangile, la

date de réception et enfin la promesse signée par l’enfant d’être fidèle à ses

devoirs de chrétien et de ne jamais rougir de sa religion. »


L’encadrement de la jeunesse est l’objet de bien des patronages et se

porte en particulier sur les petits. Certes, il faut les retenir par des activités

ludiques, mais elles doivent se faire dans un esprit religieux et non profane.

Le prélat en question impose une discipline assez stricte en apparence. Il est

aussi attentif à l’évolution de la spiritualité universelle dans son désir de se

conformer aux orientations pontificales. La communion semble être

centrale dans le dispositif et tout est fait pour inciter les plus jeunes à y

recourir fréquemment. Or, avant d’y accéder, ils doivent se soumettre à la

confession, ce qui peut expliquer certaines réticences avec la prise d’âge. La

spiritualité proposée aux enfants est en tout point conforme à celle proposée

en France à la même période. Concrètement, l’ecclésiastique est à la

recherche d’une méthode adaptée aux enfants, de même que d’autres

veulent s’adapter aux filles ou aux mères de famille. Il faut donc partir des

besoins exprimés par des laïques afin notamment d’être compétitif et

attractif sur un marché où d’autres sont présents. Cela explique aussi le

caractère souvent exclusif de l’adhésion à un groupe.

Pour les grands, il existe une association de la jeunesse catholique

fondée un an auparavant. À la lecture du rapport de M. Oland, il semble que

le vicaire ait dû être sollicité pour organiser des œuvres de jeunesse dans sa

paroisse. Il se présente comme un peu démuni pour justifier son choix de se

référer à l’ouvrage précédemment cité. Ainsi, il explicite son orientation

vers l’association de la jeunesse par le fait qu’étant ancienne, 25 ans, elle a

fait ses preuves. Nous ne sommes pas dans de l’innovation, mais bien dans

une démarche fonctionnelle et qui se veut efficace. De plus, l’ecclésiastique

justifie une nouvelle fois ses positions en se référant au pape. Ce dernier a

ouvertement approuvé cette œuvre. En tout point, il semble être attentif au

fait de se référer au Saint-Siège.

Trois grandes orientations sont décelables : la piété, l’étude et l’action.

Pour la piété, elle doit se traduire par l’assistance à la messe avec un livre et

par la communion fréquente. Il ne cache pas que seuls les petits s’y


conforment. L’étude se décline sous forme de conférences une fois par

semaine préparées à tour de rôle et où les membres sont priés de poser des

questions. L’émulation intellectuelle est recherchée. Une fois par mois, il

revient à l’aumônier de faire une conférence sur un sujet de piété. L’action,

quant à elle, consiste à être un bon exemple, à être prêt à servir le clergé et à

attirer de nouveaux membres. Tout comme pour les petits, la diminution du

nombre des membres a été importante car de 37 ils sont restés 24, à la suite

de renvois. Oland insiste en conclusion sur le fait qu’il a choisi d’être fidèle

au grand principe des œuvres : préférer la qualité à la quantité.

Un autre patronage fait l’objet d’une description, celui de l’Agha qui

existe depuis 1902. Il est dû à l’initiative de l’abbé Repeticci. Le départ de

ce dernier a jeté « un véritable désarroi ». Le patronage doit être un foyer de

vie chrétienne dans le but de faire des hommes. Il est à nouveau fait

référence au pape, plus précisément à sa lettre sur le Sillon dans laquelle il

insiste sur l’éducation totale des jeunes catholiques, éducation qui doit

entièrement être aux mains de l’Église. C’est pourquoi les laïques ne sont là

que pour seconder le prêtre à qui incombe cette lourde charge.

« Nous nous efforçons donc de répandre dans notre patronage

l’éducation du sentiment religieux, l’éducation du sentiment de

responsabilité civique, l’éducation du sens social. »

Le patronage s’organise en deux groupes : les jeunes et les chefs de

dizaines. Ces derniers se réunissent le dimanche au siège du patronage pour

rendre compte de leur mission au directeur du patronage. La participation

au patronage est liée, elle aussi, à la fréquentation de la messe et à la

communion pascale ; « en sont exclus ceux qui fréquentent les réunions

susceptibles d’exercer sur eux une influence immorale. »

Le 21 novembre 1903, c’est au tour de la conférence Saint-Vincent-de-

Paul de fonder un groupe de jeunes gens qui devient le patronage de Saint-


Joseph. Au départ et pendant deux ans, son nom est Sillon algérien, annexe

de Bab-el-Oued. Le vicaire de la paroisse est alors le directeur du groupe

qui se réunit tous les lundis soirs. L’ouverture de la séance se fait par une

lecture de l’Évangile, puis un membre du Sillon d’Alger fait une conférence

portant sur des questions religieuses, économiques et sociales. Après la

lecture de la conférence des discussions suivent. Une cotisation mensuelle

de 0,50 franc est perçue auprès des membres. Aux conférences, le Sillon,

annexe de Bab-el-Oued, ajoute l’organisation de concerts.

En 1906, une scission apparaît. Certains restent fidèles aux idées du

Sillon, d’autres s’en détachent pour fonder les premiers éléments du

patronage Saint-Joseph. Il s’organise en deux sections, les grands et les

petits, mais qui se réunissent ensemble, ce qui a été à l’origine de

nombreuses tensions entre les grands et les petits. Cette même année 1906,

le nouveau vicaire de la paroisse, qui est aussi l’auteur de l’article, Castera,

reprend la direction du patronage dont il explique ne pas comprendre

l’esprit des membres, mais opte pour la voie de la continuité. Il porte

particulièrement son attention sur les plus petits et sur le respect du

règlement : assistance à la messe du dimanche, aux réunions et

communions pour les fêtes :

« Les séances commencent par la prière puis par la lecture du

Saint Évangile que je commente. On fait la lecture du procèsverbal

de la séance précédente. Je fais ensuite une petite causerie

sur la marche du patronage, sur les écueils à éviter, sur le bon

exemple à donner et, s’il y a lieu, sur les fêtes à sanctifier par la

Sainte Communion. La prière clôture les séances. »

Il explique que face à cette nouvelle organisation, il a senti les grands se

mettre sur la marge et qu’il ne les a pas retenus, afin « qu’ils ne puissent pas

gâter les autres ».


L’intérêt pour les plus jeunes est manifeste, car ils sont porteurs d’espoir

dans la mesure où, façonnés dès leur plus jeune âge, ils constitueront des

adultes instruits dans la religion. Le vicaire organise pour eux des

distractions : une équipe de foot dont il est précisé qu’elle a des maillots

spéciaux, de la musique, etc. Le patronage compte 33 membres âgés de 14 à

23 ans. « La messe du patronage est celle de 9 heures, et un carnet de

présence, laissée à la sacristie, reçoit leur signature, chaque dimanche, sous

le contrôle du prêtre célébrant. »

Pour le groupe des jeunes de 10 à 13 ans, un ecclésiastique les prend en

charge le dimanche pour quelques leçons catéchistiques, une promenade,

une visite au Très Saint-Sacrement et la prière. À 14 ans, ils sont admis lors

d’une cérémonie. « Chaque année, le Patronage se rend dans une paroisse

voisine pour y chanter la messe et y passer la journée. » Cependant, le

constat de l’ecclésiastique est amer : « combien est immense et souvent

ingrat le travail sur la jeunesse. » Mais il reste fidèle à la devise du

patronage : « la persévérance au bien mène à Dieu. »

Autre patronage, autre fondateur : à l’origine du patronage Notre-Dame

d’El-Biar se trouve Bollon. Deux fois par semaine une réunion se tient dans

l’une des sacristies de l’église. Elle regroupe une vingtaine d’enfants que

Bollon exerce au chant. Ils vont ensuite constituer une sorte de fanfare.

Dans le même temps, a lieu la fondation d’un cercle d’études sous la

présidence d’un laïque. Depuis 1908, le patronage est doté d’une salle

spécifique hors de l’église. Le règlement impose l’assistance à la messe le

dimanche et précise les fêtes d’obligation ; quatre absences consécutives,

non motivées, aux réunions sont considérées comme un acte de démission ;

la cotisation mensuelle s’élève à 50 centimes par mois. En contrepartie, les

membres bénéficient de la gratuité des leçons de guitare, mandoline, clairon

et tambour ; de l’entrée gratuite aux séances données dans les locaux du

patronage ; de la jouissance gratuite du billard et des jeux divers dans la


salle de l’association. Les conditions d’accès au patronage sont claires : être

catholique, avoir une bonne réputation et de bonnes mœurs.

Deux sections regroupent les enfants et les adolescents : les moins et les

plus de 13 ans. Le conseil qui se trouve à la tête du patronage est composé

du curé et de l’abbé ainsi que de huit jeunes gens. Chaque semaine une

conférence religieuse est organisée à laquelle se doivent de participer les

membres. « Pour les sports, nos jeunes gens ont le football. Pour la

musique, l’Estudiantina, la clique et la chorale. » Pour le théâtre, le choix

des représentations se porte sur des sujets religieux. Des séances de cinéma

sont aussi prévues : « Aujourd’hui ce sont eux-mêmes qui font marcher le

cinéma. » Ils disposent aussi de toutes les autres distractions que l’on trouve

dans un patronage comme le billard.

En 1912, l’association catholique de la jeunesse française se rend à

Notre-Dame d’Afrique : le cercle du Sacré-Cœur, la jeunesse catholique de

Saint-Bonnaventure et son patronage, les patronages de Notre-Dame

d’Afrique et de Sainte-Croix, l’Avant-garde Jeanne d’Arc, la congrégation

de Notre-Dame-des-Victoires, des délégations de l’école Lavigerie et du

cercle Saint-Louis 77 . Ils sont reçus par Piquemal qui leur délivre les conseils

de base : être fidèle à son drapeau, vivre pour Dieu et pour la patrie. On

apprend qu’une délégation d’Algérois s’était rendue à Lyon pour assister à

un congrès organisé pour la jeunesse catholique française. Une procession

et la prière pour les morts clôturent la journée.

Les œuvres sont donc nombreuses et seules ont été mentionnées celles

qui ont le plus retenu l’attention de la SRA 78 . La diversité des œuvres ne doit

pas masquer l’objectif principal de toutes ces organisations qui est

d’encadrer au mieux la société afin de la contrôler. Les différences entre les

œuvres algériennes et françaises sont mineures quant à leur fonctionnement

interne. Les différences entre elles sont, elles aussi, négligeables dans la

mesure où elles visent un même public en vue d’un même but. Le fait d’être


en Algérie ne transparaît pas au premier abord. Il en est de même pour les

œuvres destinées aux plus pauvres.

Pauvres, mais catholiques

Le secours « moral »

Les plus démunis sont l’objet des attentions et de l’Église et des laïcs

catholiques 79 dans des œuvres qui visent aussi bien les aspects matériels

que « moraux ». Ainsi, depuis 1895, il existe une œuvre de saint François-

Régis dont le président est avocat à la cour d’Appel d’Alger, Tilloy, et le

directeur est l’abbé Warot. Son but est de faciliter le mariage religieux des

indigents, dont on sait que sa validité dépend en premier lieu du mariage

civil. Pour ce faire, les membres de l’œuvre se procurent les pièces d’étatcivil

nécessaires à ceux qui n’ont pas les moyens d’y pourvoir par euxmêmes,

assurent la traduction de celles qui sont en langues étrangères,

suivent devant les tribunaux les nombreuses instances qu’engendrent les

inexactitudes de noms ou d’orthographe, la minorité des parties, la

disparition de leurs auteurs, etc. afin de faciliter les mariages et la

légitimation des enfants. La famille reste une des préoccupations constantes

des législateurs et des moralistes. Or, si la constitution de la famille est

facile pour les personnes aisées et lettrées, elle présente souvent, pour les

personnes issues de milieux modestes, voire défavorisés, comme pour des

personnes qui ne maîtrisent pas suffisamment la langue française, de

nombreuses difficultés. Les membres de l’œuvre soutiennent ces personnes

financièrement et dans leurs démarches. Entre 1895 et 1913, 1 721 mariages

et 1 271 légitimations d’enfants ont été rendus possibles 80 . Cette question

des hommes et des femmes qui vivent hors mariage et celle de leurs enfants

qui de facto sont illégitimes, n’est pas propre à l’Algérie et se rencontre

dans d’autres colonies et en France. Cependant, aux colonies et en

particulier en milieu musulman, si elle pose problème aux autorités civiles


et religieuses, le regard des musulmans lui donne une acuité particulière.

Cette thématique renseigne aussi sur les conditions d’existence d’une partie

des colons et sur la misère dans laquelle certains se trouvent et qui

expliquent aussi la fondation de l’œuvre du fourneau économique.

Secours matériel

Cette dernière est instituée en 1905 par Bollon et Mmes Prénat,

Chapelier, Besson 81 . Elle est, elle aussi, le résultat d’une collaboration entre

ecclésiastiques et laïcs. L’objectif est de permettre aux pauvres de se

procurer, au moyen de bons distribués par les sociétés charitables ou les

particuliers, des mets chauds et préparés. Elle permet ainsi aux riches de

faire la charité en donnant aux malheureux des bons du fourneau, et surtout

pas de l’argent, qu’ils pourront faire prendre soit au presbytère soit chez les

sœurs qui dirigent l’œuvre. Elle est aussi présentée comme susceptible de

rendre service aux ouvriers qui n’ont pas le temps de préparer leur repas de

midi et qui, pour une somme minime d’après la revue catholique, auront à

leur disposition un vrai repas. Quelques bienfaiteurs ont permis par leurs

dons de faire démarrer l’œuvre qui est physiquement installée derrière la

cathédrale. Nous sommes dans une vision paternaliste du catholicisme

social caractéristique de l’esprit de la période. Il convient aux riches

d’assurer leur salut de la manière la plus utile possible aux pauvres.

C’est une démarche similaire qui guide les membres de l’œuvre de

Saint-Vincent-de-Paul : l’argent ne peut être directement donné aux pauvres

car il faut les protéger d’eux-mêmes. L’objectif est le perfectionnement

moral de ses membres par le secours matériel et moral aux pauvres.

L’activité de cette œuvre est considérable tout comme sa participation

active à la vie religieuse urbaine. Rares sont les journaux religieux qui ne

mentionnent une de leurs conférences, leurs exercices spirituels à la veille

des grandes fêtes et leurs actions charitables. Les secours doivent donc être

portés en nature, sauf rares exceptions, et à domicile. Il n’est pas question


de ne pas payer de sa personne et de se contenter d’alléger sa bourse en se

donnant bonne conscience. C’est pourquoi, les membres effectuent des

visites hebdomadaires aux domiciles des personnes démunies et

sélectionnées par la société.

Si le but des visites est de procurer des subsides en nature, il est aussi

d’inciter les pauvres à mener une vie chrétienne. Un secrétariat est même

chargé de leur trouver du travail car « l’oisiveté est mère de tous les vices ».

Rappelons que la société de Saint-Vincent-de-Paul est une société présente

dans le monde entier et dont les rouages sont bien établis. Les catholiques

algériens sont invités à verser leur obole le troisième dimanche de chaque

mois et le détail de l’affectation des dons est publié chaque année. La SRA du

3 avril 1910 donne le compte rendu pour 1909. Sans en donner ici la liste

exhaustive, le budget principal est consacré au pain, environ la moitié des

dépenses annuelles qui reflètent la réalité quotidienne des plus pauvres ;

puis, viennent les budgets pour les légumes et l’épicerie et celui de la

viande qui ne doit participer qu’aux repas des fêtes religieuses les plus

importantes. Des frais en relation avec la religion sont présents comme

l’arbre de Noël, les étrennes et les messes pour les morts. On note aussi un

petit budget pour l’œuvre du fourneau économique. Les sommes concernant

les médicaments sont quasi inexistantes. Ce type d’œuvre pare au plus

pressé et s’inscrit dans une spiritualité de proximité à connotation

paternaliste, tout comme l’action dans la paroisse de l’Agha de

Mme Terwangue 82 . Le document la présente comme une personne « que les

soins d’une santé menacée exilaient de sa famille… » et qui a recueilli des

enfants pauvres. Elle fonde l’ouvroir saint Charles dont l’objectif est

d’éduquer chrétiennement des jeunes filles et de veiller à ce qu’elles

concluent des unions chrétiennes, puis d’assurer leur bien-être matériel en

fournissant leur mobilier. Cet exemple est une illustration supplémentaire

de la présence en Algérie de catholique de familles métropolitaines

attachées à la religion.


Tout autre est l’esprit de l’œuvre des jardins ouvriers, même si le

paternalisme n’en est pas exempt 83 . L’article de la SRA retrace l’historique

de la fondation par le fondateur même, l’abbé Dauzon, curé d’El-Biar. Un

jeune homme Frédéric Delloüe est venu le trouver pour fonder l’œuvre des

jardins ouvriers sur le modèle choisi par sa mère qui en avait fondé 80 dans

le Nord. Décidé, le curé est allé rencontrer des propriétaires dont certains

lui ont confié des parcelles où des ouvriers ont pu cultiver un jardin : c’était

en juillet 1907. L’abbé s’est ensuite rendu à Paris où il a rencontré l’abbé

Lemire et l’a convaincu de venir inaugurer l’œuvre, ce qu’il fait en

avril 1908. De retour, il obtient de nouveaux terrains et constitue un comité.

En quoi consiste un jardin ouvrier ? Une parcelle de terrain est concédée

gratuitement sur laquelle un ouvrier peut cultiver et récolter pour son propre

compte. Pour en bénéficier, il faut être père de famille et être ouvrier.

Aucune corporation n’est exclue et l’œuvre accepte, toujours aux dires de

son fondateur, les ouvriers sans distinction de culte. Il restait à fixer

définitivement les statuts et à en faire la déclaration tant à la préfecture

qu’au Journal Officiel.

L’autre objectif est de favoriser l’accès à la propriété des ouvriers.

Cependant, les ouvriers regardaient l’œuvre avec une certaine méfiance :

« Pour protéger l’ouvrier contre la tentation des offres

avantageuses qu’on pourrait lui faire lorsqu’il serait entré dans la

maison ouvrière, M. Pasquier établi que le terrain sur lequel

serait bâtie la maison serait consenti immédiatement au preneur,

mais que les 300 mètres de jardin entourant la maison ne seraient

sa propriété qu’au bout de 25 ans. La Société lui en donnerait

immédiatement la jouissance gratuite. Et pour lui assurer de

façon indubitable et certaine cette libre jouissance ainsi que la

possession de ce terrain, la Société passerait avec lui un bail avec


promesse de vente au prix de 2 francs le mètre, bail enregistré et

signé dans toutes les formes de la loi. »

Cependant, certains ouvriers se sont découragés et en 1909 il y avait

huit maisons. « Nous ne dirons pas ici toute la sympathie que les Pouvoirs

publics, l’Administration diocésaine et l’opinion ont donnée aux efforts et

aux premiers résultats de la Société. » Certes, comme pour toute œuvre, il

est demandé des dons, mais la nouveauté réside dans une autre modalité de

financement. En effet, le comité a émis des actions à 100 francs, des

obligations nominatives à 100 francs et des obligations au porteur à

1 000 francs rapportant un intérêt de 4 %.

La multitude des œuvres, des conférences à caractère religieux, tout le

cortège des manifestations spirituelles d’une certaine élite pourraient

occulter un élément pourtant fondamental : une implantation sur une terre

musulmane où le christianisme vient tout juste de reprendre pied. Mais

même vu sous cet angle, les diocèses algériens sont pourvus de tout ce qui

peut exister dans un diocèse métropolitain.

LE CATHOLIQUE ALGÉRIEN : CONFIT EN DÉVOTION

OU EN CONVENANCE SOCIALE ?

Une vie spirituelle de qualité propre à l’élite

En effet, la communauté catholique n’est pas coupée de l’évolution des

grands débats religieux. Preuve en est l’existence d’un Sillon algérien créé

en 1904 84 . Marc Sangnier le visite à deux reprises, en mai 1904 et en maijuin

1907. Son passage à Oran en 1904 fait l’objet d’un rapport de police

très complet 85 . Il nous apprend que Marc Sangnier a répondu à une

invitation de l’évêché. Son objectif est de former une section du Sillon à


Oran. Trois conférences ont été données dans ce but au cercle catholique

d’Oran, La Jeanne d’Arc. 250 personnes issues de toutes les classes sociales

et constituées de jeunes pour la plupart assistent aux réunions. L’orateur a

exposé son action : assurer sur le terrain politique le triomphe de la

démocratie chrétienne. Il envisage en France la création d’un parti

catholique fort. Il engage en ce sens la constitution d’un Sillon oranais qui

doit être « un cerveau et un poing » (ces deux mots sont soulignés dans le

texte par le préfet). Pour lui, l’éducation des masses doit être physique et

morale. Les Oranais sont invités à créer un de ces groupes en remplacement

du cercle La Jeanne d’Arc dont la connotation est trop cléricale. Dès la fin

de la conférence une quinzaine de jeunes gens donnent leur adhésion

immédiate. Le vicaire général Bouissière s’engage à diriger cette action. Il

est déjà connu pour son attitude combative et sa plume virulente dans la

SRO, attitude qui ira en se confirmant.

Quelques fonctionnaires et militaires connus pour leurs sympathies

catholiques sont présents, à la grande indignation du préfet qui réclame des

sanctions à leur encontre. À l’occasion de la seconde visite de Marc

Sangnier en mai-juin 1907, se tient à Alger un congrès clôturé par une

conférence publique du fondateur. Le commandement de la place interdit

aux militaires d’assister à cette réunion 86 . Depuis leurs fondations, les

Sillons d’Alger et d’Oran ont déployé une activité considérable 87 . De

nombreuses conférences ont lieu et La croix de l’Algérie et de la Tunisie

invite à y assister. Des assises annuelles se tiennent et sont l’occasion de

rappeler les objectifs et les fondements du Sillon 88 . Les retraites de ses

membres sont annoncées dans les journaux cléricaux 89 . Toutefois, ce sont

les séances « récréatives » qui mobilisent le plus de personnes. Concerts,

pièces de théâtre et autres divertissements sont organisés et attirent un

éventail plus large de catégories sociales que les conférences ou les

retraites 90 .


Mais dans ce milieu colonial où les Européens ne sont censés être là que

pour l’appât du gain, une spiritualité progressiste s’est mise en place bien

avant le Sillon. Elle est en large partie la résultante de l’initiative de

Français d’Algérie que les contemporains présentent comme des libres

penseurs. En effet, il ne revient pas au Sillon d’avoir inauguré le cycle des

conférences. La population coloniale, isolée en terre musulmane, est

heureuse de participer à toute manifestation européenne de surcroît à

caractère religieux. Les conférences de Saint-Vincent-de-Paul ou du cercle

La Jeanne d’Arc, fondé par Bouissière, témoignent de cette ardeur et de

cette attente religieuse.

Il peut sembler donc logique que Marc Sangnier se soit intéressé à

l’Algérie. Un potentiel mobilisable existait qui a pu s’engager dans le

Sillon. C’est là encore une des particularités de cette colonie de peuplement.

Sans la présence massive des Européens, relativement aux autres parties de

l’Empire, ce genre d’engagement militant n’aurait pas pu se développer

avec une si grande ampleur. Il existe en Algérie une frange de la population

catholique très en prise avec les problèmes de son temps et au fait des

mouvements à l’intérieur du catholicisme. Leur nombre reste difficile à

évaluer même si on peut penser que, proportionnellement à la communauté

catholique dans son ensemble, la part de l’élite catholique en Algérie ne

doit pas être sensiblement différente de celle de la France. Cette élite a

intériorisé sa foi et l’oriente en début du siècle vers une action politique

novatrice. Les contacts avec les milieux catholiques progressistes de la

métropole ne doivent pas être inexistants, ce qui expliquerait le voyage de

Marc Sangnier. Ce dernier aurait-il songé à venir s’il s’était arrêté à la

représentation parlementaire de l’Algérie, composée de radicaux et de

républicains ? De plus, le fondateur du Sillon a outrepassé la vulgate sur la

réputation religieuse des Européens d’Algérie qui oscille entre deux

extrêmes : d’une part, des personnes sans foi ni Dieu et, d’autre part, des

adeptes de toutes les dévotions populaires. Ces deux visions, qui dominent


dans les écrits des contemporains, auraient dû dissuader Marc Sangnier de

l’opportunité d’une implantation du Sillon. Au-delà de l’imagerie la plus

répandue, d’où il ressort qu’en Algérie règnent l’incroyance et la

superstition, perce une autre réalité, celle de l’existence d’une spiritualité

qui marque sa présence et exprime ses attentes. Marc Sangnier ne s’y est

pas trompé : l’Algérie reste une entité à part.

C’est pourquoi, une fois à Tunis, il n’a pas manqué d’orienter son

discours vers une autre direction. Il y a pris contact avec un groupe de

jeunes intellectuels musulmans 91 . À son retour en France, il publie un

article où il appelle au rapprochement entre chrétiens et musulmans 92 .

D’après Jeanne Caron, la documentation disponible ne permet pas de

déterminer si les sillonistes d’Alger entretenaient des relations avec les

musulmans. En revanche, une certitude : Marc Sangnier n’a pas établi de

contact avec l’élite musulmane en Algérie. Ce fait est significatif de la

particularité de l’Algérie au sein des colonies. Pourquoi cette distinction de

la part de l’intellectuel catholique ? Les explications sont difficiles à

avancer faute de documents. Il se peut que seuls des problèmes d’ordre

pratique puissent expliquer son comportement. Dans le cas contraire,

quelques hypothèses peuvent être avancées.

Une des explications peut être liée au statut de l’Algérie qui n’est ni

juridiquement une colonie ni réellement la France. Le protectorat en

Tunisie, moins contraignant pour les populations, laisse en définitive plus

de liberté à l’élite musulmane. En Algérie, Sangnier a peut-être

délibérément ignoré cette élite pour ne pas heurter les colons imbus de leurs

prérogatives. Il n’a peut-être pas voulu blesser la susceptibilité d’adhérents

potentiels. Les catholiques progressistes d’Algérie, le seraient-ils moins que

ceux de Tunisie en ce qui concerne les indigènes ? Le fait que Marc

Sangnier n’ait pas contacté les élites musulmanes renforce indéniablement

la ségrégation de cette société coloniale où les populations soumises sont

occultées. Ce fait, en lui-même mineur et anecdotique, est avant tout


révélateur de l’évolution des rapports entre les deux communautés. Le

fossé, loin de se combler, ira en se creusant : les Européens, qui se

qualifient alors d’Algériens, déniant aux autochtones cette dénomination,

ignorent les indigènes et réciproquement. Cet épisode, épiphénomène de la

réalité coloniale, traduit la spécificité de l’Algérie par rapport à toutes les

autres possessions françaises : elle est la seule vraie colonie de peuplement

et les rêves chimériques d’aucuns, laissant présager une extinction des

populations locales, s’envolent dans les années d’avant-guerre devant

l’obstination à vivre des indigènes.

Aux côtés du Sillon, l’élite peut s’investir dans d’autres mouvements,

comme l’œuvre des Tabernacles, instituée à Oran en 1905 et dans bien

d’autres encore 93 . On ne pourrait pas refermer ce paragraphe sans s’attarder

sur un groupe de l’élite qui occupe lui aussi le devant de la scène

catholique : la société de Saint-Vincent-de-Paul. Cette dernière se place sur

le terrain culturel notamment via sa bibliothèque à Alger qui se trouve rue

Bab-el-Oued sous l’église de Notre-Dame-des-Victoires. Elle est ouverte

tous les jours, exceptés les dimanches et jours de fête, de 6 heures à

7 heures le soir, et propose des ouvrages d’histoire, de littérature, de

voyages avec des prix annoncés comme très modérés 94 . Leur action envers

les plus démunis en Algérie a déjà été présentée 95 et repose sur une

spiritualité mariale :

« Ces Messieurs, l’élite catholique de la cité, s’étaient préparés

par une retraite privée à cette manifestation privée de foi et

d’amour. Pendant trois jours, les 5, 6 et 7 décembre, on les avait

vus à 8 h. ½ du soir, venir nombreux et empressés dans le pieux

sanctuaire de la rue des Consuls, pour prier en commun… en

écoutant avec une sympathie et une piété croissantes les

entretiens qui leur étaient donnés sur l’apostolat chrétien, ses

raisons fondamentales et ses obstacles les plus redoutables 96 . »


Le clergé algérien ne cesse, lui aussi, de démontrer un grand

dynamisme. Il n’hésite pas à organiser, assez souvent, des pièces de théâtre,

des concerts, des remises de prix 97 … L’Église fait appel à des prédicateurs

pour des conférences dialoguées, très prisées, notamment à l’occasion des

grandes fêtes chrétiennes. Une de ces activités rencontre un grand succès : il

s’agit de « la messe des hommes », inspirée d’une pratique qui existait dans

certains diocèses en France 98 . À en croire la presse religieuse, ces messes

sont très populaires. Comment alors appliquer à l’Algérie l’une des

caractéristiques de la religiosité méditerranéenne où les hommes iraient peu

à l’église ? Le problème est beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît, car, en

Algérie, une église ne représente pas forcément la même chose qu’en

France. Elle n’a pas la même charge émotionnelle qui en fait aussi un repère

culturel. De plus, les archives indiquent que des hommes continuent à être

animés par des sentiments religieux pour diverses raisons.

Tout en s’orientant vers des actions où l’élite trouve des satisfactions,

actions dont l’élite est aussi à l’origine, l’Église ne méprise pas pour autant

la masse 99 . L’institution répond aux aspirations du grand nombre des fidèles

en allant à leur devant et en intégrant leurs formes de spiritualité. C’est cette

logique qui préside le travail apostolique en direction des « étrangers ».

Les catholiques « étrangers »

Rares sont les indications concernant les populations étrangères.

Toutefois, l’Église a mis en place toute une série de dispositions, afin de

faciliter leur insertion dans la colonie sur le plan religieux. De plus, elle n’a

pas non plus hésité à orchestrer des manifestations religieuses spécifiques

aux uns et aux autres.

Le souci de la prédication


Dans l’ordre des offices ordinaires se trouvent des indications sur les

conditions de la prédication. Ainsi, des séances en langues italienne et

espagnole sont régulièrement annoncées. La population maltaise fait, elle

aussi, l’objet d’attention, puisque :

« Pendant la durée du Temps Pascal… M. l’abbé Calleja, curé de

Birmandreïs, sera tous les samedis, à la Cathédrale, de 1 heure à

3 heures de l’après-midi, à la disposition des personnes qui ne

peuvent se confesser qu’en langue maltaise 100 . »

La paroisse Saint-Joseph, cité Bugeaud, propose le dimanche

l’instruction en langue espagnole 101 , alors qu’en l’église métropolitaine des

vêpres à destination des Italiens sont proposées. S’agit-il d’Italiens,

d’Espagnols et de Mahonnais récemment arrivés ou de descendants de

colons en provenance de ces pays ? Il reste difficile de le préciser.

Toutefois, la maîtrise de la langue française par ces populations, on le sait

pour les périodes postérieures, n’est pas toujours complète, quand bien

même les personnes sont nées en Algérie ou y sont arrivées jeunes. En plus

des offices ordinaires, des missions sont aussi prêchées à destination de ces

populations 102 et pour les fêtes des prédications sont prévues dans d’autres

langues que le français 103 . L’objectif des autorités catholiques est d’encadrer

ces fidèles et de ne pas les marginaliser. Ainsi, si la piété mariale est attestée

en France, elle l’est tout autant en Italie et en Espagne. C’est pourquoi il

reste difficile de savoir à qui attribuer son rayonnement en Algérie.

Toutefois, certaines manifestations sont clairement repérables comme

issues d’Italie ou d’Espagne. L’exemple des pêcheurs est particulièrement

significatif pour Alger :

« Ce sont les fils de Sorrento, de Castellamare, de Torre-

Annunziata, et des îles d’Ischia, de Porcida et de Capri… Ils ont


gardé les habitudes pieuses de leur patrie. On peut entrer chez

eux le samedi : presque partout on trouvera la lampe qui brûle

devant l’image de la Madone. On peut visiter leurs barques : sur

toutes on trouvera également un souvenir de Marie ou un

hommage qui lui est rendu. Ils furent en réalité les premiers

pèlerins à Notre-Dame d’Afrique 104 … »

Les Vierges italienne et espagnole en Algérie

L’un des éléments centraux de cette spiritualité méridionale reste donc

le culte marial qui semble à l’honneur aussi bien chez les Italiens que chez

les Espagnols. En ce début de siècle, les manifestations mariales restent très

marquées par les pays d’origine comme l’atteste le culte à Nostra Seniora

de las Injurias à Saint-Joseph 105 . Dans cette paroisse, fondée en 1851,

nombre d’Espagnols se sont établis et ont développé un culte en provenance

de leur village d’origine, Callosa de Ensarria, en faisant venir une statue de

Notre-Dame des Injures. Si l’on se rapporte à la SRA, l’origine de ce nom est

à rechercher dans le passé islamique de l’Espagne. Les musulmans auraient

détruit au VIII e siècle une statue de la Vierge dont on retrouva au XVI e siècle

les différents morceaux. L’épisode fut interprété dans un sens miraculeux

pour attester de la volonté de la Vierge de demeurer avec ses ouailles. Les

descendants de ce village ne manquent pas de commémorer l’événement

chaque année pendant le mois du Rosaire par « une Neuvaine à la gloire de

celle qu’ils regardent, avec raison, comme la Libératrice de la Péninsule du

joug mahométan 106 ». Cette dévotion a été importée en terre algérienne à

Bab-el-Oued. À cette occasion, un religieux vient d’Espagne et, avec

l’aumônier de la chapelle espagnole, assure les célébrations. Toutefois, si

cette pratique est bien espagnole, participent aussi les membres d’autres

communautés comme l’atteste la présence des Enfants de Marie ou encore

des Filles de la Charité. Le lien avec le pays d’origine est clairement établi

et maintenu par la présence de personnel religieux en provenance de la


péninsule ibérique. Dans le même temps, un certain brassage des croyances

est en cours. La dévotion à une Vierge victorieuse des musulmans n’est pas

anodine pour la construction d’une identité catholique en Algérie.

Pour les Italiens, le culte de la madone revêt lui aussi ses propres

spécificités. Le rôle de la confrérie des pêcheurs est particulièrement

important lors du mois de mai, mais aussi à l’occasion de la célébration de

l’Assomption et de la fête de l’Immaculée Conception. De nombreux

articles rendent comptent de la ferveur des Italiens. Ainsi dans la SRA du

16 décembre 1906 :

« Si l’on n’était pas à Rome on aurait pu facilement croire que

Rome était à la Cathédrale, car la foule qui remplissait les nefs

de l’Église Métropolitaine était en majeure partie composée

d’Italiens et c’était pour eux que, plus spécialement l’office du

soir était célébré. »

La statue de la Vierge est portée par des Italiens et l’article ne manque

pas de souligner l’ardente dévotion de la population italienne pour la

Madone.

Le faste est tout aussi important en 1910 pour le 15 août à Notre-Dame

d’Afrique 107 . L’organisation de la fête a été confiée à un comité composé

des principaux membres de « la colonie italienne » :

« En bas de la côte de l’Ermitage, un arc de triomphe avait été

élevé, sur lequel brillait, en gros caractères, l’inscription

suivante : “Honneur à la Marine” – les organisateurs sont en

effet tous pêcheurs. Des bigues, ornées d’oriflammes aux

couleurs françaises, s’échelonnaient le long de la route, de

distance en distance, reliées entre elles par un cordon de

lanternes vénitiennes. L’esplanade offrait un spectacle


magnifique. Du centre, pointait un immense poteau d’où

pendaient, en courbes majestueuses, plusieurs guirlandes de

lanternes vénitiennes rouges, qui allaient se greffer aux arbres

pour se répandre, multiples méandres tout autour de la Basilique.

Une charpente gracieuse et élégante ornait le porche de l’église,

pour l’illumination du soir. L’intérieur du sanctuaire avait revêtu

sa parure des grands jours : beaucoup de fleurs, un luminaire

étincelant… Et, Notre-Dame d’Afrique, sur son trône de

lumière… »

La messe commence dès 6 heures du matin et se poursuit par la

traditionnelle procession autour de la basilique avec la statue de la Vierge

portée par les membres de la confrérie italienne du Très Saint-Sacrement,

les autres membres formant une escorte. Ils font deux fois le tour de la

basilique au chant des cantiques populaires et une salve de coups de feu est

tirée. Le soir, la fête continue avec feux d’artifice et illuminations. Il est

précisé que :

« En Italie, le feu d’artifice et les illuminations font toujours

partie intégrante de toute fête religieuse. Un Italien ne conçoit

pas une fête religieuse, tant soit peu importante, sans ces

réjouissances populaires, toujours saines, parce que à la base, il

met la Religion : il fait servir à la gloire de Dieu ou de la Vierge

ou des Saints, ce que les mondains emploient habituellement

pour leurs plaisirs frivoles. Sous toutes les latitudes, en Afrique,

en Amérique, partout où le porte son esprit aventureux et la

légitime ambition de conquérir, par son travail, une place au

soleil, l’Italien – et surtout le Napolitain – reste solidement

attaché au culte de Marie : il garde au fond de ses yeux clairs la

vision des célèbres sanctuaires élevés sur le sol natal à la gloire


de Marie. Malgré les progrès de l’irréligion, dans le pays

d’adoption, l’Italien aime toujours profondément la Vierge. »

Les festivités s’achèvent le soir avec un regret :

« Les Italiens d’Alger, ainsi que le comité, estiment qu’ils n’ont

pas encore assez fait pour la Madona. Ils auraient voulu faire

chanter, à N.-D. d’Afrique, une messe en musique, et organiser

le cortège de la procession à Bab-el-Oued et gravir ainsi la

colline. »

Ces manifestations religieuses ne sont marquées par aucune trace

d’allégeance politique envers l’Espagne ou l’Italie. À tel point que les

drapeaux qui pavoisent sont des drapeaux français. Se pose la question de la

citoyenneté de ces populations : sont-elles officiellement françaises ? Audelà

de ces considérations légales se pose aussi la question de savoir dans

quelle mesure cette définition juridique recoupe les identités culturelles.

Une certitude : ces populations apparaissent comme ne maîtrisant pas

toujours le français et sont aux yeux de certains perçues comme étrangères

quand bien même elles sont françaises.

La diversité des populations catholiques se traduit dans une pluralité de

pratiques religieuses auxquelles l’institution religieuse répond.

Le Bab-el-Oued des Hernandez

Ainsi, quand il y a des vents contraires, des accidents de mer, l’absence

de poissons dans le golfe, les marins n’hésitent pas à monter à la basilique

où ils prient les prêtres qui la desservent, ou quelquefois Lavigerie luimême,

de venir donner une bénédiction à la mer, comme dans les villages

catholiques, on donne, à l’époque des rogations, une bénédiction aux


campagnes 108 . Il a même été composé, dans ce but, une formule de prières

qui se récitent dans ces occasions, du haut de la colline de Notre-Dame

d’Afrique.

De même que peu de temps après son arrivée en Algérie, Oury est

sollicité par ses fidèles afin de faire cesser la sécheresse qui sévit depuis des

mois 109 . L’archevêque commence par dresser un état des lieux qui fait état

d’une situation catastrophique et à laquelle il ne peut être insensible.

Toutefois, il ne manque pas de rappeler quelle est l’origine de cette absence

de pluie : « … que la main du Seigneur nous éprouve à bon droit, et que

l’éternelle Justice nous frappe parce que nous sommes coupables à son

égard de cette faute capitale qui est l’oubli. » Et de rappeler la profanation

du dimanche, les nombreux blasphèmes, une science mal comprise qui

éloigne de Dieu, etc. La source du mal ayant été diagnostiquée, le remède

ne peut se trouver que dans la pénitence et la prière. C’est pourquoi,

l’archevêque établi une liste de prières et d’actes pieux afin d’attirer les

bénédictions de Dieu et la venue de la pluie.

Une situation analogue conduit, le 18 février 1905, l’évêque d’Oran à

faire dire des prières pour faire venir la pluie 110 . La SRO du 25 février 1905

annonce que le ciel a écouté ses prières, car la pluie est venue. C’est la

même logique qui est à l’origine de l’initiative de l’archevêque d’Alger en

1913 111 . À la suite d’une période de grande sécheresse, les travaux des

champs ont presque partout été interrompus et les semailles sont

sérieusement compromises :

« La Sainte Église, toujours naturellement soucieuse des besoins,

même matériels de ses enfants, a heureusement institué des

moyens surnaturels pour prévenir les désastres dont parfois est

menacée l’agriculture nourricière de l’homme. Elle sait que

Dieu, seul Tout-Puissant, donne à son gré, la fécondité ou la

stérilité à la terre et, dans ses prescriptions rituelles, elle nous


invite à recourir par la prière, en son infinie bonté en tout temps,

mais surtout dans nos alarmes. »

L’heure est donc venue de prescrire des prières pour la pluie.

Dans un tout autre registre, mais pour les mêmes raisons, répondre aux

demandes des fidèles, les prélats accèdent aux requêtes de leurs ouailles.

Ainsi, Mgr Oury accepte, lors d’un voyage à Castiglione en 1899, de céder

aux supplications de pêcheurs venus de Chiffalo, de Ben Haroun et de

Bérard, pour recevoir la confirmation, et de venir bénir la mer et leur

maison 112 . Ces pêcheurs, dont le journal nous explique qu’ils sont de « bons

Siciliens », embarquent avec le prélat sur un bateau pavoisé et décoré pour

la circonstance. Nous avons là un exemple d’importation d’une pratique

sicilienne et l’on peut s’interroger pour savoir si Oury était préparé à ce

type de tradition, même si dans ses charges précédentes le monde de la mer

lui a été très familier.

Toutefois, le clergé reste vigilant face à ce qu’il considère comme des

superstitions. En 1914, l’archevêque condamne une pratique qui semble se

diffuser dans le diocèse 113 . De divers points du diocèse circulent une

certaine forme de prière censée avoir été découverte à Jérusalem, dans le

tombeau de Jésus. Cette prière est accompagnée de la promesse d’une

grande joie et de la préservation de tous les maux pour celui ou celle qui la

copiera neuf fois et l’adressera à neuf personnes différentes, tandis que de

grands malheurs frapperont ceux qui auront brisé « cette prétendue “Chaîne

de prières” ». Les curés sont invités à mettre en garde les fidèles contre

cette pratique « évidemment entachée de superstition » :

« La superstition, en effet, dit le Catéchisme, est une faiblesse

d’esprit qui porte à des croyances imaginaires et à des pratiques

auxquelles on attache une vertu qu’elles n’ont pas en réalité.

C’est un péché contre le premier commandement de Dieu. »


La SRA trouve regrettable que des chrétiens et des chrétiennes soient

assez naïfs pour se laisser émouvoir par des promesses ou des menaces

qu’aucune autorité religieuse n’a confirmées et qui, dès lors, ne méritent

absolument aucun crédit. Les curés doivent rappeler aussi souvent qu’ils le

jugeront nécessaire les positions de l’Église pour détourner les fidèles de

cette pratique qui « tend à ridiculiser la religion, que le simple bon sens

réprouve et que Monseigneur l’Archevêque condamne et interdit dans son

Diocèse ». La date de circulation de cette prière n’est pas anodine puisque

la Guerre vient de commencer et que les fidèles ressentent légitimement le

besoin de se préserver du malheur par tous les moyens mis à leur

disposition. Or, l’institution entend seule établir la ligne de partage entre le

licite et illicite, et se considère comme la seule habilitée à délivrer les

moyens surnaturels de protection. Ce type de « chaîne » de prières est

attesté en France et se maintient encore sous de nouvelles variantes jusqu’à

nos jours. Il convient de noter que la définition du catéchisme repose sur le

seul argument d’autorité dans la mesure où il revient à l’Église seule de

définir les croyances et les modalités de leur mise en pratique. Dans le cas

présent, la menace repose sur une rivalité de fait imposée par la circulation

de la prière, dans d’autres cas des arguments pécuniaires peuvent intervenir.

Ainsi, l’attention est attirée en 1911 sur deux marchandes de piété qui

abusent, selon la SRA du 16 avril 1911, de la bonne foi de leur clientèle :

elles prétendent que tout ce qu’elles vendent vient de Lourdes. Elles offrent,

entre autres, une médaille où se trouve gravée l’inscription « Nouvelle

Apparition de N.-D. de Lourdes ». Le journal ne manque pas de préciser

que cette nouvelle apparition est un pur mensonge.

Le clergé se prête donc aux attentes de la population. On peut se

demander où se trouve la limite avec les pratiques populaires. Quel est

l’apport de chaque communauté dans ces cérémonies qui pour certains

peuvent paraître peu orthodoxes ? Quelles sont les cérémonies propres à

l’Algérie ? Au premier abord, cette religiosité semble répondre aux critères


d’une sensibilité méditerranéenne. Les sources non-religieuses convergent

sur un point : toutes les populations européennes, les Français mis à part,

sont attachées à la religion. La population étrangère, ou d’origine étrangère,

se voit consacrer dans tous les ouvrages sur l’Algérie ou sur l’Afrique du

Nord un chapitre contenant quelques lignes sur sa spiritualité. L’emprise du

positivisme est alors telle que les auteurs ne s’intéressent que

superficiellement à la vie religieuse chrétienne. On tombe vite dans une

simplification qui en devient presque caricaturale. À lire ces auteurs, on en

déduirait que tous les Français sont des impies qui ne s’intéressent en

aucune manière à la religion et seraient même en voie de déchristianiser les

autres 114 . Quant aux autres Européens, leur attachement à la religion serait

quasi viscéral et leurs pratiques noyées dans toutes les superstitions

possibles et imaginables. La nuance n’est pas vraiment le point fort de ces

auteurs, mais il est intéressant de voir que telle a été leur impression. Il est

vrai qu’elle peut se vérifier sur certains points.

Les grands traits d’un catholicisme méditerranéen peuvent en partie être

appliqués à l’Algérie catholique. Les populations sont très attachées aux

rites de passages incarnés par certains sacrements. Les hommes tiennent à

ce que leurs épouses et leurs enfants restent dans le giron de la morale

chrétienne. Mais certains hommes sont aussi attachés à la religion, comme

en témoigne la « messe des hommes », les confréries masculines, les

demandes de certains pêcheurs, etc.

Pour la masse des fidèles, l’extériorisation de la religion, par des gestes

et des invocations, constitue l’essentiel de leurs rapports au religieux. C’est

vers 1880, selon les travaux de Jean-Jacques Jordi, que l’aspect religieux se

dessine plus clairement dans la société hispanique d’Oranie 115 . Dans cette

communauté la foi est très vive et se mêle parfois à des pratiques

« superstitieuses », « magiques ». Les fêtes religieuses sont toujours

chômées et l’ouvrier espagnol, y compris le plus miséreux, refuse de

travailler le dimanche. À cette occasion, on y revêt les plus beaux atours


autant par tradition religieuse que par nécessité sociale. Le prestige de la

famille dépend de la façon dont ses membres sont habillés ce jour-là. Les

fêtes religieuses, comme nous le rappelle Jordi, sont aussi l’occasion de

réunions familiales.

La masse des fidèles est en attente de gestes religieux de la part du

clergé, beaucoup plus que de sermons trop recherchés. Sermons qu’un

grand nombre a du mal à saisir entièrement et, plus encore, à assimiler. Le

clergé se doit de se mettre à la portée de ses ouailles et cela restreint

immanquablement le champ des prédications. Les mêmes thèmes

reviennent de manière récurrente dans les pastorales : le doute, la foi… Si le

prêtre reste indispensable pour les sacrements, le fidèle préfère

généralement s’adresser directement au Ciel.

Il invoque alors soit des saints intercesseurs, soit la Vierge. Le culte

marial domine sur tous les autres ; Marie est l’objet des plus grandes

attentions et fait partie prenante de l’histoire de l’Algérie. Les malheurs des

Oranais en 1849 ont été à l’origine du sanctuaire de Santa Cruz. Le Christ

ne manque pas aussi d’être invoqué, alors que Dieu le Père l’est beaucoup

moins.

