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2<br />
<strong>EMPREINTE</strong><br />
<strong>URBAINE</strong><br />
une ville<br />
en chantier
<strong>134</strong> <strong>EMPREINTE</strong> <strong>URBAINE</strong> - Introduction<br />
Une collaboration<br />
scientifique<br />
exemplaire<br />
Pascale Dupont,<br />
responsable du Service<br />
Archéologique Municipal d’Orléans,<br />
conservateur du patrimoine.<br />
EPUIS 2002, LA VILLE D’ORLÉANS CONDUIT<br />
dans son centre historique une politique<br />
de requalification de l’espace public<br />
compre nant notamment un programme de<br />
ravalement obligatoire des façades sur rue.<br />
Depuis février 2008, cette politique ambitieuse est associée<br />
à une Zone de Protection du Patrimoine Architectural<br />
Urbain et Paysager (1) (Z.P.P.A.U.P.) qui encadre désormais<br />
les projets architecturaux et urbains.<br />
Les ravalements de façades pilotés par la Direction de<br />
l’Aménagement et de la Planification Urbaine sont guidés<br />
pour le patrimoine architectural dit remarquable par des<br />
études systématiques d’archéologie du bâti. Ces dernières,<br />
réalisées par le Service Archéologique Municipal ont pour<br />
objet l’acquisition et la mise en mémoire d’un appareil<br />
critique dans les domaines de l’architecture et de l’urbanisme<br />
(caractéristiques et évolutions des différentes typologies de<br />
bâti, recontextualisation et fonction de celles-ci).<br />
Les états successifs d’une façade révélés par ce travail servent<br />
de base et fixent la cohérence des ravalements et les choix<br />
de restauration définis en collaboration avec l’Architecte<br />
des Bâtiments de France (2) .<br />
Le travail d’archéologie directement ancré dans l’opérationnel<br />
et l’aménagement urbain (3) fait naturellement appel à des<br />
professionnels qualifiés (4) et à des études complémentaires<br />
notamment des datations du bâti par analyses dendrochronogiques<br />
(pans-de-bois, plafonds et charpentes) réalisées par un<br />
laboratoire privé, le Centre d’Étude en Dendrochronologie<br />
et de Recherche en Écologie et Paléoécologie (C.E.D.R.E).<br />
Ces compléments à l’analyse, financés par la ville d’Orléans<br />
et la Direction Régionale des Affaires Culturelles du Centre,<br />
permettent de connaître avec précision l’évolution des<br />
formes (techniques de construction et styles).<br />
0 1 m<br />
FIG. 1<br />
Relevé de la façade<br />
du 36 rue du Poirier,<br />
autour de 1520<br />
(S.A.M.O. : relevé C. Alix -<br />
restitution L. Mazuy et C. Alix)<br />
Pierres calcaires :<br />
Calcaire de Beauce<br />
Calcaire du Nivernais (Apremont-sur-Allier ?)<br />
Tuffeau<br />
Terre-cuites architecturales :<br />
Briques, chantignolles, carreau<br />
Bois<br />
(1) La Z.P.P.A.U.P. d’Orléans a été réalisée par le cabinet Blanc-Duché avec la collaboration scientifi -<br />
que du Service Archéologique Municipal d’Orléans, du Service Régional de l’Inventaire de la Région<br />
Centre et du Service Départemental de l’Architecture et du Patrimoine du Loiret. Ce document est<br />
accessible sur le site internet de la ville d’Orléans.<br />
(2) Le choix de restauration d’une façade est proposé par la ville en fonction d’une cohérence typologique<br />
et paysagère (inscription du bâti dans la rue ou le quartier).<br />
(3) Sur les 341 façades ravalées à ce jour, environ 60 ont bénéfi cié de cette démarche.<br />
(4) Les études d’archéologie du bâti sont conduites par le Service Archéologique Municipal d’Orléans.<br />
Elles sont menées sous la direction de L. Mazuy (Assistant Qualifi é de Conservation du Patrimoine)<br />
et réalisées par L. Mazuy et C. Alix (Archéologue du bâti). Pour l’année 2008, l’équipe a été<br />
renforcée par J. Noblet (Archéologue du bâti).
FIG. 2<br />
Façades du 33 et 35 rue de l’Empereur<br />
restaurées dans leur état du 18 e siècle<br />
pour les deux premières et dans leur<br />
état d’origine pour les deux suivantes<br />
(1569 [d] et 1483 [d]).<br />
(photo Laurent Mazuy)<br />
La découverte d’un patrimoine insoupçonné, l’architecture<br />
à pans-de-bois et sa reformulation colorée au siècle des<br />
Lumières par exemple, constitue un des faits marquants de<br />
cette démarche et de cette exigence de qualité.<br />
L’analyse et la compréhension architecturale et urbanistique<br />
d’Orléans s’inscrivent dans une transversalité et une<br />
complémentarité permanente entre l’Institut National<br />
de Recherches Archéologiques Préventives (I.N.R.A.P.),<br />
les services de la Ville, de la Région Centre et de l’État.<br />
Ces échanges prennent également la forme d’un groupe<br />
de travail scientifique dont le but est la conduite de<br />
synthèses thématiques dans le cadre de projets urbains<br />
ou de programmes d’expositions et de publications, pour<br />
les plus récents : Jeu de plans – Atlas Archéologique, 2005 ;<br />
Orléans, l’architecture à pans-de-bois, 2006 ; Orléans, les<br />
mutations urbaines au 18 e siècle, 2007 ou encore Orléans,<br />
3 aménagements urbains à la fin du 19 e siècle…<br />
L’ensemble de ces démarches, originales et singulières,<br />
reposant sur une intelligence de la curiosité, constituent<br />
un lieu de ressource et de compréhension du phénomène<br />
urbain (urbanismes, architectures et usages) à l’attention<br />
de la communauté scientifique, des professionnels de la<br />
ville mais également du grand public.<br />
Le présent chapitre, écrit à la croisée de plusieurs de<br />
ces recherches, dresse le panorama d’une ville et d’une<br />
architecture en plein renouvellement.<br />
Orléans, port ligérien depuis ses origines, point de passage<br />
et de contact entre l’est et l’ouest, le nord et le sud du<br />
royaume, s’affirme parmi les grandes cités de France où<br />
éclosent les idées et les formes de la Renaissance. !<br />
135
136 <strong>EMPREINTE</strong> <strong>URBAINE</strong> - Introduction<br />
Liste du bâti domestique médiéval et renaissant daté par dendrochronologie<br />
Dans ce tableau, comme dans le reste du texte, les dates suivies d’un [d] indiquent une datation par dendrochronologie.<br />
Localisation Section cadastrale Datation Support et type de bâti Élévation Fonction<br />
124, r. de Bourgogne et<br />
1, r. de Bourdon-Blanc<br />
(section BO, parcelle 149) 1501 [d] Pan-de-bois à croix de Saint-André sculpté R+2 Maison à boutique<br />
126, r. de Bourgogne (section BO, parcelle 146) 1504 [d] Pan-de-bois à croix de Saint-André sculpté R+2 Maison à boutique (lotissement<br />
avec le 124)<br />
211, r. de Bourgogne et 39<br />
bis et 41 rue de la Poterne<br />
(section BI, parcelle 307 et<br />
306)<br />
1544 [d] (charpente) – Pierre et brique R+2 Hôtels particuliers<br />
(deux hôtels ?)<br />
258, r. de Bourgogne (section BI, parcelle 187) Autour de 1600 [d] Pan-de-bois à grille sculpté R+2 Maison à boutique<br />
(avec entre sol ?]<br />
264, r. de Bourgogne (section BI, parcelle 343) Première moitié du<br />
15 e siècle, autour de<br />
1430 [d]<br />
Pan-de-bois à croix de Saint-André sculpté R+2 Maison à boutique<br />
(disparition du pignon ?<br />
entre 1493 et 1524 probablement<br />
en 1516 [d] date de<br />
modifi cation de la charpente<br />
du 266)<br />
266, r. de Bourgogne (section BI, parcelle 343) Entre 1473-1488 [d] Pan-de-bois à croix de Saint-André sculpté R+2<br />
280 et 282, r. de Bourgogne<br />
(Double parcelle, habitat<br />
sériel)<br />
(section BI, parcelle 194 et<br />
195)<br />
1505 [d]<br />
(Bois coupé de<br />
l’automne 1501 [d]<br />
à l’hiver 1505 [d])<br />
Pan-de-bois à croix de Saint-André sculpté R+2 Maisons à boutique<br />
3, r. du Bourdon-Blanc (section BO, parcelle 23) 1509 [d] Pan-de-bois à grille R+1 Maison à boutique<br />
32, r. de la Charpenterie (section BL, parcelle 219) 1501 [d] Pan-de-bois à croix de Saint-André sculpté R+2 Maison à boutique<br />
34, r. de la Charpenterie (section BL, parcelle 220) 1519 [d] (plafond) Pierre R+1 Maison à boutique<br />
40, r. de la Charpenterie (section BK, parcelle 108) autour de<br />
1570-1580 [d]<br />
45, r. de la Charpenterie<br />
(Double parcelle, habitat<br />
sériel)<br />
Pan-de-bois à grille R+1 Maison à boutique<br />
(rehaussée au 17 e siècle)<br />
(section BL, parcelle 308) 1580[d] Pan-de-bois à treillage sculpté R+2 Maisons à boutiques sous<br />
arcs en pierre<br />
54, r. de la Charpenterie (section BK, parcelle 118) Entre 1530-1540 [d] Pan-de-bois à croix de Saint-André sculpté R+1 Maison à boutique<br />
64 et 66, r. de la Charpenterie<br />
(Double parcelle, habitat<br />
sériel – Lotissement avec<br />
le 62)<br />
(section BK, parcelle 124) 1466 [d] Pan-de-bois à croix de Saint-André sculpté R+1 Maisons à boutique<br />
83, r. de la Charpenterie (section BK, parcelle 177) 1472 [d] Pan-de-bois à croix de Saint-André sculpté R+2 Maison sans boutique<br />
(Rez-de-chaussée semienterré)<br />
85, r. de la Charpenterie (section BK, parcelle 178) 1474 [d] Pan-de-bois à grille (arrière-cour) R+1 Maison<br />
4, p. du Châtelet (section BK, parcelle 219) Autour de 1510 [d]<br />
(plafond)<br />
Pierre R+2 Maison à boutique<br />
14, p. du Châtelet (section BK, parcelle 157) 1497 [d] Pan-de-bois à croix de Saint-André sculpté<br />
(sur arrière-cour)<br />
R+2 Maison<br />
26, p. du Châtelet (section BK, parcelle 151) 1598 [d] Pan-de-bois à grille R+2 Maison à boutique
Localisation Section cadastrale Datation Support et type de bâti Élévation Fonction<br />
10, r. de la Cholerie,<br />
(double parcelle : deux<br />
façades différentes)<br />
10, r. du Cloître Saint-<br />
Aignan<br />
33, r. de l’Empereur,<br />
façade sud<br />
33, r. de l’Empereur,<br />
façade nord<br />
35, r. de l’Empereur,<br />
façade sud<br />
35, r. de l’Empereur,<br />
façade nord<br />
37, r de l’Empereur, rez-dechaussée<br />
(boutique)<br />
26, r. Notre-Dame-de-<br />
Recouvrance<br />
(section BK, parcelle 32) 1519 [d] Pan-de-bois à croix de Saint-André sculpté R+2 Maisons à boutique<br />
(section BM, parcelle 65) 1480 [d] (charpente)<br />
Brique et pierre R+1 Maison du roi Louis XI<br />
(section BK, parcelle 343) 1493 [d] Pan-de-bois à croix de Saint-André R+2 Maison à boutique<br />
(section BK, parcelle 343) 1490 [d] Pan-de-bois à croix de Saint-André sculpté R+2 Maison à boutique<br />
(section BK, parcelle 63) 1569 [d] Pan-de-bois à croix de Saint-André R+1 Maison sans boutique<br />
(section BK, parcelle 63) 1483 [d] Pan-de-bois à croix de Saint-André sculpté R+2 Maison à boutique<br />
(section BK, parcelle 65) Autour de 1520 [d] Pan-de-bois sculpté, reprise en sousœuvre<br />
(section BC, parcelle 155) Galerie, 1533 [d] ; bâtiment en pan-de-bois à grille nord-ouest,<br />
1535 [d] ; bâtiment ouest, 1537 [d] ; tour ouest, 1538 [d] ; tour<br />
est, 1539 [d] et bâtiment est, entre 1536 [d] et 1555 [d]<br />
7, r. de la Pierre-Percée (section BK, parcelle 259) Entre 1540<br />
et 1545 [d]<br />
9, r. de la Pierre-Percée (section BK, parcelle 243) 1492 [d] Pan-de-bois à croix de Saint-André<br />
et sculpté<br />
Hôtel particulier<br />
Pierre R+2 Maison (entrepôt en rez-dechaussée)<br />
R+2 Maison à boutique<br />
3, r. du Poirier (section BK, parcelle 102) 1267 [d] (charpente) Pierre R+1 Hôtel particulier ?<br />
32, r. du Poirier (section BK, parcelle 55) 1523 [d] Pan-de-bois à croix de Saint-André sculpté R+1 Maison à boutique ?<br />
8, r. de la Poterne<br />
(lotissement avec le 10)<br />
10, r. de la Poterne<br />
(Double parcelle, habitat<br />
sériel – lotissement avec<br />
le 8)<br />
(section BL, parcelle 300) 1487 [d] Pan-de-bois à croix de Saint-André R+1 Maison à boutique<br />
(section BL parcelle 300) 1487 [d] Pan-de-bois à croix de Saint-André R+1 Maisons à boutique<br />
16, r. de la Poterne (section BL, parcelle 196) 1566 [d] Pan-de-bois à treillage sculpté R+2 Maisons à boutique sous arc<br />
en pierre<br />
4, r. des Trois-Maillets (section BK, parcelle 268) Entre 1457-1495<br />
(plafond) et 1527 [d]<br />
(escalier et cloison)<br />
12, r. des Trois-Maries (section BI, parcelle 272) 1290 [d] (charpente,<br />
bâtiment sur rue)<br />
7, r. Saint-Éloi (section BI, parcelle 193) 1265 [d] (plafond),<br />
surélévée en 1468d<br />
(charpente)<br />
Pierre R+2 Maison<br />
Pierre R+1 Hôtel particulier<br />
Pierre R+2 Maison (?) sans boutique<br />
11, r. Vaudour (section BK, parcelle 204) 1507 [d] Pan-de-bois à croix de Saint-André sculpté R+1 Maison sans boutique<br />
137
LES NOUVEAUX<br />
ESPACES URBAINS<br />
La dernière enceinte d’Orléans<br />
et le développement de l’habitat<br />
dans les nouveaux quartiers<br />
(fin 15 e siècle - première moitié 16 e siècle)<br />
A SECONDE MOITIÉ DU 15 E SIÈCLE ET LE DÉBUT DU SIÈCLE SUIVANT SONT MARQUÉS À ORLÉANS PAR<br />
la mise en œuvre de grands travaux d’extension de l’espace urbain. Ainsi, l’édification de<br />
la dernière enceinte d’Orléans, débutée à la fin des années 1480, va permettre de doubler<br />
la surface de la ville enclose. L’apparition de nouveaux quartiers, présentant parfois des<br />
formes neuves d’urbanisme, entraîne le développement de différentes catégories d’habitat,<br />
de la maison sérielle en pan-de-bois au vaste hôtel particulier, faisant appel à des solutions<br />
architecturales multiples.<br />
Au milieu du 15 e siècle, la ville d’Orléans est protégée par<br />
ses deux premières enceintes urbaines, dispositif défensif qui<br />
lui permit de faire face au siège de 1428-1429. La première<br />
enceinte avait été édifiée à l’époque gallo-romaine (4 e siècle)<br />
et en partie reconstruite durant la guerre de Cent Ans. Elle<br />
fut jouxtée à l’ouest par la deuxième enceinte, élevée au<br />
14 e siècle afin de défendre les quartiers correspondants à<br />
l’ancien bourg d’Avenum. La troisième enceinte d’Orléans,<br />
commencée après 1466 et achevée vers 1475-1480, est une<br />
extension orientale du système défensif destinée à enclore<br />
la zone d’habitat de l’ancien faubourg Bourgogne, ainsi<br />
que la collégiale Saint-Aignan et l’abbaye Saint-Euverte (1) .<br />
C’est également sous le règne de Louis XI que les habitants<br />
d’Orléans effectuèrent les premières démarches pour<br />
réclamer l’édification d’une quatrième enceinte (2) , au prétexte<br />
que la troisième enceinte ne se cantonnait qu’à l’est de la<br />
ville, protégeant avant tout Saint-Aignan et Saint-Euverte,<br />
toutes deux entourées de vastes espaces vides (jardins,<br />
vignes). Les faubourgs dynamiques et fortement urbanisés<br />
« vers la Beauce », c’est-à-dire au nord et à l’ouest de la ville,<br />
n’avaient pas suscité le même intérêt. Un premier projet,<br />
de vaste ampleur, prévoyant d’enclore également l’église<br />
paroissiale Saint-Laurent et le hameau de Chevicier situés<br />
(1) MICHAUD-FREJAVILLE 1987 a.<br />
2 Empreinte<br />
urbaine<br />
Clément Alix,<br />
doctorant au C.E.S.R.,<br />
Université de Tours ;<br />
chercheur au Service<br />
Archéologique<br />
Municipal d’Orléans<br />
(2) Pour le détail concernant les travaux de fortifi cation de la quatrième enceinte ainsi que pour l’opération<br />
urbanistique qui l’accompagne voir : ALIX, DURANDIERE 2004.<br />
139
140 <strong>EMPREINTE</strong> <strong>URBAINE</strong> - Les nouveaux espaces urbains<br />
FIG. 1<br />
Porte Madeleine<br />
Localisation des<br />
habitations construites<br />
entre la fin du 15 e et au<br />
milieu du 16 e siècle dans<br />
la dernière enceinte<br />
(Plan établi d’après le<br />
cadraste de 1823)<br />
(dessin Cl. Alix)<br />
Porte Saint-Jean<br />
Porte Saint-Laurent<br />
q<br />
s<br />
7<br />
r<br />
7<br />
j<br />
?<br />
?<br />
?<br />
Porte Saint-Paterne<br />
7<br />
h<br />
?<br />
m<br />
o<br />
g<br />
?<br />
n<br />
1<br />
p<br />
2<br />
a<br />
e<br />
c<br />
Notre-Dame-de-Recouvrance<br />
0 100 500 m<br />
Rues antérieures à l'opération d'urbanisme :<br />
rues mentionnées dans les procès-verbaux de 1488<br />
rues non mentionnées mais supposées antérieures<br />
Rues créées lors de l’opération d'urbanisme<br />
Grandes places :<br />
a : Marché de la Porte-Renard (place De Gaulle)<br />
b : Etape au vin<br />
c : Martroi au blé<br />
Edifices relegieux reconstruits ou construits dans<br />
les nouveaux quartier entre 1450-1550<br />
7<br />
d<br />
i<br />
8<br />
l<br />
5<br />
4<br />
k<br />
f<br />
3<br />
6<br />
b<br />
Cathédrale<br />
Porte Saint-Vincent<br />
Deuxième enceinte Première enceinte<br />
Troisiéme enceinte<br />
d : rue d’Angleterre<br />
e : rue Bannier<br />
f : rue de la Bretonnerie<br />
g : rue des Carmes<br />
h : rue des Charretiers<br />
i : rue du Colombier<br />
j : rue Croix-de-Bois<br />
k : rue d’Escures<br />
l : rue de Gourville<br />
m : rue des Grands-Champs<br />
n : rue N-D-de-Recouvrance<br />
o : rue d’Illiers<br />
p : rue de la Lionne<br />
q : rue Porte-Saint-Jean<br />
r : rue Stanislas-Julien<br />
s : rue des Turcies<br />
St-Aignan<br />
Vestiges d’habitat médiéval, subsitant ou attesté,<br />
antérieur à la fin du 15 e siècle (notamment caves)<br />
Habitations, subsistantes ou attestées,<br />
fin 15 e - première moitié 16 e siècle<br />
1 : maison 12 rue Notre-Dame-de-Recouvrance<br />
2 : hôtel de Guillaume Toutin<br />
3 : hôtel de François Brachet (Vieille-Intendance)<br />
4 : hôtel de Jehan Brachet le Jeune (Grand jardin)<br />
5 : maison de Janot le Bouteiller<br />
6 : hôtel de Jacques Groslot<br />
7 : maisons sérielles en pan-de-bois<br />
8 : maisons de Sevin et de la Porte-Renard<br />
St-Euverte
au nord de Saint-Euverte fut abandonné. Le tracé définitif<br />
de l’enceinte se cantonna donc à la ligne de boulevards<br />
actuels de la ville, procurant une nouvelle surface enclose<br />
de 69,5 ha. Entamés dès le printemps 1486, les travaux de<br />
construction de la dernière enceinte débutent par le front<br />
sud bordant la Loire et par l’édification de la porte Saint-<br />
Paterne située sur la rue Bannier, une des principales voies<br />
d’accès à la ville. L’achèvement des travaux fut officiellement<br />
marqué par la venue de monseigneur de Sansac, chevalier<br />
de l’ordre, envoyé par le roi du 4 au 7 février 1556, afin de<br />
visiter l’enceinte et d’effectuer la réception des ouvrages.<br />
Cette nouvelle enceinte était munie de murs de courtine<br />
régulièrement percés d’embrasures de tir, précédés par un<br />
fossé et une lice, et flanqués d’au moins dix-sept tours<br />
défendues par des canonnières. L’accès était permis par<br />
cinq portes aux plans et aux élévations diverses qui étaient<br />
précédées par des ouvrages avancés, des boulevards, dont<br />
certains seront remplacés dans la deuxième moitié du<br />
16 e siècle par des bastions appelés ravelins (devant la porte<br />
Saint-Laurent mais également devant la porte Bourgogne<br />
de la troisième enceinte ou le fort des Tourelles).<br />
Certains ouvrages présentent des dispositifs caractéristiques<br />
des fortifications françaises d’inspiration royale de cette<br />
époque : tours munies de chambres en entresol formant<br />
casemates réservées uniquement aux tirs et isolées par d’épais<br />
vantaux (porte Saint-Paterne), grosses tours d’artillerie<br />
placées aux angles de l’enceinte (tour de Saint-Laurent au<br />
sud-ouest avec un diamètre de 19,5 m), ouvrages munis<br />
d’un bossage au caractère symbolique évident (porte Saint-<br />
Jean ; tour de Bourbon). Il est possible que le flanquement<br />
du fond des fossés ait été assuré par des caponnières (ou<br />
moineaux), ouvrages de défense bas, comme ceux qui ont<br />
été édifiés à la même époque sur d’autres fortifications de la<br />
ville : celle de la Brebis (ajoutée à la tour de l’angle sud-est<br />
de la troisième enceinte entre 1510-1540), ou celle de la<br />
tête de l’ancien pont des Tourelles au sud de la Loire (entre<br />
1560-1570), tandis que des remparts de terre et des terrasses<br />
d’artillerie commencent à venir doubler certains tronçons<br />
du mur de courtine, comme celle de la motte Sanguin<br />
édifiée contre la troisième enceinte à partir de 1539 (3) .<br />
Résultant originellement de la volonté des habitants<br />
des faubourgs de se protéger, la création de la dernière<br />
enceinte d’Orléans va s’accompagner d’une opération<br />
de réaménagement urbanistique de grande envergure<br />
permettant la mise en place d’un nouveau réseau viaire et<br />
de nouveaux équipements (égouts). Ce plan d’urbanisme,<br />
décidé à partir de 1486, est le fruit d’une décision collégiale<br />
placée sous la direction d’agents ducaux et royaux, Jehan<br />
de Loan remplacé en 1488 par Jean de Gourville et Yvon<br />
d’Illiers (4) . Si certains secteurs anciens déjà fortement<br />
urbanisés sont conservés sans modifications notoires de la<br />
voirie et du parcellaire (quartier sud-ouest entre la Loire<br />
et l’actuelle rue des Carmes, à vocation artisanale et lié<br />
aux activités portuaires ; quartier nord-est correspondant<br />
à l’extension du quartier de la cathédrale au nord de<br />
l’enceinte du Bas-Empire), ailleurs, l’opération entraîne la<br />
mise en place d’une série d’îlots réguliers quadrangulaires<br />
entrecoupés par des rues se croisant à angle droit et<br />
s’appuyant sur de grands axes anciens (rue Bannier, rue de<br />
la Bretonnerie, rue des Carmes, rue de la Porte-Saint-Jean,<br />
rue de la Porte-Madeleine, rue du Colombier). Le procèsverbal<br />
de 1488 prévoyait une certaine hiérarchisation de la<br />
circulation liée à l’utilisation des rues : la majorité d’entre<br />
elles devaient posséder une largeur standard de 2,5 toises<br />
(environ 4,87 m), exceptées quelques voies privilégiées<br />
correspondant soit à deux axes nord-sud (formés par les<br />
rues actuelles des Grands-Champs, du Grenier-à-Sel et du<br />
Bœuf-Saint-Paterne) mesurant 3 toises (environ 5,84 m),<br />
soit aux deux rues que les commissaires ont baptisées de<br />
leurs propres noms (la rue de Gourville de 3 toises, la rue<br />
d’Illiers de 4 toises). Cela s’accompagna du réaménagement<br />
des trois grandes places situées aux débouchés des anciennes<br />
portes de la ville : la place du Marché de la Porte-Renard, la<br />
« grande place de l’Estappe au vin » et la place du « Martroy<br />
au blé » qui symbolise le centre de la nouvelle ville (FIG. 1).<br />
Afin de faire d’Orléans un centre attractif capable de rivaliser<br />
avec d’autres grandes villes du royaume, ce projet avait<br />
pour but d’accroître l’activité économique de la ville grâce<br />
à l’installation d’habitants dans ces quartiers nouvellement<br />
enclos, comme cela apparaît dans le mémoire établi par<br />
Jehan de Loan en 1486 : « au plaisir de Dieu quant ladite<br />
cloture sera faite, plusieurs y ediffieront et feront des<br />
maison pour eulx loger » (5) . Au travers de lettres patentes<br />
datées du 26 mai 1488, le roi dispensa des obligations<br />
ordinaires les membres des corporations de tous métiers<br />
(sauf de boucherie) qui demeuraient dans les nouveaux<br />
quartiers (6) .<br />
(3) JESSET, CHAMBON, YVERNAULT 2005 : p. 42-43.<br />
(4) Pour cette opération d’urbanisme voir : « La dernière enceinte d’Orléans et ses nouveaux quartiers<br />
: une opération d’urbanisme de grande ampleur », dans ALIX, DURANDIERE 2004 : p. 7-28.<br />
(5) Orléans, Bibliothèque municipale, ms. 595, f° 162.<br />
(6) Orléans, Archives municipales, AA 9, f° 6. En 1470, de semblables privilèges et franchises furent<br />
déjà accordés aux gens de métier par Louis XI, afi n qu’ils puissent s’installer dans les nouveaux<br />
quartiers protégés par la troisième enceinte (MICHAUD-FREJAVILLE 1983 : p. 429).<br />
141
142 <strong>EMPREINTE</strong> <strong>URBAINE</strong> - Les nouveaux espaces urbains<br />
Le présent article s’attache donc à mieux cerner le<br />
développement de l’habitat dans ces nouveaux quartiers<br />
et à caractériser la nature de ce dernier. Pour ce faire,<br />
l’étude des vestiges architecturaux est croisée avec les autres<br />
sources, textuelles et iconographiques (7) . Un inventaire<br />
systématique des façades sur rue, effectué en 2003 (FIG. 1),<br />
fut complété, lorsque cela était possible, de visites des cours<br />
et des intérieurs (8) . L’échantillon de maisons présenté, sans<br />
prétendre à l’exhaustivité, permet néanmoins de souligner<br />
des logiques de développement propres à certains quartiers<br />
et constitue le préambule à des analyses de bâti plus fines.<br />
Les vestiges de l’habitat médiéval<br />
antérieur à la construction<br />
de la dernière enceinte<br />
Dans le secteur nord-est, correspondant notamment à<br />
l’extension du quartier de la cathédrale, les traces d’un<br />
habitat médiéval situé aux abords immédiats du mur<br />
septentrional de la première enceinte sont connues grâce<br />
aux fouilles archéologiques menées depuis la fin des années<br />
1970 : un groupe d’au moins trois maisons de la fin du<br />
13 e ou du 14 e siècle au nord-ouest de la cathédrale (site<br />
de l’église Saint-Michel) ; les caves de trois maisons de la<br />
fin du 13 e ou du début 14 e siècle situées contre le mur<br />
d’enceinte au nord du transept de la cathédrale (site du<br />
mail Pothier) ; plus à l’ouest (site de l’hôtel Pommeret),<br />
une maison sur cave datée du 12 e siècle et jouxtant une<br />
cour dont l’emplacement fut occupé par une autre<br />
habitation bâtie au 13 e siècle (9) . Dans tous ces exemples,<br />
les habitations ont été détruites durant la guerre de Cent<br />
Ans pour dégager les abords de la ville, et en particulier au<br />
début du 15 e siècle lorsque le fossé de la première enceinte<br />
fut recreusé en prévision du siège.<br />
En outre, l’observation des vestiges bâtis révèle l’existence de<br />
quelques maisons antérieures à la fin du 15 e siècle localisées<br />
dans la zone d’habitat ancien située à flanc de coteau entre<br />
la Loire et l’actuelle rue des Carmes, dont le parcellaire<br />
ne fut pas touché par la nouvelle opération d’urbanisme.<br />
Il s’agit surtout de caves, situées en deuxième niveau de<br />
sous-sol, dont les plans et les techniques de couvrement<br />
correspondent à d’anciennes carrières réaménagées dès le<br />
13e siècle, telles qu’elles ont pu être observées à l’intérieur<br />
des trois premières enceintes de la ville (10) . À l’angle oriental<br />
de la rue des Carmes et de l’Ange, l’une de ces caves est<br />
surmontée d’une salle basse excavée, probablement à<br />
fonction de cellier : son couvrement, à voûte en berceau<br />
surbaissé, soutenu par un arc doubleau sur piliers engagés<br />
munis d’un tailloir s’apparente à plusieurs édifices de la ville<br />
édifiés entre le 13 e et le début du 15 e siècle. A l’angle de la<br />
rue des Charretiers (n° 40) et d’Angleterre, une autre cave<br />
en deuxième niveau de sous-sol présente un plan atypique<br />
avec deux grands vaisseaux couverts de berceaux surbaissés<br />
et séparés par deux piliers rectangulaires chanfreinés dont<br />
la construction semble antérieure au 16 e siècle. Dans l’état<br />
actuel de nos connaissance, la seule habitation antérieure<br />
au 16 e siècle conservée de manière homogène correspond<br />
à l’hôtel 42 rue des Charretiers, accessible depuis la rue en<br />
traversant un porche débouchant sur la cour grâce à une<br />
arcade de tracé légèrement brisé (11) .<br />
Dans la deuxième moitié du 15 e siècle, le phénomène de<br />
renouvellement du bâti suivant la guerre de Cent Ans<br />
gagne donc ces quartiers encore situés dans les faubourgs,<br />
comme en témoigne également un contrat datant de<br />
1478 pour la construction d’une maison en pan-de-bois<br />
sur la « Grant rue Sainct Lorens » (actuelle rue Croix-de-<br />
Bois), tandis que plusieurs maisons ou masures en ruines,<br />
menacées par le tracé de la nouvelle enceinte et les rues du<br />
projet d’urbanisme, sont évoquées dans des procès-verbaux<br />
de 1488 (12) .<br />
Nouveaux terrains à bâtir et<br />
fortifications : les conséquences<br />
Une des conséquences de l’édification de la dernière<br />
enceinte est le dégagement de terrains constructibles situés<br />
à l’emplacement des anciennes fortifications démantelées<br />
(première et deuxième enceintes) que le duc Louis II<br />
d’Orléans va céder, sous la forme de baux à cens, en guise<br />
de récompense à ses officiers. Ainsi, Denis Lemercier, son<br />
(7) Ce travail s’inscrit dans le cadre d’une thèse en cours sur l’habitat à Orléans à la fi n du Moyen Âge<br />
et au début de la Renaissance (13 e siècle-1550).<br />
(8) Pour un inventaire des façades sur rue, voir aussi infra, Le Bâti orléanais avant 1540, par<br />
L. MAZUY.<br />
(9) PETIT 1983 : p. 42-43, 45-49, 67-71 ; PETIT 1988 : t. 1, p. 63, 73.<br />
(10) ALIX 2009 : p. 126-129. Par exemple : 25 bis rue de l’Ange/59 rue des Carmes ; 57 rue des Carmes/<br />
20 rue de l’Ange ; 75 rue des Carmes ; 6 rue d’Angleterre.<br />
(11) La tourelle d’escalier en vis, polygonale, s’appuie contre la façade sur cour qui est munie d’une<br />
fenêtre décorée par une accolade. Le bâtiment, établi sur un cellier légèrement excavé et couvert<br />
d’un plafond, possède deux étages et un comble éclairé par des lucarnes en bois.<br />
(12) Pour le contrat de 1478 : MAZUY, ALIX, AUBANTON 2006 : p. 103. Pour les maisons situées sur le<br />
tracé de l’enceinte et mentionnées en 1488 : ALIX, DURANDIERE 2004 : p. 16-18.
chancelier et gouverneur général des finances, reçoit les<br />
« places, jardins, murs, tours, douves et fossés provenant<br />
de l’ancienne enceinte fortifiée de la ville d’Orléans, depuis<br />
y compris la première butte des Arbalétriers, du côté de la<br />
porte Bannier, jusqu’à dix toises au-delà du portail de la<br />
porte Renard, moyennant la somme de deux sous parisis<br />
de cens au reste pour chaque toise répondant sur la voie<br />
publique, 60 sous tournois pour le portail de la porte<br />
Renard et 30 sous tournois pour la tour Regnault », terrains<br />
qui furent tous lotis et construits de maisons (13) . Une fois<br />
devenu roi, Louis XII continuera à offrir ces terrains à<br />
ses officiers : ainsi en 1502, les terrains au nord-est de la<br />
porte Bannier sont cédés à Jaques Hurault, conseiller du<br />
roi et général de ses finances, ainsi qu’à François Brachet,<br />
commis au paiement des archers de la garde française du<br />
corps du roi (14) .<br />
Prenons l’exemple de la tour sud de la porte Renard et de<br />
son fossé (deuxième enceinte), qui en janvier 1504, seront<br />
baillés à cens par Louis XII à Jehan Boucher, receveur de<br />
son domaine, dont l’hôtel (dit maison de Jeanne d’Arc)<br />
jouxtait la fortification (15) . L’espace alloué à la famille<br />
Boucher sera toisé en 1516 et les matériaux issus de la<br />
récente destruction de la tour et du mur lui seront offerts<br />
l’année suivante. En 1528, tandis que l’hôtel Boucher<br />
est en partie reconstruit, le terrain de l’ancienne tour est<br />
vendu à Philippe Mainteterne dit Lendormy, marchanddrapier<br />
et à sa belle-mère nommée Marie Sevin, veuve<br />
de Simon d’Yvonvilliers, qui acquièrent également une<br />
parcelle voisine où était bâti un corps de bâtiment en<br />
pan-de-bois dépendant de l’hôtel Boucher. Dix ans plus<br />
tard, ces derniers se partagent l’ensemble des terrains qui<br />
sera loti de deux maisons dont les façades en pierre de<br />
taille, à l’ordonnance et aux décors sculptés de la seconde<br />
Renaissance, sont encore visibles au 5 place De Gaulle (16)<br />
(P. X FIG. 1). La maison dite « Sevin » est construite dès 1538<br />
par la veuve d’Yvonvilliers, jouxtée au sud par la maison<br />
dite de « la Porte-Renard », bâtie vers 1543 par Lendormy.<br />
Le développement de l’habitat dans ce secteur s’illustre<br />
également par la mention de la construction par le<br />
maître d’œuvre Pierre Biart, vers 1518, d’une maison<br />
à l’emplacement du boulevard de cette même porte<br />
Renard (17) .<br />
De fait, devant l’accroissement de la population et la<br />
demande importante de terrains à bâtir, ces emplacements<br />
nouvellement libérés furent l’occasion de convoitises et de<br />
graves désaccords. Ainsi, au printemps 1497, des officiers<br />
ducaux élevèrent des palissades aux emplacements des<br />
anciennes portes et anciens boulevards Bannier, Renard,<br />
Saint-Père-Ensentelée, que les échevins firent abattre afin<br />
de s’en s’emparer (18) .<br />
De plus, l’abandon des anciens systèmes défensifs entraîna<br />
le développement de l’habitat à l’intérieur même des tours<br />
désaffectées de l’ancienne enceinte. Plusieurs textes nous<br />
permettent de connaître les travaux d’aménagement de<br />
celles-ci en maisons : les tours de la porte Bourgogne, une<br />
des tours de la porte Dunoise, une tour de la courtine<br />
ouest (19) .<br />
En outre, le 1 er et le 15 juin 1551 les échevins passèrent<br />
plusieurs contrats avec des particuliers afin de leur bailler<br />
à loyer certaines parties de l’enceinte encore en service,<br />
notamment celles situées aux bords de la Loire. Il s’agit<br />
le plus souvent de tours, d’escaliers, de loges établies audevant<br />
des portes et poternes pour abriter habituellement<br />
les gardiens, qui sont baillés par adjudication avec une durée<br />
de six ans. Même les ouvrages de la quatrième enceinte, à la<br />
construction à peine achevée et fraîchement mis en service,<br />
peuvent également être loués, comme la tour du « Guichet<br />
Roze (...) qui n’est aucunement couverte et qui est en la<br />
clousture de ladicte ville du cousté de la riviere Loire, avec<br />
une petite cour close d’aiz sur le devant de l’entrée de ladite<br />
tour » est adjugée pour 50 sols tournois à Loys Thibault.<br />
De même, la tour Balthazar, qui est dite « couverte de<br />
latte », est adjugée à Liger Legendre pour 13 livres et<br />
10 sols tournois. Ce sont quasiment toutes les tours du<br />
front sud et ouest de la quatrième enceinte qui font l’objet<br />
du même traitement : celles d’Aridoyne, Saint Joseph,<br />
Saint Loys. La loge située « entre la porte de l’Abreuvouer,<br />
(13) Orléans, Archives départementales du Loiret, A 560 (détruit), dans MAUPRE, DOINEL 1878 : p. 125.<br />
Des démarches semblables furent menées dans la seconde moitié du 15 e siècle après la construction<br />
de la troisième enceinte. Le terrain comprenant la porte Bourgogne de la première enceinte<br />
ainsi que les terrains situés de part et d’autre y compris son boulevard furent cédés le 15 novembre<br />
1473 par la duchesse d’Orléans Marie de Clèves, sous la forme d’un bail perpétuel avec un<br />
cens annuel, à Michel Gaillart, son conseiller, trésorier, receveur général et argentier. Celui-ci doit<br />
employer une somme de 1500 livres pour transformer les deux tours de la porte en habitations,<br />
démolir le boulevard et combler les fossés pour y « construire, bastir et ediffi er de nouvel une ou<br />
plusieurs maisons » (SOYER 1907).<br />
(14) ALIX 2002 : t. 2, annexe 26. Sur François Brachet, voir ci-dessous ce qui se rapporte à l’hôtel dit de<br />
la Vieille-Intendance.<br />
(15) Voir l’étude précise de JARRY E. 1909 : p. 23-36.<br />
(16) Il ne subsiste que les façades de ces deux maisons qui ont souffert d’un alignement au début du<br />
20 e siècle et du bombardement de 1940. Voir infra, Les demeures de la seconde Renaissance des élites<br />
orléanaises ou le succès de l’architecture « à l’antique » (vers 1535-1560) par C. ALIX et J. NOBLET.<br />
(17) Quittance du 4 février 1528, donnée par Pierre Biart à la veuve Raboeuf du solde dû pour les travaux<br />
« es maison qu’elle faict ediffi er de neuf au boullevart de la porte Regnard » (JARRY E. 1909 :<br />
p. 25, n. 5).<br />
(18) MICHAUD-FREJAVILLE 1983 : p. 432 ; MICHAUD-FREJAVILLE 1987 b : p. 12-13.<br />
(19) ALIX 2002 : t. 2, annexes 8, 10, 25.<br />
143
144 <strong>EMPREINTE</strong> <strong>URBAINE</strong> - Les nouveaux espaces urbains<br />
qui est pres de l’eglise Notre-Dame-de-Recouvrance et la<br />
tour Roze » est adjugée pour 12 livres tournois à Jehan<br />
Bigot. De la même manière la plupart des tours du front<br />
nord sont vouées au bail, à savoir d’est en ouest : la tour<br />
de Penycou « de l’ancienne encloture (troisième enceinte) au<br />
coin des murailles vieilles et des nouvelles », le rempart du<br />
portail Saint Vincent et « une allée dans le mur de la tour<br />
du portail », les tours Saint-Avy, Saint-Esprit, Saint-Pierre<br />
« a l’opposite des jardins du couvent des Jacobins », Saint-<br />
Michel « a l’endroit de la Grande Maison Brachet » (20) ,<br />
Bellemasure, « une loge et maison hors la porte Bannier<br />
sur l’arche devant le pont levys et la barriere vollant d’icelle<br />
porte », et la tour Gouvernante « entre la tour des buttes des<br />
harquebusiers et le portail de la porte Bannier ». Trois baux<br />
concernent la porte Saint-Jean car elle a été fractionnée en<br />
plusieurs unités : le haut de la tour sud (« du cousté de la<br />
ryviere ») pour Giles Tharault (4 livres 5 sols tournois), le<br />
bas de la tour sud pour les nommés Rabeuf et Doulcet (9<br />
livres 10 sols tournois), et le bas de la tour nord (« du cousté<br />
de la porte Bannier ») pour Jacques Perdoulx (13 livres<br />
tournois). La porte de la Croix-Boisée (porte Madeleine)<br />
est également divisée en trois unités, mais le découpage<br />
est différent : un lot est formé par l’ensemble de la tour<br />
sud (ainsi que le comble au-dessus du passage d’entrée), le<br />
deuxième comprend le haut de la tour nord, et enfin le bas<br />
de cette même tour forme le dernier lot.<br />
Ainsi, dans leur perpétuel souci de trouver une source<br />
de financement destinée à l’entretien des fortifications,<br />
les propriétaires de l’enceinte s’assuraient ici un revenu<br />
fixe, au travers de la location de certains ouvrages à des<br />
particuliers, probablement avec interdiction d’y effectuer<br />
des transformations du bâti et lorsque que tout danger<br />
militaire était écarté (21) .<br />
La rue Notre-Dame-de-<br />
Recouvrance et le quartier<br />
sud-ouest<br />
L’îlot de l’église Notre-Dame-de-Recouvrance<br />
et de l’hôtel Toutin<br />
L’étude du quartier Notre-Dame-de-Recouvrance, situé au<br />
sud-ouest de la ville, fournit un exemple de développement<br />
rapide de l’habitat, illustrant le caractère attractif de ce<br />
secteur, constitué en outre de demeures de qualité. La rue<br />
Notre-Dame-de-Recouvrance suit la déclivité nord-sud du<br />
FIG. 2<br />
coteau, et aboutissait aux quais par l’intermédiaire d’une<br />
poterne, desservant le port de Recouvrance, important lieu<br />
d’échanges économiques. Le tracé de la rue suit celui de la<br />
deuxième enceinte située à quelques mètres à l’est. Suite à la<br />
construction de la dernière enceinte, plusieurs édifices vont<br />
être bâtis sur les terrains occupés par le mur et le fossé de<br />
l’ancienne fortification désaffectée (îlot délimité par les rues<br />
Notre-Dame-de-Recouvrance à l’ouest, de la Chèvre-qui-<br />
Danse au nord, de l’Écu-d’Or à l’est et des Turcies au sud).<br />
Hôtel Toutin<br />
(26 rue Notre-Dame-de-<br />
Recouvrance)<br />
Corps de bâtiment rue Notre-<br />
Dame-de-Recouvrance<br />
(photo Laurent Mazuy)<br />
(20) Hôtel dit de la Vieille-Intendance, 24-28 rue de la Bretonnerie. Voir ci-dessous<br />
(21) De tels cas de location à des particuliers en temps de paix sont connus pour les enceintes urbaines<br />
de Rouen, de Boulogne-sur-Mer, d’Annecy ou encore de Dijon (RIGAUDIERE 1993 : p. 425).
