Thèse 1999 - UFR Droit et Sciences Sociales

UNIVERSITE DE DROIT, D'ÉCONOMIE ET DES SCIENCES 

D'AIX-MARSEILLE 

Faculté de Droit et de science politique d'Aix-Marseille 

LE DOGME DE LA SOLUTION UNIQUE 

Contribution à une théorie de la doctrine en droit privé 

THESE 

pour le Doctorat en Droit 

Spécialité : Droit privé 

présentée par 

Michel BOUDOT 

MEMBRES DU JURY 

DIRECTEUR DE LA RECHERCHE 

M. Otto PFERSMANN, Professeur à l'Université de Paris I, Panthéon-Sorbonne. 

RAPPORTEURS 

Mme Évelyne SERVERIN, Directeur de recherches au C.N.R.S. 

M. Frédéric ZÉNATI, Professeur à l'Université Jean Moulin, Lyon III. 

SUFFRAGANTS 

M. Christian ATIAS, Professeur à l'Université d'Aix-Marseille III. 

M. Alain-François ROGER, Avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. 

M. Alain SÉRIAUX, Professeur à l'Université d'Aix-Marseille III. 

JANVIER 1999

La faculté n'entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions 

émises dans les thèses : ces opinions doivent être considérées comme propres à 

leurs auteurs. 

2 

À Sophie, 

Ariane 

et 

Sara 

Remerciements à 

Françoise Hock, Paul Ricœur, Fabrice 

Rizzo, Dominique Romoli-Giraud et 

Norma Yunez-Naude

Sommaire 

INTRODUCTION 

PREMIERE PARTIE. La transformation en doctrine de l'idée de permanence. 

Titre premier De la fixité à la sécurité. 

Chapitre 1. Le temps de la dualité des interprètes par voie de doctrine. 

Section 1. Le temps de l'interprétation par voie d'autorité. 

Section 2. La vacance de l'interprète par voie d'autorité. 

Chapitre 2. Le temps de la neutralité de la doctrine. 

Section 1. La rénovation des méthodes par la scission des interprètes. 

Section 2. La rénovation de l'intention du Législateur. 

Titre second La solution sûre. 

Chapitre 1. Un savoir sûr. 

Section 1. Les images de la sécurité juridique. 

Section 2. L'unité d'entendement des solutions. 

Chapitre 2. La bonne solution. 

Section 1. Connaître la bonne solution. 

Section 2. Prévoir la bonne solution. 

DEUXIEME PARTIE. La permanence du désir doctrinal de transformation. 

Titre premier Les descriptions doctrinales par l'unité. 

Chapitre 1. Théories de la conformité. 

Section 1. Les vertus de l'unité 

Section 2. Les entraves à l'unité. 

Chapitre 2. Jugements de conformité. 

Section 1. L'interprétation authentique. 

Section 2. L'interprétation par voie d'argument. 

Titre second Les prescriptions doctrinales pour l'unité. 

Chapitre 1. L'état des lieux doctrinaux. 

Section 1. La part du dit. 

Section 2. La part du non-dit. 

Chapitre 2. La force du discours doctrinal. 

Section 1. La modification de l'état des questions. 

Section 2. L'empreinte de la doctrine 

3

INTRODUCTION 

SOCRATE : " À mon avis, la rhétorique est comme le fantôme d'une partie de la 

politique". 

PLATON, Gorgias, [463, d]. 

trad. par A. Croiset, Paris, Les Belles lettres, 1997, p.55 

1. Ouverture - Le discours doctrinal a un caractère théorique singulier. 

Description de l'état du droit positif et prescription pour en changer s'y 

conjuguent inséparablement. Toutes deux produisent des représentations de la 

réalité que la connaissance juridique va assimiler et qui joueront un rôle clé 

dans ses mutations. 

Est-il légitime de questionner ces schèmes véhiculés par le discours de la 

doctrine et par celui sur la doctrine sans quitter le terrain même de ces 

discours ? Pour suivre les méandres contingents et nécessaires à la fois des 

discours qui interrogent la doctrine sur elle-même tout en la prenant comme 

référentiel, et ce pour en décrire les résultantes plurielles et transformables, il 

a fallu trouver une méthode qui ne fasse de concession ni à l'historicisme, ni à 

la sociologie, ni à la linguistique, tout en conservant une possibilité de lien 

avec des contextes irréductibles à aucune généralité. 

Équilibre difficile certes, qui relève d'un souci épistémologique auquel 

aucune discipline ne saurait se substituer et qui consiste en une tentative de 

reconstruction patiente des enchaînements internes comportant leurs propres 

relations à une réalité qu'il convient malgré tout de légiférer. 