Les grandes fêtes religieuses sont largement suivies, même si les

journaux populaires, non cléricaux, n’en font guère état. Des pratiques

espagnoles ou italiennes finissent par s’imposer, revues, corrigées, adaptées

sous le soleil algérien. Ainsi, lors de la Semaine sainte, les enfants qui

assistent à la messe tiennent des bâtons ramifiés. La particularité des

ramifications est de porter des petits jouets et des friandises, le tout

couronné d’une orange confite 116 .

Le rapport direct avec le religieux se traduit par des sortes de

« contrats » passés avec le Ciel. En période de grandes difficultés, le fidèle

invoque un saint et s’engage à accomplir un vœu si le saint l’aide à s’en

sortir 117 . Une fois le souhait accompli, le fidèle doit réaliser le vœu qui est

proportionnel à la faveur obtenue. Cela donne lieu à des scènes


pittoresques, certains choisissant, par exemple, de grimper à notre Notre-

Dame d’Afrique ou à Notre-Dame de Santa Cruz à genoux ou avec des pois

chiches dans les chaussures 118 … Les femmes sont de ferventes pratiquantes

qui, quand elles le peuvent, assistent tous les jours à la messe 119 . Elles ne

connaissent pour la plupart que peu de prières et les récitent comme de

véritables litanies. L’aspect de « superstitions pieds-noires » ne s’est pas

encore constitué dans la période étudiée. Après la Première Guerre

mondiale, un véritable syncrétisme de « pratiques magiques » issues des

traditions italiennes, espagnoles, juives, berbères, musulmanes, etc. se

structure. Au début du siècle, les distinctions existent encore : chacun

semblerait pratiquer dans son domaine culturel, chacun emprunte son

propre chemin pour s’adresser au Ciel, itinéraire balisé par des coutumes

ancestrales en provenance des pays de départ.

À quoi attribuer cette exacerbation des pratiques religieuses ? En quoi

se distinguent-elles des autres pratiques méridionales, si on admet qu’il

existe bien une spécificité à la religiosité catholique du bassin occidental de

la Méditerranée et que l’Algérie en fasse partie ? Sont-elles suscitées par les

mêmes éléments ? Des éléments coloniaux, propres à l’Algérie, ne sont-ils

pas perceptibles ?

Il me semble difficile d’insérer dans le cadre du catholicisme

méditerranéen les réalités algériennes où la « pratique » religieuse revêt des

connotations intrinsèques à la colonie. Ainsi, cette nécessité d’extérioriser

sa religion est à rechercher certes dans les pays d’origines, mais aussi dans

ce milieu colonial spécifique qu’est l’Algérie. La visibilité ne s’adresse pas

prioritairement aux anticléricaux de tous bords, elle répond à une autre

nécessité : marquer sa différence par rapport aux musulmans et, peut-être,

plus encore par rapport aux juifs, car ces derniers sont Français alors qu’ils

restent dans le regard de beaucoup d’Européens des indigènes. Cela justifie

partiellement le décorum des processions, le faste déployé lors des grandes

fêtes chrétiennes : la population est en représentation à travers ses pratiques


cultuelles. La visibilité a une vocation interne et externe, joue un rôle social,

politique, identitaire. Cette différenciation est d’autant plus nécessaire que

bien des catholiques européens vivent dans des conditions misérables

proches de celles de nombres de juifs. La religion va constituer,

progressivement, un pan important de la personnalité de ceux qui

deviendront les « Pieds-Noirs ». Alors que le colon passe pour un

irréligieux durant toute la période coloniale, après l’indépendance de

l’Algérie, c’est aussi autour de cérémonies religieuses que la communauté

se structure 120 . Ce sont les morts de la Première Guerre mondiale qui

réuniront les différentes populations. Et encore de manière incomplète car il

existera toujours une « hiérarchie » inavouable dans le regard de certains

entre les juifs 121 et les chrétiens, entre les Martinez et les Dupont. Seule la

déchirure de l’Algérie algérienne les rapprochera, faute de les souder… au

moins en apparence. Mais si cette communauté n’est pas encore formée à

notre époque, le trait religieux est très présent pour d’autres raisons.

En effet, des distinctions sont à introduire entre les trois diocèses. On ne

manifeste pas sa religiosité pour les mêmes raisons selon qu’on habite à la

ville ou à la campagne. À la campagne ou dans les communes mixtes, la

population est immergée en milieu indigène. La religion est alors un refuge,

et le clocher le symbole d’une identité ethnique. De même, dans le

Constantinois où les Européens sont minoritaires, les représentations

religieuses sont d’une importance capitale pour préserver l’unité de la

communauté face aux musulmans. De plus, les fêtes religieuses sont aussi

l’occasion de se retrouver et de se divertir. Mais toutes les populations

étrangères n’ont pas une piété extériorisée. Ainsi la communauté

mahonnaise (issue des Baléares) a déjà intériorisé sa religion.

Conclusion

Les dévotions catholiques en Algérie présentent des caractéristiques de

l’identité catholique telle qu’elle se traduit depuis le concile de Trente et se


renforce au XIX e siècle. En tout premier lieu, la dévotion mariale se trouve

au centre de la piété avec ses moments forts quotidiens, l’angélus le matin,

à midi et le soir rythme l’existence tout comme la récitation du chapelet qui

s’est structurée, ritualisée dans le rosaire ; avec ses moments forts annuels,

car chaque fête mariale est solennisée et prend un caractère public qui rend

la dévotion mariale omniprésente tout au long de l’année. Pour l’essentiel,

dévotion et spiritualité sont mariales et il n’est que rarement fait mention de

Jésus. En revanche, les références au Christ interviennent dans les

cérémonies militaires ou pour réaffirmer la force de la croix face au

croissant. Le rôle de la Vierge est de servir d’intercesseur : elle est un

moyen et non une finalité. Or, bien souvent, les fidèles occultent cette

dimension pour ne se concentrer que sur Marie et en oublieraient presque

Jésus. Tout comme chez les catholiques de France, le rosaire et le saint

sacrement sont des marqueurs de l’identité catholique.

À l’exception de saint Augustin, on ne note que peu de dévotion pour

les saints du passé. C’est ainsi que Géronimo, dont les restes ont été

transférés à la cathédrale d’Alger le 28 mai 1854, ne fait pas l’objet d’une

grande dévotion populaire en Algérie ou du moins les archives n’en font

pas état. En revanche, l’influence de dévotions et de pratiques en

provenance d’Italie ou d’Espagne, mais aussi de Malte et des Baléares,

même si la documentation écrite les concernant n’est pas abondante les

concernant, reste importante. Mais tout est fait consciemment pour se

rapprocher de la France.

C’est pourquoi la similarité avec ce qui se passe en France se traduit

aussi dans tout le décorum notamment sur le choix de la musique religieuse.

Cette dernière est conforme aux goûts et à ce qui se joue dans les églises

françaises : il est impossible de savoir qu’on est en Afrique, d’acculturation

il n’est pas question. Il s’agit bien d’une Église nationale en tout point :

Massenet, Verdi, Gounod, Mendelsohn 122 ; Kyrie de la messe en sol de

Mozart, Gloria de Schubert, Sanctus de Palestrina, Benedictus de Gounod,


Agnus de Ravanello 123 ; Kyrie de Ravanello, Gloria santus de Schubert,

Agnus de Weber, Tantum de Novello, Messe de Rinck, Alleluia de Haendel,

Sanctus de Winckel, Agnus Dei de Bizet 124 , etc. Pour les nouveaux édifices

religieux, le choix illustre aussi la continuité avec l’Église de France. Ainsi,

la nouvelle chaire de saint Augustin est en style roman :

« Elle a une certaine analogie avec la belle chaire de Saint-

Trophine d’Arles, qui sort des ateliers de M. Cantini, de

Marseille, comme celle de Saint-Augustin, d’Alger et dont les

matériaux sont d’une extrême richesse. L’onyx doré en forme la

plus grande partie. Il provient des anciennes carrières romaines

découvertes par M. Cantini à Aïn Smara (département de

Constantine). Il n’est autre que l’albâtre oriental ancien, qu’on

retrouve à profusion à Saint-Paul-hors-les-murs, et aussi à Saint-

Pierre, Sainte-Marie-Majeure et au Gésu, à Rome 125 . »

Ces carrières ont été, d’après la SRA, un lieu de travail et de détention

des martyrs chrétiens. « Les bronzes et la coupole ont aussi été ciselés dans

les ateliers de la Maison Cantini », ce dernier a été fait chevalier de la

légion d’honneur et il est précisé que les marbres bleu et blanc sont d’Italie.

Une grande fierté se dégage de cette description et traduit la volonté

d’inscrire le christianisme dans le temps long, car il s’agit pour l’Église de

renouer les fils du temps et toute occasion est bonne pour le rappeler.

D’autre part, il s’agit aussi de s’insérer dans l’Église nationale et romaine,

comme l’attestent les comparaisons. Indirectement, mais explicitement, est

réaffirmé le lien patriotique avec Cantini qui est chevalier de la légion

d’honneur. Avec ce décor, nous ne sommes manifestement pas en Afrique et

c’est volontaire ; en revanche, quand les matériaux viennent d’Algérie c’est

parce qu’ils ont acquis une réputation en Europe. Ces orientations traduisent

la volonté d’être intégrés, d’être comme les autres. Les catholiques


algériens entendent être en communion avec leurs congénères de l’autre

rive. La fête pour la béatification de Jeanne d’Arc en est une illustration 126 .

Le décor a été étudié de près : oriflammes aux couleurs de la bienheureuse

et aux couleurs du Saint-Siège, drapeaux français et du Saint-Siège,

écussons de la ville d’Alger, etc. Il y a aussi une reproduction d’un tableau

de Bartholini qui fut exposé à Rome dans la basilique Saint-Pierre le jour de

la béatification. Il n’est pas question de faire moins bien qu’à Rome… le

pape en moins. Et que dire des œuvres qui se développent sur le sol

algérien ? Elles sont des émanations de celles qui existent en France ou sont

conformes aux grandes orientations de l’Église. On retrouve aussi les

caractéristiques propres au dimorphisme sexuel observées sur le pourtour

méditerranéen. Le catholicisme en Algérie se veut algérien, français,

méditerranéen et romain.

Une vitalité certaine s’en dégage, même s’il reste difficile d’évaluer

précisément la proportion de la population directement impliquée.

Néanmoins, un peuple catholique existe en Algérie, qu’il pratique avec

assiduité ou ponctuellement. Je ne pense pas que l’adhésion au catholicisme

soit moins importante, même chez les Français en provenance de

métropole. En effet, chez ces derniers, dont la réputation dans les sources

imprimées de la période n’en fait pas de grands spirituels, il y a un certain

degré d’adhésion au catholicisme. Il a été suffisant pour justifier la

construction d’édifices du culte sur toute la période coloniale. À l’exception

de francs-maçons notoires, le catholicisme constitue même inconsciemment

un repère identitaire pour la majorité.

L’Église structure l’espace et le temps, elle contribue à l’appropriation

du territoire : à l’appel du muezzin répond le son des cloches, au minaret

fait face le clocher, à la mosquée l’église. Les musulmans semblent des

figurants dans ce décor mais la réalité est toute autre : l’Église catholique

ambitionne aussi de les convertir…


1. SRA du 9 mars 1900 : ouverture du mois de Joseph : « Aucun exercice spécial n’est imposé : il

suffit de faire des pratiques pieuses quelconques, prières et actes de vertu en l’honneur de saint

Joseph, comme on a coutume de le faire au mois de mai en l’honneur de la sainte Vierge. Nous

recommandons toutefois la récitation de la prière : Nous recourons à vous, bienheureux saint

Joseph, à laquelle est attachée une indulgence spéciale de 300 jours à gagner une fois par jour. »

2. La mort reste encore présente en ce début de siècle, comme nous l’avons constaté avec les

célébrations pour les soldats morts pour la France. Cette proximité touche aussi les enfants,

comme l’atteste un article extrait de la SRO et publié dans la SRA du 21 décembre 1902, « Le

culte des morts et les enfants » : « On nous communique un trait émouvant de la piété enfantine,

qui montre tout le parti qu’on peut tirer de la générosité de cet âge, lorsque, le soustrayant à la

fausse et funeste neutralité d’un laïcisme désolant, on ouvre l’âme candide de l’enfant aux

saintes inspirations de l’enfant… Ils venaient assister à une Messe de Requiem, commandée par

eux, pour leurs petits compagnons et leurs petites compagnes décédés dans le cours de

l’année. » Il doit manifestement s’agir d’un article de Bouissière dont l’hostilité aux grands

principes de la République ira en s’affirmant (voir chapitre I).

3. SRA du 9 novembre 1900.

4. SRA du 6 avril 1901, du 22 mars 1908, etc.

5. SRA du 27 juin 1909, fête de la béatification de Jeanne d’Arc ; SRA du 27 novembre 1910,

inauguration d’une statue de Jeanne d’Arc à Vialar offerte par deux paroissiens. D’autres

béatifications sont fêtées en Algérie comme celle de Madeleine-Sophie Barat en 1908, un

triduum est célébré les 6, 7 et 8 décembre, SRA du 11 octobre 1908.

6. SRA du 23 novembre 1900, annonce par Oury d’un triduum solennel en son honneur.

7. SRA du 26 juillet 1903, annonce de la mort de Léon XIII : « Le glas s’est fait entendre d’heure

en heure pendant cette première journée. Il a sonné les deux jours suivants à l’heure de

l’angelus. »

8. SRA du 24 août 1900, le 22 août a été célébrée la messe de requiem pour les victimes des

massacres de Chine ; SRA du 25 mai 1902, lettre circulaire de Oury sur la catastrophe de Saint-

Pierre de la Martinique ; SRA du 1 er avril 1906, liste des quêtes paroissiales pour les victimes de

Courrières, complément de la liste dans les SRA du 8 avril 1906 et du 29 avril 1906.

9. Le premier numéro des Semaines religieuses de janvier rappelle que les dons doivent parvenir

pour la fin du mois.

10. SRA du 12 avril 1903.

11. Entre autres, SRA du 5 mars 1905.

12. SRA du 15 avril 1906, dans l’église métropolitaine le jour de Pâques, les femmes ne sont pas

admises à la messe de communion générale de 7 heures, seuls les hommes sont attendus.

13. SRA du 22 mars 1908, sermons donnés par le chanoine Avril, dimanche, mercredi et

vendredi.


14. SRA du 5 avril 1908.

15. SRA du 25 mai 1903 ; SRA du 22 mai 1904, rappel des exercices, etc.

16. SRA du 12 mai 1901.

17. SRA du 14 juin 1903.

18. SRA du 14 mai 1905 : « Tour à tour les Pères Blancs et les Sœurs missionnaires d’Afrique, les

Petites Sœurs des Pauvres, les Enfants de Marie de la paroisse Saint-Joseph (cité Bugeaud)…

D’autres pèlerinages sont annoncés. Nous devons une mention spéciale à un groupe de

courageuses chrétiennes d’Alger, qui tous les matins, continuant une vieille tradition, vient

former une garde d’honneur à Marie et assister pieusement au Saint-Sacrifice de la Messe. »

« Les pécheurs italiens avaient tenu à honneur de porter la statue de Celle qu’ils appellent

l’Étoile des Naufragés et qui souvent les protège contre la fureur des flots. »

19. SRA du 9 mai 1909.

20. SRA des 15 décembre 1901, 15 décembre 1907, 6 décembre 1908, etc.

21. SRA du 19 octobre 1902.

22. Ibid.

23. SRA du 11 octobre 1903 : La fête du rosaire : Une première indication renvoie au succès

rencontré, d’après la revue, par la fête du rosaire, car il est mentionné que dès 2 h ½ , il n’y a plus

une place libre dans la basilique. « Selon l’usage, la procession, pieuse et recueillie, s’est ensuite

déroulée autour de la Basilique, s’arrêtant un instant devant le tombeau érigé en face de la mer,

par le cardinal Lavigerie, à la mémoire des naufragés, et laissant le temps au clergé de procéder

à l’absoute, toujours si impressionnante. Elle reprit ensuite sa marche et rentra, au chant du

Magnificat… » Les auteurs de l’article ne manquent pas de féliciter les jeunes de Bab-el-Oued

pour les chants etc.

24. SRA 11 octobre 1908 : « Ouverture solennelle du T. S. Rosaire à Notre-Dame d’Afrique. »

25. SRA du 1 er juin 1902, l’article commence par un démenti : la statue de la Madone de Santa

Cruz n’a pas été profanée. Cependant, des vols ont été commis à Sidi Bel-Abbès : troncs vidés,

ciboires et hosties consacrées subtilisés, sacristies saccagées. L’auteur parle de « profanation »,

« d’attentat ». Des prières de réparations publiques sont prévues « pour demander pardon au

ciel ».

26. SRA du 17 janvier 1904 : « Vol sacrilège à Santa Cruz » : la chapelle de Santa Cruz a été

pillée. Le montant du vol est estimé à 600 francs.

27. SRA du 21 juin 1903.

28. SRA du 19 octobre 1902 : « Paroisse N. D. des Victoires. Adoration perpétuelle du Saint

Sacrement. […] Les mères de famille sont invitées à apporter ou envoyer leurs petits enfants à

l’église. Après quelques prières on leur donnera une bénédiction spéciale. Dans les intervalles,

Adoration privée par les personnes pieuses de la paroisse ; on recommande surtout l’intervalle

de 11 h à 1 h. »

29. SRA du 27 novembre 1910


30. SRA du 21 octobre 1906 : « Cérémonie de quatre prises d’habit au Carmel d’Alger » : elles

passent d’une robe blanche à la robe brune et au manteau blanc de l’ordre. Sœurs Hélène du

Saint Rédempteur, Marie-Marguerite de la Résurrection, Marie-Dieudonnée et Germaine de

Jésus » ; SRA du 27 octobre 1907 : « Une prise d’habit au Carmel d’Alger » : une jeune fille de

22 ans en religion sœur Thérèse de la transfiguration ; SRA du 22 décembre 1907 : Chapelle du

Carmel de la Vallée des Consuls : deux nouvelles professes carmélites reçoivent le voile des

mains du vicaire général Petitot.

31. SRA du 1.0919.1907 : Au noviciat de la Doctrine chrétienne à Mustapha supérieur : 14

religieuses firent profession et 4 novices reçurent l’habit ; SRA du 19 octobre 1902 : « Une

cérémonie de vêture et de profession à Saint-Charles » : Oury a donné le voile religieux à 15

postulantes.

32. SRA 8 juin 1900 : « Chapelle du carmel de la Vallée des Consuls : Dimanche, 10 juin :

Ordination à 8 h. Cette ordination comprendra tous les degrés de la sainte hiérarchie, c’est-àdire

la tonsure, les ordres mineurs, le sous-diaconat, le diaconat et la prêtrise. »

33. SRA du 14 juin 1903 : Ordination le 6 juin à 7 h 1/2 par l’archevêque assisté de ses deux

vicaires généraux, Cornud et Petitot : tonsurés, minorés, sous diacres, diacres, prêtres. L’un des

deux prêtres est un ancien militaire ; SRA du 28 juin 1908 : « Dimanche dernier, Mgr Livinhac,

spécialement désigné par Mgr l’Administrateur apostolique du diocèse, a fait au Grand

Séminaire de Kouba, une ordination qui comprenait un tonsuré, deux minorés et un diacre. »

34. SRA 8 juin 1900 : première communion et confirmation au grand séminaire de Kouba (9 juin)

et à la chapelle du petit séminaire de ND de Saint-Louis (lundi 11 juin à 7 heures du matin) ; SRA

du 2 juin 1901 : « Première communion et confirmation au lycée d’Alger », l’archevêque est

reçu par le proviseur, l’aumônier et les principaux membres de l’administration. « C’est la

première fois – depuis au moins trente ans – qu’un Archevêque d’Alger dit la Messe au Lycée. »

35. SRA du 2 février 1902 : Oury arrive à Cherchell où il est accueilli par le maire de la ville.

Oury a été reçu par les autorités tant civiles que militaires. 130 enfants reçoivent le sacrement de

la confirmation. À Marengo, le maire et le curé accueillent le prélat qui rend visite aux sœurs de

Saint-Vincent de Paul. Il en profite pour donner la confirmation à 70 enfants.

36. SRA du 27 juillet 1902.

37. Ibid.

38. SRA du 14 juin 1903 Ménerville, qui se trouve à l’entrée de la Kabylie, le 7 juin, 32 enfants

qui reçoivent la première communion après deux ans de préparation (Sens de cette phrase ?)

39. SRA du 23 mai 1909.

40. SRA du 22 novembre 1908 : tournée de confirmation à Coléa où M gr Tournier, évêque

d’Hippone-Zarite est venu donner la confirmation aux 70 enfants ; il a été délégué par

l’administrateur apostolique, Combes ; SRA du 2 mai 1909, annonce de la tournée de

confirmation effectuée par Piquemal, évêque de Thagora et auxiliaire d’Alger dans les paroisses

du sud du diocèse : « sa Grandeur donnera le sacrement de Confirmation, le mardi, 4 mai, à

Boghar ; le mercredi, 5 mai, à Boghari ; le samedi, 8 mai, à Djelfa ; et le dimanche, 9 mai, à

Laghouat. » ; SRA du 16 mars 1913, tournée de confirmation en Kabylie.


41. SRA du 11 octobre 1903, description de l’une d’entre elles parmi de très nombreuses autres.

La visite de l’archevêque est toujours l’objet de grandes attentions.

42. SRA du 24 mai 1903 : mission à Margueritte, à Djelfa où 9 enfants sont présents, à Laghouat.

43. SRA du 17 janvier 1909.

44. SRA du 19 avril 1903 : mission donnée par les missionnaires diocésains pendant trois

semaines à la paroisse Saint-Joseph, cité Bugeaud. Des exercices sont prévus le matin. L’article

stipule qu’il y a eu beaucoup de confessions et plus de trois mille communions.

45. SRA du 2 février 1902, mission à Fouka prêchée par Beaubois. L’instruction a lieu le soir.

46. SRA du 14 avril 1901 : « La station quadragésimale de St-Eugène, d’Alger, s’est terminée par

une mission prêchée par M. Beaubois, des Lazaristes » d’une durée de 15 jours. « Deux

cérémonies ont été particulièrement suivies : le service solennel pour les défunts et la fête des

enfants. » La revue catholique indique que 350 enfants étaient présents et que plus de

400 fidèles ont communié.

47. SRA du 17 novembre 1901 : description d’une mission à Tipaza prêchée par l’abbé Beaubois.

Le premier jour, il semble que les enfants se sont le plus mobilisés, puisque l’article précise

qu’ils se rendent jusqu’à quatre fois par jour à l’église pour suivre la mission. Le deuxième jour,

près de deux cents personnes sont concernées avec la mention de la présence d’adultes. Très

vite, selon l’article, les hommes sont en nombre plus important que les femmes. Alors qu’une

vingtaine de femmes et de jeunes filles font, habituellement, la communion pascale, on compte

70 personnes cette année-là qui l’issue de la mission viennent prendre la communion. « On

constatait là près de cinquante retours… », dont 40 hommes et jeunes hommes. « Chose inouïe,

comme on le voit, les retours chez le sexe soi-disant fort, mais ordinairement plus sceptique ou

plus lâche, l’emportaient des deux tiers sur le sexe naturellement religieux et chrétien. » ; « …la

Mission se terminait par la remise de la médaille de postulantes à quatorze jeunes personnes qui

se constituaient définitivement en Association de Choristes, sous le patronage de la Très-Sainte

Vierge. »

48. SRA du 19 avril 1903.

49. SRA du 5 mars 1905.

50. E. DERMENGHEM, Le culte des saints dans l’islam maghrébin, Paris, Gallimard, p. 125 sq. ;

D. ALBERA, « La Vierge et l’islam », dans Débat n o 137, novembre-décembre 2005, p. 134-144,

p. 140 : « La fréquentation peut être estimée à environ 40 000 personnes par an, et plus de 95 %

des pèlerins sont des musulmans. »

J’ai pu le constater par moi-même, la dévotion mariale ne se dément pas jusqu’à aujourd’hui.

Des prières sont adressées à « Madame l’Afrique » en vue d’obtenir une guérison, la

fertilité, etc. Des bougies et des offrandes sont apportées lorsque le vœu est exaucé. Les

mécanismes sont similaires à ceux rencontrés pour des saints musulmans. Les responsables de la

basilique ont noté une poursuite des visites durant la décennie sanglante qu’a traversée

l’Algérie. Beaucoup seraient à écrire sur la dévotion mariale dans le monde arabo-musulman,

contentons-nous de rappeler que Marie est le seul prénom féminin mentionné dans le Coran où

elle est citée 34 fois contre 19 dans les Évangiles.

51. SRA du 5 juillet 1908


52. Pèlerinage ND d’Alger, Notice sur le pèlerinage de Notre-Dame d’Afrique à Alger, Adolphe

Jourdan, Alger, 1885, 314 p. (AAA/9) ; La Basilique de Notre-Dame d’Afrique, Histoire du

pèlerinage, imprimerie L. Crescenzo, Alger, 1948, 31 p., (AAA/9).

53. AAA/9, La Basilique de Notre-Dame d’Afrique, Histoire du pèlerinage, imprimerie

L. Crescenzo, Alger, 1948, p. 3.

54. Ibid., p. 4.

55. Ibid., p. 5.

56. Ibid., p. 6.

57. Ibid., p. 7.

58. Ibid., p. 8-13.

59. AAA/9, Pèlerinage ND d’Alger, Notice sur le pèlerinage de Notre-Dame d’Afrique à Alger,

Adolphe Jourdan, Alger, 1885, p. 208.

60. Ibid., p. 212-216.

61. Ibid., p. 250, article 3 : « Tous les dimanches, après les Vêpres, le Clergé et les Fidèles

présents sortiront processionnellement de la chapelle, et s’étant rendus au point de la colline qui

domine la mer, chanteront les prières de l’absoute, le Libera et le De profundis, après lesquels le

célébrant récitera l’oraison pour les marins décédés.

Article 4 : Nous accordons une indulgence de cent jours à toutes les personnes qui assisteront à

la cérémonie qui se fera, tous les dimanches, à Notre-Dame d’Afrique, pour les marins

défunts. »

p. 254sq : « Le prêtre est revêtu d’une chape noire, comme s’il allait célébrer les funérailles

solennelles. Devant lui quatre enfants de chœur tiennent un drap mortuaire. Deux autres portent

l’eau bénite et l’encens ; une croix les précède. […] Le drap mortuaire est soulevé comme

l’étendre entre le ministre de la miséricorde et ce linceul d’azur qui recouvre tant de victimes.

Les enfants… le chantent jusqu’à la fin, comme au jour des Morts, dans un cimetière. Quand il

est terminé, le prêtre entonne le Notre-Père, demandant à Dieu de se souvenir de tant de

créatures… Il prend de l’eau bénite et la jette pieusement vers la mer ; puis l’encensoir lui est

donné, puis il l’élève trois fois à l’Orient, à l’Occident et au Nord… Puis il récite la prière

accoutumée pour les défunts, en ajoutant seulement qu’il prie pour les trépassés qui reposent au

fond des mers. », l’explication de la bénédiction aux trois points cardinaux est donnée par le fait

qu’il s’agit des trois points que baigne la Méditerranée, AAA/9, La Basilique de Notre-Dame

d’Afrique, Histoire du pèlerinage, op. cit., p. 21.

62. Ibid., p. 230.

63. Ibid., p. 235.

64. SRA du 11 octobre 1908 « Pèlerinage annuel aux Sanctuaires de l’Afrique du Nord. –

Mercredi dernier, Mgr Potard est arrivé à Alger accompagné d’une dizaine de personnes, dont

six prêtres, pour effectuer son pèlerinage annuel aux sanctuaires vénérés de N.-D. d’Afrique, de

St-Augustin d’Hippone et de St-Louis de Carthage. »

65. SRA du 31 juillet 1904, référence reprise dans L’Écho d’Hippone.


66. L’intégralité de l’épisode est relatée dans AAA/9, Pèlerinage ND d’Alger, Notice sur le

pèlerinage de Notre-Dame d’Afrique à Alger, Adolphe Jourdan, Alger, 1885, p. 243-245.

67. SRA du 15 mars 1908.

La croix de l’Algérie et de la Tunisie, 4 mars 1908.

68. SRA du 21 juin 1908.

69. La croix de l’Algérie et de la Tunisie, 6 août 1908 et SRO du 1 er août 1908.

70. SRA du 17 mars 1907 : à l’Agha : « les petites jeunes filles de la congrégation de Ste-

Marcienne ont donné, jeudi dernier, une séance récréative… » Du Beethoven et du Mendelssohn

ont été joués ainsi qu’une opérette La foire de Séville. Les activités de l’œuvre sont

systématiquement mentionnées.

71. SRA du 2 février 1908 : création d’un patronage de jeunes filles à Rouïba par le curé de la

paroisse, l’abbé Sala sous la houlette des dames de la charité.

72. SRA du 2 mai 1909. La présence de deux colonels est mentionnée ainsi que leurs noms.

73. SRA du 20 juillet 1913, se trouve toute la liste des dons fait par l’œuvre paroisse par paroisse.

74. SRA du 18 juin 1911.

75. Ibid., le mercredi 7 juin avait lieu l’exposition des travaux de l’œuvre des tabernacles en

présence de Combes et de Piquemal.

76. SRA du 6 décembre 1908 : « Mgr Combes au Patronage de St-Philippe. – Le Vendredi,

27 novembre, les membres du Patronage de St-Philippe créé par M. le Curé de la Cathédrale et

actuellement en pleine prospérité, offraient une séance musicale à Sa Grandeur Monseigneur

l’Administrateur Apostolique à l’occasion de la Saint-Clément. »

77. SRA du 5 mai 1912.

78. SRA du 27 avril 1913 : « Les fêtes du centenaire d’Ozanam à Alger », on apprend qu’il existe

« depuis très longtemps » l’œuvre d’Ozanam à Alger.

79. SRA du 10 mars 1901, Sermon et concert de charité à l’Agha, église Sainte-Marie-Saint-

Charles de l’Agha, en faveur des pauvres de la paroisse, en présence d’Oury (SRA du 31 mars

1901), etc.

80. SRA du 9 mars 1900 : société de Saint François-Régis d’Alger.

1895 : 19 mariages et 28 légitimations.

1896 : 46 mariages et 42 légitimations.

1897 : 55 mariages et 62 légitimations.

1898 : 57 mariages et 71 légitimations.

1899 : 88 mariages et 94 légitimations.

SRA du 20 avril 1913, pour l’année 1912 il y a eu 117 mariages et 78 légitimations.

81. SRA du 26 mars 1905.

82. AAA/470, Annales de la paroisse de l’Agha (1869-1899), imprimerie V. Heintz, Alger,

1899, p. 23 sq.

83. SRA du 27 juin 1909.


84. J. CARON, Le Sillon et la Démocratie chrétienne 1894-1910, Paris, Plon, 1967.

85. CAOM, 1U107.

86. J. CARON, Le Sillon…, op. cit.

87. Faute de document, il n’est pas possible de savoir si un groupe du Sillon fut constitué à

Constantine.

88. La croix de l’Algérie et de la Tunisie, 11 juin 1908.

89. SRO 4 mars 1905, SRA 10 novembre 1907.

90. La croix de l’Algérie et de la Tunisie, 10 novembre 1907 et 16 janvier 1908.

91. J. CARON, Le Sillon…, op. cit.

92. Ibid., article paru dans L’éveil démocratique le 2 juin 1907 sous le titre : « Conseil à des

vainqueurs ».

93. SRO, 4 février 1905.

94. SRA du 1 er février 1901.

95. Entre autres, SRA du 5 mars 1905 : « Église Cathédrale. – Réunion de Charité. – Dimanche

dernier, à 5 heures, a eu lieu dans l’Église métropolitaine, une réunion de charité organisée par

la Société des Conférences de Saint-Vincent-de-Paul, en faveur des pauvres, que ses membres

vont assister, secourir et consoler à domicile », en présence de Oury.

96. SRA du 15 décembre 1907 ; SRA du 6 décembre 1908 : « Société de Saint-Vincent-de-Paul. –

Les Conférences de Saint-Vincent-de-Paul d’Alger se proposent de fêter leur céleste Patronne,

l’Immaculée-Conception. Une retraite préparatoire sera prêchée aux membres des Conférences

et aux catholiques de la ville qui voudraient y prendre part, les 10, 11 et 12 décembre, à 8 h ½ du

soir, en la chapelle du Saint Nom de Jésus, rue des Consuls. Le jour de la solennité, dimanche,

13 décembre, à 7 h du matin, en l’église Saint-Charles de l’Agha, messe de communion

générale pour tous les Messieurs qui auront assisté à la retraite. Après la messe, les Conférences

tiendront l’Assemblée générale prescrite par le règlement. »

97. SRA, 17 février 1907, 17 avril 1907, 14 juillet 1907, etc.

98. SRO, 18 février 1905, 1 er avril 1905, etc.

99. Dans la SRO du 30 décembre 1905, il est fait mention d’ouvriers qui ont créé un cercle

catholique et reçoivent le soutien de l’Église.

100. SRA du 2 mars 1913.

SRA du 24 mars 1907 : Église cathédrale : vêpres pour la population maltaise et sermon de la

Passion pour la population italienne ; de même dans la SRA du 12 avril 1908. On pourrait

multiplier les exemples.

101. Un exemple parmi tant d’autres, SRA du 3 mars 1901, « Tous les dimanches, à la Messe de

6 h, récitation du chapelet et instruction en langue espagnole. ».

102. SRA du 24 mars 1901, « Une Mission est donnée à la population italienne par M. l’abbé

Bussutil. Les exercices de cette Mission ont lieu tous les jours de la semaine à 8 h du soir. »


103. SRA du 10 août 1913 à l’occasion de la fête de l’Assomption un sermon est donné en langue

italienne par l’abbé Castagliola, vicaire à la cathédrale.

104. AAA/9, Notice sur le pèlerinage de Notre-Dame d’Afrique à Alger, Adolphe Jourdan,

Alger, 1885, p. 240.

105. SRA du 12 novembre 1911, « Une Mission espagnole à Saint-Joseph de Cité Bugeaud ».

106. Ibid.

107. SRA du 21 août 1910 ; SRA du 11 août 1912 : « Comme ces dernières années, la population

italienne d’Alger se propose de célébrer avec éclat, à Notre-Dame d’Afrique, la solennité de

l’Assomption de la T. S. Vierge, dont elle a fait sa grande fête religieuse […]. Ces rudes

travailleurs de la mer, ces humbles ouvriers de nos campagnes environnantes, ont prélevé depuis

plusieurs mois, une contribution sur leurs maigres salaires pour subvenir aux frais de cette

fête. »

108. AAA/9, Notice sur le pèlerinage de Notre-Dame d’Afrique, p. 241.

109. AAA/118, « Lettre pastorale et mandement de monseigneur l’archevêque d’Alger au clergé

et aux fidèles de son diocèse prescrivant des prières publiques pour la cessation de la sécheresse.

Alger, le 13 novembre 1889. »

110. SRO, 18 février 1905.

111. SRA du 16 novembre 1913 : « Lettre de S. G. Monseigneur l’Archevêque d’Alger au clergé

du diocèse ordonnant des prières publiques pour demander la pluie. »

112. SRA du 23 février 1900.

113. SRA du 4 octobre 1914.

114. V. DEMONTÈS, Le peuple algérien, Alger, Imprimerie Algérie, 1906 : « Les populations

méridionales de l’Italie et de l’Espagne aiment dans le catholicisme ses pompes, ses

solennités… tout ce qui est merveilleux, miraculeux… Aussi des pratiques superstitieuses se

sont insinuées dans ces âmes de simples ! » Cf. également H. LORIN, L’Afrique du Nord, Paris,

A. Colin, 1908 et M. WALH, L’Algérie, Paris, éd. Félix Alcain, 1903, (4 e édition mise à jour par

Augustin Bernard).

115. J.-J. JORDI, Les Espagnols en Oranie 1830-1914, histoire d’une migration, Montpellier,

Africa Nostra, 1986.

116. M. BAROLI, La vie quotidienne en Algérie 1830-1914, Paris, Hachette, 1967.

117. Ibid.

118. Cette manière de procéder se retrouve en tout point conforme dans la spiritualité populaire

musulmane comme l’atteste une enquête d’André Demeerseman à la veille de la Seconde

Guerre mondiale. Les fidèles sollicitent leur saint en vue d’obtenir son intercession, puis, une

fois le vœu exaucé, ils honorent la contrepartie de ce contrat moral par diverses manifestations.

Voir O. SAAÏDIA, « A. Demeerseman : l’ethnologie au service de la mission ? », dans C. PAISANT

(éd.), La mission en textes et images XVI e -XX e siècles, Paris, 2004, p. 157-171.

119. M. DONATO, L’émigration des Maltais en Algérie au XIX e , Montpellier, Africa Nostra, 1985.


120. On peut notamment penser à la réunion qui a lieu à Nîmes-Courbessac chaque année en

l’honneur de Notre Dame de Santa Cruz.

121. Si la crise antijuive de la fin du XIX e siècle et la période de Vichy sont bien connues pour la

réactivation de l’antisémitisme, un autre épisode est tout aussi révélateur : la radiation des

électeurs juifs des listes électorales de Sidi-Bel-Abbès en 1938, voir L. BLÉVIS, « Une

citoyenneté française contestée… », art. cit.

Il reste réducteur de présenter une vision dichotomique des sociétés, et non de la société,

coloniales. La ligne de partage est mobile et se déplace selon les périodes, les lieux, les

thématiques, les producteurs de discours et leurs destinataires.

122. SRA du 10 mars 1901, concert pour la fête de l’Agha.

123. SRA du 22 mai 1904, morceaux exécutés lors de la grand’ messe de Pentecôte.

124. SRA du 15 avril 1906, musique pour Pâques.

125. SRA du 31 mars 1901.

126. SRA du 27 juin 1909.


CHAPITRE 3

L’Église catholique face à l’islam

Tertullien, Cyprien ou encore Augustin : autant de noms illustres qui

rappellent à une institution qui se veut universelle que le christianisme a

connu son heure de gloire sur la rive sud de la Méditerranée. Si cette Église

n’est plus depuis très longtemps, son souvenir continue à émouvoir les

catholiques du XIX e siècle et d’aucuns envisagent même de renouer le fil du

temps. L’histoire est là pour attester de ce prestigieux passé, au XIX e comme

aujourd’hui. Pourtant, il reste toujours difficile de savoir avec précision quel

fut le degré d’adhésion au christianisme et quelles furent les populations

concernées. Cependant, la réalité historique du phénomène ne peut être niée

ni minorée. L’une des inconnues reste l’immanquable hiatus entre la

religion chrétienne et les pratiques qui s’en revendiquent ou ne s’en

revendiquent pas, mais il s’agit là d’une interrogation valable en d’autres

temps, en d’autres lieux et pour d’autres religions. Ainsi, nous partageons

avec les hommes du XIX e siècle l’idée de la christianisation du nord de

l’Afrique ; seules les modalités de son existence diffèrent tout comme les

interprétations données à ce fait historique.

Néanmoins, au moment où les Français imposent leur domination en

Algérie, de chrétientés autochtones il n’est plus question depuis des siècles.

C’est donc à l’islam que se retrouve confronté le catholicisme. Si la


rencontre entre le christianisme et l’islam s’inscrit dans une histoire

pluriséculaire, faite de rencontres et de conflits, les catholiques français

n’ont de l’islam, et ce depuis des siècles, qu’une approche livresque. Il en

est de même de leur connaissance de la prestigieuse Église d’Afrique.

Pourtant les imaginaires sont extrêmement féconds en direction de l’un

comme de l’autre et finissent par conditionner la réalité…

Ainsi, très tôt, l’Église entend renouer avec sa dimension missionnaire,

mais c’est avec la fondation, par Lavigerie, de la Société des missionnaires

d’Afrique que les choses s’institutionnalisent. Toutefois, à la mort de leur

fondateur, la diversité des positions quant à l’évangélisation des musulmans

domine chez les pères blancs faute d’un cadre normatif contraignant.

Cependant, si des divergences existent sur l’appréciation des techniques

d’apostolat et sur leur opportunité, le discours sur les musulmans, aussi bien

chez les missionnaires que chez les catholiques, est relativement homogène.

D’ailleurs existe-t-il un discours catholique spécifique sur l’islam ? Il

semblerait que dans leur écrasante majorité les catholiques partagent une

vulgate commune avec l’ensemble de la population européenne au sujet de

l’islam et des musulmans.

La prestigieuse Église d’Afrique

LE RAPPEL DE L’ÂGE D’OR

Une terre romaine et chrétienne

Une certitude est commune aux hommes du XIX e

siècle et à nos

contemporains : l’Église africaine a connu un âge d’or. Cependant, il

convient de ne pas perdre de vue que notre savoir sur le christianisme


africain des premiers siècles n’est pas celui du XIX e

siècle. Certes, pour

l’essentiel, les sources écrites dont nous disposons sont connues au

XIX e siècle. Toutefois, l’étude critique de certains documents, notamment les

textes hagiographiques, n’est pas menée selon les mêmes méthodes. De

plus, l’archéologie et l’épigraphie occupent une place importante qui n’était

pas la leur précédemment, même si des découvertes de vestiges suscitent

une réelle émotion 1 . D’autre part, certaines périodes, comme la période

byzantine, ont longtemps été les parents pauvres de ces études. Or, les

recherches menées à partir des années 1980 laissent percevoir des réalités

jusque-là sous-estimées.

Il reste difficile de dresser de manière laconique le tableau de dix siècles

de présence chrétienne dans le nord de l’Afrique tant cette histoire est riche

et complexe. Cette présentation repose, pour l’essentiel, sur les trois

premiers tomes de la magistrale Histoire du christianisme 2 .

Nul n’est en mesure de savoir, encore aujourd’hui, d’où, par où, quand,

comment le message évangélique est parvenu sur les rivages du nord de

l’Afrique. Seules des suppositions permettraient d’évoquer des hypothèses

comme celle de premiers contacts établis dès le premier siècle par des

voyageurs venus d’Orient ou de Rome.

L’Afrique entre « officiellement » dans l’histoire du christianisme

en 180 avec les martyrs scillitains 3 . La localisation de Scilli est toujours

inconnue, mais grâce aux Actes dits proconsulaires nous disposons de

quelques renseignements sur les chrétiens présents en Afrique. Ainsi, nous

apprenons qu’ils sont en possession de lettres de Paul rédigées en latin :

c’est le premier témoignage, en Occident, de la traduction latine de Paul. Le

deuxième élément marquant de la fin du II e siècle et du début du III e siècle

est la personnalité exceptionnelle de Tertullien 4 . Nous savons qu’il a vécu à

Carthage à l’époque des Sévères et que sa production littéraire est attestée

entre 197 et 220. Pour les spécialistes, le plus important de ses traités est

l’Apologétique. Ce texte de défense du christianisme et de critique du


paganisme a été adressé à la plus haute autorité politique, le proconsul.

Cette audace, impunie, renforce les arguments en faveur de son

appartenance à un milieu social privilégié. De tempérament rigoriste,

Tertullien adhère, sur la fin de sa vie au montanisme, puis s’en détache pour

former un « conventicule de “tertulianistes 5 ” ». Les sources sont ensuite

silencieuses jusqu’à Cyprien 6 .

Ce dernier est né au début du III e siècle et meurt en martyr vers la fin des

années 250 au moment de la persécution de Valérien (257-258). Rhéteur de

renom, il est baptisé vers le milieu des années 240 et est aussitôt ordonné

prêtre. Il a probablement été élevé à l’épiscopat en 248 et s’est réfugié hors

de Carthage lors de la persécution de Dèce en 249-250. Évêque de Carthage

et, de fait, primat de l’Église d’Afrique, son rayonnement dépasse Carthage

pour se diffuser en Espagne, en Gaule mais aussi en Cappadoce. Du concile

de Carthage de 256 est parvenue une liste faisant état de la présence de 87

évêques africains. Les sources font à nouveau défaut jusqu’au début du

IV e siècle. Les témoignages attestent alors d’un progrès constant de la

christianisation et de la provincialisation de l’Église d’Afrique. La grande

persécution de Dioclétien (303-306) n’épargne pas l’Afrique et engendre de

nombreuses apostasies. La réconciliation des fidèles qui avaient failli, les

lapsi, est à l’origine de tensions au sein de l’Église comme elle l’avait été

déjà à l’époque de Cyprien. C’est dans ce contexte que le donatisme va

rencontrer un réel succès en Afrique où il compte en 336, soit vingt-cinq

ans après sa naissance, près de 270 évêques 7 . « Assurément, le donatisme

cristallise les réactions rigoristes qui contestent une indulgence trop laxiste

dans la réconciliation des faillis, et il faut, à ses origines, le rapprocher de

mouvements contestataires antérieurs (celui de Novatien) ou contemporains

(le schisme d’Héraclius à Rome 8 ) ». Le donatisme s’impose malgré des

dissensions internes.

Toutefois, le catholicisme, loin de disparaître, s’affirme dans les

dernières années du IV e siècle avec les personnalités d’Aurélius de Carthage


et d’Augustin d’Hippone 9 . Leur victoire est celle de 411 lors du concile de

Carthage qui consacre le retour à l’unité. Le donatisme disparaît en une

vingtaine d’années sous les coups d’une alliance entre le pouvoir politique

(édit de proscription de 412) et l’épiscopat catholique. Le IV e siècle est pour

la chrétienté africaine celui de l’expansion d’une vitalité à nul autre

comparable dans tout l’Occident chrétien 10 . Le nombre des évêchés

africains s’élève en 411 à six cents : leur densité dépasse de loin toutes les

chrétientés occidentales, Italie comprise.

Saint Augustin

Un personnage incarne à lui seul, jusqu’à aujourd’hui encore, le

christianisme africain : Augustin 11 . Né à Thagaste en 354, il part étudier la

rhétorique à Carthage en 370 où il va enseigner ainsi que dans sa ville de

naissance. Sur le plan religieux, Augustin adhère au manichéisme et, lors de

son séjour à Rome, il rejoint la communauté manichéenne de la Ville.

À plus de 30 ans, il se fait catéchumène et se convertit au christianisme

en 387. De retour en Afrique en 388 et jusqu’en 391, il vit et enseigne à

Thagaste dans une communauté de type monastique pratiquant l’ascèse et la

chasteté. En 395, il est sacré évêque d’Hippone, mais continue son

existence de type monacal. Son œuvre est considérable, des Confessions à

La cité de Dieu, et consacre un esprit universel. Au moment de sa mort vers

430, pendant le siège d’Hippone par les Vandales, une nouvelle ère s’ouvre

pour le catholicisme en Afrique 12 .

D’origine germanique, les Vandales ont traversé la Gaule, puis l’Ibérie

avant de s’installer dans le nord de l’Afrique. C’est plus de 80 000 hommes,

femmes, enfants et vieillards qui débarquent sur la rive sud de l’empire

d’Occident. L’arianisme, religion des nouveaux conquérants, allait

s’imposer dans ce qui apparaît comme « le plus solide bastion du

catholicisme en Occident 13 ». Entre 429 et 523, année de l’avènement du roi


Hildéric qui inaugure une phase de liberté pour le catholicisme, périodes de

persécutions et d’accalmies se sont succédé pour l’Église catholique et ses

fidèles. Les dernières analyses laissent à penser que l’invasion vandale n’a

pas été le moment de l’effondrement du catholicisme. Pour Modéran, la

résistance des catholiques et leur capacité d’adaptation ont été plus forts.

Avec l’arrivée des Byzantins, près d’un siècle plus tard, l’Église catholique

allait pouvoir retrouver son ancien prestige 14 .