FIG. 3<br />
Hôtel Toutin<br />
(26 rue Notre-Dame-de-Recouvrance)<br />
Galerie sur cour et tourelles d’escalier<br />
(dessin de Léon Vaudoyer gravé par Alexandre Soudain, 19 e siècle,<br />
Orléans, Musée historique et archéologique de l’Orléanais)<br />
Le lotissement de ce secteur est d’abord lié à l’édification de<br />
l’église paroissiale Notre-Dame-de-Recouvrance, ancienne<br />
chapelle reconstruite à partir de 1514 et achevée peu après<br />
1519 (22) . La destruction du mur de l’ancienne enceinte est<br />
alors soumise à une réglementation stricte (23) , conduisant<br />
les échevins à faire un procès aux « gagiers » de l’église en<br />
1514, ce qui n’empêcha pas en 1516 le percement d’une<br />
brèche permettant d’apporter les matériaux de construction<br />
près du chantier (24) . L’origine des terrains utilisés pour la<br />
construction de l’église est bien établie. Le duc Louis XII<br />
concéda les terrains de l’enceinte désaffectée à ses officiers de<br />
la même manière que dans les exemples cités plus haut. Dès<br />
mars 1486, Marc Villebresme, conseiller et maître d’hôtel<br />
du duc, reçu 10 toises de murailles et de fossés « montant<br />
de la Loire vers la tour André », troisième en partant du<br />
sud. Le 13 novembre 1494, ce dernier céda ses terrains à<br />
Macé Droyneau, maçon et tailleur de pierre d’Orléans, et<br />
à Jean Mynier, maître des œuvres de maçonnerie du duché<br />
d’Orléans, pour la somme de 325 livres tournois. Après<br />
avoir racheté la part de terrain appartenant à Jean Mynier le<br />
15 avril 1513, Macé Droyneau céda l’ensemble des terrains<br />
à l’église (25) . Ainsi, devant l’accroissement rapide de la<br />
population, il est possible que certains de ces terrains issus<br />
de l’ancienne fortification aient fait l’objet de spéculations<br />
foncières. Plusieurs auteurs ont émis l’hypothèse, qui n’est<br />
fondée sur aucune source précise, que les maçons Jean<br />
Mynier et Macé Droyneau auraient également pu conduire<br />
le chantier de construction de l’église (26) . Notons qu’il<br />
semble que Jehan Mynier se soit réservé un terrain dans<br />
la partie sud de l’îlot, puisqu’une maison appartenant à ses<br />
héritiers, et située près de la tour du Bassin, est citée dans<br />
un acte daté du 15 juin 1551.<br />
L’hôtel qui jouxte encore aujourd’hui le mur gouttereau<br />
sud de cette église (12 rue Notre-Dame-de-Recouvrance ;<br />
actuel presbytère), a probablement été bâti peu après<br />
l’achèvement de cette dernière vers 1520. Composé de<br />
deux corps de bâtiments séparés par une cour et reliés<br />
par une galerie en bois, il conserve des façades sur cour<br />
caractéristiques de la première Renaissance, dont les<br />
baies à la modénature encore gothique sont néanmoins<br />
accompagnées de moulures adoucies, tandis qu’une petite<br />
agrafe en volute, issue du vocabulaire décoratif italien,<br />
est sculptée sur la clef de leur couvrement. À l’intérieur,<br />
les pièces sont closes par des plafonds et des cloisons en<br />
pan-de-bois ornés de sculptures alliant là encore motifs<br />
d’inspiration médiévale (engoulants, frise de trilobes,<br />
accolades, pinacles, etc.) et ornements transalpins (frise<br />
d’oves, putti, médaillons, etc.) (27) .<br />
Un autre exemple révélateur est celui de l’hôtel Toutin<br />
(26 rue Notre-Dame-de-Recouvrance, [FIG. 2 ET 3]), édifice<br />
précoce de la seconde Renaissance orléanaise, daté d’entre<br />
(22) Voir infra, L’architecture religieuse de la Renaissance à Orléans, par J. NOBLET.<br />
(23) Ainsi, le 23 mai 1514, il fut payé 10 s. à Bertran Martin, sergent royal, « qui a la requeste du procureur<br />
du roi notre sire et du procureur des habitans, et es presence de Estienne Peigné, Julien<br />
Deloynes, eschevins, et Jehan Mynier, feist deffenses a ceux qui demolissoient les anciennes murailles<br />
de la ville tant a l’endroit de l’eglise Notre Dame de Recouvrance, que en une maison que<br />
Henry des Ouches faisoit faire au desdans de la ville joignant des grosses murailles de la porte<br />
de la Barre Flambert, et ainsi en une autre maison joignant de la porte neuve a aller de la vieille<br />
ville en la Grant rue St. Laurent que faisoit ediffi er Jehan Godefroy le jeune, Texier, de non plus<br />
desmolir lesdites murailles, a peine de cent livres, et leur a donné jour par devant monseigneur le<br />
bailly d’Orleans ou son lieutenant » (Orléans, Bibliothèque municipale, ms. 595, f° 225). Ce texte<br />
mentionne déjà la construction de plusieurs maisons dans l’îlot qui nous intéresse ici.<br />
(24) JARRY E. 1917 : p. 235.<br />
(25) Orléans, Archives départementales du Loiret, 2 J 2510 : 15 avril 1513 ; JARRY E. 1917 : p. 235. Dès<br />
1511 (le 19 janvier et 13 juillet), la maître maçon Macé Droyneau est l’un « des gaigiers proviseurs<br />
de l’eglise Notre Dame de Recouvrance » présent dans les démarches menées auprès des représentants<br />
de l’église Saint-Laurent-des-Orgerils afi n de plaider la création de la nouvelle église, et<br />
d’en faire une paroisse annexe de Saint-Laurent (Orléans, Archives départementales du Loiret,<br />
2 J 2510). Macé Droyneau est également attesté comme « maistre des euvres de l’enclousture<br />
de la ville et cité d’Orléans » (ALIX, DURANDIERE 2004 : p. 58). Quant au maître des œuvres de<br />
maçonnerie du duché d’Orléans, Jehan Mynier, nous avons vu qu’il était témoin lors de la visite du<br />
23 mai 1514 concernant la destruction du mur d’enceinte pour édifi er l’église (voir note 23).<br />
(26) JARRY E. 1917 : p. 235 ; CHENESSEAU 1930 : p. 113 ; PEROUSE DE MONTCLOS 1988 : p. 495.<br />
(27) Sur cette demeure, monographie dans : ALIX 2002 : t. 2, p. 81-96.<br />
145
146 <strong>EMPREINTE</strong> <strong>URBAINE</strong> - Les nouveaux espaces urbains<br />
1535-1540, et qui a fait l’objet de plusieurs campagnes<br />
successives de construction très rapprochées dans le<br />
temps (28) . La démarche d’acquisition du terrain, situé non<br />
loin de l’église et jouxtant lui aussi le mur de la deuxième<br />
enceinte, est uniquement connue par une citation peu<br />
fiable de C.-F. Vergnaud-Romagnési indiquant que cet<br />
emplacement correspondrait en partie aux « trente toises<br />
de terrain en longueur, contenant les douves, foussés et<br />
vieilles murailles situées et assises depuis une tour nommée<br />
la tour André », et données en 1492 par le duc à Huguet<br />
Bergereau, son écuyer de cuisine (29) . Pierre Bergereau (son<br />
fils ?) l’aurait cédé en 1495 à Jehan Mynier, « maistre des<br />
ouvraiges pour la maconnerie du roy a Orleans » (30) . Plus<br />
vraisemblable est l’affirmation selon laquelle ce terrain fut<br />
acheté le 16 décembre 1536 par Guillaume Toutin, valet de<br />
chambre du Dauphin, futur Henri II, greffier de l’élection<br />
d’Angers, et également commanditaire de l’hôtel (31) .<br />
Ainsi, l’essor économique de ce secteur urbain attira<br />
de hauts dignitaires et la grande bourgeoisie comme<br />
le montre également l’observation des élévations : de<br />
nombreuses parcelles conservent les vestiges de demeures<br />
édifiées dans la première moitié du 16 e siècle. À l’image<br />
des hôtels précédemment cités, plusieurs habitations<br />
de l’îlot comportent une cour avec une galerie ou une<br />
coursière desservant un corps de bâtiment postérieur<br />
situé à l’emplacement ou contre la deuxième enceinte (32) .<br />
D’autres grandes demeures occupaient également la partie<br />
occidentale de la rue Notre-Dame-de-Recouvrance, comme<br />
le prouvent les vestiges de croisées visibles sur leurs façades<br />
sur cour (par exemple : n° 35 et 37).<br />
L’habitat dans le reste du quartier sud-ouest<br />
Les rues voisines à l’ouest, situées entre la Loire et la rue<br />
des Carmes, correspondent à un quartier à forte vocation<br />
artisanale et économique liée à la Loire, comme l’indiquent<br />
les vestiges d’un habitat au caractère plus modeste, exception<br />
faite de quelques demeures, par exemple aux n° 62-64 rue<br />
des Turcies, n° 22 rue d’Angleterre, n° 4 rue Croix-de-Bois et<br />
surtout l’hôtel des n° 17-19 de la même rue. Seule la rue des<br />
Charretiers, important axe nord-sud reliant ces quartiers des<br />
bords de Loire vers un secteur plus résidentiel au nord, présente<br />
sur chacune de ses rives des habitations en pierre assez cossues<br />
datant cette époque (33) . Dans tous ces exemples, les édifices<br />
présentent des baies aux moulures encore caractéristiques du<br />
« gothique flamboyant » (34) et seules quelques maisons font<br />
figures d’exception en présentant des décors « à l’antique » (35) .<br />
C’est dans une maison de ce secteur, rue Croix-de-Bois (« la<br />
grand’rue Saint-Laurent »), qu’habitait vers 1548 l’architecte<br />
Jacques Androuet Du Cerceau, qui fut notamment chargé<br />
de la décoration de la ville lors de l’entrée du roi Henri II<br />
le 4 août 1551 (36) .<br />
Maisons à façades en pan-de-bois<br />
et habitat sériel<br />
Parmi la quinzaine de maisons à façade en pan-de-bois<br />
du 16 e siècle actuellement recensées dans l’ensemble<br />
des quartiers de la quatrième enceinte (dont six sont<br />
actuellement conservées en élévation), la plupart sont<br />
(28) DREYFUS 2005. Ainsi, l’étude de bâti montre que la construction s’est d’abord organisée autour<br />
du bâtiment donnant sur la rue Notre-Dame-de-Recouvrance et celui situé à l’angle de la rue de la<br />
Chèvre-qui-Danse, ce qu’accrédite une étude dendrochronologique indiquant que les bois de ces<br />
parties de l’édifi ce ont été abattus en 1535 et 1536 (PERRAULT, GIRARDCLOS 2007). Les datations<br />
dendrochronologiques confi rment que la construction des autres corps de bâtiments de l’hôtel<br />
s’est étalée jusqu’en 1540. Voir également infra, Les demeures de la seconde Renaissance des élites<br />
orléanaises ou le succès de l’architecture « à l’antique » (vers 1535-1560) par C. ALIX et J. NOBLET.<br />
(29) VERGNAUD-ROMAGNESI 1830 : p. 399. C.-F. Vergnaud-Romagnési ayant inventé de toutes pièces<br />
plusieurs légendes sur l’histoire de cet hôtel afi n de permettre sa sauvegarde au 19 e siècle<br />
(ROUGERIE 1998 : t. 1, p. 76), il convient donc de rester prudent face à cette affi rmation. Un terrain<br />
cédé par Louis Louis II à Huguet Bergereau, son écuyer de cuisine, est évoqué dans un bail à<br />
cens, mais s’agit-il du même emplacement ? (Orléans, Archives départementales du Loiret, A 560<br />
(détruit) dans : MAUPRE, DOINEL 1878 : p. 125).<br />
(30) VERGNAUD-ROMAGNESI 1830 : p. 399 ; repris dans : BUZONNIERE 1849 : t. 2, p. 273 ; BIEMONT 1880 :<br />
p. 445. D’autres auteurs ont cité « Jehan Meugnier, maçon du roi », tout en proposant parfois<br />
d’identifi er ce nom à celui de Jean Mynier, maître des œuvres de maçonnerie du duché d’Orléans<br />
(LEPAGE 1901 : p. 395 ; PEROUSE DE MONTCLOS 1988 : p. 504). Là encore, il est permis de douter<br />
de l’affi rmation de C.-F. Vergnaud-Romagnési : n’y a t-il pas eu confusion avec les terrains libérés<br />
pour la construction de l’église Notre-Dame-de-Recouvrance ?<br />
(31) JARRY E. 1931 : p. 159.<br />
(32) Par exemple : n° 16 (9 rue de l’Écu-d’Or) ou n° 24 rue Notre-Dame-de-Recouvrance. La galerie du<br />
n° 14 rue Notre-Dame-de-Recouvrance présente une colonne au chapiteau ionique comparable à<br />
ceux de la galerie de l’hôtel Toutin. La distribution avec galerie était semblable au n° 28 (angle avec<br />
la rue de la Chèvre-qui-Danse).<br />
(33) N °28 (angle rue Croix-de-Bois), 30, 32, 34, 40, 45, 47, 67, 79 rue des Charretiers.<br />
(34) Pour la typologie des moulures des maisons orléanaises voir : ALIX 2008 : 2 e partie, p. 4-7.<br />
(35) N° 47 rue des Charretiers : petits disques dans les angles de l’encadrement des baies. N° 32 rue<br />
des Charretiers : jour du rez-de-chaussée avec piédroits cannelés et jour plein-cintre du premier étage<br />
intégré dans une composition édiculaire (colonnes corinthiennes adossées, fronton triangulaire).<br />
N° 17-19 rue Croix-de-Bois : baies des façades sur cour des différents corps de bâtiment moulurées<br />
de doucines. N° 79 rue des Charretiers et n° 25 bis rue de l’Ange/angle 59 rue des Carmes : portes de<br />
la cage d’escalier couvertes d’un arc plein-cintre et moulurées de quart-de-rond. Dans cette dernière<br />
maison subsistent également les baies (croisées) de la façade rue des Carmes (n° 59) ainsi que les<br />
plafonds et la charpente de comble du milieu 16 e siècle.<br />
(36) Il fut notamment payé 25 écus le 29 août 1551 « pour avoir par luy vaqué par treize journees et<br />
plusieurs nuictz a la conduicte des ouvriers comme menuziers, painctres et autres qui ont dressé<br />
et faict en ladicte ville en plusieurs endroictz des arcs triumphans et autres ouvraiges pour l’entree<br />
(...) et a inventer les choses a ce requises » (Orléans, Archives départementales du Loiret,<br />
2 J 2474, f° 31-32 ; DU CERCEAU 1575-1579 : p. 5-7, 310 ; JARRY E. 1914 : p. 49). Voir aussi BEAULIEU<br />
1978, CHATENET 2008.
FIG. 4<br />
Maison 61 rue des Charretiers<br />
façade antérieure :<br />
habitat sériel de la première du 16 e siècle<br />
(photo Laurent Mazuy)<br />
édifiées dans ce secteur sud-ouest, et notamment le long de<br />
l’axe formé par la rue des Charretiers, prolongé au nord par<br />
la rue des Grands-Champs (37) . Six d’entre elles présentent<br />
une façade en pan-de-bois à croix de Saint-André, possédant<br />
les mêmes caractéristiques que les nombreuses maisons<br />
construites avec ce type d’armature dans les autres quartiers<br />
d’Orléans : 37 et 61 rue des Charretiers (FIG. 4), 6 et 11 rue<br />
des Grands-Champs, 81-83 rue Bannier, et probablement<br />
celle anciennement 3 rue des Carmes surmontée d’une<br />
lucarne-pignon (38) . Sept autres maisons ont une façade<br />
en pan-de-bois à grille : 15 rue d’Angleterre, 9, 11 et 13<br />
rue Stanilas-Julien (P. X, FIG. 6) 6), 29 et 29 bis rue Croix-de-<br />
Bois, ainsi que les façades des bâtiments nord de l’hôtel<br />
Toutin donnant sur la rue de la Chèvre-qui-Danse (39) . Rue<br />
Notre-Dame-de-Recouvrance, une maison (40) présentait<br />
le parti décoratif rare d’une façade à ossature à losanges<br />
cantonnés aux extrémités par des panneaux de croix<br />
de Saint-André (milieu 16e siècle). Enfin, une dernière<br />
maison en pan-de-bois anciennement située 3 rue Notre-<br />
Dame-de-Recouvrance (détruite) comportait un étage en<br />
encorbellement porté par des aisseliers ou des consoles (41) .<br />
Il convient de rappeler que la construction en pan-de-bois<br />
reste relativement peu fréquente, une quinzaine d’exemples,<br />
par rapport à sa concentration importante dans d’autres<br />
quartiers du centre ancien, notamment au sein de la première<br />
enceinte. Remarquons que sur cette quinzaine de maisons<br />
en pan-de-bois, presque la moitié correspond à un habitat<br />
sériel résultant peut-être de petites opérations de lotissement<br />
sur une ou deux parcelles (42) . L’accroissement rapide de<br />
la population et la hausse de la rente depuis la seconde<br />
moitié du 15 e siècle ont multiplié en ville les opérations de<br />
lotissement permettant de rentabiliser ces terrains. Il est<br />
révélateur que ces maisons « en série » soient situées dans les<br />
quartiers nouvellement enclos de la dernière enceinte où ce<br />
type de bâti simple et efficace était parfaitement adapté à un<br />
objectif de construction rapide. Il est possible de distinguer<br />
deux modes de construction différents. Deux de ces petits<br />
lotissements correspondent à des maisons doubles à façade en<br />
pan-de-bois à grille, bâties en symétrie de part et d’autre d’un<br />
mur pignon mitoyen maçonné, avec à chaque fois répétition<br />
d’un plan, d’un volume et d’un système distributif semblable<br />
(9-11 rue Stanislas-Julien ; 29-29 bis rue Croix-de-Bois).<br />
Dans les autres cas, les deux unités d’habitations, présentant<br />
des ordonnances symétriques à croix de Saint-André (43) , sont<br />
(37) D’autres maisons en pan-de-bois conservées dans les quartiers de la quatrième enceinte datent<br />
probablement du 16 e siècle mais la présence d’enduit sur l’ossature des façades ne permet pas de<br />
le vérifi er actuellement.<br />
(38) Cette dernière maison détruite dans les années 1940 est connue par plusieurs photographies<br />
anciennes (ALIX 2002 : t. 2, p. 180).<br />
(39) Pour ces pans-de-bois à grille, l’ossature de l’étage se compose de grandes décharges obliques<br />
assemblées entre les sablières, au-dessus et au-dessous desquelles des tournisses régulièrement<br />
espacées remplissent l’espace. Les seuls poteaux d’étage sont localisés aux extrémités de<br />
la paroi ou correspondent aux piédroits des baies. Seule la façade de l’hôtel Toutin est formée de<br />
pièces obliques (éperons) assemblés entre les poteaux.<br />
(40) Maison détruite visible sur une aquarelle de G. Pracine de 1885 (Orléans, Musée historique et archéologique,<br />
16530).<br />
(41) Cette maison nous est uniquement connue par une brève citation du 19 e siècle (BIEMONT 1880 :<br />
p. 391). Correspond-t-elle à la maison avec encorbellement visible sur une lithographie de C. Pensée<br />
: « Église de Recouvrance » (PENSEE 1849 : pl. 17) ?<br />
(42) ALIX 2002 : t. 1, p. 108-110 ; ALIX 2007 b : p. 8. Voir aussi infra, Typologie des façades orléanaises<br />
de la fi n du Moyen Âge et de la Renaissance, par L. MAZUY.<br />
(43) La maison 81-83 rue Bannier pourrait correspondre à une maison double mais cela ne peut être<br />
actuellement vérifi é puisque la partie nord de la façade est aujourd’hui masquée sous un enduit.<br />
Ces maisons sérielles à panneaux de croix de Saint-André se retrouvent fréquemment dans le<br />
centre ancien de la première enceinte entre la seconde moitié du 15 e et le début du 16 e siècle<br />
(ALIX 2007 b : p. 8).<br />
147
148 <strong>EMPREINTE</strong> <strong>URBAINE</strong> - Les nouveaux espaces urbains<br />
séparées par une paroi en pan-de-bois à grille qui vient se<br />
fixer à l’arrière du poteau de fond recevant les sablières des<br />
façades (61 rue des Charretiers ; 11 rue des Grands-Champs).<br />
Ces constructions sérielles, souvent limitées en hauteur à un<br />
étage, étaient destinées à la petite bourgeoisie ou à des artisans.<br />
Elles peuvent être comparées aux maisons multiples connues<br />
à la fin du 15 e siècle et au 16 e siècle (44) à Bourges (85-87 rue<br />
Mirebeau), à Paris (milieu du 16 e siècle), à Tours (2-18 rue de<br />
la Madeleine, vers 1520-1530), à Rouen (39-45 rue aux Juifs,<br />
réalisées par la ville au début du 16 e siècle ou le lotissement<br />
édifié place du Marché-Neuf par la ville, vers 1531), ou en<br />
Belgique (maison du Pléban à Dinant : 1492-1494d).<br />
Le quartier nord-ouest<br />
Délimité par la rue Bannier à l’est et les rues des Carmes et<br />
Porte-Madeleine au sud, ce quartier correspond à celui qui<br />
fut le plus modelé par l’opération d’urbanisme de 1486, au<br />
travers de la mise en place d’un réseau viaire régulier et de<br />
la création de grands îlots quadrangulaires. L’observation<br />
des élévations montre de nombreux vestiges de maisons<br />
de la première moitié du 16 e siècle aux carrefours des<br />
rues, ce qui pourrait indiquer que le lotissement de ces<br />
îlots s’est d’abord effectué à partir des parcelles d’angles<br />
dont la situation était privilégiée (45) . Tandis que les rues<br />
anciennes et certains axes privilégiés (rue de la Lionne, rue<br />
des Grands-Champs, rue d’Illiers, etc.) sont rapidement<br />
occupés par de nombreuses maisons, dans d’autres secteurs<br />
le rythme de la construction semble avoir été plus lent,<br />
notamment en cœur de certains îlots ou dans les parcelles<br />
situées aux abords de l’enceinte, qui présentent dans la<br />
deuxième moitié du 16 e siècle un tissu urbain aéré par des<br />
terrains libres (46) . Se peut-il que les propriétaires laïcs ou<br />
religieux de ces terrains se soient opposés au développement<br />
de l’habitat ? Ce quartier présente là encore des rues où se<br />
concentrent de grands hôtels, comme la rue d’Illiers (47) ,<br />
alors que d’autres semblent accueillirent des habitations<br />
plus modestes, comme la rue de la Porte-Saint-Jean (48) . La<br />
rue des Carmes quant à elle présente quelques demeures<br />
aux façades ornées de motifs italianisant comme celle du<br />
n° 82 ou celle anciennement du n° 16 (49) . Enfin signalons<br />
plusieurs habitations de la première moitié du 16 e siècle rue<br />
de la Lionne, où grandes demeures (50) (n° 18 bis) côtoient<br />
de petites maisons élémentaires (n° 33), alors que plusieurs<br />
maisons voisines présentent toutes des baies semblables<br />
moulurées de doubles cavets, traduisant certainement une<br />
volonté d’imitation entre les commanditaires (façades des<br />
maisons n° 13, 21, 23, et 33 rue de la Lionne).<br />
La rue de la Bretonnerie<br />
et le quartier nord-est<br />
La rue de la Bretonnerie est une voie ancienne,<br />
probablement d’origine antique (51) , s’appuyant au sud<br />
sur la place de l’Étape, située au débouché de l’ancien<br />
cardo de la ville du Bas-Empire et en limite du quartier<br />
de la cathédrale, pour rejoindre au nord la rue Bannier en<br />
direction de la Beauce ou de Paris. Après la destruction<br />
des faubourgs lors du siège de la ville, l’habitat s’y était<br />
développé progressivement tout au long du 15 e siècle, sous<br />
la forme de petites maisons ou de « masures » au travers<br />
d’un paysage restant fortement marqué par la présence<br />
de nombreux jardins, de vergers et de vignes, comme en<br />
témoignent certains actes notariés. Ainsi, le 20 février 1431,<br />
Jean Porchier, sergent du duc, achetait rue de la Bretonnerie<br />
une « maison et son jardin » (52) . Le 8 octobre 1437, Perrin<br />
Gaillart cède au taillandier Jehan Collinet, moyennant une<br />
rente annuelle de 5 sols parisis, son jardin situé rue des<br />
Maillets (aujourd’hui rue Saint-Anne), jouxtant à l’est les<br />
jardins du couvent des Cordeliers établi sur la rue de la<br />
(44) Pour Bourges : CHAZEL 1997 : p. 20. Pour Paris : BOUDON 1983 : p. 26. Pour Tours : TOULIER,<br />
AQUILON 1980 : p. 47, 51 ; GUILLAUME, TOULIER 1983 : p. 13. Pour Rouen : GAUTHIEZ 1993 : p. 156,<br />
189, 195. Pour la Belgique : HOUBRECHTS 2007 : p. 185.<br />
(45) Certaines de ces maisons d’angles se caractérisent par leur mur pignon placé à l’angle de l’îlot<br />
souvent percé de jours rectangulaires au rez-de-chaussée et d’une baie en arc plein-cintre dans<br />
le comble : 46 rue du Colombier/rue des Grands-Champs ; 9 rue du Grenier-à-Sel/38 rue d’Illiers ;<br />
56 rue d’Illiers/angle rue des Grands-Champs ; 21 rue de la Lionne/9 rue du Bœuf-Saint-Paterne ;<br />
39 rue de la Lionne/rue des Grands-Champs ; 98 rue des Carmes/rue de Limare ; 15 rue Porte-<br />
Saint-Jean/2 bis rue de la Grille ; etc.<br />
(46) Voir la représentation de ce quartier sur le « Vray portraict de la ville d’Orléans » gravé sur bois<br />
par Raymond Rancurel vers 1575 et extrait de la Cosomographie universelle de tout le monde par<br />
Sébastien Münster (Orléans, Bibliothèque municipale, ZH 12).<br />
(47) 52 rue d’Illiers (croisées de la façade sur cour) ; 38 rue d’Illiers/9 rue du Grenier-à-Sel ; à proximité :<br />
11 rue du Grenier-à-Sel.<br />
(48) Exemple de petite maison élémentaire sur parcelle laniérée étroite : 7 rue Porte-Saint-Jean (avec<br />
escalier en vis à noyau sculpté d’une main-courante torsadée). Au n° 16 rue Porte-Saint-Jean,<br />
une maison plus importante présente une façade sur cour avec des baies en arc plein-cintre<br />
moulurées de quart-de-rond (vers 1530-1540). 52 rue Porte-Saint-Jean.<br />
(49) Au 82 rue des Carmes : bâtiment en fond de cour ayant conservé ses baies en arc plein-cintre et<br />
sa corniche soutenue par un modillon en forme de putto ailé. Demeure anciennement 16 rue des<br />
Carmes (détruite en 1940) : avec tourelle d’escalier quadrangulaire aux baies ornées de petits disques<br />
(Orléans, Musée des Beaux-Arts, classeur 310 cartes postales et 137 photos : n° 313-315).<br />
(50) Le n° 18 bis rue de la Lionne est un vaste hôtel en fond de cour avec un petit pavillon d’angle en<br />
brique à jour plein-cintre (années 1540). Remarquons sur le pignon oriental de la maison 39 rue<br />
de la Lionne une recherche de composition symétrique : un jour en arc plein-cintre est rejeté à<br />
chaque extrémité de l’étage.<br />
(51) MAZUY 2005 : p. 17.<br />
(52) Orléans, Archives départementales du Loiret, 3 E 10136.
FIG. 5<br />
Hôtel de François<br />
Brachet, dit de la<br />
Vieille-Intendance,<br />
24-28 rue de la<br />
Bretonnerie<br />
façade antérieure sur<br />
cour (mur sud), avec<br />
tourelles d’escalier à<br />
chambre haute.<br />
(Cl. C. Thibaudin, (c) Région<br />
Centre Inventaire général,<br />
ADAGP).<br />
149
150 <strong>EMPREINTE</strong> <strong>URBAINE</strong> - Les nouveaux espaces urbains<br />
Bretonnerie (53) . Le 22 octobre 1494, Jehan Groslot reçoit<br />
10 livres tournois du notaire Berthelemy Sevin auquel il<br />
a vendu une rente qu’il détenait sur un jardin donnant<br />
rue de la Bretonnerie (54) . Dernier exemple, en juin 1492,<br />
un boulanger achète une maison en construction « prête à<br />
couvrir », située rue de la Bretonnerie derrière les vignes de<br />
Messire Pierre Dulac, docteur régent de l’Université (55) .<br />
Une partie des nouvelles rues créées dans ce secteur lors de<br />
l’opération d’urbanisme de 1486 va venir s’appuyer contre<br />
cet axe de circulation ancien qu’est la rue de la Bretonnerie.<br />
Grâce à sa situation privilégiée, cette voie semble avoir<br />
bénéficié d’un intérêt précoce qui, comme la rue Notre-<br />
Dame-de-Recouvrance, va permettre le développement<br />
d’un habitat soigné dans la première moitié du 16 e siècle.<br />
L’hôtel de François Brachet dit de la Vieille-<br />
Intendance<br />
L’hôtel le plus ancien édifié dans ce secteur, appelé<br />
aujourd’hui « hôtel de la Vieille-Intendance », correspond<br />
à la « grande maison Brachet » mentionnée ainsi dans<br />
les textes du milieu du 16 e siècle (n° 24-28 rue de la<br />
Bretonnerie, [FIG. 5]). Son commanditaire est sans nul doute<br />
François Brachet, « commis au paiement des archers de la<br />
garde française du corps du roi ». Il était le fils de Jean<br />
Brachet, secrétaire du duc, et de Nicole Lesbahy, issue de<br />
l’une des familles de bourgeois les plus aisées d’Orléans,<br />
dont le mariage en 1440 illustre une tentative stratégique<br />
de rapprochement d’alliance entre les marchands de la ville<br />
et les officiers ducaux (56) . Leur fils François Brachet est<br />
cité, en compagnie de sa femme Françoise Ruzé, dans un<br />
acte de constitution de bail à rente en date du 1 er octobre<br />
1491 pour « une place appartenant a ladicte eglise Saint<br />
Pierre Empont en laquelle y a dessus ung appentilz couvert<br />
d’esseaune et le surplus est en verger tout cloux a murs,<br />
ainsi qu’il se comporte et poursuit, seant es forsbours<br />
d’Orleans sur la rue de la Bretonnerie », terrain qui à cette<br />
époque était encore environné de vignes et de vergers (57) .<br />
La mention des dimensions importantes du terrain<br />
s’accorde en partie à l’emplacement de l’hôtel, tout comme<br />
l’évocation de « la nouvelle rue appellée l’Aumosne »<br />
correspondant à l’actuelle rue des Huguenots jouxtant la<br />
propriété à l’ouest. Par ailleurs, l’origine de propriété et<br />
l’histoire des terrains de cet hôtel sont bien connues grâce<br />
à une série de titres établis entre la fin du 14 e siècle et le<br />
19 e siècle, et dans lesquels on apprend notamment que<br />
la demeure n’était pas encore élevée en octobre 1499 (58) .<br />
Cette date s’accorde assez bien avec l’analyse des élévations<br />
et du décor sculpté qui permet de penser que le début de<br />
la construction a vraisemblablement eu lieu dans les dix<br />
premières années du 16 e siècle, ce que confirme une récente<br />
analyse dendrochronologique (59) .<br />
L’hôtel, qui présente des proportions très importantes, était<br />
précédé par une cour isolée de la rue de la Bretonnerie grâce<br />
à un mur de clôture et comportait à l’arrière un imposant<br />
jardin qui s’étendait au nord jusqu’aux fortifications de<br />
la dernière enceinte. Établi sur d’importants niveaux de<br />
caves voûtées, le corps de bâtiment principal est accosté<br />
à chaque extrémité de sa façade sur cour par une grande<br />
tourelle hors-œuvre de plan quadrangulaire. Elles abritent<br />
chacune un escalier en vis surmonté d’une chambre haute<br />
à deux niveaux desservis par un escalier secondaire logé<br />
dans une échauguette en surplomb. Ces chambres hautes<br />
permettaient de prolonger en hauteur les tourelles d’escalier,<br />
dont les volumes se détachaient nettement du corps de<br />
logis, renforçant ainsi la symbolique de fief et de pouvoir<br />
attachée aux tours dans la tradition médiévale (60) . Ce corps<br />
de logis est couvert par une charpente en chêne à chevronsformant-fermes,<br />
à jambettes et aisseliers courbes, et dont<br />
certains éléments sont ornés de moulures prismatiques<br />
de tradition « gothique » : lierne de sous-faîtage, petits<br />
aisseliers, bases des poinçons (61) .<br />
(53) Orléans, Archives départementales du Loiret, 3 E 1051.<br />
(54) Orléans, Archives départementales du Loiret, 3 E 10244. « Jehan Groslot l’aisnet, bourgeois<br />
d’Orleans » était le grand-oncle de Jacques Groslot dont il est question ci-dessous.<br />
(55) MICHAUD-FRÉJAVILLE 1983 : p. 433.<br />
(56) THIBAULT 1997 : t. 2, p. 417-418. Les Brachet sont une grande famille orléanaise dans laquelle<br />
fut choisi le premier maire de la ville en 1569. Selon le chanoine R. Hubert, généalogiste de<br />
la deuxième moitié du 17 e siècle, François Brachet était le fi ls de Jean Brachet, receveur général<br />
des tailles et du domaine d’Orléans, secrétaire de Monsieur le Duc, dont les enfants se partagèrent<br />
les biens en 1497. Cet auteur indique également que François Brachet serait « seigneur de<br />
Theillay le Gaudin, de la Maison Neuve et des Brosses de Marigny, thresorier de la royne d’Arragon »<br />
(Orléans, Bibliothèque municipale, ms. 608-615 : vol. II, f° 46).<br />
(57) Orléans, Archives départementales du Loiret, 3 E 10204.<br />
(58) JOUVELLIER 1959 : p. 4.<br />
(59) Construction de la charpente de comble après 1505, à partir d’un stock de bois dont les dates<br />
d’abattage s’étalent entre 1501-1502 [d] et 1504-1505 [d] (PERRAULT, étude en cours).<br />
(60) Ces petites pièces, qui pouvaient servir de cabinet, d’étude, de trésor, d’oratoire ou de petit belvédère,<br />
étaient chauffées par une cheminée dont une, celle de la tourelle ouest, est encore visible.<br />
Le premier niveau de la chambre haute orientale est couvert par une voûte en brique formant un<br />
berceau brisé tandis que celui de la tourelle occidentale est plafonné.<br />
(61) La charpente est conservée de manière homogène comme le confi rme les marques d’assemblages<br />
gravées à la rainette sur les différentes pièces. Plusieurs fragments du voligeage originel sont<br />
conservés sur les chevrons du versant sud.