Dans cette voie, surgit l'hypothèse selon laquelle, en droit, il pourrait n'y 

avoir qu'une seule solution au présent et un futur prédestiné par des solutions 

préexistantes. Est-ce donc "une attitude très répandue dans la pensée juridique 

qui consiste à nier la réalité de toute opposition dès l'instant qu'elle reçoit une 

solution (1) " ? Le fait est que cette hypothèse de la solution unique place les 

juristes en retrait, voile même leur image, mais cet effacement ne les prive pas 

(1) A. JEAMMAUD, Des oppositions de normes en droit privé interne, Thèse Lyon, 1975, p.39. 

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de leur influence (2) . Ni simple auctoritas, ni véritable potestas, à la fois 

négligeable et déterminante, la doctrine connaît la solution mais ne la pose 

pas. Nous serons amenés à comprendre la force de cette ambivalence qui 

dessine les perspectives de la doctrine contemporaine et le rôle qu'elle entend 

jouer. 

Si un dogme, c'est-à-dire vérité fondamentale rendue incontestable, existe 

pour instruire de la solution unique, certains accepteront que toute question 

de droit reçoit une réponse et une seule, tandis que d'autres y verront surtout 

une rhétorique voire une sophistique de l'éviction des solutions possibles. 

PARAGRAPHE 1. LE DISCOURS DOCTRINAL COMME MATIERE 

2. La doctrine - Dès l'abord, on est saisi par les ambiguïtés qui affectent la 

"doctrine". Concept aux extensions multiples, la "doctrine" réfère aux doctes et 

aux savants, à leur discours, à la "pensée juridique" organisée ou non, ou 

encore à des ensembles de "principes généraux" d'interprétation et des 

"méthodes". Par commodité et par métonymie, on désigne tantôt les uns, 

tantôt les autres (3) . 

Sans doute, peut-on affirmer que la "doctrine" est une parente de la 

"connaissance juridique", mais si l'on s'interroge sur le concept de "doctrine" 

en se demandant ce qu'il signifie, à la question “ qu'est-ce que la doctrine ?” se 

trouve le plus souvent substituée une autre question “ la doctrine est-elle 

source du droit ? ”. Comment expliquer qu'à une question sur la signification 

de la "doctrine", l'on réponde “ la doctrine est une "source"” ou “ n'est pas une 

"source" du droit ”, c'est-à-dire que l'on répond en termes de fonction dans un 

système hiérarchisé, formellement ou non (4) . Y aurait-il dans le discours 

(2) 

Sur les stratégies d'intervention de la doctrine : A. BERNARD et Y. POIRMEUR, "Doctrine civiliste et 

production normative", in La doctrine juridique, Paris, PUF, 1993, p. 127 et spécialement p.162. 

(3) 

Notons que c'est également par métonymie que l'on désigne l'action d'interpréter (dégager les significations 

possibles) et son résultat par "l'interprétation". 

(4) 

Voir les présentations faites dans les manuels d'introduction au droit. On lira premièrement que la 

jurisprudence et la doctrine sont des “ autorités ” : jurisprudence et doctrine ne sont pas comprises comme des 

entités abstraites détachées des énoncés juridictionnels rendus ni comme des idées dissociées de la 

personnalité de leurs auteurs (J. CARBONNIER, Droit civil - Introduction, Paris, PUF, 25ème éd., 1997, [142], 

p.248 ; G. CORNU, Droit civil, Introduction, Les personnes, Les biens, Paris, Montchrestien, 8ème éd., 1997, 

n°437, p.146 ; B. STARCK, H. ROLAND et L. BOYER, Introduction au droit, Paris, Litec, 4ème éd., 1996, pour 

l'autorité de la doctrine, n°237, p.101, pour l'autorité de la jurisprudence, n°886, p.338). On lira deuxièmement 

que la jurisprudence est une “ source ” mais que la doctrine n'est qu'une “ autorité ” (Ph. MALAURIE, 

Introduction générale, Paris, Cujas, 1994, p.285 ; F. TERRE, Introduction générale au droit, Paris, Dalloz, 

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doctrinal quelque chose qui nourrisse l'ambiguïté de la question même ? 

Sous le titre "Le dogme de la solution unique" et son sous-titre 

"Contribution à une théorie de la doctrine", ce travail a pour objectif de 

discuter et d'éclaircir le statut épistémologique du discours doctrinal. 