En 530, Gélimer, cousin du roi soutenu par la noblesse vandale et dans

un contexte d’incursions répétées des Maures dans le royaume vandale,

dépose Hildéric. Les opposants de Gélimer se tournent vers l’empereur

Justinien qui ne cache pas sa volonté d’intervenir dans les affaires

africaines. Les armées impériales interviennent en 533 et en 535 la

conquête du royaume vandale est achevée. Toutefois, le problème maure ne

disparaît pas pour autant. L’Église attend de Justinien qu’il la rétablisse

dans ses droits et anéantisse l’arianisme. L’Église arienne avait été l’Église

officielle et, à ce titre, avait spolié les biens de sa rivale catholique dont,

pour l’un des plus emblématiques, la basilique de Carthage. Malgré la

politique d’apaisement, le conflit entre les deux Églises subsiste. Or,

Justinien souhaite ne pas avoir à gérer un conflit religieux contre les Ariens

dans la mesure où sa principale préoccupation reste les Maures. C’est

pourquoi, s’il ordonne la restitution des biens catholiques, il permet aussi

aux Ariens de contester devant les tribunaux certaines revendications. De

plus, tout en intimant aux clercs hérétiques de se convertir, il leur octroie un

délai imprécis pour se préparer, et il aurait laissé entendre qu’il pourrait

ensuite les maintenir dans leurs fonctions et dans leurs biens au sein du

clergé catholique. La réaction de l’Église catholique est sans appel : elle

refuse catégoriquement ces aménagements. Face à cette résistance,

l’empereur condamne définitivement les ariens, consacrant la victoire du

catholicisme.


APOGÉE ET DÉCLIN

Sous Byzance

Les auteurs ne manquent pas de souligner la carence des sources écrites

pour la période byzantine. Toutefois, les progrès de l’archéologie et une

attention nouvelle portée par des chercheurs à une période autrefois

méprisée car appréhendée comme un temps de décadence permettent de

nuancer certaines affirmations. Ainsi il s’avère que bien des édifices

religieux furent construits pendant la période byzantine des VI e et

VII e

siècles. Les recherches récentes ont révélé un immense effort

architectural attestant de constructions soignées et même, pour certaines,

luxueuses.

« Le trait cependant le plus remarquable de ces églises

byzantines est la place privilégiée qu’elles accordent aux cultes

des saints… […]. Sans négliger les grands saints africains et la

masse des martyrs locaux, souvent obscurs, la piété populaire,

clairement canalisée par le clergé, leur associe plus fréquemment

qu’autrefois de célèbres saints de l’extérieur 15 »,

notamment des saints orientaux. On ne peut que constater un

développement extraordinaire du culte des intercesseurs comme l’atteste le

nombre exceptionnel des dédicaces. Parmi les intercesseurs, la Vierge

occupe une place privilégiée. L’expansion du culte marial a été importante

sous les Vandales et se renforce pendant la période byzantine.

Sur le plan politique, les Byzantins héritent de « la question maure ».

Des royaumes et des principautés berbères s’étaient constitués pendant la

période vandale. L’objectif de Justinien est de reconstituer les frontières

dans les limites de celles de l’empire avant les Vandales et les incursions


maures. À l’ouest, ce fut un échec, à l’est et au sud un succès relatif dans la

mesure où la région restait dans une situation de rébellion endémique.

« Dans leurs rapports avec les tribus berbères, l’État romain tardif et le

royaume vandale ne s’étaient en effet jamais réellement occupés de la

religion de leurs alliés ou ennemis 16 . » Avec Justinien, le christianisme se

trouve au cœur de la politique impériale : soumission politique et

soumission religieuse se doivent d’aller de pair. L’un est le gage de l’autre,

toute expansion territoriale doit avoir pour corollaire l’évangélisation des

populations. En Byzacène et en Numidie les populations sont converties

depuis longtemps. « Mais en Tripolitaine intérieure et dans la Syrte, où les

Austuriani et les Laguatan étaient encore de fervents adorateurs d’Ammon

ou de Gurzil, la guerre prit très vite l’allure d’une véritable croisade.

Lorsque, enfin, l’empire eut le dessus en 548, et qu’il put poursuivre ces

peuples sur leurs territoires, l’armée et la mission chrétienne avancèrent de

pair 17 . » Pendant un certain temps les progrès de l’évangélisation sont liés à

l’autorité romaine. Mais toutes les conversions ne sont pas la seule

conséquence du recours à la force. Les situations varient dans le temps et

selon les lieux.

Les sources écrites se font de plus en plus rares dès le milieu du

VI e siècle sans que l’on puisse pour autant en déduire un repli du

christianisme.

Quelles christianisations ?

L’archéologie et l’épigraphie prennent la relève. Elles attestent d’une

présence chrétienne au-delà du limes et jusqu’au milieu du X e siècle :

« Une peinture aperçue par les premiers explorateurs du Djedar

F de Ternaten, monumental tombeau d’un souverain berbère de

la fin du VI e siècle, confirmerait peut-être cette conclusion : elle


représentait, en effet, un personnage tenant une crosse et portant

une sorte de mitre sur la tête, elle-même ceinte d’un nimbe, avec

un caractère chrétien très vraisemblable 18 . »

À Djorf Torba, près de Colomb-Béchar, se trouve une stèle funéraire

peinte datant environ du VI e siècle où l’on peut voir un chef berbère et sa

famille brandissant des croix.

Toutefois, il faut préciser qu’entre l’épitaphe de Volubilis, datée de 655,

et les tombes du cimetière chrétien d’En Gila (Tripoli), datées de la

deuxième moitié du X e , à l’exception d’une inscription de 1003, on ne

dispose d’aucune autre trace 19 . Cuoq précise que dans une correspondance

du pape Grégoire VII, au XI e

siècle, il est mentionné l’impossibilité de

trouver les trois évêques canoniquement requis pour une consécration

épiscopale 20 : « Il apparaît qu’en 1076 il n’y avait dans toute l’Afrique du

Nord qu’un seul évêque, Cyriacus 21 . » L’extinction de la hiérarchie

épiscopale semblerait donc dater du XI e

siècle, sans qu’il soit possible

d’établir avec certitude la date de la disparition totale des communautés

chrétiennes.

Derrière cette appellation de « communautés chrétiennes », se trouvent,

tout au long de ces dix siècles, des groupes très différents dont il est

difficile de connaître précisément le degré d’adhésion au christianisme et

les croyances. Quelles sont les populations présentes dans l’Empire romain

à la fin du II e

siècle de notre ère quand les premières mentions du

christianisme sont attestées et quelles sont leurs religions ? Quelles sont les

évolutions dans le temps de la proportion de chrétiens ?

La diversité des populations et leur brassage tout comme le peu de

connaissances dont nous disposons sur bien des groupes sont des données

de base. Garamantes, Gétules, Maures, Libyens, Puniques, Phéniciens,

Romano-Africains, Romains… autant de populations présentes, mais

quelles réalités recouvrent cette énumération ? De même qu’il reste difficile


de connaître toutes les religions présentes. Le judaïsme, les christianismes

« orthodoxe, schismatiques et hérétiques », les cultes orientaux, la religion

civile romaine, les cultes « berbères » sont attestés. Une des caractéristiques

du christianisme africain a été de toucher dans un premier temps les élites

romanisées, puis de s’être propagé dans l’Empire. Dans quelle mesure le

christianisme s’est-il diffusé dans les campagnes et hors du limes ? La

répartition des évêchés par province civile est un fait du milieu du III e siècle.

Globalement, les implantations chrétiennes vont de pair avec la

romanisation même si le christianisme, en Afrique comme ailleurs, peut

exister sans l’Empire. La densité du christianisme diminue selon un

gradient décroissant est-ouest et nord-sud. La christianisation est aussi un

phénomène essentiellement urbain pendant de nombreux siècles, même si

les populations rurales ont été progressivement converties. Le monde

chrétien du nord de l’Afrique a connu l’« orthodoxie » mais aussi les

« schismes et les hérésies ». C’est pourquoi il est impossible de savoir

précisément quelles étaient les croyances et les pratiques, sachant qu’elles

ont dû fluctuer selon les lieux et les périodes. De même, l’Église a dû

composer avec les croyances locales. En revanche, l’une des spécificités

attestées est le culte des intercesseurs rendu d’autant plus populaire par la

grande quantité de martyrs africains.

Avec l’arrivée de l’islam et de ses conquérants, la situation allait

considérablement évoluer. Rappelons que la conquête s’est étendue entre

649 et 715 et qu’il y eut plusieurs campagnes. Les musulmans rencontrent

des populations romanisées et chrétiennes, des populations associées au

monde romain qui peuvent ou non être chrétiennes et des populations sans

contact avec la romanité et dont les croyances sont diverses. Les tribus de

confession juive sont aussi présentes et l’une des variantes du mythe de la

Kahina, qui s’est opposée militairement aux invasions arabes, en fait une

femme juive. L’Empire byzantin cède sur le front occidental et

progressivement les populations se convertissent à l’islam. Tout comme le


christianisme en son temps, l’islam sait s’adapter aux croyances

rencontrées. Le culte des saints intercesseurs reste, jusqu’à aujourd’hui, une

des caractéristiques majeures de l’islam maghrébin comme il le fut du

christianisme.

De cette importance du christianisme de la rive sud de la Méditerranée,

tant par son importance quantitative que par la qualité de ses penseurs, les

catholiques français du XIX e siècle qui s’intéressent à l’Algérie sont

parfaitement conscients. Après une interruption de quelques siècles, le

temps de la croix semblerait à nouveau revenu.

« Le retour du christianisme » :

l’évangélisation des musulmans, mission

impossible ?

LA MISSION AVANT LES PÈRES BLANCS

Des tentatives missionnaires sont attestées en Algérie dès les premières

décennies de la conquête et elles sont décrites dans mon ouvrage Algérie

coloniale, chrétiens et musulmans : le contrôle de l’État (1830-1914). On

retiendra le programme de Pavy et les déboires du père Creusat, jésuite.

La mission selon Pavy et Creusat

Mgr Pavy, alors évêque d’Alger, se trouve dans une position difficile,

car il est juridiquement à la tête d’un diocèse concordataire et

sociologiquement le chef d’un diocèse colonial. En d’autres termes, il

dépend financièrement de l’État français qui dans une perspective

concordataire finance une Église diocésaine, mais il dépend aussi de la


Propagande qui dans une perspective missionnaire entend qu’il s’occupe de

la mission auprès des musulmans. Il doit donc relever un double défi :

assurer l’installation d’une Église à destination des colons et s’occuper de

convertir les indigènes. Il dispose, ni pour l’une ni pour l’autre de ces

missions, de suffisamment d’argent ni de personnel en nombre. Mais il doit

donner des gages de bonne volonté à ces deux pourvoyeurs de fond. C’est

pourquoi, tout en agissant en évêque concordataire soucieux d’implanter

son Église, il doit aussi assurer Rome qu’il a conscience de sa mission

apostolique. Il organise donc son diocèse et imagine un plan d’apostolat

qu’il soumet aux autorités en 1850 22 . Il envisage de confier aux jésuites une

mission dans la province de Constantine auprès des tribus. Le gouverneur

général, s’il salue l’initiative, estime que

« prêcher l’Évangile aux musulmans, c’est faire inutilement des

martyrs… […] En présence de ces faits comment ose-t-on

proposer une mission quasi officielle chez les tribus

arabes… […] S’il y a bonne foi d’une pareille demande, quelle

ignorance des choses, des hommes et du pays ! S’il n’y a pas

ignorance, où est la bonne foi ? et que veut-on ? »

Certes, la domination a été acceptée, mais uniquement parce qu’il y a eu

une promesse faite par le premier gouverneur général de respecter la

religion. L’Algérie est presque tranquille, elle peut jouir des bienfaits de la

civilisation et des modifications dans la société arabe sont perceptibles.

D’autre part, la prospérité naissante est aussi un indicateur de la civilisation.

Or, le gouverneur général ne manque pas de souligner qu’elle a été

chèrement acquise et s’interroge pour savoir si le moment est venu de la

remettre en question.

Toutefois, il souhaiterait la victoire de la croix sur le croissant, mais

estime que la moralisation des populations indigènes relève d’« un beau


rêve de l’imagination produit par un zèle plus ardent qu’éclairé ». Il faut,

selon lui, d’abord saper le Coran comme règlement politique et social, avant

de s’attaquer à son versant religieux, mais il s’interroge sur la question de

savoir si le Coran n’empêcherait pas le progrès et rappelle la tolérance de

l’Espagne musulmane.

Pour le moment, il ne voit que des dangers à la propagande chrétienne

en regard des résultats escomptés. En effet, sur les vingt ans de présence, les

conversions sont, sinon nulles, du moins insignifiantes, alors que toutes les

conditions étaient réunies dans les villes, malgré « toutes les vertus et la

persévérance de nos pasteurs ».

Le gouverneur général Charon donne des pistes pour comprendre cet

échec. Tout d’abord, la situation n’est pas la même qu’en Asie ou en

Océanie où le christianisme est une alternative à « des croyances grossières

et barbares » : le christianisme apparaît alors comme une consolation,

comme une protection contre la tyrannie qui pèse sur les populations. En

Afrique, la religion musulmane est trop proche du christianisme pour que

les musulmans puissent en saisir toute la supériorité. « Le sauvage de la

Polynésie » est livré à toutes les superstitions, la charité n’existe pas chez

eux et jusqu’aux premières règles de la morale. En revanche :

« la loi de Mahomet a pris à l’Évangile la plus grande partie des

prescriptions humaines, elle n’en diffère que par la partie

spirituelle, par la croyance divine qui perfectionne l’âme

humaine… »

Certes, les jésuites sont habiles et le cas de la Chine en est une bonne

illustration : « Aussi est-ce ni l’idée ni les moyens que je repousse, mais

bien l’opportunité. » En effet, si l’un d’entre eux mourait, les autorités se

devraient de réagir. La France apparaîtrait alors comme reniant son

engagement car la religion chrétienne est celle du conquérant et tout


prosélytisme apparaîtrait comme un abus de force. La conséquence

immédiate sera la levée de la « guerre sainte » dont on sait, précise-t-il, que

les musulmans lui sacrifient tout. La mission ne pourra avoir lieu qu’une

fois la pacification complètement acquise afin qu’elle se déroule sans

aucune participation militaire. Il propose, malgré les dangers, de poursuivre

le prosélytisme dans les villes et de calmer le préjugé religieux qui est le

véritable ennemi. Il est donc inutile de fournir aux agitateurs des prétextes

pour réveiller la guerre sainte. Si la tentative de mission avait lieu, des

milliers de marabouts viendraient de Tunis ou du Maroc pour faire une

contre mission.

Que retenir de ce document ? Tout d’abord, Charon et Pavy partagent

sur de nombreux points une même vision d’un islam fanatique et

obscurantiste qu’il convient d’appréhender par les œuvres et non par un

apostolat direct. On apprend aussi que la mission est possible dans les villes

et qu’elle n’a pas rencontré de grands succès en termes quantitatifs. Le refus

de la conversion des musulmans apparaît relever davantage de questions

d’ordre public ou de sécurité que d’une volonté idéologique de préserver la

religion des populations soumises. Une fois les conditions de sécurité

remplies, le gouverneur général n’est pas hostile à la mission et explique

que cette dernière peut se dérouler dans les villes.

Les autorités restent surtout vigilantes et sensibles aux affaires

concernant des enfants. Deux cas délicats sont rapportés par les archives où

les enfants ont été soustraits à leurs familles. Un autre cas, moins

dramatique, est évoqué dans les documents d’archives. Il s’agit cette fois

d’un homme qui adresse une réclamation pour récupérer sa fille. L’affaire

se déroule en 1893 23 . Le père d’une jeune enfant explique, dans une lettre

traduite par un écrivain public en français directement, qu’il a remis sa fille

au prêtre dans une période où il ne pouvait pas faire face aux frais de

nourriture pour toute sa famille. Dans son esprit, le prêtre subvenait aux

besoins des enfants le temps nécessaire, puis les restituait aux familles. Or,


quand les familles sont venues chercher leurs enfants, il n’est donc pas le

seul dans cette situation, une partie avait été envoyée à Alger et l’autre

demeurait chez le prélat qui refusait de les laisser partir en expliquant qu’il

les avait achetés. De plus, le prêtre en question charge des personnes à son

service de circuler avec du pain et « chaque fois qu’ils rencontrent un

enfant, ils lui donnent du pain et l’emmènent en voiture ».

Le récit est suffisamment grave pour qu’une enquête soit ouverte par le

cabinet du préfet. Il en ressort que le père ne reconnaît absolument pas avoir

dicté de tels propos à l’écrivain public et l’accuse d’avoir dénaturé sa

déclaration :

« … il désirait, dit-il, seulement obtenir l’autorisation de se

rendre à l’asile S t -Charles près d’Alger, pour y chercher sa fille.

Dans ces conditions l’accusation portée contre l’asile de S t -

Cyprien tombe d’elle-même. »

Le cabinet du préfet estime qu’il est inutile d’engager une procédure

contre l’écrivain faute de preuve formelle à l’exception du témoignage du

père de l’enfant.

Que retenir de cet épisode ? Tout d’abord que les œuvres catholiques

s’adressent sans distinction de religion aux plus démunis et permettent aux

familles pendant les périodes de difficultés d’envoyer leurs enfants dans les

asiles. Cela atteste que les familles ont suffisamment confiance – ou sont

trop démunies ? – pour envoyer leurs enfants dans des établissements

catholiques. Par ailleurs, le texte rédigé par l’écrivain public, à son initiative

ou à celle du père cela reste impossible à établir, renseigne sur certaines

représentations qui existent au sein des populations. Dans quelle mesure

sont-elles représentatives ? Il est difficile de le savoir. Toutefois, elles

renvoient à un vieux fonds de croyances populaires véhiculées, parfois, par

des contes, mais pas uniquement et portent sur des disparitions d’enfants.


Le schéma est classique : les enfants sont attirés par des inconnus avec des

friandises ou du pain, en cas de disette, et sont enlevés. Les commanditaires

des enlèvements sont nombreux : ogre, djinn ou humain. Rappelons que

l’existence des djinns est affirmée par le Coran. Dans ce cas précis, le

commanditaire est le prêtre catholique perçu comme un étranger malfaisant.

Quel est le degré d’adhésion des populations à ces croyances ? Deux

possibilités cohabitent : soit les populations y croient, pas en ce qui

concerne les ogres, soit il ne s’agit que d’effrayer les enfants pour éviter

qu’ils ne s’aventurent trop loin et qu’ils restent vigilants dans leur rencontre

avec des étrangers. Ce type d’accusation, dans les documents consultés, est

plus que rarissime.

Seules trois affaires attestent d’activités où des ecclésiastiques

catholiques ont posé problème aux autorités. La question de la mission ne

semble pas perturber outre mesure les relations entre l’Église et l’État. De

plus, contrairement à une idée bien répandue, l’État n’a pas été par principe

hostile à la mission : la situation est plus complexe, comme le démontre

l’affaire Creusat.

Le père Creusat entreprend à la fin des années 1860, avec l’autorisation

des autorités, une mission auprès des tribus kabyles du cercle de Fort-

Napoléon 24 . Le projet de Pavy semble donc s’être concrétisé une quinzaine

d’années plus tard ce qui atteste une fois de plus de l’absence d’interdiction

de principe à l’apostolat. Hanoteau, officier des bureaux arabes, livre un

rapport complet sur les activités de Creusat depuis 1863 :

« En 1863, le père Creusat, de la compagnie de Jésus, fut

autorisé par l’autorité supérieure à s’établir comme curé à Fort-

Napoléon, pour y faire des essais sur les Kabyles qu’il présentait,

je ne sais sur quelles données, comme beaucoup mieux disposés

que les autres musulmans de l’Algérie à embrasser le

Christianisme 25 . »


Nous reviendrons sur la constitution du mythe kabyle qui n’a pas fait

l’unanimité chez tous les acteurs de la période. En mission auprès des

Kabyles depuis 1863, Creusat est convaincu que ces derniers veulent se

convertir au catholicisme. La réalité est autre et le père jésuite se retrouve la

victime d’une farce de mauvais goût dont il ressort que les Kabyles ne

songent pas à se convertir. L’affaire est remontée jusqu’à Lavigerie à qui le

père Creusat avait annoncé l’imminence des baptêmes…

Échec et espérance

La mission auprès des musulmans n’a pas été interdite par les autorités,

mais cantonnée dans les villes. L’échec n’est donc pas à imputer à la

prohibition de l’apostolat par les autorités, car les conversions urbaines ne

sont pas plus légion. Face à cet échec, les autorités catholiques ont préféré

l’imputer au pouvoir plutôt qu’à des raisons internes à la mission ou liées à

la religion musulmane. Cette stratégie se poursuit et a fini par convaincre

bien des chercheurs de l’existence d’une interdiction formelle des autorités.

Si cette dernière existe pour les tribus – pas tout le temps et partout –, elle

n’est pas fondée pour les villes.

Si interdiction formelle il y a pu y avoir à certains moments, il faut la

replacer dans la période de la conquête et l’expliquer par des raisons de

sécurité. Alors qu’il est déjà difficile de maintenir l’ordre sur les portions du

territoire conquis et que la conquête se poursuit, les militaires n’entendent

pas se préoccuper de la protection de prêtres ou de religieux qui voudraient

convertir les populations et des réactions face à ces velléités. De plus, il faut

aussi nuancer la portée de l’interdiction : qui était réellement en mesure de

convertir les musulmans ?

L’analyse du recrutement sacerdotal laisse peu de place aux ambitions

missionnaires de la part des séculiers. Le choix de l’Algérie ne semble que

rarement motivé par un zèle apostolique et, même si ce zèle existe, les

prêtres n’ont pas les moyens de leur ambition. En effet, l’un de ces moyens


fait cruellement défaut et reste, à mon sens, bien plus prohibitif qu’une

politique coercitive des autorités : la non-maîtrise de la langue. Faute

d’éminents arabisants ou berbérisants en nombre parmi le clergé catholique,

comment envisager une évangélisation, dans un pays qui n’est pas conquis

et alors qu’il manque déjà du personnel pour les Européens ?

En fait, il y a eu certes des préventions de la part des autorités militaires,

mais dans le même temps, elles ne peuvent pas à elles seules expliquer

pourquoi il n’y a pas eu de mission. La raison essentielle réside dans le fait

que le camp catholique n’est manifestement pas prêt. C’est pourquoi les

militaires n’ont pas intérêt à créer un conflit là où il n’y a pas lieu :

personne n’est réellement en mesure de convertir les musulmans. D’autre

part, la période de la conquête justifie en grande partie l’interdiction

d’apostolat et au moment de la fondation des pères blancs, dont la mission

est explicite, les militaires, sans être enthousiastes, ne peuvent bloquer le

projet de Lavigerie. En d’autres termes, la justification sécuritaire semble

plus probable qu’une hypothétique politique de privilège du croissant au

détriment de la croix. Pourtant, il ne faut pas exclure chez certains militaires

des bureaux arabes la volonté de préserver les populations de menées

évangélisatrices.

Il serait réducteur de restreindre la mission auprès des musulmans à la

seule prédication directe. Les catholiques ont, parmi les techniques

d’évangélisation, d’autres possibilités moins matérielles, mais dans

lesquelles certains fondent bien des espérances. La prière est l’une des plus

utilisées et les musulmans d’Algérie en sont très tôt destinataires.

L’idée serait née dans l’esprit d’un jésuite en 1857 alors qu’il est rappelé

momentanément de Constantine en France :

« Tandis que Ses Supérieurs en Afrique, s’occupaient à examiner

ce plan d’association, ils apprirent que M. le Curé de Notre-

Dame-des-Victoires à Alger avait eu, comme lui, la pensée


d’attirer sur les indigènes les plus abondantes bénédictions

célestes par la prière, et que, désirant attirer l’attention du

Souverain Pontife, il avait depuis peu fait le voyage de Rome. Le

Saint Père entra parfaitement dans ses intentions. Il répondit

avec vivacité qu’il faut contre l’Islamisme 26 , une croisade de

prières 27 . »

En janvier 1858, Pavy constitue une archiconfrérie de prières et

l’installe canoniquement par l’ordonnance épiscopale du 31 mars 1858 :

Article 1 : « … sous la présidence de Mgr l’Évêque d’Alger, une

Association de Prières dont le but général est la conversion des quatrevingt-dix

millions de Musulmans qui sont répandus dans la Turquie

d’Europe, en Asie et en Afrique, et le but particulier, la conversion des deux

millions cinq cent mille qui peuplent l’Algérie. […] »

Article 2 : « Le centre de l’Association est dans la Chapelle provisoire

de Notre-Dame d’Afrique, auprès d’Alger. »…

Article 3 : l’association ouverte aux fidèles du diocèse mais aussi à

toutes personnes intéressées.

Article 5 : « Chaque Associé récitera, tous les jours, un Pater, un Ave et

un Gloria Patri, et l’invocation qui suit : Cœur immaculé de Marie, priez

pour nous et pour les pauvres infidèles ! »

Article 6 : « On conseille aux Associés de faire, à l’intention de

l’œuvre, la Communion du premier vendredi du mois ou celle du premier

dimanche du mois. »

Article 8 : « La fête principale de l’Association est celle du Cœur

Immaculé de Marie, qui dans le diocèse d’Alger se célèbre après

l’Assomption. »

Article 9 : « Il est établi à Alger, sous la présidence de Monseigneur,

une Direction de l’Œuvre. »


Au 15 octobre 1858, d’après les sources catholiques, on dénombre

10 000 membres (dont 3 000 de Besançon et d’autres en provenance

d’autres diocèses) ; en août 1859, ils sont 20 000 associés répartis dans 22

diocèses de France et à l’étranger ; en 1863, leur nombre s’élève à 60 000 et

en 1885 à 80 000 28 . De plus, une indulgence de 100 jours est attachée à la

récitation de la prière :

« Ô Cœur saint et immaculé de Marie, si plein de miséricorde,

soyez touché de l’aveuglement et de la profonde misère des

pauvres Musulmans, etc. »

Les jours de fête en plus de la prière, il y a un cantique spécialement

composé en 1874 pour « la conversion des infidèles de l’Afrique 29 ».

L’apostolat par la prière est une arme spirituelle à laquelle il est fait

fréquemment appel dans les situations où manifestement un apostolat de la

prédication n’est pas possible. Il est appelé à se développer au XX e siècle

selon des modalités différentes et dans des cadres théologiques structurés,

mais très fluctuants au gré des objectifs recherchés : sanctification de la

prière des musulmans, théologie de la substitution, etc.

Dans ce cas précis, notons que l’association de prières vise tous les

musulmans et non pas spécialement ceux d’Algérie. Il est intéressant de

noter que la Turquie d’Europe – en fait, il s’agit officiellement de l’Empire

ottoman –, est nommée à part alors que l’Afrique et l’Asie apparaissent

comme des masses uniformes. Comment expliquer ce traitement de faveur ?

L’une des raisons est peut-être à rechercher dans le fait que les musulmans

d’Europe sont en grande majorité des Européens et qu’à ce titre, ils

bénéficieraient d’un statut distinct des autres musulmans.

À cette vision planétaire de l’islam, se greffe la vision d’un catholicisme

universel si l’on en croit les chiffres des affiliés. L’intercesseur choisi est

Marie, ce qui atteste une fois de plus de la prégnance de la piété mariale au


XIX e

siècle. Même si l’Église n’a de cesse de rappeler que l’objet de la

dévotion est le Christ et que Marie est l’un des intercesseurs, la dévotion

populaire place la figure mariale au cœur du dispositif spirituel. Les

origines lyonnaises de Pavy peuvent aussi expliquer le choix marial même

s’il entre aussi en parfaite résonance avec la spiritualité qui traverse tout le

siècle. Le dernier élément à retenir est la qualification d’infidèles pour les

musulmans qui sont dans « l’aveuglement et la profonde misère ». La

terminologie a du sens, le terme d’infidèle est très fort puisqu’il renvoie à

l’absence de foi, celui d’aveuglement n’est pas sans rappeler le statut de la

Synagogue.

Si les deux premiers évêques d’Algérie ne peuvent pas structurer la

mission auprès des musulmans pour les raisons exposées, la solution est

trouvée par Lavigerie avec la fondation des pères blancs. En l’absence de la

solution du vicariat apostolique, la création d’un ordre religieux destiné à

l’apostolat en direction des populations colonisées permet de satisfaire

Rome et Paris à la fois. Une séparation intervient de facto : au clergé

séculier les Européens et le cadre concordataire, au clergé régulier les

musulmans et les œuvres spécifiquement missionnaires. Pourtant, cette

dichotomie n’est opératoire que sur le papier. En effet, les frontières, loin

d’être étanches, sont soumises aux contingences du statut politique de

l’Algérie sur lequel s’est greffé le cadre religieux et qui en fait à la fois une

terre diocésaine – métropolitaine et coloniale – et un territoire de mission.

Toutefois, des hommes sont clairement destinés à l’évangélisation des

musulmans : les pères blancs.

CONVERTIR LES MUSULMANS : LE RECYCLAGE DU MYTHE

KABYLE

Les pères blancs, des missionnaires pour les musulmans


Le choix des Kabyles

L’initiative de la fondation des Missionnaires d’Afrique ou pères blancs,

revient à l’archevêque d’Alger, Mgr Lavigerie (1825-1892 30 ). Un de ses

grands objectifs, quand il arrive à Alger, est de ressusciter l’ancienne Église

d’Afrique. Le fer de lance de cette ambitieuse entreprise est trouvé en

Algérie, il s’agit des populations kabyles, chez qui persisterait un fonds de

christianité 31 . Ce choix des Kabyles n’est pas neutre. Il est l’écho du mythe

selon lequel l’islamisation du Maghreb n’aurait été que partielle sur les

tribus montagnardes et plus particulièrement sur les Kabyles 32 . Comment

s’est-il forgé ?

Il s’agit de la construction par des officiers français, pétris de saintsimonisme

et d’idéal républicain, formés à l’École polytechnique 33 , engagés

dans la conquête d’un territoire, la Régence d’Alger, d’un discours sur les

populations rencontrées. Il faut bien garder à l’esprit que le mythe s’est

construit sur plusieurs décennies et qu’il est le résultat de plusieurs

discours, à ce titre il est polymorphe. De plus, il s’est complexifié avec des

réflexions des orientalistes métropolitains et des nouvelles idéologies

comme celle de la race ou encore par de nouveaux concepts élaborés dans

les sciences humaines comme par exemple la linguistique (opposition

langues indo-européennes/langues sémitiques) et l’ethnographie ou les

« sciences exactes » comme l’anthropologie physique. D’autre part, il n’est

pas question de dresser un quelconque acte d’accusation : les gens n’ont pas

eu conscience de construire une image de l’Autre.

Ces militaires, supposés maîtriser la langue arabe et les langues

berbères, sont devenus, de facto, des experts « ès islam » par leur seule

maîtrise des langues. Leur description de la religion a été effectuée dans un

objectif militaire, donc ce qu’ils recherchaient en priorité, c’était les

éléments éventuels de sédition, en d’autres termes ce qui pourrait poser

problème pour le maintien de l’ordre. Ces préoccupations ont orienté leurs

champs d’investigation et mis en évidence, ce qui est logique pour un


militaire, la dangerosité potentielle de la religion des populations soumises.

C’est de là que daterait la perception de l’islam sous l’angle institutionnel et

belliqueux, même si ce n’est pas eux qui l’ont inventée et que cette vision

remonte au moins aux croisades. Cependant, ils font partie de ceux qui ont

contribué à en livrer une lecture réactualisée au XIX e . Les productions des

militaires permettent de réactiver in situ les discours qui insistent sur les

aspects dangereux et « fanatiques » de l’islam.

La première étape consiste dans la description des sociétés qu’ils

rencontrent en tant que militaires marqués par certaines idéologies et en

situation de guerre. La principale observation est l’existence de différences

entre les populations rencontrées et la nécessité de nommer ces différents

groupes après les avoir identifiés à partir d’un certain nombre de critères : la

langue, l’organisation sociale et politique, les « mœurs et coutumes » et

enfin la religion. Ce constat ne peut être en soi nié ni même minimisé : il

existe bien des groupes qui se distinguent en fonction de plusieurs critères.

La deuxième étape dans la réflexion est d’élaborer des catégories et de

construire une théorie explicative de ces différences. Deux grands groupes

apparaissent sous leur plume : les « Kabyles » et les « Arabes ». Or, un

certain flottement est décelable pendant quelques décennies sur la définition

des Kabyles et par rapport aux Arabes et par rapport aux Berbères ; de plus,

jusqu’à la fin des années 1850, 1857 précisément, il n’est pas vraiment

possible de se rendre en « pays kabyle », car ce dernier n’est pas encore

conquis par les Français. Cet obstacle n’empêche pas ces officiers de

décrire la société kabyle soit à partir d’analogies soit à partir de récits de

voyageurs ou de militaires qui se trouvent en bordure de ce « pays kabyle ».

La délimitation géographique de la petite et de la grande Kabylie n’est

d’ailleurs pas, elle aussi, stabilisée avant les années 1850. Les catégories

sont établies sur la base d’une différence entre « Kabyles » et « Arabes ».

Ce fait ne peut qu’être confirmé tout en étant nuancé dans la mesure où des

spécificités kabyles se retrouvent chez d’autres populations « berbères »


comme les tatouages cruciformes. Le terme ne doit pas induire en erreur,

car il n’existe pas plus de Berbère authentique en Algérie que de Gaulois en

France au XIX e siècle, et a fortiori aujourd’hui. Le nord de l’Afrique a été

une zone de brassage de populations sur un substrat ancien qui, depuis au

moins l’Antiquité, a connu de nombreux mélanges. Ce qui ne signifie pas

qu’il n’existe pas de cultures berbères qui s’interpénètrent avec d’autres

cultures et vice et versa. Qui pourra nier l’influence des Arabes, des

Andalous ou encore des Ottomans ? À partir de ce constat de la différence

entre populations, les militaires en ont déduit une supériorité des

« Kabyles » sur les « Arabes ». La conséquence de cette supériorité

supposée des uns sur les autres a été d’envisager que les Kabyles étaient

plus proches des Français que les Arabes ne pouvaient l’être. Cette

proximité faisait des Kabyles des candidats à l’assimilation. Le mythe

kabyle est donc le discours qui établit une hiérarchie dans laquelle les

Kabyles se trouvent en haut. Ce mythe du « bon Kabyle » n’allait pas

résister aux attaques de Chronos.

Si dans un premier temps l’héroïsme des Kabyles dans la résistance à la

conquête militaire renforce l’admiration des producteurs du mythe que sont

les militaires, la grande révolte de 1871 et la politique extrêmement dure de

répression menée en Kabylie ont mis un sérieux bémol à l’appréciation

positive. De plus, les colons ont vécu la grande révolte –

200 000 combattants, 800 000 insurgés – comme une trahison de la part

des Kabyles. Ne perdons pas de vue qu’entre-temps le mythe avait transité

dans les milieux universitaires parisiens et avait évolué. Cependant, le

mythe connaît un sérieux revers, comme tout mythe, quand ses producteurs

n’en ont plus besoin.

En effet, l’évolution de la colonisation, avec l’arrivée progressive

d’Européens, diminuait considérablement le rôle des Kabyles comme

interlocuteurs privilégiés. La « nouvelle race latine » était en train de se

forger, non sans difficultés, et les progrès réalisés par les idéologies racistes


ne laissaient plus de place à la fin du XIX e

siècle à une politique

d’assimilation même limitée aux seuls Kabyles. Ils regagnaient – mais

l’avaient-ils vraiment quitté ? – le camp des colonisés, sans bonification. De

plus, les rivalités entre administrations civile et militaire ont évolué au

détriment de l’armée.

On peut se demander ce qui dans les sociétés kabyles rencontrées avait

pu laisser suggérer une proximité avec la société française. Les officiers

avaient déduit de leurs observations que les Kabyles étaient des sédentaires,

à la différence des Arabes qui étaient des nomades. La découverte des

villages kabyles et de l’existence du commerce n’a fait que renforcer cette

impression avec comme corollaire un Kabyle travailleur et un Arabe

fainéant. De plus, leurs techniques guerrières laissaient percevoir un

individualisme et un jusqu’au-boutisme qui traduisaient la vaillance, mais

plus encore l’attachement à la terre, sentiment inconnu du nomade, toujours

dans un regard français. Le caractère sédentaire de cette société attestait

d’un niveau supérieur de civilisation dont le nomadisme était le degré zéro.

Le Kabyle combattait donc pour la sauvegarde de son village et de son

indépendance à la différence de l’Arabe qui, lui, se battait pour l’islam. À

cela s’ajoutait que les Kabyles vivaient dans une société « égalitaire 34 »,

propre à plaire aux officiers saint-simoniens, et les Arabes vivaient, eux,

dans une société « féodale ». La « démocratie au village » était donc plus à

même, pensait-on, de permettre une assimilation à la société française qui

en avait fini avec les affres médiévales du monde féodal, à comprendre dans

le sens d’arbitraire quand il s’agissait du « féodalisme arabe ». Sur le plan

« moral », le Kabyle s’avérait plus moral car pratiquant peu la polygamie et

laissant, pensait-on, une place plus importante aux femmes 35 , à la différence

une fois de plus de l’Arabe dont le goût de plaisirs charnels n’était plus à

démontrer, d’autant plus que sa religion le lui permettait. La question

religieuse n’était plus de mise, pour ce qui concerne la religion des Kabyles,

car une théorie en faisait des descendants de Germains aryens qui s’étaient


opposés aux Vandales. La preuve se trouvait dans les tatouages cruciformes

des femmes. Cette ascendance germanique se traduisait aussi dans

l’existence d’un droit que des officiers eurent tôt fait de repérer comme

proche du droit romain, ce qui ne pouvait que favoriser un rapprochement

avec le droit français. Les officiers en déduisirent une islamisation

superficielle qui les rendait plus assimilables que les Arabes trop

religieux 36 . En parallèle au mythe du « bon Kabyle » se forgeait celui du

« mauvais Arabe ». Il était en tout le symétrique opposé. La langue arabe

était classée dans la famille des langues sémitiques, inférieures aux langues

indo-européennes. Sur le plan politique triomphait la « féodalité », soit ce

mélange d’arbitraire et d’archaïsme. Sur le plan religieux, le fanatisme de

l’islam et du « musulman » avait de beaux jours devant lui. Le corollaire de

sa religion se traduisait sur le plan « moral » par des propensions à la

fainéantise, à la concupiscence, bref à être l’Oriental exotique et érotique.

Le pouvoir attractif du mythe serait retombé, au moins chez les laïques,

à la fin du XIX e siècle.

Pourtant, il reste opératoire dans les milieux catholiques pour qui les

Kabyles auraient maintenu un patrimoine chrétien qu’il ne resterait qu’à

réactiver. Toute une littérature se construit alors cherchant à déceler un

certain crypto-christianisme dans les coutumes et mettant en exergue

surtout les différences entre les Kabyles et les habitants « arabisés » de la

plaine. Rappelons que les habitants de la plaine, dans leur écrasante

majorité, ne sont pas plus que ceux des montagnes des « Arabes ». Ces

derniers n’ont pas pu pratiquer de colonisation de peuplement, se sont

généralement installés dans les villes, quelques siècles auparavant et ont

conclu des alliances matrimoniales avec les populations rencontrées.

D’autre part, les Arabes sont loin d’avoir été les seules populations à s’être

installées dans cette zone. De plus, les particularités de l’islam kabyle

peuvent se retrouver dans d’autres populations, sous d’autres formes, tant il

est vrai que l’islam maghrébin présente ses propres caractéristiques et ce


jusqu’à nos jours. Il faut aussi savoir que des pratiques religieuses

spécifiques ne présagent en rien d’une islamisation superficielle, mais

simplement d’une religiosité différente. Rappelons que l’islam comme le

christianisme sont des religions à ambition universelle qui sont entrées en

contact avec des croyances et des pratiques avec lesquelles elles ont dû

composer. C’est ce qui explique la diversité des pratiques qui peuvent se

revendiquer de l’islam comme du christianisme jusqu’à nos jours.

La méthode Lavigerie et ses avatars

Quoi qu’il en soit, l’imaginaire constitué autour du mythe kabyle a été

suffisamment porteur pour inciter l’archevêque d’Alger à entreprendre une

évangélisation. Cette politique est poursuivie par ses héritiers comme en

témoigne l’importance des installations des pères blancs en Kabylie en

comparaison du reste de l’Algérie. L’archevêque en appelle toutefois à la

prudence face à des autorités françaises hostiles, selon lui, à tout

prosélytisme religieux 37 . Il fonde la Société des Missionnaires d’Afrique

lors de la grande famine de 1866 qui touche l’Algérie 38 . Deux villages sont

ensuite fondés pour prendre en charge les orphelins, Saint-Cyprien et

Sainte-Monique (nom de la mère d’Augustin 39 ). L’encadrement de ces

villages est assuré par des missionnaires qui doivent aussi visiter les

populations musulmanes 40 , mais bien souvent ils ne le peuvent pas. En

revanche, la rencontre avec les musulmans est prévue à l’école et à

l’hôpital. L’école ne rencontre pas dans les premières années un grand

succès, à la différence de l’hôpital 41 . Le problème de l’enseignement dans

l’Algérie coloniale est complexe 42 . Si, dans un premier temps, les

populations soumises refusent d’envoyer leurs enfants à l’école française,

vers le début du XX e siècle un changement s’opère dans les mentalités, en

particulier chez les Kabyles : l’étude du français apparaît alors comme un

gage de réussite sociale.


L’expérience des villages chrétiens n’est pas renouvelée. En 1876,

Lavigerie y met un terme, car financièrement la gestion de ces villages

s’avère onéreuse et parce que ces noyaux d’Arabes chrétiens ne réussissent

pas à constituer les pôles religieux espérés par l’archevêque 43 . Les causes

de ce manque de rayonnement sont multiples, mais si pour certains

missionnaires les convertis ne constituent pas le modèle attractif escompté,

c’est surtout du côté des populations musulmanes, peu disposées à la

conversion, que se trouve l’essentiel des explications 44 . Lavigerie ne

maintient qu’un personnel minimum dans ces deux villages et réoriente les

missionnaires vers la Kabylie et le Sahara 45 . Trois communautés s’installent

en Kabylie bientôt suivies par d’autres.

Le développement de la société s’est fait pendant les années Lavigerie

en conformité avec les idées du fondateur sur la mission. Il ne peut la

concevoir que par étapes, tant pour les musulmans que pour les Noirs, entre

lesquels il n’opère pas de véritable distinction comme en témoignent ses

Instructions 46 .

Dans un premier temps, l’objectif consiste à gagner les cœurs afin de

changer le milieu. Pendant cette phase, aucun prosélytisme n’est permis et il

est interdit de parler de religion tout en se présentant comme homme de

Dieu. Concrètement l’action doit se manifester à travers les écoles et les

dispensaires. Dans un deuxième temps, renouant avec les pratiques de

l’Église primitive, il rétablit le catéchuménat. Il le subdivise en une période

d’instruction, le postulat, d’un ou deux ans durant lesquels aucun des

mystères chrétiens ne doit être abordé et où le postulant n’est pas admis au

culte. Pendant la deuxième période on aborde le catéchuménat à proprement

parler. Durant deux années les mystères chrétiens tels que l’Incarnation, la

Trinité, la Rédemption sont enseignés, mais il est encore interdit de parler

des sacrements à l’exclusion de celui du baptême. Une fois baptisé, il est

alors possible d’exposer les autres sacrements comme moyens pour mener

une vie chrétienne 47 .


L’objectif n’est donc pas de baptiser mais de gagner les cœurs. Le

cardinal ne souhaite pas dépasser ce stade en Afrique du Nord avant

longtemps, même s’il lui arrive ponctuellement de déroger en acceptant le

baptême d’adultes, toutefois il s’agit là d’exceptions. Sa démarche ne fut

pas toujours comprise par ses missionnaires et ce même de son vivant 48 .

Le fond du débat est d’ordre théologique : le cardinal ne semble pas

faire du baptême la condition sine qua non du salut. C’est là l’une des rares

explications possibles pour justifier ses réticences face au baptême. De plus,

Lavigerie, très sensible à l’univers culturel de l’islam, redoute les apostasies

qui ne peuvent, pense-t-il, qu’avoir lieu dans un milieu non préparé aux

conversions au christianisme. L’expérience des villages chrétiens s’étant

soldée, selon lui, par un échec, il ne faut envisager de baptême que si les

convertis demeurent dans leur milieu d’origine. Il refuse d’en faire des

assistés tributaires de l’aide permanente des missionnaires et vivant dans un

monde à part.

Dans les années qui suivent la mort du fondateur, l’avenir même de la

mission en Afrique du Nord semble hypothéqué. La fin du XIX e siècle est

caractérisée par une tension croissante entre l’Église et l’État français qui

aboutit à la Séparation de 1905. Certes, la loi n’est pas appliquée dans toute

sa rigueur en Algérie, mais elle entraîne, malgré tout, certaines

modifications. Les missionnaires d’Afrique se sentent aussi menacés par la

législation française contre les congrégations 49 . À ces éléments extérieurs

s’ajoutent les divisions internes qui pourraient mettre en péril la mission

auprès des musulmans. Les divergences viennent du contraste entre l’essor

de la mission en Afrique Équatoriale et les faibles succès rencontrés en

Afrique du Nord, alors que se pose un problème de personnel et donc de

priorités à établir 50 . En outre, le cardinal n’avait rédigé que des

constitutions provisoires et il faut attendre le Directoire de 1914 pour que

les problèmes de l’apostolat, abordés pour le monde musulman lors du

chapitre de 1912, soient tranchés. Or, dès la mort de Lavigerie, des


changements dans la pratique missionnaire apparaissent. En 1894, le père

Malfreyt, provincial d’Algérie-Kabylie (1894-1897) envisage de passer à la

deuxième phase de l’évangélisation 51 . Il préconise, conformément au

Chapitre de 1894 sur la Kabylie, d’assurer une instruction religieuse à tous

ceux susceptibles d’y être sensibles : « Le temps de la sage réserve imposée

jadis par notre vénéré Fondateur, Son Éminence le Cardinal Lavigerie

semble fini 52 . » Le père Malfreyt demeure prudent puisqu’il ajoute : « Nous

pouvons et nous devons marcher de l’avant en matière religieuse, tout en se

gardant bien de le dire et tout en restant dans les limites de la prudence. »

Toutefois, la rupture avec la période précédente est manifeste. Plus qu’une

révolution dans les conceptions de l’apostolat, n’est-ce pas l’expression

officielle de pratiques ou du moins de velléités jusque-là tues ? L’émulation

avec les confrères d’Afrique Équatoriale a dû faciliter cette nouvelle

optique et ainsi donner aux jeunes missionnaires le sentiment plus clair

d’œuvrer pour la mission.

Dans la pratique, les supports de l’action ont peu différé. Écoles,

dispensaires et visites à domicile constituent toujours les vecteurs de

l’apostolat. L’école reste le lieu privilégié pour préparer la mission car, à

travers les internats, il est possible d’instruire de jeunes gens si leur famille

est consentante 53 . Des conversions ont lieu comme le rappelle la conférence

de Boh Noh 54 . Le succès numérique n’est pas très important, mais il faut

tenir compte du petit nombre de missionnaires présents pour avoir une idée

juste du travail apostolique. Néanmoins, les interrogations demeurent quant

aux raisons de l’échec de l’évangélisation des musulmans : comment

concilier l’intégration au milieu, qui doit passer par la maîtrise de la langue,

et les attentes de populations pour une instruction en français ? Que faire de

convertis désormais exclus de leur milieu d’origine ? Quelle part accorder

aux traditions locales ?

Dès lors, la mission auprès des musulmans ne semble plus obéir à des

règles communes et se caractérise par le manque d’unité. Toutes les


tendances peuvent s’exprimer comme le signale le père Vidal à

Mgr Livinhac 55 :

« Les uns prétendent qu’il faut d’abord détruire l’islamisme dans

l’âme du Kabyle avant d’y asseoir l’Évangile. D’autres disent

qu’il faut instruire, car la vérité par elle-même chasse les

ténèbres 56 […]. »

La réflexion sur l’apostolat en milieu musulman reste très féconde dans

cette période, comme en témoignent les travaux de Baldit ou encore cette

organisation de pères blancs en vue du V e Congrès anti-islamique 57 . Ce

document, daté du 30 août 1909, est un compte-rendu de la réunion

préparatoire au V e Congrès anti-islamique. Aucune mention de ce congrès,

ni des précédents, n’a été rencontrée dans la documentation consultée. Lors

de cette rencontre deux grandes décisions sont prises. La première est la

création « d’une revue anti-islamique à l’usage exclusif des

Missionnaires ». Les objectifs sont doubles, faire bénéficier les

missionnaires de connaissances sur les questions relatives à l’apostolat et à

la controverse en pays musulmans et préparer la formation intellectuelle des

missionnaires. La seconde grande décision est dans la continuité de l’action

de la revue puisqu’il s’agit de donner aux missionnaires les possibilités pour

se former.