6<br />
8<br />
FIG. 6<br />
Hôtel de François<br />
Brachet, dit de la<br />
Vieille-Intendance,<br />
24-28 rue de la<br />
Bretonnerie<br />
escalier d’honneur<br />
dans la tourelle ouest<br />
(Cl. C. Thibaudin,<br />
(c) Région Centre Inventaire<br />
général, ADAGP).<br />
FIG. 7<br />
Hôtel de François<br />
Brachet, dit de la<br />
Vieille-Intendance,<br />
24-28 rue de la<br />
Bretonnerie<br />
noyau de l’escalier<br />
d’honneur dans la<br />
tourelle ouest<br />
(photo Laurent Mazuy)<br />
FIG. 8<br />
7<br />
Hôtel de François<br />
Brachet, dit de la<br />
Vieille-Intendance,<br />
24-28 rue de la<br />
Bretonnerie<br />
voûte de l’escalier<br />
d’honneur dans la<br />
tourelle ouest<br />
(photo Laurent Mazuy)<br />
151
152 <strong>EMPREINTE</strong> <strong>URBAINE</strong> - Les nouveaux espaces urbains<br />
La façade sud du corps principal résulte d’un remaniement<br />
intervenu probablement à la fin du chantier comme le<br />
confirme l’étude de la charpente de comble (62) : elle était<br />
originellement prévue en retrait vers nord, et le mur actuel<br />
correspond à une avancée gagnée sur l’espace de la cour (63) .<br />
Ce corps de bâtiment principal est jouxté à l’ouest par<br />
deux courtes ailes perpendiculaires, bordant la rue<br />
des Huguenots, une en retour sur la cour (au sud) et<br />
l’autre donnant sur le jardin (au nord). L’aile sud, peutêtre<br />
à usage d’offices, se remarque notamment pour sa<br />
charpente semblable à celle du corps principal, mais<br />
surtout pour sa salle en rez-de-chaussée couverte de deux<br />
voûtes d’ogives moulurées de cavets reposants sur des<br />
culots géométriques (64) . L’aile en retour nord correspond<br />
visiblement à un remaniement intervenu rapidement<br />
après l’édification du corps de logis principal (65) ; sa partie<br />
inférieure ouvrait sur le jardin par une série d’arcades pleincintre<br />
formant peut-être un portique.<br />
Le gros-œuvre de l’ensemble est constitué de parements de<br />
briques liées par des joints rubanés. Certaines boutisses sont<br />
foncées afin de créer un dessin de losanges noirs, à l’image<br />
des appareils mixtes polychromes ornant les résidences<br />
aristocratiques du val de Loire (aile Louis XII du château de<br />
Blois, château de Gien reconstruit pour Anne de Beaujeu,<br />
etc.). Le motif varie seulement sur la façade sur jardin,<br />
où ces losanges sont imbriqués à l’intérieur de losanges<br />
plus grands. La pierre est réservée aux chaînes d’angles,<br />
aux corniches et aux encadrements de baies moulurés de<br />
doubles tores séparés par des gorges. Le décor sculpté des<br />
façades extérieures est formé de motifs italianisants : frises<br />
d’oves avec ou sans dards, de feuilles d’eau, ou de rosaces<br />
ornant les corniches des tourelles d’escaliers ou les culs-delampe<br />
des échauguettes. Sur l’escalier d’honneur (tourelle<br />
ouest), ces motifs sont encore mêlés à des éléments issus<br />
du répertoire « flamboyant » : limon orné d’arcades en<br />
anse de panier portées par des colonnettes engagées sur<br />
culots feuillagés ou figurés, à chapiteaux corinthiens et<br />
aux fûts animés de cannelures torses (FIG. 6) ; noyau sculpté<br />
d’une arcature trilobée avec colonnettes engagées sur<br />
bases prismatiques (FIG. 7), ressemblant beaucoup à celui<br />
de l’escalier du château de Chaumont-sur-Loire (vers<br />
1510) ; motifs de tresse à œillets sur le noyau et le limon ;<br />
voûte à huit quartiers dont les nervures s’élancent depuis<br />
le noyau (FIG. 8), rappelant la voûte du grand escalier du<br />
logis Louis XII à Blois (vers 1500). Ainsi, de par son<br />
plan, ses distributions et son décor, la « Grande maison »<br />
de François Brachet constitue un des exemples les plus<br />
FIG. 9<br />
intéressants de la première Renaissance orléanaise. Edifié<br />
sur un grand terrain vierge, le constructeur ne fut pas gêné<br />
par les contraintes parcellaires, lui permettant ainsi de bien<br />
détacher de la voirie ce vaste hôtel qui s’apparente ici à un<br />
manoir.<br />
(62) Dates d’abattage des chevrons couvrant cette avancée : 1505-1506[d].<br />
Hôtel de Janot le Bouteiller,<br />
17 rue de la Bretonnerie<br />
façade antérieure<br />
(photo Laurent Mazuy)<br />
(63) À l’ouest, l’échauguette a été englobée dans la nouvelle toiture. À l’est, la nouvelle façade est<br />
venue s’appuyer contre l’échauguette. Afi n d’effectuer un chaînage d’angle entre ces deux éléments,<br />
l’une des assises du cul-de-lampe fut modifi ée : les nouvelles pierres furent sculptées<br />
d’une frise de rosaces, alors qu’il s’agissait originellement d’oves (visibles à l’extérieur).<br />
(64) Il reste diffi cile de voir si les clefs de voûtes sculptées aux armes de Brachet et de sa femme<br />
Françoise Ruzé sont authentiques ou si elles ont été plaquées ultérieurement.<br />
(65) Comme l’indique le fragment de corniche sculpté d’une cordelière sur la façade nord du corps<br />
principal qui a été masqué par la construction du comble de cette aile en retour.
Les autres demeures<br />
(hôtels de Jean Brachet, de Janot le Bouteiller,<br />
de Jacques Groslot, etc.)<br />
Il est intéressant de remarquer que Jean Brachet le Jeune,<br />
seigneur de Franville et secrétaire du roi, possédait lui aussi<br />
une demeure rue de la Bretonnerie à proximité immédiate<br />
de la « Grande maison » de son oncle François Brachet.<br />
Ce « logis et jardin appelé le Grand jardin », se trouvait<br />
dans l’îlot voisin, compris entre la rue des Huguenots<br />
et l’ancienne rue des Trois-Voisins (66) . Cette demeure<br />
possédait également un vaste jardin s’étendant au nord<br />
jusqu’à l’enceinte, à l’emplacement duquel s’installera au<br />
17 e siècle le couvent de l’Oratoire. L’habitation, dont Jean<br />
Brachet fit ordonner quelques travaux de réaménagements<br />
en 1546, correspond sûrement en partie aux bâtiments<br />
encore visibles aux 30 rue de la Bretonnerie et 1 rue des<br />
Huguenots (67) .<br />
C’est également dans ce secteur que seront édifiés deux<br />
des hôtels les plus notoires de la seconde Renaissance<br />
orléanaise. L’hôtel de Janot le Bouteiller (FIG. 9), sommelier<br />
ordinaire du roi et proche de François I er (mort en 1544),<br />
17 rue de la Bretonnerie, présente une façade unitaire venue<br />
masquer des habitations préexistantes dont les anciens murs<br />
pignons ont été conservés dans la nouvelle construction<br />
en guise de refends (68) . Edifié entre 1543-1547, ce vaste<br />
hôtel comportait également à l’est un pavillon d’entrée et<br />
un jardin ouvrant sur la rue Saint-Anne (69) .<br />
L’hôtel à l’appareil brique et pierre situé aux 3-5 place de<br />
l’Étape (VOIR P. FIG. 13) 13), en avant de la rue de la Bretonnerie,<br />
fut élevé pour Jacques Groslot, fils d’un marchand-tanneur,<br />
seigneur de l’Isle et de Champbaudoin, familier de Marguerite<br />
de Navarre, qui cumulait les charges de bailli d’Orléans,<br />
de conseiller au grand conseil de Paris, et de chancelier<br />
d’Alençon (70) . Le terrain où s’élève l’hôtel était composé de<br />
deux jardins appartenant initialement à Anne Brachet, femme<br />
de Germain Rebours, avocat au parlement, qui furent acquis<br />
par Jacques Groslot et sa femme Jeanne Garrault suite à<br />
plusieurs démarches débutées en 1543 et qui aboutirent en<br />
1545 (71) . Le jardin ouvrant sur la place de l’Etape servit à la<br />
construction de l’hôtel, probablement achevé vers 1552-1553,<br />
tandis que l’autre jardin conservera sa fonction. Le corps de<br />
logis était précédé d’une cour séparée de la rue par un mur<br />
écran, qui participait à l’aménagement de la grande place de<br />
« l’estappe au vin » récemment créée et dont la rive opposée<br />
était bordée par la nouvelle façade de l’église paroissiale Saint-<br />
Michel reconstruite entre 1534 et 1550. Comme dans le cas<br />
de l’hôtel de François Brachet antérieur de quelques décennies,<br />
les constructeurs de cet hôtel ont pu bénéficier d’un vaste<br />
espace permettant la mise en œuvre d’un bâtiment au plan<br />
original, bien détaché de la rue, et qui s’apparente ainsi à une<br />
demeure rurale.<br />
Dans la première moitié du 16 e siècle, la présence de grands<br />
terrains libres dans ce quartier a donc favorisé l’édification<br />
de vastes hôtels pour de hauts dignitaires, mais également la<br />
construction de demeures situées dans la partie occidentale<br />
de la rue de la Bretonnerie ou dans les rues voisines (72) .<br />
Malgré l’implantation des couvents et celle de grands hôtels<br />
au 17 e siècle (notamment rue d’Escures), ce quartier au<br />
caractère principalement résidentiel conservera l’image d’un<br />
secteur aéré par de vastes jardins. !<br />
(66) Rue aujourd’hui disparue qui allait de la rue de la Bretonnerie au boulevard Alexandre-Martin, et<br />
qui était située entre le couvent des Oratoriens et celui des Ursulines. Le palais de Justice fut<br />
construit à l’emplacement de cette ancienne voie (voir abbé Louis Gaillard, Les anciens noms des<br />
rues d’Orléans, 1989, 68 p, manuscrit déposé aux Archives départementales du Loiret, p. 45).<br />
(67) 30 rue de la Bretonnerie : escalier en vis en pierre avec noyau à main-courante torse ; façades sur<br />
cour avec portes et fenêtres en arc plein-cintre ou croisées à larmier. Au 1 rue des Huguenots :<br />
corps de bâtiment principal avec ouvertures ornées de petits disques, plafond à poutres moulurés<br />
; mur de clôture avec portail et porte piétonne ; galerie en pierre et en pan-de-bois ; tourelle<br />
d’escalier en vis avec chambre haute ; puits à eau, etc.<br />
(68) Lors de la construction de l’hôtel en 1543, ces deux anciennes maisons séparées par un jardin<br />
sont mentionnées dans un censier : « la maison ou demeure Jehan Tricot, au sommelier Janot.<br />
Une place et jardin que l’on fait a present bastir, au mesme. Une aultre maison ou demeure ledict<br />
sommelier Janot, a lui » (voir étude dans : JARRY E. 1928 : p.84-89).<br />
(69) Voir infra, Les demeures de la seconde Renaissance des élites orléanaises ou le succès de l’architecture<br />
« à l’antique » (vers 1535-1560) par C. ALIX et J. NOBLET.<br />
(70) Cet édifi ce qui abrite une partie de la mairie d’Orléans depuis 1738 a subi une sévère restauration<br />
dans la seconde moitié du 19 e siècle.<br />
(71) Pour l’hôtel Groslot, voir les monographies dans : JARRY E. 1914 ; ROUGERIE 1998 : t. 1, p. 43-53.<br />
Voir aussi infra, L’architecture domestique de la seconde Renaissance à Orléans (vers 1535-1560)<br />
par C. ALIX et J. NOBLET<br />
(72) Voici les exemples les plus remarquables : 13 rue de la Bretonnerie/angle rue Croix-de-Malte (baies des<br />
façades et pilastre d’angle sous la toiture) ; 15 rue de la Bretonnerie ; 31 rue de la Bretonnerie/25 rue<br />
Saint-Anne (porte et jours d’imposte) ; 60 et 62 rue de la Bretonnerie (façades sur cour avec arcade de<br />
porte cochère et baies à bases prismatiques) ; 57 rue de la Bretonnerie (tourelle d’escalier brique et<br />
pierre) ; anciennement 1 rue d’Escures, maison dite de la Grande-Babylone, galerie à arcades plein-cintre<br />
à colonnes ioniques (BUZONNIERE 1849 : t. 2, p. 237 ; BIEMONT 1880 : p. 400 ; LEPAGE 1901 : p. 240),<br />
17 rue d’Escures, 12 rue d’Escures (façade sur jardin et cabinet voûté, vers 1520-1530) ; 8 place du<br />
Martroi (corps de bâtiment occidental avec pignon en brique à décor de losanges noirs) ; hôtel 5 rue<br />
de Gourville (façades sur cour et sur jardin, tourelle d’escalier brique et pierre) ; hôtel 15 rue de Gourville<br />
(façades sur rue et sur cour) ; maison dite de Gourville rue de Gourville (détruite en 1899 ; 1 photographie<br />
: Orléans, Musée des Beaux-Arts, inv. 2266) ; 10 rue des Fauchets ; 105 rue Bannier (petite<br />
maison avec façade à parement en moyen appareil et petit jour plein-cintre) ; maison anciennement<br />
4 rue Bannier, façade sur cour représentée au 19 e siècle sur des aquarelles de P. Bernard ou<br />
d’H. Chouppe (Orléans, Musée des Beaux-Arts, inv. 2621 et inv. 434).<br />
153
154 <strong>EMPREINTE</strong> <strong>URBAINE</strong> - Les nouveaux espaces urbains<br />
Le rempart en 3D<br />
première esquisse d’une restitution urbaine<br />
ET ARTICLE PRÉSENTE LES PREMIERS RÉSULTATS D’UN PROGRAMME SCIENTIFIQUE (1) , DÉBUTÉ EN 2007,<br />
dont le but est la modélisation en 3D de la ville d’Orléans (architecture et urbanisme) à partir<br />
du croisement des données historiques, archéologiques et iconographiques (2) .<br />
L’interprétation en volume d’un objet, puis de plusieurs<br />
(remparts, espaces publics, bâtiments…), impose un questionnement<br />
global qui implique la coordination raisonnée de choix<br />
liés à la cohérence interne de la forme. L’image correspond à<br />
un équilibre entre le fait archéologique et son interprétation et<br />
non comme une reconstitution exacte du réel.<br />
La technique numérique (3D) apporte à notre démarche une<br />
rapidité de calcul et d’exécution ainsi que la prise en compte<br />
« en temps réel » de l’ensemble des paramètres et de leurs<br />
éventuelles modifications. Elle apporte également le calcul des<br />
poids et des résistances des matériaux et des sols.<br />
La mise en volume d’un objet devient, ainsi, un jeu interactif<br />
qui provoque et nourrit, l’interrogation scientifique tout en<br />
modifiant le regard du spectateur, et peut devenir un outil<br />
d’aménagement.<br />
Dans un premier temps, le travail se concentre sur la restitution<br />
des trames viaires et des remparts successifs. Une fois abouti, il<br />
sera enrichi de restitutions à l’échelle de l’îlot et du bâti (3) …<br />
Au-delà des questions scientifiques, cette démarche collective<br />
et transversale entend déboucher sur une présentation de la<br />
ville par périodes, dates et thématiques, accessible à tous et<br />
réunies sur un site internet interactif et didactique.<br />
La restitution du rempart (1480-1556), ou plus exactement<br />
des systèmes défensifs successifs constituant l’état de la<br />
fortification est aujourd’hui en cours de finalisation.<br />
Après utilisation des données (plans et vues cavaliers<br />
historiques, résultats de fouille et dépouillements d’archives),<br />
beaucoup de questions restent en suspens : l’implantation des<br />
ravelins, la gestion des niveaux de circulation (lice, courtine<br />
et levée de terre…). Seules, de nouvelles découvertes liées à<br />
des fouilles archéologiques et la comparaison des présentes<br />
restitutions avec d’autres modèles français permettront<br />
d’affiner et de compléter cette promenade dans l’architecture<br />
militaire orléanaise du 16 e siècle.<br />
Laurent Mazuy,<br />
Médiateur du patrimoine<br />
(Orléans)<br />
Laurent Josserand,<br />
????<br />
(1) Ce programme est suivi pour le Service Archéologique Municipal par Laurent Mazuy et pour Polytech’Orléans<br />
par Laurent Josserand. Polytech’Orléans est une école d’ingénieur du réseau Polytech’<br />
intégrée au campus de l’Université d’Orléans, œuvrant dans les domaines mécaniques,<br />
énergétiques, électroniques et du génie civil.<br />
(2) Constitution de banques d’images en fonction des sujets traités.<br />
(3) Cette étape a été amorcée avec deux bâtiments de la fi n du Moyen Âge : la maison du 4 rue des<br />
Trois-Maillets et l’Hôtel des Créneaux (maison de ville). Ce travail scientifi que a été réalisé (comme<br />
les restitutions des portes Madeleine, Saint-Jean et Bannier du dernier rempart) par Clément<br />
Alix dans le cadre de sa thèse en cours.
9<br />
FIG. 1<br />
10<br />
Tracé du rempart :<br />
Première enceinte (4 e siècle de notre ère)<br />
Modifications du début du 13 e siècle (Tour-Neuve)<br />
Deuxième enceinte (14 e siècle)<br />
Troisième enceinte (1466-1480)<br />
Quatrième enceinte (1480-1556)<br />
Restitution du tracé du rempart à la fin du 16 e siècle-début du 17 e siècle<br />
Le tracé des remparts (fossé, mur et tours) a été positionné à partir des observations<br />
archéologiques, par le report et la comparaison des plans et des cadastres anciens notamment le<br />
plan Perdoux de 1779, le plan Legrand de la seconde moitié du 18 e siècle et le cadastre de 1823.<br />
Les traits de quais et les ravelins ont été tracés et positionnés à partir du plan Fleury (1640).<br />
(Orléans, service archéologique municipal : conception, Laurent Mazuy – DAO, Laurent Mazuy/Sébastien Pons)<br />
DP82<br />
Fossé en eau<br />
Fossé sec<br />
Contre-escarpe<br />
Rempart de terre (16 e siècle)<br />
Fort de la Brebis (entre 1510 et 1540)<br />
Terrasse d’artillerie (à partir de 1539)<br />
Ravelins (deuxième moitié du 16 e siècle)<br />
Pont des Tourelles (12 e siècle)<br />
Fort des Tourelles<br />
Quais :<br />
Trait de berge en pierre<br />
Trait de berge en bois<br />
5<br />
Rues et places disparues<br />
Rues et places percées aux 18 e , 19 e et 20 e siècles<br />
Fond de plan, SIGOR 2004<br />
7<br />
Pont Pont Thinat Thinat<br />
Pont Pont Thinat Thinat<br />
Pont Pont de de Vierzon Vierzon<br />
8<br />
155
156<br />
<strong>EMPREINTE</strong> <strong>URBAINE</strong> - Le bâti domestique orléanais au 16 e siècle<br />
FIG.3<br />
Restitution de la Tour-Neuve, vue panoramique du sud-ouest (autour de 1550)<br />
La tour d’un diamètre de 16,50 m et d’une hauteur de 27,25 m était à l’origine entourée<br />
d’un fossé pavé (13,20 de large et 6,60 m de profondeur) et d’une enceinte de tracé<br />
hexagonale. L’entrée principale de la forteresse donnait côté ville (sur une bassecour<br />
?). Une autre porte piétonne assurait la possibilité d’une sortie par la Loire.<br />
Edifié dans l’angle sud-est de la première enceinte (à l’emplacement probable d’une<br />
ancienne tour gallo-romaine), ce système militaire fut probablement modifié lors<br />
de la construction de l’accrue sous Louis XI (1466-1480) : comblement du fossé et<br />
démantèlement de la partie nord de son enceinte (?), raccord avec les autres murs<br />
défensifs...<br />
Les hourds et la toiture de la tour disparaîtront sous Charles IX pour laisser place à une<br />
terrasse d’artillerie.<br />
Le Guichet de Moi (au premier plan) correspond à l’une des portes permettant la<br />
communication entre la ville basse réservée à la transformation et au stockage des<br />
matières premières et les quais. Ce segment d’enceinte semble être construit, de la<br />
tour hexagonale (22 quai du Châtelet) à la Tour-Neuve, parallèlement à l’édification de<br />
cette dernière.<br />
FIG. 4<br />
Restitution de l’angle sud-est du<br />
rempart. Vue du sud (autour de 1600)<br />
FIG. 2<br />
Restitution du rempart<br />
(segment sud-est), vue du sud-est<br />
(autour de 1550)<br />
Les quais sont stabilisés par des<br />
murs en pierres ou en bois. Ces<br />
soutènements sont interrompus audevant<br />
de chaque porte et poterne<br />
afin de permettre un accès de plainpied<br />
au fleuve : évacuation des eaux,<br />
abreuvoir, manipulation des bateaux<br />
(mise à l’eau et mise hors d’eau).<br />
Au premier plan se trouve la grosse<br />
tour de Philippe Auguste (Tour-<br />
Neuve) construite au début du<br />
13 e siècle en bout de perspective<br />
le Châtelet et le pont des Tourelles<br />
(12 e siècle). Ce pont prend appui<br />
à l’intersection de deux îles :<br />
les mottes Saint-Antoine et des<br />
Poissonniers.
FIG. 6<br />
Restitution du rempart (porte Madeleine et Saint-Jean),<br />
vue du sud-ouest (autour de 1600)<br />
Les tours présentent trois niveaux de bouche à<br />
feu couvrant l’espace au-devant du fossé, la lice (large de<br />
4,5 m) et enfin le fossé. Les levées de terre intra-muros,<br />
vraisemblablement stabilisées par des maçonneries,<br />
sont plantées d’ormes à partir de 1566. Enfin, on<br />
remarquera au-devant des ponts une petite construction<br />
correspondant à la maison de l’octroi.<br />
FIG. 7<br />
Fig 7 : Restitution du rempart.<br />
Vue du nord (autour de 1600)<br />
FIG. 5<br />
Restitution de l’angle sud-est du<br />
rempart, vue panoramique du nord<br />
(autour de 1600)<br />
L’enceinte de Louis XI est<br />
partiellement réaménagée lors<br />
de la construction de la dernière<br />
enceinte (1480-1556).<br />
À la puissante tour d’angle, sont<br />
ajoutées une caponnière et une<br />
terrasse d’artillerie.<br />
Dans la seconde moitié du 16 e siècle,<br />
un ravelin de forme triangulaire<br />
est aménagé au-devant de la porte<br />
Bourgogne. Le fossé en V<br />
(profond de 19 m et large de 24)<br />
est, pour partie, inondé par la Loire<br />
(voir plan).<br />
157
158 <strong>EMPREINTE</strong> <strong>URBAINE</strong> - Les nouveaux espaces urbains<br />
Le bâti orléanais<br />
avant 1540<br />
URANT CETTE PÉRIODE, DYNAMISÉE PAR DES CONDITIONS POLITIQUES ET ÉCONOMIQUES FAVORABLES,<br />
l’architecture domestique se renouvelle. Une nouvelle grammaire des formes pointe sous les<br />
modèles du gothique flamboyant. Les décors à l’antique font peu à peu leur apparition tout<br />
d’abord en simple citation puis dans le cadre de programmes cohérents.<br />
Notre aire d’étude (1) est délimitée à l’ouest, au nord et à<br />
l’est par les boulevards extérieurs et au sud par la Loire. Elle<br />
correspond à la ville close par les deux derniers remparts<br />
construits dans la seconde moitié du 15 e siècle et durant la<br />
première moitié du siècle suivant.<br />
Cet espace urbain est très hétérogène. La ville s’est, en effet,<br />
agrandie à plusieurs reprises et le bâti a subi dans certains<br />
secteurs des bouleversements importants : les grands<br />
percements (rue Royale, 18 e siècle ; rues Jeanne-d’Arc et de<br />
la République, 19 e siècle), les réaménagements du quartier<br />
du Châtelet (19 e siècle) et de la Charpenterie (20 e siècle)<br />
et enfin la reconstruction du quartier Saint-Paul suite aux<br />
destructions occasionnées par les bombardements de la<br />
Seconde Guerre mondiale.<br />
Les façades récolées présentent des programmes<br />
architecturaux, pour l’essentiel, conservés ou lisibles et<br />
cela malgré les modifications opérées en rez-de-chaussée<br />
(à partir du 18 e siècle), les éventuels rehaussements et<br />
l’évolution technique de la fenêtre. De cette étude, ont été<br />
exclus les murs présentant des baies isolées ainsi que les<br />
bâtiments situés dans les différents établissements religieux<br />
(à l’exception de la Maison du roi Louis XI, monastère<br />
Saint-Aignan).<br />
Tous les pans-de-bois à croix de Saint-André ont été<br />
retenus. Ce mode de construction et de décor est, en effet,<br />
employé principalement dans la première moitié du 16 e<br />
siècle et trouve son épilogue dans les années 1560-1570.<br />
Enfin la date qui clôt notre inventaire, permet de nous<br />
consacrer au bâti médiéval et de la première Renaissance (2) .<br />
En effet, l’architecture de la seconde Renaissance, marquée<br />
par une plus grande rigueur dans l’utilisation des ordres<br />
et des ornements issus de l’Antiquité (fenêtres à fronton,<br />
Laurent Mazuy,<br />
Médiateur du patrimoine<br />
(Orléans)<br />
(1) Cet inventaire des façades domestiques sur rues construites avant 1540 a été réalisé au prin-<br />
temps 2008.<br />
(2) Apparue à Orléans dans l’architecture sous le règne de Louis XII, plaquée sur une architecture<br />
gothique fl amboyante épanouie, elle évolue pour trouver une personnalité propre dans la deuxième<br />
partie du règne de François I er . À Orléans, l’italianisme ne s’exprime au début que par quelques<br />
touches comme : les oves de la corniche de l’hôtel Brachet, première décennie du 16 e siècle<br />
(24, 26, et 28 rue de la Bretonnerie) ; la corniche à coquille de l’hôtel des Créneaux, 1513<br />
(32 rue Sainte-Catherine) ; le décor de pilastres à arabesque et rinceaux de la porte piètonne sur<br />
rue de la maison Euverte Hatte, 1526 (11 rue du Tabour)... À l’ornement de la première Renaissance<br />
s’ajoute, une décennie plus tard, une structuration du plan de la façade par un jeu de pilastre à<br />
chapiteaux à crosse, associés à des appuis fi lants : maison Euverte Hatte, façade sur cour, dans<br />
les années 1530 (11 rue du Tabour). Cette transition vers la seconde Renaissance est manifestée<br />
également par une façade rue Charles-Sanglier, entre 1530-1540 (Musée historique et archéologique<br />
de l’Orléanais) et la façade ouest du 5 place De Gaulle (FIG.1] ou encore celles de l’hôtel Toutin<br />
(26 rue Notre-Dame-de-Recouvrance), au tournant des années 1540.
FIG. 1<br />
5 place De Gaulle<br />
façade ouest<br />
(photo Laurent Mazuy)<br />
entablements…) semble prendre place à Orléans durant les<br />
années 1540 avec, notamment, un ensemble remarquable<br />
de grands modèles en pierre et en brique novateurs : les<br />
maisons de la Coquille 1540-1545 [d] (7 rue de la Pierre-<br />
Percée), Dallibert 1540-1550 (6 place du Châtelet) et du<br />
Coin Saint-Pierre 1540-1550 (13 rue Étienne-Dolet), ou<br />
encore les hôtels particuliers Hector de Sanxerre 1540-<br />
1544 [d] (211 rue de Bourgogne), des Chevaliers du Guet<br />
à partir 1547 (11 rue Étienne-Dolet) et Cabu à partir de<br />
1547 (Musée historique et archéologique de l’Orléanais,<br />
rue Charles-Sanglier)…<br />
Le bâti domestique<br />
Le bâti domestique orléanais connaît après la guerre<br />
de Cent Ans un renouveau important. De nombreuses<br />
maisons sont édifiées ex nihilo ou en lieu et place de plus<br />
anciennes et cela sur l’ensemble du territoire urbain.<br />
161 façades ont été identifiées (antérieures à 1540) : 98 en<br />
pierre, 61 en pan-de-bois et 2 en brique. Dans le corpus<br />
des 30 maisons datées par dendrochronologie, neuf façades<br />
sont antérieures au règne de Charles VIII dont trois du<br />
13 e siècle (3) et une du début du 15 e siècle. Sept façades sont<br />
édifiées sous Charles VIII, sept sous Louis XII et enfin sept<br />
sous François I er . Cette approche comptable témoigne d’un<br />
renouvellement intense du bâti après la guerre de Cent<br />
Ans et notamment à partir du règne de Charles VIII. Ce<br />
renouvellement semble constant jusqu’à la fin du règne de<br />
François I er (4) .<br />
L’organisation du bâti<br />
Trois types de parcelles ont été identifiés : la petite, la<br />
moyenne et la grande. La première en lanière, étroite et<br />
profonde (largeur comprise entre 3 et 5 m), est sans nul<br />
doute la plus courante. Les grandes parcelles se concentrent<br />
dans les quartiers de la nouvelle enceinte.<br />
Parfois deux parcelles, en général laniérées, sont associées<br />
au sein d’un programme architectural commun. Ce<br />
regroupement peut prendre sur rue plusieurs formes : la<br />
juxtaposition de deux façades différentes (10 rue de la<br />
Cholerie, 1519 [d], [FIG. 2]), le dédoublement d’une façade<br />
(280 et 282 rue de Bourgogne, 1505 [d]), ou encore une<br />
façade unique (64 et 66 rue de la Charpenterie, 1466 [d]<br />
ou plus somptueusement le 11 rue du Tabour [FIG. 3]).<br />
Ce jeu d’association, somme toute varié, repose sur des<br />
regroupements et des divisions de parcelles.<br />
Sur l’ensemble de la ville, cette pratique est observée 21<br />
fois (5) : 17 fois pour du bâti en pan-de-bois et 4 fois pour<br />
du bâti en pierre. Un seul hôtel particulier, aux 32 et 34 rue<br />
des Charretiers (autour de 1520), semble être concerné.<br />
On remarquera, également, la récurrence d’une typologie<br />
de façade à pan-de-bois à croix de Saint-André dans les<br />
actuels quartiers de la Charpenterie et Dessaux : façade<br />
étroite à un étage, pourvue d’une croisée et d’une lucarne<br />
(62 à 66 rue de la Charpenterie, 1466 [d] ; 8 et 10 rue de<br />
la Poterne, 1487 (FIG. 4) ou encore 2 et 2 bis rue des Sept-<br />
Dormants, fin du 15 e siècle-début du 16 e siècle ?). Pour<br />
chacun des deux premiers exemples, les trois parcelles<br />
concernées correspondent à un petit lotissement associant<br />
une double parcelle et une simple.<br />
Le type de module se retrouve également dans les quartiers<br />
de la nouvelle enceinte mais réalisé principalement à partir<br />
d’une charpente à grille : 15 rue d’Angleterre, 29 et 29 bis<br />
rue Croix-de-Bois ou encore 9 rue Stanislas-Julien.<br />
(3) Les 3 rue du Poirier 1267 [d], 12 rue des Trois-Maries 1290 [d] et 7 rue Saint-Éloi 1265 [d] correspondent<br />
à des hôtels particuliers ou à des grandes demeures dont les programmes primitifs ont<br />
été depuis modifi és en profondeur à la fi n du Moyen Âge et au cours de la Renaissance.<br />
(4) En rajoutant, l’hôtel Hector de Sanxerre (1540-1544 [d]) et la maison de la Coquille (1540-<br />
1545 [d])...<br />
(5) Chaque paire est comptabilisée comme une façade.<br />
159
160 <strong>EMPREINTE</strong> <strong>URBAINE</strong> - Les nouveaux espaces urbains<br />
3<br />
FIG. 2<br />
10 rue de la Cholerie (1519 [d])<br />
(photo Laurent Mazuy)<br />
FIG. 3<br />
11 rue du Tabour (1526)<br />
(photo Laurent Mazuy)<br />
2
La distribution type du bâti dans les parcelles laniérées n’a<br />
pas changé depuis le Moyen Âge : un bâtiment sur rue, suivi<br />
d’une petite arrière-cour (puits de lumière) et enfin d’un<br />
bâtiment plus modeste lorsque la profondeur le permet.<br />
La répartition des pièces et des usages reste également<br />
inchangée. Les caves (entre un et deux niveaux, plus rarement<br />
trois, dans ce cas il s’agit de carrières de calcaire réaménagées)<br />
sont réservées au stockage et au travail notamment le premier<br />
niveau qui peut être pourvu d’un puits.<br />
Un long couloir latéral permet la traversée du bâtiment<br />
sur rue. Il donne accès à l’arrière–cour et à un escalier en<br />
colimaçon intégré dans le corps de bâtiment ou en saillie<br />
de ce dernier. Cet escalier communique avec la cave, les<br />
étages et le bâtiment d’arrière-cour par une galerie.<br />
Chaque étage du bâtiment principal est pourvu de deux<br />
pièces l’une côté cour, l’autre côté rue. Ces deux salles sont<br />
indépendantes et desservies par un couloir (situé au-dessus<br />
du précédent). Les combles peuvent être utilisés pour<br />
l’habitat ou comme greniers.<br />
La Renaissance enrichit ce plan d’une nouvelle pièce : le<br />
cabinet. Espace de rangement et coffre-fort de la maison, il<br />
est situé aux étages dans le prolongement du couloir et au<br />
gabarit de ce dernier. On y accède via la pièce sur rue. Il est<br />
éclairé par une petite fenêtre sécurisée par des barreaux.<br />
Les niveaux du bâtiment principal (rez-de-chaussée et<br />
étage) sont généralement aménagés à la manière d’un<br />
plateau technique : plafond à la française en continu et<br />
carreaux de terre cuite ou plancher en bois au sol (pour les<br />
étages). Chaque plateau peut être équipé de cheminées :<br />
deux, placées sur le mur mitoyen en regard du couloir. Des<br />
cloisons assurent la division de la surface.<br />
Les autres natures de parcelles, aux espaces moins<br />
contraints peuvent proposer d’autres distributions et<br />
des aménagements intérieurs plus souples. Les grandes<br />
maisons ou les hôtels particuliers offrent de ce point de vue<br />
des facilités. On trouve, par exemple, dans les cours des<br />
galeries à arcades (11 rue du Tabour, 1530-1540).<br />
L’architecture en pierre<br />
L’architecture en pierre, moellon enduit (VOIR P. X FIG. X) ou<br />
parement, correspond à des maisons de commerçants ou<br />
d’artisans mais également à des maisons de ville et à des<br />
hôtels particuliers.<br />
Les parements généralement en moyen appareil sont<br />
constitués de plusieurs natures de pierres (6) . Leur<br />
répartition varie en fonction des niveaux et des usages :<br />
FIG. 4<br />
8 et 10 rue de la Poterne (1487 [d])<br />
(photo Laurent Mazuy)<br />
calcaire de Beauce gris (pierre dure) pour les rez-de-chaussée,<br />
tuffeau blanc (pierre très tendre) ou calcaire d’Apremont<br />
doré (pierre tendre) pour les étages. Ce dernier est souvent<br />
associé aux baies (croisées, demi-croisées, fenêtres de<br />
cabinet (7) ) et aux décors sculptés qu’il reçoit : larmiers et<br />
culots, pilastres et appuis…<br />
Les rez-de-chaussée sont réservés en général aux activités<br />
commerçantes et artisanales (boutiques ou ateliers) ou<br />
comme lieux de stockage (entrepôts de négociants).<br />
En façade, les programmes architecturaux épousent les<br />
fonctions. Une porte piétonne ouvrant sur les espaces à<br />
vivre est associée soit à une devanture (surmontée d’une<br />
imposte et pourvue d’une porte) placée en feuillure sous<br />
un linteau de bois (8) ou sous une arcade (9) , soit à un simple<br />
mur percé de fenêtres hautes (10) .<br />
Pour les hôtels particuliers, l’accès à l’habitation se fait via<br />
une cour communiquant avec la rue par un portail. Les<br />
caves sont, en général, accessibles par une porte piétonne<br />
indépendante et donnant sur l’espace public.<br />
(6) L’utilisation uniforme du calcaire de Beauce semble récurrente avant la guerre de Cent Ans (ALIX<br />
2007).<br />
(7) On observe sur certains chambranles extérieurs la présence d’un badigeon ocre (34 rue de la<br />
Charpenterie, 1519 [d] ; Musée historique et archéologique de l’Orléanais, rue Charles Sanglier,<br />
façade centrale, à partir de 1530-1540). Cette couleur est également attestée en intérieur (34<br />
rue de la Charpenterie, 1519 [d] ; maison de la Coquille, 7 rue de la Pierre-Percèe, 1540-1545 [d]).<br />
L’application de cette couleur reste à dater.<br />
(8) Des rez-de-chaussée peuvent être, en effet, traités en pan-de-bois : 37 rue de l’Empereur (reprise<br />
en sous-œuvre, autour de 1520 [d]), 36 rue du Poirier (début du 16 e siècle)...<br />
(9) Ces grandes ouvertures sur rue peuvent être également fermées par un simple portail facilitant<br />
l’entrée et le stockage (écurie ?). Les transactions se déroulent, alors, probablement à l’étage,<br />
espace généralement réservé à l’habitat.<br />
(10) Le placement de ces fenêtres optimise l’entrée de la lumière (au plus profond de la salle) et libère<br />
l’usage de la face interne du mur (1 rue de la Tour, début du 16 e siècle, ou 5 rue des Bouchers, 1520-<br />
1530). Ces baies sont sécurisées par des barreaux.<br />
161
162 <strong>EMPREINTE</strong> <strong>URBAINE</strong> - Les nouveaux espaces urbains<br />
L’architecture en bois<br />
L’architecture en pan-de-bois a pour particularité l’absence<br />
d’encorbellement et de pignon. Il s’agit, sauf pour les<br />
constructions situées aux intersections des rues, de façadesécrans<br />
placées entre deux murs mitoyens en pierre. Ces<br />
caractères ont pour objet de ralentir la propagation<br />
d’éventuels incendies.<br />
Une seule essence d’arbres (pans-de-bois, plafonds et<br />
charpentes de toit) est attestée à Orléans pour cette<br />
période : le chêne.<br />
Deux typologies ont été identifiées (11) : la charpente à grille<br />
appelée également « pan-de-bois du pauvre » (12) (FIG. 5) et<br />
celle à panneautages à croix de Saint-André. La première se<br />
retrouve principalement dans les anciens faubourgs et les<br />
quartiers annexés par la dernière enceinte. La seconde, plus<br />
noble et parfois associée à des sculptures, se concentre pour<br />
l’essentiel à l’intérieur de l’enceinte du 14 e siècle et sur les<br />
voies de communication principales.<br />
Les remplissages sont en moellons de calcaire enduits<br />
(notamment dans les faubourgs) et en briques jointoyées<br />
savamment. Les bois sont laissés au naturel.<br />
Les charpentes à pan-de-bois se développent sur l’ensemble<br />
des niveaux en élévation : rez-de-chaussée, étage, surcroît et<br />
lucarne. Le 11 rue de Vaudour (1507 [d]) est un des rares<br />
exemples de l’époque où le premier niveau est traité en<br />
moellons de calcaire enduits. Cette maçonnerie est percée<br />
de fenêtres hautes et de deux portes (FIG. 6).<br />
Comme pour l’architecture de pierre, le rez-de-chaussée sur<br />
rue est réservé aux fonctions commerçantes et artisanales<br />
(devanture en feuillure…) et au stockage.<br />
Les études récentes, menées dans le cadre de la politique<br />
de ravalement des façades du centre historique, montrent<br />
l’existence de deux types de croisées. Le premier est divisé<br />
par un meneau porteur associé à deux traverses. Le second<br />
présente une traverse en continue fixée par embrèvement<br />
aux poteaux. Le meneau inférieur, libéré de sa fonction<br />
porteuse, est alors plus maigre et la coupure entre les deux<br />
ouvrants moins présente. Lorsque poteaux et traverses<br />
portent des accolades, ce qui semble être récurrent dans ce<br />
cas, cet effet est naturellement renforcé, la baie tend vers<br />
l’idée d’un programme de menuiserie globale (13) .<br />
Les ouvrants (volets ou châssis à panneaux de vitrail)<br />
semblent dépourvus de dormants et s’emboîtent directement<br />
dans les feuillures.<br />
On notera également pour les baies la présence de petites<br />
fenêtres hautes. Ces dernières sont soit adossées aux<br />
croisées et demi-croisées soit alignées en claire-voie dans<br />
FIG. 5<br />
9 rue Stanilas-Julien (début du 16 e siècle)<br />
(photo Laurent Mazuy)<br />
le prolongement des impostes des grandes baies. Ces<br />
ouvertures sont généralement occultées par des panneaux<br />
de vitrail fixes tenus par des pattes et rendus étanche par<br />
des papiers collés sur la feuillure.<br />
Les petites fenêtres hautes en continu sont naturellement<br />
propres à l’architecture à pan-de-bois et aux possibilités<br />
qu’offre la logique de l’ossature.<br />
Les percements qui éclairent les combles (réserves) sont<br />
multiples : lucarne à meneau simple (14) , croisée pourvue de<br />
poulie ou lucarne-pignon (11 rue Vaudour, 1507 [d] et 6 bis<br />
rue Jeanne-d’Arc en arrière-cour, début du 16 e siècle) (15) .<br />
Ce type d’ouvrage a pour particularité de donner, de la<br />
rue, l’illusion des anciennes toitures à pignon sur rue. Une<br />
(8) Des rez-de-chaussée peuvent être, en effet, traités en pan-de-bois : 37 rue de l’Empereur (reprise<br />
en sous-œuvre, autour de 1520 [d]), 36 rue du Poirier (début du 16 e siècle)...<br />
(9) Ces grandes ouvertures sur rue peuvent être également fermées par un simple portail facilitant<br />
l’entrée et le stockage (écurie ?). Les transactions se déroulent, alors, probablement à l’étage,<br />
espace généralement réservé à l’habitat.<br />
(10) Le placement de ces fenêtres optimise l’entrée de la lumière (au plus profond de la salle) et libère<br />
l’usage de la face interne du mur (1 rue de la Tour, début du 16 e siècle, ou 5 rue des Bouchers, 1520-<br />
1530). Ces baies sont sécurisées par des barreaux.<br />
(11) MAZUY, ALIX, AUBANTON 2006.<br />
(12) Cette typologie ne semble pas associée à des programmes décoratifs sculptés. Un seul exemple<br />
comportant des pinacles et des accolades (autour de la croisée) est avéré : 9 rue Stanislas-<br />
Julien.<br />
(13) Au cours de la seconde Renaissance, les meneaux traversants se généralisent. La fenêtre prend,<br />
alors, toute la hauteur de la baie et les traverses deviennent des traverses de menuiserie (intégrées<br />
aux dormants).<br />
(14) Ces derniers peuvent êtres fi xés par des mortaises ménagées dans les linteaux de bois et par des<br />
fers au niveau des appuis. Ce dispositif permet, si besoin est, de retirer le meneau pour faciliter le<br />
passage des gros volumes.<br />
(15) De petites lucarnes de second rang en bois sont également attestées.