L'approche sera descriptive mais de par la nature de l'objet étudié - le discours 

sur le droit -, elle prêtera elle-même à discussion. La raison en est simple : 

entre dogmatique et critique, entre suivisme et dissidence, l'oeuvre doctrinale 

est faite d'oppositions, de polémiques et de heurts. Questionnement et 

controverse forment sa raison d'être. Logiquement, décrire la polémique n'est 

pas nécessairement prendre parti, mais il est naturel de suspecter celui qui 

décrit un énoncé prescriptif de prescrire à son tour sous couvert de 

description. 

Cette étude esquisse une théorie de la doctrine mais il ne s'agit pas de 

proposer, à proprement parler, un système explicatif de l'activité des juristes ; 

il s'agit plus modestement de rechercher selon quels modes le discours des 

juristes participe à l'ensemble de l'activité jurislative et dans quelle mesure il y 

parvient ; il s'agit de s'interroger sur ce discours qui constitue "l'interprétation 

non officielle" et qui exprime "le savoir juridique". Si les obstacles pour 

4ème éd., 1998, n°234, p.252 ; C. LARROUMET, Droit civil, tome 1, Introduction à l'étude du droit privé, 

Paris, Économica, 3ème éd., 1996, n°156, p.94). La valeur de ce retrait de la doctrine par rapport à la 

jurisprudence est variable ; l'interprète doctrinal est devant deux types distincts de production de norme, la loi 

et l'énoncé juridictionnel constant. On lira enfin une dernière réponse plus insolite : la doctrine est une 

“ source ” du droit (J. GHESTIN, G. GOUBEAUX et M. FABRE-MAGNAN, Traité de droit civil, Introduction 

générale, Paris, LGDJ, 4ème éd., 1994, n°574, p.528). Plus que véritablement intégrée à une réflexion sur la 

théorie des sources, cette idée est une invitation à mesurer l'impact du discours doctrinal autrement que d'un 

point de vue faussement neutre : la doctrine produit un discours sur le droit qui s'intègre à l'ordre juridique 

positif. Cette idée donne corps par ailleurs à des introductions méthodologiques ou des théories générales du 

droit cherchant à présenter à partir de "l'observation des systèmes juridiques, de la recherche de leur éléments 

permanents, de leur articulation" des règles de réflexion qui éviteront aux étudiants de croire que la 

connaissance du droit s'acquiert par un gavage de règles accumulées (J.-L. BERGEL, Théorie générale du 

droit, Paris, Dalloz, 2ème éd., 1989, n°4, p.4 et n°10, p.11.). Ces introductions qui prétendent ainsi dresser un 

état positif des techniques juridiques et des instruments utilisés par les participants au phénomène juridique, 

représentent la doctrine comme “ une source indirecte ” qui tiendrait son statut de sa capacité à donner aux 

énoncés juridictionnels leur véritable portée normative générale (Ibid., n°60, p.71). Ces introductions prêtent 

ainsi à la doctrine deux activités complémentaires : elle formule des principes de raisonnement et elle les 

utilise pour déterminer la juridicité des règles qu'elle examine. Ainsi, par delà l'unanimité ou les désaccords 

doctrinaux, les auteurs doivent prendre conscience de leur pouvoir. Cela rejoint dans une certaine mesure le 

point de vue de ceux pour qui la doctrine est irremplaçable (P. PESCATORE, Introduction à la science du droit, 

Luxembourg, 1960, p.118 :"La doctrine remplit une fonction propre et irremplaçable en ce sens que la 

législation, même dans la forme des codes, et, plus encore, la jurisprudence restent toujours fragmentaires" ; 

F. TERRE, Introduction générale au droit, 4ème éd., 1998, précité, n°241, p.256 : "Son rôle est d'autant plus 

irremplaçable qu'on peut à la limite imaginer un système juridique sans lois, sans coutumes ou sans 

jurisprudence, mais qu'on ne peut imaginer un système sans doctrine, car c'est elle qui fait prendre aux autres 

composantes du droit conscience de leur propre existence"). Enlevez l'ordre juridique positif, il restera des 

auteurs pour concevoir d'autres théories fondant d'autres types de rapports qui se rangeront ou non sous le 

vocable "ordre juridique positif". 

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comprendre l'activité de la doctrine sont grands, les difficultés pour en 

expliquer l'oeuvre sont infinies. 

Aborder le discours doctrinal par l'expression d'un désir d'unité permettra 

de montrer combien la place de la doctrine dans une hiérarchie des sources ou 

des institutions est difficile à saisir. Cela nous amènera à observer que la 

doctrine construit des concepts explicatifs dans lesquels logent des 

prescriptions politiques et qu'ainsi, ces concepts correspondent à des 

ensembles synthétiques décrivant l'état du droit positif, et aussi bien 

remplissent une fonction de justification et de légitimation de cet état. 