Face à cette profusion des orientations, le Chapitre de 1912 décide de se

donner une ligne cohérente. Outre l’élection d’Henri Marchal 58 comme

assistant du supérieur général, le Chapitre rappelle l’un des principes clés

du fondateur : le but n’est pas de baptiser des individus mais de former une

société chrétienne. C’est la voie sur laquelle s’engagent les pères blancs,

mais elle n’est pas celle qui a les faveurs de tous les pères. Les débats

attestent surtout d’une grande division au sein des pères blancs quant à la

démarche apostolique à envisager, car elle est fonction de la perspective


sotériologique, de la définition de la mission qui en découle et de

l’approche du peuple que l’on a à évangéliser.

Théologies de la mission

Derrière la mission auprès des musulmans, se profilent d’autres débats

décisifs à la mission catholique dont celui du salut. La finalité de tout

apostolat est de permettre de sauver des âmes. Or, l’Église n’a jamais défini

de manière positive les conditions requises pour obtenir le salut, elle a

procédé de manière négative en indiquant ce qu’il ne fallait pas faire pour

ne pas être exclu du salut. Néanmoins, si l’universalité du salut est admise

pour tous, celui-ci demeure difficilement accessible pour les non-chrétiens.

Des réponses très variables sont proposées par la théologie catholique,

reposant sur la distinction Église visible/Église invisible. Elles débouchent

sur la question de savoir si l’adhésion formelle au catholicisme est

indispensable au salut. Si elle l’est, la mission doit se faire selon le schéma

classique de prédication de l’Évangile et d’administration du baptême : il ne

saurait alors être question d’admettre la possibilité du salut en dehors d’une

appartenance à l’Église visible. Cette conception reste majoritaire au

XIX e siècle et se maintient dans l’entre-deux-guerres. C’est pourquoi les

missionnaires témoignent dans leurs rapports adressés à leurs supérieurs de

leur satisfaction d’avoir pu baptiser des moribonds 59 . Dans l’hypothèse

inverse, où l’adhésion au christianisme n’est pas l’adhésion à l’Église, une

mission rénovée peut alors être envisagée et, dans une certaine mesure, le

salut devient possible hors de l’Église visible. Sans doute, la théologie de

l’Église invisible est-elle admise de manière classique par l’institution, mais

cette dernière n’en a pas tiré toutes les conséquences pour la mission, d’où

des positions très fluctuantes sur l’économie du salut. La coïncidence entre

Église visible et Église invisible s’impose à certains, alors que d’autres

admettent une vision plus large. Entre ces deux positions coexistent une

multitude de pratiques. Ainsi, Lavigerie croit en la possibilité du salut sans


que le sacrement du baptême en constitue la condition sine qua non.

L’archevêque d’Alger devait être persuadé de cette possibilité de salut, en

avoir eu l’intuition théologique, car il ne pouvait trouver dans la théologie

du XIX e siècle les ancilla theologiæ, pour paraphraser les scolastiques,

susceptibles de justifier sa pastorale. Mais il bouleverse dans le même

temps la conception classique de l’action missionnaire qui consiste à

annoncer l’Évangile et à administrer le baptême. Cette mission rénovée est

difficile à admettre pour certains pères blancs du vivant de leur fondateur,

car elle remet en cause le sens même de leur engagement, et elle se trouve

discutée à la disparition du cardinal. Lavigerie a fait preuve, sur la question

de la sotériologie, d’une modernité annonciatrice de celle de Foucauld.

La mission autrement, le père Charles

Charles de Foucauld (1858-1916) est sans nul doute la figure la plus

populaire et la plus controversée parmi les pionniers d’une nouvelle

démarche missionnaire. On le sait, le personnage n’est pas sans ambiguïté,

parce qu’il reste un homme de son temps, fidèle à ses engagements et à ses

amitiés de jeune officier. Ses activités de renseignement au service de

l’armée française ont suscité une abondante littérature, d’abord pour servir à

la glorification du patriote, puis pour alimenter la démystification de l’agent

double, au point d’en faire le prototype du missionnaire masquant ses

convictions colonialistes. Mon propos n’est pas d’entrer dans ce débat,

probablement sans fin, mais de rappeler pourquoi le frère Charles a

constitué un modèle alternatif pour des catholiques épris d’un engagement

missionnaire d’un nouveau type.

Son itinéraire prend sa source dans la spiritualité classique de

l’imitation du Christ, mais il en tire des conclusions radicales, propres à

renouveler en profondeur l’idéal missionnaire. Charles de Foucauld

inaugure son itinéraire par cet indispensable retour aux sources qui, au

lendemain de sa « conversion », inspire tous ses choix ultérieurs. De la


Trappe de Notre-Dame-des-Neiges au séjour en Syrie et en Palestine, il

expérimente, en se mettant dans les traces de Jésus, une forme de vie

érémitique qui passe par le renoncement au monde et le choix d’une totale

pauvreté évangélique. Ordonné prêtre en 1901, il s’installe à Beni-Abbès,

puis dans le fameux ermitage de Tamanrasset en 1905. Assassiné le

1 er juillet 1916, il semble avoir échoué dans un projet qui prenait à contrepied

le modèle missionnaire courant. Pourtant, radicalité et nonconformisme

ne tardent pas à devenir des modèles qui stimulent l’invention

et l’exploration de nouvelles voies.

À la mission itinérante, qui quadrille l’espace et repousse les limites

géographiques de l’Église visible, il substitue la mission immobile. À la

stratégie de la mission par le haut, celle des rois et des élites, il préfère le

choix de la dernière place et du dénuement absolu. Renonçant enfin à la

prédication offensive et au prosélytisme, il privilégie l’adoration

eucharistique et entend se faire l’hôte des populations, jusqu’à entrer dans

leur complète dépendance.

Sans doute ne faudrait-il pas conclure à une rupture totale avec l’idée

missionnaire telle qu’elle s’est épanouie au XIX e siècle. Charles de Foucauld

rejoint une longue tradition missionnaire quand il se lance dans l’étude de la

langue et l’élaboration d’un dictionnaire franco-touareg. De plus, la

conversion des musulmans reste bien l’horizon de son action, même si le

temps de l’annonce n’est pas encore venu, ce qui explique d’accepter un

temps de présence et de renoncer aux conversions. Mais le marabout

chrétien n’expose pas de théologie de la mission révolutionnaire. La prière,

à laquelle il consacre sa vie, est doublée d’une théologie de la substitution

qui marque les limites de la reconnaissance de l’islam comme message

religieux. Il n’en reste pas moins que sa pensée et son exemple sont

porteurs d’approches novatrices, tant dans la compréhension de l’islam que

dans la conception de la vie communautaire en pays de mission 60 . Charles

de Foucauld esquisse ainsi une réponse catholique à l’échec missionnaire


pour convertir les musulmans. C’est pourquoi, bien au-delà de la famille

spirituelle qui se réclame de son exemple dans les années 1930 – les petits

frères et les petites sœurs de Jésus –, il va constituer une référence pour tous

ceux qui cherchent à sortir de l’impasse. Il rompt avec la mission pour

passer au témoignage : ce n’est pas l’action sociale mais une vie de prière

qui doit attirer.

Si les questionnements et les techniques d’apostolat demeurent

nombreux en direction des musulmans, les réflexions sur les convertis et sur

les « Arabes chrétiens » sont tout aussi fondamentales.

Les « Arabes chrétiens »

Les deux villages d’« Arabes chrétiens » fondés par Lavigerie sont

devenus, au premier abord, des villages de « vieux christianisme ». Ainsi, à

l’instar des autres paroisses, des missions y sont prêchées et la SRA du

19 mars 1905 rend compte de l’une d’entre elles. Deux missions ont été

prêchées en simultané à Sainte-Monique et à Saint-Cyprien des Attafs.

L’article de la revue ne manque pas de rappeler les conditions de la

fondation de ces deux villages, i. e. la famine de 1867 et le recueil des

orphelins par l’archevêque d’Alger. Puis,

« Le 9 février 1873, le P. Feuillet vint des Attafs avec les grands

jeunes gens arabes qui devaient choisir leurs épouses ; il les

conduisit à Saint-Charles où se trouvait l’orphelinat des filles

arabes ».

La date du mariage et de l’installation est alors fixée au 15 mars 1873.

Chaque couple a reçu une maison, un champ et des bœufs. Pères blancs et

sœurs blanches se sont maintenus auprès de ces nouvelles familles. Après

ce rappel historique, l’article relate les conditions de la mission à laquelle


assistait une cinquantaine d’hommes, une soixantaine de femmes et de

jeunes filles et une quarantaine d’enfants. « J’avais là, à mes genoux, à côté

de moi des fils de l’Islam convertis, priant Jésus-Christ dans la belle langue

de saint Louis ! » Se pose la question de savoir à partir de quelle génération

on cesse d’être un converti : dans quelle mesure les enfants nés de parents

convertis au christianisme demeurent eux-mêmes des convertis ? Quant à la

référence à saint Louis, si elle est pour le moins curieuse au vu de

l’évolution de la langue depuis le XIII e siècle, elle n’en est pas pour autant

anodine, car elle renvoie de manière tacite à la croisade. Le missionnaire

leur a rappelé leur histoire ainsi que « tous les bienfaits de tant de

catholiques de la Mère-Patrie qui s’étaient intéressés à leur malheureux

sort… » Le prêtre insiste sur le recueillement qu’envieraient bien des

paroisses peuplées d’Européens et témoigne de sa grande émotion à leurs

chants :

« Ce n’était plus la voix criarde, monotone des musulmans,

c’était l’organe souple et exercé de l’Occidental. La religion

adoucit même les voix. »

La dévotion des paroissiens est totale si l’on en croit l’ecclésiastique qui

indique que tous les jours de la semaine, pour les exercices du soir comme

pour ceux du matin, l’église est pleine. Il précise que, du mercredi au

dimanche, le confessionnal a été pris d’assaut et que l’apothéose est

intervenue le dimanche pour le dernier jour de la mission. La description de

la mission est en tout point conforme à celles des autres missions qui se

déroulent dans le diocèse. La spécificité de ce village peuplé d’autochtones

chrétiens n’est pas perceptible à travers les écrits. Un constat similaire

s’impose lors de la tournée de confirmation effectuée en 1911 61 par

Mgr Piquemal.


À Saint-Cyprien, le prélat a été accueilli par les pères Baldit et

Monnier : « sous un dais que portent les anciens du village, Monseigneur se

dirige vers l’église au chant du Magnificat et du cantique : Je suis

chrétien. » Dans l’édifice religieux se trouve la statue de saint Cyprien. Le

supérieur des pères blancs, Livinhac, est présent, ce qui atteste des liens

indissolubles entre les villages et la société des missionnaires d’Afrique. Le

rédacteur de l’article est sensible aux chants religieux : « Les chanteuses de

Saint-Cyprien exécutent avec un accord parfait et une voix bien dirigée un

motet à deux voix et le Regina coeli de Lambillotte. L’assistance entière

chante à l’unisson les autres parties de l’office. » Le lendemain a lieu la

première communion :

« Comme entrée, les jeunes chanteuses font entendre un Ecce

Sacerdos de belle allure, à trois voix, La Messe royale est

chantée à deux chœurs bien nourris, hommes et femmes ; car

tout le monde chante à Saint-Cyprien, avec un entrain parfois

difficile à modérer. […] Aux habitants du village sont venus

s’adjoindre les colons des fermes environnantes et les

catholiques des Attafs et de Wattignies. »

La mémoire de Lavigerie ne manque pas d’être saluée. Piquemal visite

ensuite toutes les œuvres notamment celles des sœurs blanches : l’hôpital

Sainte-Elisabeth et l’ouvroir indigène où les religieuses apprennent aux

jeunes filles à tisser les tapis. Il est précisé que « ces travaux ne le cèdent en

rien aux plus belles productions des ouvroirs similaires que le

Gouvernement général multiplie en Algérie pour encourager l’art

indigène ». L’auteur de l’article entend bien rappeler que l’Église participe à

la mission civilisatrice comme les laïcs. Il est aussi question d’un petit

pèlerinage qui atteste de l’organisation d’une dévotion locale avec la

présence d’une chapelle que les habitants désignent sous l’appellation de


basilique de Notre-Dame d’Afrique : « À cette chapelle, chaque année, tous

les villages de la plaine se rendent en pèlerinage. » Il s’agit en fait de Notre-

Dame d’Afrique du Chélif. Tout comme en France les sanctuaires mariaux

se développent et quadrillent le territoire, créant ainsi des espaces du sacré

catholique de « proximité ».

Piquemal poursuit sa tournée à Sainte-Monique qui se trouve à 6 km de

Saint-Cyprien. Il y est reçu avec la même qualité d’accueil : salves de coups

de fusil et chœur de jeunes filles. « L’annexe de Rouïna, qui comprend

400 catholiques, s’est réunie à l’église mère. Les colons de ce village, les

directeurs et les ouvriers des mines de fer sont venus en grand nombre. » Il

est intéressant de constater que Rouïna est l’annexe de Sainte-Monique.

Dans l’annexe de Rouïna des dames catéchistes qui œuvrent pour les

enfants, le chœur, un patronage et une bibliothèque. Piquemal rappelle « …

la charité du cardinal Lavigerie et témoigner aux vaillants chrétiens qui ont

quitté l’Islam pour embrasser la Croix » et précise que :

« La communion fréquente est en honneur à Sainte-Monique ; au

jour de Pâques on ne comptait que deux abstentions parmi les

habitants du village chrétien ; tous les autres avaient rempli le

devoir pascal. »

Piquemal se rend aussi chez les sœurs blanches. La tournée ressemble à

toutes les autres tournées. La SRA livre une vision idéalisée de ces chrétiens

qui ne correspond pas à d’autres discours et notamment ceux de

Lavigerie 62 .

La dernière mention des chrétiens des Attafs date de 1914 et relate

l’« hommage des Arabes chrétiens à Mgr Combes 63 ». Le texte est livré en

arabe avec la traduction suivante :


« Notre père Monseigneur, nous Vos enfants en Dieu, remercions

Notre Seigneur qui Vous a donné les cinquante années dans son

Église, et demandons qu’il Vous conserve longtemps pour le

bien du pays, où vous avez tant fait de bien. Les Arabes

convertis de la Régence. »

Toutefois, la traduction que je propose diverge quelque peu :

« Notre père monseigneur, nous vos enfants en Dieu, nous

rendons grâce à notre seigneur le messie 64 qui vous a donné

cinquante ans dans notre Église et nous demandons qu’il vous

laisse à nous longtemps pour le bien du pays où vous avez fait le

bien. Les musulmans chrétiens du pays (ou les musulmans

christianisés). »

Ma traduction renseigne d’une part sur le vocabulaire théologique en

vigueur, al-masih, le messie, n’est pas al-rabb, le seigneur, et d’autre part

sur la terminologie qu’ils utilisent pour se désigner : ils ne se désignent pas

comme « arabe » et le mot de Régence n’apparaît pas dans le texte en arabe.

La formule pour laquelle ils optent est une hybridation entre leur ancienne

condition et leur nouvelle religion. Ils ne se perçoivent pas comme chrétiens

à l’image des Européens, mais restent attachés à une certaine filiation. Ce

vocable de « musulmans chrétiens ou de musulmans christianisés » est-il

d’eux ou doit-il être attribué aux missionnaires d’Afrique ? Dans le texte

arabe ils ne recourent jamais au vocable « Arabe » pour se désigner. Or, il

peut apparaître paradoxal que le texte français l’utilise dans la mesure où le

discours évangélisateur fondateur repose sur la distinction entre « Kabyles »

et « Arabes ». Le mythe kabyle n’est opératoire que si les populations ne

sont pas « Arabes ». Par conséquent, sous la plume des rédacteurs de la

Semaine religieuse d’Alger, sont-ils à nouveau des « Arabes » à comprendre


dans le sens d’indigènes ? Eux ne se perçoivent pas dans cette grille

d’analyse.

De plus, le vocabulaire du texte arabe fait écho à la réalité du système

colonial pour lequel un musulman converti au christianisme restait, au

regard de la loi, un musulman dans le sens où il demeurait soumis au statut

personnel musulman « sans qu’il y ait lieu de distinguer ou non s’il

appartient au culte mahométan 65 ». Le statut des indigènes convertis et des

indigènes chrétiens par filiation est celui des indigènes musulmans. C’est

pourquoi l’argument souvent invoqué pour expliquer que les musulmans ne

pouvaient ni ne voulaient accéder à la citoyenneté française afin de ne pas

renoncer à leur statut personnel, s’il n’est que partiellement opératoire pour

les musulmans 66 , est complètement caduc pour les chrétiens indigènes. Il

faut savoir que l’abandon du statut personnel pour accéder à la citoyenneté

française n’est que l’arbre qui cache la forêt dans la mesure où il n’est

qu’un des éléments sur lequel les autorités et les élites musulmanes se sont

focalisées. De plus, les critères ont varié pendant la durée de la

colonisation : ils ne sont pas les mêmes en 1865 et après la Seconde Guerre

mondiale. D’autres conditions que la renonciation au statut personnel

prévalaient comme l’obtention du certificat d’étude. Or, le taux de

scolarisation est de 1,9 % en 1890, 6 % en 1930, 10 % en 1937, 14,6 % en

1954 67 pour les indigènes musulmans. La possession d’un titre de propriété

fait aussi partie prenante des conditions requises. L’indigence des

populations n’est plus à démontrer depuis les travaux fondateurs de

Germaine Tillion, qui mettent en évidence la « clochardisation » des

musulmans d’Algérie, et ceux de Pierre Bourdieu. Certes, il s’agit d’études

portant sur la seconde partie du XX e siècle, toutefois les conditions de vie

étaient autant, si ce n’est plus difficiles au XIX e

dans la mesure où les

révoltes donnaient lieu systématiquement à des confiscations de terre. À la

suite de la grande famine de la fin des années 1860, d’aucuns se sont plu,

comme le Dr Eugène Bodichon 68 , à imaginer une extinction des populations


à l’instar des Indiens d’Amérique. L’avenir devait leur donner tort, mais

cela est une indication supplémentaire des conditions d’existence. Ces

conditions imposées à l’accès à la citoyenneté ne concernent pas les

populations européennes.

Les chrétiens indigènes se retrouvent donc en situation de marginalité

sur le plan religieux vis-à-vis des autres indigènes et dans un statut

d’infériorité vis-à-vis des autres chrétiens. De plus, leurs rapports avec

l’institution ecclésiale ne sont pas toujours apaisés et reposent parfois sur

des malentendus culturels 69 . Ces difficultés renvoient à l’une des

interrogations centrales de la mission qui est celle de l’acculturation. Certes,

le terme n’existe pas encore mais sa réalité est un fait qui remonte, pour la

période moderne, à la querelle des rites chinois et atteste de la mise en place

par la réforme tridentine d’un catholicisme latin peu enclin à se dissoudre

qui, au contact de l’islam, renforce son identité. Cette tendance que l’on

constate face à d’autres religions est particulièrement prégnante vis-à-vis de

l’islam. Face à un système religieux structuré sur un modèle voisin du sien,

le catholicisme ne peut pas prendre le risque de s’acculturer. De plus, le

contexte colonial algérien ne peut que renforcer cette orientation et suscite

des réactions qui oscillent entre l’indifférence et la peur.

Entre indifférence et peur :

quelques perceptions catholiques

des musulmans

L’ISLAM, UN DÉCOR SONORE ET VISUEL

Un premier constat s’impose quand il s’agit d’analyser la vision

catholique des musulmans : ils sont les grands absents de la documentation


consultée. Au mieux, ils apparaissent en filigrane comme figurant du décor

colonial. Il arrive que leur présence soit signalée lors des tournées de

dignitaires religieux pour indiquer la chaleur de leur accueil 70 . C’est le cas

dans la sra du 18 mai 1900 dans un article intitulé : « écho de la visite

pastorale » : Djelfa, Bou-Saada, Boghar, Berrouaghia. Le texte décrit la

réception qui est faite à Djelfa à l’archevêque en la comparant à celle qui

avait été faite à Pavy en 1861. Cette année-là, les « Arabes » avaient tué des

habitants et l’évêque fut reçu par le curé accompagné de deux enfants de

chœur « dont l’un portait un bandeau autour de sa tête ensanglantée par un

coup de sabre, et le sacristain avait un bras en écharpe, brisé par coup de

feu ». Depuis, les temps ont changé et « les indigènes ressentent pour le

grand marabout des Français un respect et une confiance sans limite ».

C’est pourquoi, parce que pendant son séjour il a plu :

« … tous les indigènes de dire : “Le grand marabout est toutpuissant

; il a la crosse verte – c’est-à-dire la puissance de faire

verdir les champs – il obtient du Ciel tout ce qu’il veut !” »

Les caïds ont été admis dans l’église de Laghouat à l’occasion de son

inauguration et se seraient répandus en commentaires flatteurs sur Oury.

Puis, l’article souligne la grande délicatesse dans les invitations qu’ils lui

ont été faites avec le « déploiement de tout le faste oriental et de ses

délicatesses raffinées dont notre civilisation n’a même pas idée ». Nous

sommes avec ce récit dans le registre de l’Orient exotique. Force est de

constater que les articles qui évoquent les musulmans sont inaccoutumés.

Le silence des Semaines religieuses algériennes ne constitue pas une

exception : rares sont les périodiques catholiques qui font état de la

présence musulmane quand bien même celle-ci est majoritaire 71 . À la

lecture de la presse catholique, transparaît la curieuse impression d’une

Algérie peuplée des seuls catholiques dont sont également absents aussi


bien les protestants, les juifs, les musulmans, les agnostiques et les athées.

De fait, cette perception, loin d’être le seul fruit d’un imaginaire, traduit la

réalité d’une existence en vase clos, de sociétés en partie hermétiques les

unes aux autres et qui s’ignorent réciproquement. Cette distance qui

s’apparente à de la ségrégation, se trouve renforcée par l’existence d’une

société catholique en nombre suffisant pour faire abstraction de la pluralité

de l’environnement dans lequel elle évolue. Cette tendance ira en

s’accentuant après la Première Guerre et renforce un des traits des sociétés

coloniales.

Certes, la presse catholique est aussi le reflet de la répartition des tâches

inaugurée par Lavigerie qui confie les musulmans aux pères blancs et les

Européens au clergé séculier. Cependant, cette dichotomie ne saurait à elle

seule expliquer ce désintérêt. En effet, les catholiques, clergés et fidèles,

partagent avec le reste de la société la perception d’un monde où la

visibilité de l’islam et des musulmans est occultée dans les grandes villes où

la présence européenne se trouve concentrée, sauf dans des circonstances

précises.

Les regards du colonisateur sur l’islam ont évolué depuis la conquête,

mais une constante demeure : sa dangerosité supposée qui ne manque pas,

pense-t-on, de s’exprimer dès que l’occasion lui en est donnée. Discours

laïques et catholiques se rejoignent aussi sur ce thème.

PEUR ET CONTRÔLE : PRÉCEPTES DE L’ORDRE COLONIAL

Construction d’une altérité religieuse : l’islam

des orientalistes

Très tôt s’est développée une vision belliciste de l’islam qui remonte à

l’époque de la conquête musulmane et se renforce au moment des

croisades. Précisons que la langue arabe n’intègre pas le mot « croisades »,


al-hurub al-salibiyya, avant le XVI e siècle ; il s’agit alors d’un néologisme

qui apparaît sous la plume de chrétiens d’Orient. C’est par la suite

seulement que les musulmans saisissent le sens religieux des croisades. En

effet, pour eux, il ne s’agissait que de guerres de conquêtes.

Il faut aussi savoir que les premiers discours sur l’islam sont les

produits de religieux chrétiens : leur histoire serait trop longue à retracer ici.

Indiquons que pour le dernier représentant de la patristique orientale, Jean

Damascène, l’islam est une hérésie du christianisme. Le père Youakim

Moubarak a retracé les grandes lignes de cette approche pour les périodes

médiévales et modernes 72 . Les imaginaires se structurent de part et d’autre

car les musulmans produisent aussi des visions du christianisme et des

chrétiens. C’est avec cet héritage pluriséculaire que les Français abordent

les côtes du nord de l’Afrique en 1830.

Cependant, les nouveaux discours qui se structurent s’expliquent en

grande partie par les conditions de la conquête et par le monopole

intellectuel exercé pendant des décennies par les officiers : « C’est ainsi

qu’une bonne partie de ce qui n’était qu’une réaction subjective fut travestie

en érudition pour être absorbé dans le canon de pensée sur l’Islam 73 . » Il en

découle une vision belliciste liée, notamment, au fait que Abd el-Kader a

mené sa lutte au nom de l’islam. Depuis, les résistances des populations

sont essentiellement perçues en termes religieux.

La sécurité était la condition sine qua non du succès de la colonisation

de l’Algérie. Il était vital de repérer toutes les sources possibles de sédition.

L’une d’entre elles fut clairement identifiée dans l’islam. Dans cette

logique, l’islam a été envisagé comme un système idéologique et non

comme une religion, il a été perçu comme un obstacle à la pacification du

pays. Il a été vu comme à l’origine de toutes les formes d’opposition.

C’est ainsi qu’en 1844, dans une brochure publiée par le Gouvernement,

« Exposé actuel de la société arabe, du Gouvernement et de la législation

qui la régit », il est précisé, dès l’introduction, que le Coran amalgame loi


religieuse et aspects fondamentaux de la loi civile 74 . Le Coran est présenté

comme ayant lié de manière intime les intérêts de l’État avec ceux de la

religion, d’où la difficulté d’imposer un système administratif français sans

heurter les populations. Or, il faut rappeler trois données. La première est la

question des versets normatifs dans le Coran : ils représentent entre 150 et

250 versets sur environ 6 200 versets, soit moins de cinq pour cent des

versets. Deuxièmement, il faut bien comprendre que pour un militaire, ne

pas heurter les populations signifie ne pas se trouver en situation de

combats. Troisièmement, il y a probablement eu « placage », dans les

esprits des officiers saint-simoniens, de préoccupations franco-françaises

héritées de la Révolution comme la séparation de l’Église et de l’État et la

problématique de la sécularisation. Ainsi, dans leurs écrits ils envisagèrent

le « chef de l’État musulman » comme un « chef de l’Église » reprenant à

leur compte les a priori sur le fanatisme.

L’obsession majeure de ces officiers est la sécurité. C’est pourquoi leurs

recherches se sont focalisées sur les institutions de l’islam afin de contrôler

le pays et maintenir une stabilité :

« l’attention fut donc orientée vers celles des institutions

musulmanes qui renfermaient la possibilité de saper la sécurité

dans la colonie. Parmi les institutions jugées parmi les plus

importantes à cet égard, il y avait les “khouans” (ou confréries

secrètes) et les “marabouts” (ou saints vivants 75 ). »

L’une des œuvres en ce sens est l’ouvrage d’Édouard de Neveu, officier

saint-simonien membre de la commission scientifique, publié en 1845 : Les

Khouans. Ordre religieux chez les musulmans de l’Algérie, Paris, Guyot, (2

rééditions en 1846 et 1913, publication soutenue par le Gouvernement). Le

choix du titre « ordre religieux chez les musulmans » est révélateur d’un

placage intellectuel avec la comparaison comme outil d’analyse car la


référence de base reste l’Église catholique. La dangerosité des confréries est

mise en exergue :

« L’ouvrage ne fut pas une étude de la signification

institutionnelle de ces confréries en relation à l’Islam, mais un

exposé de leur potentiel comme paravent à la sédition 76 . »

Pour de Neveu, l’islam incarne l’obstacle au progrès. Il préconise de

remplacer les chefs de ces confréries par des hommes formés à la française.

Par la suite, il sera question « des hommes acquis à la France ». Les

imaginaires conditionnent la réalité puisque cet a priori sur la dangerosité a

eu des implications politiques bien concrètes dans la gestion de l’islam

pendant la période coloniale à travers les biens habous et la formation d’un

clergé. Cet ouvrage d’Édouard de Neveu a constitué pendant quarante ans

l’une des références avec un autre ouvrage publié en 1884 dont l’auteur est

lui aussi officier des bureaux arabes.

La mythologie coloniale française allait, peu à peu, développer l’idée de

l’impossibilité de comprendre cette société théocratique. De cette

impossibilité découle l’axiome d’une société musulmane incompatible avec

la société française. La justification se trouve dans l’islam, supposé générer

des codes de conduite sociale et morale en inadéquation avec les valeurs

françaises. Deux entrées principales étayent l’argumentaire : la polygamie

et le statut des femmes 77 .

La documentation rassemblée par des officiers en fonction de

préoccupations militaires fournit des descriptions des sociétés qu’il

convient d’aborder avec une clé d’interprétation « sécuritaire ». Or, cette

documentation a été récupérée dans les milieux intellectuels pour servir à

élaborer des théories sans s’interroger suffisamment sur les producteurs des

discours. Il s’est ensuite produit un mouvement de balancier entre les


cercles érudits et les militaires de terrain confortant mutuellement une

vision stéréotypée de l’islam et des musulmans.

Peu d’historiens « professionnels », au XIX e siècle, se sont intéressés à la

question de l’islam. Ce constat se retrouve pour d’autres zones de l’empire

colonial et pour d’autres religions ou sociétés 78 . Les premiers travaux

proviennent souvent du terrain et de non spécialistes : administrateurs

coloniaux, officiers, missionnaires, diplomates, etc. Une répartition des

tâches, qui ne dit pas son nom, s’installe progressivement avec des hommes

de terrain qui collectent l’information et des savants de laboratoire qui

élaborent à partir de ces matériaux des théories sans forcément connaître le

terrain. Certes, la « scientificité » de certaines disciplines ne devait pas

résister au temps alors que la démarche scientifique de disciplines comme

l’histoire n’allait pas être appliquée à ces zones du monde. Ainsi, alors que

l’école dite méthodique fonde la méthode historique sur la critique interne

et externe des documents, cette dernière n’est pas appliquée pour la

documentation extra-européenne. Pourtant, identifier l’auteur d’un discours,

repérer le destinataire, s’interroger sur la nature du document et le contexte

de son élaboration, si ce n’est sur la véracité de son contenu, permet une

analyse pertinente. Or, l’orientalisme, qui se constitue et dont la base

disciplinaire est la linguistique, adopte une approche décontextualisée des

sociétés qu’il se propose de décrire. La description et l’analyse livrent la

vision de groupes figés dans un temps anhistorique et confrontés à des

réalités supposées valables en tout temps et en tout lieu.

Pour ce qui concerne les sociétés de culture musulmane le religieux

allait être placé au cœur de leur système d’organisation avec une place

centrale pour le Coran. La conférence de Renan, « L’islamisme et la

science », donnée à la Sorbonne le 23 mars 1883, en est l’un des exemples

les plus aboutis et les plus diffusés. L’autorité du professeur ne fait alors

aucun doute et la publication intégrale du texte dans Le journal des débats

du 30 mars 1883 contribue à la diffusion de ses idées dans une certaine


élite. L’idée directrice de la conférence est celle du retard du monde

musulman dont la responsabilité incombe à l’islam. Son hypothèse de

départ devient vite postulat. Le discours de Renan est marqué par le

scientisme et le positivisme caractéristiques de la période, et par le contexte

colonial d’une France blessée par la défaite de 1870. Une fois décrétée

l’indigence intellectuelle des musulmans, il est aisé de justifier le principe

de la mission civilisatrice de l’Occident. Si Renan est allé en Orient, son

homo islamicus, il le crée dans son cabinet de philologie : il construit et

explique son objet d’étude à partir de l’histoire comparée des religions et de

la linguistique. Cet homme islamique est une construction de l’esprit en

décalage avec la réalité. Il n’est en fait que l’homuncule d’un laboratoire où

parallèlement s’édifie l’ethnocentrisme européen 79 . Les orientalistes

participent activement à cet ethnocentrisme en façonnant leur Orient.

L’orientalisme, dont les mécanismes ont été parfaitement décrits par

Édward Saïd pour la littérature, s’est en fait diffusé non seulement dans les

productions en direction du monde arabe, mais aussi vers d’autres espaces

comme l’Asie. La langue, comme l’atteste à Paris la prestigieuse école des

langues orientales qui a formé des générations d’orientalistes, est restée au

cœur du dispositif d’approche des sociétés extra-européennes. Le fait de

maîtriser une langue est une condition nécessaire à la recherche, mais pas

une condition suffisante. En d’autres termes, l’étude d’une langue ne peut

conduire à la maîtrise de disciplines aussi diverses que le droit, la

philosophie, l’histoire, etc. Concrètement, après un cursus linguistique les

uns et les autres s’autoproclamaient qui spécialiste du « droit musulman »,

invention coloniale s’il en est, qui philosophe, théologien, historien, etc. Si

le propos n’est pas de contester toute la production scientifique issue de

l’orientalisme, il est de souligner les carences méthodologiques de certains

résultats et des erreurs immanquables, faute de la démarche scientifique

propre à chaque discipline et qu’un cursus en langues « orientales » ne peut

fournir à lui seul.


Le mythe militaire s’est donc mué en une construction intellectuelle aux

fondements tout aussi mythiques avec, en parallèle, sa variante religieuse.

Le tout a transité dans les sphères politiques et s’est diffusé dans toute la

population, participant à un ensemble plus vaste, à une des facettes d’un

imaginaire commun sur l’islam. Les imaginaires conditionnent la réalité et

donc les politiques en direction des populations de confession musulmane.

Le contrôle

Dans ces conditions le contrôle des populations à travers le contrôle de

la religion devient une des clés de la politique de la France en Algérie. La

première mesure est sans conteste la confiscation des biens habous. L’une

des meilleures définitions des habous est donnée par Jean-Paul Charnay 80 :

« … mise hors commerce d’un bien dont la nue-propriété

demeure au constituant (et, fictivement après sa mort), tandis

que les revenus de ces biens – l’usufruit – seraient attribués à

une entité ayant une activité pieuse ou relative à la satisfaction

des besoins religieux ou sociaux de la communauté islamique

(mosquée, cimetière, tombeau d’un marabout, fontaine, zaouïas,

medersa, établissement de bienfaisance, entretien des routes,

villes saintes de La Mecque ou de Médine…). Le constituant

pouvant d’ailleurs stipuler que les revenus de ce bien –

l’usufruit – reviendront à un ou plusieurs dévolutaires (les akabs),

librement déterminés par lui (qui peut se désigner comme

premier dévolutaire infra, p. 95), avant d’être définitivement

affectés au financement de l’organisme caritatif 81 . »

On distingue donc les habous publics, i. e. là où il n’y a plus de

dévolutaire, des habous privés ou de famille :


« À côté donc du habous public, qui autorise le fonctionnement

des “services publics” religieux, cultuels, charitables, etc. le

habous privé est, temporairement, une charte familiale régissant

le partage et l’attribution des biens entre les générations

successives 82 . »

Cela permet, entre autres, de mettre des biens à l’abri des spoliations

des puissants. Le système du habous permet aussi d’échapper aux règles

successorales, car il est possible à travers ce système de privilégier certains

membres de la famille :

« Le habous est inaliénable, imprescriptible, insaisissable,

perpétuel : son auteur même ne peut le modifier ou le retraire

(tout au moins dans le rite malékite : non dans le rite hanéfite, si

le constituant s’est réservé ce droit 83 ). »

Au bout de quelques générations, chacun des propriétaires se retrouve

avec peu de bien à cause de l’émiettement du habous entre les héritiers et

faute de pouvoir le vendre :

« Le habous, constituant l’une des formes de résistance les plus

efficaces à l’accession des arrivants à la pleine propriété, devait

être démantelé par la législation française 84 . »

C’est ainsi que la suppression des habous publics en Algérie a suivi la

disparition de la Régence. Elle s’est accompagnée de la prise en charge par

l’État français de la voirie, de l’enseignement, de la charité, du culte… et,

en contrepartie, les habous furent versés au Domaine. Dans un premier

temps, il n’y aurait pas eu de grosses émotions à la disparition de ces

habous publics dont les gestionnaires n’avaient pas bonne presse auprès des


populations, puis après la Première Guerre mondiale se produit un

changement d’orientation.

« Quant aux habous privés, une ordonnance du 1 er octobre 1844,

confirmée par une loi du 16 juin 1851, supprimait leur

inaliénabilité face aux acquéreurs européens ; un décret du

30 octobre 1858 étendait cette suppression en faveur des

acquéreurs musulmans : mesure destinée à ne plus entraver les

achats de terre musulmane par les colons, dont un certain

nombre avaient été évincés à la suite d’acquisitions effectuées

sans information suffisante 85 . »

Toutefois, il semblerait que dans les « tribus » de la Régence la plupart

des habous appartenaient en indivision aux membres du groupe et étaient

inaliénables. Avant la conquête de l’Algérie, une partie du sol appartient à

la tribu dans l’indivision ce qui ne s’apparente pas, rappelons-le, à du

collectivisme dans la mesure où la notion de propriété individuelle existe

aussi. Sur ces terres, une partie était constituée par les biens habous. Au

moment de la conquête, pour punir les tribus qui avaient résisté, leurs terres

ont été versées dans le Domaine puis livrées à la colonisation. Cette

manière de procéder a été l’aboutissement inéluctable de tout mouvement

de résistance. De plus, comme on attribuait à l’islam d’être le principal

obstacle à la colonisation, en privant le culte musulman de son support

financier, on entendait en diminuer le potentiel de dangerosité. En

contrepartie de cette confiscation des terres, les autorités se sont engagées à

subventionner le culte musulman.

C’est pourquoi au moment du vote de loi de 1905 s’est posée la

question de savoir si elle devait être appliquée au culte musulman. La

réponse fut négative et deux types d’arguments furent invoqués. Le premier

consiste à affirmer qu’en cas d’application de la loi, il faudrait alors


restituer les biens habous. Or, une partie avait été vendue et on n’était pas

en mesure de rembourser en argent. Par ailleurs, un « obstacle »

administratif allait être régulièrement invoqué pendant toute la période

coloniale : l’impossibilité de recenser ces terres, soit des questions liées au

cadastre. Le second argument, en liaison directe avec les biens habous,

relève de la politique de sécurité et du contrôle nécessaire de l’islam. En

continuant à subventionner le personnel religieux, les autorités coloniales

entendent ainsi bénéficier d’un contrôle accru du discours à destination des

musulmans. Un personnel religieux formé par les Français s’est alors

progressivement constitué. Le contrôle de la société par les notables

religieux est un des outils de la politique coloniale, mais le pouvoir n’a pas

su repérer les notables susceptibles d’avoir un poids important sur toute la

durée de la colonisation. De plus, cette politique n’avait pas pris en compte

d’autres paramètres : les musulmans n’allaient pas tarder à faire la

distinction entre les « mosquées d’État » et les « mosquées libres » qui se

développent après la Première Guerre mondiale. D’autre part, le contrôle

des mosquées ne génère pas forcément un contrôle des musulmans car les

mosquées sont essentiellement urbaines et la pratique des cinq prières

quotidiennes à la mosquée est le fait d’une élite citadine. Mais, dans sa

grande majorité, l’Algérie reste rurale pendant la période coloniale. Dès

l’entre-deux-guerres, le mouvement réformiste algérien réclame

l’application au culte musulman de la loi de Séparation, alors que le

personnel salarié par l’État, lui, s’y oppose. Le débat autour de la nonapplication

de la loi du 9 décembre 1905 allait progressivement contribuer à

cimenter le nationalisme algérien de l’association des oulémas d’Ibn

Bâdîs 86 . Par un mouvement de balancier et de réappropriation d’un des

idéaux de la République, la laïcité, le mouvement nationaliste sut, à son

tour, instrumentaliser le discours colonial et le mettre face à ses

contradictions.


Le contexte colonial, dès le moment de la conquête, a permis de

construire un discours sur l’islam et les musulmans qui s’est diffusé dans

toute la société française. Les milieux religieux catholiques ne sont pas en

marge de ce mouvement de fond et ils y participent. Le discours sur les

indigènes musulmans se réactive à la moindre opposition de ces derniers.

« Le drame de Margueritte » permet de mieux saisir une partie des

mécanismes de la vision des indigènes par des autorités catholiques

algériennes.

LA RÉVOLTE DE MARGUERITTE 87 OU LE « FANATISME »

MUSULMAN EN ACTION

Le 26 avril 1901, une révolte de la population indigène conduit à la

mort de plusieurs colons. La première mention de l’événement date du

5 mai 1901 88 . La Semaine religieuse d’Alger livre un article, non signé, et le

texte de la lettre que l’archevêque a adressée au curé de Margueritte.

L’objectif du texte est de restaurer « l’honneur » du curé accusé d’avoir

abjuré sa foi. Cet objectif est perceptible dans tous les autres articles. Ce

premier document est marqué par un vocabulaire religieux qui renvoie à la

lutte pluriséculaire entre islam et christianisme. Il est ainsi question

d’Européens « chrétiens héroïques », « martyrs », « morts pour Dieu, pour

la France, pour l’Algérie » et d’insurgés désignés sous les appellations de

« fanatiques », « forcenés », etc. Les colons ont donc été les « nobles

victimes du fanatisme musulman » et sont morts en martyrs, car ils « ont

préféré mourir que de prononcer, fût-ce du bout des lèvres, la formule impie

de l’imposteur, du faux prophète, père de l’islam… ».

« Imposteur, faux prophète », autant de désignations pour qualifier le

fondateur de l’islam. La littérature catholique est riche de commentaires sur

Muhammad où la note dominante est, dans cette période, le dénigrement

systématique 89 . Après s’être livré à ces critiques, l’article de la SRA rappelle


les grandes lignes de l’installation du catholicisme en Algérie à partir de

Dupuch. Alors que parfois la rhétorique sur le passé antique chrétien du

Maghreb est réactivée, ce n’est pas le cas ici. Implicitement, le passé auquel

on souhaite se rattacher est bien le passé colonial, donc l’association entre

colonisation et implantation du catholicisme, en d’autres termes le lien

organique qui existe entre les deux.

La lettre d’Oury reprend, dans ses grandes lignes, une orientation

similaire, puisqu’il est encore question de montrer la barbarie des uns avec

le recours à une terminologie adéquate telle que « invasion », « pillage »,

« traitements barbares », « capture », etc. pour mieux souligner la résistance

chrétienne dans la mesure où tous ont préféré la mort à l’abjuration : « il y a

là une page écrite avec un sang de martyrs 90 . » Mais, le discours religieux

est relié au discours laïque puisque « mourir pour la Patrie Française c’est

se réveiller au Ciel ». Ces deux premiers textes donnent une lecture

religieuse des événements : les uns ont agi par fanatisme, les autres ont

résisté par fidélité à leur foi. L’action des colonisés n’est alors

compréhensible que motivée par une logique religieuse dont le but demeure

encore flou : convertir des Européens ou tuer des mécréants ?

Dès la semaine suivante, une lettre-circulaire de l’archevêque sur ce

sujet est publiée 91 . Le récit est, cette fois, plus fourni. Le comportement

sauvage des indigènes est rappelé tout comme la résistance héroïque des

colons à la tentative de conversion : « ils sacrifièrent généreusement leur

vie pour l’honneur de l’église et la gloire du Christ 92 . » Le prélat se lance

ensuite dans une analyse des faits. Il ne peut s’agir pour lui de livrer une

lecture superficielle qui ferait des événements un acte de brigandage ou une

manifestation passagère de mécontentement s’inscrivant dans un contexte

local. La clé se trouve ailleurs, dans le « fanatisme musulman ». Ce dernier

après avoir connu un glorieux passé est encore appelé à un brillant avenir

sous des plumes catholiques dans l’entre-deux-guerres. Concept difficile à

définir avec précision, mais constamment mis en avant, indémontrable et


toujours vérifiable si l’on en croit certaines productions catholiques : tout

part et tout vient du « fanatisme musulman ». Mgr Oury le réaffirme

nettement :

« … l’enseignement de l’Histoire qui nous montre que l’Arabe

ne se soulevant, partout et toujours, qu’à la parole de ses

Marabouts et pour le triomphe du Croissant, l’enquête à laquelle

cette catastrophe a donné lieu a conclu dans le même sens et

nous a mis en présence d’une véritable tentative

insurrectionnelle, provoquée par les prédications excitant à la

guerre sainte 93 . »

Seul le motif religieux semble pertinent aux yeux de l’archevêque car il

affirme qu’il s’agit de tribus paisibles « n’ayant, de leur propre aveu, aucun

grief contre notre administration 94 ».

En revanche, le prélat affirme que parmi les populations circulait un

homme qui avait appelé à la révolte au nom de l’islam, argument qui ne

peut que conforter le sentiment du prélat. Cet « agitateur » aurait, toujours

selon la lettre-circulaire, annoncé la victoire de l’islam et garanti

l’invulnérabilité des musulmans face aux armes des colons. Le mécanisme

décrit renvoie à des situations similaires dans d’autres parties de l’empire :

un homme providentiel se lève pour mettre fin à la domination étrangère et

assure aux combattants des pouvoirs surnaturels délivrés par des talismans

ou des amulettes. Résistance d’un autre temps qui atteste surtout du manque

de perspective de ces populations, de leur sentiment d’impuissance face à la

machine coloniale, de l’impossibilité de livrer bataille à armes égales, d’une

dernière tentative dans la mesure où ils n’ont plus rien à perdre.

L’explication par le fanatisme a de beaux jours devant elle, car

l’appréhension de ces sociétés ne se fait que par la seule grille

d’interprétation religieuse. Ces populations sont en effet désignées sous le


vocable de leur appartenance religieuse, toute leur identité tiendrait

exclusivement à leur adhésion à l’islam. Il s’agit d’une des variantes qui fait

de l’islam un système de dîn wa dawla, religion et État, de l’idée que

spirituel et temporel sont inextricablement liés de tout temps, en tout lieu et

à tout jamais. Cette vision issue de la pensée orientaliste qui s’élabore dans

un contexte intellectuel spécifique du second XIX e et de certains courants

musulmans, est, elle aussi, promise à un brillant avenir. Rappelons qu’il

s’agit d’une des interprétations de l’islam parmi d’autres. À la même

période, des penseurs musulmans exposent des positions radicalement

opposées qui insistent sur la distinction des pouvoirs en islam.

La révolte de Margueritte réaffirme, si besoin était, un des aspects des

dualités coloniales : il y a d’un côté l’Arabe, le musulman, mots

interchangeables, et de l’autre côté le Français, donc catholique. Pour

exposer ses convictions profondes, Oury a recours à un procédé stylistique

en les attribuant à « des hommes vieillis dans l’étude des choses

d’Afrique 95 ». Il ne s’agit en aucun cas de restreindre le culte musulman,

mais de le contrôler. C’est pourquoi il dénonce les écoles indigènes car elles

enseignent le Coran, lequel « apprend l’horreur du Chrétien et la haine du

Français 96 ». De plus, la politique de la construction des mosquées « d’une

utilité contestable, et dans des lieux où il n’en existait pas avant la

conquête » lui paraît bien étrange. Les propos se font plus précis et le cœur

de l’argumentation transparaît : le croissant est privilégié au détriment de la

croix, la religion du vaincu est honorée, celle du vainqueur méprisée. Oury

avance un dernier argument déterminant : le pèlerinage à La Mecque est

financé par le Gouvernement.

En résumé, pour la plus haute autorité catholique, le culte musulman est

favorisé : on construit trop de mosquées, est-ce vraiment utile ? On

subventionne le pèlerinage à La Mecque, est-ce bien raisonnable ? En fait,

cette politique, annoncée comme généreuse vis-à-vis des musulmans, vise

avant tout à les contrôler. L’organisation du pèlerinage à La Mecque est


encadrée par les autorités à qui il revient de sélectionner les personnes qui

partiront 97 . Des sanctions sont prévues en cas de contournement. Rappelons

que les pèlerins catholiques ne sont astreints à aucune contrainte de ce type.

