Zibeline n° 55 en PDF
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06 POLITIQUE CULTURELLE L’ÉTAT EN RÉGION<br />
L’État <strong>en</strong>fin là ?<br />
Le discours du Présid<strong>en</strong>t de la République lors du Festival<br />
d’Avignon dénote un changem<strong>en</strong>t de regard. Ira-t-il jusqu’au<br />
déc<strong>en</strong>trem<strong>en</strong>t ?<br />
Depuis le 10 juillet 1981, aucun Présid<strong>en</strong>t de la République<br />
n’était v<strong>en</strong>u <strong>en</strong> Avignon. «J’ai 5 jours de retard» sourit François<br />
Hollande. Et tr<strong>en</strong>te et un an ! Le symbole n’est pas<br />
anodin, et le présid<strong>en</strong>t de l’Université d’Avignon <strong>en</strong> saluait<br />
d’ailleurs la force et la «joie». Repr<strong>en</strong>ant les mots de Jean<br />
Vilar dont on célèbre le c<strong>en</strong>t<strong>en</strong>aire, il rappela la raison d’être<br />
du théâtre : «Le projet de Vilar est une utopie politique d’éducation<br />
populaire, de promesse d’émancipation […] Il existe<br />
une mystique de la r<strong>en</strong>contre <strong>en</strong>tre l’art et le peuple, Monsieur<br />
le Présid<strong>en</strong>t, Madame le Ministre, ne nous quittez plus !» s’exclama-t-il<br />
avant que Jacques Théphany, Directeur délégué<br />
de la Maison Jean Vilar, ne livre quelques morceaux choisis<br />
de la correspondance de Jean Vilar à son épouse : «Que le<br />
monde est beau ma bi<strong>en</strong>-aimée»… Par la grâce de l’art ! On<br />
était au cœur lyrique du propos.<br />
Des parrains divers<br />
Puis le Présid<strong>en</strong>t de la République évoqua les principes qui<br />
le guid<strong>en</strong>t dans l’action mise <strong>en</strong> œuvre par la ministre de la<br />
Culture Aurélie Filippetti. Action qu’il place sous le signe de<br />
Vilar et du théâtre populaire, répétant sa «volonté de<br />
démocratisation, de donner aux œuvres de l’esprit le plus large<br />
public et d’élever le niveau de l’éducation artistique» ; mais<br />
aussi, et c’est plus étonnant, il fit un hommage appuyé à<br />
Jack Ralite, ce qui signe une volonté nette d’affranchir la<br />
culture des lois du marché. Alors même que l’influ<strong>en</strong>ce du<br />
Front de gauche pour la culture semble <strong>en</strong> fort recul dans les<br />
débats et représ<strong>en</strong>tation François Hollande place la culture<br />
sous des augures communistes, sous le signe d’un homme<br />
qui a inv<strong>en</strong>té et promu une «exception culturelle» pure, la<br />
liberté des artistes, la création avant tout. Et la révolte,<br />
refusant trois fois la légion d’honneur,<br />
et dénonçant ces dernières années<br />
avec force le «mariage cruel» des<br />
institutions d’État avec des cabinets<br />
d’intérêt privés.<br />
Le Présid<strong>en</strong>t de la République p<strong>en</strong>saitil<br />
à tout cela <strong>en</strong> citant ces deux hommes ?<br />
Déf<strong>en</strong>dra-t-il une culture à la fois populaire,<br />
affranchie de la finance et libre<br />
de ses gestes, partout où la création<br />
donne <strong>en</strong>core des signes de vie ?<br />
Soulignant la «vitalité» et la «qualité»<br />
d’Avignon, citant à la fois «le In et le<br />
Off», il s’agit bi<strong>en</strong> pour lui de «marquer<br />
un <strong>en</strong>gagem<strong>en</strong>t» et de «repr<strong>en</strong>dre le<br />
fil» : «Il s’est produit une longue abs<strong>en</strong>ce…<br />
V<strong>en</strong>ir ici <strong>en</strong> Avignon, c’était aussi<br />
dire toute ma reconnaissance à tous<br />
ceux qui ont permis dans les mom<strong>en</strong>ts<br />
très difficiles, que la culture soit ce<br />
qu’elle est <strong>en</strong> France.»<br />
Mais <strong>en</strong> remerciant Yvon Lambert pour<br />
son «exceptionnelle donation» (voir<br />
www.journalzibeline.fr/exhibitions), il<br />
plaçait égalem<strong>en</strong>t son déplacem<strong>en</strong>t dans<br />
la cité des papes sous le signe concret<br />
de la «promotion» de la création contemporaine.<br />
Il alliait ainsi l’hommage à<br />
Ralite, ministre du premier gouvernem<strong>en</strong>t<br />
Mitterrand, contempteur fréqu<strong>en</strong>t<br />
des compromis électoraux socialistes<br />
dans sa cité ouvrière d’Aubervilliers,<br />
avec des perspectives plus pragmatiques :<br />
il s’agit aujourd’hui de «permettre à une<br />
© Sarah Maurieres<br />
économie de la culture de créer des emplois, des activités, de<br />
porter des industries, qui font que nous pouvons trouver dans<br />
ce domaine, une des manières d’atteindre nos objectifs<br />