façade en pierre (fin du 15 e siècle-début du 16 e siècle),<br />
située initialement dans le quartier du Châtelet et déplacée<br />
au 19 e siècle au 261 rue de Bourgogne, est pourvue d’un<br />
tel dispositif.<br />
L’architecture en brique<br />
L’architecture en brique est plus rare (deux exemples<br />
attestés). Il s’agit à chaque fois de demeures opulentes<br />
édifiées en dehors du cœur de ville sur de vastes terrains.<br />
L’hôtel Brachet (première décennie du 16 e siècle) est situé<br />
le long de l’ancien faubourg en direction de Chartres et<br />
Paris (24 à 28 rue de Bretonnerie) et la maison du roi<br />
Louis XI (1480 [d]) dans l’enclos canonial du monastère<br />
Saint-Aignan (10 rue du Cloître-Saint-Aignan).<br />
Pourvu d’une cour d’honneur et d’un jardin, chaque<br />
édifice constitué d’un étage, est percé par des croisées et<br />
des demi-croisées, mises en travées et réparties sur toute la<br />
largeur du bâti. Les entourages, meneaux et traverses des<br />
baies sont en pierre à grain fin. L’hôtel Brachet est flanqué<br />
d’élégantes tourelles d’escaliers rectangulaires. Les combles<br />
de la Maison du roi sont éclairés par des lucarnes en pierre<br />
et brique ornées de fleurs de choux.<br />
Analyse cartographique<br />
de l’inventaire<br />
La répartition par nombre d’étages<br />
À Orléans, aucune construction ne comportant qu’un<br />
rez-de-chaussée n’a été observée. Les façades (FIG. 7) ont<br />
d’un à deux étages (respectivement 98 et 59 cas) et très<br />
rarement trois (4 cas). Leur recensement nous renseigne<br />
sur la densité de l’occupation et la richesse des quartiers.<br />
Il permet de mieux délimiter des secteurs d’activités et les<br />
axes principaux.<br />
Le bâti à R+1 (rez-de-chaussée avec 1 étage) est réparti sur<br />
l’ensemble de l’espace urbain et notamment à l’ouest, au<br />
nord et à l’est dans les nouveaux espaces annexés par les<br />
enceintes postérieures au siège, mais également à l’est de la<br />
rue de la Poterne dans le quartier de la cathédrale (enceinte<br />
religieuse) et de l’université ainsi que le long de la Loire<br />
dans les secteurs portuaires.<br />
Les R+2 se rencontrent principalement au nord du<br />
débouché du pont, au sommet et sur la pente du coteau<br />
(de la rue de l’Empereur à l’est à la rue Notre-Dame-de-<br />
FIG. 6<br />
11 rue Vaudour (1507 [d])<br />
(photo Laurent Mazuy)<br />
Recouvrance à l’ouest (16) ). Ce secteur correspond depuis<br />
le Moyen Âge au poumon commerçant de la ville et au<br />
quartier des marchés : place du Vieux-Marché, de la Porte<br />
Renard, du Martroi, de l’Étape ou encore des 4 Coins et<br />
du Châtelet.<br />
Les façades à deux étages se retrouvent le long des grands<br />
axes et à proximité de certaines intersections : sur les anciens<br />
faubourgs (rues des Carmes, Bannier et de la Bretonnerie),<br />
sur des axes traversants (rues de Bourgogne, de la Poterne<br />
et des Charretiers).<br />
Les R+3 sont concentrés au sommet du coteau et au cœur<br />
du quartier noble : rues du Poirier, des Trois-Maries et des<br />
Trois-Clefs.<br />
(16) Ce secteur est malheureusement peu lisible notamment au nord et à l’ouest car il a été réaménagé<br />
lors du percement de la rue Jeanne-d’Arc et de la reconstruction liée à la dernière guerre mondiale.<br />
163
164 <strong>EMPREINTE</strong> <strong>URBAINE</strong> - Les nouveaux espaces urbains<br />
FIG. 7<br />
Orléans, carte du bâti antérieur<br />
à 1540<br />
répartition du nombre d’étages<br />
(S.A.M.O. : conception et inventaire Laurent Mazuy –<br />
DAO Sébastien Pons)<br />
r. Croix-de-Bois<br />
r. de la Lionne<br />
r. des Carmes<br />
Rues actuelles<br />
Places actuelles<br />
Secteurs détruits aux 18 e , 19 e et 20 e siècles<br />
r. des Charretiers<br />
r. des Grands-Champs<br />
r. A. Bailly<br />
r. N-D-de-Recouvrance<br />
r. Bannier<br />
r. du Colombier<br />
r. d’Illiers<br />
Place<br />
de Gaulle<br />
1<br />
2<br />
3<br />
4<br />
r. Royale<br />
r. de la République<br />
Place du Martroi<br />
4<br />
Halles<br />
Châtelet<br />
3<br />
2<br />
1<br />
r. des Huguenots<br />
r. de la Bretonnerie<br />
r. J. D’Arc<br />
Rempart du 4 e siècle après J.-C.<br />
Rempart du 14 e siècle<br />
Rempart (1466-1480)<br />
Rempart (1480-1556)<br />
r. E. Dolet<br />
r. de Bourgogne r. de l’Université<br />
r. de l’Empereur<br />
r. du Poirier<br />
r. de la Charpenterie<br />
Place<br />
de Loire<br />
Places médiévales<br />
Pont médiéval<br />
Châtelet<br />
Prison<br />
Prévôté<br />
Maison de ville (hôtel des Créneaux)<br />
r. des Bouchers<br />
r. de Bourgogne<br />
r. de la Tour Neuve<br />
r. St-Euverte<br />
r. de Bourgogne<br />
Place<br />
Saint-Aignan<br />
Façades sur rue à un étage<br />
Façades sur cour à un étage<br />
Façades sur rue à un étage (double parcelle)<br />
Façades sur rue à deux étages<br />
Façades sur cour à deux étages<br />
Façade sur rue à deux étages (double parcelle)<br />
Façades sur rue à trois étages<br />
Façades sur cour à trois étages
FIG. 8<br />
Orléans, carte du bâti<br />
antérieur à 1540<br />
répartition des matériaux<br />
(S.A.M.O. : conception et inventaire Laurent<br />
Mazuy – DAO Sébastien Pons)<br />
r. Croix-de-Bois<br />
r. de la Lionne<br />
r. des Carmes<br />
Rues actuelles<br />
Places actuelles<br />
Secteurs détruits aux 18 e , 19 e et 20 e siècles<br />
r. des Charretiers<br />
r. des Grands-Champs<br />
r. A. Bailly<br />
r. N-D-de-Recouvrance<br />
r. Bannier<br />
r. du Colombier<br />
r. d’Illiers<br />
Place<br />
de Gaulle<br />
1<br />
2<br />
3<br />
4<br />
r. Royale<br />
r. de la République<br />
Place du Martroi<br />
4<br />
Halles<br />
Châtelet<br />
3<br />
2<br />
1<br />
r. des Huguenots<br />
r. de la Bretonnerie<br />
Rempart du 4 e siècle après J.-C.<br />
Rempart du 14 e siècle<br />
Rempart (1466-1480)<br />
Rempart (1480-1556)<br />
r. J. D’Arc<br />
r. E. Dolet<br />
r. de Bourgogne r. de l’Université<br />
r. de l’Empereur<br />
r. du Poirier<br />
Places médiévales<br />
Pont médiéval<br />
Châtelet<br />
Prison<br />
Prévôté<br />
Maison de ville (hôtel des Créneaux)<br />
r. de la Charpenterie<br />
Place<br />
de Loire<br />
r. des Bouchers<br />
r. de Bourgogne<br />
r. de la Tour Neuve<br />
r. St-Euverte<br />
r. de Bourgogne<br />
Place<br />
Saint-Aignan<br />
Façades sur rue en pan-de-bois<br />
Façades sur cour en pan-de-bois<br />
Façades sur rue en pan-de-bois (double parcelle)<br />
Façades sur rue en pierre<br />
Façades sur cour en pierre<br />
Façades sur rue en pierre (double parcelle)<br />
Façades sur cour en brique et en pierre<br />
165
166 <strong>EMPREINTE</strong> <strong>URBAINE</strong> - Les nouveaux espaces urbains<br />
FIG. 9<br />
Orléans, carte du bâti<br />
antérieur à 1540 : répartition<br />
des hôtels particuliers<br />
(S.A.M.O. : conception et inventaire Laurent Mazuy –<br />
DAO Sébastien Pons)<br />
r. Croix-de-Bois<br />
r. de la Lionne<br />
r. des Carmes<br />
Rues actuelles<br />
Places actuelles<br />
Secteurs détruits aux 18 e , 19 e et 20 e siècles<br />
r. des Charretiers<br />
r. des Grands-Champs<br />
r. A. Bailly<br />
r. N-D-de-Recouvrance<br />
r. Bannier<br />
r. du Colombier<br />
r. d’Illiers<br />
Place<br />
de Gaulle<br />
1<br />
2<br />
3<br />
4<br />
r. Royale<br />
r. de la République<br />
Place du Martroi<br />
4<br />
Halles<br />
Châtelet<br />
3<br />
2<br />
1<br />
r. des Huguenots<br />
r. de la Bretonnerie<br />
Rempart du 4 e siècle après J.-C.<br />
Rempart du 14 e siècle<br />
Rempart (1466-1480)<br />
Rempart (1480-1556)<br />
r. J. D’Arc<br />
r. E. Dolet<br />
r. de Bourgogne r. de l’Université<br />
r. de l’Empereur<br />
r. du Poirier<br />
Places médiévales<br />
Pont médiéval<br />
Châtelet<br />
Prison<br />
Prévôté<br />
Maison de ville (hôtel des Créneaux)<br />
r. de la Charpenterie<br />
Place<br />
de Loire<br />
r. des Bouchers<br />
r. de Bourgogne<br />
r. de la Tour Neuve<br />
r. St-Euverte<br />
r. de Bourgogne<br />
Place<br />
Saint-Aignan<br />
Hôtels particuliers sur rue à un étage<br />
Hôtels particuliers sur cour à un<br />
Hôtels particuliers sur rue à deux étages<br />
Hôtels particuliers sur cour à deux étages<br />
Hôtels particuliers sur rue à trois étages<br />
Hôtels particuliers sur cour à trois étages
La répartition par matériau<br />
L’interprétation d’un tel inventaire est des plus délicates.<br />
Les façades en pierre et en pan-de-bois (comme nous<br />
l’avons vu plus haut la brique est bien rare) sont distribuées,<br />
en effet, sans faire apparaître au premier coup d’œil des<br />
secteurs privilégiés (FIG. 8).<br />
À l’ouest, on remarquera cependant dans la dernière<br />
enceinte la quasi-absence au nord (sur le coteau, entre<br />
la rue des Carmes et de la Bretonnerie) du pan-de-bois<br />
alors qu’au sud cette architecture est représentée de façon<br />
significative. Rues des Charretiers et Croix-de-Bois, les<br />
constructions en pierre correspondent principalement à<br />
des hôtels particuliers (souvent à deux étages).<br />
Au cœur de ville, cette répartition, bien que moins flagrante,<br />
semble également exister. Le nombre de constructions à<br />
pan-de-bois diminue lorsque l’on prend pied au sommet du<br />
coteau.<br />
Enfin, en bord de Loire (dans les secteurs portuaires), les<br />
constructions présentes privilégient la pierre. Son emploi<br />
est, peut-être dicté par les inondations qui frappent périodiquement<br />
cette partie de la ville.<br />
Le choix du matériau résulte donc des contraintes topo graphiques<br />
et des activités qui conditionnent la capacité financière<br />
et la volonté de représentation du commanditaire.<br />
L’architecture de bois, simple, voire vulgaire au sens<br />
propre du mot (pan-de-bois à grille) ou sophistiquée et<br />
décorative (pan-de-bois à croix de Saint-André) semble<br />
avoir respectivement les faveurs des quartiers modestes<br />
(petits artisans, ouvriers…) et des secteurs et des axes aux<br />
forts potentiels commerciaux.<br />
La pierre, plus sobre et massive, partage avec le bois cette<br />
dernière implantation mais se retrouve également en<br />
retrait des rues commerçantes dans les nouveaux quartiers<br />
ou sur des terrains susceptibles de développer de vastes<br />
programmes architecturaux comme des hôtels particuliers.<br />
La répartition des hôtels particuliers<br />
Les 24 hôtels particuliers recensés sont de différentes<br />
natures (FIG. 9). Ils sont construits généralement en pierre et<br />
exceptionnellement en brique (deux exemples : les 24, 26<br />
et 28 rue de la Bretonnerie, première décennie du 16 e siècle<br />
et le 10 rue du Cloître-Saint-Aignan, la maison du roi<br />
Louis XI, 1480 [d]) (17) ou en pan-de-bois (un seul exemple :<br />
37 rue des Charretiers, première moitié du 16 e siècle) sur<br />
des parcelles moyennes ou grandes.<br />
Le corps de bâtiment principal est constitué d’un à trois étages<br />
(le premier étage est en général plus haut sous-plafond). On<br />
observera dans certains cas la présence d’un rez-de-chaussée<br />
semi-enterré comme aux 7 rue Saint-Éloi (1265 [d]), au<br />
42 rue des Charretiers (milieu du 15 e siècle) ou encore au<br />
28 rue de l’Empereur (fin du 15 e -début du 16 e siècle).<br />
Les hôtels particuliers, demeures des nobles et des grands<br />
négociants, sont attestés sur le coteau et dans l’ouest de<br />
la ville remparée. Les pentes et les berges sont occupées<br />
principalement par des maisons de commerçants et<br />
d’artisans.<br />
Le renouvellement urbain opéré depuis la Renaissance<br />
et les destructions de l’époque contemporaine (quartier<br />
Saint-Paul) ne permettent pas de restituer la densité et la<br />
continuité de cette typologie dans et entre les différents<br />
secteurs où elle est observée. Sa présence significative le long<br />
de la rue des Charretiers (entre la rue des Carmes et le port<br />
d’aval [FIG. 10]), à proximité de la place du Martroi (18) et au<br />
nord du quartier du Châtelet atteste le caractère privilégié<br />
de cette partie de la ville voisine des centres économiques,<br />
politiques, spirituels et intellectuels. !<br />
(17) JOUVELLIER 1959.<br />
FIG. 10<br />
32 et 34 rue des<br />
Charretiers (début du<br />
16 e siècle)<br />
(photo Laurent Mazuy)<br />
(18) Après la construction de la dernière enceinte, la place du Martroi devient centrale et un des espaces<br />
où convergent les grands axes de communication de la cité.<br />
167
168 <strong>EMPREINTE</strong> <strong>URBAINE</strong> - Les nouveaux espaces urbains<br />
Une ville renouvelée<br />
A VILLE POURSUIT SON EXTENSION EN DIRECTION DE L’OUEST ET DU NORD-OUEST. UN NOUVEAU<br />
rempart est érigé offrant de nouveaux espaces à l’architecture. La distribution urbaine s’appuie<br />
sur une permanence des usages des quartiers médiévaux.<br />
À la fin du 15 e et au début du 16 e siècle, la ville est un<br />
vaste chantier. Les deux dernières enceintes, celle à l’est<br />
dite de Louis XI (seconde moitié du 15 e siècle) et celle à<br />
l’ouest et au nord construite à la fin du 15 e siècle et durant<br />
la première moitié du 16 e , autorisent une reconquête plus<br />
dynamique et ambitieuse des espaces et du bâti détruits lors<br />
des préparatifs du siège anglais de 1428-1429. Les anciens<br />
faubourgs deviennent des voies de communication internes<br />
importantes et la place du Martroi est investie d’un rôle<br />
central et pivot entre la ville médiévale et la « ville nouvelle »<br />
(FIG. 1). D’autres axes structurants semblent émerger en<br />
complément du maillage médiéval : les rues Notre-Damede-Recouvrance,<br />
des Charretiers et des Grands-Champs<br />
(axes nord-sud) et les rues Croix-de-Bois, d’Illiers et de la<br />
Lionne (axes est-ouest).<br />
Si les terrains contenus entre les rues Bannier et des Carmes<br />
(nord-ouest) font l’objet d’un plan d’urbanisme, les secteurs<br />
entre les rues Bannier et de la Bretonnerie (au nord) et<br />
au sud de la rue des Carmes présentent en revanche un<br />
développement plus spontané. Enfin, les terrains devant<br />
l’ancienne enceinte sont construits et des rues sont percées.<br />
Les quartiers en cœur de ville ne sont pas en reste. On<br />
observe, pour exemple, aux 33, 35 rue de l’Empereur une<br />
reprise homogène d’une partie d’un tronçon de rue et<br />
ceci sur un temps très court (cinq façades entre 1483 [d]<br />
et 1493 [d]). Ce front bâti présente au sud deux doubles<br />
parcelles construites à environ trois ou quatre ans d’intervalle<br />
(1493 [d] pour la plus au sud et 1490 pour la seconde). La<br />
proximité de mise en œuvre relève peut-être d’un projet<br />
de lotissement. D’autres chantiers notamment le 280 et<br />
282 rue Bourgogne (double parcelle) attestent l’utilisation<br />
de plusieurs lots de bois datés de l’automne 1501 [d] à<br />
l’hiver 1505 [d] et donc l’existence d’un stockage, voire<br />
d’une gestion prévisionnelle de la matière première.<br />
L’analyse des façades témoigne d’une architecture<br />
renouvelée, à la fois riche et standardisée, répartie sur<br />
l’ensemble du territoire de la ville en fonction des activités<br />
et de la topographie historique issue principalement du<br />
Moyen Âge. On remarquera que cette dernière (fonction<br />
économique, politique, religieuse et universitaire) reste<br />
stable et connaît même un renforcement.<br />
Le choix d’une architecture en pan-de-bois ou en pierre<br />
semble résulter du croisement entre les possibilités<br />
techniques et formelles qu’offre le matériau, les coûts<br />
de réalisation et la dimension ostentatoire voulue par le<br />
commanditaire mais également du secteur urbain qui<br />
l’accueille : nature et activité.<br />
Le pan-de-bois se retrouve dans les quartiers modestes ou<br />
fortunés associé à des usages commerciaux et artisanaux.<br />
Laurent Mazuy,<br />
Médiateur du patrimoine<br />
(Orléans)
FIG. 1<br />
Plan d’Orléans, 1575<br />
LE VRAY PORTRAICT DE LA VILLE D’ORLEANS<br />
Raymond Rancurel – Gravure aquarellé<br />
(Musée historique et archéologique de l’Orléanais)<br />
La pierre semble avoir pour partie la faveur des négociants<br />
et de l’aristocratie, excepté au pied du coteau dans les<br />
secteurs portuaires pour des raisons probablement liées aux<br />
inondations et à la nature des activités.<br />
Les hôtels particuliers se concentrent au pourtour de l’ancien<br />
rempart du 14 e siècle de la rue Croix-de-bois à la rue de la<br />
Bretonnerie et à l’intérieur de celui-ci, au sommet du coteau.<br />
Les datations notamment par analyse dendrochronologique<br />
montrent un renouveau l’architecture à pan-de-bois opéré<br />
principalement dans le dernier tiers du 15 e et dans le<br />
premier tiers du 16 e siècle et une montée en puissance de<br />
la construction en pierre autour et à partir de 1500. Ce<br />
croisement semble être confirmé par une analyse du bâti<br />
de la seconde Renaissance avec la relative rareté du bois et<br />
la généralisation de la pierre.<br />
169
170 <strong>EMPREINTE</strong> <strong>URBAINE</strong> - Les nouveaux espaces urbains<br />
FIG. 2<br />
32 rue Sainte-Catherine<br />
façade de l’hôtel des<br />
Créneaux (achevée en<br />
1513), maison de Ville<br />
(photo Laurent Mazuy)<br />
FIG. 2<br />
32 rue Sainte-Catherine<br />
façade de l’hôtel des<br />
Créneaux (achevée en<br />
1513), maison de Ville<br />
(photo Laurent Mazuy)<br />
FIG. 2<br />
32 rue Sainte-<br />
Catherine<br />
façade de l’hôtel des<br />
Créneaux (achevée en<br />
1513), maison de Ville<br />
(photo Laurent Mazuy)
La ville poursuit (depuis l’Antiquité) son développement<br />
sur la rive droite à la parallèle de la Loire et en direction<br />
de l’ouest et du nord (vers les villes de Tours, Chartres<br />
et Paris). Les secteurs situés au pied du coteau réservés<br />
aux activités portuaires et aux métiers gourmands en eau<br />
(tanneurs, bouchers…) se densifient. Au pied du dernier<br />
rempart, le port d’aval est étendu.<br />
Les fonctions et les activités des anciens quartiers médiévaux<br />
restent inchangées. L’actuel secteur du Châtelet situé au<br />
débouché du pont médiéval demeure le lieu du pouvoir<br />
laïque : château, prison, prévôté et bientôt maison de ville<br />
(le beffroi, 1445-1448 et l’hôtel des Créneaux, façade<br />
sur rue achevée en 1513, FIG. 2). Les secteurs à l’est de la<br />
ville confirment leur vocation spirituelle et universitaire :<br />
reconstruction des monastères Saint-Aignan et Saint-<br />
Euverte, extension (au nord) du quartier religieux autour<br />
de la cathédrale Sainte-Croix (reconstruction de Saint-<br />
Michel-de-l’Étape et de l’hôpital, édification des arcades du<br />
Grand Cimetière…) et enfin la construction des Grandes-<br />
Écoles (1498-1507).<br />
Le renouveau de la ville est conséquent et général. Il est<br />
rendu possible par les conditions économiques et politiques<br />
générales dynamiques et également par la position<br />
géographique de la ville : nœud routier au croisement de<br />
territoires et point de rencontre entre le transport terrestre<br />
et fluvial des biens et des personnes. L’avènement du duc<br />
d’Orléans sur le trône de France, sous le nom de Louis XII<br />
(1498-1515), n’est probablement pas sans effet sur<br />
l’épanouissement de la cité.<br />
La seconde Renaissance viendra poursuivre et couronner<br />
ce mouvement de renouveau pour glisser jusqu’au règne<br />
d’Henri IV. De cette période émerge, entre autres, deux<br />
bâtiments emblématiques de la deuxième moitié du<br />
16 e siècle : la maison dite de Du Cerceau (1560-1570 ?) et<br />
le pavillon Colas-des-Francs (vers 1570) (1) .<br />
La façade de la maison de Du Cerceau, à trois étages,<br />
n’est plus qu’un quadrillage de larges entablements et de<br />
pilastres absorbant les fenêtres à la manière d’une façade<br />
rideau (VOIR P. FIG. X). Les ordres (dorique, ionique, corinthien<br />
et composite) sont superposés conformément aux canons<br />
(1) Datation de Peter Fuhring dans le cadre d’une visite sur site.<br />
FIG. 3<br />
Jardin Jacques-Boucher, pavillon Colas-des-Francs (vers 1570)<br />
(photo Laurent Mazuy)<br />
171
172 <strong>EMPREINTE</strong> <strong>URBAINE</strong> - Les nouveaux espaces urbains<br />
FIG. 5<br />
Jardin Jacques-Boucher,<br />
pavillon Colas-des-Francs<br />
(vers 1570), vue de la voûte<br />
du rez-de-chaussée<br />
(photo Laurent Mazuy)<br />
antiques. Seuls demeurent comme citation médiévale, aux<br />
sommets des pilastres-meneaux, les blasons sur fond de<br />
cartouches maniéristes.<br />
Quant au pavillon Colas-des-Francs, forme de coffre-fort<br />
placé en excroissance de la maison Jacques Boucher, il est<br />
littéralement traité à la manière d’un temple romain sur<br />
podium (FIG. 3). Le soubassement est réalisé en bossages<br />
et les deux niveaux sont rythmés par la superposition<br />
des ordres ionique et corinthien portant entablement et<br />
corniche. La muralité, contenue entre les pilastres, est<br />
rejetée au second plan. Chaque panneau est percé d’une<br />
petite fenêtre en plein cintre barreaudée et surmontée d’un<br />
cartouche maniériste.<br />
Les voûtes en plein cintre de chaque cabinet sont<br />
semblables et ornées d’un riche et exceptionnel décor<br />
de grotesques. Ce dernier conjugue un cuir en lanière<br />
soutenu par des termes et un réseau de feuilles d’acanthe<br />
surgissant d’oiseaux et d’oves associés à des coquetiers et<br />
à des masques de théâtre antique. La base de ce décor est<br />
rythmée par des représentations d’animaux fantastiques et<br />
de corps féminins hybrides.<br />
Chaque voûte porte un décor interrompu symétrique<br />
dans son axe nord-sud et asymétrique dans son développé.<br />
Au centre de chaque voûte, est placé un blason circulaire<br />
flanqué de deux cartouches. Ce dernier figure au rez-dechaussée<br />
(FIG. 4) un pélican et sa nichée (2) et au premier étage<br />
les armoiries de la famille Colas-des-Francs : « d’or au chêne<br />
de sinople à un sanglier de sable passant et brochant sur le<br />
fût de l’arbre ». !<br />
(2) Le pélican nourrissant ses petits de son sang symbolise l’amour du prochain.
LE BÂTI DOMESTIQUE<br />
ORLÉANAIS AU 16 E SIÈCLE<br />
Les typologies des façades de la fin<br />
du Moyen Âge à la Renaissance<br />
AISONS DE VILLE OU HÔTELS PARTICULIERS, LE BÂTI DOMESTIQUE EN ÉLÉVATION PRÉSENT À ORLÉANS<br />
est pour l’essentiel postérieur à la guerre de Cent Ans (1) (hors des classifications historiques,<br />
la tradition médiévale s’étend jusqu’au règne de Louis XII). Les façades de ces constructions<br />
sont réalisées en bois (2) , en pierre et exceptionnellement en brique. Chaque matériau imprime<br />
un registre esthétique, une présence du plan des façades, par le jeu des pleins et des vides et<br />
le traitement des surfaces.<br />
« L’œil du Moyen Âge est particulièrement attentif à la matérialité et à la<br />
structure des surfaces. Cette structure notamment lui sert à repérer des lieux<br />
et des objets, à distinguer des zones et des plans, à établir des rythmes et des<br />
séquences, à associer, à opposer, à distribuer, à classer, à hiérarchiser » (3)<br />
(1) Les bâtiments sur rue du 3 rue du Poirier (1267 [d]), 7 rue Saint-Éloi (1265 [d]) et 12 rue des Trois-Maries (1290 [d]) présentent des façades<br />
en pierre remaniées. Celle du 264 rue de Bourgogne (autour de 1430 [d]) réalisée en pan-de-bois est en revanche homogène.<br />
(2) MAZUY, ALIX, AUBANTON 2006.<br />
(3) PASTOUREAU 1991 : p. 37.<br />
(PASTOUREAU 1991 : p. 37).<br />
L’homme du Moyen Âge identifie trois types de surfaces : l’uni, le semé et le rayé. D’autres s’inscrivent<br />
comme des variantes des premières : le tacheté pour le semé ou le damier pour le rayé ou hachuré.<br />
2 Empreinte<br />
urbaine<br />
Laurent Mazuy,<br />
Médiateur du patrimoine<br />
(Orléans)<br />
173
174<br />
<strong>EMPREINTE</strong> <strong>URBAINE</strong> - Le bâti domestique orléanais au 16 e siècle<br />
Les façades de la deuxième<br />
moitié du 15 e siècle<br />
et du début du 16 e siècle<br />
Les façades en pans-de-bois<br />
La façade à pan-de-bois dite à croix de Saint-André (4) est<br />
découpée par une ossature de bois laissée au naturel (5) . Cette<br />
ossature dessine deux damiers : le premier est constitué de<br />
rectangles orientés verticalement (poteaux et poutres), le<br />
second de losanges (contreventement en croix de Saint-<br />
André). La surface est, ainsi, compartimentée et habillée<br />
de hachures par la superposition et le croisement des deux<br />
mailles (FIG. 1 ET 2).<br />
Le hourdis, généralement des briques (6) posées à l’horizontale<br />
ou alternant l’horizontale et la verticale soulignées par des<br />
joints saillants à côtes (7) , prolonge pour partie cette idée et<br />
amplifie la richesse et la diversité des textures. L’exemple du<br />
11 rue Vaudour (1507 [d]), une profusion de faux joints,<br />
incisés dans la brique, fragmente le module du parement<br />
jusqu’à inscrire dans le plan la surface de chaque remplissage<br />
à la manière d’un mat d’orfèvrerie (VOIR P. -- --, FIG. 2).<br />
Les fenêtres sont de deux natures : des croisées et leur variante<br />
plus étroite (demi-croisée) et des petites ouvertures haut<br />
placées en série au sommet de chaque étage (les fenêtres de<br />
cabinet enrichiront ce programme au cours du 16 e siècle).<br />
La trame rectangulaire définit la largeur des baies et<br />
conditionne leur répartition sur la largeur de la façade. Les<br />
fenêtres sont indépendantes les unes des autres, associées<br />
voire alignées (VOIR P. --, FIG. 1).<br />
Lorsque leur distribution est symétrique (8) , elle stabilise les<br />
surfaces et équilibre le plan. Dans le cas d’une répartition<br />
asymétrique (9) , l’articulation entre les pleins et les vides<br />
imprime un rythme différent au plan. Peut-on parler, ici,<br />
de surface tachetée (10) ? Les deux programmes s’emboîtent<br />
(FIG. 2).<br />
Les différentes natures de fenêtres et les modifications de<br />
charpente qu’elles induisent structurent et hiérarchisent<br />
les hauteurs en registres : potelets (280 rue de Bourgogne,<br />
1505 [d]), croix de Saint-André de différentes hauteurs<br />
(35 rue de l’Empereur, façade droite, 1483 [d]).<br />
On remarquera que l’occultation des ouvertures (à la fin du<br />
Moyen Âge) est assurée pour les impostes des grandes baies<br />
et pour les petites ouvertures hautes probablement par des<br />
panneaux de vitraux ou d’autres matériaux translucides…<br />
FIG. 1<br />
32 rue de la Charpenterie (1501 [d])<br />
(photo Laurent Mazuy)
FIG. 2<br />
Principes structurants et résumé<br />
typologique<br />
(conception Laurent Mazuy - DAO Sébastien Pons)<br />
Asymétrie avec sculpture :<br />
54 r. de la Charpenterie, autour de 1530 (d)<br />
Asymétrie sans sculpture :<br />
10 r. Vieille-Monnaie, première moitié du 16 e s.<br />
Asymétrie avec sculpture :<br />
32 r. de la Charpenterie, 1501 (d)<br />
(4) Les façades sur rue en pan-de-bois à grille, ossature simple, se rencontrent<br />
principalement dans les anciens faubourgs de la ville et dans les quartiers<br />
annexés par les deux dernières enceintes (3 rue du Bourdon-Blanc,<br />
1509 [d]). Ce type de charpente est également utilisé pour les cloisonnements<br />
intérieurs, les murs gouttereaux ou les façades sur cour.<br />
(5) La couleur la plus ancienne attestée sur un pan-de-bois orléanais est le rouge<br />
(258 rue de Bourgogne). Cette couleur semble contemporaine des modifi cations<br />
de fenêtres (ordonnancement et mise en travée) réalisées au milieu<br />
du 17 e siècle. Le choix de la couleur est-il lié à la nature du hourdi (briques) et<br />
à la volonté de tendre vers l’applat et l’uni ? Au 10 rue de la Cholerie ou encore<br />
au 54 rue de la Charpenterie, le rouge appliqué sur la charpente est aussi<br />
passé sur les remplissages de briques. Au 18 e siècle, d’autres couleurs (des<br />
rouges, des jaunes, des tons chairs ou bruns) font leur apparition associées<br />
à la reprise des remplissages en moellons enduits. La volonté chromatique<br />
et l’affi rmation de la charpente comme un élément graphique sont, ici, une<br />
des caractéristiques du siècle et du style rococo orléanais.<br />
(6) Les remplissages en pierre recouverts d’un enduit renforcent la lecture de la<br />
charpente et le caractère hachuré de la surface. Si leur utilisation est attestée<br />
en façade : les 280/282 (façade double) rue de Bourgogne (1505 [d]), les 33<br />
(façade droite et gauche) et 35 (façade droite) rue de l’Empereur (1493 [d]<br />
et 1490 [d] et 1483 [d]), le 64/66 rue de la Charpenterie (1466[d]), le 9 rue<br />
de la Pierre-Percée (1492 [d]), 32 rue du Poirier (1524 [d]) et les 8 et 10<br />
Trame théorique<br />
Symétrie avec sculpture :<br />
280 r. de Bourgogne, 1505 (d)<br />
Symétrie sans sculpture ?<br />
Symétrie avec sculpture :<br />
35 r. de l’Empereur, 1483 (d)<br />
(façades doubles) rue de la Poterne (lotissement, 1487 [d]). Ces exemples<br />
correspondent pour l’essentiel à des programmes de ravalement réalisés au<br />
18 e siècle.<br />
(7) Des parements plus sophistiqués, associant la pose en fougère et en chevron,<br />
sont observés à partir du deuxième tiers du 16 e siècle : 26 rue Notre-<br />
Dame-de-Recouvrance (1535 [d]), 16 rue de la Poterne (1566 [d]).<br />
(8) Les 264, 266 et 280/282 (façade double) rue de Bourgogne (autour de<br />
1430 [d], autour de 1480 [d] et 1505 [d]) et le 35 (façade droite) rue de<br />
l’Empereur (1483 [d]). Ces programmes semblent être liés à la tradition des<br />
toitures à pignon dont l’emploi disparaît progressivement à partir de la fi n<br />
du 15 e siècle (ALIX 2002). On remarquera que toutes ces façades, exceptée<br />
celle du 264 rue de Bourgogne, sont associées à des décors sculptés.<br />
(9) Les 32, 54 et 64/66 rue de la Charpenterie (1501 [d], autour de 1535 [d]<br />
et 1466 [d]), le 10 (deux façades) rue de la Cholerie (1519 [d]), les 124<br />
et 126 rue de Bourgogne (1501 [d] et 1504 [d]), le 33 rue de l’Empereur<br />
(façade gauche et droite, 1493 [d] et 1490 [d]), le 9 rue de la Pierre-Percée<br />
(1492 [d]), le 32 rue du Poirier (1524 [d]), les 8 et 10 rue de la Poterne<br />
(lotissement, 1487 [d]) et le 11 rue de Vaudour (1507 [d]).<br />
(10) Des façades peuvent en outre présenter un nombre et une distribution<br />
des baies différents à chaque étage : 32 rue de la Charpenterie (1501 [d]) ou<br />
9 rue de la Pierre-Percée (1492 [d]).<br />
175
176 <strong>EMPREINTE</strong> <strong>URBAINE</strong> - Le bâti domestique orléanais au 16 e siècle<br />
FIG. 3<br />
3 rue de l’Empereur<br />
(fin du 15 e -début<br />
du 16 e siècle)<br />
(photo Laurent Mazuy)<br />
Les ouvrants sont clos par des volets de bois à panneaux.<br />
Cette gamme de mises en forme joue également le<br />
compartimentage et la hachure, la volonté d’orner et de<br />
classer.<br />
Les programmes décoratifs sculptés accompagnent et<br />
renforcent le jeu des surfaces.<br />
Les sculptures peuvent marquer les étages et encadrer les<br />
croisées et demi-croisées (11) : sur les sablières de chambrée,<br />
des larmiers et des engoulants ; sur les poteaux de fenêtres,<br />
des pinacles (12) ; sur les meneaux d’impostes et les traverses<br />
des fenêtres, des accolades coiffées de fleurons. L’ornement<br />
apporte, alors, à chaque étage un (ou deux) point fixe. Là<br />
où l’on pavoise.<br />
Dans les cas où, à la manière d’une résille, les sculptures<br />
(pinacles et accolades) passent de bois en bois pour couvrir la<br />
totalité de la façade (13) , c’est le rythme orthogonal de la trame<br />
rectangulaire et des fenêtres qui est souligné. La croix de Saint-<br />
André intervient, alors, comme un motif qui vient barrer une<br />
suite de surfaces encadrées de reliefs… La profusion et la<br />
diversité des décors secondaires (corbeilles végétales, figures,<br />
surface d’écailles…), distribuées par l’ornement linéaire et le<br />
jeu des courbes, donnent à la façade une nouvelle texture et<br />
l’effet d’une surface tachetée (VOIR OIR P.--, FIG. 14).<br />
La façade en pan-de-bois à croix de Saint-André est donc<br />
multiple : symétrique ou asymétrique ; sculptée ou non, pour<br />
partie ou en totalité. Elle entremêle surfaces, percements et<br />
reliefs, par la superposition et l’emboîtement d’une suite de<br />
trames et de surfaces hachurées. La façade joue le superlatif<br />
des densités, des textures et des luminosités. Hachurée<br />
et tachetée, elle se donne comme un tout fragmenté et<br />
dynamique par la profusion et l’instabilité spatiale des<br />
surfaces et des plans les uns par rapport aux autres.<br />
(11) Les 124 et 126 rue de Bourgogne (1501 [d] et 1504 [d]), les 32, 54 et 64/66 rue de la Charpenterie<br />
(1501 [d], autour de 1535 [d] et 1466 [d]), le 10 rue de la Cholerie (façade gauche, 1519 [d]), le<br />
33 rue de l’Empereur (façade droite, 1490 [d]), le 9 rue de la Pierre-Percée (1492 [d]), le 32 rue du<br />
Poirier (1523 [d]) et le 11 rue de Vaudour (1507 [d]). La façade de droite du 35 rue de l’Empereur<br />
(1483d) présente une distribution symétrique des baies et un programme sculpté autour de la<br />
croisée centrale.<br />
(12) Bien souvent, le poteau de l’allège à croix de Saint-André des croisées porte également un pinacle<br />
qui renforce l’axe du meneau.<br />
(13) Les façades des 266 et 280/282 (façade double) rue de Bourgogne (autour de 1480 [d] et 1505 [d])<br />
et 111 et 221 rue Bourgogne (fi n du 15 e -début du 16 e siècle) présentent une répartition symétrique<br />
des fenêtres. Les façades du 28 rue Étienne-Dolet (fi n du 15 e - début du 16 e siècle) et du 10 rue de<br />
la Cholerie (façade droite, 1519 [d]) présentent une répartition asymétrique des fenêtres.
