Zibeline n° 55 en PDF
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10<br />
POLITIQUE CULTURELLE<br />
Une belle<br />
traversée<br />
Akel Akian nous a quittés le 24 janvier.<br />
Sa disparition a plongé ses proches<br />
et le monde du spectacle dans une profonde<br />
tristesse. Retour sur la carrière étonnante<br />
d’un humaniste poète<br />
Il était né par un soir de grande tempête, peut-être<br />
<strong>en</strong> 1952, dans une famille de pêcheurs reconvertie<br />
<strong>en</strong> agriculteurs. Il parlait le tarifit, la langue des<br />
Rifains et n’apprit l’arabe qu’à l’école. À vingt ans<br />
il arrive à Lyon, travaille dans une usine textile et<br />
perfectionne son français. Et il est plongé dans un<br />
monde nouveau qui va du syndicalisme à l’écriture<br />
de Kateb Yacine, monté par Marcel Maréchal.<br />
Comme lui, il quitte Lyon et arrive à Marseille à la<br />
fin des années 70, mais s’ori<strong>en</strong>te vers les quartiers<br />
nord, intervi<strong>en</strong>t au C<strong>en</strong>tre social de Frais Vallon, et<br />
fonde <strong>en</strong> 1980 le Théâtre de la mer avec Frédérique<br />
Fuzibet, son épouse et collaboratrice. En 82<br />
l’équipe s’installe à la Busserine. C’est le début de<br />
30 années de travail de terrain, de dialogue perman<strong>en</strong>t<br />
avec les jeunes et les habitants du quartier.<br />
D’interv<strong>en</strong>tions scolaires dont les professeurs gard<strong>en</strong>t<br />
des souv<strong>en</strong>irs émus. Car Akel sait écouter et<br />
recueillir la parole de ceux qu’il croise, elle devi<strong>en</strong>t<br />
la matière de ses spectacles sans que jamais il<br />
semble là pour les voler, comme Baisers d’hirondelles<br />
qui a recueilli les paroles des mères, et tant<br />
de spectacles sur les adolesc<strong>en</strong>ts. Ou sur des textes<br />
d’auteur : qu’il monte Shakespeare, Demarcy, Horovitz<br />
ou Yacine, c’est ce qui relie les hommes qui<br />
l’intéresse.<br />
En juin 2008 une banale petite annonce provoque<br />
un déclic : un <strong>en</strong>trepôt se loue rue de la Joliette.<br />
Les collectivités territoriales sont d’accord pour<br />
financer les travaux. Moins de 3 ans plus tard, <strong>en</strong><br />
novembre 2011, se t<strong>en</strong>ait une confér<strong>en</strong>ce de presse<br />
pour faire découvrir ce nouveau lieu baptisé L’R de<br />
la mer. Malade depuis un an et très affaibli, Akel<br />
assure cette inauguration avec courage. Mais quelques<br />
mois plus tard, la maladie l’emporte. Akel<br />
n’aura pas le temps d’investir le lieu.<br />
C’est Frédérique qui repr<strong>en</strong>d le gouvernail. Depuis<br />
quelques années elle met <strong>en</strong> scène après avoir<br />
assuré la scénographie et les costumes. Elle veut<br />
aujourd’hui faire aboutir les travaux amorcés par<br />
Akel. «La situation financière est saine. Actuellem<strong>en</strong>t<br />
nous pouvons payer toutes nos charges. Les<br />
HOMMAGE À AKEL AKIAN | AQUÒ D’AQUÍ<br />
subv<strong>en</strong>tions sont r<strong>en</strong>ouvelées ; cep<strong>en</strong>dant nous devons<br />
assurer 20% d’autofinancem<strong>en</strong>t, <strong>en</strong> faisant de<br />
la formation ou <strong>en</strong> louant le lieu, par exemple.»<br />
Questions de jeu...<br />
Ainsi Frédérique va garder le cap. Notamm<strong>en</strong>t avec<br />
le projet d’Akel sur la thématique du foot, déf<strong>en</strong>du<br />
dans le cadre de MP 2013. Projet rassembleur de<br />
dim<strong>en</strong>sion europé<strong>en</strong>ne qui concerne trois villes portuaires<br />
: Marseille avec le Théâtre de la mer,<br />
Amsterdam et le MC et Casablanca et le Dabatheatr.<br />
Projet original qui s’articule sur les analogies de<br />
vocabulaire. Ne joue-t-on pas autant au théâtre<br />