Concrètement, un numerus clausus est prévu chaque année par les autorités,

ce qui fait que toutes les personnes désireuses de partir en pèlerinage ne le

peuvent pas quand bien même elles en auraient les moyens. Certes, certains

pèlerins bénéficient, parfois, de soutien financier en contrepartie de bons et

loyaux services, mais ils sont loin de constituer la majorité. De plus, les

documents administratifs sur le sujet insistent sur le fait que l’on doit

veiller, avant le départ, à ce que les pèlerins partent avec suffisamment

d’argent pour subvenir à leurs besoins. La sélection apparaît comme un

moyen indirect de contrôle de l’islam. En effet, d’aucuns sont convaincus

que le pèlerinage à La Mecque est susceptible de renforcer le « fanatisme »,

d’où la nécessité, pour des raisons de sécurité, de sélectionner des candidats

en qui l’administration a confiance. Quant à la politique de construction des

mosquées, d’une part, elle est financée par les musulmans et, d’autre part, la

croissance démographique de ces derniers est plus importante que celle des

catholiques d’où la nécessité pour le pouvoir colonial, afin de limiter les

contestations sur le sujet, d’accepter l’érection de lieux de cultes.

La position de Oury, bien qu’éloignée de la réalité historique, renseigne

sur la perception qui a été celle de la période. Puis, le discours religieux de

l’archevêque cède le pas à celui sur les bienfaits de la colonisation et sur ce

paradoxe que constitue aux yeux du prélat le désir d’indépendance.

Toutefois, la conclusion de l’ecclésiastique est sans appel : tous les

avantages matériels engendrés par la colonisation ne servent à rien, seule la

conversion est la solution 98 . En effet, devenus catholiques les musulmans ne

devraient plus songer à l’indépendance. De toute évidence, il s’agit d’un

argument qui vise davantage à réaffirmer l’importance de l’Église et son

patriotisme que d’un véritable appel à l’évangélisation. Il n’existe nulle

trace d’une réelle volonté de convertir les musulmans chez l’archevêque.


Au-delà des difficultés qu’atteste la faiblesse numérique des conversions, la

logique coloniale, qu’il partage avec l’écrasante majorité, ne peut lui laisser

percevoir la fin de la dichotomie inhérente à la ségrégation coloniale. Cette

dualité du système colonial, Oury appelle à y être attentif afin que le bloc

des colonisateurs n’apparaisse pas divisé car les colonisés en tireraient parti

pour s’émanciper. Face à ces velléités la seule attitude, le seul langage reste,

en définitive, pour l’archevêque, le recours à la force.

Un troisième article, publié dans la SRA du 19 mai 1901, clôt ce cycle sur

Margueritte. Le récit de la journée est détaillé, mettant une fois de plus en

exergue le fanatisme musulman. Du côté européen, il semblerait qu’à

l’exception d’un seul colon, tous aient accepté de se convertir pour avoir la

vie sauve ; mais, par un concours de circonstances, le curé n’a pas abjuré.

L’armée finit par arriver, ouvre le feu avec des balles à blanc qui laissent

croire aux révoltés qu’ils sont invincibles, puis met un terme au

soulèvement. En ce début de siècle, le rôle de l’armée reste encore

déterminant. La barbarie et la sauvagerie des musulmans n’ont point besoin

d’être démontrées, ce qui n’empêche pas de les rappeler à l’occasion 99 .

Précisons que le contexte de la période est celui d’une politique

d’assimilation dénoncée en métropole, notamment par le rapport Ferry. Si

Jules Cambon, gouverneur général de l’Algérie entre 1891 et 1897, a tenté

de limiter cette politique d’assimilation, dans les faits la loi du 29 décembre

1900 confère à l’Algérie la personnalité civile et un budget spécial.

L’affaire de Margueritte donne lieu à un

« … rapport sur les causes du soulèvement [qui] ne cacha pas

que la population indigène était à l’étroit (1,2 ha par tête),

qu’elle avait été victime de “spoliations légales mais

profondément regrettables”, mais attribua le mouvement à “une

explosion de fanatisme 100 ”. »


Une fois de plus, discours laïque et discours religieux se rejoignent dans

leur analyse des colonisés car il ne s’agit que des deux faces d’un même

discours, le discours colonial.

L’épilogue de l’affaire de Margueritte conduit à Montpellier :

« L’opinion métropolitaine presque unanime avait en effet

manifesté, lors du procès des insurgés de Margueritte mené

devant les assises de Montpellier (81 acquittements et aucune

condamnation à mort), contre le régime imposé aux Musulmans

algériens 101 . »

Mais, une fois de retour en Algérie, les prévenus ont été internés comme

le prévoit le statut de l’indigénat. La justice en Algérie 102 , qui a connu de

nombreuses « réformes » pendant la période coloniale, se caractérise par

une constante : la volonté d’imposer une logique juridique française dans

une perspective colonialiste.

Dans les premières années de la conquête, les autorités oscillent entre

un placage des institutions françaises et ce qu’Ageron qualifie de « justice

musulmane de type moderne avec des mahakma (mah’âkem) [sic] de cadis

jugeant en première instance et des medjlès (majâlas) comme tribunaux

d’appel 103 ». Il est intéressant de souligner que, pour Ageron, le placage de

ce qui apparaît au premier abord comme un embryon de la logique

judiciaire française soit qualifié de moderne.

Dans tous les cas de figure, les modalités de l’exercice du droit ont été

considérablement bouleversées pendant toute la période coloniale. Le droit

et la justice ne peuvent se résumer à de simples techniques, ils sont les

vecteurs d’une représentation du monde et à ce titre sont porteurs de

nouvelles structures de pensée. Que le droit soit transposé comme ce fut le

cas pour le code forestier français de 1827 par la Deuxième République ;

qu’il soit « adapté » avec la mise en place d’une justice « musulmane » dans


des cadres français comme la première instance ou la cour d’appel ; qu’il

soit codifié à partir de corpus juridiques islamiques : la révolution est totale

pour les populations colonisées qui perdent leur référentiel et voient se

modifier leur rapport au monde. Pour terminer, rappelons que le régime de

l’indigénat de 1881, régulièrement amendé, instaure des contraventions,

délits et crimes spécifiques aux seuls indigènes. Sa mise en pratique est

confiée à des administrateurs coloniaux et non pas aux juges. En parallèle,

la justice française s’applique aussi aux indigènes avec des magistrats ou

des jurys français – pour les Assises – soit des personnes qui imposent une

approche française et du droit et de la société coloniale.

Conclusion

À l’issue de ce chapitre sur les relations entre le catholicisme et l’islam

en Algérie, est-il possible d’en déduire une spécificité des discours

catholiques sur les musulmans ?

Un premier constat s’impose, les catholiques partagent avec le reste de

la population un registre sémantique identique. Ainsi, les mêmes substantifs

sont utilisés pour désigner les populations colonisées : indigènes, Arabes et

musulmans.

Il n’est pas inutile de préciser que les Algériens sont pour les

catholiques, comme pour le reste de la population européenne, les

Européens d’Algérie et non pas les populations autochtones. Ce glissement

sémantique se retrouve pour la Tunisie. Les populations soumises sont

rangées dans une catégorie informe et interchangeable sous l’appellation

d’Arabes et de musulmans. Il est rare, d’ailleurs, dans les textes d’auteurs

catholiques, que les individus soient nommés : l’autonomisation du sujet

n’est pas manifeste. Désigner les populations autochtones sous l’appellation

générique d’« Arabe » renseigne sur la perception que l’on s’en fait. À

travers la non-différenciation lexicale, perce l’idée que l’enracinement à

leur terre natale n’est pas envisagé, ni envisageable : ils constituent une


« nation » extra-territorialisée sur un espace qualifié « d’arabo-musulman ».

Il s’agit de nier toute spécificité en assimilant une dénomination valable en

tout temps, en tout lieu et à jamais.

Même quand ils deviennent chrétiens, ils sont désignés sous

l’appellation d’« Arabes chrétiens ». Quelle est la place de ces derniers dans

la société coloniale au-delà de leur statut juridique ? Leur existence est en

soi la négation de la bipolarisation des sociétés coloniales. Ni la société des

colons ni la société des colonisés n’est une catégorie opératoire : des

sociétés coloniales et des sociétés colonisées cohabitent. La division est

grande au sein des premières comme des secondes.

Par ailleurs, opposer de manière binaire des Européens aux indigènes ne

reflète qu’une partie de la réalité du système colonial. En effet, dans quelle

catégorie ranger les convertis, les descendants d’indigènes chrétiens, mais

aussi les grands propriétaires indigènes ou encore les israélites naturalisés ?

Seules des typologies plus fines peuvent rendre compte de la diversité des

situations rencontrées. Ainsi, on peut repérer un premier groupe à partir du

critère juridique qui distingue ceux qui sont soumis au statut de l’indigénat

et ceux qui n’y sont pas soumis. D’autres groupes peuvent apparaître : ceux

qui ont des papiers français, par naturalisation ou par filiation, et ceux qui

n’en ont pas, ces derniers se subdivisant entre les Européens et les

indigènes, musulmans et juifs. On pourrait ainsi multiplier à l’envi les

catégories et si l’on ajoute la dimension sociologique la pluralité est

renforcée. Le caractère hybride de ces sociétés est indéniable, même s’il a

été et reste nié par certains.

Toutefois, l’un des binômes garde toute sa pertinence celui qui distingue

les Algériens des indigènes, dans l’acception de la période coloniale. La

domination coloniale est multiple et son expression dans le vocabulaire

traduit aussi le degré de dépossession des populations colonisées qui se voit

priver d’une partie de leur identité. Il ne s’agit pas ici de faire un

anachronisme ni de soulever une problématique historique qui a été


instrumentalisée par le politique de part et d’autre : l’Algérie préexiste-telle

à la colonisation ou en est-elle le produit ? Pour un historien du

XXI e siècle cette question n’a pas de sens formulée ainsi dans la mesure où

derrière des mots en apparence sans ambiguïté se cachent des définitions

très différentes pour ne pas dire opposées. Est-il question de l’Algérie

« géographique », du sentiment d’appartenance des populations, du début

de la conquête, de l’entre-deux-guerres, etc. ? Cependant, il est possible de

saisir tous les enjeux de ces définitions en contexte colonial pour toutes les

parties et d’expliquer pourquoi telle ou telle acception a pu être mise en

avant. Derrière cette distinction entre Algériens et indigènes, telle qu’elle

est employée au XIX e siècle dans le cadre du système colonial, il est possible

de décoder une construction mentale : les sentiments patriotiques, puis

nationalistes ne sont recevables que pour l’Europe. C’est pourquoi un vaste

et informe « monde arabo-musulman » se construit. Réduites à leur

dimension religieuse, les populations soumises sont supposées être mues

par les seules considérations religieuses : tout leur être se résume à leur foi.

Ils ne peuvent s’adjoindre d’autre identité que celle d’un islam qui est

présenté comme monolithique.

La similitude dans le vocabulaire se retrouve dans les discours puisque

les catholiques partagent les a priori de leurs contemporains sur l’islam et

sur les musulmans comme leurs certitudes sur la colonisation. L’Église

catholique, comme ses fidèles, participent du discours colonial sur les

bienfaits de la mission civilisatrice. Le versant laïque de la mission

civilisatrice est bien connu et s’est avéré l’une des justifications de

l’expansion coloniale. L’Église catholique pense en fournir le versant

religieux. Elle salue l’œuvre coloniale de la France tout en insistant sur sa

propre participation à l’action civilisatrice. Pour elle, il ne peut y avoir de

civilisation sans christianisme. Certes, clergé séculier et fidèles

n’envisagent pas réellement de conversions massives, mais conçoivent la

rechristianisation de l’Algérie par le biais de « la nouvelle race latine ».


L’objectif n’est pas tant de sanctifier les populations autochtones que de

sanctifier cette terre anciennement chrétienne par le « retour » des chrétiens

et une domination politique non musulmane.

L’Église d’Algérie se trouve confrontée à l’islam qu’elle perçoit comme

un modèle sociétal fortement structuré. Elle tente, elle aussi, de proposer

son projet de société : faire du catholicisme une religion identitaire pour les

Européens.


1. SRA du 17 août 1902 : G. Vallade, curé de Tigzirt, « Rusucurrus-Tigzirt », historique du lieu et

du christianisme en ce lieu ; SRA du 19 octobre 1902 : « Les ruines romaines dans le sud de

Teniet-el-Haad », signé par « un vieux prêtre algérien » ; SRA du 9 novembre 1902 : « La

praetura-l’éptitaphe d’un diacre », archéologie, signé un ancien missionnaire ; SRA du

4 janvier 1903 : « Découverte intéressante à N’Gaous », à 100 km de Batna, chapelle chrétienne

découverte ; SRA du 19 avril 1903 : A. Leroy, « Les ruines d’Hippone », pris dans L’écho

d’Hippone, la date n’est pas indiquée.

2. Les ouvrages consacrés aux auteurs chrétiens de l’Antiquité tels Tertullien, Cyprien ou

Augustin renseignent aussi sur le christianisme africain. Ponctuellement, des renseignements ont

été pris dans J. CUOQ, L’Église d’Afrique du Nord du II e au XII e siècle, Paris, Le Centurion, 1984,

211p. Le ton de l’ouvrage est parfois très éloigné de celui convenu pour un ouvrage scientifique.

L’auteur ne soumet pas systématiquement les sources, chrétiennes comme musulmanes, ces

dernières étant particulièrement tardives, à la rigueur indispensable de la critique textuelle. Sa

lecture des documents ne parvient pas toujours à se départir du regard christiano-centré dans les

rapports entre chrétiens et musulmans et d’une position pro-dialogue qui peut s’expliquer par

son appartenance à la Société des Missionnaires d’Afrique (pères blancs). En d’autres termes, il

arrive à l’auteur de plaquer des réalités et des interrogations contemporaines sur un corpus des

périodes passées.

3. V. SAXER, « L’Afrique chrétienne (180-260) », dans J.-M. MAYEUR, Ch. PIETRI, L. PIETRI,

A. VAUCHEZ et M. VENARD (dir.), Histoire du christianisme, t. I, Le nouveau peuple (des

origines à 250), sous la responsabilité de L. PIETRI, Paris, Desclée, 2000, p. 579-623, p. 583-

585.

4. Ibid., p. 585-589.

5. Ibid., p. 585.

6. Y. DUVAL, « L’Occident et ses marges danubiennes et balkaniques. L’Église d’Afrique » (titre

de sous-partie), dans J.-M. MAYEUR, CH. PIETRI, L. PIETRI, A. VAUCHEZ et M. VENARD (dir.),

Histoire du christianisme, t. II, Naissance d’une chrétienté (250-430), sous la responsabilité de

CH. PIETRI et L. PIETRI, Paris, Desclée, 1995, p. 127-132.

7. J. CUOQ, L’Église d’Afrique du Nord…, op. cit., p. 43.

8. CH. PIETRI, « L’échec de l’unité “impériale” en Afrique. La résistance donatiste

(jusqu’en 361) », dans J.-M. MAYEUR, CH. PIETRI, L. PIETRI, A. VAUCHEZ et M. VENARD (dir.),

Histoire du christianisme, t. II, Naissance d’une chrétienté (250-430), sous la responsabilité de

Ch. PIETRI et L. PIETRI, Paris, Desclée, 1995, p. 229-248, p. 229.

9. CH. PIETRI, « Les difficultés du nouveau système en Occident : la querelle donatiste (363-

420) », dans J.-M. MAYEUR, CH. PIETRI, L. PIETRI, A. VAUCHEZ et M. VENARD (dir.), Histoire

du christianisme, t. II, Naissance d’une chrétienté (250-430), sous la responsabilité de

CH. PIETRI et L. PIETRI, Paris, Desclée, 1995, p. 435-451.


10. Y. DUVAL, « L’Afrique : Aurelius et Augustin », dans J.-M. MAYEUR, CH. PIETRI, L. PIETRI,

A. VAUCHEZ et M. VENARD (dir.), Histoire du christianisme, t. II, Naissance d’une chrétienté

(250-430), sous la responsabilité de CH. PIETRI et L. PIETRI, Paris, Desclée, 1995, p. 799-812.

11. Un colloque international s’est tenu en Algérie en avril 2001 sur la double problématique de

son africanité et de son universalité. Plus récemment, des travaux ont été entrepris à Souk-

Ahras, Thagaste dans l’Antiquité, pour restaurer le lieu où il est supposé avoir dispensé son

enseignement. Il faut savoir que ce Père de l’Église n’a pas toujours été revendiqué et honoré

dans sa patrie africaine (se reporter au dernier chapitre de l’ouvrage).

12. Y. MODERAN, « L’Afrique et la persécution vandale », dans J.-M. MAYEUR, CH. PIETRI,

L. PIETRI, A. VAUCHEZ et M. VENARD (dir.), Histoire du christianisme, t. III, Les Églises

d’Orient et d’Occident, sous la responsabilité de CH. PIETRI et L. PIETRI, Paris, Desclée, 1998,

p. 247-278.

13. Ibid., p. 248.

14. Y. MODERAN, « Les Églises et la Reconquista byzantine. L’Afrique », dans J.-M. MAYEUR,

CH. PIETRI, L. PIETRI, A. VAUCHEZ et M. VENARD (dir.), Histoire du christianisme, t. III, Les

Églises d’Orient et d’Occident, sous la responsabilité de CH. PIETRI et L. PIETRI, Paris, Desclée,

1998, p. 699-717.

15. Ibid., p. 711.

16. Ibid., p. 713.

17. Ibid.

18. Ibid., p. 715.

19. J. CUOQ, L’Église d’Afrique du Nord…, op. cit., p. 149. Le père Cuoq indique trois autres

inscriptions à Volubilis dont il indique pour dates 599, 605 et 653. Ces indications, comme celle

sur le cimetière ne figurent pas dans l’Histoire du christianisme qui ne mentionne que de

manière très laconique le nord de l’Afrique dans les t. IV et V.

20. J. CUOQ, L’Église d’Afrique du Nord…, op. cit., p. 127.

21. Ibid., p. 130.

22. CAOM, 16H114.

23. Ibid.

24. CAOM, 16H114, Fort-Napoléon, le 31 mai 1868, subdivision de Dellys, cercle de Fort-

Napoléon, lettre du commandant supérieur du cercle, Hanoteau, au général commandant la

subdivision. Objet : au sujet des tentatives de propagande religieuse.

25. Ibid.

26. Le mot islamisme est un synonyme de celui d’islam au XIX e et dans le premier XX e siècle. Il

ne renvoie en aucun cas à la définition contemporaine.

27. AAA/9, Pèlerinage ND d’Alger. Notice sur le pèlerinage de Notre-Dame d’Afrique à Alger,

p. 186.

28. Ibid., p. 190 sq.


29. Ibid., p. 204.

30. F. RENAULT, Le Cardinal Lavigerie…, op. cit. Cet ouvrage sert de référence principale pour

la présentation des premières années de la Société.

31. Ibid., p. 272-278.

32. On trouvera abordé en quelques pages la description de cette Kabylie idéalisée dans

F. RENAULT, Le Cardinal Lavigerie…, op. cit., p. 272-278.

33. L’école est fondée en 1794, le terme polytechnique est ajouté en 1795 et un décret impérial

militarise l’école en 1804.

34. Le terme est couramment employé par les militaires de cette époque en référence aux

djemaa, les assemblées de la société kabyle.

35. Dans les années 1920-1930, la perception de « la femme kabyle » a évolué dans un sens

diamétralement opposé. C’est ce que montre un article de D. SAMBRON, « L’évolution du statut

juridique de la femme musulmane à l’époque coloniale », dans La justice en Algérie, 1830-

1962, Paris, La documentation française, 2005, p. 123-142 ; p. 124 : « Pour le Gouvernement

français et les juristes coloniaux, le statut personnel de la femme kabyle apparaît

particulièrement discriminatoire et non conforme au droit musulman […]. Cet état de fait, ne

permet pas, en particulier, à la femme kabyle d’hériter ou d’accéder au droit de divorcer,

conformément aux autres musulmanes », p. 125 : « C’est ainsi qu’une commission de réformes

du statut de la femme kabyle, est instituée le 6 février 1925, par la commission de codification

du droit musulman. C’est en choisissant parmi la législation musulmane, les interprétations les

plus favorables à l’évolution du statut de la femme, qu’est réalisé le travail de la commission »,

p. 133 : « Ainsi, l’ensemble des modifications apporté au statut personnel de la femme kabyle a

consisté à rapprocher leur statut, dépendant des coutumes kabyles, de celui des femmes

musulmanes du reste de l’Algérie. Cette harmonisation a été entreprise, en choisissant parmi les

rites orthodoxes de l’islam, les dispositions qui étaient les plus proches du Code civil. »

36. Mentionnons qu’au CAOM des documents attestent de positions plus complexes puisque des

Kabyles n’hésitent pas au milieu des années 1830 à solliciter les autorités en vue d’effectuer le

pèlerinage à La Mecque.

37. L’administration coloniale s’est engagée à respecter le libre exercice de la religion

musulmane. Même si l’enseignement de l’arabe a été prescrit au grand séminaire par Mgr Pavy

(cf. F. RENAULT, Le Cardinal Lavigerie…, op. cit., p. 138) et renforcé par Mgr Lavigerie, les

résultats ne sont guère encourageants, d’autant plus que les autorités n’y sont pas favorables. On

peut se demander comment motiver l’apprentissage d’une langue aussi difficile que l’arabe alors

que les contacts religieux avec les indigènes ne sont pas encouragés.

38. Pour les prémices de la fondation voir F. RENAULT, Le Cardinal Lavigerie…, op. cit., p. 164-

178.

39. Ibid., p. 252-271.

40. Ibid., p. 259. Cependant, par manque de temps ils ne peuvent le faire. Cette situation n’est

pas sans rappeler celle du Proche-Orient où les missionnaires catholiques ne peuvent, dans leur

écrasante majorité, que s’occuper des chrétiens.

41. Ibid.


42. Y. TURIN, Affrontements culturels dans l’Algérie coloniale, Écoles, médecines et religion,

1830-1880, Paris, Maspéro, 1971 ; et F. COLONNA, Instituteurs algériens 1883-1939, Alger,

Presse de la Fondation nationale des sciences politiques et Office des publications universitaires

d’Alger, 1975.

43. F. RENAULT, Le Cardinal Lavigerie…, op. cit., p. 260 sq.

44. O. SAAÏDIA, « L’évangélisation des musulmans : mission impossible ? », dans J. PIROTTE

(dir.), Résistances à l’évangélisation. Interprétations historiques et enjeux théologiques, Paris,

Karthala, 2004, p. 257-271.

45. Ibid., p. 272-295.

46. Instructions du Cardinal Lavigerie à ses missionnaires, Alger, Imprimerie des Missionnaires

d’Afrique, 1907. En 1929, les instructions de 1907 font l’objet d’une réédition à laquelle tous

les écrits du cardinal, imprimés ou manuscrits, relatifs à la vie apostolique sont ajoutés pour

constituer un Directoire à l’usage des missionnaires. L’ensemble comporte 526 pages qui sont

réimprimées en 1939.

47. On pourra trouver un résumé de sa méthode dans H. MAURIER, Lavigerie. La mission

civilisatrice du christianisme en Afrique, Petit Écho, 5, 1992, p. 48-50, ou encore consulter ses

Instructions du cardinal Lavigerie à ses missionnaires, Alger, Imprimerie des missionnaires

d’Afrique, 1907.

48. H. MAURIER, Lavigerie…, op. cit., p. 37 sq.

49. Les jésuites sont expulsés d’Algérie en 1881. Il faut souligner le fait que les pères blancs

reçoivent par un vote de la Chambre l’autorisation d’exister comme congrégation. Cf.

P. SOUMILLE † , O. SAAÏDIA, « Algérie et Tunisie : le repli en terre d’islam ? », dans P. CABANEL,

J.-D. DURAND (dir.), Le grand exil des congrégations religieuses françaises 1901-1914, Paris,

Le Cerf, 2005, p. 332-361.

50. Le problème de la double orientation géographique de la vocation des pères blancs n’est

toujours pas complètement résolu aujourd’hui. Missionnaires d’Afrique ils le sont tous, mais de

quelle Afrique ? Quelle cohésion peut avoir un groupe destiné à des univers si différents, si ce

n’est une histoire commune ?

51. AGMAfr, Dos. I. 56/1 a, circulaire Malfreyt 1894.

52. Ibid.

53. AGMAfr. Dos. I. 55, P. Baldit « Essai de direction pour la Kabylie », 1909. Il s’agit d’un

document manuscrit de 21 pages qui nous renseigne sur les pratiques en usage. Dans les

internats, des orphelins ou ceux dont la famille accepte qu’ils reçoivent une instruction de la

religion chrétienne sont accueillis. « Quand pouvons-nous ou devons-nous les baptiser ? Un

pensionnaire qui a passé 4 ans à étudier la religion, qui a travaillé sans trop de relâche […] qui a

la foi et le désir de mener une vie chrétienne pourra passer un examen pour l’admission au

baptême et être baptisé, s’il a la permission de sa famille ou tuteurs » (p. 15). Baldit rappelle que

cette permission est nécessaire.

54. « Conférence des Supérieurs de Kabylie, Boh Noh 1937 », p. 37 : on dénombre un chrétien à

Boh Noh en 1888, 110 en 1910 et 167 en 1920.


55. Léon Livinhac (1846-1922), supérieur des pères blancs entre 1894 et 1922. On pourra se

reporter à sa notice biographique dans les Rapports annuels 1921-1922, p. 21-36.

56. AGMAfr. Dos. I. 55, sans date.

57. AGMAfr. Dos. 124/10, 4 pages dactylographiées.

58. O. SAAIDIA, « Henri Marchal, techniques d’apostolat auprès des musulmans », dans

F. JACQUIN et J.-F. ZORN (dir.), L’altérité religieuse, un défi pour la mission chrétienne XVIII e -

XX e

siècles, Paris, Karthala, 2001, p. 121-137 ; O. SAAIDIA, « Henri Marchal, un regard

missionnaire sur l’islam », Annales Islamologiques, 35, 2001, p. 491-502.

59. Il s’agit, rappelons-le, de leur éviter les limbes. Certes, Jacques Gélis a montré qu’elles

« déclinaient » progressivement depuis la fin du XVII e siècle, Les enfants des limbes. Mort-nés et

parents dans l’Europe chrétienne, Paris, Audibert, 2006. Toutefois, pour les missionnaires elles

restent sinon une réalité, l’une des rares opportunités de délivrer le baptême en terre d’islam.

Précisons que leur statut de simple « hypothèse théologique » (Joseph Ratzinger) a permis leur

éviction dans le Catéchisme de l’Église catholique de 1992.

60. La fécondité de Charles de Foucauld n’a pas été immédiate. Mais l’exaltation ambiguë de sa

conversion et de son exemple, inaugurée par la biographie à succès de René Bazin – Charles de

Foucauld, explorateur du Maroc, ermite du Sahara, Paris, Plon, – en 1921, bien que trop

édifiante pour résister aux années, a permis dans un second temps de mettre les catholiques

français en contact direct avec des écrits spirituels qui font découvrir la richesse du témoignage

et la richesse du projet. Un peu à la manière de ce qui se passe avec Thérèse de Lisieux, des

croyants découvrent bientôt, au-delà de l’éloge convenu du converti et les répercussions

patriotiques, un idéal mystique et apostolique adapté à leur temps. L’œuvre et l’action de

Massignon, conjuguant réhabilitation de la mystique musulmane et dialogue islamo-chrétien,

n’auraient peut-être pas été possibles sans la rencontre du frère Charles. Et les fils et les filles

spirituels de ce dernier, en particulier René Voillaume et la petite sœur Magdeleine

(respectivement fondateurs des petits frères (1933) et des petites sœurs (1939) de Jésus) disent

l’impact de cette « mystique de l’incognito et de l’enfouissement » (H. DIDIER, Petite vie de

Charles de Foucauld, Paris, Desclée de Brouwer, 2000) sur toute une génération.

61. SRA du 14 mai 1911.

62. F. RENAULT, Le Cardinal Lavigerie…, op. cit., p. 263.

63. SRA du 5 juillet 1914.

64. C’est Jésus qui est implicitement désigné, car al-masih est synonyme de Jésus. En effet, il

est le seul à être désigné ainsi dans l’islam sunnite et dans le christianisme, sans pour autant que

les uns et les autres en donnent la même définition.

65. Revue algérienne et tunisienne de législation et de jurisprudence, Alger 5 novembre 1903.

66. La citoyenneté française a été octroyée dès 1848 aux habitants de Quatre Communes du

Sénégal et aux habitants des cinq établissements indiens (Pondichéry, Chandernagor, Mahé,

Karikal et Yanaon), sans exiger d’eux l’abandon de leur statut personnel musulman. De même,

l’ordonnance du 7 mars 1944 attribue à 60 000 musulmans algériens la citoyenneté sans mettre

en cause leur statut. Cette situation devait perdurer au-delà de la période coloniale si l’on se

réfère au statut spécifique des habitants de Mayotte qui leur permet de conserver leur « statut


personnel musulman ». Dans la pratique et pour ne donner qu’une seule illustration, jusqu’en

2010, il était encore possible à un citoyen français de Mayotte né avant 1987 d’être polygame.

67. C. LIAUZU (s.d.), Colonisation : droit d’inventaire, Paris, A. Colin, 2004, p. 138.

68. P. LORCIN, Kabyles, Arabes, Français…, op. cit., p. 59.

69. K. DIRÈCHE-SLIMANI, Chrétiens de Kabylie…, op. cit.

70. SRA du 19 mai 1901.

71. On pourra se reporter à l’analyse d’une revue comme les Relations d’Orient, dans

O. SAAÏDIA, Chrétiens et musulmans en terres d’islam, DEA d’histoire religieuse sous la

direction du Pr. Claude Prudhomme, Université Lyon 2, 1997.

72. Pour le premier XX e siècle voir O. SAAÏDIA, Clercs catholiques et oulémas sunnites…, op. cit.

73. P. M. E. LORCIN, Kabyles, Arabes, Français…, op. cit., p. 78.

74. Ibid.

75. Ibid., p. 79.

76. Ibid., p. 80.

77. On ne peut que souligner la pérennité et des thématiques et de l’argumentaire : des députés

n’ont-ils pas, faisant écho aux analyses d’une académicienne, expliqué que parmi les causes des

émeutes de 2005 la polygamie était un facteur à retenir ?

78. O. SAAÏDIA et L. ZERBINI, De la construction du discours colonial dans l’Empire français

XIX e -XX e siècles, Paris, Karthala, 2009.

79. Mais derrière la critique en règle de l’islam, à la manière d’un philosophe du XVIII e siècle,

Renan vise aussi le christianisme. L’orientaliste est opposé à toute forme de cléricalisme

normalisateur et dogmatique, mais il ne conçoit pas pour autant que l’athéisme soit une solution

appropriée. Il faut croire en quelque chose, Renan croit en l’homme, à la science et au progrès.

Lui qui, de son temps, fut considéré comme le type même du contestataire, apparaît comme

l’incarnation du conformisme de la fin du XIX e siècle.

80. J.-P. CHARNAY, La vie musulmane en Algérie d’après la jurisprudence de la première moitié

du XX e siècle, Paris, PUF, 1 re éd. 1965, rééd. 1991.

81. Ibid., p. 92.

82. Ibid.

83. Ibid., p. 93.

84. Ibid., p. 94.

85. Ibid.

86. R. ACHI, « La laïcité à l’épreuve de la situation coloniale. Usages politiques croisés du

principe de séparation des Églises et de l’État en Algérie coloniale. Le cas de l’islam (1907-

1954) », dans La justice en Algérie 1830-1962, La documentation française, Paris, 2005, p. 163-

176.


87. La version « laïque » de l’épisode est relatée dans CH.-R. AGERON, Histoire de l’Algérie

contemporaine, t. II…, op. cit., p. 67 sq.

88. SRA du 5 mai 1901, p. 274-277.

89. Voir O. SAAÏDIA, « Muhammad », dans J.-D. DURAND et C. PRUDHOMME (dir.), Dictionnaire

historique du catholicisme, Paris, Robert Laffont, 2017, p. 886-887.

Pour une analyse plus complète voir O. SAAÏDIA, Clercs catholiques et oulémas sunnites…,

op. cit., p. 149-154.

90. SRA du 5 mai 1901, p. 276.

91. SRA du 12 mai 1901, p. 291-297.

92. Ibid., p. 292.

93. Ibid., p. 293.

94. Ibid.

95. SRA du 12 mai 1901, p. 293.

96. Le contenu du corpus coranique ne cesse de susciter des fantasmes : que renferme-t-il

vraiment ? Si des siècles durant on ne s’interroge pas sur son contenu tout en lui en attribuant un

issu des imaginaires les plus fantasques, la question fait aujourd’hui partie des grands leitmotivs

sur l’islam. Toutefois, ce qui est écrit dans un texte religieux ne peut prendre tout son sens

qu’une fois interprété car aucun texte ne « parle », ce sont les hommes qui le font parler en

l’interprétant. Or, l’exégèse d’un texte varie selon l’exégète, le temps et les lieux. Les croyances

et les pratiques religieuses s’insèrent toujours dans un contexte historique. En ce sens,

l’orthodoxie religieuse, pour un historien, est constituée par un ensemble de croyances, de

dogmes et de pratiques qui n’accèdent au statut de la « vérité » que dans un temps et en un lieu

donné. Par conséquent, orthodoxie comme orthopraxie sont des réalités évolutives et non des

données immuables.

97. Le contrôle des pèlerins à destination de La Mecque est aussi pratiqué par certains pays

musulmans aux XIX e et XX e siècles.

98. Argument qui a déjà été celui de Pavy et de bien d’autres.

99. La SRA du 1 er septembre 1907 annonce la parution d’un ouvrage, Salvia, écrit par

Mgr Ribolet vicaire général honoraire d’Alger : « L’inspiration nettement chrétienne de ce récit

dont la barbarie musulmane est le théâtre, évoque, avec l’image des lieux souvent visités par

l’auteur, avec l’histoire des institutions et des mœurs assez mal connues de l’Algérie du Moyen

Âge, l’horreur que l’esclavage africain a fait peser assez longtemps sur le Midi de l’Europe. » Il

est question de la piraterie au XVI e siècle. L’auteur est connu pour une biographie de Pavy.

100. CH.-R. AGERON, Histoire de l’Algérie contemporaine, t. II…, op. cit., p. 68.

101. CH.-R. AGERON, Histoire de l’Algérie contemporaine (1830-1988), Paris, PUF, 1990,

1 re éd. 1964, p. 66.

102. La justice en Algérie 1830-1962, Paris, La documentation française, 2005.

103. CH.-R. AGERON, Histoire de l’Algérie contemporaine, op. cit., p. 27.


CHAPITRE 4

Vers la fin de l’Histoire ?

Ce dernier chapitre est d’une facture différente des précédents car il

entend couvrir une période qui court de l’après Première Guerre mondiale à

nos jours, soit une période où les travaux historiques sur l’Église catholique

en Algérie sont peu nombreux. Si les trois chapitres précédents ne

prétendent pas à l’exhaustivité, ils permettent d’avoir une première

approche historique de l’Église catholique en Algérie avant 1914. Pourquoi

alors ne pas avoir terminé l’ouvrage sur l’année 1914 ?

J’ai estimé nécessaire de poursuivre au-delà pour plusieurs raisons. La

première est la prise en compte des attentes : un livre sur le catholicisme en

Algérie qui s’arrête en 1914 laisserait sur leur faim beaucoup de lecteurs.

Mais j’ai surtout fait ce choix, qui n’est pas sans risques, parce qu’il m’a

paru opportun et nécessaire de proposer un état provisoire des

connaissances, tel qu’il est possible à l’été 2016, et afin d’encourager des

investigations systématiques sur le catholicisme algérien durant cette

période. Même si tous les éléments réunis reposent sur des sources, le

lecteur voudra bien tenir compte des limites de mon propos ; et s’il

entretient un lien personnel avec les événements évoqués se garder de mêler

ou confondre histoire et mémoires.


D’une guerre à l’autre (1914-1962)

ESSAI DE BILAN DE LA SÉPARATION

La période de la Séparation n’a été qu’une petite parenthèse dans

l’histoire des relations entre l’État et l’Église dans la colonie. Même

l’ébauche d’une « guerre de religion » version algérienne n’est pas

décelable tant les enjeux de la métropole y sont étrangers. Enjeux que

l’Église algérienne a, d’ailleurs, du mal à saisir. Elle refuse de participer au

débat idéologique autour des rapports entre l’Église et l’État. Pourquoi le

ferait-elle, elle qui a toujours perçu la nécessité de la présence de l’État

pour son propre développement ? C’est donc à la fois des sentiments

d’incompréhension et d’injustice qui dominent au sein du clergé : il se voit

imposer une loi dont il ne se sent pas responsable.

L’Église algérienne a conscience d’appartenir à une communauté

universelle, mais elle revendique son « droit à la différence », car elle est

implantée en terre coloniale. Il est vrai que sa structure et son organisation,

même après la Séparation, sont des émanations de celles de France, mais

son état d’esprit est différent. Le clergé, conscient d’être aussi le

représentant de la France, veut rester fidèle à l’État. Nous l’avons vu,

Mgr Bouissière excepté, le clergé demeure « d’esprit concordataire ». Cette

liberté d’expression, implicitement inhérente à la loi de 1905 n’est pas

usuelle en Algérie. Il est vrai que l’octroi des indemnités de fonction peut

être à l’origine de ce silence prudent. Cette épée de Damoclès, suspendue

sur les ministres du culte, exerce une pression diffuse quand bien même elle

est amputée de la contrepartie honorifique qu’offrait le Concordat. Pourtant,

les indemnités n’ont pas, à elles seules, conditionné les attitudes politiques

du clergé. Ce dernier est convaincu que sans le soutien de l’État il ne peut

survivre dans la colonie. Il ne tient guère à cette nouvelle liberté car il n’a

jamais ressenti de contrainte dans son passé pour avoir à les dénoncer


quand il en a eu la possibilité légale. Le Gouvernement général est sensible

à la fragilité du culte et ne tient pas à le voir disparaître. La Séparation n’a

jamais été dangereuse pour la survie de l’institution dans la mesure où le

Gouvernement général ne souhaite point son extinction.

En effet, l’Église a une dimension autre dans la colonie. Si la Séparation

a pu contribuer en France au processus de déchristianisation, en Algérie il

en va autrement. Il n’y a pas à proprement parler de projet d’affaiblissement

du catholicisme, car un lien affectif lie les Européens à leur religion. Les

conséquences de l’application de la loi dans la colonie n’ont rien à voir avec

celles de la France, il faut les envisager au travers du prisme de la vie

coloniale.

Dans ces conditions les débats parlementaires à propos de la Séparation

prennent une dimension paradoxale. Pourquoi le débat national prend-il le

pas sur la volonté de l’État de ne pas mettre en péril l’ordre colonial en

Algérie ? Pourquoi « l’exception algérienne » n’a-t-elle pas été d’emblée

admise, d’autant que, dans les faits, c’est un système de séparation atténuée

qui est adopté et se met en place ?

Les années de la Séparation constituent une courte parenthèse. Après la

Première Guerre mondiale, l’État intervient à nouveau dans le

fonctionnement de l’Église en subventionnant des créations d’édifices du

culte et en poursuivant l’octroi des indemnités. Au bout du compte,

contrairement à ce que pouvaient laisser penser les débats autour de 1905,

l’Église algérienne a traversé sans bouleversement la période et digéré la

Séparation. Cette dernière, loin de lui donner un nouveau visage, a renforcé

un profil modelé dès les premiers temps de la conquête. Contrairement à

son homologue de l’autre rive de la Méditerranée, l’Église catholique n’a

pas eu à inventer un nouveau type de relations avec ses fidèles appelés à

financer l’institution ou avec un clergé privé de son traitement. Le contexte

colonial a naturellement conduit le clergé à être proche des fidèles et à faire

corps avec eux, car tous deux appartiennent à une même communauté, celle


des colonisateurs, au regard des colonisés. Cette volonté d’unité et ce

sentiment de solidarité ont permis à la Séparation de se dérouler sans

martyrs et sans fracas. L’Église algérienne est une victime, selon elle, dont

« l’agresseur » semble se repentir en contribuant à son maintien et, sur le

long terme, à son développement. Les réalités coloniales l’emportent

rapidement sur les conflits idéologiques.

Sans doute l’exception algérienne n’est-elle pas absolue. La République

radicale n’a pas la même politique partout outre-mer, comme en témoignent

les autres diocèses coloniaux, peu nombreux au demeurant. Puisqu’ils se

limitent aux seuls évêchés des vieilles colonies de la Guadeloupe, de la

Martinique et de la Réunion. Dans ces derniers, la Séparation a été

appliquée dans toute sa rigueur, mais plus tardivement. En effet, le décret

qui applique la Séparation aux colonies date du 6 février 1911, alors qu’il

avait été préparé depuis 1906 1 . C’est par crainte d’émeutes, écrit le père

Janin, que le Gouvernement a tardé à la faire appliquer. De plus, comme

pour l’Algérie, l’État redoute l’implantation aux Antilles de prédicants

étrangers, notamment américains. Face à la Séparation, les évêques et la

majorité du clergé colonial ont adopté la même réserve qu’en Algérie.

Néanmoins, contrairement à cette dernière, les diocèses sont rattachés par

Rome à la congrégation romaine de la Propagande, et entrent dans le champ

des missions, alors que Rome doit accepter la singularité de l’Église

d’Algérie et son assimilation aux diocèses de métropole.

Une fois de plus les diocèses algériens ne peuvent pas être assimilés à

des diocèses coloniaux quelconques. La proximité avec la métropole, le

statut particulier de l’Algérie et surtout la présence massive d’Européens

ont contribué à forger un catholicisme algérien original. À mon sens, on

peut parler de modèle algérien dans la mesure où l’Église algérienne

constitue une entité assimilable à aucune autre. Elle participe à la

construction de l’image des Européens, image qui s’édifie par opposition

aux indigènes assimilés aux musulmans. Être Européen, pour la grande


majorité, c’est être catholique : la religion sert de dénominateur commun et

d’identité sociale. Elle est le repère visible de l’appartenance à une même

communauté, comme l’islam l’est pour les musulmans. L’Église se fait

acteur de la construction d’une communauté qui est encore en gestation en

ce début de siècle.

Certes, l’anticléricalisme existe, mais, comme toute chose en Algérie, il

n’a ni les mêmes connotations ni les mêmes implications qu’en France. Une

fois de plus, le contexte colonial propre à l’Algérie façonne différemment

les concepts de part et d’autre de la Méditerranée. En Algérie, la distinction

entre le religieux et le politique est nette, et d’autant plus aisée à maintenir

que la sphère religieuse n’entend pas être politisée. Ce non-engagement est

peut-être dû à des résistances locales ou à la faiblesse de l’institution. Il

convient aussi de prendre en considération la volonté du clergé qui a une

haute idée de l’action coloniale de la France et veut y contribuer, non

l’entraver. Pour le clergé, le respect dû à la Patrie est fondamental, surtout

quand la France mène une action qui se présente comme civilisatrice.

L’objectif est de faire de l’Algérie une autre France. Il est aisé de constater

la permanence des objectifs définis par Lavigerie :

« Faire de la terre algérienne le berceau d’une nation grande,

généreuse, chrétienne, d’une autre France, en un mot, fille et

sœur de la nôtre, et heureuse de marcher dans les voies de la

justice et de l’honneur à côté de la mère patrie ; répandre autour

de nous, avec cette ardente initiative qui est le don de notre grâce

et de notre foi, les vraies lumières d’une civilisation dont

l’Évangile est la source et la loi ; les porter au-delà du désert,

avec les flottes terrestres qui la traversent et que vous guiderez,

un jour, jusqu’au centre de ce continent encore plongé dans la

barbarie ; relier ainsi l’Afrique du Nord et l’Afrique centrale à la

vie des peuples chrétiens, telles est, je le répète, dans les desseins


de Dieu, dans les espérances de la patrie, dans celles de l’Église,

votre destinée providentielle… Je prie (Dieu) de vous bénir,

vous tous habitants chrétiens de ce diocèse, issus de tant de

nations diverses, mais devenus nos frères depuis que vos pieds

se sont reposés sur le sol d’une seconde France 2 … »

Les ministres du culte anticipent cet avenir. Ils se sont adaptés au milieu

colonial dans leur rapport avec l’État, et ils demeurent des prêtres français

dans leur contact avec les fidèles et leur action pastorale. Ils espèrent

contribuer à façonner ce peuple algérien en lui donnant une allure la plus

française possible. La présence de nombreuses œuvres et de patronages

témoigne de cette volonté de transporter en Algérie les méthodes et les

moyens expérimentés en métropole.

Le clergé séculier oriente donc son apostolat exclusivement vers les

Européens et dans les documents consultés, il n’est pas ou peu fait mention

des musulmans. Les rapports entre les catholiques et les musulmans sont

rarement évoqués. Certes, c’est au regard de l’histoire du temps présent,

caractérisé par un souci de dialogue et la volonté de connaître l’Autre, que

cette absence du monde musulman étonne. Pour la période envisagée

connaître la culture indigène constitue une préoccupation marginale aux

yeux d’un milieu colonial qui vit en vase clos. L’islam apparaît dans le

discours quand il s’agit de dénoncer la politique gouvernementale qui

tendrait à le favoriser, au détriment, pense-t-on, du culte catholique. En

l’absence d’un prosélytisme missionnaire organisé, qui oblige à connaître

l’Autre pour mieux le convertir, la population musulmane s’efface, à

l’exception des Kabyles.

Certes, avant la Première Guerre mondiale certains clercs

ambitionnaient encore de ressusciter les évêchés du passé, rêve ambitieux et

chimérique. Mgr Oury, dans sa correspondance avec l’Œuvre de la

Propagation de la foi, fait part de son désir de sortir de son obscurantisme


ces populations jadis chrétiennes 3 . Toutefois, il s’agit d’une chimère, d’un

thème à succès de la littérature coloniale bien plus que d’une volonté réelle.

Mais après la guerre, le rapport aux musulmans entre dans une nouvelle

phase, et les rêves de rechristianisation ne sont plus d’actualité. Seuls les

Européens sont désormais l’objet d’un intérêt.

La méconnaissance de la culture de l’Autre est symétrique du côté

musulman. Ces derniers, dans leur grande majorité, ignorent la culture

européenne et les fondements du christianisme 4 .

Dans ces conditions, la perspective d’un échange ou d’un dialogue perd

toute signification. Chacun est au mieux spectateur des manifestations

extérieures de la religion de l’autre. La situation coloniale y est pour

beaucoup. Seules des études documentées permettront d’interpréter cet

éloignement des populations indigènes dans les sources catholiques et du

peu d’intérêt manifesté par les musulmans.

Ce premier constat ne saurait pour autant rendre compte de toute la

réalité. Il n’implique pas l’absence de relations personnelles entre juifs,

chrétiens et musulmans, ni que certaines aient pu être empreintes de respect

réciproque à défaut de véritables rencontres. Par ailleurs, nous savons qu’à

la fin des années 1930 a existé à Alger un groupe de croyants monothéistes

auquel Monchanin fait référence et dont le seul document trouvé, jusqu’à

aujourd’hui, se trouve à Alger 5 . En effet, en 1935 est fondé, à l’initiative

d’un catholique, Henri Bernier, et du cheikh Taïeb Okbi rejoints par Élie

Gozlan, Fernand Touboul et plusieurs membres du cercle de jeunesse Quol

Aviv, à Alger le cercle des croyants monothéistes.

L’ENTRE-DEUX-GUERRES : « LE BON TEMPS DES COLONIES » ?