Les façades en pierre<br />
Les façades en pierre relèvent d’une tout autre logique. Elles<br />
présentent une surface unie : L’enduit, du blanc aux tons<br />
sable ou brun clair, inscrit le plan à la manière d’une peau,<br />
d’un cuir « tendu » (14) . Les parements de pierre (tuffeau et<br />
pierre d’Apremont), rythment et animent la clarté de la<br />
surface (15) (FIG 3).<br />
Les baies, croisées et demi-croisées (la présence de petites<br />
fenêtres hautes en continu est uniquement rendue possible<br />
grâce à l’ossature d’une charpente) sont placées librement<br />
et le plus souvent alignées sur un appui filant simplement<br />
mouluré ou bien décoré de frises végétales. Ces fenêtres<br />
concentrent le décor (mouluration des chambranles,<br />
meneaux et traverses à cavet, à boudin ou à tore à listel,<br />
larmiers à culots géométriques ou à figures…).<br />
L’ensemble présente un plan et une surface unique. La<br />
façade homogène apparaît, massive et stable.<br />
Les façades en briques<br />
La construction de briques semble être l’apanage des grands<br />
hôtels particuliers plus larges que hauts, développant leur<br />
programme sur de vastes parcelles : le 10 rue du Cloître-<br />
Saint-Aignan dans la tradition gothique (maison du roi<br />
Louis XI, 1480 [d]) et le 24/28 rue de la Bretonnerie (hôtel<br />
Brachet) réalisé dans la première décennie du 16 e siècle tout<br />
comme l’aile Louis XII du château de Blois. On remarquera<br />
la proximité des deux édifices en terme constructif et la<br />
modernité de l’hôtel Brachet par l’étonnante composition<br />
symétrique des deux tours d’escalier hors œuvre et le décor<br />
d’oves sur la corniche (16) .<br />
La façade sur jardin de cet hôtel, percée et rythmée par<br />
la mise en travée des croisées et demi-croisées de pierre,<br />
présente un parement de brique tendu par un damier de<br />
losanges (briques surcuites noires), rehaussé de losanges<br />
imbriqués (FIG. 4). L’ensemble emboîte deux natures de<br />
surfaces, le rayé et le semé, auxquelles il faut ajouter l’effet<br />
tacheté produit par les baies. La façade, simple et raffiné,<br />
ondule à la lumière tout en gardant un effet massif.<br />
La façade de la maison Louis XI présente en revanche un<br />
parement de brique uni. La résille des joints confère à la<br />
surface la vibration d’une étoffe.<br />
FIG. 4<br />
26/28 rue de la Bretonnerie<br />
(début du 16 e siècle ?)<br />
détail de la façade sur jardin<br />
(photo Laurent Mazuy)<br />
(14) Par exemple : les 215 et 261 rue de Bourgogne (début du 16 e siècle ? et fi n du 15 e -début du 16 e siècle)<br />
ou le 8 rue Étienne-Dolet (début du 16 e siècle ?).<br />
(15) Par exemple : le 4 place du Châtelet (1510 [d]), le 3 rue de l’Empereur (fi n du 15 e - début du 16 e siècle)<br />
ou le Musée Historique et Archéologique de l’Orléanais, rue Charles-Sanglier (façade de droite,<br />
début du 16 e siècle ?).<br />
(16) Voir infra, La dernière enceinte d’Orléans et le développement de l’habitat dans les nouveaux<br />
quartiers (fi n 15 e siècle - première moitié du 16 e siècle) par C. ALIX.<br />
177
178 <strong>EMPREINTE</strong> <strong>URBAINE</strong> - Le bâti domestique orléanais au 16 e siècle<br />
7<br />
5<br />
6<br />
FIG. 5<br />
2 rue de la Poterne<br />
(autour de 1550)<br />
(photo Laurent Mazuy)<br />
FIG. 6<br />
34 rue de la<br />
Charpenterie (1519 [d])<br />
(photo Laurent Mazuy)<br />
FIG. 7<br />
Rue Charles-Sanglier<br />
(Musée Historique et<br />
Archéologique de l’Orléanais,<br />
façade centrale, 1530-40)<br />
(photo Laurent Mazuy)<br />
Cette façade remontée rue<br />
Charles-Sanglier se trouvait à<br />
l’origine rue de la Pierre-Percée en<br />
face de la maison de la Coquille.
Les façades à la Renaissance…<br />
Les façades en pierre<br />
La typologie des façades en maçonnerie enduite reste dans<br />
son principe inchangée (FIG. 5). Les ornements gothiques,<br />
moulurations et larmier, peu à peu disparaissent.<br />
Durant le règne de François I er , la façade en pierre de<br />
taille opère une mutation. L’introduction du nouveau<br />
vocabulaire antique, notamment le pilastre et l’entablement<br />
associé à l’appui filant, vient progressivement quadriller et<br />
compartimenter la surface.<br />
De ce point de vue, le 34 rue de la Charpenterie (1519 [d]),<br />
précurseur de cette esthétique et de cet art de la division (FIG. 6),<br />
présente une échoppe couverte d’un arc en anse de panier orné<br />
de caissons moulurés à la façon des arcs de triomphe romains<br />
et flanqué de deux pilastres. Des panneaux traités en creux dans<br />
l’épaisseur de la pierre encadrés de torsades ornent l’étage.<br />
On remarquera que les façades à pans-de-bois sont pour<br />
l’essentiel dépourvues d’encorbellement. Les panneaux<br />
décoratifs à croix de Saint-André sont distribués à partir<br />
d’un plan unique. Cette disposition, spécificité orléanaise,<br />
a-t-elle eu une influence dans l’émergence du panneautage<br />
et du cloisement de la pierre ?<br />
L’une des façades du Musée Historique et Archéologique de<br />
l’Orléanais (rue Charles-Sanglier) datant des années 1530-<br />
1540 est divisée dans sa largeur par cinq pilastres à losanges<br />
coiffés de chapiteaux à crosses, répétés à chaque étage.<br />
Entre ces éléments structurants, prennent place les baies :<br />
deux croisées au centre et une fenêtre de cabinet à gauche.<br />
Les divisions verticales sont recoupées par des bandeaux et<br />
des appuis filants. Les différents panneaux sont traités dans<br />
l’épaisseur du parement et encadrés d’un quart-de-rond.<br />
La façade reste, ici, au sens large du terme, semée : animée et<br />
compartimentée à la fois par le rythme des pilastres et leur<br />
décor ainsi que par la division induite par la trame (FIG. 7).<br />
Cette structuration et ce répertoire décoratif reprennent<br />
les dispositions développées aux châteaux de Blois (aile<br />
François I er , 1515-1519), de Chenonceau (1514-1522),<br />
d’Azay-le-Rideau (1518-1527) et poursuivis à Chambord<br />
jusqu’en 1539. Ce programme se retrouve également sur<br />
une autre élévation orléanaise au 11 rue du Tabour (cour<br />
de la maison Euverte Hatte, 1530-1540). Cette dernière<br />
présente au centre de chaque allège un cuir roulé entouré<br />
d’une couronne végétale, posé sur des réseaux de feuillage<br />
remplissant la totalité de la surface du panneau (FIG. 8).<br />
FIG. 8<br />
11 rue du Tabour<br />
vue sur la façade à portique de<br />
la cour intérieure<br />
(photo Laurent Mazuy)<br />
179
180<br />
<strong>EMPREINTE</strong> <strong>URBAINE</strong> - Le bâti domestique orléanais au 16 e siècle<br />
10 11<br />
Au 6 place du Châtelet (maison Dallibert, 1540-1550), le<br />
plan de la façade est également quadrillé par des bandeaux,<br />
des appuis filants et des pilastres (17) . Ces derniers, coiffés<br />
de chapiteaux corinthiens (18) , sont lisses et dépourvus de<br />
losanges ou de médaillons. À l’intérieur de la trame est<br />
distribuée de manière asymétrique une suite de cartouches<br />
aux formes diverses (19) : médaillons, cuir en lanière ou roulé,<br />
avec ou sans figure. Ils surmontent le décor de l’imposte de<br />
la porte piétonne (20) , l’arc à boutique et la croisée, demicroisée<br />
et fenêtre de cabinet du premier étage.<br />
La trame structure et stabilise l’effet flottant et dynamique<br />
de cette déclinaison de décors autonomes (FIG. 9).<br />
Au 7 rue de la Pierre-Percée (maison de la Coquille, entre<br />
1540 et 1545 [d], [FIG. 10]), le décor secondaire du premier<br />
étage est traité en une frise de drapés dans l’entablement<br />
tandis que la façade se développe en profondeur grâce<br />
aux volumineuses consoles ornées de visages grimaçants<br />
sortant de feuillage soutenant l’appui mouluré de cet<br />
étage. La superposition des ordres est respectée au rez-dechaussée<br />
dorique et ionique (porte piétonne) : au premier<br />
étage corinthien et au second composite (FIG. 11). Place<br />
du Châtelet, on trouve en guise de consoles, des mufles<br />
de lions mordant des anneaux. Ce motif se retrouvait<br />
(17) Les cinq pilastres du premier étage sont associés à des socles.<br />
(18) Tout comme la façade du 13 rue Étienne Dolet (1540-1545).<br />
FIG. 9<br />
6 place du Châtelet<br />
(maison Dallibert,<br />
1540-1550)<br />
Dessin de Léon<br />
Vaudoyer gravé par<br />
Alexandre Soudain,<br />
19 e siècle - Archives<br />
de la commission<br />
des monuments<br />
historiques<br />
(Orléans, Musée historique et<br />
archéologique de l’Orléanais)<br />
FIG. 10<br />
7 rue de la Pierre-<br />
Percée (maison de la<br />
Coquille,<br />
entre 1540-1545 [d])<br />
Dessin de Léon<br />
Vaudoyer gravé par<br />
Alexandre Soudain,<br />
19 e siècle - Archives<br />
de la commission<br />
des monuments<br />
historiques<br />
(Orléans, Musée historique et<br />
archéologique de l’Orléanais)<br />
(19) On remarquera que ce type de propos décoratif se retrouve également sur la façade intérieure<br />
de l’hôtel Cabu (à partir de 1547) mais « rangé » en frise dans l’entablement du premier étage et<br />
traité en un gracieux méplat [FIG. 17].<br />
(20) La porte superpose les ordres dorique et ionique : arc en plein-cintre et baies géminées.
FIG. 12<br />
7 rue de<br />
la Pierre-Percèe<br />
(1540-1545 [d])<br />
chapiteau composite,<br />
second étage<br />
(photo Laurent Mazuy)<br />
également sur la célèbre porte de cette maison déposée au<br />
musée du Louvre.<br />
Ces deux derniers exemples offrent un programme<br />
similaire (nombre des étages, types et nombre de baies,<br />
trame et surface) singularisé par l’ornement secondaire où<br />
émergent les ordres de l’architecture antique employés avec<br />
exactitude.<br />
Les façades en pans-de-bois<br />
Parallèlement à l’évolution du bâti en pierre, l’esthétique<br />
du pan-de-bois à croix de Saint-André (compartiments<br />
et registres sous-tendus par une double maille) s’efface<br />
progressivement. La façade la plus récente est datée de<br />
1569 [d] (35 rue de l’Empereur, façade gauche).<br />
Dans la seconde partie du 16 e siècle, de nouvelles typologies<br />
apparaissent calquées sur la pierre.<br />
Le 16 rue de la Poterne (1566 [d]) présente par exemple<br />
une façade pignon dont la surface quadrillée par les bois<br />
principaux (poteau de fenêtre et de fond, sablière et poutre<br />
recevant un appui filant) distribue un panneautage animé<br />
d’un damier de brique et de bois, encadré d’un quart-derond<br />
tout comme la pierre (FIG. 12). La prégnance du bâti<br />
vertical et horizontal est renforcée par un riche décor<br />
sculpté aujourd’hui disparu.<br />
Ce pignon est flanqué de deux autres façades à pan-de-bois<br />
cette fois à grille hourdé d’un riche parement de briques à<br />
FIG. 13<br />
16 rue de la Poterne (1566 [d])<br />
façade pignon<br />
(photo Laurent Mazuy)<br />
La couleur qui accentue la<br />
charpente, est une modification<br />
esthétique du 18 e siècle.<br />
181
182<br />
<strong>EMPREINTE</strong> <strong>URBAINE</strong> - Le bâti domestique orléanais au 16 e siècle<br />
joints à côtes (FIG. 13). La charpente intervient alors comme<br />
le support et le cadre du parement.<br />
Les façades en briques<br />
La construction en briques est, quant à elle, discrète. Son<br />
traitement reprend les principes des exemples médiévaux.<br />
La pierre laissée aux entourages des baies porte un décor<br />
renouvelé issu des modèles antiques. Au 11 rue Étienne-<br />
Dolet (maison du Chevalier du Guet, à partir 1547,<br />
[FIG. 14]), les croisées et demi-croisées sont couronnées de<br />
tables pourvues aux extrémités de masques supportant<br />
une mouluration. Aux 39 bis et 41 rue de la Poterne (hôtel<br />
Hector de Sanxerre, entre 1540 et 1544 [d]), le parement<br />
de briques également rehaussé d’un damier de losanges est<br />
réservé à la façade à portique de la cour intérieure et à la<br />
tourelle d’escalier.<br />
Place de l’Étape, l’hôtel Groslot (1549-1555) présente<br />
un parement de brique similaire développé sur une vaste<br />
façade à un étage flanquée de pavillons, ouverts sur la cour<br />
d’honneur par de hautes croisées.<br />
La fin du 16 e siècle et le 17 e siècle connaîtront le<br />
développement d’une grande architecture de brique au<br />
parement monochrome. Les hôtels particuliers de la rue<br />
d’Escure en sont l’exemple le plus singulier.<br />
Pour conclure…<br />
Cette courte présentation suggère l’utilisation raisonnée<br />
d’une grammaire des surfaces. Le choix, utilisation et<br />
combinaison appropriés d’un matériau (pan-de-bois,<br />
pierre ou brique), est probablement le témoignage du goût<br />
du commanditaire et de son inscription dans le corps de<br />
ville. Cette attitude architecturale accompagne l’évolution<br />
des styles.<br />
Le pan-de-bois gothique flamboyant de la fin du Moyen<br />
Âge et du début de la Renaissance fait éclater le plan de la<br />
façade. Les formes et les surfaces sont distribuées de façon<br />
complexe et sophistiquée. Avec cette richesse presque<br />
baroque contraste totalement la façade enduite, à la<br />
surface unie, percée à l’emporte-pièce, où seules les moulures<br />
FIG. 13<br />
16 rue de<br />
la Poterne<br />
(1566 [d])<br />
façade rue de la<br />
Poterne<br />
(photo Jean Puyo)
FIG. 14<br />
11 rue Étienne-Dolet<br />
(Maison du Chevalier du<br />
Guet, à partir de 1547)<br />
Dessin de Léon<br />
Vaudoyer gravé par<br />
Alexandre Soudain,<br />
19 e siècle - Archives<br />
de la commission des<br />
monuments historiques<br />
(Orléans, Musée historique et<br />
archéologique de l’Orléanais)<br />
183
184<br />
<strong>EMPREINTE</strong> <strong>URBAINE</strong> - Le bâti domestique orléanais au 16 e siècle<br />
15<br />
des chambranles, les larmiers et les appuis adoucissent la<br />
découpe des fenêtres. Les parements de pierre de taille<br />
montrent, quant à eux, une ambiguïté issue de la résille des<br />
joints : une surface unie et semée tout à la fois, à l’image des<br />
remplissages de briques des hôtels particuliers.<br />
Les façades de la Renaissance travaillent le plan dans<br />
l’épaisseur de la pierre et de son parement et développent<br />
leur décors sur l’ensemble de la surface. L’aspect de cette<br />
dernière est à la fois uni grâce à l’emploi d’un seul matériau,<br />
semé et enfin tacheté grâce à l’application d’une trame et la<br />
distribution des motifs.<br />
Peu à peu, la façade économisera ses possibilités dynamiques<br />
pour se ranger avec rationalité dans l’illustration fidèle<br />
des ordres antiques et l’ordonnancement des baies. Le<br />
6 rue Ducerceau (maison dite de Du Cerceau, 1560-<br />
1570 ?) superpose les quatre ordres avec exactitude dans<br />
une répétition à outrance de pilastres et demi-pilastres<br />
tout en assurant une division sur la hauteur par de larges<br />
entablements moulurés. Enfin, les façades sur rue et sur<br />
cour de l’hôtel Cabu, à partir de 1547 (Musée Historique<br />
et Archéologique de l’Orléanais, rue Charles-Sanglier)<br />
sont emblématiques d’une volonté d’équilibre jouant pour<br />
la première sur une économie de moyen (FIG. 15) et pour<br />
la seconde sur une surcharge de motifs maniéristes et de<br />
reliefs allant du méplat au ronde bosse (FIG. 16). !<br />
16<br />
FIG. 15<br />
Rue Charles-Sanglier,<br />
Musée Historique<br />
et Archéologique de<br />
l’Orléanais<br />
(hôtel Cabu,<br />
façade sur rue,<br />
à partir de 1547)<br />
(photo Laurent Mazuy)<br />
FIG. 16<br />
Square Abbé-Desnoyer,<br />
Musée Historique et<br />
Archéologique de l’Orléanais<br />
(hôtel Cabu, façade sur cour, à<br />
partir de 1547)<br />
Dessin de Léon Vaudoyer gravé<br />
par Alexandre Soudain, 19 e siècle -<br />
Archives de la commission des<br />
monuments historiques<br />
(Orléans, Musée historique et archéologique<br />
de l’Orléanais)
La mise en valeur des façades<br />
en pan-de-bois d’Orléans<br />
du milieu du 15 e siècle au début du 17 e siècle<br />
ORLÉANS, LA MAJORITÉ DES MAISONS EN PAN-DE-BOIS SE CARACTÉRISE PAR UNE FAÇADE RIVE SUR<br />
rue dont les différents niveaux se situent à l’aplomb les uns des autres (1) . Sauf quelques<br />
cas particuliers (maisons d’angle, constructions concertées ou sérielles), les parois en pan-de-bois<br />
s’insèrent entre deux murs pignons maçonnés, au caractère mitoyen et jouant le rôle de pare-feu.<br />
Persistances et nouveautés<br />
décoratives avant les années 1560<br />
Construction modulaire et ordonnancement<br />
Entre le milieu du 15 e siècle et début du dernier tiers du 16 e<br />
siècle, l’armature secondaire est composée de panneaux de<br />
croix de Saint-André : bien que de grandes croix s’étendent<br />
sur presque l’ensemble d’un étage dans les maisons les plus<br />
anciennes (première moitié ou milieu du 15 e siècle), elles<br />
sont la plupart du temps réparties en deux registres par<br />
niveau. Durant cette période, la technique de panneautage<br />
de croix de Saint-André et entretoises remporte un franc<br />
succès pour les façades antérieures du fait de sa conception<br />
relativement simple et de sa mise en œuvre rapide (FIG. 1), qui<br />
offre toutefois un effet décoratif certain grâce aux pièces de<br />
bois formant une succession de lignes dynamiques (obliques<br />
des croix notamment), qui peuvent varier en fonction de<br />
leur répartition et de la disposition de leurs assemblages (2) .<br />
L’organisation des proportions de la façade, et en particulier<br />
la répartition du nombre des travées, semble avoir été<br />
tributaire de l’utilisation de ces panneaux de croix de<br />
Saint-André, qui ont pu servir de module de référence à<br />
dupliquer lors des tracés régulateurs des épures. Malgré le<br />
caractère standardisé de ces façades, il existe une grande<br />
diversité de placement des ouvertures : croisées, parfois<br />
jouxtées de demi-croisées, petits jours en partie haute<br />
(impostes). Disposés de manière symétrique ou non, ces<br />
derniers peuvent parfois, s’ils sont associés aux ouvertures<br />
des registres supérieurs des baies principales, former un<br />
ajourement continu (3) . Des effets de travées ont pu être<br />
recherchés par la mise à l’aplomb des baies (4) . À l’inverse,<br />
lorsque deux étages présentent une trame modulaire<br />
Clément Alix,<br />
doctorant au C.E.S.R.,<br />
Université de Tours ;<br />
chercheur au Service<br />
Archéologique Municipal<br />
d’Orléans<br />
(1) Sur les spécifi cités de la mise en œuvre des maisons en pan-de-bois orléanaises : ALIX 2002 ;<br />
MAZUY, ALIX, AUBANTON 2006 ; ALIX 2007 b. Seulement une douzaine d’exemples de maisons pignons<br />
sur rue est connue, attestée par l’iconographie ancienne (la seule maison conservée se<br />
trouve 5 rue de la Pierre-Percée). Les maisons qui possédaient un étage en encorbellement, une<br />
dizaine, sont également peu nombreuses au regard d’autres grands centres urbains des alentours<br />
(Blois, Tours, Chartres, Bourges, Angers, Auxerre, etc.).<br />
(2) Il y a plus de 80 maisons, conservées ou détruites, qui sont attestées avec ce type de façade à<br />
panneaux de croix de Saint-André.<br />
(3) La maison 266 rue de Bourgogne (entre 1473-1488d) est un cas particulier où les baies principales<br />
forment un ajourement continu sur toute la longueur de la façade divisée par des poteaux et<br />
des potelets jouant le rôle de meneaux multiples.<br />
(4) Voir infra, Les typologies des façades de la fi n du Moyen Âge à la Renaissance, par L. MAZUY.<br />
185
186<br />
<strong>EMPREINTE</strong> <strong>URBAINE</strong> - Le bâti domestique orléanais au 16 e siècle<br />
1493<br />
33 rue de l'Empereur 1490<br />
1569<br />
35 rue de l'Empereur 1483<br />
FIG. 1<br />
33 et 35 rue de l’Empereur<br />
restitution des façades à panneaux de croix<br />
de Saint-André édifiées entre la fin du 15 e<br />
et le dernier tiers du 16 e siècle<br />
(S.A.M.O. : conception Laurent Mazuy - DAO Sébastien Pons -<br />
relevé Clément Alix - restitution Laurent Mazuy et Clément Alix)<br />
0 1 m
identique avec un même nombre et type d’ouvertures,<br />
l’ordre de positionnement de ces dernières a pu être<br />
volontairement inversé d’un niveau à l’autre (32 rue de la<br />
Charpenterie) (5) . Au 35 rue de l’Empereur (maison nord),<br />
l’ensemble de la trame des parois des étages et du comble<br />
répond à un axe de symétrie passant par le centre de la<br />
façade, occupé par une croisée et la lucarne, de part et<br />
d’autre duquel s’organise en miroir le percement des autres<br />
ouvertures : deux jours hauts et un étroit jour rectangulaire<br />
(seulement 24 cm de large) placé à mi-hauteur et rejeté<br />
aux extrémités de chaque étage (FIG. 1). Ce parti permet de<br />
créer un jeu de contraste entre les pleins et les vides dont le<br />
dessin assez original est parfaitement symétrique.<br />
Le hourdis et la question du traitement<br />
chromatique<br />
Le hourdis, composé de petits moellons (calcaire de Beauce)<br />
enduits ou plus souvent de petites briques, participait<br />
également à la mise en valeur de la façade en renforçant le<br />
contraste avec les éléments de l’ossature en bois. L’aspect<br />
décoratif du remplissage en brique était également créé par<br />
le positionnement des éléments : obliquement pour jouxter<br />
les guettes et décharges des croix, alternativement à plat ou<br />
de chant, en épis (hôtel Toutin, vers 1540 ; tourelle d’escalier<br />
de l’hôtel 17 rue des Trois-Maries, milieu 16 e siècle) ; mais<br />
également grâce aux jeux de relief permis par l’utilisation de<br />
joints saillants lissés à la truelle et parfois rubanés (6) . Au 11<br />
rue de Vaudour (1507 [d]), certaines briques sont incisées<br />
pour recevoir des faux-joints qui morcellent les panneaux<br />
de remplissage en de multiples motifs géométriques (FIG. 2) :<br />
chevrons, demi-cercles, cœur, etc. (7)<br />
Aucun traitement chromatique ne semble avoir accompagné<br />
les bois et leurs décors sculptés. Bien que des traces de<br />
pigments rouge foncé aient été observées sur les bois de<br />
plusieurs façades où elles étaient scellées par les couches de<br />
pigments utilisés au 18 e siècle, il reste difficile de savoir s’ils<br />
furent appliqués lors de la construction de la maison ou<br />
s’ils correspondent, plus probablement, à une campagne de<br />
« mise au goût du jour » postérieure (8) (fin 16 e siècle ou au<br />
cours du 17 e siècle).<br />
Des sablières moulurées et engoulées<br />
Même si ces façades ne possèdent pas d’encorbellement,<br />
l’usage est de conserver deux sablières superposées (9) :<br />
le décor sculpté se limite essentiellement à la sablière de<br />
FIG. 2<br />
11 rue du Vaudour<br />
restitution de la façade antérieure<br />
construite 1507 [d]<br />
(S.A.M.O. : conception Laurent Mazuy -<br />
DAO Sébastien Pons - relevé Clément Alix -<br />
restitution Laurent Mazuy et Clément Alix)<br />
11 rue Vaudour, 1507d<br />
(5) MAZUY, ALIX, AUBANTON 2006 : p. 64-65.<br />
0 1 m<br />
(6) Par exemple : 32, 40, et 54 rue de la Charpenterie, respectivement vers 1501 [d], entre 1570-<br />
1580 [d] et entre 1530-1540 [d] ; 126 rue de Bourgogne (vers 1503 [d]). Voir également infra, Les<br />
typologies des façades de la fi n du Moyen Âge à la Renaissance, par L. MAZUY<br />
(7) Dans la région, ces jeux décoratifs du hourdis de briquettes, qui rappellent des motifs employés<br />
sur les étoffes, se remarquent sur plusieurs maisons de la place Plumereau à Tours, mais leur<br />
authenticité paraît douteuse. Le seul exemple bien attesté est visible sur les deux maisons 1 rue<br />
du Change (à Tours), dont les motifs ont été dessinés vers 1940 avant leur restauration (LAPRADE<br />
1942 : pl. 35). Dans cet exemple, les briques sont taillées de manière à obtenir des formes géométriques<br />
particulières.<br />
(8) La palette constituée uniquement de rouge foncé est donc beaucoup plus limitée que celle utilisée<br />
dans les programmes de construction ou de remaniement des pans-de-bois orléanais au 18 e<br />
siècle : ocre, jaune, orangé, saumon, etc. (ALIX 2007).<br />
(9) Ce doublement des sablières pourrait s’expliquer pour des raisons techniques et économiques :<br />
ancrages des plafonds, facilité et rapidité de levage des parois, possibilité de remaniement des<br />
étages en sous-œuvre ou par rehaussement.<br />
187
188<br />
<strong>EMPREINTE</strong> <strong>URBAINE</strong> - Le bâti domestique orléanais au 16 e siècle<br />
chambrée qui comporte un corps de moulures contrastées<br />
formant larmier, comme par exemple au 32 rue des<br />
Pastoureaux (bâtiment sur cour, vers 1520-1530) où la<br />
doucine est surmontée d’un listel jouant le rôle de coupelarme<br />
(10) . La moulure convexe du larmier est fréquemment<br />
couverte de motifs d’imbrications (écailles) et s’accompagne<br />
parfois d’une frise de motifs répétitifs (arceaux au 54 rue<br />
de la Charpenterie, vers 1530-1540 [d]). Les extrémités du<br />
corps de moulures de la sablière de chambrée s’achèvent<br />
souvent dans la gueule d’un animal sculpté (FIG. 2), qui<br />
constitue le seul motif singulier de la façade (11) . À l’instar<br />
des pans-de-bois de plusieurs régions (Normandie,<br />
Bourgogne, Val de Loire, Berry, etc.), cet engoulant forme<br />
un bon motif d’amortissement des moulures de la sablière,<br />
qui a perdu le rôle effrayant et le caractère symbolique qu’il<br />
pouvait revêtir en tant que décor dans certaines églises. Cet<br />
ornement d’origine médiéval reste d’un emploi courant<br />
jusqu’au début du 17 e siècle à Orléans où il est associé à<br />
des motifs classiques (12) . Il est d’un usage très prisé dans<br />
la première moitié du 16 e siècle puisqu’il orne également<br />
les poutres des plafonds d’une quinzaine d’habitations en<br />
pierre ou plusieurs entraits de lucarnes.<br />
Les cas où le décor s’étend à la sablière de plancher<br />
correspondent à des exemples antérieurs à la fin du<br />
15 e siècle : frise de fleurs à quatre pétales au 64-66 rue<br />
de la Charpenterie (1466 [d]) ; frise de gros trilobes se<br />
développant sur les deux sablières superposées au 266 rue<br />
de Bourgogne (entre 1473-1488 [d]).<br />
Traitement sculpté des fenêtres d’étages<br />
et des panneaux pleins : pinacles et accolades<br />
Hormis les sablières, le décor se concentrait principalement<br />
autour des fenêtres. La mise en valeur la plus simple consiste<br />
à les orner d’une moulure, un chanfrein, parfois amorti<br />
par un petit congé triangulaire, qui adoucit les angles<br />
des encadrements tout en favorisant la pénétration de la<br />
lumière vers l’intérieur (13) . Les appuis des croisées et demicroisées<br />
sont systématiquement moulurés et leur partie<br />
supérieure vient déborder sur le devant des piédroits (14) . Un<br />
décor sculpté permet également la valorisation des fenêtres<br />
principales dont les piédroits sont ornés de pinacles à<br />
crochets (15) sur bases prismatiques, reliés par des accolades<br />
situées sur les traverses (FIG. 1 ET 2). Pour les croisées, la partie<br />
supérieure du meneau était sculptée d’un fleuron, tandis<br />
qu’un court pinacle était sculpté sur le potelet central<br />
de l’allège (FIG. 7). Dans certaines maisons, ces motifs de<br />
couvrement s’étendent sur les autres éléments de la structure<br />
afin de mettre en valeur les panneaux pleins : les poteaux<br />
d’étage reçoivent des pinacles et les entretoises séparant les<br />
panneaux de croix de Saint-André sont sculptées d’un arc<br />
surbaissé ou d’un arc en accolade (FIG. 5 ET 6). Comme sur<br />
les traverses, ces gâbles présentent un tracé assez aplati de<br />
manière à s’adapter à la hauteur réduite de l’entretoise.<br />
Si ce décor « gothique » peut-être restitué sur de nombreuses<br />
façades sur rue où il a été bûché au 18 e ou 19 e siècle lors<br />
de l’agrandissement des fenêtres ou de l’installation des<br />
lattis pour enduits couvrants (16) , en revanche, il subsiste en<br />
partie ou dans son intégralité sur quelques rares élévations<br />
situées en position secondaire et n’ayant jamais été<br />
(10) Cependant, il subsiste quelque exemples de façade à sablière unique. Au 264 rue de Bourgogne,<br />
exemple le plus ancien attesté par la dendrochronologie (première moitié du 15 e siècle), la sablière<br />
unique est moulurée dans sa partie supérieure d’un quart-de-rond dégagé par une moulure<br />
concave. Au 4 rue de la Cholerie (façade postérieure, milieu ou seconde moitié du 15 e siècle),<br />
la doucine ornant la sablière unique retombe à l’aplomb des arêtes de chaque poteau du niveau<br />
inférieur : elle dessine ainsi une série d’arcs déprimés dont les écoinçons renferment un motif :<br />
bouillon de feuillage, petit visage humain, etc.<br />
(11) Sculptures d’engoulants conservées : 264 rue de Bourgogne (remaniement du comble entre<br />
1493-1524 [d]), 32 rue du Poirier (1524 [d]). Sculptures bûchées ayant laissé des traces : 11 rue<br />
de Vaudour (1507 [d]), 54 rue de la Charpenterie, etc.<br />
(12) Pour l’utilisation du motif de l’engoulant, ALIX 2008 : p. 28-37. Sur les pans-de-bois, l’exemple le<br />
plus tardif se trouve sur la sablière unique du premier étage de la maison 258 rue de Bourgogne<br />
(pan-de-bois à grille : entre 1596-1621 [d] et certainement autour de 1602) : le motif a été bûché<br />
mais il subsiste trois écailles du cou sur l’about est de la sablière. la même date, il orne les pièces<br />
de bois formant linteau des devantures de boutiques de certaines maisons en pierre ou en brique<br />
et pierre (4 place du Châtelet ; anciennement 3 place du Châtelet, détruite).<br />
(13) Pour les fenêtres, les exemples de moulures plus complexes sont très rares : petit cavet surmonté<br />
d’un quart-de-rond au 266 rue de Bourgogne (entre 1473-1488 [d]) et au 4 rue de la Cholerie (milieu<br />
ou seconde moitié du 15 e siècle).<br />
(14) Exemples conservés partiellement : demi-croisées du 33 rue de l’Empereur (maison sud, 1493 [d]),<br />
croisées du 35 rue de l’Empereur (maison nord, 1483 [d]). La moulure bûchée en partie supérieure<br />
se composait, de bas en haut, d’une bande surmontée d’un quart-de-rond et d’un cavet. Au 32 rue<br />
des Pastoureaux, l’appui est encore sculpté d’un motif de torsade.<br />
(15) Les pinacles relevés sur plusieurs maisons de la fi n du 15 e et du début du 16 e siècle présentent de<br />
fortes similitudes (largeurs et proportions identiques) : le corps passe du plan carré au plan polygonal<br />
(à 45°) insuffl ant un effet de dynamisme, tandis qu’au sommet les couronnes de crochets<br />
sont régulièrement espacées (FIG. 14).<br />
(16) Décors bûchés ou détruits. Motifs cantonnés aux baies : 103 rue de Bourgogne, 124 rue de Bourgogne/1<br />
rue du Bourdon-Blanc, 126 rue de Bourgogne, 260 rue de Bourgogne (poteaux à pinacles en<br />
remplois sur les extrémités des étages), 62-66 rue de la Charpenterie, 4 place du Châtelet (façade<br />
postérieure, enduite dans la deuxième moitié du 20 e siècle), 32 rue de la Charpenterie, 54 rue de<br />
la Charpenterie, 37 rue des Charretiers, 10 rue de la Cholerie (maison nord), 7 rue de l’Écu-d’Or,<br />
35 rue de l’Empereur (maison nord), 3 et 5 rue du Petit-Puits, 15 rue du Poirier, 2 rue de la Poterne<br />
(façade postérieure), 48 rue Sainte-Catherine, 64 rue Sainte-Catherine (poteaux à pinacles en<br />
remploi dans l’allège du deuxième étage), 9 rue de la Tour (façade postérieure), 11 rue de Vaudour,<br />
anciennement 30 rue des Hôtelleries (jouxtant l’ancienne chapelle Saint-Jacques), anciennement<br />
51 rue des Hôtelleleries, anciennement 1 rue de la Vieille-Peignerie (détruite). Motifs s’étendant<br />
sur les panneaux pleins : 109 rue de Bourgogne, 221 rue de Bourgogne, 280-282 rue de Bourgogne,<br />
10 rue de la Cholerie (maison sud), 33 rue Étienne-Dolet, 18 rue des Pastoureaux/28 rue<br />
Étienne-Dolet, anciennement 20 rue de l’Empereur (détruite en 1844), anciennement 3 place du<br />
Marché-à-la-Volaille (rive sud de la place du Châtelet, détruite au 19 e siècle), maison anciennement<br />
située entre la rue Saint-Étienne et l’impasse Sainte-Colombe.
3 4<br />
5<br />
6<br />
FIG. 3<br />
14 place du Châtelet<br />
façade postérieure (sur cour,<br />
1497 [d]), pinacle à crochets.<br />
(photo Clément Alix)<br />
FIG. 4<br />
32 rue du Poirier, façade<br />
occidentale sur impasse,<br />
premier étage (1524 [d])<br />
pinacle à crochets ornant le<br />
piédroit nord de la croisée<br />
(photo Laurent Mazuy)<br />
7<br />
FIG. 7<br />
32 rue des Pastoureaux<br />
corps de bâtiment postérieur,<br />
façade sur cour, premier étage,<br />
pinacle sculpté au centre de l’allège<br />
de la croisée (vers 1520-1530).<br />
(photo Clément Alix)<br />
FIG. 5<br />
Maison anciennement située<br />
entre la rue Saint-Étienne et<br />
l’impasse Sainte-Colombe (fin<br />
15 e -début 16 e siècle, démontée<br />
au début des années 1960)<br />
façade sur cour, rez-de-chaussée<br />
(Orléans, Archives départementales du Loiret,<br />
cliché vue 509)<br />
FIG. 6<br />
14 place du Châtelet<br />
façade postérieure (sur cour),<br />
second étage (1497 [d]).<br />
(photo Clément Alix)<br />
189
190<br />
<strong>EMPREINTE</strong> <strong>URBAINE</strong> - Le bâti domestique orléanais au 16 e siècle<br />
enduites : façade donnant sur une ruelle ou une impasse, ou<br />
façade postérieure ouvrant sur une cour (17) . L’exemple le plus<br />
ancien de ce type de décor à pinacles est attesté à la maison<br />
de Jacques Boucher (dite maison de Jeanne d’Arc), trésorier<br />
du duc, anciennement 33-37 rue du Tabour (première<br />
moitié du 15 e siècle, détruite en 1940 (18) ). En définitif, ces<br />
sculptures ornaient une quarantaine de maisons à panneaux à<br />
croix de Saint-André (soit la moitié du corpus des habitations<br />
présentant ce type d’ossature), et il n’a été observé que sur<br />
une seule maison dont la façade est en pan-de-bois à grille (9<br />
rue Stanislas-Julien : pinacles sur piédroits des baies, première<br />
moitié du 16 e siècle (19) ).<br />
Ces pinacles reposent sur des bases prismatiques, parfois<br />
portées par de petits culots, fréquemment en forme de<br />
pyramide renversée simplement moulurée (20) . À partir des<br />
années 1520, ils pouvaient également être figurés (visages ou<br />
petits personnages en buste) (21) et ils se retrouvent dans les<br />
intérieurs d’habitations en pierre contemporaines, notamment<br />
autour des portes piétonnes percées dans des cloisons en<br />
pan-de-bois à grille et surmontées d’un linteau orné d’une<br />
accolade : cloison au 12 rue Notre-Dame-de-Recouvrance<br />
(couloir au rez-de-chaussée du corps de bâtiment postérieur),<br />
cage d’escalier au 4 rue des Trois-Maillets (1527 [d]) ou<br />
cloison au 15 rue de l’Ételon (couloir du rez-de-chaussée) (22) .<br />
Dans ces trois exemples, il s’agit toujours de personnages<br />
assez stéréotypés : un homme encapuchonné (FIG. 8), une<br />
représentation d’un noble ou d’un bourgeois la tête coiffée<br />
d’un chapeau, un putto ailé présentant parfois un objet,<br />
comme un écu (23) . Enfin, c’est également à partir des années<br />
1520 que certains culots en façade reçoivent des motifs de<br />
feuilles imbriquées, qui se répètent sur les bagues des pinacles<br />
(32 rue des Pastoureaux, 32 rue du Poirier) (FIG. 4 ET 7).<br />
Les maisons d’angle<br />
Les maisons situées à l’angle de deux rues étaient<br />
couramment valorisées, puisqu’elles bénéficiaient d’une<br />
situation privilégiée avec un certain recul permettant<br />
d’observer leur décor. Ainsi, le poteau cornier, constitué<br />
d’un bois long, peut recevoir un traitement sculpté dont<br />
les motifs se répètent sur toute sa hauteur. Aux étages<br />
du 124 rue de Bourgogne/1 rue du Bourdon-Blanc<br />
(1501 [d]), chaque face du poteau comporte deux pinacles<br />
sur bases prismatiques qui sont reliés par de petites<br />
arcatures « flamboyantes » semblables à des réseaux de baies<br />
miniaturisées. La tête de ce poteau est légèrement élargie<br />
et traitée comme un support mouluré (cavet et chanfrein<br />
obliques descendent sur l’arête externe du poteau). Des<br />
pinacles ornaient également les poteaux corniers des façades<br />
de la maison anciennement située entre la rue Saint-Étienne<br />
et l’impasse Sainte-Colombe. Sur la maison 23 rue du Poirier/<br />
rue de l’Empereur (milieu ou deuxième tiers du 16 e siècle),<br />
le décor bûché du poteau cornier ne peut être restitué avec<br />
précision mais il s’apparente à un pilastre. Ce décor était<br />
renforcé par les deux poteaux d’étage situés à proximité,<br />
un sur chaque façade, sculpté d’un pilastre à fût lisse et<br />
(17) Décors conservés. Sur ruelle ou impasse : 4 rue de la Cholerie, 32 rue du Poirier (1524 [d]). Sur<br />
cour : 14 place du Châtelet (1497 [d]), 282 rue de Bourgogne (vers 1505 [d]), 32 rue des Pastoureaux<br />
(façade du bâtiment postérieur). Au 83 rue de la Charpenterie (1479 [d]), seuls les pinacles<br />
ornant le piédroit oriental de la demi-croisée située à chaque étage ont été épargnés du bûchage<br />
puisqu’ils étaient protégés par un enduit posé lors d’une campagne de réfection du hourdis de la<br />
tourelle d’escalier jouxtant la façade.<br />
(18) JARRY 1909 : p. 54-55.<br />
(19) La façade principale sur cour de la maison anciennement située entre la rue Saint-Étienne et l’impasse<br />
Sainte-Colombe forme un cas particulier : le rez-de-chaussée à croix de Saint-André ornées<br />
de pinacles et d’accolades était surmonté d’un haut surcroît en pan-de-bois à grille également<br />
sculpté (vers 1500). De grandes pièces obliques (éperons) décorées de moulures s’assemblaient<br />
dans des poteaux sculptés de pinacles de plans quadrangulaires et munis de crochets (façades<br />
démontées au début des années 1960 ; 4 photographies conservées aux Archives départementales<br />
du Loiret, Cliché vue 506-509 ; une gravure dans : HUET, PIGELET 1900: p. 209).<br />
(20) Notons qu’au 83 rue de la Charpenterie, les bases prismatiques ne reposent pas sur un culot mais<br />
comportent une plinthe très développée en hauteur.<br />
(21) Exemples de culots fi gurés : 54 rue de la Charpenterie (vers 1530-1540 [d]), anciennement 1 rue<br />
de la Vieille-Peignerie (détruite), anciennement 20 rue de l’Empereur (détruite en 1844).<br />
(22) ALIX 2002: t. 2, p. 85.<br />
FIG. 8<br />
4 rue des<br />
Trois-Maillets<br />
(maison en<br />
pierre de taille)<br />
cloison nord<br />
de la cage<br />
d’escalier du<br />
second étage,<br />
culot est de la<br />
porte d’entrée<br />
représentant<br />
un acrobate<br />
ou un fou<br />
(1527 [d]).<br />
(photo Clément Alix)<br />
(23) Ces représentations caractéristiques de la sculpture du « gothique fl amboyant », souvent stéréotypées,<br />
se remarquent très fréquemment sur les édifi ces en pierre de la même époque, où elles ornent<br />
les culots des larmiers enveloppant des croisées et des demi-croisées (ALIX 2008 : p. 22-24).