Lorsque la doctrine oeuvre à la définition des concepts juridiques, à la 

synthèse des lois et arrêts, à l'exposé des régimes juridiques, à la détermination 

des règles applicables mais aussi à la découverte d'incohérences et 

d'antinomies, de lacunes, et en général de difficultés, elle contribue à 

l'émergence de questions pour lesquelles elle propose généralement des 

solutions (5) . Le discours doctrinal véhicule donc la connaissance juridique : un 

ensemble d'énoncés normatifs reproduits sous la dictée de la loi ou de la 

jurisprudence en réponse à des interrogations. Il fait naître des concepts, les 

voit disparaître, en consacre certains et en ignore d'autres. 

Curieusement, la doctrine, comprise cette fois comme l'ensemble des 

auteurs, assume avec difficultés cette oeuvre de questionnement. Les questions 

effraient, surtout lorsqu'elles sont sans réponse, ou à réponses multiples. 

Faisant écho à la crainte de l'incertitude, à la crainte de l'ambiguïté et 

finalement à la crainte de l'ignorance, le discours doctrinal dénonce les 

infirmités et l'insécurité du système, juge ceux qui sont censés y remédier et 

participe à l'élaboration des remèdes conceptuels, le problème étant 

cependant que la doctrine n'est pas pourvue d'une autorité normative. Elle 

parvient néanmoins à imposer ses prescriptions en modifiant la façon dont les 

autorités d'application perçoivent leur propre rôle. Elle met aussi à disposition 

des juges ou du législateur des concepts creux, des slogans, des lieux communs 

ou encore des principes qui par leur généralité excessive permettent de 

réaliser l'unité du savoir juridique. Pour finir, la doctrine rationalise a 

posteriori l'ensemble et décrète l'unité et la cohérence du droit passé afin de 

prévoir le droit à venir. 

Un travail sur l'usage doctrinal des concepts connexes à l'unité et à la 

(5) Sur la thèse d'une orientation argumentative des phrases interrogatives, v. J.-C. ANSCOMBRE ET 

O. DUCROT, L'argumentation dans la langue, Bruxelles, Mardaga, 1983 ; C. PLANTIN, "Question > 

Argumentations > Réponses", in C. KERBRAT-ORECCHIONI (dir.), La question, Lyon, PUL, 1991, p.63. 

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permanence aura l'intérêt de faire apparaître, par des analyses contextuelles, 

l'ambivalence du discours doctrinal et pourra s'insérer dans l'élaboration 

d'une théorie du discours doctrinal telle que pourrait l'envisager un 

linguiste (6) , un logicien (7) ou un philosophe (8) . Ainsi, à partir de l'analyse des 

usages des arguments et des concepts qui véhiculent l'idée que le droit est un 

savoir doué d'une permanence traduisant son unité et fournissant au juriste 

des réponses uniques et univoques aux questions qu'il se pose, notre étude a la 

double ambition de montrer que le discours doctrinal, par ses lieux communs 

et ses standards académiques, invite le lecteur à accepter l'idée qu'une solution 

unique suffit à chaque question, et de comprendre, au delà de l'image que la 

doctrine donne d'elle-même, comment le discours doctrinal participe à 

l'élaboration de cette illusion, comment ce discours, censé n'être que 

descriptif, finit par s'imposer dans le contenu même des énoncés jurislatifs. 

3. Les jurislateurs - Ce sont les producteurs de droit. Au sens strict, on ne 

comptera que le législateur et la jurisprudence ; cette dernière s'entendant de 

l'oeuvre normative de l'autorité d'application, mais par métonymie, on 

désignera l'un pour l'autre. L'on ne comptera donc pas la doctrine parmi les 

pouvoirs jurislatifs au sens strict. Les jurislateurs s'entendent donc des 

interprètes authentiques au sens kelsénien (9) . Néanmoins, "jurislateur" peut 

s'entendre des interprètes non-authentiques dont les énoncés pénètrent, d'une 

manière ou d'une autre, les normes positives. Les auteurs sont "autorité 

jurislative" au sens large, dès lors qu'ils participent à l'élaboration du contenu 

d'une norme positive (10) . Mais entre auteurs de doctrine et de jurisprudence, 

la frontière est parfois floue. Nous appellerons "voix doctrinale" des autorités 

d'application, les publications où l'on rencontre des prises de position de 

magistrats destinées à expliquer et commenter une solution de leur Cour. 