Dans les années 1920, la concorde et la coopération semblent à nouveau

triompher en Algérie entre l’Église catholique et l’État. En effet, les

indemnités de fonction sont prorogées, les palais épiscopaux sont restitués,


en d’autres termes, la parenthèse de la Séparation est enfin refermée au

grand soulagement de tous. L’application de la loi du 9 décembre 1905 a été

un moment décisif pour l’Église d’Algérie. Elle a finalement obtenu ce

qu’elle désirait : être une Église diocésaine sans perdre pour autant sa

spécificité coloniale. Église diocésaine, elle l’est, car la loi de 1905 lui est

en principe appliquée. Église coloniale elle demeure, avec un statut

particulier qui lui permet de conserver des avantages matériels, financiers,

symboliques. Les études de cas effectuées des dernières années confirment

la spécificité de la situation algérienne qui fait rêver certains prélats

coloniaux 6 . Elle garde cette place unique grâce à sa proximité avec le

territoire métropolitain, aux échanges étroits avec celui-ci et surtout à son

caractère de colonie de peuplement.

Permanences

La continuité se vérifie d’abord dans le choix des évêques 7 .

Mgr Leynaud préside aux destinées du diocèse d’Alger depuis 1917, après

la démission de Mgr Combe qui, très âgé, ne se sentait plus en mesure

d’assurer à la fois ses fonctions à la tête de Carthage et d’Alger.

Mgr Légasse arrivé en Algérie pendant la guerre (1915) succède à

Mgr Capmartin comme évêque d’Oran 8 ; Mgr Durand est intronisé sur le

siège d’Oran (1921) à la suite du départ de Mgr Légasse. À Constantine,

Mgr Bessière prend la succession de Bouissière en 1917 dans un contexte

difficile – « Tous les ponts étaient coupés entre les autorités religieuses et

les autorités civiles 9 . » – à cause des différends qui avaient opposé

l’évêque aux autorités avant son décès en septembre 1916. À Mgr Bessière

succède en 1923, après sa mort, Mgr Thiénard consacré le 1 er mai 1924 dans

la cathédrale d’Alger.

Les évêques d’Algérie, entre les deux guerres, ont des parcours

similaires et une formation qui ne diffère guère de l’avant-guerre. La

plupart sont issus du clergé « africain », c’est-à-dire d’Algérie. Augustin


Leynaud, originaire de l’Ardèche, s’est porté volontaire à 17 ans pour le

diocèse d’Alger et a été formé au grand séminaire de Kouba. Il est curé de

La Goulette, puis de Sousse, et sa notoriété dans les milieux académiques

contribue à sa nomination sur le siège archiépiscopal d’Alger le

2 janvier 1917. Il meurt en charge après un long épiscopat le 5 août 1953.

Amiel-François Bessière, né dans l’Hérault, suit sa famille venue s’établir

en Algérie où son père gère un domaine des frères de l’Annonciation.

D’abord professeur au petit séminaire, il est curé de Sidi-Bel-Abbès au

moment de sa promotion à l’épiscopat pour le siège de Constantine. Il

meurt prématurément le 3 octobre 1923 à Aix-en-Provence où il venait de

prêcher une retraite. Émile Thiénard, qui lui succède est natif de la Drôme.

Il part faire son grand séminaire à Kouba pour raisons de santé. Vicaire à

Cherchell, curé de Novi, puis doyen du chapitre d’Alger, il est consacré

évêque de Constantine par Mgr Leynaud dont il a été le secrétaire. Il y reste

jusqu’à sa mort le 26 octobre 1946. Léon Durand, le seul à être né en

Algérie (Oran, 1878), accomplit ses études supérieures à Rome au

Séminaire français et à l’Université grégorienne. Professeur de théologie au

grand séminaire de Marseille, évêque auxiliaire de Marseille en 1919, il est

transféré à l’évêché d’Oran en 1921. Lui aussi meurt, à Oran dont il est en

charge, le 20 mars 1945. Christophe Légasse, né au pays basque dans une

famille de marins-pêcheurs, est d’abord nommé préfet apostolique de Saint-

Pierre-et-Miquelon en 1899, puis consacré évêque d’Oran le 22 février

1906. Il achève sa vie sur le siège métropolitain de Périgueux (1920-1931).

Tous sont des prélats familiers du monde colonial. Quatre d’entre eux

ont des liens personnels avec l’Algérie et restent sur leur siège jusqu’à leur

mort. Ils connaissent bien la population européenne et ont l’expérience de la

nature si particulière des rapports entretenus avec les représentants de

l’État. Ces itinéraires expliquent, en partie, des relations de cordialité qui

favorisent le retour à des conditions de vie proches de celle d’avant-guerre :

Leynaud retrouve le palais de l’archevêché en 1922.


Comme par le passé, les autorités religieuses sont présentes dans les

grands moments de la colonie et se réjouissent du climat de bonne entente :

« Cette entente, cette sympathie même, qui préside

généralement, depuis onze ans, aux relations du clergé et des

représentants de l’autorité en Algérie, donna un éclat spécial aux

fêtes célébrées, en novembre 1925, à l’occasion du centenaire du

cardinal Lavigerie. Le discours du gouverneur général Viollette,

l’accueil fait au légat pontifical, le cardinal Charost, et aux

évêques de la métropole, la présence des chefs des

administrations civiles et militaires aux diverses cérémonies,

donnèrent au peuple d’Alger accouru en masse l’impression

d’une heureuse union sacrée 10 . »

Une situation identique prévaut à Oran :

« Et puis, quelle place de premier rang, est faite aux hommes et

aux choses de l’Église, dans la vie sociale contemporaine de

cette importante cité 11 ! »

Au-delà des liens formels et publics, le pacte colonial est poursuivi sur

le plan financier avec la poursuite des indemnités de fonction et le

financement des édifices du culte. Les indemnités voient même le nombre

de leurs bénéficiaires augmenter 12 notamment en Oranie :

« Les délégations financières de l’Algérie, soit dans leurs

commissions, soit dans leur réunion plénière, soit au conseil

supérieur, ont augmenté dernièrement le nombre des bénéficiers

de ces indemnités dans l’Oranie 13 . »


Consolider l’infrastructure

Ce contexte favorable a un effet visible sur l’infrastructure paroissiale

qui est renforcée par la création de nouveaux édifices du culte. Au début

des années 1920, dans le diocèse d’Oran, deux nouvelles églises sont

érigées avec la contribution des paroissiens, de riches mécènes mais aussi

des pouvoirs publics 14 . Ainsi, l’église de Saint-Leu a bénéficié d’une

subvention de la municipalité. Sous l’épiscopat de Mgr Durand, c’est près

de 15 nouvelles églises qui sont construites 15 . À Alger, deux nouvelles

paroisses sont créées en 1919 : Saint-Vincent-de-Paul et Saint-Pierre 16 .

Dans les années 1920, trois églises sont construites dans la métropole :

Sainte-Anne-de-la-Redoute, Sainte-Monique-du-Ruisseau et Sainte-

Marcienne-d’Isly ; cinq autres dans le reste du diocèse : Voltaire, Victor-

Hugo, Burdeau, Cheragas, Orléansville 17 .

Toutefois, cette politique volontariste de l’État ne permet pas à l’Église

catholique de résoudre les problèmes qui se posent à tous les diocèses

coloniaux, en particulier celui du recrutement sacerdotal. L’une des

premières urgences a été la réouverture des séminaires. Leynaud annonce,

dès son arrivée, l’ouverture du séminaire et son financement par l’œuvre

des vocations sacerdotales. Le nouveau séminaire commence sous la

direction des lazaristes qui rejoignent les locaux de l’ancien petit séminaire

Saint-Etienne en 1928. En 1930, 43 nouveaux prêtres en seraient sortis,

l’établissement compterait 30 grands séminaristes et 51 petits

séminaristes 18 . En 1916, le séminaire d’Oran compte 9 élèves, ils sont 50 en

1920 au moment du départ de Légasse 19 . La réouverture du grand et du petit

séminaire sous le même toit a lieu en 1918 à Constantine 20 ; en 1930 on

compte 60 élèves entre le grand et le petit séminaire et 17 prêtres

ordonnés 21 .

Un tissu paroissial affecté par la pénurie de clercs


Ces chiffres ne doivent pas masquer une autre réalité : celle de l’étendue

des diocèses et des difficultés inhérentes à cette situation. En Algérie s’y

ajoute la dichotomie observée plus haut entre les paroisses urbaines et les

paroisses rurales. Elle se poursuit et s’accentue dans certains diocèses. Dans

bien des villes du diocèse d’Oran, le nombre de catholiques permet une vie

religieuse proche de celle de la métropole 22 . En revanche, le diocèse de

Constantine rassemble plutôt des « paroisses des champs » dans leur

variante coloniale. C’est le diocèse où la présence européenne est la plus

faible et la présence musulmane la plus importante : 130 000 fidèles et

2 500 000 indigènes. Il compte 83 paroisses, 110 prêtres en exercice,

religieux compris 23 . Le département de Constantine est marqué par un

processus observable dans toute l’Algérie : l’installation des colons dans les

villes. L’évêque parle de « l’affaiblissement croissant de l’élément européen

dans les villages et petits centres » et Pons déplore :

« L’on voit de la sorte des églises, quelquefois assez belles,

esseulées, au milieu des mahométans 24 … »

Les paroisses dont la taille ne justifie pas la présence permanente d’un

prêtre sont supprimées et se transforment en annexes desservies par le curé

d’une paroisse voisine, ce qui permet de faire face à la pénurie en prêtre.

Plus du tiers des curés dessert quatre à cinq paroisses, voire huit ou neuf

distantes de trente à soixante kilomètres de la paroisse centrale. La paroisse

de Clauzel, avec ses cinq annexes, compte 150 fidèles ; Saint-Arnaud, avec

huit annexes, compte 1 500 fidèles, etc. Le curé de Bordj-Bou-Arreridge

visite 17 centres dont le plus près est à 7 km, le plus loin à 60 km pour

3 000 fidèles 25 .

La situation est meilleure en ville, sans être exceptionnelle : Constantine

compte quatre paroisses, Bône, deux et Philippeville une seule 26 . Les

difficultés de recrutement sacerdotal dans ce diocèse sont plus graves que


dans les deux autres. Cela se traduit aussi par un nombre moins important

d’œuvres, même si on y retrouve les principales œuvres présentes en

Algérie comme les conférences de Saint-Vincent-de-Paul ou encore les

Dames de la Charité 27 . Un constat identique s’impose pour les

congrégations religieuses. L’inégalité des ressources selon les diocèses et

selon la localisation des paroisses reste une des constantes de l’Église en

Algérie. Elle n’empêche pas la vie catholique de se poursuivre avec la

même ardeur pour ce qui concerne les œuvres.

À côté des œuvres « classiques » telles que les conférences de Saint-

Vincent-de-Paul ou les Dames de la Charité, présentes sur tout le territoire,

ou encore les associations par classe d’âge et par genre, des nouveautés ont

gagné les diocèses algériens. C’est ainsi que le mouvement des scouts de

France lancé en 1918 compte 105 membres en 1930 sur Alger 28 . Des

syndicats catholiques se structurent chez les pécheurs de Mers el-Kébir 29 et

chez les cheminots de Perregaux 30 et d’Alger 31 . La jeunesse n’est pas en

reste même si certaines fondations remontent à avant la Guerre, comme les

étudiantes catholiques, fondées en 1895, dirigées par les jésuites et

comptant 70 membres, alors que l’association des étudiants catholiques

d’Alger est fondée en 1927 et dénombre 110 membres. Les œuvres

destinées à l’élite sont toujours actives et se diversifient comme le montre la

fondation du cercle de Mun en 1922 (260 membres à Alger 32 ). On peut

aussi mentionner plusieurs associations sportives fondées dans un cadre

paroissial ou scolaire qui marquent la volonté d’occuper aussi cet espace à

côté des associations juives, musulmanes ou laïques.

La nouvelle action catholique spécialisée, qui s’organise en métropole

autour de 1930, s’implante assez tôt dans les diocèses algériens, en 1929

sous la forme de la Jeunesse Ouvrière chrétienne, puis en 1934 de la

Jeunesse Agricole chrétienne et de la Jeunesse Étudiante chrétienne. Les

effectifs semblent modestes et son influence est difficile à mesurer avant

1939.


Pour ce qui est de l’enseignement catholique, il continue à se

développer essentiellement dans le diocèse d’Alger avec 20 écoles de

garçons et 29 écoles de filles. Mais il reste minoritaire face à

l’enseignement laïque et gratuit. Dans les écoles pour garçons, on dénombre

82 professeurs et 1 470 élèves ; dans celles destinées aux filles

147 maîtresses et 3 913 élèves 33 . L’arrivée de deux nouvelles congrégations

religieuses – les sœurs franciscaines missionnaires de Marie et les salésiens

de Don Bosco – semble attester de l’attractivité des diocèses algériens et de

la volonté des évêques de favoriser l’action sociale 34 .

Manifestation publique de la place éminente reconnue au catholicisme,

le faste des cérémonies religieuses se maintient et les catholiques, à travers

leurs ouvrages ou la « bonne presse », insistent sur l’éclat donné à toutes les

cérémonies religieuses même dans les villages les plus reculés. L’abbé Pons

explique que :

« Cet apparat extérieur, souvent et partout renouvelé, est une

forme d’apostolat très prisée et partant très efficace auprès des

populations impressionnables d’Afrique 35 . »

Il donne aussi une visibilité à une minorité en situation de domination :

le faste s’avère encore plus important qu’avant 1914. Les archives

diocésaines d’Alger sont riches d’albums de photos qui donnent vie aux

célébrations catholiques. Aux grands moments de l’existence, le clergé se

tient aux côtés de ses ouailles. Fêtes collectives ou privées, glorification de

la France ou de l’Église : Pâques, communion, célébration du centenaire de

l’Algérie ou participation à la croisade eucharistique de Tunis en 1931,

l’Église catholique est toujours dans l’objectif du photographe. Elle se

retrouve même au centre de toutes les attentions en 1939 lors du congrès

eucharistique national qui se déroule entre le 3 et le 7 mai à Alger dans un

contexte international plus que tendu.


Les sources sur l’événement sont nombreuses et gagneraient à être

exploitées 36 . Un film a même été tourné pour couvrir l’événement 37 . Les

images de ce documentaire témoignent de la solidité du lien avec les

autorités civiles et militaires mais aussi avec l’Église métropolitaine qui fait

le choix d’organiser son congrès national à Alger. L’Église universelle n’est

pas en reste car le cardinal Verdier, archevêque de Paris, est présent en tant

que légat de Pie XII. L’accueil est à la hauteur de l’événement : présence

des officiels à la descente de bateau du légat, fanfare, parade aérienne, etc.

La cathédrale Saint-Philippe est pavoisée de drapeaux tricolores –

jusqu’aux minarets – et d’écussons de la République française. Des

musulmans – femmes voilées, hommes et enfants – sont présents dans la

foule au milieu des fidèles.

Trois grands moments religieux marquent ce congrès : la messe de

communion générale des enfants, célébrée par Mgr Leynaud et organisée

dans un stade Saint-Eugène comble ; le chœur dialogué, organisé par le père

Parra face à un parterre de jeunes gens en tuniques de croisés ; la procession

dans les rues d’Alger lors de la Fête-Dieu.

Seule la présence des musulmans et des minarets à l’arrière-plan, ainsi

que quelques burnous de pères blancs laissent à penser que nous sommes en

terre d’islam. Les célébrations religieuses sont des reproductions de la

scénographie catholique dans le reste du monde. D’acculturation, il n’est

pas question : l’Algérie reste l’autre France. Le choix de 1939 laisse

possible une dernière lecture du congrès comme moment de la célébration

du centenaire de l’Église catholique en Algérie : l’érection du premier

diocèse algérien ne date-t-elle pas de 1838 ?

À l’instar d’autres institutions, l’Église catholique se trouve bien au

cœur de la colonisation de l’Algérie avec ses édifices et son occupation de

l’espace, sa capacité à imposer son temps religieux et sa synchronie avec les

autorités.


Fragile apogée

La décennie des années 1930 est, à juste titre, présentée comme

l’apogée et le début du déclin du système colonial. Derrière les

rassemblements de masse, l’apparente unanimité catholique laisse aussi

apparaître des failles. La plus visible se manifeste à l’occasion des luttes

politiques qui divisent le clergé et les fidèles. Ces années sont

particulièrement mouvementées dans le département d’Oran avec l’élection

de l’abbé Gabriel Lambert à la mairie d’Oran en 1934. Interdit de sacerdoce

dans son diocèse d’origine, Toulouse, il se pose en leader politique face au

Front populaire malgré l’opposition de l’évêque, Mgr Durand qui étend sa

suspension au diocèse d’Oran. Tribun populaire, il met en avant ses dons de

sourcier pour promettre d’assurer l’alimentation en eau à la ville, puis

évolue en antisémite militant. Il contribue à l’échec du candidat soutenu par

l’évêque en 1936 face à un socialiste, fait route avec des mouvements

fascisants, avant de poursuivre un parcours particulièrement sinueux. La

guerre civile en Espagne constitue un autre motif de divisions au sein d’une

population européenne en grande partie originaire de ce pays.

Le faste des célébrations de 1930 ne doit pas davantage occulter la

montée des revendications nationalistes dans toutes les parties de l’empire

et particulièrement en Algérie. L’Église universelle l’a parfaitement compris

avec Benoît XV et son encyclique Maximum illud, qui entend en 1919 se

démarquer de la colonisation. Or, si évangélisation et colonisation

collaborent volontiers mais répondent à des logiques indépendantes dans

certaines zones de l’empire, pour l’Algérie les deux réalités sont

inextricablement imbriquées.

L’État a poursuivi sa politique de collaboration avec l’Église pendant

l’entre-deux-guerres et au-delà. Marie et Marianne contribuent ensemble à

l’édification de la plus grande France comme l’atteste la création en 1954

de l’évêché de Laghouat.


Néanmoins, la Seconde Guerre mondiale marque un tournant et une

accélération dans l’histoire de l’Algérie, et l’Église ne tarde pas à en subir

les conséquences.

LE TEMPS DES REMISES EN CAUSE (1945-1962)

Les lendemains de victoires qui chantent ont été sanglants en Algérie

avec la terrible répression de Sétif du 8 mai 1945. Cet événement ramène au

premier plan les populations soumises sans qu’aucune mesure significative

ne soit prise. Quelle est alors la réaction de l’Église face au processus de

décolonisation ?

Le surgissement de la question coloniale dans

le catholicisme

La papauté, prompte à intervenir sur les questions de société à l’époque

contemporaine, ne consacre pas d’encyclique à la décolonisation et observe

une prudente réserve conforme à la position adoptée face à la

colonisation 38 . Elle n’expose pas une doctrine officielle définissant un droit

de la décolonisation. Seuls de rares théologiens atypiques s’y emploient

comme le laïque lyonnais Jacques Folliet qui a effectué son service militaire

en Tunisie et, après avoir consacré sa thèse au droit de colonisation (1928),

sera très actif au sein du catholicisme social français dans le débat autour de

la guerre d’Algérie. Rome produit cependant une série de textes dont elle

laisse les acteurs du terrain tirer les conséquences pratiques en fonction des

circonstances de temps et de lieu.

On trouve ainsi dans les interventions de la hiérarchie un mélange subtil

et déconcertant, de déclarations générales favorables à l’émancipation des

peuples colonisés et de conditions qui rendent difficiles leur mise en

pratique à court terme. Pourtant, consciente que la décolonisation est


inéluctable, l’Église catholique entend être présente dans un processus dont

dépend son avenir sur le terrain. Elle appelle les fidèles à s’investir et le

clergé à ne pas se lier aux autorités coloniales, à condition de ne se

compromettre dans la collaboration avec un communisme très actif. Cela ne

débouche pas partout sur une position tout à fait claire, encore moins

unanime.

Depuis le message de Noël 1955 du pape Pie XII, Rome préconise une

décolonisation par étapes : « De toutes façons, qu’une liberté juste et

progressive ne soit pas refusée à ces peuples, et qu’on n’y mette pas

d’obstacle ». Mais cette approbation donnée à un nationalisme pacifique ne

peut pas être appliquée de la même manière dans les colonies africaines et

en Algérie où les catholiques sont aussi les Européens qui dirigent et

contrôlent la vie politique, économique et sociale. Dans ce contexte, toute

prise de position devient extrêmement délicate et l’appui éventuel aux

aspirations nationalistes ne tarde pas à passer pour une trahison des

catholiques locaux. Dès lors que la guerre s’installe, la question devient

cruciale : comment mettre en œuvre les grandes orientations romaines sans

paraître contredire toute une histoire et provoquer l’hostilité de la majorité

du clergé et des fidèles ?

La consultation des rapports annuels des pères blancs offre un bon

observatoire du lent déplacement qui s’opère. La continuité semble

l’emporter jusqu’au milieu des années 1950. Jusqu’au déclenchement de la

guerre, les préoccupations portent essentiellement sur les œuvres

caritatives, éducatives et de santé. Cependant, sous l’influence du

catholicisme de métropole, des sessions de formation aux questions sociales

sont organisées et attestent d’une prise de conscience de la nécessité de

mieux former les laïcs. La situation des chrétiens kabyles et la mission en

Kabylie restent une priorité pour les pères blancs qui y ajoutent

l’accompagnement en France (surtout en région parisienne) des travailleurs

algériens.


À partir de 1955, l’inflexion dans le sens de l’action sociale en direction

de la population musulmane, en Algérie auprès des jeunes musulmans non

ou peu scolarisés et parmi les émigrés en métropole, s’accentue au fil des

rapports. L’action catholique spécialisée de la JEC et de la JOC est

encouragée et influence durablement l’itinéraire de plusieurs militants laïcs.

André Mandouze (1916-2006), nommé professeur à la Faculté d’Alger en

1946 et éminent spécialiste des pères de l’Église 39 , marque par sa

personnalité plusieurs générations d’étudiants catholiques qui s’engagent en

faveur d’une évolution sociale et politique, et parfois soutiendront comme

lui le FLN. L’enseignement de l’arabe dans les séminaires, ou au travers de

sessions destinées aux séculiers et aux religieux, est développé. Quelques

clercs sont appelés à se former en littérature arabe et « islamologie » à

Tunis ou au Caire 40 .

D’autres questions se greffent sur ces objectifs, à commencer par la

position à choisir en matière d’apostolat dans un contexte de réorientation

de l’action missionnaire :

« Mais à l’heure actuelle, sous prétexte de charité apostolique,

plusieurs ont tendance à énerver les forces apostoliques des

chrétiens désireux d’être missionnaires. […] Pas d’autre

témoignage, disent-ils, que celui de la vie de charité au milieu

des musulmans et pas de témoignage de la parole. On sent là

toute l’ambiguïté de telles consignes qui contiennent une part de

vérité, mais qui en arriveraient, poussées à l’extrême, à faire

renoncer les chrétiens à leur rôle apostolique de témoins de la

vérité par la parole autant que par l’exemple. À partir de là on

n’ose pas reconnaître les erreurs évidentes, les oppositions

caractérisées de la doctrine musulmane à la chrétienté en des

points qui sont capitaux, fondamentaux 41 . »


Ce passage renvoie aux débats sur les différentes méthodes

d’évangélisation qui ont commencé dans l’entre-deux-guerres et traversent

les milieux missionnaires avec notamment le développement de la

spiritualité foucauldienne du témoignage discret et du refus de tout

prosélytisme. Cette influence conduit certains pères blancs à redéfinir leurs

méthodes apostoliques en direction des musulmans sans pour autant

souscrire à toutes les orientations issues de la pensée et l’action du « frère

Charles 42 ». Ces adaptations ne font pas l’unanimité au sein de la société

des missionnaires d’Afrique : privilégier un mode d’action ne signifie pas

exclure les autres. Mais dans la citation précédente, extraite du rapport de

1955, perce un certain malaise : doit-on renoncer à une conception de

l’apostolat qui passe par la parole ?

Le débat sous-jacent rejoint une autre question, ancienne et toujours

cruciale, celle des conversions obtenues après quatre-vingts ans d’apostolat

en Algérie :

« Pour en donner une idée précise, le Supérieur de la Mission

des Pères Blancs, Vicaire Général d’Alger, a accordé, entre 1948

et juillet 1955, 34 autorisations de baptême d’adultes 43 . »

Ces chiffres corroborent ceux que j’avais établis à partir des rapports

annuels des pères blancs, soit environ 650 baptêmes entre 1905 et 1950 44 .

Leur faiblesse constitue une interrogation persistante dans les débats

internes sur l’utilité d’une présence missionnaire qui doit renoncer à faire

des chrétiens. L’état des lieux du catholicisme tel qu’il est dressé en 1960

par une encyclopédie catholique – quasi officielle – confirme que l’Église

d’Algérie continue à se considérer comme « une partie de l’Église de

France », malgré « l’évolution récente d’une élite catholique vers une

attitude d’intérêt et de rapprochement avec la communauté musulmane 45 ».


Face à la guerre et l’indépendance, hésitations

et divisions

La question politique ne peut plus être évitée à partir des années 1950.

Les pères blancs apparaissent soucieux de l’influence du marxisme et

pensent que l’islam risque d’en pâtir. Ils estiment que la thèse la plus

vraisemblable destine la Tunisie et l’Algérie à être des États laïques 46 . En

revanche, ils ne prennent pas position publiquement sur l’avenir de

l’Algérie et laissent à la hiérarchie le soin de le faire. Non sans laisser

percer leur embarras :

« Certains auraient souhaité que les Pères Blancs, eux aussi,

fassent connaître publiquement leur sentiment par des “prises de

positions” personnelles. […] Ils y sont, comme tels, soumis aux

chefs spirituels responsables de l’Église et ne sauraient prendre

officiellement des “positions” ou avancer des points de vue qui

ne seraient pas ceux des Évêques ou qui simplement même

manifesteraient une dualité d’orientation ou d’action. Leur rôle

ne peut donc être et a voulu en fait n’être que d’aider la

hiérarchie en suivant fidèlement ses consignes et l’éclairant sur

les aspects missionnaires que donnent à l’Église leurs activités

propres et le caractère universel et catholique qu’elles réclament

d’Elle dans la conjoncture présente 47 . »

La hiérarchie catholique et le clergé n’échappent pas aux divisions qui

traversent les catholiques, en métropole comme en Algérie. Si certains

prennent conscience du changement qui s’opère, d’autres optent pour le

maintien du statu quo. Mais nous manquons d’une vision d’ensemble. Si les

positions des catholiques français pendant la guerre d’Algérie ont fait

l’objet de travaux historiques, celles des catholiques en Algérie restent

rares. En effet, à l’exception des travaux sur Mgr Duval, des livres-


témoignages comme ceux des pères Scotto ou Bérenguer, de l’ouvrage

d’André Nozière 48 , issu de sa thèse de 3 e cycle ou encore du livre de Sybille

Chapeu sur les prêtres de la Mission de France 49 , la plupart des publications

portent sur les catholiques hors d’Algérie 50 . Toutefois, une journée d’étude

tenue, à Alger le 25 mai 2013 et intitulée « Des Chrétiens dans la

guerre 1954-1962 » a été organisée par le centre d’études diocésain des

Glycines et fournit quelques informations 51 .

À défaut de pouvoir entrer dans une analyse fine et chronologique, la

ligne de partage entre l’Algérie française et l’Algérie algérienne, dont les

définitions sont souvent floues et évolutives, s’impose progressivement. Les

facteurs qui déterminent les positions mettent en évidence des visions

différentes du catholicisme, de l’Église et de la colonisation. Elles sont

profondément pénétrées par les situations et les expériences personnelles.

On a coutume chez les évêques d’opposer la position favorable à

l’indépendance de l’archevêque d’Alger Mgr Duval et celle de l’évêque

d’Oran, Mgr Lacaste 52 favorable au maintien de la présence française. L’un

et l’autre ont été nommés évêques, alors qu’ils appartiennent à des diocèses

métropolitains, celui d’Annecy pour Duval, celui de Bayonne pour Lacaste.

Ils sont de la même génération, née autour de 1900, et ont reçu une

formation classique dans les séminaires de leur diocèse, complétée pour

Léon Duval par un doctorat de théologie à Rome. Pourtant, leur évolution

en Algérie se révèle très différente. Le premier a été évêque de Constantine

avant d’être appelé à l’archevêché d’Alger en février 1954. Malgré sa

prudence et le ton mesuré de ses propos, surtout quand il aborde la

dimension proprement politique en public, ses prises de position lui valent

d’être parfois censuré par une partie de son clergé qui refuse de lire ses

déclarations en chaire ; à la fin de la guerre il est affublé par des partisans

de l’Algérie française du surnom de Mohammed Duval. À l’inverse,

Mgr Lacaste acquiert la réputation d’être aux côtés de la population

européenne de son diocèse, le plus européanisé d’Algérie, d’autant qu’il


garde le silence sur les questions les plus sensibles comme le recours à la

torture. Mais le même homme signe les prises de position collective des

évêques d’Algérie durant la guerre. Il protège l’abbé Bérenguer « inquiété

par la police pour ses accointances avec le FLN et surtout par rapport à ses

prises de positions franchement exposées depuis 1956 53 ». Et le 29 juin

1962, il « préside avec le Cheikh Tayeb el Mehaïdji un grand meeting de

réconciliation entre les deux communautés et en présence du chef de la

Zone Autonome d’Oran le capitaine Nemiche 54 ».

Les positions des uns et des autres sont donc complexes et évoluent au

cours des années. Il reste toujours difficile, faute d’études précises, de

proposer une lecture qui ne soit pas caricaturale. Aucune présentation

d’ensemble des différentes attitudes et de leur poids respectif n’est possible.

C’est pourquoi, je souscris aux propos de Fouad Soufi quand il écrit :

« Il y aurait à sortir (ou en tous les cas à entrer dans les détails)

de cette légende noire des curés tous acquis à l’OAS. Il est vrai

que certains clochers d’églises à Oran avaient servi de point

d’appui aux snippers de l’OAS. Mais en face, la vie du curé de

Bedeau/Ras el Mas, le père Delacommune, est à écrire. Il y

aurait à mieux connaître celle d’Henri Quiévreux de Quiévrain,

maire de Télagh, catholique et monarchiste assassiné par l’OAS,

le 22 février 1962 à Oran 55 . »

L’histoire des fidèles catholiques en Algérie pendant la guerre, mais

aussi celles du clergé régulier et séculier restent, dans une large mesure

encore, à écrire, tout comme celles des dizaines de milliers de catholiques

qui ne quittent l’Algérie qu’après l’indépendance. Rappelons que près de

200 000 Français sont présents en Algérie en octobre 1962 et entre

50 000 et 60 000 en juillet 1965 56 .


Dans son choix courageux, Duval n’est pas seul. Une minorité de

fidèles, difficile à quantifier, l’accompagne, on citera, parmi tant d’autres,

les noms de laïcs militants comme le médecin Pierre Chaulet et sa femme

Claudine 57 . Des prêtres sont à ses côtés, comme les pères Carmona,

Bérenguer, Scotto, pour les plus connus.

Pourtant, cette Église, massivement tournée vers les Européens, apparaît

à plus d’un titre comme « vassale » du pouvoir politique. C’est là qu’avait

résidé sa force, car c’est une volonté politique qui a contribué au maintien

de son influence, c’est là aussi que se trouvent désormais les raisons de sa

faiblesse. Trop liée à l’État français, elle n’a pas pris en compte les

changements des réalités sociales. Son évolution s’est arrêtée à l’époque

concordataire alors qu’en France l’Église a dû s’adapter aux nouvelles

données. De plus, son rapport intime avec la communauté européenne s’est

renforcé avec le temps. Elle est devenue un élément du système de valeurs

des Européens d’Algérie. Elle a poursuivi le projet catholique d’être une

religion façonnant l’identité des fidèles quitte à ne s’adresser qu’aux seules

populations européennes de la colonie.

Cette identification du catholicisme à la colonisation européenne pose

en outre le problème de la place des autres communautés confessionnelles

des Européens d’Algérie dans la construction d’une conscience collective.

La référence constante au catholicisme occulte la place des protestants

susceptibles de mettre en cause l’unité revendiquée par ce « peuple ».

Toutefois, c’est surtout avec la communauté israélite que le paradoxe est le

plus étonnant. Les juifs ont souvent été rejetés du groupe des Européens

d’Algérie et n’ont pas suscité de mouvement de solidarité face aux mesures

antisémites de Vichy car ils étaient considérés comme des indigènes

francisés, au moins jusqu’à la Grande Guerre. Or, ils sont devenus au fil des

années, et ce depuis la fin de l’Algérie française, la composante la plus

souvent mise en avant des Pieds noirs. Paradoxalement, ils ont fortement

contribué à former après 1962 une « culture » dont ils avaient souvent été


exclus en Algérie : ils ont, d’une certaine façon, forgé l’image du rapatrié.

Comment, minorité française en Algérie, sont-ils devenus les représentants

les plus hauts en couleurs et souvent mis en scène au cinéma du « peuple

pied-noir » ? Paradoxe supplémentaire, cela n’a pas empêché que soit

largement diffusée l’image de Pieds noirs unis autour du catholicisme et de

ses dévotions mariales.

Il est vrai que l’Église catholique a elle-même largement contribué à

forger cette représentation. En s’identifiant à la population européenne et en

lui consacrant la grande majorité de ses efforts, elle a irrémédiablement lié

son sort à ceux qui deviendront les Rapatriés d’Algérie. Il est d’ailleurs

significatif que la mémoire exalte aujourd’hui cette Église, comme si elle

était le principal lieu dans lequel pouvait se reconnaître un peuple qui n’en

devint un qu’après 1962 58 . Peuple dont la naissance et la mort ont,

paradoxalement, la même origine : la migration.

Être catholique après 1962

À l’issue de la guerre d’Algérie, une certaine Église cesse d’exister en

Algérie sans pour autant que l’Église ne disparaisse. L’Église qui a cessé

d’exister est celle du « million » de rapatriés 59 . Dans les quelques mois qui

ont suivi l’indépendance – et même avant – les Européens quittent leur terre

natale pour une métropole que la plupart ne connaissent pas. Les structures

de l’Église ne peuvent que sortir bouleversées par cet exode.

Un groupe de chrétiens décide de réagir et s’organise autour de

l’Association d’Études 60 . De quoi s’agit-il ? Des catholiques et des

protestants ont décidé, une fois que l’indépendance de l’Algérie semblait un

fait acquis, de rester dans le pays et de réfléchir à ce que pouvait être la

configuration de leurs Églises. Le contexte de la création de ce mouvement

est celui du départ massif de leurs coreligionnaires et du besoin, pour ceux

qui avaient fait le choix de rester, de se regrouper à un moment où « la

restructuration interne des Églises était encore très faible. [fin 1962, début


1963 61 ] ». Ils considèrent que seules deux possibilités s’offrent à l’Église en

Algérie : être une Église « d’ambassade » ou être une Église « du pays »

tout en étant pénétrés par la conviction que l’Église ne peut qu’être

composée d’éléments étrangers au pays. C’est pourquoi, ils en viennent à

s’interroger sur la question de l’algérianité de l’Église :

« Il est à remarquer tout d’abord que le fait que le problème ne

se soit vraiment posé que depuis l’indépendance est

symptomatique et, somme toute, assez accablant. »

L’implication des auteurs dans leur temps ne leur permet pas d’analyser

avec l’arrière-plan historique nécessaire la révolution intervenue dans la

perception de l’algérianité. Les Européens d’Algérie se sont très vite

présentés comme les Algériens et par conséquent l’algérianité de leur Église

allait de soi. Mais l’indépendance a provoqué un renversement qui, surtout

à partir de Boumédiène, associe algérianité à arabité et islamité, sans définir

clairement la place laissée à ceux qui ne sont ni arabes, ni musulmans.

Pour les catholiques qui ont fait le choix de rester, tout est à créer car il

s’agit de fonder quelque chose de nouveau et non pas de faire une Église

« concordataire » comme c’est déjà le cas pour la Tunisie 62 . La question

fondamentale est alors de savoir s’il peut exister une Église nationale dans

un pays où les nationaux chrétiens sont si peu nombreux.

Cette mise en contexte n’est pas inutile quand on connaît le passif que

représentent la Guerre d’Algérie et la spécificité de cette Église catholique

en terre d’islam. Les nouvelles conditions politiques génèrent de nouvelles

interrogations et soulèvent un problème crucial : quelle Église en Algérie,

pour quels fidèles ?

La question sur le plan théologique a été posée, entre autres, par Pierre

Le Baut (o.p.) dans un article intitulé « Église algérienne ou Église


universelle 63 ? ». Il définit sa position en se référant au théologien allemand

Karl Rahner :

« L’Église locale n’est pas seulement comme une agence,

librement créée dans la suite, de l’unique Église universelle,

mais elle est l’événement même de cette Église universelle 64 . »

Dans le cas algérien se pose tout particulièrement la question du fait, car

s’il existe bien une Église locale, elle est composée, pour son plus grand

nombre, par des étrangers. Pour Le Baut la solution existe :

« C’est en s’acclimatant culturellement que l’Église cessera

d’être et d’apparaître sociologiquement étrangère. Être

algérienne est la condition concrète de son universalité 65 . »

L’auteur rejoint, et surtout justifie sur le plan théologique, l’affirmation

de Mgr Duval :

« En Algérie l’Église, comme elle le doit, n’a pas choisi d’être

étrangère, mais d’être algérienne 66 . »

Personnalité charismatique, le chef de l’Église catholique est un de ceux

qui au sommet de la hiérarchie permettent le passage vers l’Église

algérienne. Une nouvelle ère dans les rapports entre Église et État débute

que les quelques pages qui suivent esquissent seulement. Deux thématiques

principales retiendront ici l’attention : le cadre juridique et les nouvelles

relations entre pouvoirs politiques et religieux.


État musulman, Église catholique dans

une Algérie indépendante : quelles

relations ?

LES PREMIÈRES ANNÉES : LE CADRE JURIDIQUE ET LÉGAL

Au moment de l’indépendance, il n’existe pas, à proprement parler, de

texte juridique réglant les relations entre l’Église catholique et l’État

algérien. De plus, les accords d’Évian ne soulèvent pas directement l’avenir

des différentes institutions religieuses au sein du nouvel État. Les textes qui

pourraient s’y référer – de manière indirecte – ont en fait une portée plus

générale et traitent du respect des droits de l’homme :

« L’État algérien souscrira sans réserve à la Déclaration

universelle des droits de l’homme et fondera ses institutions sur

les principes démocratiques et sur l’égalité des droits politiques

entre tous les citoyens sans discrimination de race, de race ou de

religion 67 . »

D’autre part, très tôt, une partie des accords d’Évian, sur les droits de la

minorité européenne, s’est avérée caduque à la suite de la forte diminution

numérique de cette population. Quant à l’islam, il est la religion de l’État

même si le respect des opinions et des croyances ainsi que le libre exercice

du culte sont garantis 68 .

L’existence légale des diocèses algériens, qui se sont maintenus tels

quels, a relevé d’un statut d’association 69 . Cependant, un historique

s’impose au préalable. En effet, pour comprendre les fondements légaux il

faut remonter à la loi de Séparation des Églises et de l’État de 1905,

appliquée à l’Algérie à partir du décret du 27 septembre 1907. Il faut


attendre les années 1920 pour que de nouvelles dispositions soient prises.

Par l’encyclique Maximam gravissimamque du 18 juin 1924, Pie XI

approuve les associations diocésaines :

« Douée de la personnalité juridique dans le cadre des lois de

1901 et de 1905, l’association diocésaine a pouvoir d’acquérir et

de gérer les biens destinés à l’exercice du culte 70 . »

L’Algérie étant la France, les associations diocésaines y ont été

introduites au même moment.

Or, à l’indépendance, la loi du 31 décembre 1962 devait prolonger le

système. C’est le 18 décembre 1972 qu’est fondée l’association diocésaine

comme le stipulent les statuts à notre disposition. N’étant pas en mesure au

moment de la rédaction de disposer ni du texte des associations diocésaines

d’Algérie avant l’indépendance, ni du statut, s’il s’avérait différent, de

l’Église entre 1962 et 1972, seul est analysé le texte en vigueur jusqu’en

février 2006, date de la nouvelle législation sur les cultes 71 .

Le but de l’association est de pourvoir aux frais des activités de

l’Église. Elle dispose de la personnalité civile : article 4 « Elle peut

acquérir, administrer, les biens meubles et immeubles qu’elle juge utile à

l’exercice du culte catholique et de ses activités humanitaires… » Le rôle

des évêques est prépondérant, puisque, pour être membre, il faut être

proposé par l’évêque du lieu (art. 8). De plus, le président ne peut qu’être

un des évêques des diocèses ou l’un des prêtres qu’ils proposeront

(art. 17 72 ). L’administration et la gestion sont, dans la pratique, confiées au

conseil d’administration dont les membres sont nommés par l’assemblée

générale pour une durée de quatre ans renouvelables plusieurs fois (art. 20).

Dans ses grandes lignes, les statuts reproduisent la situation avant

l’indépendance et présentent des similitudes avec les pratiques dans la

France d’aujourd’hui. La continuité se retrouve partiellement dans le


financement du clergé paroissial, mais les frais de l’Église incluent aussi les

traitements de tout le personnel, laïque et religieux.

L’État algérien a poursuivi l’octroi des indemnités de fonction telles

qu’elles ont été instituées par le Gouvernement général de l’Algérie

française en 1908 et maintenues durant toute la période coloniale 73 .

L’Algérie, rappelons-le, a fait figure d’exception quant à l’application de la

loi de Séparation dans la mesure où dans tous les départements français, y

compris ceux d’outre-mer, la loi n’a subi aucun aménagement. Le mot que

l’on prête à Gambetta, « l’anticléricalisme n’est pas un article

d’exportation », s’avère dans le cas des départements français d’Algérie.

Jusqu’en 1975, la législation française reste en vigueur dans le nouvel

État et permet le maintien des indemnités. En revanche, par la suite, il s’agit

d’une réelle volonté des autorités algériennes de continuer à les verser. Il

convient toutefois de relativiser l’importance de ces indemnités dans la

mesure où seuls les ressortissants algériens du culte en sont les

bénéficiaires, soit, en 2003, 13 personnes 74 . Le montant mensuel s’élève,

d’après les informations fournies par Mgr Teissier en 2004, à 1 700 dinars

algériens soit environ une trentaine d’euros 75 . La prolongation du versement

des indemnités de fonction atteste d’un bel exemple de continuité historique

qui se retrouve aussi dans les modalités de nomination des évêques.

Pendant la période coloniale, il y avait consultation de l’État français

avant la publication de la nomination faite par Rome et préparée par la

nonciature de Paris. Depuis l’indépendance, le processus est, dans ses

grandes lignes, identique puisque la nomination des évêques est toujours

faite par le pape, sur présentation d’un dossier préparé par la nonciature

d’Algérie. Le gouvernement algérien est informé du choix quelques heures

avant la publication officielle dans l’Osservatore Romano. Si la continuité

existe, jusqu’à un certain point, dans le domaine de l’administration

générale, la rupture apparaît au moment de la nationalisation des écoles


privées. Cette dernière ne peut se comprendre que dans le cadre plus global

de l’orientation prise par le régime à partir de 1971.

VERS UNE NOUVELLE ALGÉRIE ?

La Charte de 1976

C’est en 1971 qu’interviennent la nationalisation des richesses

naturelles du pays, la réorientation agricole et la gestion socialiste des

entreprises, pour ne citer que les éléments les plus symboliques. À partir de

1975, la coupure avec le passé colonial est consommée par l’ordonnance du

5 juillet 1975 qui abroge officiellement la loi du 31 décembre 1962 qui

reconduisait jusqu’à nouvel ordre la législation française en vigueur. La

même année, à l’occasion du dixième anniversaire du coup d’État, Houari

Boumédiène annonce l’élaboration d’une Charte nationale, l’élection d’une

Assemblée nationale et d’un président de la République. La Charte

nationale consacre le nouveau régime quand elle est adoptée en 1976.

Rappelons que depuis le XIX e , l’Église catholique en Algérie dispose de

tout un réseau d’œuvres, surtout au service des familles européennes, mais

pas exclusivement comme l’atteste les écoles professionnelles ou les

dispensaires tenus par les sœurs blanches et les pères blancs. Au moment de

l’indépendance, l’Église a mis au service de la population algérienne

« les écoles, jardins d’enfants, centres de formation féminine,

foyers de jeunes filles, centre de formation professionnelle,

dispensaires, centres de soins, PMI, et même hôpitaux à Biskra,

aux Attafs et à Aïn al-Hammam 76 ».

De nouvelles structures étaient créées dans le cadre du Secrétariat

national des écoles diocésaines ou en soutenant des initiatives


gouvernementales 77 . L’investissement dans l’enseignement diocésain,

notamment à travers les cours d’alphabétisation des adultes, a permis à des

milliers d’Algériens d’accéder à la lecture et à l’écriture. On pense, entre

autres, au père Gauthier, salésien, qui a animé après l’indépendance une

« école populaire » dans un quartier d’Oran, Eckmül. Il s’agit de permettre

« à des jeunes de milieu très pauvre, de reprendre un minimum de scolarité

pour pouvoir accéder ensuite à des centres de formation professionnelle 78 ».

L’année 1976 marque la fin de l’enseignement privé en Algérie, y

compris musulman, décidée par le décret du 16 avril. Les écoles catholiques

sont intégrées au système éducatif 79 . L’objectif réaffirmé du pouvoir est

celui de l’unité du peuple algérien, unité dont l’école doit servir de vecteur

au même titre que l’islam. Une évolution similaire est constatée pour le

secteur social : les services Caritas des diocèses d’Algérie, qui avaient

assuré la prise en charge directe des besoins sociaux, ont renoncé à leur

autonomie pour venir en appui de structures étatiques 80 .

Comme le rappelle Mgr Teissier :

« La fermeture des institutions propres aux quatre diocèses

en 1976 a entraîné l’éclatement des grandes communautés en

petits groupes… Les congrégations… découvraient les

possibilités de collaboration et d’engagement qui s’offraient

dans les structures publiques 81 . »

La charte de 1976 ne met pas un terme à l’implication sociale, médicale

ou éducative de l’Église, mais l’engage à se recomposer pour penser sa

présence dans ce nouveau cadre.

D’autres mesures significatives sont aussi prises telles que celle du

repos hebdomadaire du vendredi, au lieu du dimanche, ou encore

l’interdiction de la vente de boissons alcoolisées aux musulmans (décret du

16 août 1976). L’uniformisation du système éducatif participe autant de la


réaffirmation de l’islamisation du pays que de son orientation socialiste et

de la rupture avec le passé colonial.

L’Église au quotidien

La cordialité : maître mot des relations avec l’État

Parallèlement aux dispositions législatives, l’État algérien conserve des

relations qui se veulent cordiales avec son Église. Dès les premières années

de l’indépendance, les relations entre la hiérarchie catholique et les autorités

algériennes sont, officiellement, définies. Mgr Duval n’hésite pas à

expliciter la situation dans Le Monde du 11 janvier 1964. Il insiste sur le fait

que le départ des Européens d’Algérie ne s’explique pas par des raisons

religieuses. Il rappelle le respect par les autorités de la Déclaration

universelle des droits de l’homme et précise que les fêtes chrétiennes sont

légales.

Sur le plan du temporel :

« la plupart des églises sont comme par le passé, propriété des

communes (c’est un héritage français de la loi de Séparation)

mais les communes respectent la destination religieuse des

églises. Il arrive que des églises n’aient plus d’utilisation en

vertu d’un accord conclu entre les autorités compétentes, elles

sont alors affectées à l’éducation et à la culture, qu’il s’agisse de

l’enseignement privé ou de l’enseignement d’État. »

Mgr Duval inscrit la vie de l’Église algérienne au sein de l’Église

universelle notamment dans ses relations avec le Vatican :

« Lorsque, en septembre 1963, le pape fit savoir qu’il pensait à

la création d’un secrétariat pour les relations entre l’Église et les


religions non chrétiennes, la première réponse fut celle de M. le

président de la République algérienne. »

Les positions de l’archevêque d’Alger sont – faut-il s’en étonner ? – en

conformité avec la ligne directrice pour laquelle il a opté bien avant

l’indépendance. Cependant, il faudrait là aussi pouvoir consulter les

archives de la période et notamment la correspondance et les dossiers des

autorités algériennes compétentes sur ces questions. En effet, dans les

années qui ont suivi, les réaffectations d’églises ne se sont pas toutes faites

dans la direction présentée par le prélat.