9<br />
à chapiteau, posé sur une console ou un piédestal (24) . Ces<br />
exemples possèdent des décors qui restent limités comparés<br />
aux poteaux corniers visibles dans de nombreuses villes : ils<br />
portent alors des encorbellements et présentent des sections<br />
importantes qui permettent la réalisation d’une sculpture<br />
développée, couramment figurée, constituée par exemple<br />
de scènes religieuses, de statues en pied protégées par un<br />
dais, ou d’attributs liés à la fonction des habitants, agissant<br />
comme une enseigne servant à désigner l’habitation.<br />
Les rez-de-chaussée<br />
Les portes du rez-de-chaussée bénéficient parfois d’un<br />
traitement particulier. Pour les portes piétonnes, le linteau<br />
peut être sculpté d’une accolade engoulée (25) , ou alors recevoir<br />
deux aisseliers créant ainsi un arc (FIG. 9). Ce dernier dispositif<br />
est connu grâce à un dessin du 19 e siècle pour la maison qui<br />
se trouvait anciennement 2 rue de la Faverie à l’angle de la rue<br />
de Bourgogne (FIG. 10) : les aisseliers assemblés sous la sablière<br />
formaient un arc brisé (26) . Un tel décor subsiste aujourd’hui<br />
sur la maison 19 place de la Bascule où les aisseliers courbes<br />
forment un arc plein-cintre (27) . Les poteaux servant de piédroits<br />
aux devantures de boutiques sont rarement conservés. Au<br />
37 rue de l’Empereur (entre 1507-1531 [d], peut-être vers<br />
1517), le rez-de-chaussée est aménagé en sous-œuvre sous une<br />
façade en pierre du 13 e ou 14 e siècle, grâce à l’insertion d’une<br />
grosse sablière servant de poitrail : le parti était parfaitement<br />
symétrique et présentait deux portes piétonnes rejetées aux<br />
extrémités (une pour la boutique et la descente de cave au sud,<br />
FIG. 9<br />
10<br />
37 rue de l’Empereur<br />
rez-de-chaussée de la façade<br />
antérieure<br />
(entre 1507-1531 [d])<br />
(photo Laurent Mazuy)<br />
et une pour le couloir et l’escalier au nord), tandis qu’au centre<br />
deux devantures rectangulaires étaient séparées par un gros<br />
poteau traité à la manière d’une colonne : fût couvert d’écailles<br />
surmonté d’un chapiteau à feuilles d’acanthe sur la corbeille<br />
et denticules sur le tailloir (FIG. 9). Celles-ci se retrouvent<br />
également sur les culots pendants en tête des poteaux et<br />
(24) D’autres pilastres antiques semblent avoir orné les piédroits des croisées à l’emplacement des<br />
habituels pinacles. Remarquons que côté rue du Poirier cette façade a été construite légèrement<br />
en retrait de la maison médiévale voisine, témoignant probablement d’une volonté précoce de<br />
dégagement des abords du carrefour formé avec la rue de l’Empereur. Enfi n, il reste diffi cile de<br />
savoir si les modillons à volutes, cloués sur la sablière de gouttière, appartiennent au décor du 16 e<br />
siècle ou s’ils ont été ajoutés.<br />
(25) 37 rue de l’Empereur, 32 rue Sainte-Catherine (bûché), anciennement 1 rue de la Vieille-Peignerie<br />
(détruite).<br />
FIG. 10<br />
Maison d’angle anciennement 2 rue de la<br />
Faverie (rue de Bourgogne), angle avec la<br />
rue de l’Aiguillerie (Sainte-Catherine)<br />
première moitié 16 e siècle (?), relevé<br />
avant démolition des façades à panneaux<br />
de croix de Saint-André au 19 e siècle.<br />
(Orléans, Archives municipales, 4 D 46).<br />
(26) Nous remercions C. Bruand (archives municipales d’Orléans) pour nous avoir fait connaître ce relevé<br />
(Orléans, Archives municipales, 4 D 46).<br />
(27) Pan-de-bois à grille du milieu ou de la seconde moitié du 16 e siècle. Grâce aux mortaises visibles,<br />
ce décor peut également être restitué sur la maison voisine à l’ouest dont la construction est<br />
contemporaine.<br />
191
192<br />
<strong>EMPREINTE</strong> <strong>URBAINE</strong> - Le bâti domestique orléanais au 16 e siècle<br />
potelets des portes piétonnes et jours d’imposte. Au 37<br />
rue des Charretiers, le rez-de-chaussée comporte une porte<br />
cochère, dont l’un des piédroits est simplement sculpté<br />
d’un relief représentant deux hommes, vêtus à la mode du<br />
16 e siècle, dans une forêt abattant un arbre à la hache.<br />
Les lucarnes<br />
Le couronnement de ces façades à rive sur rue était assuré<br />
par une lucarne, dont le caractère parfois monumental<br />
rappelait la forme triangulaire des pignons. Ces lucarnespignons,<br />
qui peuvent être restituées sur de nombreuses<br />
maisons d’après les traces d’assemblage laissées sur leur<br />
surcroît (28) , présentent une fermette débordante qui<br />
s’accompagne d’un décor mouluré (chevrons de tête,<br />
aisseliers et jambettes courbes) et sculpté pour les potelets<br />
à têtes élargies portant les blochets (pinacles au 11 rue de<br />
Vaudour ; figures en pied au 261 rue de Bourgogne : un<br />
couple d’homme et de femme sauvages) (FIG. 1 ET 2). Les autres<br />
lucarnes, moins imposantes, sont néanmoins sujettes à un<br />
décor particulier : moulures des têtes élargies des poteaux<br />
portant le débord de la toiture, accolade sur la traverse,<br />
planches de rives trilobées, poinçon pendant (4 rue de la<br />
Cholerie ; 1 bis rue du Bourdon-Blanc, vers 1500 (29) ; 7 rue<br />
Saint-Éloi, deux lucarnes en bois sur une façade en pierre,<br />
1462 [d]). Il s’agit de lucarnes à meneau et traverse, dont<br />
le débord de la toiture est parfois porté par des aisseliers<br />
(35 rue de l’Empereur, maison nord : 1483 [d]). Enfin, des<br />
lucarnes plus simples et aux dimensions plus restreintes<br />
(avec meneau et sans traverse) présentent comme décor<br />
principal leurs planches de rives découpées en forme d’arc<br />
ou trilobées : 46 rue du Colombier (façade sur cour), 10<br />
rue de la Vieille-Monnaie (avec chanfreins), maison rue du<br />
Bœuf-Saint-Paterne, etc. (30)<br />
Les éléments disparus des façades<br />
D’autres éléments, qui nous échappent en grande partie<br />
aujourd’hui, participaient également de la mise en valeur<br />
des maisons : menuiseries et volets des ouvertures du rezde-chaussée<br />
et des étages, toitures (tuiles plates à crochets,<br />
essentes en bois et ardoises pour les 15 e et 16 e siècles),<br />
faîtages et épis, souches de cheminées, etc. Les châssis de<br />
vitraux pouvaient être peints (FIG. 11), comme en témoigne<br />
un fragment de la croisée du deuxième étage de la maison 20<br />
rue de l’Empereur (vers 1500) orné d’un décor « gothique »<br />
représentant un monogramme ou un millésime inscrit<br />
dans un quadrilobe (31) .<br />
Charpentiers, « ymagiers » et menuisiers<br />
FIG. 11<br />
Dans la quarantaine de maisons ornées de pinacles et de<br />
gâbles évoquées ci-dessus, la réalisation des sculptures a dû<br />
constituer un poste de dépenses élevé du chantier. On peut<br />
se demander si ce travail était effectué par des charpentiers<br />
qui auraient alors possédé cette compétence, ou si les<br />
commanditaires ont eu recours à des « tailleurs d’image »<br />
ou « ymaigiers », dont l’activité est bien différenciée et<br />
20 rue de l’Empereur<br />
(fin 15 e -début 16 e siècle ;<br />
détruite en 1844)<br />
motif décoratif peint<br />
sur un fragment de vitrail<br />
de la croisée du<br />
deuxième étage<br />
de la façade antérieure<br />
(d’après dessin<br />
VERGNAUD-ROMAGNESI 1844).<br />
(28) Lucarnes-pignons conservées : 261 rue de Bourgogne (provenant d’une maison du quartier des<br />
Halles), 11 rue de Vaudour (1507 [d]), 43 rue du Poirier, 6 bis rue Jeanne-d’Arc (dans la cour,<br />
façade remontée au 19 e siècle ?). Lucarnes pignons détruites connues par l’iconographie ou<br />
des descriptions : 3 rue des Carmes, deux maisons rue de la Corroierie, 29-33 rue de l’Écrevisse,<br />
anciennement 20 rue de l’Empereur, 30 rue des Hôtelleries (jouxtant l’ancienne chapelle Saint-<br />
Jacques), etc. Lucarnes-pignons détruites et restituées grâce aux assemblages sur surcroîts :<br />
264 rue de Bourgogne, 32 rue de la Charpenterie, 33 rue de l’Empereur (maison nord, 1490 [d]),<br />
48 rue Sainte-Catherine.<br />
(29) Relevé dans : MAZUY, ALIX, AUBANTON 2006 : p. 102.<br />
(30) Lucarne de la maison rue du Bœuf-Saint-Parterne dessinée dans : LAPRADE 1942 : pl. 43. De manière<br />
générale, les décors de toutes ces lucarnes se rapprochent de ceux présents sur la ferme<br />
débordante supportant les avant-toits des quelques rares maisons pignon sur rue connues à<br />
Orléans : blochets sur consoles sculptés de quarts d’arcs à redents et culs-de-lampe avec un<br />
feuillage frisé sur la maison de Jacques Boucher (JARRY 1909 : p. 55), poinçon en forme de clefpendante<br />
pour la maison anciennement 3 place du Marché-à-la-Volaille.<br />
(31) Ce fragment de vitrail, présent sous le bardage des planches et d’ardoises qui recouvraient le pande-bois,<br />
fut dessiné par C.-F. Vergnaud-Romagnési lors de la démolition de la maison en 1844 (ALIX<br />
2002 : t. 3, p. 89-90). La façade en pan-de-bois de cette maison a été relevée par L. Vaudoyer<br />
dans : DE BAUDOT, PERRAULT-DABOT 1856 : pl. 88, D.<br />
(32) Exemple plus tardif (seconde moitié du 16 e siècle) sur une maison en pan-de-bois à grille : moulure<br />
fi lante d’appui de la maison 227 rue de Bourgogne (seconde moitié du 16 e siècle ?). Autre<br />
procédé issu de la menuiserie, l’assemblage à coupe d’onglet est utilisé dans des maisons du<br />
dernier tiers du 16 e siècle évoquées plus bas (16 rue de la Poterne, 45 rue de la Charpenterie). Il<br />
permet de retourner la moulure en quart-de-rond des sablières sur les arêtes des poteaux.
détachée de celle du charpentier à la fin du Moyen Âge.<br />
Cela fut certainement le cas pour les culots figurés ou les<br />
programmes importants évoqués ci-dessous. Rappelons<br />
également, qu’à plusieurs reprises, les décors en relief<br />
empruntent des techniques utilisées en menuiserie, que les<br />
« huchiers » de cette époque réalisent couramment pour des<br />
meubles ou des vantaux d’ouvertures, notamment avec les<br />
flottages : par exemple, le recouvrement des moulures de<br />
l’accolade sur les piédroits, le débordement des moulures<br />
d’un appui ou d’une pièce filante sur les poteaux créant ainsi<br />
un effet de continuité (32) . Autre exemple de recouvrement,<br />
au 35 rue de l’Empereur (maison nord, 1483 [d]), les traces<br />
observées montrent que les culots portant les bases des<br />
pinacles pendaient au-devant de la sablière de chambrée.<br />
Dans le petit lotissement édifié vers 1466 [d] au 62-64 rue<br />
de la Charpenterie, constitué de trois unités d’habitation<br />
à un étage, il est intéressant de noter l’utilisation d’un<br />
décor raffiné nécessitant le recours à d’autres techniques<br />
de menuiserie (FIG. 12). De petites arcatures à réseaux<br />
« flamboyants » sont sculptées sur des planches utilisées<br />
comme remplissage de l’allège des baies : ces panneaux<br />
menuisés étaient glissés dans des châssis (deux montants<br />
entre lesquels s’assemblent, à tenon et mortaise renforcés<br />
par deux petites chevilles, une traverse basse et une haute).<br />
Ces châssis étaient disposés entre les deux piédroits et les<br />
deux potelets de l’allège dont les arêtes étaient moulurées<br />
d’un petit tore dégagé par un filet (33) .<br />
L’introduction des motifs « Renaissance »<br />
À l’instar de nombreuses villes, le décor des maisons<br />
en pan-de-bois puise dans le répertoire du « gothique<br />
flamboyant » jusqu’au milieu du 16 e siècle : moulures<br />
prismatiques, profondes et accentuées, gorges et tores, qui<br />
permettent de souligner la structure en étant concentrées<br />
autour des baies ou sur la sablière de chambrée. C’est à<br />
partir des années 1515-1530 que ces décors gothiques<br />
commencent à s’enrichir de motifs couvrants telles les<br />
écailles, les imbrications, les torsades, etc. : 32 rue du<br />
Poirier (1524 [d]), 32 rue des Pastoureaux (FIG. 7), 1 rue<br />
de la Vielle-Peignerie (34) . Ces mêmes motifs se retrouvent<br />
également sur quelques lucarnes en bois couronnant des<br />
élévations en pierre : colonnettes et accolade couvertes<br />
d’imbrications et d’écailles, 8 place du Cardinal-Touchet ;<br />
torsade à pointes-de-diamant alternant avec des écailles<br />
sur le linteau de la lucarne du 15 rue des Trois-Maries<br />
(façade sur cour). Simultanément, une évolution apparaît<br />
dans la forme des pinacles comme l’illustre l’exemple du<br />
FIG. 12<br />
66 rue de la Charpenterie (1466 [d])<br />
façade antérieure, étage, sablière ornée de rosaces et allège de<br />
la croisée fermée de panneaux sculptés sur châssis.<br />
(Cl. R. Malnoury, (c) Région Centre Inventaire général, ADAGP).<br />
32 rue du Poirier : les crochets sont ramassés près de la<br />
pointe qui présente un aspect plus trapu et moins effilé ;<br />
le corps reste de plan carré sur toute sa hauteur et se<br />
rapproche de la forme d’un pilastre (FIG. 4). Sur la lucarne<br />
de la maison en pierre 26 rue Louis-Roguet (façade sur<br />
cour), le décor « gothique » des moulures des piédroits, qui<br />
se prolongeait sur la traverse avec une accolade, est flanqué<br />
par de véritables petits pilastres à chapiteaux doriques à la<br />
place des habituels pinacles. C’est donc également dans ces<br />
années qu’apparaissent les premiers ornements italianisants<br />
mêlés au vocabulaire « flamboyant », comme cela a été<br />
évoqué avec l’exemple de la façade 37 rue de l’Empereur<br />
(acanthes et denticules). D’autres décors de transition<br />
se remarquent ponctuellement : petite feuille d’acanthe<br />
sculptée sur l’aisselier supportant la coursière de la maison<br />
28 rue de la Poterne (vers 1540) par exemple.<br />
(33) L’utilisation de panneaux menuisés se retrouve par exemple au 16 e siècle en Normandie (Les Andelys,<br />
Gisors, Caudebec-en-Caux) et particulièrement à Rouen, comme aux 115-117 rue du Gros-<br />
Horloge (VIOLLET-LE-DUC 1854-1868 : t. 6, p. 268-272, article « maison », fi g. 29-30 ; Lescroart<br />
1980 : p. 105, 111, 126, 129 ; LETTERON 2002 : p. 227), à Mâcon ou à Thiers (ENLART 1929 : p. 196,<br />
199, fi g. 118), et sur plusieurs maisons dites « à vitrine » ou à « mur-rideau » de la fi n du 16 e et<br />
du 17 e siècle à Dinan et à Saint-Malo (SOULAS 1986 : p. 73-80 ; LELOUP 2002 : p. 140-151). Des<br />
planches recouvrant l’ossature sont attestées en Belgique où elles sont parfois ornées du motif<br />
« en plis de serviettes » (HOUBRECHTS 2008 : p. 4-5).<br />
(34) A l’image des motifs qui ornent les fûts des pinacles ou des colonnettes de nombreuses maisons<br />
en pan-de-bois sculptées de cette époque : maison dite de Francois I er à Aubigny-sur-Nère (Cher),<br />
maison de la Porte Mouton à Gallardon (Eure-et-Loire), maison 19 rue aux Fèvres dit manoir de le<br />
Salamandre à Lisieux (Calvados), etc.<br />
193
194<br />
<strong>EMPREINTE</strong> <strong>URBAINE</strong> - Le bâti domestique orléanais au 16 e siècle<br />
FIG. 13<br />
Maison anciennement<br />
rue Sainte-Catherine<br />
(façade remontée<br />
place Abbé-Desnoyers<br />
au 19 e siècle et<br />
détruite dans les<br />
années 1940), vers<br />
1520-1540<br />
relevé de l’élévation de<br />
la façade antérieure et<br />
détails des sculptures.<br />
(VERDIER, CATTOIS 1855-1857 : t. 2)
Quelques façades se distinguent par l’importance de leur<br />
programme sculpté. Sur une maison anciennement rue<br />
Sainte-Catherine (35) , la structure et une partie du décor<br />
couvrant (pinacles, accolades et arcs surbaissés s’étendant<br />
sur les panneaux pleins) restent parfaitement identiques aux<br />
habitations précédemment décrites (FIG. 13). En revanche,<br />
toutes les pièces de bois sculptées sont couvertes de motifs<br />
répétitifs : imbrications et écailles, oves, chapelets de perles,<br />
rubans torsadés (36) . Remarquons que les oves, ornements<br />
d’origine antique très en vogue en France à partir des années<br />
1500, présentent une adaptation locale du motif puisque<br />
qu’ils sont compris dans d’épaisses coques non tronquées<br />
dépourvues de motifs de liaison (37) , interprétation que l’on<br />
observe également sur les demeures en pierre (38) .<br />
Sur l’ensemble de la façade, les bases des pinacles reposent<br />
sur vingt et un culots, représentant des personnages en<br />
buste, masculins ou féminins, parfois couverts de chaperons.<br />
Certaines de ces figures sont représentées de face ou de trois<br />
quarts avec un bras figé dans un geste didactique. Pour<br />
le surcroît du comble, les culots sont sculptés de visages<br />
stylisés représentés de face, évoquant des mascarons ou des<br />
masques feuillus. Les poteaux à têtes élargies supportant<br />
le débord de la lucarne sont également munis de culots<br />
sculptés de visages stylisés (39) . Ils portent une colonnette à<br />
base moulurée, à chapiteau et à fût orné d’imbrications. Audessus,<br />
l’élargissement du poteau est sculpté à la manière<br />
d’une niche abritant un personnage en pied, qui repose sur<br />
un petit cul-de-lampe représentant un mascaron à gauche,<br />
et une tête de putto ailé à droite. Le personnage du poteau<br />
de droite est un évêque coiffé d’une mitre, tenant sa crosse<br />
de la main gauche et bénissant de l’autre. Sur le poteau de<br />
gauche, il s’agit d’un moine encapuchonné, peut-être en<br />
position d’orant. Cette maison est donc bien caractéristique<br />
de l’art de la première Renaissance, dont le décor abondant<br />
fait la synthèse entre des motifs importés d’Italie et ceux<br />
issus du répertoire « gothique » traditionnel.<br />
Autre exemple de décor luxueux, la maison anciennement<br />
située au 29-33 rue de l’Écrevisse comportait deux unités<br />
d’habitation jointives, dont les façades à pinacles étaient<br />
couronnées chacune par une lucarne-pignon (40) . D’après les<br />
descriptions du 19 e siècle, leurs débords étaient portés par<br />
des figures dont certaines auraient représenté des moines.<br />
Dans la cour, la façade de la galerie possédait d’étroits<br />
panneaux de croix de Saint-André (entre 35 et 38 cm de<br />
large) surmontés par des entretoises sculptées d’arcs en anse<br />
de panier renfermant une frise d’oves (FIG. 14). La croisée<br />
au centre était jouxtée de chaque côté de son registre<br />
FIG. 14<br />
Maison anciennement 29-33 rue de<br />
l’Écrevisse, milieu 16 e siècle (vers 1545 ?)<br />
façade remontée place Abbé Desnoyers<br />
en 1890, disparue dans les années 1940),<br />
élévation de l’étage de la galerie sur cour.<br />
(Orléans, Archives municipales, Sous-série 1Fi)<br />
(35) Dans la numérotation du 19 e siècle, elle était située au 14 rue Sainte-Catherine. C’est à cette époque<br />
que la maison fut détruite et que sa façade fut déplacée place Abbé-Desnoyers, où elle brûla<br />
en 1940 (ALIX 2002 : t. 2, p. 112-118 ; t. 3, p. 48-49). Certains éléments de son décor sont représentés<br />
en détail sur une planche dans VERDIER, CATTOIS 1855-1857 : t. 2, p. 118-119.<br />
(36) Les trois sablières de chambrée sont engoulées et ornées d’un corps de moulures sculpté : pour<br />
le rez-de-chaussée, d’un chapelet dont le ruban alterne avec deux perles, le tout surmonté d’une<br />
frise d’arceaux ; pour le premier étage, d’un chapelet à ruban et perle unique ; pour le deuxième<br />
étage, d’un ruban torsadé orné de pointes-de-diamant alternant avec des imbrications.<br />
(37) DAGNAS-THOMAS 1998 : t. 1, p. 150-154.<br />
(38) À Orléans, deux types d’oves sont visibles sur l’hôtel brique et pierre de François Brachet, dit de<br />
la Vieille-Intendance (24-28 rue de la Bretonnerie), construit vers 1505-1510 : ils sont de formes<br />
ovoïdes dans des coques tronquées mais séparés par de petites feuilles (sur les culs-de-lampe<br />
des échauguettes), ou à l’inverse, sphériques à l’intérieur de coques non tronquées et séparés par<br />
des dards (sur la corniche des tours d’escalier et des échauguettes). Sur la corniche de la maison<br />
de l’Ours (4 place du Châtelet), les oves sont quant à eux dépourvus de motifs de liaison. Dans<br />
un autre exemple de la ville, la corniche de la maison 24 rue Louis-Roguet (façade rue Étienne-<br />
Dolet) présente des oves à coques tronquées, séparés par des dards, qui sont plus conformes aux<br />
exemples italiens. Pour les maisons en pan-de-bois, de tels oves sphériques et sans dard ornent<br />
par exemple la maison dite de François I er à Aubigny-sur-Nère (Cher), qui pourrait dater de 1519<br />
(TOULIER 1994 : p. 28), ou la maison de la rue de la Porte-Mouton à Gallardon (Eure-et-Loire).<br />
(39) Cette lucarne comporte un poinçon pendant sculpté à son sommet d’un petit pinacle et en pied<br />
d’une tête animale tournée vers le sol. Les planches de rives ornées de torsades à pointes-dediamant<br />
forment un arc brisé à l’intrados ponctué de redents. Elles reposent sur un entrait également<br />
torsadé et engoulé à ses extrémités. Une lucarne quasiment identique couronnait la maison<br />
anciennement 1 rue de la Vieille-Peignerie (ALIX 2008 : p. 32-33).<br />
(40) Cette maison détruite au 19 e siècle est connue par de brèves descriptions et par quelques représentations<br />
(ALIX 2002 : t. 2, p. 152-153). La façade de sa galerie sur cour fut remontée au musée<br />
historique en 1890, avant de disparaître dans les années 1940.<br />
195
196<br />
<strong>EMPREINTE</strong> <strong>URBAINE</strong> - Le bâti domestique orléanais au 16 e siècle<br />
FIG. 15<br />
Maisons anciennement quartier<br />
du Châtelet, milieu du 16 e siècle ?<br />
(maisons détruites en 1884 ; éléments<br />
disparus)<br />
photographie de poteaux et de potelets<br />
déposés au Musée historique et<br />
archéologique de l’orléanais.<br />
(collection particulière)<br />
supérieur par de petites fenêtres formant un ajourement<br />
continu, à la manière des façades décrites ci-dessus. Les<br />
arcs surbaissés avec oves étaient également présents sur<br />
la sablière de toiture afin d’orner les linteaux des petits<br />
jours. Dans cet exemple, les poteaux n’étaient plus sculptés<br />
de pinacles mais de deux colonnettes superposées à fûts<br />
renflés, cannelés, et à chapiteaux ioniques. La colonnette<br />
inférieure reposait sur un piédestal porté par un culot<br />
en forme de visage. L’ensemble de ce décor indique une<br />
construction du milieu du 16 e siècle (41) et constituerait<br />
donc, avec la maison déjà décrite du 23 rue du Poirier,<br />
un premier exemple d’utilisation de supports d’inspiration<br />
antique dans les pans-de-bois de la ville.<br />
Enfin, d’autres exemples, connus grâce à une photographie<br />
ancienne (FIG. 15), témoignent de la variété du décor du<br />
milieu du 16 e siècle et annoncent l’apparition de motifs<br />
classiques. Il s’agit de plusieurs poteaux et potelets sculptés<br />
déposés devant le musée historique et archéologique de<br />
l’Orléanais, qui proviendraient de maisons du quartier du<br />
Châtelet détruites en 1884 (42) . On y reconnaît plusieurs<br />
pilastres corinthiens, parfois à fûts cannelés, avec chapiteaux<br />
surmontés d’un personnage à l’antique, atlante (putto) ou<br />
cariatide, portant un vase ; des potelets ornés de feuilles<br />
d’acanthe plates et de médaillons ; un pilastre à fût orné<br />
d’un losange renfermant un bouillon de feuillage (43) ; des<br />
colonnes-candélabres posées sur un mascaron, avec vases à<br />
godrons, chapiteaux ioniques ou corinthiens, fûts ornés de<br />
chevrons et d’une palme (44) . Ces supports constitués d’une<br />
superposition d’éléments issus du répertoire « à l’antique »<br />
témoignent toujours de ce goût pour les enchaînements<br />
verticaux.<br />
(41) Cette datation ne paraît pas incompatible avec le millésime de 1545 qui était sculpté sur un blason<br />
ornant la porte d’entrée en pierre de la maison.<br />
(42) Rien ne permet de savoir si ces éléments proviennent de la même habitation ou de plusieurs édi-<br />
fi ces distincts.<br />
(43) Un motif identique, losange avec bouillon de feuillage, existait sur un poteau placé sous une arcade<br />
en anse de panier d’une maison en pierre anciennement 3 rue de la Cerche, où il servait de piédroit<br />
entre la porte d’entrée et la devanture de boutique (remploi ?). Le losange, situé dans une table<br />
rectangulaire couverte de motifs d’imbrications, ornait la tête élargie du poteau et surmontait un<br />
personnage sculpté en pied, peut-être saint Nicolas (photographie : SRI Centre, classeur Orléans<br />
n° 11 ; élément disparu en 1920).<br />
(44) La colonne-candélabre, qui eut un grand succès dans l’architecture en pierre de la Renaissance,<br />
est également présente dans les édifi ces en pan-de-bois normands (LETTERON 2003 : p. 225-<br />
227).
FIG. 16<br />
258 rue de Bourgogne,<br />
façade antérieure,<br />
(entre 1596-1621 [d],<br />
probablement vers 1602)<br />
relevé du décor du<br />
poteau séparant les baies<br />
principales du second étage,<br />
feuilles d’acanthe et rosace<br />
en médaillon.<br />
(relevé et DAO Clément Alix)<br />
Les nouvelles ossatures<br />
et les décors de<br />
la seconde Renaissance<br />
Dans l’architecture en pan-de-bois orléanaise,<br />
les motifs sculptés de la Renaissance<br />
classique se remarquent plus couramment<br />
sur certaines maisons élevées entre le dernier<br />
tiers du 16 e siècle et le premier tiers du<br />
17 e siècle, à la différence des nombreuses<br />
habitations en pierre au décor classique<br />
construites dans la ville dès les années<br />
1540-1560 (45) . Ainsi, vers les années 1560,<br />
époque à laquelle se multiplient ces décors,<br />
les panneaux à croix de Saint-André cessent<br />
d’être employés (exemple daté actuellement<br />
le plus tardif : 35 rue de l’Empereur, maison<br />
sud, 1569 [d]) (FIG. 1). Ils ont été remplacés<br />
progressivement par des parois en pan-de-bois à grille,<br />
mais également par des ossatures dites à losanges qui<br />
apparaissent à cette époque (46) (premier exemple daté :<br />
16 rue de la Poterne, 1566 [d]). Ces nouvelles ossatures<br />
sont associées à une sablière unique (47) et le hourdis est<br />
souvent constitué de briquettes apparentes.<br />
Le pan-de-bois à grille et son décor<br />
Le pan-de-bois à grille, de conception simple, présente<br />
une armature de poteaux d’étages et de fenêtres, de<br />
pièces obliques (décharges ou éperons) au-dessous et au-<br />
dessus desquelles s’assemblent des tournisses. Attesté dès<br />
le 15 e siècle pour des élévations n’ayant aucun caractère<br />
ostentatoire (murs mitoyens, cloisons ou façades sur<br />
cour) ce pan-de-bois est utilisé progressivement en façade<br />
antérieure à partir de la première moitié du 16 e siècle (48) .<br />
Parmi les façades à grille de cette époque, celle du 258<br />
rue de Bourgogne (entre 1596-1621 [d], probablement<br />
vers 1602) présente à chaque étage deux baies principales<br />
séparées par un poteau sculpté en méplat de deux grandes<br />
feuilles d’acanthe plates flanquant une rosace à cinq pétales<br />
en médaillon (FIG. 16). Ce même décor se retrouve sur la<br />
maison 1 rue Saint-Éloi : l’habitation à façades à panneaux<br />
de croix de Saint-André (fin 15 e -début 16 e siècle) est<br />
modifiée probablement autour de 1600 par la construction<br />
d’un nouveau bâtiment en fond de cour relié au précédent<br />
par une galerie et un escalier demi hors-œuvre. Le décor de<br />
grandes feuilles s’étend sur les poteaux de la baie principale<br />
de l’étage et les poteaux latéraux de la façade du bâtiment<br />
postérieur, ainsi que sur les poteaux de fenêtre et le poteau<br />
de fond de la galerie. Pour la cage d’escalier, on le retrouve<br />
sur les piédroits et le linteau de la porte (feuilles encadrant<br />
un médaillon central), sur les aisseliers, sur les potelets<br />
du garde-corps qui alternent avec des balustres à double<br />
poire (49) , tandis que les limons et les mains courantes sont<br />
ornés d’une tresse à oeillets (50) . Autre décor classique, les<br />
(45) ALIX 2002 : t. 1, p. 89 ; MAZUY, ALIX, AUBANTON 2006 : p. 21-29.<br />
(46) À Orléans, les deux seules maisons à parois à losanges antérieures à cet exemple comportent<br />
également des panneaux de croix de Saint-André : maison anciennement 3 place du Marché-àla-<br />
Volaille où les losanges sont cantonnés au comble du pignon (vers 1520-1540 d’après le<br />
décor ; PENSEE 1849 : pl. 57) ; anciennement rue Notre-Dame-de-Recouvrance (milieu du 16 e<br />
siècle ; aquarelle de G. Pracine, 1885, Orléans, Musée historique et archéologique de l’orléanais,<br />
inv. 16530). Comme en Bourgogne, ces ossatures à losanges apparaissent tardivement à Orléans,<br />
alors que dans des villes proches comme Tours elles caractérisent des constructions dites « gothiques<br />
» (15 e et début 16 e siècle) ; inversement, les maisons à panneaux de croix de Saint-André<br />
y sont peu nombreuses (SAINT JEAN VITUS 1992 : p ; 270 ; BONNIN 1980 : p. 63).<br />
(47) Le système traditionnel des doubles sablières connu depuis le 15 e siècle cesse lui aussi progressivement<br />
d’être employé depuis le milieu du 16 e siècle, même si on l’observe sur quelques exemples<br />
tardifs (26 place du Châtelet, 1598 [d]).<br />
(48) Premiers exemples en façade antérieure : 3 rue du Bourdon-Blanc (premier étage, 1510 [d]), hôtel<br />
Toutin, 26 rue Notre-Dame-de-Recouvrance (façade nord, 1535 [d]). Quelques exemples de la<br />
deuxième moitié du 16 e siècle, mais dépourvus de décors sculptés : 40 rue de la Charpenterie<br />
(premier étage), murs gouttereaux du 16 rue de la Poterne, 26 place du Châtelet (1598 [d]).<br />
(49) Il constitue un des exemples les plus anciens de balustres à double poire en bois dont subsistent<br />
de très nombreux exemplaires dans les garde-corps d’escaliers, de coursières ou de galeries des<br />
17 e et 18 e siècles à Orléans.<br />
(50) Remarquons que ce motif de tresses, employé ici très tardivement, est déjà présent dans les habitations<br />
en pierre vers 1505-1510 sur le noyau de l’escalier en vis occidental de l’hôtel de François<br />
Brachet (dit de la Vieille-Intendance, 24-28 rue de la Bretonnerie) et vers 1519 [d] sur certaines<br />
fenêtres de la maison de commerçant 34 rue de la Charpenterie.<br />
197
198<br />
<strong>EMPREINTE</strong> <strong>URBAINE</strong> - Le bâti domestique orléanais au 16 e siècle<br />
FIG. 17<br />
Maison<br />
anciennement<br />
48 rue des Hôtelleries<br />
(détruite)<br />
relevé en élévation<br />
de la façade<br />
antérieure, fin du<br />
16 e siècle<br />
(vers 1599 ?).<br />
À droite, façade<br />
en pierre de la<br />
maison dite de<br />
Jean Dallibert,<br />
6 place du Châtelet<br />
(vers 1540-1550).<br />
(dessin de L. Vaudoyer dans :<br />
DE BAUDOT, PERRAULT-DABOT<br />
1856 : pl. 89, F, G)<br />
17<br />
18<br />
19<br />
FIG. 18<br />
14 rue Sainte-Catherine<br />
façade antérieure (entre<br />
1621 [d]), ossature à losanges,<br />
décors de feuilles d’acanthe,<br />
sablière unique moulurée et tête<br />
du tirant ornée de stries.<br />
(photo Laurent Mazuy)<br />
FIG. 19<br />
Maison anciennement 10 rue du<br />
Coulon (détruite : fin 16 e siècle ou<br />
début 17 e siècle ?)<br />
galerie sur cour avec termes, aquarelle<br />
d’H. Chouppe, « Maison rue du Coulon 10 »,<br />
10 juillet 1876.<br />
(Orléans, Musée historique et archéologique de<br />
l’orléanais)
sablières moulurées du bâtiment postérieur et de la galerie<br />
présentent un renflement à la manière d’un entablement à<br />
frise bombée. Parmi ces exemples, la maison anciennement<br />
48 rue des Hôtelleries (détruite), se distinguait par l’emploi<br />
d’une paroi en grille à poteaux (et potelets pour le surcroît)<br />
très espacés et systématiquement sculptés de pilastres sur<br />
consoles à volutes, recoupés par l’appui filant des baies<br />
(FIG. 17). Par comparaison aux autres exemples datés par<br />
dendrochronologie, le millésime de 1599 sculpté dans un<br />
écu sur sa façade pourrait bien correspondre à l’année de sa<br />
construction (51) .<br />
Le pan-de-bois à losanges et son décor<br />
Quant aux ossatures dites à losanges, elles se composent<br />
d’un réseau très resserré de décharges, de guettes et d’éperons<br />
assemblés à mi-bois, qui forme un étroit quadrillage de<br />
losanges très décoratif, parfois placé légèrement en retrait<br />
par rapport aux éléments de l’armature principale dans les<br />
exemples les plus anciens (sablières, poteaux de fenêtres ou<br />
de fond : 16 rue de la Poterne, 45 rue de la Charpenterie<br />
vers 1580 [d] (52) ). Sur ces deux dernières maisons, ainsi<br />
que sur celles du 14 rue Sainte-Catherine (1621 [d])<br />
et anciennement 73 rue de la Charpenterie (début du<br />
17 e siècle), les appuis sont filants, les sablières sont<br />
moulurées à l’imitation d’entablement et les réseaux de<br />
losange sont séparés par des poteaux sculptés de pilastres des<br />
différents ordres de l’architecture classique (53) . Aux 73 rue<br />
de la Charpenterie et 14 rue Sainte-Catherine, ces pilastres<br />
s’accompagnaient de consoles à volutes sculptées de feuilles<br />
d’acanthe et de rosaces en médaillons (FIG. 18). À noter, sur<br />
cette dernière maison, les têtes coniques des traditionnels<br />
tirants en fer liant les solives du plafond aux sablières<br />
participent également au décor : des stries convergent vers<br />
le centre à la manière d’un bouton de fleur.<br />
Fenêtres et lucarnes<br />
Suite à l’évolution des formats des menuiseries, les baies<br />
principales aux étages de ces maisons ne possèdent plus de<br />
traverses (qui sont intégrées aux châssis) mais conservent<br />
des meneaux. Au milieu du 16 e siècle, quelques lucarnes<br />
à meneau reprennent les formes des baies géminées<br />
visibles dans l’architecture en pierre classique : le linteau<br />
est échancré de deux petits arcs plein-cintre (295 rue de<br />
Bourgogne ; lucarnes en bois que l’on retrouve sur des<br />
édifices en pierre : 6 place du Cardinal-Touchet, 17 rue<br />
d’Escures avec planches de rive trilobées « gothiques »).<br />
D’autres lucarnes à meneau sont munies d’un poinçon à<br />
clef pendante sculptée dans lequel s’assemblent les planches<br />
de rives formant un arc plein-cintre (19 place de la Bascule,<br />
14 rue Sainte-Catherine, 73 rue de la Charpenterie, 271<br />
rue de Bourgogne 17 e siècle) ou polylobées (258 rue de<br />
Bourgogne).<br />
Autres exemples de décors sculptés<br />
Enfin citons un dernier exemple de décor remarquable, dans<br />
la cour de la maison anciennement 10 rue du Coulon (54)<br />
(détruite, fin du 16 e ou première moitié du 17 e siècle), la<br />
galerie présentait des supports anthropomorphes, cariatides<br />
ou atlantes engainés sur les potelets du garde-corps (FIG. 19), à<br />
la manière des termes dont les modèles se diffusent grâce aux<br />
traités d’architecture du milieu et de la seconde moitié du<br />
16 e siècle (55) . À titre de comparaison, remarquons que<br />
cariatides et atlantes engainés sont utilisés précocement sur<br />
les façades de deux maisons en pierre de riches commerçants,<br />
en particulier pour orner les jours d’imposte de la porte<br />
d’entrée : ils supportent l’entablement à la maison dite de<br />
la Coquille 7 rue de la Pierre-Percée (vers 1543-1544 [d]),<br />
ou reçoivent l’archivolte à la maison dite de Jean Dallibert<br />
(FIG. 17), 6 place du Châtelet (56) (années 1540).<br />
D’autres motifs sculptés de la Renaissance classique sont<br />
conservés aujourd’hui sur quelques élévations : pilastre<br />
à fût cannelé et chapiteau ionique en rez-de-chaussée et<br />
modillons à volutes portant l’appui de la fenêtre d’étage<br />
(51) Façade dessinée par L. Vaudoyer dans DE BAUDOT, PERRAULT-DABOT 1856 : pl. 89, F. Le millésime<br />
est reproduit dans PENSEE 1849 : pl. 60.<br />
(52) MAZUY, ALIX, AUBANTON 2006 : p. 21-24.<br />
(53) 45 rue de la Charpenterie : pilastres doriques au premier étage et corinthiens au second. 14 rue<br />
Sainte-Catherine : pilastres toscans aux fûts couverts de grandes feuilles d’acanthe. 73 rue de la<br />
Charpenterie : pilastres corinthiens cannelés, sablière à renfl ement évoquant une frise bombée,<br />
les deux entretoises servant d’appuis aux jours hauts sont sculptées de godrons ou de rinceaux.<br />
(54) ALIX 2002 : t. 2, p. 170-171. Aquarelle de J.-H. Chouppe, « Maison rue du Coulon 10 », 10 juillet 1876<br />
Orléans, Musée historique et archéologique de l’orléanais, 2626). Aquarelle de J.-L Loyau, « L’intérieur<br />
de la cour rue du Coulon n° 10 », 19 e siècle (ibidem, 2812). Lithographie, « Maison rue du<br />
Coulon d’après une aquarelle de Joyau (vers 1865) », dans MERLIN (E.), Le vieil Orléans, 30 eauxfortes,<br />
1878, pl. 27.<br />
(55) Comme par exemple : les modèles pour cheminées de Sebastiano Serlio, Quarto Libro, 1537 ; certaines<br />
planches du recueil gravé de termes de Jacques I er Androuet Du Cerceau, vers 1550-1560<br />
(Paris, Bibliothèque nationale de France, Cab. Est., Ed. 2 d) ; les modèles d’Hugues Sambin, Œuvre<br />
de la diversité des termes dont on use en architecture, 1572). Dans la construction en pan-de-bois<br />
du Val de Loire, plusieurs exemples de supports anthropomorphes datant du dernier tiers du 16 e<br />
siècle sont également connus sur les façades de maisons d’Angers (LETELLIER, BIGUET 1986 :<br />
p. 42).<br />
199
200<br />
<strong>EMPREINTE</strong> <strong>URBAINE</strong> - Le bâti domestique orléanais au 16 e siècle<br />
(5 rue du Bourdon-Blanc), pilastre toscan à fût orné d’une<br />
feuille d’acanthe plate et dont le chapiteau porte une console<br />
à volute sculptée de feuilles (52 rue de la Charpenterie,<br />
façade sur cour) ; pilastres toscans à fût cannelé (44 rue<br />
de la Charpenterie : façade sur cour du corps de bâtiment<br />
postérieur) ; renflement présentant un gable en talon<br />
s’assimilant à une console, à volute ou en gaine, placé sous<br />
la tête de poteaux élargis portant une sablière (22 place<br />
du Châtelet, comble de la façade sur cour ; 7 rue du Gros-<br />
Anneau, intérieur de la galerie, 17 e siècle ?), etc.<br />
Dans les maisons en pan-de-bois de la fin du Moyen Âge et<br />
de la Renaissance d’Orléans, l’absence de surplomb limite<br />
le développement de grands programmes iconographiques<br />
visibles dans d’autres centres urbains de la région, où les<br />
sculptures s’adaptent parfaitement à la forme des organes<br />
permettant le débord de la façade (figures sur les consoles<br />
ou les têtes des poteaux élargies, motifs en frise et moulures<br />
profondes des entretoises) (57) . À Orléans, ces décors<br />
sculptés se développent uniquement sur les éléments<br />
portant le débord des grandes lucarnes qui viennent pallier<br />
l’absence de véritables pignons sur rue. Même si on observe<br />
une certaine constante dans l’agencement des élévations<br />
due à l’utilisation répétitive des panneaux de croix de<br />
Saint-André, les charpentiers ont parfois su tirer parti<br />
du caractère « standardisé » de la construction pour créer<br />
une variété de programmes décoratifs grâce notamment<br />
aux diverses possibilités de percement des baies. Cette<br />
architecture en pan-de-bois offrait une alternative à la<br />
construction courante de maisons en maçonnerie de petits<br />
moellons (calcaire de Beauce), tout en présentant un aspect<br />
ornemental grâce aux pièces de bois de l’ossature. Le décor<br />
sculpté est également un moyen efficace de mettre en valeur<br />
la façade, notamment pour les fenêtres principales, même<br />
s’il reste un luxe que seuls les bourgeois, commerçants<br />
ou artisans aisés, pouvaient s’offrir. À l’échelle du corpus<br />
orléanais, l’introduction des formes classiques et l’adoption<br />
de la superposition des ordres, qui est relativement tardive<br />
au regard des habitations en pierre, semblent être restées<br />
limitées aux demeures les plus cossues. !<br />
(56) Quelques années après ces deux exemples, des termes seront également employés pour orner de<br />
manière monumentale les portes d’entrée de l’hôtel brique et pierre 3 place de l’Étape, construit<br />
vers 1549-1553 pour Jacques Groslot, bailli d’Orléans, conseiller au Grand Conseil et chancelier du<br />
duc d’Alençon.<br />
(57) Certains de ces décors présentent un développement particulièrement important, par exemple :<br />
maison des Acrobates à Blois (41), maison de la Reine Blanche à Bourges (18), maison 2 rue du<br />
Change à Tours (37), maison du Saumon à Chartres (28), maison d’Adam à Angers (49), maison<br />
18 place du Pilori à Joigny (89), etc. Sur les signifi cations de certains de ces décors : Journot à<br />
paraître. Au-delà de ces programmes, la structure même des encorbellements présente un intérêt<br />
purement décoratif et ostentatoire comme cela a été observé par exemple sur certains manoirs<br />
du Pays d’Auge (LESCROART 1995 : p. 199).