La doctrine raisonne tout d'abord sur les questions qu'elle pose. Telle règle 

est-elle applicable à tel cas ? Telle qualification peut-elle être associée à tel 

(6) 

par exemple F. PAYCHERE, Théorie du discours juridique, essai sur les apports des sciences du langage à la 

théorie générale du droit, Thèse Paris II, 1990. 

(7) 

par exemple P. BAILHACHE, Essai de logique déontique, Paris, Vrin, 1991. 

(8) 

par exemple S. TOULMIN, Les usages de l'argumentation, trad. Ph. De Brabanter, Paris, PUF, 1993, p.9-10. 

(9) 

"L'interprétation authentique" renvoie aux théories kelseniennes de l'interprétation (H. KELSEN, Théorie 

pure du droit, trad. Ch. Eisenmann, Paris, Dalloz, 2ème éd., 1962, n°45 s., p.453 s. ) mais on notera que le 

terme est également recevable en droit canonique (A. SERIAUX, Droit canonique, Paris, PUF, 1996, p.18). 

Néanmoins il faut garder à l'esprit que la doctrine garde une place dans la hiérarchie des sources du droit 

canonique (ibid., p.20). 

(10) 

G. CORNU, "Réflexion finale", in P. AMSELEK (dir.), Théorie des actes du langage, éthique et droit, Paris, 

PUF, 1986, p.251 qui considère la parole doctrinale comme "juricréatrice". 

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objet ? Ce sont des interrogations qu'elle mène soit sur des hypothèses 

pratiques, soit sur des cas imaginaires. Dans tous les cas, elle fait apparaître 

l'imperfection des réponses positives en dénonçant leurs ambiguïtés. 

4. Discours doctrinal et ambiguïté - L'énoncé ambigu doit se distinguer de 

l'énoncé polysémique ou polyvoque car il ne se réduit pas à une collection 

d'énoncés univoques (11) . C'est une propriété intrinsèque du discours juridique 

centré sur lui-même qui noue de manière soit indicible, soit contradictoire, 

soit prohibée, des concepts supposément incompatibles. "L'ambiguïté, c'est le 

problème du sens multiple en sa diversité irréductible, en sa possibilité 

même (12) ". Ce qui nous paraît décisif, c'est la variabilité du contenu 

sémantique de l'énoncé ambigu. Cela laisse penser que, plus qu'un contenu 

incertain, polyvoque ou contradictoire, "l’ambiguïté dénoncée" est un 

contenant, disons un raisonnement ou un processus mental qui, d’une part, 

permettrait de prescrire un déni dans les termes du débat posés a priori afin 

d’affirmer que les modalités positives d’énonciation des questions sont 

insusceptibles de produire des réponses satisfaisantes, justes, raisonnées ou 

cohérentes, et qui, d’autre part, invite à une recomposition du débat et de ses 

éléments (13) . C'est pourquoi, quand la doctrine dénonce "l'ambiguïté" d'un 

énoncé juridique, son discours opère comme un révélateur paradoxal ; il 

garantit sous l'invariance du vocabulaire une apparence de stabilité 

(11) 

Sur la distinction entre ambiguïté et polysémie, voir G. CORNU, Linguistique juridique, Paris, 

Montchrestien, 1990, p.90 : "L'amphibologie ou l'ambiguïté est un accident de la polysémie. Elle se produit 

lorsque dans un texte, un terme polysémique est utilisé par le locuteur de telle manière qu'il crée pour le 

récepteur l'équivoque, c'est-à-dire le doute et l'hésitation sur celui des sens dans lequel il faut alors prendre le 

terme. (…) L'amphibologie suppose donc la polysémie, mais la réciproque n'est pas vraie. La polysémie crée 

un risque de confusion ; elle ne débouche pas toujours sur la confusion. Le risque ne se réalise que par 

l'emploi vicieux ou atypique qui en est fait dans un discours" ; également O. DUCROT et T. TODOROV, 

Dictionnaire encyclopédique des sciences du langage, Paris, Seuil, 1972, p.303-304 : "L'ambiguïté doit être 

distinguée de l'extension sémantique : la plupart des expressions ont une signification très générale, qui leur 

permet de décrire des situations très différentes. Mais on ne considère pas le mot “ véhicule ” comme ambigu 

sous prétexte qu'il peut se dire d'une bicyclette comme d'un camion, ni non plus “ aimer ” sous prétexte que 

l'on peut aimer son père et aimer la confiture. Dans ces exemples, en effet, une signification générale semble 

commune à tous les emplois de la même expression : seulement c'est une signification très large et abstraite. 