En fait, plus que des textes, ce sont les actes qui réglementent les

rapports entre les deux entités. Les différentes autorités, tant civiles que

religieuses, n’hésitent pas à manifester leur amitié à l’Église à l’occasion

des grands événements religieux tels que les fêtes chrétiennes 82 ou profanes

comme les traditionnels vœux de fin d’année. Nous sommes dans le registre

pluriséculaire des relations d’hospitalité accordées par l’islam aux autres

religions monothéistes et qui ne se comprend que dans le cadre de la cité

islamique. Cette thématique est un leitmotiv des autorités musulmanes dans

tous les pays musulmans.

À d’autres occasions, les plus hautes instances de l’État algérien ont

manifesté leur reconnaissance comme lors de l’allocution du Président

Bouteflika aux Baléares où il a demandé d’instruire un procès en

béatification pour Mgr Duval. Dans El Moudjahid, 22-23 octobre 1999, le

passage sur Duval a été reproduit dans son intégralité :

« Permettriez-vous donc, à un Algérien, musulman comme

l’ensemble de ses compatriotes, venu pourtant du pays de Saint-

Augustin, et admirateur de Raymond Lulle, ce savant philosophe

natif de Majorque lui permettrez-vous de suggérer humblement,

mais solennellement devant vous, qu’il soit demandé aux


instances autorisées la sanctification, la canonisation de notre

ami et frère Monseigneur Duval. Je voudrais le faire non

seulement pour le caractère exemplaire de sa vie spirituelle et

active, mais aussi, pour tout ce que, au-delà des barrières

idéologiques, ethniques, raciales et religieuses, il a eu le courage

d’incarner, en affirmant l’unité du genre humain devant

l’adversité qui frappe les uns au profit des autres. Inébranlable

dans ses convictions, constamment aux côtés de son peuple, le

peuple algérien, sans compromis ni compromission… pendant la

période coloniale, durant la guerre de Libération, au lendemain

de l’Indépendance, où il s’est fait partout le chantre des humbles

et des opprimés. »

La référence au cardinal Duval n’est pas la seule à être mise en avant

par les autorités algériennes, d’autres figures chrétiennes sont sollicitées

comme saint Augustin, « redécouvert » dans les années 2000.

Saint Augustin : un enfant de l’Algérie indépendante ?

Pour ce qui est de saint Augustin, il semblerait que les autorités de

l’Algérie indépendante l’aient occulté pendant quelques décennies, mais tel

ne semble pas être le cas de tous les Algériens. En 2005, lors d’un séjour

effectué en Algérie, je me suis rendue à Souk-Ahras, l’ancienne Thagaste.

Des personnes ont voulu me montrer l’olivier de saint Augustin, celui où il

venait méditer. Ces mêmes personnes m’ont dit que ce dernier était l’objet

d’une dévotion à travers un autre nom celui de Bou Chlélig, l’homme aux

petits morceaux de tissu. De quoi s’agit-il ? Sur l’olivier, présenté comme

celui d’Augustin, étaient accrochés de petits morceaux de tissu rouge. On

m’a expliqué que des personnes venaient confier au saint, dont elles

ignoraient le nom, leur vœu matérialisé par ce bout de tissu et


s’engageaient, si le vœu se réalisait, à honorer le saint personnage de

diverses manières. Cette pratique était déjà attestée pendant la période

coloniale m’ont assuré des personnes plus âgées.

Dans l’impossibilité de proposer une analyse scientifique du

phénomène, on ne développera pas davantage, mais cela permettra de

nuancer l’impression d’oubli dont Augustin semble être l’objet depuis la fin

de la présence française, même si le lycée Saint-Augustin d’Annaba n’a

jamais été débaptisé…

A priori, avec le départ des populations européennes d’Algérie, de saint

Augustin il n’est plus officiellement question avant que le Président

Bouteflika ne crée l’événement. En août 1999, lors du meeting annuel à

Rimini de l’association catholique italienne Communione e Liberazione,

Abdelaziz Bouteflika a stupéfié la presse et les intellectuels algériens par un

discours dithyrambique :

« Augustin traitait une question de droit comme un avocat de

Rome, une question d’exégèse comme un docteur d’Alexandrie.

Il argumentait comme un philosophe d’Athènes. Il racontait une

anecdote comme un bourgeois de Carthage… »

Cette citation atteste à elle seule qu’Augustin n’avait pas été oublié

mais occulté aux yeux du plus grand nombre.

Comment expliquer cet effacement de près de quarante ans ? Plusieurs

hypothèses peuvent être avancées. Après l’indépendance, le passé colonial

de l’Algérie n’a pas fait l’objet d’une approche historique. L’histoire, qui

bien souvent n’est que la servante du pouvoir, a été instrumentalisée à

travers les manuels scolaires pour prendre le contre-pied d’une autre

histoire, servante elle aussi du pouvoir, celle produite pendant la

colonisation. En effet, l’histoire coloniale, faisant la part belle à la conquête

et à la période romaine, a dévalorisé la période islamique. C’est pourquoi,


aussi bien la période romaine que le temps colonial ont été minorés dans

l’enseignement de l’histoire après 1962 pour insister sur le prestigieux

passé arabo-islamique et sur la période de la lutte contre la colonisation.

C’est ainsi que les petits Algériens se sont retrouvés coupés d’une partie de

leur histoire, donc des grands hommes de l’Antiquité comme Augustin 83 .

Par ailleurs, le développement d’un discours à connotation islamique ne

laissait que peu de place à ce Père de l’Église. Augustin s’est retrouvé dans

la situation d’être né dans une période historique non islamique et de ne pas

être musulman : il ne pouvait donc être perçu comme faisant partie du passé

de l’Algérie.

Il faut attendre 1999 pour qu’en quelques phrases, Augustin redevienne

l’enfant du pays. Une étape supplémentaire est franchie avec le colloque

organisé en son honneur en avril 2001 en Algérie. Rappelons brièvement le

contexte dans lequel cette rencontre scientifique s’est déroulée. Le contexte

international, tout d’abord : les talibans viennent de détruire les bouddhas

de Bamiyan (mars 2001). 2001 est aussi l’année consacrée par l’ONU au

dialogue entre les cultures et les civilisations. Et puis, il y a la situation

nationale algérienne. L’Algérie est en train de sortir d’une décennie

sanglante dont les victimes ont été de toutes confessions.

Toutefois, la pression du camp islamo-conservateur a conduit à modifier

le titre du colloque de « Saint Augustin entre africanité et universalité » en

« Premier colloque international sur le philosophe algérien Augustin ». Les

participants et même certains membres du comité scientifique ont découvert

le changement à l’ouverture du colloque. Deux lectures de cette

modification peuvent être proposées. Elle peut être interprétée comme un

recul face à une pression exercée par certains milieux dans un contexte de

fin de guerre civile toujours fragile. Certes, Augustin perdait sa sainteté

mais redevenait algérien. Chacun évaluera les gains et les pertes en fonction

du point de vue adopté : depuis Alger, nationaliser – j’insiste et non pas

naturaliser – Augustin semblerait plus pertinent pour renouer avec le passé


de l’Algérie ; hors d’Algérie, Augustin est surtout connu comme Père de

l’Église et sa dimension universelle semblerait plus centrale que son

enracinement algérien. Au-delà du titre, Mahmoud Bouayad, responsable de

l’organisation du colloque et conseiller auprès de la présidence, n’a pas

hésité dans un point presse à affirmer :

« On n’a eu de cesse d’expliquer que saint Augustin est algérien

et qu’il est mort avant l’avènement de l’islam. Donc on ne peut

pas lui reprocher d’être de confession chrétienne. »

Pour en revenir au colloque, il est inauguré par Bouteflika : en langue

française, cela a son importance, au Club des pins, palais où sont organisés

les grands événements du pays devant un parterre de diplomates, d’hommes

politiques, d’invités et de participants. Après avoir souligné la fierté de son

pays de compter Augustin parmi ses enfants, il a déclaré qu’Augustin se

trouve au cœur du dialogue entre les cultures et les civilisations replaçant le

colloque dans le cadre des manifestations prévues par l’ONU cette année-là.

Discours de circonstance ? Il est difficile de trancher, même si son

discours a permis de nuancer sur la scène internationale, au moins

momentanément, l’image d’une Algérie associée au fanatisme et à la

barbarie. Incontestablement, ce colloque a été salué pour sa dimension

scientifique mais aussi comme le point de départ du retour de l’enfant

prodigue.

Que s’est-il passé depuis ? Les Algériens connaissent-ils mieux leur

passé ? Si Augustin a été nationalisé par le pouvoir politique, dans quelle

mesure l’intégration dans la société algérienne à l’exception de rares cercles

est-elle opératoire ? Difficile de répondre à ces questions qui, en Algérie

comme en Europe, ne passionnent pas le grand public.

D’Augustin, il est à nouveau question au moment des travaux de

restauration de sa basilique qui après une centaine d’années d’existence a


besoin d’un lifting. L’histoire du monument est en elle-même représentative

de malentendus qui traversent les siècles. « Lala Bouna », la bonne mère,

est le nom donné à la basilique d’Augustin à Annaba. Le nom choisi par les

Algériens atteste que ce n’est pas tant le Père de l’Église mais quelqu’un

d’autre qui semble vénéré. Le lieu était avant la colonisation un espace

sacralisé par les populations qui y venaient et y pratiquer leurs dévotions :

traces de henné, de bougies, etc. Ces pratiques auraient laissé à penser aux

colons du XIX e que les populations venaient honorer « le grand marabout

chrétien » et se sont empressés, comme Dupuch, de localiser en cet endroit

les restes du monastère d’Augustin. Des fouilles ont démontré que le site de

l’emplacement actuel de la basilique n’est pas celui de l’Antiquité qui se

situe plus bas.

En 2010, il est apparu que les ravages du temps étaient en train d’avoir

raison de l’édifice et des travaux sont envisagés. Une convention est signée

entre la ville d’Annaba et celle de Saint-Étienne, avec qui elle est jumelée,

et entre la wilaya d’Annaba et la Région Rhône-Alpes 84 . Parmi les autres

donateurs, on compte l’ambassade de France, l’ambassade d’Allemagne,

des entreprises publiques et privées algériennes et étrangères (Air Algérie,

Algérie Télécom, Sider, Sonelgaz, Total, Vinci, etc.). De nombreuses

églises et communautés religieuses (l’Ordre de Saint-Augustin, la

Conférence des Évêques d’Italie, l’Église d’Allemagne…) ont aussi

participé comme le pape Benoît XVI, à titre personnel, à la demande de

Paul Desfarges, évêque de Constantine et d’Hippone. Sans oublier les dons

des anonymes. Le coût total de la restauration est estimé à près de

4,5 millions d’euros. La restauration lancée fin 2010 s’est achevée en

juin 2013. L’architecte Xavier David, en charge de la basilique de Saint-

Augustin, avait déjà été le maître d’œuvre de la restauration, achevée en

2010, de la basilique de Notre-Dame à Alger.

Le 19 octobre 2013 en présence de l’évêque de Constantine et

d’Hippone, du président du Conseil de la nation (Sénat), Abdelkader


Bensalah, deuxième personnage de l’État représentant le président

Abdelaziz Bouteflika, l’édifice a été inauguré. Parmi les invités, les

ambassadeurs en Algérie de la France, la Norvège, la Croatie, l’Allemagne,

l’Italie, la Pologne, l’Espagne, la Finlande, le Cameroun, les États-Unis,

l’Argentine, le Mexique et le chef de la délégation de l’Union européenne à

Alger ont assisté à l’inauguration.

Le 2 mai 2014, en présence de nombreux évêques, des cardinaux

Barbarin et Tauran – président du conseil pontifical pour le dialogue

interreligieux et envoyé spécial du pape François –, de Mgr Yeh Sheng Nan,

nonce apostolique en Algérie, et de nombreuses autres personnalités, ont eu

lieu les cérémonies du centenaire de son élévation au rang de basilique.

Avant sa restauration, la basilique, était visitée chaque année par

18 000 touristes, chercheurs ou curieux, et près de 1 000 pèlerins chrétiens.

Entre relations officielles et de proximité

Une autre basilique a été à l’honneur trois ans plus tôt, celle de Notre-

Dame d’Afrique. Le 13 décembre 2010 a lieu l’inauguration de la basilique

restaurée après trois ans de travaux en présence de dignitaires algériens,

d’ambassadeurs européens et d’élus marseillais. Sur le budget de 5 millions

d’euros, l’État algérien a dépensé 560 000 euros ; la ville de Marseille, le

département des Bouches-du-Rhône et la région Provence-Alpes-Côte

d’Azur 360 000 euros chacun ; l’Union européenne a mis 1 000 000 d’euros

et le reste a été pris en charge par des entreprises françaises et algériennes 85 .

Parmi les personnalités présentes : le ministre des Affaires religieuses,

Bouabdallah Ghlamallah ; le wali d’Alger (préfet) ; Jean-Claude Gaudin,

maire de Marseille ; Jean-Noël Guérini, président du Conseil général ;

Michel Vauzelle, président du Conseil régional 86 . Les travaux ont été

confiés aux mêmes experts que ceux qui ont restauré Notre-Dame de la

Garde : l’architecte Xavier David et l’entreprise française Girard 87 . Les

sujets qui fâchent n’ont pas été abordés publiquement, comme la


condamnation à des peines de prison avec sursis de quatre Algériens

protestants pour avoir ouvert illégalement un lieu de culte en Kabylie :

« Nul n’a songé non plus à s’attarder devant les mosaïques dédiées aux

moines de Tibhirine, dans l’abside droite intérieure de la basilique 88 . »

Au-delà des relations entre l’État et l’Église 89 , il ne faudrait pas oublier

les liens qui se sont forgés entre les Algériens et leur Église et dont les

manifestations au quotidien sont multiples. Il suffira de rappeler l’émotion

suscitée dans tout le pays par l’assassinat des religieux et notamment des

moines trappistes de Thibérine 90 . Cette émotion n’est que le reflet d’une

réelle « convivance » dont l’enterrement à Constantine du père d’Oncieu est

l’une des nombreuses illustrations. El Moudjahid du 25 novembre 2001 en

rendait compte :

« La foule qui a accompagné ce père chrétien qui s’appelait

François-Abdelaziz était différente de religions, de nationalités,

de niveaux culturels et économiques mais elle avait la même

appréciation sur la personnalité de l’homme : c’était un homme

de bien, et le bien sincère et désintéressé transcende toutes les

frontières de quelque nature qu’elles soient. »

Si les mouvements du cœur de la population algérienne vis-à-vis de son

Église sont empreints de respect et d’affection 91 pour ces hommes et ces

femmes qui ont choisi en conscience d’être à leurs côtés dans la période

difficile qu’ils traversent, les relations qu’entretiennent les autorités sont

plus délicates à interpréter, car influencées par des considérations tant de

politique intérieure que de politique extérieure. Dans une période où

l’Algérie a besoin de ménager son image sur la scène internationale, les

gestes et les paroles en direction de l’Église pourraient aussi être interprétés

en ce sens. Plusieurs lectures des propos du Président Bouteflika à

l’Assemblée nationale française sont possibles :


« Permettez-moi ici de rendre un hommage à la rare abnégation

dont l’Église d’Algérie a fait preuve, aux pires moments de la

tourmente, en poursuivant, sans sourciller, sa mission de

témoignage et de solidarité humaine dans mon pays 92 . »

Si les relations de bon voisinage sont réelles et s’il n’est pas possible a

priori de douter de la sincérité des hommages officiels, il n’est pas possible

de les déconnecter de leur contexte national et international. De plus, les

déclarations publiques et solennelles n’empêchent pas l’existence de

tensions entre les autorités et l’Église. Les conflits sont de natures diverses

et peuvent aller jusqu’au procès. À titre d’illustration, le contentieux entre

la direction des biens waqfs et l’association diocésaine d’Algérie sur un

terrain à Oran. L’affaire commencée en 1995 n’était pas encore résolue en

1999 alors que différentes instances judiciaires avaient donné gain de cause

à l’association diocésaine. Il est encore difficile d’établir une typologie des

contentieux, mais les contestations de biens d’Église doivent être parmi les

plus courantes.

Les relations ne se limitent pas aux déclarations de bonnes intentions et

les sources de conflits sont réelles. Certes, les rapports se sont établis sur

des modalités de bonne entente, mais l’absence, jusqu’en 2006, d’une

législation en dit long.

LE TOURNANT DE 2006

La législation du 29 muharram 1427 (28 février 2006)

En février 2006, le statut légal de l’Église catholique, dans un pays qui

affirme dans l’article 2 de sa constitution que « L’islam est la religion de

l’État », a changé. Il n’existait pas avant l’ordonnance n o 06-03 du

29 muharram 1427, correspondant au 28 février 2006 (publiée dans le


Journal officiel de la République algérienne du 1 er mars 2006), de texte

fixant les conditions et règles d’exercice des cultes autres que musulman.

En effet, au moment de l’indépendance, l’Église catholique, nous l’avons

vu, a continué à être régie par la législation en vigueur pendant la période

coloniale car la loi du 31 décembre 1962 reconduisait la législation

française. Cette dernière est abrogée par l’ordonnance du 5 juillet 1975. À

partir de ce moment, le culte catholique va progressivement s’inscrire dans

la législation sur les associations qui connaît différentes évolutions. La

dernière en date est celle de la loi n o 90-31 du 4 décembre 1990 relative aux

associations, publiée au Journal officiel de la République algérienne n o 53

du 5 décembre 1990. C’est le 17 juin 1993 que les nouveaux statuts de

l’Association diocésaine ont été mis en conformité avec la loi n o 90-31.

Depuis février 2006, un nouveau cadre juridique spécifique aux cultes

non musulmans est en vigueur. Les autorités l’ont justifié d’une part, par

l’activité de missionnaires d’obédiences néo-évangéliques et des

conversions supposées ou réelles auprès des populations et, d’autre part, par

la volonté de doter les cultes non musulmans d’un véritable statut qui les

distinguerait des autres associations. Implicitement, il revient à l’État de

désigner qui peut accéder au statut de culte reconnu et non plus seulement à

celui d’association reconnue.

Dans les faits, la nouveauté réside, en partie, dans les sanctions pénales

prévues par l’ordonnance notamment dans son article 11 :

« Sans préjudice des peines plus graves, est puni d’un

emprisonnement de deux (2) ans à cinq (5) ans et d’une amende

de 500 000 DA à 1 000 000 DA quiconque :

1. incite, contraint ou utilise des moyens de séduction tendant à

convertir un musulman à une autre religion, ou en utilisant

à cette fin des établissements d’enseignement, d’éducation, de


santé, à caractère social ou culturel, ou institutions de formation,

ou tout autre moyen financier,

2. fabrique, entrepose, ou distribue des documents imprimés ou

métrages audiovisuels ou par tout autre support ou moyen qui

vise à ébranler la foi d’un musulman 93 . »

En d’autres termes, le prosélytisme religieux est désormais strictement

interdit par la loi, ce qui n’était pas le cas auparavant. La jurisprudence qui

sera faite laisse une marge d’interprétation aux juges. En effet, dans quelle

mesure pourra-t-on estimer qu’il y a « séduction » ou que la foi est ébranlée

par tel ou tel document ? On remarquera que les vecteurs de la diffusion des

idées religieuses sont clairement identifiés : l’enseignement, la santé, la

culture et l’argent. Certes, l’enseignement, la santé et la culture constituent

des vecteurs classiques de la présence des missions chrétiennes. Toutefois,

pour les missions catholiques d’hier comme d’aujourd’hui, dans leur grande

majorité, l’argument pécuniaire ne semble pas fondé. Il en est de même

pour bien des Églises protestantes, notamment européennes. La situation

semblerait moins tranchée pour ce qui concerne certaines Églises anglosaxonnes

et américaines. En revanche, l’argument financier comme outil de

la propagande missionnaire est activé du côté musulman depuis une

centaine d’années dans des discours visant à dénoncer les activités des

missions chrétiennes. Quelle est sa réalité aujourd’hui ? Une pluralité de

situations coexiste.

Si des sanctions sont prévues à l’encontre des prosélytes, ni

l’ordonnance ni le texte de la constitution, qui garantit dans son article 36 la

liberté de conscience et la liberté d’opinion, ne semblent prévoir de

sanctions en direction des convertis. En effet, à la différence de bien

d’autres pays où l’islam est la religion de l’État, la République algérienne

ne connaît pas, juridiquement, le statut d’apostat.


L’apostasie (irtidâd, ou ridda, litt. « retrait, recul, repli ») dans une

conception islamique, consiste dans le changement de religion au détriment

de l’islam, l’inverse, i. e. la conversion à l’islam, n’est pas considérée

comme un acte apostat. Délicat sujet que celui de l’apostasie étant donné

que le Coran n’indique pas de châtiment terrestre pour l’apostat (murtadd)

mais des peines dans l’au-delà (voir notamment S XVI, V108-106 94 , 109-

107 95 , 111-110, 112-111, etc.). En revanche, la question ne semble pas

pouvoir être tranchée pour le Hadith car selon les tendances exégétiques et

les hadiths choisis, les conclusions sont diamétralement opposées.

Cependant, les différentes écoles n’ont pas hésité à prescrire la

condamnation à mort qui fut mise en application par certains gouvernants.

Le statut des apostats varie encore aujourd’hui d’un État à l’autre. De plus,

il faut être attentif au fait que son existence dans la loi n’indique pas quelle

application sera faite en cas de litige. Dans les États où la condamnation à

mort pour apostasie est prévue par la législation, le fiqh prévoit aussi

l’invitation à la repentance. Le non-respect de ce principe a déclenché la

levée de boucliers des grands ayatollahs dans l’affaire Rushdie, alors que

son application formelle et non sincère dans le cas de Mahmoud

Muhammad Taha a conduit ce dernier à la mort 96 . Tous les cas de figure

sont possibles dans le domaine juridique qu’il convient de bien distinguer

des réactions des populations face aux convertis : là aussi, les généralités

sont à proscrire. Ainsi, l’évaluation de la portée réelle des textes de loi ne

devrait pas dépendre seulement de leur lecture, mais aussi d’une analyse

socio-anthropologique de leur application. Pour ce qui concerne la

législation algérienne, nous pouvons simplement dire qu’elle n’a pas codifié

de statut de l’apostat.

Toutefois, l’existence d’un statut personnel régi par la loi n o 84-11 du

9 juin 1984 sur le code de la famille et modifiée par l’ordonnance n o 05-02

du 27 février 2005, pose la question du statut d’un citoyen algérien de

confession chrétienne. Ces derniers existent actuellement sur le territoire


algérien et sont régis, comme leurs concitoyens musulmans, par une

législation de statut personnel musulman 97 . Dans ce cadre juridique, ils se

trouvent confrontés à une série de difficultés notamment celles concernant

les règles successorales : il est, par exemple, interdit à un non-musulman

d’hériter d’un musulman 98 . Le citoyen algérien non-musulman ne peut

donc, si l’on applique strictement cette logique, hériter ni de son conjoint ni

de ses ascendants et descendants. Cette attitude n’est pas sans rappeler celle

des autorités coloniales pour qui un musulman converti au christianisme

restait au regard de la loi un musulman dans le sens où il restait soumis au

statut personnel musulman « sans qu’il y ait lieu de distinguer ou non s’il

appartient au culte mahométan 99 ».

La question non résolue du pluralisme religieux

Depuis l’indépendance, la législation algérienne, comme toute autre

législation, entend soumettre tous ses citoyens à des normes légales

identiques. De plus, à la différence du Machrek, le Maghreb ne connaît plus

de chrétienté autochtone issue de l’Antiquité. Dans le processus de

codification engagé par l’Algérie indépendante, les sources du droit sont

plurielles et la « charia » en fait d’autant plus partie que la mystique

révolutionnaire a fait de l’identité islamique de la nation algérienne un

adage. Or, l’Algérie, plus encore que d’autres États, connaît une évolution

de la sociologie religieuse avec, entre autres, des personnes qui ne se

reconnaissent plus dans l’islam.

Lors d’un séjour à Alger en décembre 2004, Mgr Teissier, alors

archevêque d’Alger, me faisait part de sa préoccupation face à l’action de

groupes évangéliques 100 . Si la question de la mission auprès des musulmans

a pu exister dans le catholicisme, elle n’est plus d’actualité dans sa variante

qui faisait du baptême la finalité de l’action missionnaire catholique en

terres d’islam. Le prélat redoutait l’amalgame qui pourrait être fait entre ces

actions missionnaires et l’Église catholique. Amalgame que j’ai pu


constater dans certaines discussions, mais qui relevait, dans ces cas précis,

d’une confusion manifeste de vocabulaire où les mots « chrétiens » et

« christianisme » étaient interchangeables avec ceux de « catholiques » et

« catholicisme ». Les mêmes imprécisions existent en Occident où les

« musulmans » sont appréhendés comme un bloc monolithique, quand ils

ne sont pas confondus avec les « Arabes ». Précisons que les discussions,

notamment dans la presse algérienne, faisaient alors état de

25 000 conversions en Kabylie et de l’édification de nouveaux lieux de

culte. Ces informations ont circulé sans qu’il soit possible de les confirmer

ou de les infirmer. Il n’est toutefois pas anodin de souligner l’accord

unanime pour affirmer que les conversions avaient essentiellement lieu en

Kabylie. Que cela soit fondé ou non, cette affirmation renvoie à des débats

internes à l’Algérie, à sa construction identitaire sur le modèle de l’Étatnation

et aux limites de ce modèle. C’est dans ce contexte qu’il faut aussi

replacer la législation actuelle.

Cependant, le droit algérien renvoie, comme bien d’autres, au paradoxe

de devoir concilier à la fois une législation nationale qui se veut, pour

partie, d’inspiration religieuse et le respect de principes internationaux

auxquels l’État algérien a souscrit dès sa création, comme la Déclaration

universelle des droits de l’homme. Dans les faits, cette situation conduit à

une aporie juridique. De plus, les dirigeants sont confrontés, eux aussi, à

une évolution de la sociologie religieuse qui, si elle n’est pas significative

en termes quantitatifs, pose sur le plan théorique de nouvelles questions 101 .

L’environnement international et les discours à prétention universaliste des

uns et des autres ne sont pas non plus à minimiser. Les perceptions des

réalités conditionnent des représentations où domine le sentiment d’une

offensive en direction de l’islam. Cela peut, en partie, expliquer la mise en

œuvre de politiques défensives dans un contexte où une majorité des

musulmans se sent agressée. Étrange constat que celui de peurs réciproques

dont il faut tenir compte, fussent-elles fondées, en partie, sur des


imaginaires réactivés de part et d’autre et amplifiés par des médias en quête

de sensationnel.

Le sujet est jugé suffisamment important pour que le gouvernement

algérien organise en 2010 un colloque intitulé « L’exercice du culte, un

droit garanti par la religion et la loi » auquel étaient conviés les

représentants de différentes religions. Même si l’une des finalités de ce

colloque était de « redorer son blason et faire une opération de

communication », l’archevêque d’Alger a précisé que « le colloque luimême

a laissé chacun s’exprimer en toute liberté 102 ».

Les évêques d’Algérie avaient déjà dénoncé, dans un communiqué du

25 janvier 2010, le saccage d’un temple protestant à Tizi-Ouzou. Lors du

colloque, l’archevêque a cité des passages du synode sur l’Afrique

dénonçant les entraves à la liberté de culte dans les pays à majorité

musulmane. Il a aussi évoqué de manière explicite la situation en Algérie

où, certes, l’existence d’autres religions que l’islam est reconnue mais où

demeurent certains problèmes concrets. Parmi les questions soulevées, celle

de la difficulté d’obtention des visas : « De fait, l’administration refuse de

plus en plus fréquemment leurs visas aux prêtres et religieux 103 . » Cette

situation est attestée depuis une quinzaine d’années, mais les difficultés

semblent s’accroître. Il faut rappeler que le personnel religieux est de plus

en plus âgé et que le maintien de la présence d’ecclésiastiques est

conditionné par l’arrivée de nouveaux prêtres. Par ailleurs, un autre

problème se fait jour : celui du renouvellement des titres de séjour.

Rappelons que la question des visas touche tous les religieux catholiques

toutes nationalités confondues mais ne concerne pas les laïcs catholiques.

Se pose la question de l’asphyxie de la communauté catholique en termes

de clercs et du rôle des laïcs au sein de l’Église. Cette problématique se

retrouve dans des pays de vieux catholicisme même si elle conserve des

spécificités en Algérie.


La seconde interrogation porte sur les lieux de culte dans la mesure où

l’ordonnance de 2006 précise que la pratique religieuse doit se dérouler

dans des lieux prévus à cet effet. Le texte précise que « les édifices destinés

à l’exercice du culte sont soumis au recensement par l’État qui assure leur

surveillance » : il faut donc déclarer tous les lieux où un culte peut être

célébré ; l’article 7 indique que « l’exercice du culte a lieu exclusivement

dans des édifices destinés à cet effet, ouverts au public et identifiables de

l’extérieur ». C’est pourquoi, est interdite « toute activité dans les lieux

destinés à l’exercice du culte contraire à leur nature et aux objectifs pour

lesquels ils sont destinés ». Cette loi laisse aux autorités administratives et

policières un grand pouvoir en direction de tous les groupes religieux.

Or, dans le Sud, il n’existe pas d’église et les demandes d’autorisations

administratives pour organiser le culte n’arrivent pas toujours. Ainsi, en

2007, à Ouargla, il a été impossible de célébrer la messe de Pâques dans un

camp d’expatriés travaillant dans le secteur des hydrocarbures car aucun

lieu de culte officiel n’y est déclaré.

Deux possibilités s’offrent alors aux ecclésiastiques et à leurs fidèles :

renoncer à leur pratique ou tomber sous le coup de la loi s’ils décident de

célébrer l’office dans un lieu pour lequel ils n’ont pas reçu d’autorisation

administrative.

L’histoire ne se répète jamais, mais bégaie étrangement : le parallèle

avec les difficultés auxquelles ont été confrontés les musulmans pendant la

période coloniale renvoie à celles rencontrées par les catholiques mais aussi

les protestants aujourd’hui.

Un paysage contrasté dans un contexte délicat

Aujourd’hui, l’Église catholique en Algérie est plus que jamais une

Église de l’enfouissement, par choix théologique mais aussi en réponse à la

contrainte sociale. Je reproduirai ici une anecdote révélatrice de certains

points de vue. Un doctorant en sciences religieuses de l’université de


Constantine, venu faire un stage à Lyon, avait pour objectif de se

familiariser avec le catholicisme à travers la bibliographie. Je lui indiquais

alors la possibilité de s’adresser au diocèse de Constantine qui dispose

d’une bibliothèque lui permettant une première approche. Il était

parfaitement au fait de cette possibilité, mais expliquait que cette démarche

lui apparaissait comme beaucoup plus complexe : comment justifier qu’il

franchisse la porte d’un établissement chrétien ? Le regard des autres et la

nécessité de devoir s’expliquer justifiaient qu’il préfère venir en France 104 .

Je lui ai donc suggéré de se rendre au centre diocésain des Glycines à Alger

où l’anonymat de la capitale lui permettrait de poursuivre sa quête

documentaire. Le rôle de ces bibliothèques a été et reste fondamental pour

une partie de l’élite algérienne comme l’atteste la présence de nombreux

étudiants lors des funérailles de Pierre Lafitte,

« un prêtre très discret qui travaillait dans une bibliothèque… : la

cathédrale était bondée, pour les trois quarts des étudiants

musulmans qui ont prié et apporté des témoignages

bouleversants 105 ! »

L’investissement dans le monde universitaire reste important à travers

des centres de documentation spécialisés comme le CDES (centre de

documentation économique et sociale) d’Oran ou encore le centre

interdiocésain des Glycines à Alger qui regroupe des fonds en provenance

de plusieurs bibliothèques. Pour l’Église d’Algérie, ces bibliothèques

représentent des lieux de culture et de rencontre. Dans le diocèse d’Oran,

existent plusieurs bibliothèques depuis plusieurs décennies. À Oran, les

sœurs blanches ont une bibliothèque ouverte aux étudiants de langues, de

littérature et les pères blancs ont créé une bibliothèque biomédicale ; à

Mascara et à Sidi-Bel-Abbes se trouvent d’autres établissements. Toutes ces


bibliothèques disposent d’ouvrages sur des sujets de société comme la

démocratie, la citoyenneté, la situation de la femme, etc. 106 .

« Sur le diocèse de Constantine, “Dilou”, au sein même de

l’évêché, accueille à la fois des étudiants en langue anglaise et

ceux de l’Institut des sciences islamiques, dans le cadre de

modules sur les religions comparées. Sur le diocèse du Sahara

s’installent grâce aux Pères Blancs une bibliothèque et un centre

de documentation sur les cultures et civilisations du Sahara. À

Tizi-Ouzou… une bibliothèque de langue anglaise, tenue par les

Pères Blancs 107 . »

Toutefois, certains prélats comme Mgr Vesco, évêque d’Oran,

s’inquiètent de la place de leurs bibliothèques dans un monde où internet

permet d’accéder directement à l’information et où le nombre de

bibliothèques publiques est en augmentation 108 . Quelle sera la place pour

une Église catholique dont la fonction sociale semble remise en question

par la diffusion du réseau internet ? Les modalités de son insertion sociale

sont à court terme à repenser.

Dans un premier temps, il a été question de poursuivre la présence

catholique à travers les différentes œuvres héritées de la période coloniale

en les mettant à la disposition de l’Algérie indépendante. Avec la charte de

1976, cette option a été repensée dans le nouveau programme politique :

l’action catholique pouvait se poursuivre, mais pas en son nom propre.

C’est de là qu’il est possible de dater la première phase d’enfouissement de

l’action sociale de l’Église. Clergé séculier comme régulier ont accepté de

perdre leur autonomie et leur visibilité en tant qu’Église pour se maintenir

auprès des Algériens. Leur nombre est en constante diminution 109 .

Dans un document remis par l’archevêché d’Alger, nous pouvons avoir

un tableau de la présence de l’Église dans le diocèse en mars 2002. Il est


reproduit dans son intégralité :

« Évolution des présences sacerdotales et religieuses dans le

diocèse d’Alger depuis 1995.

Prêtres et religieux arrivés depuis 1995 : 13 nouveaux arrivés

sur 50.

En 1995 : 60 prêtres et religieux (13 départs et 15 décès dont nos

11 victimes).

Religieuses arrivées depuis 1995 : 34 nouvelles arrivées sur 75.

Il y avait 145 religieuses en 1995 (dont 28 Clarisses, 28 Sœurs

Blanches et 15 petites Sœurs des Pauvres).

Ce qui fait 47 nouveaux arrivés sur 125 prêtres, religieux et

religieuses. »

Les activités sont diversifiées : bibliothèques, centres de soutien

scolaire, jardin d’enfants, foyer des jeunes, catéchisme (filles de la Charité,

20 enfants), Caritas interdiocésaine, etc.

En 2010, il reste à Constantine une seule religieuse, sœur blanche, après

la fermeture en 2009 de la maison constantinoise des religieuses de la

doctrine chrétienne 110 . À Oran, en vingt ans le nombre de prêtres est passé

de dix à cinq, celui des religieuses de 70 à 35 et celui des lieux de culte est

passé de douze à six 111 . Rappelons qu’en 1975, l’Oranie comptait un millier

de fidèles, 150 religieuses et 50 prêtres 112 . En 2012, le diocèse d’Oran,

comptait environ 500 fidèles catholiques répartis dans sept paroisses, « soit

25 fidèles par prêtre (au nombre de 20) : le taux le plus faible du

monde 113 … ». Il s’agit pour l’écrasante majorité d’entre eux d’expatriés

avec une part croissante représentée par des populations issues d’Afrique

subsaharienne. Un grand nombre est constitué d’étudiants :


« Il y avait 300 personnes lors de la messe du premier dimanche

de l’Avent, à Oran, et seulement trente “visages pâles”, tous les

autres étaient Noirs. La moyenne d’âge était d’environ 22 ans !

Ce sont des étudiants qui viennent de toute l’Afrique, souvent

des boursiers de l’État algérien, francophones, anglophones ou

lusophones, d’au moins quarante nationalités 114 . »

Mais d’autres sont des migrants qui envisagent de rejoindre l’Europe :

« Oran est à 140 kilomètres du Maroc. Ces migrants ont traversé

le désert pour arriver jusque-là en espérant passer au Maroc puis

en Espagne. En 2002-2005, il y avait des camps non loin de la

frontière, où ils se rassemblaient par pays, mais tout a été rasé et

les autorités ne laissent plus se développer de tels sites. On

retrouve donc beaucoup de migrants à Oran, avec beaucoup

d’enfants qui naissent – environ 150 en 2013. Souvent, ils sont

envoyés dans le pays d’origine mais beaucoup s’installent et

s’installeront de plus en plus 115 . »

Ces caractéristiques se retrouvent aussi en Tunisie : une présence

catholique discrète, remplissant une fonction éducative – notamment à

travers les bibliothèques – et dont la composition sociologique a évolué

avec la présence de fidèles en provenance d’Afrique subsaharienne.

Autre spécificité partagée avec la Tunisie, le premier archevêque non

européen est un Jordanien 116 . Il s’agit de Mgr Ghaleb Moussa Abdallah

Bader. Né en 1951 en Jordanie, ordonné prêtre en 1975, docteur en droit

civil de l’Université de Damas, docteur en philosophie et droit canonique de

l’Université du Latran. Il a enseigné dans plusieurs séminaires et a été

président du tribunal ecclésiastique de Jérusalem. Il a exercé une activité

paroissiale en Jordanie. De 1996 à 2001, il a été consulteur pour le Conseil


Pontifical pour le dialogue interreligieux. Il reste en poste à Alger entre

2008 et 2015. Depuis mai 2015, Mgr Bader est nonce apostolique au

Pakistan.

Lors de son investiture comme archevêque d’Alger, le vendredi

9 octobre 2008, la presse indique que « l’église était archicomble 117 … ». Le

journal algérien El Watan n’est pas en reste : il donne la liste de tous les

officiels présents et relate la cérémonie 118 . Du côté officiel algérien, étaient

présents : Chérif Rahmani, ministre de l’environnement venu en qualité de

représentant officiel du chef de l’État, Abdelaziz Bouteflika ; Cheikh

Bouamrane, président du Haut Conseil islamique ; le ministre des Affaires

religieuses, Bouabdallah Ghlamallah, le président de l’association des

oulémas algériens, Abderrahmane Chibane, Mustapha Chérif, le directeur

de la Bibliothèque nationale, Amin Zaoui.

Du côté catholique, les évêques de Tunis et de Rabat, le nonce

apostolique ont fait le déplacement ; on mentionne aussi la présence de

représentants de l’Église de Jérusalem et d’une importante délégation

jordanienne. En tout, plus de 600 personnes, selon El Watan. Le journal

reproduit plusieurs déclarations de l’archevêque dont deux nous semblent

particulièrement pertinentes : « Tout citoyen arabe devrait se sentir chez lui

dans tout pays arabe » et « Cela veut dire aussi que l’Église ne fait pas

partie de l’héritage de l’ère coloniale. »

Ce choix pour un prélat arabe est un signal fort donné par le Vatican et

une nouveauté radicale dans le paysage religieux algérien. Certes, les

Algériens savent qu’il existe des chrétiens arabes mais, jusque-là, leur

existence était théorique. Avec le nouvel archevêque, le catholicisme prend

un nouveau visage qui est en rupture avec des représentations séculaires.

Pourtant, la présence de cet ecclésiastique est diversement appréciée des

laïcs algériens qui travaillent aux côtés des catholiques et même de certains

catholiques. Cette nomination renvoie à la question des rapports complexes

entre « Orientaux » et Maghrébins, au-delà des considérations religieuses.


C’est ainsi que l’arrivée de sœurs en provenance du Machrek a pu susciter

certaines tensions qui ont conduit à leur départ alors que la présence de

religieux et d’autres religieuses, notamment d’Europe du Sud, ne pose pas

de problèmes. Il en est de même pour les prêtres africains qui se retrouvent

confrontés au racisme de certains Algériens et dont certains comportements

sont incompris des populations comme des fidèles. Le constat qui est fait

est celui d’une incompatibilité perçue comme culturelle entre certains clercs

africains comme orientaux et même certaines religieuses arabes et la société

algérienne musulmane, voire catholique.

En optant pour une arabisation du clergé en Tunisie comme en Algérie,

Rome entendait probablement mettre un terme à une présence française et

européenne, qui jusque-là était en position dominante, en nommant des

Arabes catholiques. Cette volonté d’arabisation devait, vraisemblablement,

signifier un tournant politique. Cependant, dans le cas algérien, le Saint-

Siège n’a pas suffisamment mesuré les conséquences et les malentendus

possibles liés à une situation algérienne paradoxale. Si, en Algérie, certains

considèrent qu’il est important pour l’Église de restreindre les liens avec

l’ancienne puissance coloniale, force est de constater que les religieux et les

religieuses catholiques français restent avec ceux d’Europe du Sud, ceux

qui possèdent les clés pour comprendre cette société complexe. En

juin 2016, le Saint-Siège a nommé Mgr Luciano Russo, ancien nonce

apostolique du Rwanda, comme nonce en Algérie, mais le siège

archiépiscopal d’Alger était toujours vacant à cette date.

Malgré ces considérations, les relations avec les autorités algériennes

n’ont pas été bouleversées par la présence d’un prélat arabe. En

septembre 2012, le ministère des affaires religieuses a présenté au

Gouvernement un nouveau projet de décret régissant l’organisation des

associations religieuses, soit une application effective d’une loi adoptée le

12 janvier 2012. Le nouveau texte proposé demande instamment à ces

associations de « respecter l’unité nationale et la référence religieuse de la


société ». Il poursuit en indiquant que la création de telles associations est

« soumise à une déclaration constitutive, avant d’être soumise aux autorités

des affaires religieuses » chargées d’examiner leurs demandes. Selon le

journal La Croix du 12 septembre 2012, si ce texte est adopté, le

Gouvernement aura à tout moment le pouvoir de mettre un terme aux

activités sociales et caritatives de l’Église. Si les modalités de son insertion

sociale se posent, la question de sa vocation missionnaire a-t-elle été

résolue depuis plusieurs décennies.

L’Église catholique dispose d’un nouveau cadre théologique depuis le

concile Vatican II et la déclaration Nostra Aetate (28 octobre 1965). Le

cheminement vers ce texte atteste de la victoire d’une conception

jusqu’alors minoritaire dans l’Église, celle d’un apostolat du témoignage

incarné par le père Charles de Foucauld.

Ce dernier est, depuis l’indépendance, perçu par la majorité des

Algériens comme un agent de la colonisation et présenté comme tel dans les

manuels d’histoire officiels ou par certains médias. Des tensions sont

apparues avec les autorités algériennes au moment de sa béatification. En

2016, année du centième anniversaire de sa mort, il est à nouveau question

de canonisation du père Charles chez les différents groupes qui se réclament

de sa spiritualité, essentiellement chez les membres qui sont hors d’Algérie.

Les autorités algériennes restent sur la réserve car une distinction est établie

entre les « bons » et les « mauvais » chrétiens de l’histoire de l’Algérie :

saint Augustin comme Mgr Duval font partie du premier groupe, Charles de

Foucauld du second. Parmi les points de divergence entre les autorités

catholiques et les autorités civiles, la question de la canonisation du père

Charles mais aussi de celle des victimes de la décennie sanglante est un

sujet délicat et éminemment politique qui pèsera dans les années à venir. Du

point de vue de l’État algérien, le père Charles reste un symbole de

l’époque coloniale alors que pour ses disciples il a inauguré une nouvelle


forme de mission, toujours d’actualité, qui offre les conditions d’une

présence catholique respectueuse des musulmans.

Dans l’entre-deux-guerres, différentes stratégies missionnaires ont été

expérimentées et différentes options théologiques élaborées. Le contexte

conciliaire crée une conjoncture favorable à l’ouverture dont l’islam ne fait

que bénéficier sans l’avoir suscitée : c’est le texte sur le judaïsme qui est le

catalyseur. Des personnes jusque-là minoritaires et ouvertes à l’islam font

de leur discours la référence, la norme. Cette ouverture et cette issue

n’étaient en aucun cas prévisibles 119 . L’Église a depuis une position

officielle, celle du dialogue, mais la diversité des positions subsiste 120 .

Cet apostolat du témoignage n’implique pas de renoncer à la pratique

religieuse même si cette dernière présente ses propres spécificités. Les

témoignages sont nombreux, celui du père Janicot est retenu ici comme

exemple du type de vie religieuse rencontré en Algérie 121 . Le père Janicot

décrit la réalité de son ministère à Aïn Turck, dans les années 1980 et au

début des années 1990. Il fait état de peu de fidèles, essentiellement des

expatriés comme les Polonais des chantiers navals de Mers el-Kébir ou

encore des coopérants français, des étudiants d’Afrique subsaharienne et

parfois des Algériens musulmans désireux de partager un moment de prière

avec leurs amis catholiques. Il explique aussi comment il a célébré

l’eucharistie tous les quinze jours avec une quinzaine de personnes dans

l’église du Saint-Esprit qui se situe au centre-ville d’Oran, en face de la

grande poste, tout près de la rue des Aurès en présence d’une quinzaine de

fidèles. Parmi les personnes présentes, trois petites sœurs de Jésus qui

vivent dans l’un des quartiers les plus populaires d’Oran ; trois sœurs de la

doctrine chrétienne qui vivent dans un appartement au-dessus de l’église,

l’une d’entre elle s’active au service Caritas du diocèse d’Oran ; trois sœurs

blanches et une jeune femme polonaise qui travaillent dans une

bibliothèque et s’occupent de formation auprès des femmes algériennes ;

trois frères maristes, « un Irlando-Australien, un Hispano-Chilien, et un


Français » qui travaillent dans une bibliothèque et donnent des cours de

langue française. À cette petite communauté, peut se joindre une personne

de passage. Les petites communautés de ce type sont présentes dans toute

l’Algérie et sont le reflet de la vie des catholiques en Algérie depuis

quelques décennies déjà. Cette vie est relayée par la presse catholique

comme l’attestent les semaines religieuses, mais aussi une nouvelle revue,

Pax et Concordia 122 .

Quatre parutions annuelles donnent un aperçu de l’actualité des

diocèses et de l’Église universelle. « Chaque mois, un auteur algérien

proposera une analyse pour la rubrique “Regard sur l’Algérie” et un dossier

présentera un aspect de la société algérienne témoignant de l’implication de

l’Église dans ce domaine. » Il s’agit d’une revue interdiocésaine avec une

équipe de rédaction qui comporte une personne de chaque diocèse. Le

français reste la langue principale de la revue.

« Pax et Concordia tire son nom d’une célèbre mosaïque trouvée

à Tipasa, site romain situé à 60 km à l’ouest d’Alger, qui porte

l’inscription suivante : In Deo, pax et concordia sit convivion

nostro (“En Dieu, que la paix et la concorde soit sur notre

partage”). Le Convivium évoqué sur cette stèle est probablement

stricto sensu un repas funéraire. Mais une interprétation

contemporaine aime à élargir le cercle des convives pour appeler

la paix et la concorde sur tous ceux qui vivent ensemble sur cette

terre d’Algérie 123 . »


1. J. JANIN, Les diocèses coloniaux jusqu’à la loi de Séparation (1850-1912), Paris, Imprimerie

d’Auteuil, 1938.

2. H. MAUrier, « Lavigerie, la mission civilisatrice du christianisme en Afrique », Petit écho,

spécial n o 5, 1992.

3. AOPM G9 Alger.

4. O. SAAÏDIA, Clercs catholiques et oulémas sunnites dans la première moitié du XX e siècle,

Discours croisés, Paris, Geuthner, 2004.

5. AAA/212, R. BÉNICHOU, « Ce que fut “L’union des croyants monothéistes” », édité par la

commission culturelle juive d’Algérie et le bureau nord-africain du congrès juif mondial, 1 rue

Mahon, Alger, p. 221-227, « L’amitié judéo-chrétienne », janvier 1949.