LES ESPACES RELIGIEUX<br />
DE LA VILLE<br />
L’architecture religieuse<br />
de la Renaissance à Orléans<br />
N DÉPIT DES DESTRUCTIONS LIÉES AUX GUERRES DE RELIGION OU AUX BOMBARDEMENTS DE 1940,<br />
Orléans conserve des églises embellies, agrandies ou édifiées ex nihilo au 16 e siècle, lesquelles<br />
font écho aux nombreuses réalisations de l’architecture domestique, tant de la première que<br />
de la seconde Renaissance.<br />
« Avec la renaissance s’arrêtent les développements de l’architecture religieuse<br />
en France. Elle se traîne pendant le 16 e siècle indécise, conservant et repoussant<br />
tour à tour ses traditions, n’ayant ni le courage de rompre avec les formes et le<br />
système de construction des siècles précédents, ni le moyen de les conserver…<br />
L’architecture civile prend un nouvel essor pendant toute la durée du 16 e<br />
siècle et produit seule des œuvres vraiment originales » (1) .<br />
Le jugement sévère d’Eugène Viollet-le-Duc témoigne du<br />
discrédit dont ont longtemps souffert les édifices religieux<br />
élevés au 16 e siècle. Associant structures gothiques et<br />
architectures « à l’antique », ces monuments témoignent<br />
pourtant de la diffusion et de l’adoption progressive de la<br />
nouvelle syntaxe architecturale.<br />
Du gothique flamboyant…<br />
Dans la seconde moitié du 15 e siècle, la guerre de<br />
Cent Ans (1337-1453) achevée, Orléans connut une<br />
poussée démographique (2) qui entraîna une vague de<br />
reconstructions civiles et religieuses. Ainsi, les églises des<br />
faubourgs, volontairement détruites par la population<br />
afin qu’elles ne puissent servir de lieux de retranchement<br />
aux assaillants anglais, furent réédifiées telle la collégiale<br />
Saint-Aignan dès la fin des années 1430 (3) . Les vestiges<br />
de l’église Saint-Paul ou de l’église Saint-Euverte, la<br />
façade remontée - dans les jardins de l’hôtel Groslot - de<br />
l’église Saint-Jacques témoignent, entre autres, de ce fort<br />
élan de reconstruction. Ces édifices, qui ne font encore<br />
(1) VIOLLET -LE-DUC 1863 : t. I, p. 240.<br />
2 Empreinte<br />
urbaine<br />
(2) Pour des précisions sur la démographie en France des 15 e et 16 e siècles, voir DUPAQUIER 1988.<br />
(3) La nouvelle collégiale n’est dédiée qu’en 1509, MARTIN, RAPIN 2001 : p. 85 et 99.<br />
Julien Noblet,<br />
docteur en Histoire<br />
de l’Art (Univ. de<br />
Paris IV-Sorbonne),<br />
Centre André Chastel<br />
201
202 <strong>EMPREINTE</strong> <strong>URBAINE</strong> - Les espaces religieux de la ville<br />
1<br />
FIG. 1<br />
Saint-Pierre-du-Martroi<br />
détail du couronnement<br />
de la porte septentrionale.<br />
(photo Julien Noblet)<br />
FIG. 2<br />
Notre-Dame-de-<br />
Recouvrance<br />
vue générale de<br />
l’intérieur vers l’est<br />
(photo Laurent Mazuy)<br />
2
aucune concession au nouveau style, appartiennent au<br />
gothique flamboyant qui se caractérise par une profusion<br />
ornementale, une recherche des effets de continuité et de<br />
fluidité des lignes architecturales. Ainsi, la façade de l’église<br />
Saint-Jacques comporte deux arcades brisées très élancées,<br />
que soulignaient jadis des gâbles. Les ébrasements, animés<br />
de multiples voussures ornées de redents trilobés, abritent<br />
un profus décor sculpté (choux frisés, feuilles de vigne,<br />
animaux…) auquel se mêlent des éléments architecturés<br />
comme les niches, au couronnement très développé en<br />
hauteur, qui s’imbriquent aux nervures. Entre chaque<br />
ouverture, d’autres niches, encadrées de pinacles et<br />
surmontées d’un remplage aveugle, illustrent cette horreur<br />
du vide, la volonté de couvrir de motifs l’ensemble de la<br />
façade.<br />
À l’architecture de la première<br />
Renaissance<br />
En raison de la multiplication des chantiers à cette période,<br />
l’activité architecturale du 16 e siècle présente une moindre<br />
intensité, mais non un moindre intérêt.<br />
À l’église Saint-Pierre-du-Martroi, commencée durant la<br />
dernière décennie du 15 e siècle, s’observent des intrusions<br />
du nouveau vocabulaire datant des années 1520, époque à<br />
laquelle fut posé le voûtement. Le maître maçon responsable<br />
de cette opération, Jehan Lemerle, introduit, pour recevoir<br />
les voûtes d’ogives, des culots sculptés (4) . Destinés à<br />
porter les ogives, ces éléments créent une articulation qui<br />
s’oppose à la recherche de continuité gothique. Ainsi, les<br />
nervures ne sont plus ininterrompues du sol aux clefs de<br />
voûte. Quant à l’ornementation du culot, elle joue sur<br />
la superposition de plusieurs moulures, à la modénature<br />
atténuée, qui crée des ressauts successifs afin d’offrir une<br />
assise suffisante, démontrant ainsi l’inventivité des maîtres<br />
d’œuvre dans l’utilisation et l’adaptation de la nouvelle<br />
syntaxe architecturale à la réception du mode de voûtement<br />
gothique.<br />
Au-dessus du portail latéral rue d’Escures subsiste en partie<br />
haute le décor de l’ancienne porte : flanquée des armes<br />
de généreux bienfaiteurs, une niche, qui se substitue au<br />
traditionnel fleuron gothique, souligne l’adhésion des<br />
commanditaires comme du maître maçon au vocabulaire<br />
italianisant (FIG. 1). Ce couronnement, reproduction<br />
miniature d’un tempietto reposant sur un édicule porté<br />
par une coquille, donne une touche antiquisante au portail<br />
tout en insufflant un élan vertical à la construction (5) ,<br />
preuve que si le vocabulaire change, le goût pour les effets<br />
gothiques reste présent.<br />
Un édifice construit ex nihilo :<br />
Notre-Dame-de-Recouvrance<br />
La fin du 15 e siècle, en raison de la poussée démographique,<br />
vit la construction d’une nouvelle accrue à l’ouest de la<br />
ville progressivement englobée par la quatrième enceinte (6) .<br />
Désormais sans raison d’être, les anciennes fortifications,<br />
montant de la Loire, furent progressivement démantelées :<br />
en 1514, contre ces murailles, fut lancée, pour remplacer<br />
une ancienne chapelle (7) , la construction de l’église<br />
Notre-Dame-de-Recouvrance, annexe de la paroisse<br />
Saint-Laurent. Dédiée par l’évêque orléanais Germain<br />
de Ganay en 1519 (8) , l’église n’était pas encore achevée à<br />
cette date. Victime de la fièvre destructrice huguenote, elle<br />
fut vandalisée en 1562 et 1567 puis restaurée avant d’être<br />
rendue au culte en 1594 (9) ; le monument connut une<br />
seconde vague de restaurations dans les années 1860.<br />
De plan presque rectangulaire (10) , l’église présente un<br />
chevet plat précédé d’une nef flanquée de collatéraux entre<br />
les contreforts desquels ont été élevées des chapelles. Voûté<br />
d’ogives (refaites en pierre au 17 e siècle dans les collatéraux<br />
et au 19 e siècle en plâtre dans le vaisseau principal),<br />
l’édifice était originellement contrebuté à l’extérieur par<br />
des arcs-boutants qui prenaient appui sur des culées et<br />
dont subsistent les traces d’arrachement au sommet des<br />
murs gouttereaux. Au sud-ouest s’élève un clocher, massive<br />
construction surmontée d’un beffroi.<br />
À l’intérieur, l’édifice est divisé en sept travées d’égales<br />
dimensions, à l’exception de la quatrième, plus large,<br />
matérialisant discrètement à mi-distance l’idée d’un<br />
transept. De grandes arcades, délimitées par des piliers<br />
ondulés, ouvrent sur les bas-côtés, qui eux-mêmes<br />
communiquent avec les chapelles. Chaque vaisseau est<br />
baigné d’une lumière directe, éclairage que complètent les<br />
(4) De tels culots reçoivent une voûte au rez-de-chaussée des vestiges de l’église Saint-Marceau.<br />
(5) Faisant écho aux pinacles, très effi lés, rythmant également le pourtour de l’édifi ce.<br />
(6) Au sujet de la quatrième enceinte et de l’urbanisation de ce quartier, voir infra, La dernière enceinte<br />
d’Orléans et le développement de l’habitat dans les nouveaux quartiers d’Orléans, par C. ALIX.<br />
(7) CHENESSEAU 1930 : p. 112.<br />
(8) BUZONNIERE 1849 : p. 365.<br />
(9) GAILLARD et DEBAL 1987 : p. 17.<br />
(10) Le mur nord de l’édifi ce présente une obliquité tandis qu’au sud, l’implantation du clocher a empêché<br />
la réalisation, comme au nord, d’une chapelle latérale.<br />
203
204 <strong>EMPREINTE</strong> <strong>URBAINE</strong> - Les espaces religieux de la ville<br />
3 4<br />
grandes baies ajourant le mur oriental (FIG. 2). Certaines<br />
caractéristiques architecturales, telles la fluidité des lignes,<br />
l’importance de la surface murale ou le dessin simplifié<br />
des réseaux de baies, se retrouvent dans des constructions<br />
orléanaises, comme Saint-Aignan, ou à Notre-Dame de<br />
Cléry. Ainsi, Notre-Dame-de-Recouvrance, par certains<br />
aspects, appartient toujours à l’esthétique du gothique<br />
flamboyant, en témoignent par exemple les bases<br />
prismatiques d’où s’élancent les nervures, ou le voûtement<br />
traditionnel à voûte d’ogives des chapelles latérales.<br />
Cependant, la multiplication des liernes permet de dessiner<br />
des losanges et d’évoquer, par le biais des recoupements,<br />
les voûtes à caissons d’Italie (FIG. 3). Ce procédé offre<br />
également la possibilité de disposer des clefs pendantes,<br />
parfois véritables réductions d’éléments architecturés, pour<br />
souligner chaque intersection. Si la voûte d’ogives perdure,<br />
les maîtres maçon ressentent néanmoins la nécessité de<br />
recourir au nouveau répertoire de profils. Cela se retrouve<br />
avec les grandes arcades dont l’arc adopte, comme celui des<br />
FIG. 3<br />
Notre-Dame-de-Recouvrance<br />
voûte d’une chapelle du<br />
collatéral sud<br />
(photo Laurent Mazuy)<br />
FIG. 4<br />
Notre-Dame-de-Recouvrance<br />
portail latéral nord<br />
(photo Laurent Mazuy)<br />
chapelles, un tracé plein-cintre : la modénature, en dépit<br />
de certains effets de pénétration, alterne moulures plates<br />
et rondes et présente ainsi un aspect atténué, différent des<br />
profils acérés gothiques. De même, l’intrusion d’impostes<br />
au sommet des meneaux atteste la volonté d’articuler les<br />
remplages des baies et de renoncer à la continuité des<br />
lignes.<br />
En dépit d’une homogénéité certaine, Notre-Damede-Recouvrance<br />
a fait l’objet de plusieurs phases de<br />
construction. Ainsi, le clocher, sur lequel s’appuient les<br />
arcades de la nef est-il antérieur à cette dernière. Par ailleurs,<br />
son portail comporte un encadrement flamboyant : une<br />
succession de pinacles, desquels naît une accolade sommée<br />
d’un fleuron et à l’extrados orné de choux frisés, encadre<br />
une porte surmontée d’une baie, regroupée dans une<br />
voussure unique. Cette composition, au fort élan vertical,<br />
contraste avec les tracés plein-cintre des arcs intérieurs<br />
et plus encore du portail nord, véritable manifeste de la<br />
seconde Renaissance (FIG. 4).
Le passage de<br />
la première Renaissance à<br />
la Renaissance classique<br />
à travers l’exemple des portails<br />
À proximité immédiate de la cathédrale, le grand<br />
Cimetière, vaste quadrilatère (d’environ 105 m x 75 m),<br />
possédait sur chacun de ces côtés une galerie couverte<br />
dont la construction s’est étalée de 1492 au milieu du<br />
16 e siècle (11) . De grandes arcades, aux piliers reposant sur<br />
des bases prismatiques, étaient destinées à recevoir un<br />
voûtement d’ogives complété d’une lierne couvert d’une<br />
charpente (12) . En dépit des destructions et des modifications<br />
apportées au 19 e siècle, l’ancienne porte d’entrée sud-ouest<br />
(déplacée) constitue le principal morceau d’architecture de<br />
la première Renaissance encore conservé (13) . Des pilastres,<br />
couronnés de niches, portent un entablement surmonté<br />
d’un fronton (14) et abrite la porte en arc plein-cintre<br />
(FIG. 5). Il s’agit d’une composition édiculaire (15) multipliant<br />
les emprunts au répertoire « à l’antique ». Rares sont les<br />
champs décoratifs laissés nus à l’exception de la frise. Les<br />
moulures de l’arc comme le fût des pilastres sont recouverts<br />
de motifs italianisants : palmettes, rinceaux, tresses à<br />
œillet, candélabres, chutes d’ornements… Toutefois, le<br />
maître d’œuvre responsable de cette composition combine<br />
les éléments du nouveau répertoire à ses habitudes<br />
constructives et ornementales. Ainsi, les niches, en saillie,<br />
animent les pilastres qui se prolongent par un ressaut dans<br />
la frise et la corniche, elles-mêmes recoupées au centre. On<br />
a donc une compartimentation de l’entablement, preuve de<br />
la volonté de souligner les lignes ascendantes au détriment<br />
des horizontales. Son choix illustre cette « assimilation<br />
créatrice » (16) qui résulte de l’originale hybridation entre un<br />
savoir-faire gothique et un vocabulaire importé d’outremonts<br />
et permet de situer la réalisation de la porte dans les<br />
années 1530 (17) .<br />
La façade sud de la Salle Saint-Lazare de l’ancien hôtel-<br />
Dieu (détruit sous la Monarchie de Juillet), comportait un<br />
portail datant de la fin des années 1530 (18) , aujourd’hui en<br />
partie remonté dans la cour de l’Hôtel des Créneaux. Deux<br />
pilastres au chapiteau corinthien portaient un entablement<br />
délimité latéralement par des ressauts (FIG. 6 ET 7). Le décor,<br />
moins recouvrant qu’au Grand Cimetière, se concentrait<br />
principalement sur la frise, ornée au centre de putti<br />
porteurs de guirlandes enserrant un écu (19) , tandis que des<br />
(11) JARRY E. 1912 : p. 300-301 et JARRY E. 1915.<br />
(12) Un contrat du 4 août 1526 mentionne la charpenterie à poser sur l’une des « galleries neufves »,<br />
ALIX 2002 : t. II, annexe XXIV, p. 46-47.<br />
(13) La galerie orientale comporte, par exemple, une niche à coquille.<br />
(14) La porte a fait l’objet de restaurations, notamment ses parties hautes. Si, comme le confi rme l’iconographie<br />
ancienne (lithographie de Charles Pensée), un fronton sommait la porte, soit celui-ci<br />
était nu, soit il portait un décor qui fut remplacé - à cause des destructions protestantes ? - au 17 e<br />
siècle et que l’on observe encore aujourd’hui.<br />
(15) Adaptée à une façade d’église, ce type de composition édiculaire se retrouve pour la première fois<br />
en France à l’église Saint-Symphorien de Tours construite entre 1526 et 1531 (BAS, GUIGNARD<br />
1909 : p. 330).<br />
(16) Cette expression est empruntée à Jean Guillaume (GUILLAUME 1983).<br />
(17) Certains auteurs, suivant Vergnaud-Romagnési, attribuaient cet ouvrage à Charles Viart, alias<br />
Pierre Biart, affi rmation sans fondement, LESUEUR 1926 : notamment p. 323-327.<br />
(18) BOUVIER 1914 : p. 121 et suivantes.<br />
FIG. 5<br />
Grand<br />
Cimetière<br />
ancienne<br />
porte d’entrée<br />
sud-ouest.<br />
(photo Laurent<br />
Mazuy)<br />
(19) Deux autres écus sont présents sur la frise sans qu’il soit possible de bien préciser, d’après la<br />
lithographie, la nature exacte de ces fi gures zoomorphes.<br />
205
206 <strong>EMPREINTE</strong> <strong>URBAINE</strong> - Les espaces religieux de la ville<br />
6<br />
8<br />
FIG. 8<br />
Hôtel-Dieu Saint-Lazare<br />
ancien portail occidental<br />
remonté dans la cour du<br />
musée archéologique.<br />
(photo Julien Noblet)<br />
motifs losangés sont présents sur les piédroits et l’arc de la<br />
porte, à la clef décorée d’une console à volute. Enfin des<br />
niches, très étirées en hauteur, présentes sur les contreforts<br />
enserrant le portail et au centre de la façade, dessinaient un<br />
couronnement pyramidal.<br />
Un autre vestige de l’Hôtel-Dieu est conservé dans la<br />
cour du Musée Archéologique et Historique de la ville<br />
d’Orléans. Il s’agit de l’ancien portail venu jadis orner la<br />
façade occidentale (FIG. 8). Ici, le maître d’œuvre recourt à<br />
une composition édiculaire : deux colonnes adossées à des<br />
pilastres supportent un entablement, délimités latéralement<br />
par des ressauts, sommé d’un fronton. L’ornementation<br />
abondante occupe les moulures et les écoinçons de l’arc pleincintre<br />
(20) ; des chutes d’ornements décorent même le fût des<br />
pilastres pourtant cachés par les colonnes ! À cette horreur du<br />
vide, à l’accentuation des lignes verticales s’ajoutent des jeux<br />
d’imbrication entre le fût rond de la colonne et celui traité en<br />
table rentrante du pilastre, ou entre les deux couronnements<br />
des supports. Ces indices, qui attestent la « persistance des<br />
habitudes d’esprit et de mains » (21) , renseignent quant à la<br />
probable antériorité de ce portail (vers 1530) par rapport à<br />
celui édifié sur la façade sud.<br />
Le portail de l’ancienne église Saint-Éloi (détruite en 1849),<br />
connu par une lithographie de Charles Pensée (FIG. 9),<br />
présente certaines ressemblances avec l’exemple précédent.<br />
La composition évoquait un arc de triomphe antique :<br />
des colonnes, placées au-devant de pilastres, supportaient<br />
un entablement. À l’intérieur de cet encadrement<br />
monumental, un arc plein-cintre, puis une porte en arc<br />
surbaissé s’ouvraient, multipliant ainsi les ressauts latéraux.<br />
De nouveau, l’ensemble du vocabulaire s’inspirait de l’art<br />
d’outre-monts : caissons « à l’antique » de l’intrados de l’arc,<br />
candélabres, rinceaux… auxquels s’associaient des dais en<br />
forme de « temples » superposés, preuves de la persistance<br />
du goût pour les éléments de la première Renaissance.<br />
FIG. 6 ET 7<br />
Hôtel-Dieu<br />
Saint-Lazare<br />
lithographies de<br />
C. Pensée<br />
« Façade<br />
méridionale de<br />
l’ancien Hôtel-<br />
Dieu »,<br />
vue générale et<br />
détail du portail.<br />
(Histoire architecturale<br />
d’Orléans, 1843 - MHAO<br />
inv. 998.47.1)<br />
(20) Comme au cloître Saint-Martin de Tours, les médaillons des écoinçons sont ornés de scènes fi gurées,<br />
probablement inspirés de plaquettes.<br />
(21) ZERNER 1996 : p. 35.<br />
7
L’accès latéral nord de l’église Notre-Dame-de-<br />
Recouvrance, à l’inverse des trois portails précédents,<br />
illustre pour la première fois la volonté du maître<br />
d’œuvre d’appliquer à l’ensemble de la façade, et non<br />
au seul encadrement de la porte, le système des ordres<br />
d’architecture (FIG. 4). Ainsi, cette composition, délimitée<br />
par deux puissants contreforts - sur lesquels se greffent des<br />
niches à édicule - et un entablement très saillant, superpose<br />
colonnes corinthiennes, pilastres ioniques et colonnes<br />
adossées composites : l’enchaînement des ordres n’est donc<br />
pas canonique. Selon les règles de l’architecture, dont la<br />
connaissance et la diffusion ne cessent de s’amplifier en<br />
France à partir des années 1530 (22) , l’ordre ionique aurait<br />
dû occuper le registre inférieur. Ce dernier comporte de<br />
part et d’autre de l’accès deux colonnes jumelées juchées<br />
sur de hauts piédestaux et portant un entablement à<br />
la frise laissée lisse (23) . L’ouverture, en arc plein-cintre<br />
repose, par l’intermédiaire d’impostes, sur des colonnes<br />
corinthiennes créant un jeu entre ordre mineur et ordre<br />
majeur des supports. La présence des ornements est plus<br />
discrète : des palmettes recouvrent la bande de l’arc, des<br />
têtes de chérubins émergeant d’une rosace ornent les<br />
écoinçons (motif que l’on retrouve à la porte du Cimetière<br />
de Boiscommun, Loiret). Pour le registre intermédiaire,<br />
les pilastres - sur les fûts desquels sont placés des motifs<br />
losangés, réminiscences de la première Renaissance - assez<br />
trapus, sont mal proportionnés par rapport à la hauteur<br />
de l’entablement qui les surmonte (24) . Par ailleurs, cette<br />
construction délimite une zone très étirée en largeur,<br />
aujourd’hui vide mais peut-être initialement destinée<br />
à recevoir des sculptures. Quant au troisième niveau, il<br />
s’organise autour de la baie mise en valeur par la paire<br />
de colonnes composites dont le fût, comme au registre<br />
inférieur, est cannelé et même rudenté dans sa partie<br />
basse.<br />
L’analyse de ce portail, édifié dans les années 1540, laisse à<br />
penser que le maître d’œuvre disposait vraisemblablement<br />
d’un modèle pour le premier niveau, alors qu’il a dû<br />
faire preuve d’inventivité pour les registres suivants.<br />
Soucieux d’utiliser la nouvelle syntaxe architecturale, il<br />
a décidé d’employer les ordres d’architecture. En dépit<br />
des maladresses recensées, inhérentes au fait qu’il s’agit<br />
de la première tentative orléanaise pour adapter à une<br />
façade d’église le système des ordres, cet exemple atteste la<br />
diffusion des traités d’architecture, qui permet désormais<br />
de construire des œuvres qui proposent une mise en place<br />
de plus en plus correcte de la syntaxe « à l’antique ».<br />
Ainsi, à la différence de la première moitié du 16 e siècle<br />
où la bonne utilisation du répertoire d’outre-monts ne<br />
dépendait que du degré d’assimilation par les architectes<br />
et les sculpteurs des nouvelles règles, la circulation de<br />
planches extraites de traités d’architecture, puis la diffusion<br />
des traités vont permettre, à partir des années 1540, la<br />
réalisation d’œuvres de plus en plus conformes aux modèles<br />
italiens tant dans l’architecture religieuse que civile. !<br />
FIG. 9<br />
Saint-Éloi :<br />
« Plan et vue du<br />
portail de l’église<br />
Saint-Eloi »<br />
lithographie de<br />
C. Pensée.<br />
(Histoire architecturale<br />
d’Orléans, 1843 -<br />
MHAO, inv. 998.47.1)<br />
(22) Le premier grand théoricien de l’architecture de la Renaissance au 15 e siècle est L. B. Alberti<br />
(1404-1472) qui écrit le De re aedifi catoria (édition posthume en 1486) : dépourvu d’illustration,<br />
cet ouvrage ne peut directement servir de modèles aux architectes. Ensuite, des humanistes vont<br />
éditer dès la fi n du 15 e siècle le traité de Vitruve, qui n’est toujours pas illustré. Le peintre Fra<br />
Giocondo est le premier à exécuter en 1511 des fi gures destinées à accompagner le discours vitruvien.<br />
Il revient à Cesariano d’avoir commenté et traduit Vitruve en italien en 1521 : certains exemplaires<br />
de son ouvrage ont dû circuler en France. Témoignant de la diffusion de la connaissance<br />
architecturale, l’ouvrage de Diego de Sagredo, Medidas del Romano, décrivant assez précisément<br />
les ordres d’architecture, est publié en 1526 à Tolède avant d’être traduit en français à Paris la<br />
décennie suivante. Quant à la diffusion du Livre IV de Serlio, elle est attestée peu après 1540. Sur<br />
l’infl uence de cet auteur en France, GLOTON 1988.<br />
(23) Sur laquelle se lit l’inscription : L’EGLISE DE NOSTRE DAME DE RECOUVRÃCE.<br />
(24) À la collégiale d’Oiron (Deux-Sèvres), si la superposition des ordres est correcte, on retrouve le manque<br />
de proportions entre chaque niveau. Datée des années 1538-1542, cette tentative de maniement<br />
des ordres pour organiser l’ensemble d’une façade précède les premières expériences parisiennes.<br />
207
208 <strong>EMPREINTE</strong> <strong>URBAINE</strong> - Les espaces religieux de la ville<br />
L’origine et la topographie<br />
du quartier autour de la cathédrale<br />
au 16 e siècle<br />
E QUARTIER AUTOUR DE LA CATHÉDRALE EST PROBABLEMENT VOUÉ, DEPUIS LA<br />
construction de l’enceinte du Bas-Empire, à la représentation et à l’administration<br />
de l’évêque. Régulièrement en chantier, cet espace prend sa forme et sa distribution<br />
au cours de la Renaissance Carolingienne pour ne changer en profondeur qu’à la<br />
Révolution française.<br />
C’est à la période carolingienne que prend forme le quartier<br />
situé autour de la cathédrale, dans l’angle nord-est de<br />
l’enceinte du 4 e siècle. Une importante réforme religieuse (1)<br />
impose, en effet, aux chanoines de vivre en communauté<br />
autour de l’évêque dans un espace voisin de la cathédrale et<br />
entouré d’un mur, le quartier canonial.<br />
L’application de cette réforme donne lieu à la mise en place<br />
d’un véritable « plan d’urbanisme » qui, dans ses principes<br />
structurants, restera pérenne jusqu’à la Révolution<br />
française (2) . L’espace clôturé rectangulaire (appuyé contre<br />
le rempart au nord et à l’est) est distribué en deux secteurs<br />
aux usages complémentaires (FIG. 1).<br />
À l’est, les bâtiments domestiques et administratifs sont<br />
construits (dortoirs, réfectoires…).<br />
À l’ouest, une nouvelle parure monumentale religieuse est<br />
édifiée en accompagnement de la cathédrale. Elle illustre la<br />
volonté d’appliquer un ensemble de règles et de préceptes :<br />
hors les murs de la cité, la capella funéraire Saint-Michel-del’Étape<br />
(fin du 8 e siècle), intra-muros et contre le rempart,<br />
l’hôtel-Dieu (9 e -10 e siècle ?), enfin au sud, après un vaste<br />
parvis et dans l’angle du cloître, Saint-Pierre-Lentin (fin du<br />
8 e siècle). L’ensemble monumental s’aligne le long de l’axe<br />
de l’unique porte nord de la ville (porte Parisie).<br />
La cathédrale Sainte-Croix attestée à cet emplacement dès<br />
le 7 e siècle devient, blottie contre le rempart, le point de<br />
centre de cette répartition.<br />
Bien vite, l’espace du quartier canonial, à l’origine<br />
relativement aéré, se densifie. En effet, au cours du Moyen<br />
Âge, les règles de vie commune s’assouplissent peu à peu et<br />
l’administration de l’évêque s’éclate dans de nombreuses<br />
maisons individuelles.<br />
Enfin, la construction de plusieurs églises est entreprise à<br />
proximité de l’enceinte religieuse et hors de cette dernière :<br />
Saint-Étienne au sud-est (mentionnée dès le 10 e siècle),<br />
Sainte-Colombe au sud (mentionnée en 1028).<br />
(1) À savoir la réforme de Chrodegang, évêque de Metz, fi n 8 e siècle.<br />
(2) MAZUY 2005 : en particulier D. Josset et L. Mazuy, « La topographie religieuse », p. 26-34<br />
Laurent Mazuy,<br />
Médiateur du<br />
patrimoine (Orléans)
3<br />
4<br />
2<br />
1<br />
7<br />
La construction de la cathédrale gothique, débutée en<br />
1287, est l’occasion d’importants terrassements qui élèvent<br />
le niveau de circulation du quartier de plusieurs mètres.<br />
Les rez-de-chaussée des vastes bâtiments romans situés à<br />
l’est, 14/16 (en fond de cour) et 26 rue Saint-Étienne, se<br />
retrouvent ainsi enterrés (3) . De nouvelles constructions<br />
émergent, les caves du chapitre par exemple. D’autres<br />
complètent des dispositifs déjà existants.<br />
Le quartier canonial, toujours clos par un mur, s’ouvre sur<br />
la ville comme en témoigne la transformation de Saint-<br />
Pierre-Lentin ou de la capella funéraire en église paroissiale<br />
au 13 e siècle (FIG. 2).<br />
Après la guerre de Cent Ans et les profonds désagréments<br />
liés aux préparatifs du siège de 1428-1429 (la destruction du<br />
bâti hors les murs), la ville s’agrandit sous Louis XI à l’est et<br />
sous Louis XII au nord et à l’ouest. D’importants espaces,<br />
naguère hors les murs, peuvent être à nouveau annexés par<br />
le pouvoir religieux, le quartier franchit les anciens murs de<br />
la ville et bientôt jouxtera l’ancien faubourg de la rue de la<br />
Bretonnerie.<br />
Le 16 e siècle est de ce point de vue un chantier permanent,<br />
témoin de la richesse de la ville et d’une ferveur religieuse<br />
constante. Le grand Cimetière (situé au nord de l’ancienne<br />
6<br />
5<br />
FIG.1<br />
Vue aérienne du quartier canonial de la cathédrale Sainte-Croix<br />
(photo IGN - conception Laurent Mazuy)<br />
1<br />
2<br />
3<br />
4<br />
5<br />
6<br />
7<br />
Rempart de ville du 4 e au 15 e siècle<br />
Axe traversant nord-sud et est-ouest<br />
Mur du quartier canonial<br />
Quartier canonial<br />
Cathédrale Sainte-Croix, 7 e siècle<br />
Saint-Pierre-Lentin, fin du 8 e siècle<br />
Saint-Michel-de-l'Etape, fin du 8 e siècle<br />
Hôtel-Dieu, 9 e -10 e siècle ?<br />
Saint-Etienne, 10 e siècle<br />
Sainte-Colombe, 11 e siècle<br />
Grand Cimetière, 12 e siècle<br />
enceinte depuis le 12 e siècle) est clos par des arcades<br />
monumentales, l’église Saint-Michel-de-l’Étape et l’hôtel-<br />
Dieu sont rebâtis. Interrompue durant la guerre de Cent<br />
Ans, la construction de la cathédrale reprend et tout<br />
autour, le long du rempart médiéval et dans l’est du cloître,<br />
de nouvelles maisons sont édifiées. De ces dernières peu<br />
d’exemples nous sont parvenus. Au 22 rue Saint-Étienne,<br />
une maison de chanoine témoigne encore de l’opulence du<br />
quartier et de la nouvelle esthétique en vogue au cours du<br />
règne de François I er : ordonnancement et mise en travée<br />
des croisées flanquées de pilastres à losanges surmontés de<br />
chapiteaux à crosse.<br />
Les guerres de religion entraînent la destruction de<br />
nombreuses églises. Le quartier n’est pas épargné, en 1562<br />
puis en 1567, les protestants saccagent puis détruisent<br />
en partie la parure monumentale et moult constructions<br />
particulières et administratives. À nouveau, la reconstruction<br />
de l’ensemble est projetée et un autre chantier commence,<br />
conduit par les usages du moment et la maille ancestrale. !<br />
(3) AUBANTON, MAZUY 2006 : p. 5-30<br />
209
210 <strong>EMPREINTE</strong> <strong>URBAINE</strong> - Les espaces religieux de la ville<br />
29<br />
2<br />
20<br />
21<br />
Liste des paroisses d’Orléans d’après le plan Fleury 1640 :<br />
Cette liste est issue de l’ouvrage Orléans une ville une histoire (DEBAL 1998 : p. 21, t. 2).<br />
1 - Notre-Dame-de-Bonne-Nouvelle<br />
2 - Notre-Dame-de-Recouvrance<br />
3 - Notre-Dame-du-Chemin ou Chapelle Saint-Aignan<br />
4 - Saint-Aignan<br />
5 - Saint-Avit alias Saint-Georges<br />
6 - Saint-Benoît-du-Retour<br />
7 - Saint-Catherine<br />
8 - Saint-Colombe<br />
9 - Saint-Donatien<br />
10 - Saint-Éloi alias Saint-Maurice<br />
11 - Saint-Étienne<br />
12 - Saint-Euverte<br />
13 - Saint-Flou alias Notre-Dame-de-la-Conception<br />
14 - Saint-Germain<br />
15 - Saint-Hilaire<br />
26<br />
23<br />
18<br />
19<br />
17<br />
7<br />
10 24<br />
8 11<br />
22<br />
1 16<br />
15<br />
9<br />
14<br />
6 25<br />
13<br />
5<br />
16 - Saint-Liphard<br />
17 - Saint-Maclou<br />
28<br />
27<br />
18 - Saint-Mesmin-de-l’Alleu<br />
19 - Saint-Michel-de-l’Étape<br />
FIG.2<br />
20 - Saint-Paterne ou Saint-Pouair<br />
Délimitation des paroisses<br />
de la ville d’Orléans<br />
(d’après le plan Fleury 1640)<br />
L’église Réformée apparaît en 1557<br />
(conception Laurent Mazuy - DAO Sébastien Pons)<br />
4<br />
12<br />
21 - Saint-Paul et Notre-Dame-des-Miracles<br />
22 - Saint-Pierre-Empont ou en-Pont<br />
23 - Saint-Pierre-Ensentelée alias Saint-Pierre-du-Martroi<br />
24 - Saint-Pierre-Lentin<br />
25 - Saint-Pierre-le-Puellier<br />
26 - Saint-Sulpice<br />
27 - Saint-Victor<br />
28 - Saint-Vincent-des-Vignes<br />
29 - Saint-Laurent-des-Orgerils<br />
30 - Saint-Marceau (rive sud, hors carte)<br />
3
Le chantier de la cathédrale<br />
Sainte-Croix d’Orléans<br />
à la Renaissance<br />
N NE PEUT ASSOCIER LE 16 E SIÈCLE À LA CATHÉDRALE SAINTE-CROIX D’ORLÉANS SANS SONGER DE PRIME<br />
abord aux désastres des guerres de religion. La cathédrale d’Orléans fut sans doute, en France, la<br />
plus exemplaire victime architecturale du vandalisme religieux (1) avec son quasi anéantissement<br />
(« le Grand Abattis ») opéré en 1568. Comment se présentait-elle alors ? Qu’en reste-t-il ?<br />
Un grand projet<br />
du gothique « classique »<br />
poursuivi à la Renaissance<br />
Le chantier de la cathédrale gothique d’Orléans est un<br />
projet tardif en comparaison avec les grandes cathédrales<br />
du gothique rayonnant comme Chartres, Amiens, Reims<br />
ou Bourges. Il fallut un début d’effondrement de la vaste<br />
et prestigieuse cathédrale romane, datant des premiers<br />
capétiens, pour en décider projet. Commencé en 1287 sous<br />
l’impulsion de l’évêque Robert de Courtenay, le chœur<br />
ogival est inauguré le 13 novembre 1329.<br />
C’est un ouvrage exceptionnel dont un plan sur parchemin<br />
est même conservé à l’Œuvre de la cathédrale de Strasbourg.<br />
Il revient à l’historien de l’Art Suisse-Allemand Peter<br />
Kurman, dans son article « Cologne et Orléans » d’avoir<br />
remis à sa juste place l’ouvrage gothique d’Orléans.<br />
Il souligne le gigantisme du projet (hors la hauteur sous<br />
voûte de 32 mètres comparable à Notre-Dame-de-Paris),<br />
par la longueur projetée (la cathédrale achevée dépasse en<br />
longueur celles d’Amiens et Cologne), par le faste du chœur,<br />
inspiré d’Amiens mais doté de neuf chapelles rayonnantes<br />
(chiffre inégalé), par la variété et la richesse du système d’arcs<br />
boutants et de classicisme par la citation consciente de formes<br />
du gothique rayonnant du premier tiers du 13 e siècle.<br />
La guerre de Cent Ans interrompit les travaux. Le chantier<br />
fut repris dans la seconde moitié du 15 e siècle sous l’évêque<br />
François de Brilhac. On bâtit alors la croisée et les transepts<br />
tout en conservant leurs façades romanes.<br />
Pyrrhus d’Angleterre, visitant le chantier de la cathédrale au<br />
début du règne de François I er , décrivait l’édifice gothique<br />
tel que « dans toute la Gaule, il n’y aura rien de plus beau, de<br />
plus vaste ni de plus élevé » (Panegyricus Aureliae, 1517)<br />
Le début du 16 e siècle voit l’érection de la flèche (1511) et<br />
la construction de la nef (1530-ca 1550). Tous ces ouvrages,<br />
entamés sous Louis XII, période intense de chantiers dans<br />