On en dira autant lorsque cette abstraction devient indétermination (les philosophes anglais parlent de 

vagueness). Beaucoup d'expressions, non seulement décrivent des situations très différentes, mais laissent 

indéterminé, dans certains cas, si elles doivent être ou non employées : il y a une infinité de cas-limites où on 

ne saurait ni nier, ni affirmer que quelqu'un est chauve, qu'il est heureux ou qu'il réussit. Mais cette 

indécidabilité dans les cas-limites n'empêche pas l'existence de cas clairs qui permettent de donner à 

l'expression - à l'intérieur d'un certain domaine - une caractérisation univoque". 

(12) 

D. VERNANT, v° Ambiguïté, Les notions philosophiques, tome 1, Paris, PUF, 1991 ; adde, C. FUCHS, 

L'ambiguité du français, Grenoble, Ophrys, 1996. 

(13) 

Cf. R. LANDHEER, Aspects linguistiques et pragmatico-rhétoriques de l'ambiguïté, Thèse, Leyde, 1984 ; 

voir également M. KAHLOUL, Les procédés argumentatifs du discours judiciaire français : étude de 

pragmatique linguistique, Thèse Strasbourg 2, 1994. 

9

conceptuelle, alors qu'il prescrit de manière camouflée la transformation et le 

changement (14) . Ensuite, le concept "ambigu" recouvre sa clarté et son unité 

par la redéfinition (permanente) de ses propriétés et de ses critères. Il devient 

"sûr". 

5. Doctrine et sécurité juridique - Une solution "sûre", un concept "sûr" sont 

censés apporter aux justiciables certitude et prévisibilité. L'interprétation 

d'une règle par le juge sera conforme au principe de sécurité juridique si les 

justiciables ont pu par avance la prévoir : la solution sûre est la solution 

prévisible, qu'elle ait été déjà fixée ou qu'elle soit induite. Par extension, un 

concept sera "sûr", s'il contribue à la découverte de solution "sûre". Mais nous 

observerons l'extrême ambiguïté de la "sécurité juridique" et nous montrerons 

que le besoin de "sécurité juridique", l'impératif de "sécurité juridique" ou le 

principe de "sécurité juridique" sont des slogans utilisés en vue de justifier et 

légitimer, non les solutions décrites, mais la solution prescrite. 

Le dogme de la solution unique procède donc de cette manière. En 

dénonçant l'ambiguïté sémantique d'une expression, la pluralité des 

significations d'un énoncé, l'indétermination d'un concept ou son 

inadéquation à la réalité, ce discours situe le cadre de la description d'une 

difficulté. Mais, en liant cette description au caractère intolérable de l'absence 

d'unité du concept ou d'unicité de la solution, il opère un choix parmi les 

solutions possibles. Or si ce choix est fait a priori, il faut admettre que le 

dogme de la solution unique est non seulement une rhétorique de l'éviction 

des solutions possibles mais encore une sophistique par laquelle on prétend 

découvrir une solution par déduction ou subsomption à partir d'un principe 

général dénommé de "sécurité juridique", de "confiance légitime" ou plus 

généralement de "cohérence", sophistique qui crée l'illusion que la solution 

prescrite est fournie par le système juridique lui-même. Comme l'écrivait 

Kelsen : "Quand le sens d'une norme est douteux, il y a selon la doctrine 

traditionnelle, une seule interprétation correcte et une méthode scientifique 

permettrait de la déterminer dans chaque cas. Le droit serait un ordre fixe, 

réglant de façon non-équivoque la conduite des hommes et en particulier celle 

des tribunaux et des autres organes chargés de l'appliquer. Il garantirait sinon 

une sécurité économique, du moins une sécurité juridique. Une telle idée est 

(14) voir par exemple P. FOURET, "L'ambiguité et l'insécurité juridique", in Insécurité juridique et assurance, 

colloque du 3 octobre 1996, RGDA 1998, p.446. 

10

cependant illusoire (15) ". 

À titre d'exemple, M. le professeur Savaux faisait observer que l'oeuvre de 

synthèse et de système de la doctrine n'avait rien d'univoque (16) . Il n'y aurait 

pas un droit positif du contrat mais des droits positifs du contrat. "Selon 

l'ouvrage auquel on s'informe, (…) on découvre au gré des auteurs que la 

jurisprudence est partagée sur la question de la date de formation du contrat 

entre absents (17) ou au contraire que la Cour de cassation a nettement opté en 

faveur du système de l'émission (18) , que l'erreur-obstacle est sanctionnée par la 

nullité absolue (19) ou par la nullité relative (20) , qu'en matière de simulation, en 

cas de conflit entre tiers dont certains invoquent l'acte ostensible, d'autres 

l'acte secret, la jurisprudence est hésitante (21) ou qu'elle tranche plutôt en 

faveur de celui qui invoque l'acte apparent (22) , que le droit positif "paraît 

consacrer" l'analyse selon laquelle la cession de contrat “ est en réalité un 

transfert unitaire et intégral de la qualité de contractant (23) ” ou que “ la 

cession conventionnelle de contrat ne peut pas être admise (24) ”". 