qu’au foot sur un espace appelé «plateau» ou «terrain»<br />
? Depuis 2008, les trois «équipes» sont au<br />
travail et se retrouveront à Marseille cet automne,<br />
si les crédits arriv<strong>en</strong>t.<br />
Un autre axe de son activité concerne la coopération<br />
avec le Maroc et le festival d’Alhoceima,<br />
<strong>en</strong>tre Tanger et la frontière algéri<strong>en</strong>ne. Financé par<br />
Culture France, le Théâtre de la mer a monté avec<br />
des comédi<strong>en</strong>s marocains Dans la maison d’Isabel,<br />
une pièce sur les flux migratoires, joué plusieurs<br />
fois <strong>en</strong> Espagne et au Maroc, <strong>en</strong> rifain. Les répétitions<br />
d’un nouveau spectacle sont <strong>en</strong> cours et<br />
c’est Frédérique Fuzibet qui <strong>en</strong> assure le suivi et la<br />
réalisation.<br />
Ainsi le travail d’Akel se poursuit, et sa voix ne nous<br />
quitte pas.<br />
CHRIS BOURGUE<br />
À v<strong>en</strong>ir<br />
Bouli puissance 3, d’après Fabrice Melquiot<br />
2 oct à 14h30 et 20h30, Espace culturel Busserine<br />
4 oct à 14h30 et 19h, Comoedia d’Aubagne<br />
deuxième quinzaine de novembre à l’R de la mer<br />
ateliers de pratique théâtrale à partir du 1 er octobre<br />
L’R de la mer<br />
04 91 02 50 97<br />
www.letheatredelamer.fr<br />
© Frédérique Fuzibet<br />
Jean-Pierre Raffaelli, professeur au Conservatoire,<br />
comédi<strong>en</strong> et metteur <strong>en</strong> scène, a r<strong>en</strong>contré Akel il<br />
y a plus de 30 ans. Souv<strong>en</strong>ir :<br />
Akel était un poète de la vie et de sa vie. Quelque<br />
chose le traversait qui v<strong>en</strong>ait à la fois de sa nature<br />
et de sa culture. Ce n’était pas un intello mais un<br />
homme de l’oralité.<br />
Sa direction d’acteurs n’était pas conforme à ce qui<br />
se fait communém<strong>en</strong>t <strong>en</strong> Europe. Il pr<strong>en</strong>ait <strong>en</strong><br />
compte la personne dans son intégralité, faisait<br />
appel à ce que chacun a <strong>en</strong> lui et partait du<br />
principe que tout le monde peut jouer. Parfois il se<br />
trompait, doutait aussi beaucoup ! Mais il voulait<br />
«capturer le vivant». Il v<strong>en</strong>ait souv<strong>en</strong>t au<br />
Conservatoire faire travailler les élèves. Je me<br />
souvi<strong>en</strong>s qu’il leur a appris à dire l’arabe pour les<br />
textes de Mahmoud Darwich.<br />
Luce Hedroug était professeur de français <strong>en</strong> Zone<br />
d’Éducation Prioritaire au collège de Berre l’Étang.<br />
Akel est interv<strong>en</strong>u dans son atelier théâtre de 90 à<br />
96 :<br />
C’était un visionnaire ! Il était très à l’écoute des<br />
élèves, très pati<strong>en</strong>t, mais il les forçait à se dépasser<br />
et permettait à chacun de trouver sa voie. Dans<br />
cette ville où 30% des habitants sont émigrés, il<br />
leur donnait la parole. Le Forum des Jeunes et de<br />
la Culture y mettait les moy<strong>en</strong>s et les élèves étai<strong>en</strong>t<br />
heureux.<br />
Cyril Brunet, chef de projet pour MP 2013,<br />
appréciait son amour de la poésie et son travail<br />
dans les quartiers, notamm<strong>en</strong>t à Frais-Vallon où ils<br />
s’étai<strong>en</strong>t r<strong>en</strong>contrés. Aussi l’a-t-il prés<strong>en</strong>té à<br />
Bernard Latarget. Entre eux l’<strong>en</strong>t<strong>en</strong>te fut<br />
immédiate :<br />
Je cherchais des acteurs du territoire qui r<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t<br />
possible un vrai dialogue <strong>en</strong>tre les deux rives, et<br />
pratiqu<strong>en</strong>t la participation citoy<strong>en</strong>ne. Akel Akian<br />
avait accompli un travail exemplaire, d’une qualité<br />
artistique très forte, et avait un s<strong>en</strong>s rare de la<br />
fraternité.