tout Orléans (depuis l’Hôtel de Ville, aux maisons à pansde-bois<br />
jusqu’aux remparts de l’accrue), sont imprégnés du<br />
répertoire du gothique tardif.<br />
Frédéric Aubanton,<br />
Architecte des Bâtiments<br />
de France<br />
(1) Celui-ci a commencé avec la vague iconoclaste de 1562 (dont les peintures et sculptures de sacristie,<br />
les sculptures de la porte Monseigneur et des portes d’escalier des bas-côtés de la nef<br />
gardent les traces)<br />
211
212 <strong>EMPREINTE</strong> <strong>URBAINE</strong> - Les espaces religieux de la ville<br />
FIG. 1<br />
vue de la cathédrale<br />
(gravure sur bois - 1600 -<br />
Bibliothèque Nationale - Va.9i)
La flèche,<br />
chef-d’œuvre de charpenterie<br />
Comme plus tard à la cathédrale de Beauvais (2) , et plutôt<br />
que de poursuivre la reconstruction des transepts par de<br />
nouvelles façades ou la nef, on dressa en 1511 une flèche<br />
gigantesque à la croisée.<br />
« le clocher (la plus rare pièce qui se pust voir) estoit posé<br />
sur le milieu de ladite Eglise, Et élevé depuis l’entablement<br />
de la Charpenterie, en haut de trente sept toises, Et avoit<br />
de hauteur depuis le pavé jusqu’au faîste en tout cinquante<br />
quatre toises. Il était artistiquement travaillé Et embelli de<br />
plusieurs ornements de plomb doré Et argenté, comme aussi<br />
les enfaisteaux de toute la couverture estoient de plomb doré<br />
avec des fleurs de semblable matière qui paraissoient au dessus<br />
avec fort bonne grâce : et la Croix dudit Clocher qui estoit de<br />
cuivre doré, estoit posée sur une pomme qui avoit dix pieds de<br />
circonférance pareillement de cuivre doré fort poli et reluisant »<br />
(Annales écclesiae Aurelianensis de Charles de La Saussaye<br />
(1615) reprises par Symphorien Guyon dans son « Histoire<br />
d’Orléans » en 1647).<br />
Cette boule de plus de trois mètres de diamètre couronnant<br />
la flèche avait impressionné Rabelais qui la décrit en 1532 :<br />
« Pour cela, l’on fit dix-sept grosses boules de cuivre, plus grosses<br />
que celle qui est à Rome sur l’aiguille de Virgile (3) , agencées de<br />
telle façon qu’on les ouvrait par le milieu et qu’on les fermait<br />
avec un ressort. Dans l’une entra un de ses serviteurs portant<br />
une lanterne et un flambeau allumé, et Pantagruel l’avala<br />
comme une petite pilule. (...) De ces pilules d’airain vous en<br />
avez une à Orléans, sur le clocher de l’église Sainte-Croix… »<br />
(Pantagruel, Livre Second, chapitre 33)<br />
C’est contre cet orgueilleux ouvrage, illustré par le tableau des<br />
échevins (milieu 16 e ?) et la gravure sur bois de 1600 (4) , que se<br />
concentra la haine des réformés. Le 24 mars 1568, par l’usage<br />
simultané de la mine sur les piliers de croisée et la traction<br />
d’attelages d’hommes et de chevaux, la flèche s’effondra en<br />
emportant l’ensemble de la croisée et du chœur.<br />
Du « Grand Abatis » ne demeurèrent debout que les parties<br />
basses du chœur et les chapelles rayonnantes (fin 13 e<br />
siècle), la sacristie (début 14 e siècle) et les 4 e et 5 e travées de<br />
la nef (16 e siècle) préservées sur toute leur hauteur grâce à<br />
la présence du massif occidental roman.<br />
De la flèche disparue (FIG. 1) subsiste tout autour de la<br />
croisée du transept de la cathédrale reconstruite un système<br />
de contrebutement inégalé : des arcs boutants diagonaux<br />
stabilisent la croisée et s’enchevêtrent avec les arcs boutants<br />
perpendiculaires aux quatre vaisseaux (5) .<br />
La nef<br />
Élévations intérieures<br />
La nef centrale possède une élévation à trois niveaux :<br />
grandes arcades, triforium, fenêtres hautes.<br />
Le triforium, avec sa balustrade percée de quatre-feuilles<br />
et orné de lancettes trilobées, est suffisamment archaïsant<br />
pour citer sans doute le modèle rayonnant du chœur<br />
du 13 e siècle alors que les bases prismatiques des piliers,<br />
les moulures à nez de cochon des nervures et l’absence<br />
de chapiteaux procèdent du vocabulaire du gothique<br />
flamboyant finissant.<br />
Dans les voûtes des bas-côtés (6) , sont conservées les clefs<br />
à armoiries de chanoines décédés l’un en 1531 l’autre en<br />
1570. Dans le premier collatéral, les portes d’accès aux<br />
escaliers de fond en comble ont conservé une sculpture<br />
flamboyante de gâbles et de figures en haut-relief qui<br />
portent les stigmates des conflits religieux.<br />
Charpente<br />
La charpente de la nef (FIG. 2 ET 3) est à chevrons formant<br />
fermes. Les quatre travées centrales, épargnées par le<br />
saccage de 1568, possèdent des poinçons richement<br />
sculptés (bagues issues du répertoire du gothique<br />
flamboyant). Par le système à deux niveaux de faux entraits<br />
et le contreventement longitudinal à deux niveaux de sousfaitières,<br />
le modèle de charpente est très proche de celui de<br />
la nef de Saint Eustache à Paris.<br />
(2) La campagne de reconstruction de la fl èche remonte à 1563-1569. Elle s’effondre de nouveau<br />
en 1573.<br />
(3) Il s’agit probablement de l’obélisque du Vatican, le seul de Rome demeuré debout au début du 16 e<br />
siècle. La boule qui le couronnait avant son déplacement du cirque de Néron en 1586 était supposée<br />
abriter les cendres de Jules César.<br />
(4) Gravure servant de frontispice à la circulaire imprimée en 1600 pour annoncer le Jubilé de Sainte-<br />
Croix (Paris, Bibliothèque nationale de France - estampes, Va.9i.)<br />
(5) La fl èche actuelle, la quatrième qu’ait connue l’édifi ce, a été érigée par Boeswildvald en 1858 sur<br />
le modèle de celle d’Amiens, datant de 1533. Elle n’a pas le gigantisme de la première.<br />
(6) Elles furent préservées de la campagne de 1793 qui marqua la suppression des « signes de la féodalité<br />
et de la superstition » grâce à la présence à cet emplacement de la loge abritant la maquette<br />
de la cathédrale.<br />
213
214 <strong>EMPREINTE</strong> <strong>URBAINE</strong> - Les espaces religieux de la ville<br />
2<br />
La datation par dendrochronologie opérée sur cette partie de<br />
charpente en 2006 a situé l’abattage des arbres « entre 1545<br />
et 1563, probablement 1550 » soit près d’une génération<br />
après la date proposée par le chanoine Chénesseau et ses<br />
successeurs.<br />
Date d’achèvement (ou réfection ?), elle montre en tout cas<br />
que le chantier ne s’interrompt que peu de temps avant le<br />
début des guerres de Religion.<br />
Ces éléments de la première moitié du 16 e siècle ont une<br />
grande importance dans l’histoire de l’édifice, car ces travées<br />
ont donné le modèle, tant pour les tailleurs de pierre que<br />
pour les charpentiers, de la reconstruction de l’édifice, telle<br />
que décidée et entamée en 1601 par Henri IV et poursuivie<br />
jusqu’au dernier des Bourbons en 1829. !<br />
3<br />
FIG. 2<br />
Cathédrale Sainte-Croix<br />
charpente de la nef,<br />
vue de l’est.<br />
Au centre, les quatre<br />
fermes maîtresses<br />
(à poinçons sculptés)<br />
préservé lors de<br />
l’abattis de 1468.<br />
(photo Patrick Trémillon)<br />
FIG. 3<br />
Cathédrale Sainte-Croix<br />
charpente de la nef,<br />
vue de l’ouest.<br />
Détail des bases<br />
prismatiques des<br />
poinçons du milieu du<br />
16 e siècle.<br />
(photo Patrick Trémillon)
2 Empreinte<br />
urbaine<br />
L’ESPACE UNIVERSITAIRE<br />
Le quartier de l'Université :<br />
occupation et usage<br />
’UNIVERSITÉ D’ORLÉANS S’EST CONSTRUITE PAR ÉTAPES, DU 13 E AU 15 E SIÈCLE, AVANT DE SE FIXER<br />
durablement. Au début du 14 e siècle, elle se trouve à l’emplacement de l’actuelle place de<br />
l’Etape, dans le couvent des frères Prêcheurs, au nord de la porte Parisis, à proximité de<br />
l’évêché. Elle quitte vers 1337 ce monastère pour les bâtiments du prieuré de Bonne-Nouvelle<br />
et pour un nouvel espace à proximité de la muraille de la ville, dans un quadrilatère qui<br />
pourra s’assimiler à un mini campus universitaire intra-muros.<br />
À cette date, elle possède sans doute déjà une bibliothèque<br />
ou librairie qu’elle conservera longtemps encore après. On<br />
peut supposer que celle-ci se trouvait dans les locaux du<br />
prieuré, même si cela n’est pas explicite. De cette époque<br />
date la constitution d’un quartier universitaire, étroit<br />
quadrilatère bordé au nord par l’important axe est-ouest<br />
de la rue de Bourgogne, au sud par la zone artisanale des<br />
tanneries longeant la Loire, à l’est par la muraille de la Ville<br />
et à l’ouest par l’actuelle rue de l’Université (FIG. 1).<br />
L’occupation domestique du<br />
quartier de l’Université<br />
Au 13 e siècle, l’espace universitaire se situe à l’intérieur de<br />
l’enceinte antique, aux portes de celle-ci. Il est en marge du<br />
centre vital de la ville représenté par le quartier du Châtelet<br />
où se rejoignent les activités politiques du château royal,<br />
et des administrations connexes (prisons, prévôté), les<br />
activités commerciales du marché et la haute bourgeoisie<br />
de la cité. Il en est séparé, en particulier, par des quartiers<br />
artisanaux, également installés près de la Loire, jusqu’au<br />
sud de notre espace (artisanats du bâtiment, métiers de la<br />
pelleterie, corroyeurs, etc.). Il paraît encore bien loin du<br />
lieu d’étude, de réflexion et de méditation qu’il va devenir<br />
au bas Moyen Âge.<br />
Ce quartier, retranché derrière la muraille orientale, accède<br />
par la « vieille porte de Bourgogne » au faubourg de ce nom<br />
et aux chemins menant en Champagne et en Bourgogne.<br />
À l’intérieur des murs, un axe nord sud conduit sans doute<br />
à la Porte-Neuve. Un autre axe permet, en parallèle, de<br />
rejoindre le cloître et l’église Saint-Pierre-le-Puellier. La<br />
partie occidentale du quartier est reliée à la muraille par<br />
plusieurs voies transversales, ancêtres de la rue Jean-Calvin<br />
et de la rue du Puits-de-Linières, de la rue du Gros-Anneau<br />
et de la rue des Africains actuelles.<br />
Michel Philippe,<br />
chercheur indépendant<br />
215
216 <strong>EMPREINTE</strong> <strong>URBAINE</strong> - L’espace universitaire<br />
FIG. 1<br />
Les sites universitaires<br />
Persistance d’un habitat privé<br />
Dans tout cet espace, outre les écoles nouvelles, figure un<br />
habitat privé. Celui-ci longe la rue de Bourgogne, souvent<br />
appartenant à la commanderie de Saint-Marc. Celle-ci est<br />
implantée de part et d’autre de cette rue depuis le 12 e siècle<br />
et entretient des maisons paroisse Saint-Liphard, autour de<br />
l’hôtel du Grand Chaluchet, ainsi que dans les paroisses de<br />
Saint-Germain, Saint-Sauveur et de Saint-Victor, en deçà<br />
et au-delà de la muraille gallo-romaine (1) .<br />
Autour de l’église Saint-Pierre-le-Puellier, des parties du<br />
cloître sont baillées à des particuliers, notamment devant<br />
l’église. Quelques documents du début du 13 e siècle<br />
montrent l’évolution du patrimoine immobilier de l’abbaye<br />
de Saint-Pierre-le-Puellier (2) . L’ancienne abbaye de femmes<br />
qui lui a donné son nom, connue au moins depuis un acte<br />
de 840-843 reproduit dans le cartulaire de Sainte-Croix,<br />
a été depuis érigée en église collégiale, dotée de chanoines<br />
et en église paroissiale. Elle est sans doute augmentée<br />
d’une chapelle dédiée à Saint-Gilles et à Saint-Loup, dans<br />
la mesure où celle-ci semble partie prenante du cloître de<br />
Saint-Pierre-le-Puellier au milieu du 15 e siècle (3) . Une autre<br />
maison du cloître, détenue par le cordonnier Guillaume<br />
Ducoin, est vendue par lui en juin 1225 (4) .<br />
(1) Paris, Archives nationales, S 5010B, Orléans, Grande rue de Bourgogne, 10 e liasse, maisons de la<br />
commanderie de Saint-Marc depuis 1163.<br />
(2) Paris, Bibliothèque nationale de France, ms. latin 10089, cartulaire de Saint-Euverte, p. 261 et 264,<br />
décembre 1227 et février 1227-1228.<br />
(3) GAILLARD 1990 : p. 71. Orléans, Archives départementales du Loiret, 2J 2485, 17 mai 1460, « maison<br />
mygneuse au cloitre Saint-Pierre-le-Puellier entre la maison de la rochelle appartenant à la<br />
chapelle de Saint-Gile et Saint-Loup et l’hotel dudit cloître ».<br />
(4) THILLIER-JARRY 1906 : acte CCIX, juin 1225.
D’autres habitats sont perceptibles sur la rue Saint-Flou<br />
actuelle et au milieu du pâté de maisons des écoles. L’église<br />
du même nom a été construite au début du 11 e siècle<br />
par Robert le Pieux, sous le nom de Notre-Dame (à<br />
l’époque aussi dénommée Notre-Dame-entre-Mur-et-<br />
Fossé (5) ). Forts de cette fondation, et de son auguste<br />
dépendance, les moines de la Conception, alias de Saint-<br />
Flou, vont établir leur domaine seigneurial sur un certain<br />
nombre de places proches de leur église, sur l’actuelle rue<br />
Saint-Flou, mais également sur l’actuelle rue de l’Université.<br />
Ils sont sans doute dès le 13 e siècle détenteurs des seigneuries<br />
foncières des terrains sur lesquels s’établiront les bâtiments<br />
appelés les « Grandes Écoles », vers 1500.<br />
L’espace de cet îlot est également occupé par des vergers,<br />
des places vides et des vignes, attestés sur le haut de la rue<br />
des Africains et au-delà de la muraille orientale. De l’autre<br />
côté du fossé, à l’est, la paroisse du Crucifix-Saint-Aignan,<br />
constitue un des faubourgs de la Ville. Ce nom lui vient<br />
d’une chapellenie fondée en 1192 par Philippe Auguste en<br />
l’église de Saint-Aignan, plus tard érigée en cure sous le<br />
nom de paroisse du Crucifix-Saint-Aignan, au sein même<br />
de cette église (6) .<br />
Effacement des fonctions militaires<br />
de la muraille<br />
La fin du 15 e siècle marque la fin de la muraille, dans<br />
sa fonction défensive. Celle-ci s’entrouvre pour laisser le<br />
passage de l’ouest vers l’est en plusieurs endroits. Perdant<br />
de son aspect répulsif, elle peut être domestiquée, ce<br />
que ne manqueront pas de faire des individus de toutes<br />
origines, sans doute confortés en leur démarche par le<br />
caractère à la fois martial, mais surtout symbolique, de<br />
cette défense antique. Les premières mentions d’une<br />
utilisation de la muraille à des fins privées remontent à la<br />
fin de 1493. Cette année, le pâtissier et marchand Jacques<br />
Bremeux prend à ferme une allée « étant au droit du haut<br />
de la tour de la porte Bourgogne, contenant 2 toises en<br />
longueur et d’une toise en largeur, joignant de la maison<br />
du dit preneur », à tenir et exploiter moyennant 2 sols<br />
parisis de cens annuel (7) . Ces premières mentions sont<br />
relatives à la porte Bourgogne, la « vieille » porte d’accès au<br />
faubourg Saint-Aignan et de Bourgogne… Les termes de<br />
« vieille » ou « ancienne », qualifiant tantôt la porte, tantôt<br />
la muraille gallo romaine, impliquent des constructions<br />
nouvelles, ou en cours, pour l’appareil défensif à l’est de<br />
la Ville.<br />
À cette époque, l’administration ducale baille à l’avocat<br />
Liphard Hureau une tour appartenant au duc, en la<br />
muraille de l’ancienne clôture de la ville, joignant l’église<br />
Notre-Dame-de-la-Conception (Saint-Flou), « a prendre<br />
depuis les murs de leglise jusqu’au pave de la rue par<br />
lequel on va de lecu blanc a Saint-Aignan et tenant dune<br />
autre part a lhotel davalon, compris lespesseur des murs<br />
et carrures de la dite tour avenir au dit pave, pour 8 sols<br />
parisis de rente annuelle. D’après une autre copie, maître<br />
Liphard Hureau sera tenu de faire couvrir cette tour et y<br />
faire édifice, tellement qu’elle puisse valoir la dite rente,<br />
voire plus… Chaque fois que le duc voudra utiliser la<br />
tour il devra dédommager l’avocat pour cela » (8) . Plusieurs<br />
informations sont ici données. La première confirme la<br />
colonisation de la muraille ancienne et sa perte d’intérêt<br />
défensif pour la cité. Une autre peut être trouvée dans la<br />
description du bâti, et dans un nouveau chemin reliant les<br />
maisons du quartier à l’église Saint-Aignan. Cela pourrait<br />
correspondre à la rue du Chêne-Percé ; en effet, la maison<br />
de l’Écu-Blanc semble bien marquer l’angle entre la rue<br />
Saint-Flou et la rue du Puits-de-Linières ; dès lors, le<br />
chemin le plus direct vers Saint-Aignan semble passer par<br />
la rue du Chêne-Percé (9) .<br />
Adossé à la muraille gallo-romaine, ce quartier vit non<br />
seulement à l’ombre de celle-ci, mais il tend désormais<br />
à la coloniser, et à s’appuyer sur celle-ci. On en voit une<br />
illustration à travers une visite de la rue du Chêne-Percé<br />
(5) GAILLARD 1 990 ; la fondation serait de 1020, selon Soyer ; le nom de Saint-Flou apparaît en<br />
1350. Parmi les autres noms de ce lieu fi gure aussi celui de Notre-Dame-de-la-Conception :<br />
Auxerre, Archives départementales de l’Yonne, H 440, fol. 36 « un papier informe, ou il paraît<br />
une notte, que le prieur de notre dame de la conception a été donné à l’abbaye de Saint-Jean de<br />
sens en l’an mil cent quarante par un évesque d’Orléans, et que cette donnation a été confi rmée<br />
par la bulle du pape Eugenne trois en l’an mil cent cinquante ». Voir aussi Auxerre, Archives<br />
départementales de l’Yonne, H 376, Cartulaire de l’abbaye de Saint-Jean-lès-Sens.<br />
(6) LOUIS GAILLARD, Les noms des rues d’Orléans, 1989-1990, 153 p, manuscrit déposé aux<br />
Archives départementales du Loiret, p. 112.<br />
(7) Paris, Archives nationales, R4 1047, 8 novembre 1493.<br />
(8) Paris, Archives nationales, R4 1047 et 306, fol. 81, acte du 6 août 1493. Parcelle actuelle BL 101 ?<br />
numéro de parcelle 341 dans le plan-terrier de Perdoux à la fi n du 18 e siècle ; numéro de parcelle<br />
432 dans le cadastre napoléonien au début du 19 e siècle ; deux maisons du Grand et Petit-Écu-<br />
Blanc, se joignant, sont indiquées paroisse Saint-Liphard, dans un compte de Saint-Liphard, Orléans,<br />
Archives départementales du Loiret, 2J 2485, 22 mai 1540.<br />
(9) Voir à ce sujet une mention donnée dans le terrier de 1610 (Paris, Archives nationales, R4* 614, fol. 62v°) :<br />
« la rue de la conception allant au puis de lignieres du costé de Sainte-Croix : la maison faisant le coing<br />
de la ditte rue de la conception appelée l’escu blanc appartenant a anthoine simon, en laquelle est<br />
demeurant sebastien de cleves ; à cens de la damoiselle escorcol ». En ce qui concerne Liphard Hureau<br />
(et sa famille), un descendant de ce nom possède en 1543 la parcelle Perdoux 334 (cadastre fi n 18 e<br />
siècle), BL 95 ou Napo 409 (cadastre début 19 e siècle), rue de la Corne de Cerf.<br />
217
218 <strong>EMPREINTE</strong> <strong>URBAINE</strong> - L’espace universitaire<br />
FIG. 2<br />
Occupation des sols<br />
à la fin du 15 e siècle<br />
(S.A.M.O. : conception Michel Philippe -<br />
DAO Laurent Mazuy)
effectuée en 1581. Celle-ci intéresse d’abord l’ancienne<br />
Porte Bourgogne, puis la Tour-Blanche. À noter qu’il<br />
n’est nulle part fait mention de vestiges des deux tours<br />
intermédiaires, à savoir celles de Saint-Flou et d’Avallon,<br />
sans doute annihilées depuis ; quant à la muraille,<br />
subsistante on le sait, jusqu’à nos jours, elle fait désormais<br />
partie du décor, intégrée à celui-ci sous l’appellation<br />
de « muraille ancienne » ou de « vieille muraille »,<br />
terminologie reprise dans la plupart des descriptions des<br />
maisons des rues Saint-Flou et de la Tour-Neuve aux 16 e<br />
et 17 e siècles.<br />
Face à la Tour-Blanche, la maison attribuée à Pierre du<br />
Lys, symbolise la transition entre le 15 e et le 16 e siècles.<br />
Présence d’une tannerie<br />
L’étude menée il y a quelques années par le Service<br />
Archéologique Municipal et par le Service Régional<br />
d’Archéologie sur le sud de ce quartier a permis une<br />
approche archéologique des ateliers de tannerie. Leur<br />
implantation semble se faire au 15 e siècle. « L’étude des<br />
bacs de tanneurs situés au sud du site indique que ce<br />
type d’aménagement est appelé à subir de nombreuses<br />
réfections. Leur destruction prend place aux environs du<br />
18 e siècle (10) ». Une rapide étude historique confirme les<br />
résultats des archéologues, en datant certains ateliers, à<br />
l’exemple de la maison du tanneur Étienne Groslet, proche<br />
la Tour Carrée, en la grande cour touchant aux murs de<br />
la ville ; dans le terrier de 1610, une « grange à plains »<br />
représentative d’une activité de tannerie est indiquée à cet<br />
endroit, preuve d’une permanence de cette activité. Une<br />
autre présence de marchand tanneur est attestée en 1480,<br />
donnant sur la rue de la Folie (11) . Aux 16 e et 17 e siècles,<br />
ces activités se poursuivent en la rue de la Tannerie, sous<br />
la forme d’étables, de halles, de moulins et de tanneries.<br />
Celles de raffinerie prendront progressivement le relais<br />
au 17 e siècle, remplacées à la fin du siècle suivant par la<br />
vinaigrerie Dessaux.<br />
Premières installations des établissements<br />
scolaires<br />
La première université se caractérise d’abord par la diversité<br />
d’écoles particulières, comparables à des cours donnés par<br />
des maîtres (FIG. 2). Chaque école prend le nom d’un maître<br />
ou du propriétaire du lieu. Celles-ci s’installent dans un<br />
espace compris aujourd’hui entre la rue de l’Université, la<br />
rue du Pommier et la rue du Puits-de-Linières, la rue du<br />
Gros-Anneau, la rue Courreau (aujourd’hui disparue) et la<br />
rue des Africains.<br />
L’Université enclose dans les murs de l’enceinte galloromaine<br />
de la ville s’ouvre à la fin du 15 e siècle (12) . La<br />
colonisation de la muraille, du côté de la rue actuelle de<br />
la Tour-Neuve, lui permet de s’intégrer enfin parmi la<br />
population.<br />
La proximité des Guerres de religion ne va pas rompre<br />
l’équilibre entre le « haut du quartier » alors voué à l’étude<br />
et à la détente, et le « bas du quartier » industrieux. Mais,<br />
incontestablement, les reconstructions et la réorganisation<br />
partielle de la voirie locale vont le transfigurer. Une<br />
certaine déchéance morale condamnera alors la formation<br />
universitaire enseignée sur les bords de la Loire. Cela se fera<br />
avec le temps, pas avant le milieu du 17 e siècle, comme un<br />
écho lointain aux fracas de ce siècle.<br />
L’aménagement d’un nouvel<br />
espace universitaire<br />
Le terme de « Grandes Écoles » qualifiera à partir du 16 e<br />
siècle un bâtiment très spécifique situé dans la rue actuelle<br />
de l’Université (FIG. 3), autrefois appelée « rue des Grandes<br />
Écoles » (13) . Enseignants et élèves sont principalement<br />
établis sur la rue du Gros-Anneau et la rue des Anges ;<br />
en 1543, les « Grandes Écoles de France » occupent trois<br />
parcelles du prieuré de Saint-Flou ; l’une d’elles est habitée<br />
par l’enseignant Morice Vincent. Le bas de la rue du<br />
Gros-Anneau « aultrement les deux anges », comprend<br />
quatre parcelles : les deux dernières relèvent de « suppots<br />
(10) Voir SAMO 1994.<br />
(11) Orléans, Archives départementales du Loiret, 2J 2485, compte de Saint-Liphard (2 Mi 3616),<br />
28 janvier 1470 ; Paris, Archives nationales, R4* 614, fol. 89, cloître Saint-Pierre-le-Puellier : « la<br />
maison du portail de la grand cour, au bout de laquelle y a une grange à plains, appartenant a me<br />
jacques mesmin procureur... ». Il s’agit de la parcelle Perdoux 242 (cadastre fi n 18 e siècle). La<br />
parcelle donnant sur la rue de la Folie est Perdoux 297, attestée en 1480, selon Orléans, Archives<br />
municipales, C 1954, dossier SRI, Dessaux, numéro 107 de l’étude.<br />
(12) Voir à ce sujet la communication sur la librairie de l’Université « L’Université d’Orléans aux 15 e et<br />
16 e siècles », par Clément Alix, Julien Noblet et Michel Philippe, Journées du Patrimoine 2008, en<br />
cours de publication par la Société Archéologique et Historique de l’Orléanais ; d’après le rapport<br />
effectué précédemment pour le Service Archéologique Municipal d’Orléans.<br />
(13) Ce bâtiment, disparu au début du 19 e siècle, donnera une nouvelle ampleur à l’Université<br />
d’Orléans, par l’unité et la qualité architecturale du lieu. L’Université d’Orléans est assimilable à<br />
un établissement unique, de belle qualité architecturale. Ces « Grandes Écoles » deviendront une<br />
référence matérielle et architecturale mais également une sorte de label de qualité grâce à un<br />
enseignement du droit largement loué dans tout le monde occidental.<br />
219
220 <strong>EMPREINTE</strong> <strong>URBAINE</strong> - L’espace universitaire<br />
FIG. 3<br />
Vue des restes<br />
des « Grandes<br />
Écoles », 1846<br />
(Charles Pensée -<br />
Aquarelle, rehauts de gouache<br />
et crayon graphite,<br />
h. 35,2 x l. 27,8 cm - MHAO,<br />
inv. 999.32.1)
de l’Université », dont la Maison du Chameau. Après<br />
l’édification vers 1420-1421 de sa « librairie » (FIG. 4), rue<br />
de l’Escrivinerie, l’expansion universitaire se traduit dans<br />
l’acquisition de deux bâtiments voisins, à savoir l’hôtel du<br />
Chameau et celui du Petit-Anneau en 1527.<br />
Peu à peu, le cœur de l’Université, autour de la rue<br />
Courreau, se transforme au profit d’un habitat privé et<br />
plutôt misérable au début. Deux maisons à l’angle nordest<br />
de la rue Courreau, appartenaient à feu maître Jehan<br />
Coignart, peut-être également un enseignant. Les archives<br />
en décrivent la longue et turbulente histoire, depuis leur<br />
construction en juin 1414, à savoir pour la première « ung<br />
hostel couvert partie de thuille et partie desseaulme…<br />
ouvrant pardevant sur les escolles de France ». Le 9<br />
avril 1467, cette maison est baillée à rente à messire<br />
Jehan Pépin, pour 59 ans. Elle appartient alors à Jehan<br />
Acarie, propriétaire des écoles de France, et se compose<br />
de deux maisons, jardins et appartenances en un seul<br />
tenant, devant les écoles de France ; elle ouvre sur la rue<br />
Courreau ; en février 1522, cette maison est saisie par le<br />
Roi puis mise à l’encan. La maison est adjugée au couvent<br />
de la Madeleine par décret de justice. Le 22 mars 1527,<br />
le couvent de la Madeleine baille à rente au marchand<br />
orléanais Jacques Serize « une masure ou souloit avoir<br />
deux maisons et court ou meilleu que soulloit tenir feu<br />
Maistre jehan coignart, sur la rue courreau, devant et à<br />
l’opposite des vielles escoles de France, tenant dun long<br />
a une maison qui fut a feu Maistre pierre des ormes luy<br />
vivant cure de lion en beausse, qui semblablement est<br />
tenue des religieuses, d’autre long a fiacre tayer, d’un bout<br />
a Maistre julien chartier, paroisse Saint-Flou, chargée de<br />
20 sols parisis de rente annuelle ; en outre le preneur<br />
sera tenu d’employer aux réparations et édifices en cette<br />
masure 100 livres tournois d’ici 4 ans ; pour cela, il a<br />
hypothéqué une maison qu’il a joignant la dite masure et<br />
tenue aussi du couvent de la madeleine » (14) .<br />
D’autres pièces ont été apportées par E. Jarry quant à la<br />
construction de ces bâtiments (15) .<br />
Un quartier protestant<br />
L’Université d’Orléans est un lieu d’expression et de liberté<br />
de pensée. Jean Le Maire s’interroge sur la conversion de<br />
l’étudiant Jean Calvin au sein de ce libre cercle d’idées. Celuici<br />
logeait en une maison héritée de ses parents, composée<br />
d’une cave, de chambres basses et hautes, de cuisine, étable,<br />
études, etc. Le bâtiment supposé tel a été démoli en 1941.<br />
FIG. 4<br />
Vue de la salle des thèses<br />
Charles Pensée - Fusain, encre<br />
noire et gouache,<br />
h. 42,6 x l. 40,4 cm<br />
(Orléans, musée historique et archéologique<br />
de l’Orléanais)<br />
(14) Paris, bibliothèque nationale de France, ms. fr. 11982, titres de l’abbaye de la Madeleine, f°. 1.<br />
(15) JARRY E. 1920 : p. 42-72 ; Preuves : 19 mai 1505, quittance de 2 037 livres 10 sols sur la construction<br />
des grandes écoles, minute Sevin, étude Gaulier ; maçons Jehan Mynier et Macé Droyneau ;<br />
etc. le montant total est de 3 150 livres tournois, montant du marché passé entre l’Université et<br />
feu Hervé de la Couste, 2 mai 1510, autre quittance avec le maître des œuvres de maçonnerie<br />
Jehan Mynier, minute Chappet, étude Gillet ; 28 avril 1511, quittance pour solde du paiement de la<br />
construction des grandes écoles, minute B. Martin, étude Berlencourt<br />
221
222 <strong>EMPREINTE</strong> <strong>URBAINE</strong> - L’espace universitaire<br />
Tombant en ruines, il échappera aux bombardements mais<br />
sa vétusté ne pourra le sauver (16) (FIG. 5)<br />
L’influence des idées réformées dans ce quartier n’est pas<br />
un leurre. Luce Madeline a dressé une liste de 426 maisons<br />
détenues en 1570 par des Huguenots, ou prétendus tels.<br />
Les idées nouvelles touchent en particulier le milieu<br />
des imprimeurs et des libraires, installés en bordure du<br />
quartier, dans la rue allant à Bonne-Nouvelle (rue Pothier,<br />
pour François Guyard et Pierre Rousset, et sept autres<br />
personnes). Ces réformés se trouvent en particulier autour<br />
de Saint-Pierre-le-Puellier et de son cloître. Cette paroisse<br />
apparaît comme une ville dans la ville, tellement elle semble<br />
marginale, et elle se ressent comme telle, dans le dédale<br />
de ses rues, cours, impasses, plus ou moins secrets (17) . Si<br />
les idées réformées touchent des familles de toute la ville,<br />
elles paraissent mieux implantées dans les populations plus<br />
besogneuses longeant le cours de la Loire. D’après le récit<br />
de l’étudiant allemand Johann Wilhelm von Botzheim,<br />
présent au moment de la Saint-Barthélémy, et qui habitait<br />
vers le cloître Saint-Pierre-le-Puellier, « notre maison se<br />
trouvait environnée de maisons huguenotes ». Il évoque<br />
alors le dédale que devait être ce vieux quartier où l’on<br />
communiquait par les greniers, les caves et les jardins (18) .<br />
Cette situation dura jusqu’à la Saint-Barthélémy (19) .<br />
S’agit-il d’une coïncidence, la présence dans cet espace de<br />
trois établissements de jeu de paume tranche avec les autres<br />
quartiers d’Orléans (20) (FIG. 6). Ces lieux sont bien attestés<br />
au 17 e siècle, mais ils existent auparavant. Le jeu de paume<br />
appelé le Petit Bellesbat apparaît en 1544 rue de la Tour-<br />
Neuve, sans doute proche du cimetière de la Conception.<br />
Cette année-là, les frères Foiret baillent à loyer pour 6 ans,<br />
à Anthoine Cailly, une maison avec jeu de paume, appelée<br />
le petit Bel Ebat, rue de la Croix, tenant au cimetière de<br />
Saint-Flou, par-derrière aux murailles ; il réparera la galerie<br />
du jeu de paume, le long du cimetière, et la mettra « en<br />
bricolle », entretiendra la couverture des autres galeries (21) .<br />
En 1612, ce lieu n’existe déjà plus ; à son emplacement s’est<br />
bâtie « une maison et grande cour qui était anciennement<br />
en deux maisons et deux jeux de paume appelés le Petit<br />
Bellesbat, détenu par la veuve pierre gorant… » Cette<br />
parcelle de la famille Gorrand s’intitulera les Fratres au 17 e<br />
siècle, peut-être pour illustrer une dynastie familiale (22) ?<br />
Les deux autres salles sont établies au centre du quartier. La<br />
maison et jeu de paume de la Petite Marquette, appartenant<br />
à François Fournier, et occupés par Cesar Bazin, figurent rue<br />
Courreau, du côté de la Conception, c’est-à-dire sans doute<br />
FIG. 5<br />
Maison de Jean Calvin ?<br />
au bas de la rue. Elle doit jouxter la maison et jeu de paume<br />
de la Grande Marquette, située rue des Africains, détenue<br />
par le même propriétaire en 1610. La même année, un autre<br />
jeu de paume est localisé au bas de cette même rue, côté rue<br />
du Gros-Anneau : la maison et jeu de paume d’Avallon ouvre<br />
sur la rue Courreau ; elle appartient à Pierre Rouet, au lieu de<br />
Françoise d’Avallon, qui a annexé trois maisons (23) . !<br />
(16) LE MAIRE 1960 : p. 328-332.<br />
(17) BIMBENET 1858.<br />
(18) MADELINE 1997 : p. 3-18.<br />
(Archives départementale du Loiret, 22 Fi 2-3,<br />
collection Eugène Chauffy)<br />
(19) Orléans, Archives départementales du Loiret, série A 1800-2200 et B 1-1535, tome II, imp. G. Jacob, 1886.<br />
(20) Il existe un autre établissement entre les rues des Tanneurs et de la Folie, d’après Cahier d’archéologie,<br />
Service Archéologique Municipal d’Orléans (SAMO), juin 1997.<br />
(21) Orléans, Archives départementales du Loiret, 2J 2485, compte de St Liphard (2 Mi 3616), 9 juin 1544.<br />
(22) Paris, Archives nationales, R4* 312, État des maisons à Orléans, 1581, f° 70v° ; R4* 615, 109, 1612 et<br />
mai 1677.<br />
(23) Paris, Archives nationales, R4* 614, terrier de 1610. Un autre établissement de jeu de paume est établi<br />
plus bas dès 1571, parcelle Perdoux 281, selon Archives Municipales d’Orléans, C 1956, dossier<br />
Dessaux établi par le Service Régional de l’Inventaire ; une tannerie occupe les lieux aux 18 e et 19 e siècles.<br />
Le nom d’Avallon vient sans doute de celui de Françoise d’Avallon, présente sur place en 1543.
FIG. 6<br />
Occupation des sols à la fin du 16 e siècle<br />
(plan SAMO - conception Michel Philippe - DAO Laurent Mazuy)<br />
Quartier canonial de la cathédrale (tracé du 18 e siècle)<br />
Paroisse Notre-Dame-de-Bonne-Nouvelle (terrier de 1543)<br />
Paroisse Saint-Liphard (terrier de 1543)<br />
Paroisse Saint-Flou (terrier de 1543)<br />
Paroisse Saint-Pierre-le-Puellier (terrier de 1543)<br />
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