Ces exemples illustrent la difficulté à décrire l'état du droit positif (25) . En 

fait, la doctrine montre des préférences et révèle ainsi des prises de positions, 

qui, même si elles ne s'intègrent pas à un schéma idéologique général, ne sont 

jamais idéologiquement fortuites (26) . Sous couvert de neutralité scientifique, 

elle produit ainsi des prescriptions. Cela rend d'autant plus difficile à situer 

son statut dans une théorie globale de l'ordre juridique, que tous les discours 

revêtant les caractères et le style de l'extériorité peuvent être des discours 

(15) H. KELSEN, Théorie pure du droit, trad. par H. Thévenaz, Neuchâtel, La Baconnière, 1ère éd., 1953, rééd., 

1988, p.155 ; adde, F. TULKENS, "La sécurité juridique : un idéal à reconsidérer", RIEJ 1990-24, p.25. 

(16) E. SAVAUX, La théorie générale du contrat, mythe ou réalité ?, préface de J.-L. Aubert, Paris, LGDJ, 

1997, n°448-449, p.303 (Les références qui suivent sont issues de cet ouvrage). 

(17) J. CARBONNIER, Droit civil, Les obligations, tome 4, Paris, PUF, 1991, n°39, p.89 ; J. FLOUR et J.- 

L. AUBERT, Les obligations, L'acte juridique, Paris, A. Colin, 5ème éd., 1991, n°177, p.127 ; C. LARROUMET, 

Droit civil, Les obligations, Le contrat, tome 3, Paris, Économica, 2ème éd., 1990, n°284, p.263. 

(18) J. GHESTIN, Traité de droit civil, Le contrat, formation, Paris, LGDJ, 2ème éd., 1988, n°373, p.406-408 ; 

A. WEIL et F. TERRE, Droit civil, Les obligations, Paris, Dalloz, 4ème éd., 1986, n°153, p.164. 

(19) H. et L. MAZEAUD, F. CHABAS, Leçons de droit civil, Obligations, théorie générale, Paris, Montchrestien, 

8ème éd., 1991, n°161, p.151 ; A. WEIL et F. TERRE, Droit civil, Les obligations, précité, n°164, p.172. 

(20) J. GHESTIN, Traité de droit civil, Le contrat, formation, Paris, LGDJ, 2ème éd., 1988, n°373, p.406-408 ; 

J. FLOUR et J.-L. AUBERT, Les obligations, L'acte juridique, n°192, p.147. 

(21) C. LARROUMET, Droit civil, Les obligations, Le contrat, tome 3, précité, n°770, p.828. 

(22) J. FLOUR et J.-L. AUBERT, Les obligations, L'acte juridique, précité, n°389, p.322. 

(23) Ph. MALAURIE et L. AYNES, Droit civil, Les obligations, Paris, Cujas, 3ème éd., 1992, n°789, p.423. 

(24) J. GHESTIN et M. BILLIAU, Traité de droit civil, Les obligations, les effets du contrat, Paris, LGDJ, 1992, 

n°1049, p.1008. 

(25) voir pour d'autres exemples toujours, E. SAVAUX, La théorie générale du contrat, mythe ou réalité ?, 

précité, n°119 s., p.156 s. 

(26) G. VIGNAUX, "Argumentation et discours de la norme", Langages, Mars 1979, p.70 ; Ph. JESTAZ, "Déclin 

de la doctrine ?", Droits-20, p.93. 

11

prescriptifs. 

Pour rendre compte de l'usage par la doctrine des concepts connexes à la 

solution unique, la principale difficulté méthodologique tient à la présence 

simultanée dans le discours des auteurs de l'ensemble des approches 

théoriques, le plus souvent de manière implicite. Pour débrouiller les noeuds 

de cette problématique, où l'on retrouve pêle-mêle l'unité, l'unicité, la 

sécurité, ou encore l'ambiguïté des solutions et le désir de la doctrine d'y 

remédier, notre démarche sera d'une part diachronique, d'autre part 

synchronique. 