6. Le centenaire du vote de la loi de Séparation a donné lieu à de nombreuses publications dont

certaines se sont ouvertes sur l’outre-mer. C’est le cas du colloque tenu à Lyon en 2004, édité

par J.-P. Chantin et D. Moulinet qui fait la part belle aux colonies. Outre-Mers Revue d’histoire

a consacré un numéro spécial à l’application de la loi aux colonies Outre-Mers Revue

d’Histoire, « La loi de 1905 et les colonies », 2 e semestre, 2005.

7. On trouvera une notice biographique rédigée par Jacques Cantier et Jacques Prévotat pour

chacun d’eux dans le Dictionnaire des évêques français au XX e

siècle sous la direction de

Dominique-Marie Dauzet et Frédéric Lemigne, Paris, Cerf, 2010.

8. A. PONS, La nouvelle…, op. cit., p. 173.

9. Ibid., p. 194.

10. Ibid., p. 150.

11. Ibid., p. 176.

12. O. SAAÏDIA, L’Algérie coloniale…, op. cit., p. 333-334.

13. A. PONS, La nouvelle…, op. cit., p. 177.

14. C. MYCINSKI, « Une chrétienté algérienne après l’épreuve. La vie religieuse des Européens

de confession catholique du diocèse d’Oran au sortir de la Grande Guerre d’après la Semaine

Religieuse (1918-1924) », mémoire de Master II, sous la direction de O. Saaïdia, Université

Lyon 2/ENS de Lyon, 2014, p. 32-34.

15. A. PONS, La nouvelle…, op. cit., p. 175.

16. Ibid., p. 151.

17. Ibid.

18. Ibid., p. 149.

19. Ibid., p. 173.

20. Ibid., p. 195.


21. Ibid., p. 203.

22. Ibid., p. 178 : « Sidi-Bel-Abbès : 25 000 catholiques sur 41 000 habitants ; Mostaganem :

12 000 catholiques, 24 129 habitants ; Perrgaux : 7 000 catholiques, 16 000 habitants ; Saïda :

7 000 catholiques, 12 000 habitants ; Mascara : 6 000 catholiques, 25 000 habitants ; Tiaret :

6 000 catholiques, 15 795 habitants ; Azrew : 5 000 catholiques, 7 135 habitants ; Aïn-

Témouchent : 5 000 catholiques, 10 000 habitants ; Tlemcen : 4 500 catholiques,

40 775 habitants ; Relizane : 4 000 catholiques, 14 023 habitants ; Le Sig : 4 000 catholiques,

10 000 habitants, etc. » Il est difficile de vérifier ces chiffres dont l’auteur n’indique pas la

source.

23. Ibid., p. 202.

24. Ibid.

25. Ibid.

26. Ibid., p. 203.

27. Ibid.

28. Ibid., p. 152.

29. Ibid., p. 176.

30. Ibid.

31. Ibid., p. 152.

32. Ibid.

33. Ibid., p. 153.

34. Ibid., p. 154.

35. Ibid., p. 151.

36. Je pense à un dépouillement systématique de la presse nationale, algérienne catholique ou

non. Un petit opuscule a aussi été publié Alger 3-7 mai 1939 XII e

Congrès eucharistique

national Compte rendu officiel Archevêché d’Alger. Des articles ont notamment été publiés dans

La Croix du 19 janvier 1939 et un appel à souscription lancé par l’archevêque paraît aussi dans

ce journal. L’article du 19 janvier 1939, signé par l’abbé Thellier de Poncheville, annonce le

programme des festivités.

37. Il est disponible sur le site de la médiathèque de Bretagne. Intitulé « Congrès eucharistique

d’Alger, 1939 », il a pour réalisateur Emmanuel Vaillant. Il s’agit d’un documentaire, amateur et

muet, qui, en 25 minutes, filme, depuis le départ de congressistes bretons, les moments qu’il a

estimé les plus importants.

38. Cf. Claude Prudhomme, Missions chrétiennes et colonisation, op. cit., p. 141-146.

39. D. PELLETIER et J.-L. SCHLEGEL (dir.), À la gauche du Christ : Les chrétiens de gauche en

France de 1945 à nos jours, Paris, Seuil, 2012, p. 294-297.

40. AGMAfr., Rapports annuels, 1958/15, 4.2. Consultables en ligne sur le site www.mafromearchivio.org.

41. AGMAfr., Rapports annuels, 1955/13, 7. Consultables en ligne sur le site www.mafromearchivio.org.


42. O. SAAIDIA, Clercs catholiques et oulémas sunnites…, op. cit., Chapitre VII : Le renouveau

missionnaire, p. 220-276.

43. AGMAfr., Rapports annuels, 1955/13, 12.

44. O. SAAIDIA, Clercs catholiques et oulémas sunnites…, op. cit., p. 197, graphique établi à

partir des rapports annuels de la société des missionnaires d’Afrique.

45. Encyclopédie du Monde chrétien, Bilan du Monde, Paris-Tournai, Casterman, 1960, t. II,

p. 39.

46. AGMAfr., Rapports annuels, 1955/13.

47. Ibid., 1958/15, 3.1.

48. A. NOZIÈRE, Algérie. Les Chrétiens dans la guerre, Cana, Paris, 1979.

49. S. CHAPEU, Des chrétiens dans la guerre d’Algérie…, op. cit.

50. F. BÉDARIDA, E. FOUILLOUX (dir.), La Guerre d’Algérie et les chrétiens…, op. cit. ;

E. FOUILLOUX, Les chrétiens français…, op. cit. ; J. BOCQUET, Les chrétiens et la guerre

d’Algérie, HDR, EPHE, 2014, P. D. Pelletier garant scientifique ; D. FONTAINE, Decolonizing

Christianity, Religion and the End of Empire in France and Algeria, Cambridge, Cambridge

University Press, 2016.

Parmi les thèses soutenues : M. BOULATROUS-EL KORSO, La guerre d’Algérie à travers cinq

journaux catholiques métropolitains, 1954-1958, thèse de doctorat de 3 e cycle sous la direction

de Charles-Robert Ageron, Paris, EHESS, 1984 ; A. MAILLARD DE LA MORANDAIS, De la

colonisation à la torture : depuis leurs origines jusqu’à leurs engagements, débats des

consciences chrétiennes françaises pendant la guerre d’Algérie (1954-1962), thèse de doctorat

de 3 e cycle en science des religions, Paris, Université Paris IV, 1983 ; A. FITTE, « Quelques

aspects du monde catholique algérien à la fin de la IV e

République », dans Cahiers de la

Méditerranée, année 1971, vol. 3, n o 1, p. 74-86, issu de sa thèse de 3 e cycle soutenue à

l’Université de Nice en 1969.

51. Les textes sont tous disponibles en ligne.

52. Mgr Lacaste (1897-1994) est évêque d’Oran de 1946 à 1973. L. COLLET, En Algérie avec

Monseigneur Lacaste 1946-1962, éd. Collet, Pau, 1987, donne une première approche dont la

perspective hagiographique n’est pas absente.

53. F. SOUFI, « L’Église d’Oran durant l’entre-deux-guerres et après », journée d’étude « Des

Chrétiens dans la guerre 1954-1962 » organisée par le centre d’études diocésain des Glycines,

Alger, 25 mai 2013, texte disponible sur le site des Glycines.

54. Ibid.

55. Ibid.

56. J.-L. PLANCHE, « Français d’Algérie, Français en Algérie (1962-1965) », dans R. GALLISSOT

(éd.), Les accords d’Évian en conjoncture et en longue durée, Paris, Karthala, 1997, p. 104-105.

57. Ils ont publié en 2012 leurs mémoires sous le titre Le choix de l’Algérie : deux voix, une

mémoire, Alger, éd. Barzakh.


58. Je ne donnerai qu’un seul exemple, celui de la rencontre annuelle de Nîmes-Courbessac

autour de Notre Dame de Santa Cruz.

59. « L’Église catholique en Algérie », in Maghreb, n o 6, 1964, p. 34-40, p. 39 : « Le “Bilan du

monde”, encyclopédie catholique du monde chrétien, dans son édition de 1964, donne des

statistiques religieuses portant sur l’année 1961 pour les diocèses d’Alger et de Constantine, et

1960 pour ceux d’Oran et de Laghouat [soit un total de 946 000]. Nous reproduisons ces

chiffres, et notamment la répartition des fidèles par diocèse : Alger 350 000, Constantine

160 000, Oran 380 000, Laghouat 56 000. En 1964, la répartition des 100 000 catholiques

restant est très inégale. » Ces chiffres renvoient aux baptisés.

60. Le bulletin intérieur de l’association d’études du 30 mai 1964 nous aimablement a été

communiqué par Paul Fournier. Il retranscrit l’essentiel des débats des rencontres des 2 et 3 mai

1964.

61. Ibid., p. 3.

62. On se reportera avec grand intérêt à P. SOUMILLE, « L’Église catholique et l’État tunisien

après l’indépendance : le “modus vivendi” du 9 juillet 1964 », dans Ph. DELISLE, M. SPINDLER

(dir.), Les relations Églises-État en situation postcoloniale. Amérique, Afrique, Asie, Océanie

XIX e -XX e siècles, Karthala, Paris, 2003, p. 155-201.

63. Aujourd’hui, numéro un, 1964, p. 30-33, (revue qui ne dépassera pas la dizaine

d’exemplaires, lancée à Alger par les dominicains).

64. Ibid., p. 31.

65. Ibid., p. 33.

66. Le Monde, 11 janvier 1964.

67. La Déclaration des droits de l’homme, rappelons-le, affirme le droit à la liberté de pensée,

de conscience, de religion, la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, seul ou en

commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et

l’accomplissement des rites. De plus, elle précise que le statut religieux des personnes ne doit

entraîner aucune discrimination de la part du législateur civil car nul ne doit être incommodé à

cause de son appartenance religieuse.

68. Constitution algérienne du 10 septembre 1963.

L’une des conséquences directes de cette affirmation est le fait que le président de la République

ne peut qu’être musulman.

69. Le document m’a été transmis par l’archevêché d’Alger, Mgr Teissier, et reste valable

jusqu’en février 2006.

70. A. DANSETTE, Histoire religieuse de la France contemporaine, sous la Troisième

République, Flammarion, Paris, 1951, p. 509.

71. « Son Assemblée Générale, réunie le 17 juin 1993 sur convocation du Président a approuvé

à l’unanimité les présents statuts de leur Association, mis en conformité avec la loi n o 90-31 du

4 décembre 1990. »

72. La désignation du président se fait par l’assemblée générale (art. 13) pour un mandat de

quatre ans renouvelable plusieurs fois (art. 17). En 2006, Henri Teissier, archevêque d’Alger en


était encore le président.

73. Initialement prévues pour dix ans, les indemnités de fonction sont successivement

reconduites en 1917, 1922, 1941 puis prolongées pour une période indéterminée.

74. Toute discussion relative à l’acquisition de la citoyenneté algérienne doit prendre en

considération les éléments juridiques mais aussi la dimension psychologique de l’engagement. Il

n’est pas possible ici de développer la question. Précisons, toutefois, que les ecclésiastiques qui

ont fait une demande de naturalisation se sont heurtés à de très nombreux obstacles

administratifs et nombre d’entre eux ont été déboutés.

75. Il serait intéressant de connaître les grilles de salaire des autres desservants du culte,

notamment du culte musulman, Algériens et non Algériens (s’ils existent).

76. H. TEISSIER, Église en islam, médiation sur l’existence chrétienne en Algérie, Paris, Le

Centurion, 1984, p. 141.

77. Ibid., note 14 : « Pour toutes les structures de service de l’Église à cette époque, voir une

présentation globale dans R. Facelina, Théologie en situation. Une communauté chrétienne dans

le tiers-monde (Algérie, 1962-1974), USHS, Strasbourg, p. 85-98. »

78. B. JANICOT, Prêtre en Algérie, 40 ans dans la maison de l’Autre, Paris, Karthala, 2010,

p. 29. Cette école est fermée en 1969. Dans le cadre de son service national, Bernard Janicot est

affecté dans une école tenue par les salésiens à Aïn el-Turck, l’école Saint-Augustin, pour

enseigner le français et les maths (p. 30).

79. Mais la mémoire collective persiste : l’ancien petit séminaire d’Eckmül « abrite maintenant

un collège public algérien que tout le quartier dénomme encore “p’tit s’minair” », ibid., p. 75.

80. H. TEISSIER, Église en islam…, op. cit., p. 142.

81. Ibid.

82. « La seule loi à incidence religieuse qu’il ait promulguée [le législateur algérien] est celle du

24 juillet 1963 concernant les fêtes légales dont l’article 3 décide que “sont fêtes légales,

chômées et payées chaque année pour les personnels algériens et étrangers de confession

chrétienne le lundi de Pâques, l’Ascension, le lundi de Pentecôte, l’Assomption et la Noël” »,

dans « L’Église catholique en Algérie », art. cit.

Renseignement pris, ces dispositions sont toujours en vigueur en 2005. Il nous a toutefois été

précisé qu’avant la crise sécuritaire, une notification était faite avec avis public dans la presse où

il était stipulé que la mesure concernait les personnels algériens et étrangers.

83. Le propos doit être nuancé car une information, qui m’est parvenue en juillet 2016, mais que

je n’ai pas pu vérifier, faisait état de l’introduction d’Augustin dans les manuels scolaires

algériens : depuis quand, dans quelle classe et comment ?

84. Les subventions votées par la ville de Saint-Étienne et le conseil régional du Rhône ont

suscité une levée de bouclier au nom de la loi du 9 décembre 1905. Un recours avait été déposé

par une association et par plusieurs contribuables face à cette situation qui, selon eux, pose un

problème de laïcité. Dans sa décision, le tribunal ne tranche pas sur cette question, mais estime

que Rhône-Alpes a outrepassé ses compétences en n’établissant pas « un intérêt régional

suffisant ». Ainsi, dans l’article 1 er du jugement rendu lors de l’audience du 22 mars 2012 il est

stipulé que « la délibération des 21 et 22 octobre 2010 par laquelle la Région Rhône-Alpes a


approuvé la convention de financement pour la restauration de la Basilique Saint-Augustin

d’Hippone à Annaba est annulée ».

La région s’est pourvue en appel auprès de la cour administrative d’appel de Lyon (juin 2012)

qui a rejeté sa requête (mars 2013). In fine, le Conseil d’État a validé, le 17 février 2016, la

subvention votée par la région Rhône-Alpes. Le juge administratif suprême a établi que le

conseil régional avait, à bon droit, approuvé la convention de financement pour la restauration

de la Basilique Saint-Augustin d’Hippone à Annaba.

85. I. MANDRAUD, « “Madame l’Afrique” réunit Algériens et Français », Le Monde, le

15 décembre 2010.

86. Ibid.

87. Ibid.

88. Ibid.

89. Seules les relations entre l’institution séculière et les autorités ont été envisagées. Une autre

étude devrait s’intéresser aux rapports entretenus par les congrégations religieuses présentes en

Algérie et l’État.

90. Les publications sur le sujet sont nombreuses. L’une d’entre elles propose une lecture

historique qui replace la présence des moines dans un temps plus long que celui de

l’événement : B. DELPAL, « Tibhirine, le drame dans l’histoire », dans O. SAAÏDIA, L. ZERBINI

(dir.), L’Afrique et la mission. Terrains anciens, questions nouvelles avec Claude Prudhomme,

Karthala, Paris, 2015, p. 125-143.

91. L’enterrement de Pierre Claverie en a été une confirmation, si besoin était.

92. Le Monde, 17 juin 2000.

Il n’est probablement pas anodin que le chef de l’État fasse ces références au catholicisme

algérien devant les parlementaires français.

93. Se reporter au texte complet en annexe.

94. S XVI, V108-106 : « Celui qui renie Allah après [avoir eu] foi en Lui – excepté celui qui a

subi la contrainte et dont le cœur reste paisible en sa foi –, ceux dont la poitrine s’est ouverte à

l’impiété, sur ceux-là tomberont le courroux d’Allah et un tourment terrible. » Toutes les

citations coraniques sont extraites de la traduction de R. Blachère.

95. S XVI, V109-107 : « C’est là le prix de ce qu’ils ont plus aimé la Vie Immédiate que la [Vie]

Dernière et de ce qu’Allah ne saurait conduire le peuple des Infidèles. »

96. M. KHAYATI, « Le devenir de la shari’a dans le second message de M. M. Taha », dans

Politiques législatives Égypte, Tunisie, Algérie, Maroc, dossier du CEDEJ, Le Caire, 1994,

p. 185-192.

97. Cette situation se rencontre dans la plupart des États dont l’islam est la religion officielle.

L’explication est à rechercher dans la volonté d’uniformiser au maximum les législations

nationales et de ne plus opérer de distinction entre les citoyens. Il ne s’agit pas forcément dans

la logique du législateur d’appliquer des normes « islamiques », même si celles-ci sont parfois

décelables. Rappelons que bien des législations se sont constituées pendant la période coloniale

et le discours nationaliste, jusque dans sa manifestation juridique, entendait faire front commun


contre le colonisateur. C’est le cas notamment pour l’Égypte où les Coptes n’ont pas voulu, au

moins dans l’entre-deux-guerres, être dissociés de leurs concitoyens musulmans. Voir

B. BOTIVEAU, Loi islamique et droit dans les sociétés arabes, Paris, Karthala-IREMAM, 1993.

98. J.-F. RYCX, « Règles islamiques et droit positif en matière de successions : présentation

générale », dans M. GAST (éd.), Hériter en pays musulman, habus, lait vivant, manyahuli, Paris,

CNRS, 1987, p. 19-41.

Toutefois, de nouvelles interprétations sont décelables en Europe. Je renvoie notamment à une

fatwa émise par le conseil européen de la fatwa et de la recherche (instance autoproclamée

fondée en 1987 et dont le siège se trouve au Royaume-Uni). En effet, à la question de savoir si

un converti britannique pouvait hériter de son père et de sa mère, la réponse a été affirmative.

L’argumentaire reposait sur un hadith dont l’interprétation retenue consistait à affirmer que

l’islam devait en toutes circonstances être victorieux. Rappelons que dans ce contexte, la

réponse n’a de sens que pour une personne qui intègre une norme autre que la législation

britannique, i. e. qu’aux yeux de la loi britannique il hérite et que la fatwa ne donne qu’un

confort psychologique. Notons aussi que pour bien des musulmans vivant en Europe ce type de

questionnement est caduc. La sécularisation de la transmission héréditaire est généralement

consommée. En d’autres termes, au moment d’hériter, on ne s’interroge pas pour déterminer s’il

est licite ou non d’hériter.

99. Revue algérienne et tunisienne de législation et de jurisprudence, Alger 5 novembre 1903.

100. Les autorités algériennes ont ainsi reçu des représentants de ces Églises évangéliques, fait

suffisamment rarissime pour être mentionné.

101. L’évolution sociologique n’est pas cantonnée au religieux et ne concerne pas que la seule

législation sur les cultes. En effet, le code de la nationalité a lui aussi changé en 2006, puisqu’il

est désormais possible à une Algérienne de transmettre à sa descendance sa citoyenneté. Deux

lectures peuvent être proposées. La première peut souligner une amélioration de la condition

féminine prise en compte par les dirigeants algériens, mais les récentes discussions sur le code

de la famille ne laissent pas percevoir une dynamique féministe. La seconde explication est,

elle, à rechercher dans la prise en compte des descendants de citoyens algériens installés à

l’étranger et notamment en Europe et en Amérique du Nord. La tendance est de ne pas vouloir

« perdre » des citoyens potentiels. Elle se manifeste par une prise de conscience de l’évolution

des mœurs de cette descendance et notamment de celle des femmes. C’est bien le pragmatisme

qui permet d’expliquer cette situation rarissime dans la plupart des pays musulmans où seul

l’homme peut transmettre sa citoyenneté. Rappelons, par ailleurs, que c’est le droit du sang qui

conditionne dans la majorité des cas l’accès à la citoyenneté.

102. I. DE GAULMYN, « Le gouvernement algérien a ouvert la discussion sur la liberté

religieuse », La Croix, 18 février 2010.

103. Ibid.

104. Il faudrait peut-être nuancer la position de cet étudiant dans la mesure où la bibliothèque

diocésaine, « “Dilou”, au sien même de l’évêché, accueille à la fois des étudiants en langue

anglaise et ceux de l’Institut des sciences islamiques, dans le cadre de modules sur les religions

comparées », dans B. JANICOT, Prêtre en Algérie…, op. cit., p. 104.


105. M. CARTIER, « Une nouvelle génération pour l’Église d’Algérie », dans La Croix,

23 décembre 2010 ; citation de Mgr Bader, archevêque d’Alger.

106. B. JANICOT, Prêtre en Algérie…, op. cit., p. 103-106.

107. Ibid., p. 104-105.

108. Blog de Jean-Christophe Ploquin, rédacteur adjoint en chef de La Croix, http://parisinternational.blogs.la-croix.com/leglise-catholique-en-algerie-une-petite-flammefragile/2013/12/26/,

consulté le 24 février 2016.

109. Se reporter aux tableaux de répartition à différentes périodes en annexe.

110. M. CARTIER, « Une nouvelle génération pour l’Église d’Algérie », dans La Croix,

23 décembre 2010.

Mrg Paul Desfarges est évêque est depuis 2008.

111. Blog de Jean-Christophe Ploquin, rédacteur adjoint en chef de La Croix, http://parisinternational.blogs.la-croix.com/leglise-catholique-en-algerie-une-petite-flammefragile/2013/12/26/,

consulté le 24 février 2016.

112. B. JANICOT, Prêtre en Algérie…, op. cit., p. 39.

113. G. P., « Oran et l’Algérie » dans Peuples du monde, n o 458, juillet-août-septembre 2012,

p. 13. Toujours dans le même article : « La part de chrétiens serait aujourd’hui de 0,2 % de la

population (source ONU), soit environ 70 000 fidèles. Les Églises protestantes d’Algérie

avancent le chiffre de 50 000 fidèles (2008), alors que le ministère des Affaires religieuses

évoque le chiffre de 50 000 chrétiens, essentiellement catholiques et résidant à Alger et dans

l’Ouest du pays. »

114. Blog de Jean-Christophe Ploquin, rédacteur adjoint en chef de La Croix, http://parisinternational.blogs.la-croix.com/leglise-catholique-en-algerie-une-petite-flammefragile/2013/12/26/,

consulté le 24 février 2016, propos de Mgr Vesco.

115. Ibid.

116. Mrg Fouad Boutros Ibrahim Twal a été le premier archevêque arabe à occuper le siège

archiépiscopal de Tunis en 1994. Il reste à ce poste jusqu’en 2005.

117. Voir dans Revue de presse, Maghreb, Moyen-Orient, sept. oct. 2008, n o 513, F. DJOUADI,

« L’accueil de Mrg Ghaleb Moussa Abdallah Bader dans la cathédrale d’Alger », dans Algérie

News, n o 152, 11 octobre 2008, p. 2.

118. Voir El Watan du 11 octobre 2008, p. 4, mais aussi F. DJOUADI, « L’accueil de Mrg Ghaleb

Moussa Abdallah Bader… », art. cit., p. 2 et Liberté, 27, du 10 octobre 2008, p. 8.

119. O. SAAIDIA, Clercs catholiques et oulémas sunnites…, op. cit.

120. Mouna Chérif a entrepris, sous ma direction, un travail de thèse qui s’interroge sur les

différentes options missionnaires de l’Église catholique en Algérie entre 1976 et 2006.

121. B. JANICOT, Prêtre en Algérie…, op. cit., p. 42-56.

122. « L’Église en Algérie lance une nouvelle revue : Pax et Concordia », interview de Michel

Guillaud, coordinateur de l’équipe de rédaction ; propos recueillis par Marine Soreau pour


ZENIT.org, 3 mars 2010. Document consulté aux OPM de Lyon en février 2016 en « version

papier ».

123. Ibid.


Épilogue : Quel avenir pour le catholicisme

algérien ?

Ce visage de l’Église marqué par un certain dynamisme – dont

témoigne le regain pour la communication – où le poids de catholiques

d’Afrique subsaharienne se confirme tout comme la faiblesse du nombre de

fidèles, le vieillissement des prêtres et leur diminution, etc. se retrouve aussi

dans les zones rurales de vieux christianisme… telle la France. Église de la

pauvreté et de l’enfouissement, l’Église d’Algérie est-elle vouée à la

disparition ou peut-elle constituer un modèle de catholicisme pour les

sociétés européennes sécularisées ?

L’option pour une présence discrète auprès des Algériens contraste avec

la politique d’évangélisation entreprise par des églises néo-évangéliques 1 .

Si le nombre de convertis à ces églises et leur implantation fait l’objet de

débats sociétaux, nous retiendrons qu’à leur tête se trouve un pasteur

algérien et que plus d’une vingtaine d’églises ont obtenu une

reconnaissance officielle. Par ailleurs, sur internet les convertis apparaissent

à visage découvert ce qui laisse à penser, malgré les procès et les

tracasseries administratives, qu’ils ont obtenu une certaine forme de

reconnaissance. Ce phénomène a commencé dans les années 1980 et s’est

renforcé dans la dernière décennie. Il reste difficile de chiffrer précisément


le nombre de convertis, mais le sujet est débattu dans la presse algérienne.

Je retiendrai l’analyse de Mgr Teissier :

« Notre propos n’est pas de défendre les nouveaux groupes

missionnaires qui bien souvent ont une conception très agressive

du témoignage chrétien. […] Ce qui m’est apparu important,

c’est l’évolution des positions qui s’exprime à travers une partie

des articles concernant notre sujet. Pendant des siècles, les

sociétés musulmanes, ou au moins les sociétés arabomusulmanes,

ont considéré que toute conversion d’un musulman

à un autre groupe religieux était inconcevable en islam et devait

être punie de mort. Et voici que ces évolutions se poursuivent

par centaines dans un pays musulman et sont mêmes rapportées,

parfois avec sympathie, par des journalistes musulmans ou

considérés comme musulmans qui, en tout cas, écrivent pour des

lecteurs musulmans ou considérés comme tels. Mieux encore les

responsables mêmes des Affaires religieuses, au niveau national,

affirment dans ce contexte la liberté de conscience…

Il me semble qu’il y a, jusqu’à ce jour, peu ou pas de sociétés

arabo-musulmanes qui acceptent de telles évolutions, et, encore

moins qui les rapportent avec sympathie. La société algérienne

tient là une position tout à fait remarquable et qui annonce une

évolution qui pourrait être capitale pour l’avenir de la relation

islamo-chrétienne et pour celui du dialogue : reconnaître

concrètement le droit de chacun à la liberté religieuse 2 . »

La question de la liberté religieuse se pose dans toutes les sociétés et les

sociétés musulmanes n’y ont pas échappé. Il faut rappeler que de tout temps

des musulmans se sont convertis à d’autres religions, volontairement ou

sous la contrainte. Ces dernières décennies la possibilité de changer de


religion est devenue l’un des marqueurs des sociétés démocratiques : aux

problématiques religieuses se greffent des enjeux politiques. Sans doute les

enjeux politiques ont toujours existé, mais ils n’étaient de même nature 3 . À

l’instar d’autres religions, l’islam est confronté à l’individualisation du

religieux et à la pluralité de l’offre religieuse qui induisent une mobilité vers

d’autres religions, vers d’autres courants de l’islam ou encore vers

l’athéisme ou l’agnosticisme. Cette option va à l’encontre des

représentations les plus courantes où l’islam apparaît comme une religion

conquérante qui gagne des fidèles et dont personne ne sort. Ce discours,

partagé à la fois par ceux qui insistent sur la dangerosité de l’islam et par

bien des musulmans, ne correspond pas à la réalité, comme l’a montré un

colloque organisé à Tunis en mai 2013 4 .

Convertis à une autre religion, agnostiques, déistes ou athées, tous se

retrouvent dans la catégorie des non-musulmans dont le statut interroge les

sociétés musulmanes, mais aussi des systèmes juridiques conçus dans le

cadre de l’État-nation où l’islam a servi de plus petit dénominateur commun

aux côtés d’une langue et d’une culture arabes déclarées officielles 5 .

Comment alors concilier l’adhésion à la déclaration des droits de l’homme,

à laquelle un pays comme l’Algérie a souscrit et qui prévoit la liberté de

conscience, avec le cadre juridique qui entend s’inscrire dans une certaine

conception de l’islam ? Le droit peut être perçu comme une métaphore du

politique et renvoie alors à des questions qui dépassent les différents statuts

du converti en terres d’islam puisqu’il interroge sur la capacité de ces États

à intégrer le pluralisme sous toutes ses formes. En d’autres termes, il

renvoie aux fondements démocratiques de pays dont l’islam est la religion

de l’État.

En parallèle des législations, l’évolution des sensibilités des sociétés de

culture musulmane comme la société algérienne est à suivre de près. En

effet, l’Algérie, plus peut-être que d’autres Etats, se trouve probablement à

la croisée des chemins :


« “À côté de l’emprise croissante du salafisme, analyse Mgr Paul

Desfarges, évêque de Constantine, la société algérienne est

travaillée par une quête de liberté de conscience et de

pluralisme.” En témoigne à ses yeux le soutien inédit reçu par les

non-jeûneurs du Ramadan lors de leur récent procès. “Sans

vouloir être chrétiens, de nombreux Algériens cherchent une

identité plus libre dans un monde pluriel 6 .” »

Loin d’être close, l’histoire du christianisme se poursuit en Algérie et

reste à écrire…

1. K. DIRÈCHE, « Évangélisation en Algérie : débats sur la liberté de culte », L’Année du

Maghreb [En ligne], V | 2009, mis en ligne le 1 er novembre 2012, consulté le 22 février 2016.

URL : http://anneemaghreb.revues.org/596 ; « Dolorisme religieux et reconstructions

identitaires. Les conversions néo-évangéliques dans l’Algérie contemporaine », Annales.

Histoire, Sciences Sociales 5/2009 (64 e

année) p. 1137-1162, URL : www.cairn.info/revueannales-2009-5-page-1137.htm

consulté en ligne le 22 février 2016 ; « Jésus et Muhammad :

des fois en dissonance ? Discours des convertis néo-évangéliques sur l’islam dans l’Algérie

d’aujourd’hui », dans C. PONS (dir.), Jésus, moi et les autres. La construction collective d’une

relation personnelle à Jésus dans les Églises évangéliques : Europe, Océanie, Maghreb, CNRS

Éditions, Paris, 2013, p. 125-146.

2. H. TEISSIER, « La presse algérienne et les nouveaux groupes de musulmans convertis au

christianisme », dans H. O. LUTHE et M.-T. URVOY, Relations islamo-chrétiennes, Bilan et

perspectives, Paris, éditions de Paris, 2007, p. 143-144. Se reporter aussi aux p. 125-145 pour

l’analyse d’Henri Teissier.

3. Ainsi, pendant la période coloniale, le fait de quitter l’islam pouvait donner lieu à une lecture

de renoncement patriotique.

4. O. SAAÏDIA (dir.), « D’une foi à l’autre : le cas de l’islam », HMC, n o 28, Paris, Karthala,

2013.

5. Pour les pays membres de la Ligue arabe, le propos doit être nuancé pour le Maroc et dans

une certaine mesure l’Algérie pour l’amazighité.

6. M. CARTIER, « Une nouvelle génération pour l’Église d’Algérie », dans La Croix,

23 décembre 2010.


ANNEXES


Liste des Évêques d’Algérie 1838-2016

Évêques d’Alger (le diocèse regroupe alors tout le territoire) :

DUPUCH Antoine (1838-1846)

PAVY Auguste (1846-1866)

En 1866, les trois diocèses sont constitués :

ARCHEVÊCHÉ D’ALGER

LAVIGERIE Charles (1866-1892)

DUSSERRE Prosper (1892-1897)

OURY Frédéric-Henri (1898-1908)

COMBES Barthélémy (1908-1917)

LEYNAUD Augustin (1917-1953)

DUVAL Léon-Étienne (1954-1988)

TEISSIER Henry (1988-2008)

BADER Ghaleb (2008-2015)

Juillet 2016 : vacant

ÉVÊQUES D’ORAN

CALLOT Jean-Baptiste (1867-1875)


VIGNE Louis-Marie (1876-1880)

ARDIN Pierre-Marie (1880-1883)

GAUSSAIL Noël (1884-1886)

SOUBRIER Gérard (1886-1898)

CANTEL Édouard (1898-1910)

CAPMARTIN Pierre (1911-1914)

LEGASSE Christophe (1916-1920)

DURAND Léon-Marie (1921-1945)

LACASTE Bertrand (1946-1972)

TEISSIER Henri (1972-1980)

CLAVERIE Pierre (1981-1996)

GEORGER Alphonse (1998-2012)

VESCO Jean-Paul (2012-), en poste en 2016

ÉVÊQUES DE CONSTANTINE ET D’HIPPONE

LAS CASES Félix (1867-1870)

ROBERT Joseph-Louis (1872-1878)

DUSSERRE Prosper (1878-1880)

COMBES Barthélémy (1881-1893)

LAFERRIÈRE, Ludovic (1894-1896)

GAZANIOL Jules (1896-1913)

BOUSSIÈRE Jules (1913-1916)

BESSIÈRE Amiel (1916-1923)

THIENARD François-Émile (1924-1945)

DUVAL Léon-Étienne (1946-1954)

PINIER Paul-Pierre (1954-1970)

SCOTTO Jean (1970-1983)

PIROIRD Gabriel (1983-2008)

DESFARGES Paul (2008-) en poste en 2016


ÉVÊQUES DE GHARDAÏA

MERCIER Georges (1955-1968)

RAIMBAUD Jean-Marie (1968-1989)

1989-1991 : vacant

GAGNON Michel (1991-2004)

RAULT Claude (2004-2016)


Tableau de la présence catholique par diocèse en 1957

Source : Informations catholiques internationales, n o 171, janvier 1957


Tableau de la présence catholique par diocèse en 1982

Source : Annuario Pontificio 1982

Tableau de la présence catholique par diocèse en 2016

Source : Annuario Pontificio 2016


Tableau récapitulatif de la présence catholique en 1957, 1982 et 2016

Sources : Informations catholiques internationales, n o

1982 et 2016

171, janvier 1957 ; Annuario Pontificio


Nombre de prêtres et de religieuses en Algérie en 1957, 1982 et 2016

Sources : Informations catholiques internationales, n o 171, janvier 1957 ; Annuario Pontificio

1982 et 2016


Nombre de catholiques par diocèse en 1957, 1982 et 2016

Sources : Informations catholiques internationales, n o 171, janvier 1957 ; Annuario Pontificio

1982 et 2016


Répartition de la population catholique en 1957

Sources : Informations catholiques internationales, n o 171, janvier 1957


Journal officiel de la République algérienne

n o 12

Ordonnance n o 06-03 du 29 Moharram 1427

correspondant au 28 février 2006 fixant

les conditions et règles d’exercice des cultes

autres que musulman

Le président de la République,

Vu la Constitution, notamment ses articles 2, 29, 36, 43, 122 et 124 ;

Vu le pacte international relatif aux droits civils et politiques auquel

l’Algérie a adhéré par le décret présidentiel n o 89-67 du 16 mai 1989 ;

Vu l’ordonnance n o 66-154 du 8 juin 1966, modifiée et complétée, portant

code de procédure civile ;

Vu l’ordonnance n o 66-155 du 8 juin 1966, modifiée et complétée, portant

code de procédure pénale ;

Vu l’ordonnance n o 66-156 du 8 juin 1966, modifiée et complétée, portant

code pénal ;

Vu l’ordonnance n o 77-03 du 19 février 1977 relative aux quêtes ;

Vu la loi n o 89-28 du 31 décembre 1989, modifiée et complétée, relative aux

réunions et manifestations publiques ;


Vu la loi n o 90-08 du 7 avril 1990, complétée, relative à la commune ;

Vu la loi n o 90-09 du 7 avril 1990, complétée, relative à la wilaya ;

Vu la loi n o 90-31 du 4 décembre 1990 relative aux associations ;

Le Conseil des ministres entendu,

Promulgue l’ordonnance dont la teneur suit :

Chapitre premier

DISPOSITIONS GÉNÉRALES

Article 1 er . – La présente ordonnance a pour objet de fixer les conditions et

règles d’exercice des cultes autres que musulman.

Art. 2. – L’État algérien dont la religion est l’Islam garantit le libre exercice

du culte dans le cadre du respect des dispositions de la Constitution, de la

présente ordonnance, des lois et règlements en vigueur, de l’ordre public,

des bonnes mœurs et des droits et libertés fondamentaux des tiers.

L’État garantit également la tolérance et le respect entre les différentes

religions.

Art. 3. – Les associations religieuses des cultes autres que musulman

bénéficient de la protection de l’État.

Art. 4. – Il est interdit d’utiliser l’appartenance religieuse comme base de

discrimination à l’égard de toute personne ou groupe de personnes.

Chapitre 2

DES CONDITIONS D’EXERCICE DU CULTE

Art. 5. – L’affectation d’un édifice à l’exercice du culte est soumise à l’avis

préalable de la commission nationale de l’exercice des cultes prévue à

l’article 9 de la présente ordonnance.

Est interdite toute activité dans les lieux destinés à l’exercice du culte

contraire à leur nature et aux objectifs pour lesquels ils sont destinés.


Les édifices destinés à l’exercice du culte sont soumis au recensement par

l’État qui assure leur protection.

Art. 6. – L’exercice collectif du culte est organisé par des associations à

caractère religieux dont la création, l’agrément et le fonctionnement sont

soumis aux dispositions de la présente ordonnance et de la législation en

vigueur.

Art. 7. – L’exercice collectif du culte a lieu exclusivement dans des édifices

destinés à cet effet, ouverts au public et identifiables de l’extérieur.

Art. 8. – Les manifestations religieuses ont lieu dans des édifices, elles sont

publiques et soumises à une déclaration préalable.

Les conditions et modalités d’application du présent article sont fixées par

voie réglementaire.

Art. 9. – Il est créé, auprès du ministère chargé des affaires religieuses et

des wakfs, une commission nationale des cultes, chargée en particulier de :

– veiller au respect du libre exercice du culte ;

– prendre en charge les affaires et préoccupations relatives à l’exercice du

culte ;

– donner un avis préalable à l’agrément des associations à caractère

religieux.

La composition de cette commission et les modalités de son fonctionnement

sont fixées par voie réglementaire.

Chapitre 3

DISPOSITIONS PÉNALES

Art. 10. – Est puni d’un emprisonnement d’un (1) an à trois (3) ans et d’une

amende de 250 000 DA à 500 000 DA quiconque, par discours prononcé ou

écrit, affiché ou distribué dans les édifices où s’exerce le culte ou qui utilise

tout autre moyen audiovisuel, contenant une provocation à résister à

l’exécution des lois ou aux décisions de l’autorité publique, ou tendant à


inciter une partie des citoyens à la rébellion, sans préjudice des peines plus

graves si la provocation est suivie d’effets.

La peine est l’emprisonnement de trois (3) ans à cinq (5) ans et l’amende de

500 000 DA à 1 000 000 DA si le coupable est un homme de culte.

Art. 11. – Sans préjudice des peines plus graves, est puni d’un

emprisonnement de deux (2) ans à cinq (5) ans et d’une amende de

500 000 DA à 1 000 000 DA quiconque :

1 – incite, contraint ou utilise des moyens de séduction tendant à convertir

un musulman à une autre religion, ou en utilisant à cette fin des

établissements d’enseignement, d’éducation, de santé, à caractère social ou

culturel, ou institutions de formation, ou tout autre établissement, ou tout

moyen financier,

2 – fabrique, entrepose, ou distribue des documents imprimés ou métrages

audiovisuels ou par tout autre support ou moyen qui visent à ébranler la foi

d’un musulman.

Art. 12. – Est puni d’un emprisonnement d’un (1) an à trois (3) ans et d’une

amende de 100 000 DA à 300 000 DA, quiconque a recours à la collecte de

quêtes ou accepte des dons, sans l’autorisation des autorités habilitées

légalement.

Art. 13. – Est puni d’un emprisonnement d’un (1) an à trois (3) ans et d’une

amende de 100 000 DA à 300 000 DA, quiconque :

1 – exerce un culte contrairement aux dispositions des articles 5 et 7 de la

présente ordonnance,

2 – organise une manifestation religieuse contrairement aux dispositions de

l’article 8 de la présente ordonnance,

3 – prêche à l’intérieur des édifices destinés à l’exercice du culte, sans être

désigné, agréé ou autorisé par l’autorité religieuse de sa confession,

compétente, dûment agréée sur le territoire national et par les autorités

algériennes compétentes.


Art. 14. – La juridiction compétente peut interdire à un étranger, condamné

suite à la commission de l’une des infractions prévues par la présente

ordonnance, le séjour sur le territoire national définitivement ou pour une

période qui ne peut être inférieure à dix (10) ans.

Il découle de l’interdiction de séjour l’expulsion, de plein droit, hors du

territoire national, de la personne condamnée, après exécution de la peine

privative de liberté.

Art. 15. – La personne morale qui commet l’une des infractions prévues par

la présente ordonnance est punie :

1 – D’une amende qui ne peut être inférieure à quatre (4) fois le maximum

de l’amende prévue par la présente ordonnance pour la personne physique

qui a commis la même infraction.

2 – D’une ou de plusieurs des peines suivantes :

– la confiscation des moyens et matériels utilisés dans la commission de

l’infraction,

– l’interdiction d’exercer, dans le local concerné, un culte ou toute activité

religieuse,

– la dissolution de la personne morale.

Chapitre 4

DISPOSITIONS TRANSITOIRES ET FINALES

Art. 16. – Les personnes exerçant un culte autre que musulman, dans un

cadre collectif, sont tenues de se conformer aux dispositions de la présente

ordonnance, dans un délai de six (6) mois, à compter de sa publication au

Journal officiel.

Art. 17. – La présente ordonnance sera publiée au Journal officiel de la

République algérienne démocratique et populaire.

Fait à Alger, le 29 Moharram 1427 correspondant au 28 février 2006.

Abdelaziz BOUTEFLIKA


Sources et bibliographie


Sources manuscrites

CAOM – Centre des Archives d’Outre-Mer, Aix-en-Provence

DÉPARTEMENT DE CONSTANTINE :

B3 306 :

1901-1907 :

.

B3 318 :

B3 320 :

B3 436 :

1877-1906 : instructions, nominations, allocations,

comptabilité.

état nominatif du clergé catholique pour servir au paiement des

traitements

1899-1935 : culte catholique, indemnités, renseignements,

incidents. Dossiers personnels dont celui de M gr Bouissière.

1902-1924 : culte catholique correspondance.

1917 : mémoire des évêques d’Algérie en vue d’obtenir les

prorogations des indemnités de fonction en faveur du clergé

français de la colonie.

DÉPARTEMENT D’ORAN :


1 U1 :

1 U2 :

1 U3 :

1 U4 :

1 U5 :

1843-1882 : affaires générales ; binage, bourse aux

séminaristes d’Oran, communautés religieuses, évêché d’Oran,

tournées pastorales.

1839-1883 : personnel : mutations (affaires collectives),

prêtres auxiliaires, secours à des prêtres, caisse de retraite en

faveur des prêtres âgés, malades ou infirmes, plaintes, conflits.

1849-1884 : création de paroisses et de succursales (affaires

générales, affaires collectives).

cérémonies et fêtes, processions, convois funèbres, refus de

sépultures, enterrements civils, matériel (décisions

collectives), édifices diocésains, fabriques (affaires générales

et collectives), instructions, affaires générales.

1871-1886 : congrès des ecclésiastiques, comptabilité des

conseils de fabrique, certificats de résidence.

1 U6 : 1870-1880 : subventions aux fabriques (affaires collectives)

1 U22 :

1 U24 :

inventaires de la bibliothèque et des séminaires du diocèse

d’Oran.

1873-1898 : règlement sur les sonneries des cloches, tarifs

diocésains.

1 U25 : 1875-1897 : mutations.

1 U26 :

1 U27 :

congés de 1898 à 1900, réunions des conseils de fabriques,

prêtres étrangers (1885-1905).

1857-1908 : divers : congrégations, mutations, personnel,

réclamations, instructions, création de paroisses.

1 U29 : 1902-1918, congrégations religieuses.

1 U103 : 1907-1910, séparation de l’Église et de l’État, instructions.

1 U104 : 1908-1909, inventaires par arrondissements.

1 U105 : 1902-1908, congrégations.

1 U106 : 1880-1914, congrégations, établissements congréganistes,


1 U107 :

1 U108 :

expulsion des jésuites. 1901-1906, renseignements sur le

clergé, séparation de l’Église et de l’État.

1907-1927, conférences religieuses, renseignements, rapports

de police, manifestations du culte.

1909, séparation de l’Église et de l’État : séquestres, procèsverbaux

de notification.

1 U110 : 1868-1883 : subventions pour construction d’édifices religieux

P1 :

culte catholique.

Fonds du Gouvernement général de l’Algérie

3F 146 :

3F 147 :

3F 149 :

3F 171 à 3F

174 :

procès-verbaux du conseil de Gouvernement du 18 janvier

1907 et du 14 juin 1907.

procès-verbaux du conseil de Gouvernement du 26 novembre

1907.

procès-verbaux du conseil de Gouvernement du 22 juillet

1908.

affaires soumises au conseil de Gouvernement.

Série H, affaires religieuses

16H114 :

propagande catholique, circulaire Charon et enquête ; pères

blancs, société antiesclavagiste ; frères armés du Sahara

(1891), vicariat apostolique du Sahara ; missionnaires

assassinés au Sahara, 1875, 1881, 1898 ; père de Foucauld,

Béni Abbès, 1901 ; mission évangélisation.

FONDS SECONDAIRES


AN – Archives nationales, Paris

F19 5447 :

F19 5499 :

F19 5501 :

F19 5610 :

1899-1904, semaines religieuses et bulletins paroissiaux :

surveillance et poursuites.

1801-1906, mandements.

1905-1907, lettres pastorales.

dossiers personnels des évêques et archevêques.

AAA – Archives de l’archevêché d’Alger

AAA/9 :

AAA/9 :

AAA/212,

La Basilique de Notre-Dame d’Afrique, Histoire du

pèlerinage, imprimerie L. Crescenzo, Alger, 1948

Pèlerinage ND d’Alger. Notice sur le pèlerinage de Notre-

Dame d’Afrique à Alger, Adolphe Jourdan, Alger, 1885

R. BÉNICHOU, « Ce que fut “L’union des croyants

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AAA/415 : Castiglione, dossier Castiglione, Bou Ismaïl, Téfeschoun

AAA/118 :

AAA/470 :

« Lettre pastorale et mandement de monseigneur l’archevêque

d’Alger au clergé et aux fidèles de son diocèse prescrivant des

prières publiques pour la cessation de la sécheresse. Alger, le

13 novembre 1889 »

Annales de la paroisse de l’Agha (1869-1899), imprimerie

V. Heintz, Alger, 1899

AAA/94B : Dossiers sur la franc-maçonnerie

AGMAfr – Archives des pères blancs, maison généralice (Rome)


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AGMAfr. Dos. 124/10 : Islam

CBN : « Conférence des Supérieurs de Kabylie, Boh Noh 1937 »

AGMAfr., Rapports annuels, 1958.15,4.2

AGMAfr., Rapports annuels, 1955/13, 7

AGOF – Archives du Grand Orient de France, Paris

AOPM – Archives des Œuvres Pontificales Missionnaires, Lyon

Fonds Lyon :

G9 : archevêché d’Alger 1891-1924.

G12 : évêché de Constantine 1895-1924.

G14 : évêché d’Oran 1895-1924.

Fonds Paris (disponibles à Lyon, classé mais non répertorié)

G8 :

G9 :

G10 :

Alger

Oran

Constantine

SOURCES IMPRIMÉES

PÉRIODIQUES

Presse d’Algérie


La croix de l’Algérie et de la Tunisie, 1905-1908

L’éclaireur algérien, 1905

Le socialiste, 1901

Le socialiste d’Afrique du Nord, 1906-1907

L’écho d’Oran, 1902-1903

La pensée libre, 1906-1907

Le libéral, 1906-1907

La semaine religieuse d’Alger, 1906, 1907, 1909

La semaine religieuse d’Oran, 1905, 1908

Presse nationale

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Survivances concordataires ».

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