MANUEL GÉNÉRAL DE L'INSTRUCTION PRIMAIRE - INRP
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Voyez-les. Elles s'efforcent d'accomplir toute leur<br />
mission, elles lâchent de ne pas mourir sans confier<br />
à la nature le germe d'une fleur à venir, qui sera<br />
sans doute toute pareille à elles, mais qui sera peutêtre<br />
aussi encore plus belle, plus large et plus parfumée.<br />
Que nous les laission dans les champs ou<br />
dans les jardins, ou que nous les coupions pour orner<br />
la maison ou embaumer notre .corsage, toujours cap<br />
tives, souvent torturées, elles nous livrent tout leur<br />
trésor, de fraîcheur et de grâcej elles nous en font le<br />
don miraculeux, bien qu'ilnous soit familier. L'essence<br />
de leur vie, leur odeur sacrée, elles nous la donnent,<br />
elles nous la versent, et puis elles meurent, se flétrissent,<br />
après avoir été le charme des jours, le plaisir<br />
des heures, l'ivresse des saisons. Regardez mourir les<br />
fleurs, petites filles; elles meurent comme des femmes.<br />
Pétale à pétale, leur beauté les quitte, et frissonnantes<br />
et dépouillées, c'est leur cœur qui meurt le dernier.<br />
4. — Un collège d'autrefois.<br />
Les souvenirs bourguignons de M. Henry Joly. —<br />
Au collège de Jacques Amyot. — La religion du<br />
grec. — La tradition olassique. — Littéraires et<br />
scientifiques.<br />
M. Henri Joly, de l'Académie des sciences<br />
morales et politiques, a conservé un faible pour<br />
son vieux collège d'Auxerre, fondé par l'hellér<br />
niste Jacques Amyot, le traducteur de Plutarque.<br />
On y donnait, dit-il, une instruction<br />
classique très consciencieuse. Elle n'avait besoin<br />
que de reqevoir à Paris un complément<br />
d'esprit littéraire, un certain raffinement de<br />
goût et un élan plus confiant vers de nouveaux<br />
horizons. Les professeurs étaient divers, tin peu<br />
inégaux comme partout, mais tous avaient le<br />
culte de la tradition et ne plaisantaient ni avec<br />
le latin, ni avec le grec.<br />
Ce n'est pas qu'ils eussent rien de rogue ni de<br />
brutal. Si le genre de discipline haïe de Montaigne et<br />
de Rabelais avait tenté de reparaître, il n'eût à coup<br />
sûr pas réussi. Ce n'est pas seulement avec des sobriquets<br />
et des jeux de mots ou avec des essais de parodie<br />
que la nouvelle génération eût protesté, car elle avait,<br />
en un sens, une assez mauvaise tête. Mais comme tous<br />
avaient à assurer leur carrière, comme leurs familles<br />
leur faisaient presque toutes sentir l'étendue de leurs<br />
sacrifices et la nécessité de n'en pas laisser perdre le<br />
fruit, ils appprèciaiènt parfaitement la manière dont<br />
on les faisait travailler...<br />
Parlant de l'un d'eux qui avait été aussi mon professeur,<br />
M. Alapetite me disait il y a deux ans à<br />
peine : « Quand M. Marchand préludait à quelque<br />
explication d'Homère ou de Sophocle, on eût (lit qu'il<br />
allait ouvrir un tabernacle ». Le mot n'est pas seulement<br />
spirituel, il est absolument exact. Le bon<br />
M. Marchand, qui était notre professeur de seconde,<br />
avait, du reste, trouvé quelques esprits bien préparés,<br />
notamment pour le grec. Nous nous souvenons encore<br />
du professeur de sixième qui nous faisait chanter tous<br />
ensemble, à l'unisson et en cadence, les terminaisons<br />
caractéristiques des temps, des modes et des voix, des<br />
verbes grecs. C'était même un amusoment de la<br />
classe; l'amusement était instructif et il ne troublait<br />
rien, car l'excellent homme nous avait appris qu'il ne<br />
fallait rire que quand il en avait donné lui;même le<br />
signal.<br />
M. Henry Joly 'a conservé aussi le souvenir<br />
des professeurs de grammaire et du mélange<br />
« d'émotion douloureuse et d'indignation » que<br />
provoquaient les infractions aux saintes règles<br />
de la grammaire latine. 11 se demande, à ce<br />
propos, si cette éducation classique était exclusive<br />
et fermait la porte aux vocations scientifiques<br />
et pratiques. Il ne le croit pas, car il a<br />
remarqué que ses camarades qui, après avoir<br />
achevé leurs études littéraires, se destinaient<br />