économiques. En termes d’emplois, <strong>en</strong> termes de rétablissem<strong>en</strong>t<br />
de notre commerce extérieur, de notre balance des<br />
paiem<strong>en</strong>ts, mais égalem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> termes de redressem<strong>en</strong>t.»<br />
Le budget et la ligne<br />
Car <strong>en</strong> termes de budget général pour la culture, les propos<br />
sont restés très mesurés : «La ministre de la Culture, le Premier<br />
ministre, ont malgré des temps difficiles, des contraintes<br />
lourdes, obt<strong>en</strong>u qu’il n’y ait pas de conséqu<strong>en</strong>ces <strong>en</strong> termes<br />
d’économies supplém<strong>en</strong>taires sur le budget de la culture.»<br />
Cette abs<strong>en</strong>ce d’économies supplém<strong>en</strong>taires annonce clairem<strong>en</strong>t,<br />
conformém<strong>en</strong>t à son programme, la non-augm<strong>en</strong>tation<br />
du budget du ministère de la Culture (actuellem<strong>en</strong>t 0,6% des<br />
dép<strong>en</strong>ses d’État). Mais signifie-t-elle un mainti<strong>en</strong> général du<br />
budget <strong>en</strong> 2012, ou un alignem<strong>en</strong>t sur la baisse générale des<br />
dép<strong>en</strong>ses publiques hors ministères «préservés» (Éducation,<br />
Justice, Sécurité) ? Questionné, il fut plus clair : «Le ministère<br />
de la Culture sera soumis aux mêmes règles que les autres<br />
ministères. Aussi bi<strong>en</strong> sur l’emploi que sur la dép<strong>en</strong>se. Même<br />
si le spectacle vivant, <strong>en</strong> tant que priorité du ministère, sera<br />
considéré.» La nuance est de taille ! Pourtant baisser les 0,6%<br />
du ministère de la Culture ne rapportera pas grand-chose…<br />
On est fort loin déjà des 1% que certains gouvernem<strong>en</strong>ts<br />
socialistes ont osé appliquer, certes <strong>en</strong> des époques moins<br />
dures. Mais n’est-ce justem<strong>en</strong>t pas <strong>en</strong> ces temps difficiles<br />
que l’on a le plus besoin de culture ?<br />
Malgré cette baisse annoncée, c’est cette volonté de protéger<br />
la culture qui transparaissait du discours du 15 juillet <strong>en</strong><br />
Avignon. Déclaration d’int<strong>en</strong>tion qui ne coûte ri<strong>en</strong>, mais a du<br />
moins le mérite de la force symbolique. Pour François Hollande<br />
: «La culture fait partie de notre projet et même la<br />
culture donne une force à ce projet.» C’est <strong>en</strong> ce s<strong>en</strong>s que les<br />
ori<strong>en</strong>tations qu’il prône pour le ministère l’éloigneront<br />
s<strong>en</strong>siblem<strong>en</strong>t du précéd<strong>en</strong>t. En choisissant de réserver «une<br />
part pour la création et le spectacle vivant», <strong>en</strong> disant que la<br />
culture ce n’est pas «simplem<strong>en</strong>t le patrimoine», <strong>en</strong> insistant<br />
sur la nécessité de «l’éducation artistique», <strong>en</strong> parlant de<br />
«solidarité avec tous les milieux» pour que «les cultures<br />
vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t aussi des territoires ruraux et des banlieues», <strong>en</strong><br />
déf<strong>en</strong>dant l’ouverture aux autres pays pour faciliter la<br />
circulation des artistes, <strong>en</strong> voulant que ses ministres de<br />
l’économie et de la consommation «brandiss<strong>en</strong>t» dans les<br />
confér<strong>en</strong>ces internationales «l’exception culturelle» comme<br />
une garantie contre la marchandisation de l’art, François<br />
Hollande promet une réelle rupture.<br />
Visiblem<strong>en</strong>t, le Présid<strong>en</strong>t de la République ne sait pas <strong>en</strong>core<br />
tout à fait dans quel s<strong>en</strong>s sa politique culturelle ira, mais il<br />
veut faire rayonner la culture française à l’étranger (redonner<br />
des crédits par le biais des Affaires Étrangères ?), faire de<br />
l’Éducation artistique une priorité (par le ministère de<br />
l’Éducation ?), se battre sur le terrain légal et fiscal pour<br />
préserver les taux de TVA réduits (ministère des Finances ?).<br />
Et rep<strong>en</strong>ser les droits des auteurs et le statut de l’intermitt<strong>en</strong>ce,<br />
<strong>en</strong> le remettant <strong>en</strong> cause lorsque les industries<br />
culturelles et les chaînes nationales <strong>en</strong> abus<strong>en</strong>t, mais non<br />
lorsqu’il correspond à une réalité professionnelle pour les<br />
artistes et les technici<strong>en</strong>s à l’activité… intermitt<strong>en</strong>te.