aux sciences, à la médecine par exemple, pou<br />
PARTIE <strong>GÉNÉRAL</strong>E 535<br />
vaient, en quelques mois, prendre leur baccalauréat<br />
ès sciences, car ils abordaient ces nouvelles<br />
études avec une intelligence ouverte et<br />
formée. C'était le premier avantage d'une solide<br />
culture générale.<br />
5. — L'amitié indestructible.<br />
Les souvenirs de M. Bergson. — Ce qu'il a vu en<br />
Amérique. — 'Nouveaux croisés. — La foi dans<br />
leur mission. — Les deux conceptions de l'homme<br />
moderne.<br />
M. Henri Bergson évoque, dans la Vie universitaire,<br />
le souvenir de son voyage en Amérique.<br />
J'ai été témoin de ce fait unique dans l'histoire :<br />
unpeuple de près de cent millions d'hommes se jetant<br />
dans la guerre avec toutes ses forces, toutes ses ressources,<br />
consentant par avance à tous les sacrifices,<br />
sans que ce fût poûr se défendre (il n'y avait pas<br />
alors mille personnes en Amérique, il n'y en avait<br />
peut-être pas cinq cents, à admettre que l'Allemagne<br />
pût être un danger pour les Etats-Unis), sans que ce<br />
fût non plus pour un avantage matériel (par avance,<br />
les Américains refusaient toute compensation, et un<br />
de leurs généraux disait ici l'année dernière : « Nousrentrerons<br />
chez nous les mains vides, à moins que<br />
nous ne ramenions nos morts »); sans calcul, sans<br />
arrière-pensée, ni par intérêt ni par crainte, simplement<br />
pour un principe, pour une idée, pour la<br />
jiission que ce peuple se sentait appelé à remplir<br />
dans le monde. J'étais là, et je puis dire, car je l'ai<br />
vue monter sous mes yeux, que ce fut une grande<br />
vague d'enthousiasme, et d'enthousiasme quasi religieux,<br />
qui souleva la nation américaine.<br />
Ce sont surtout les professeurs d'université,<br />
anciens collègues ou émules de Willon, qui n'ont<br />
cessé de répéter que l'Amérique ne pouvait<br />
pas, ne devait pas rester en dehors de la guerre;<br />
et ce sont leurs élèves, les étudiants, qui, dans<br />
les listes funèbres, ont fourni un contingent<br />
hors de proportion avec leur nombre.<br />
Au commencement de 1913, je professais à l'Université<br />
de Columbia de New York et j'étais en rapport<br />
avec d'autres Universités américaines. On me<br />
disait : « Nous nous sommes tournés vers les Universités<br />
allemandes à une époque où les vôtres n'étaient<br />
pas encore réorganisées. Puis nous avons continué<br />
par habitude. Mais , maintenant, c'est de votre côté<br />
que nous regardons ». Voilà comment parlaient des<br />
Américains, avant que la guerre leur eût pleinement<br />
révélé l'infériorité morale de l'âme allemande.<br />
Pour ne parler que de la philosophie, ce n'est pas<br />
chez nous qu'on l'a hérissée de mots techniques, barbares,<br />
qui s'interposent entre elle et le public. Nos<br />
plus grands penseurs, à commencer par Descartes,<br />
ont jugé qu'il n'y a pas d'idée philosophique, si profonde<br />
ou si subtile soit-elle, qui ne puisse et ne doive<br />
être exprimée dans la langue de tout le monde. La<br />
philosophie a pu se répandre ainsi dans la nation<br />
entière. La nation y a gagné. La philosophie aussi;<br />
car, au lieu de s'amuser, seule avec elle-même, à<br />
construire des systèmes fragiles, où il y a toujours<br />
du vide et parfois de l'absurde, elle s'est soumise<br />
ainsi au contrôle du sens commun, en même temps<br />
qu'elle s'est fécondée au contact de la science, de la<br />
littérature, de l'art. Elle a pu rester constamment<br />
génératrice d'idées.<br />
Pour conclure, M. Henri Bergson estime que<br />
c'est surtout l'idéal moral qui fera la fraternité<br />
entre Universités françaises et Universités américaines.<br />
La force et la valeur de cet idéal se<br />
sont pleinement manifestées pendant la guerre.<br />
Aujourd'hui, entre notre conception de l'homme<br />
moderne et la conception allemande, le monde<br />
est fixé et sait quelle est celle des deux qui peut<br />
donner une force de résistance morale indéfinie.<br />
LÉO.<br />
M. FARRAND. LES ÉTATS-UNIS. Un volume in-16, broché 4.50 (Majoration comprise).