PARAGRAPHE 2. CHEMINEMENT 

6. Diachronie - Nous mènerons pour commencer une étude diachronique du 

concept de permanence pour faire apparaître que, dans la description de 

l'unité, le discours doctrinal a substitué la recherche de la sécurité juridique à 

la fixité et à la certitude. Mais la succession des époques doctrinales égrènent 

des représentations de l'ordre juridique positif qui ne peuvent être présentées 

de manière linéaire parce que les hommes qui composent la doctrine ne sont 

pas soumis à des systèmes de pensée monolithes. L'histoire de la doctrine 

impose à l'historien deux directions de recherche, d'une part celle des 

influences doctrinales et théoriques, et d'autre part celle de l'image que la 

doctrine avait d'elle-même. "Le passé d'une science d'aujourd'hui ne se 

confond pas avec la même science dans son passé (27) ", nous dit Canguilhem à 

propos de la biologie. C'est plus vrai encore à l'égard de la connaissance nonscientifique 

ou proto-scientifique dont le droit fait partie. Nous entamerons 

cette analyse avec les commentateurs du Code civil, étant entendu que le 

XIXème siècle ne marque pas une rupture avec le XVIIIème du point de vue 

du discours juridique sur les questions pratiques. Si les Codes napoléoniens ont 

apporté l'unification formelle et la remise en ordre du droit positif, et sont 

vécus en cela comme témoignant d'une rupture, les auteurs qui les 

commentèrent ne furent jamais que les successeurs de leurs maîtres. 

Au cours de cet historique, nous nous garderons de regrouper les auteurs 

étudiés en École préférant faire ressortir l'hétérogénéité d'une communauté 

(27) G. CANGUILHEM, Idéologie et rationalité dans l'histoire des sciences de la vie, Paris, Vrin, 1993, p.15. 

12

dont le savoir et les convictions sont très diverses. L'accent sera mis sur la 

discontinuité et en contrepoint des approches qui poursuivent la continuité du 

droit comme un but, suivre les transformations de l'image doctrinale dans le 

discours juridique nous amènera presque naturellement à adopter les moyens 

d'une entreprise archéologique (28) . 

Pour représenter la doctrine du XIXème siècle, nous utiliserons 

principalement les auteurs de grands traités commentant le Code civil, à 

savoir principalement Delvincourt, Toullier, Proudhon, Troplong, Marcadé, 

Demolombe, Aubry et Rau. Pour représenter la charnière des deux siècles 

jusqu'au milieu du XXème siècle, outre les travaux de Planiol, Saleilles, 

Josserand, Capitant, Lambert, Bonnecase et Savatier, nous situerons Gény et 

Ripert à une place prépondérante. La doctrine contemporaine ne sera 

représentée qu'au tamis des questions techniques choisies pour illustrer nos 

propos, avec cependant une place privilégiée pour les grands réformateurs que 

furent MM. les doyens Carbonnier et Cornu. 

Cette étude des textes doctrinaux, mis en relation avec les questions 

pratiques qu'ils abordent, nous montrera les mutations des caractères de la 

"solution unique" : un discours s'appuyant sur la force de la tradition et de 

l'enseignement du passé, exprimant l'unité du savoir juridique par la 

permanence des solutions posées, fixes et certaines, va céder la place à un 

discours où la permanence n'est plus assurée par la fixité des solutions mais 

par le respect de la sécurité juridique. Cela nous conduira à considérer que la 

"solution unique" présente aujourd'hui dans le discours doctrinal est la 

solution conforme au principe de sécurité juridique, c'est-à-dire la solution 

sûre. 

7. Synchronie - Une étude synchronique de la solution sûre montrera la 

variabilité de ce concept et son rattachement constant à l'expression d'une 

recherche de la permanence du savoir juridique, mais à travers les différentes 

(28) M. FOUCAULT, L'archéologie du savoir, Paris, nrf, Gallimard, 1969, p.182-183. La démarche 

archéologique "ne cherche pas à restituer ce qui a pu être pensé, voulu, visé, éprouvé, désiré par les hommes 

dans l'instant où ils proféraient le discours ; (…) elle n'essaie pas de répéter ce qui a été dit en le rejoignant 

dans son identité même. Elle ne prétend pas s'effacer elle-même dans la modestie ambiguë d'une lecture qui 

laisserait revenir en sa pureté, la lumière lointaine, précaire presque effacée de l'origine. Elle n'est rien de plus 

et rien d'autre qu'une réécriture : c'est à dire dans la forme maintenue de l'extériorité, une transformation 

réglée de ce qui a été déjà écrit. Ce n'est pas un retour au secret de l'origine ; c'est la description systématique 

d'un discours objet" ; comp. J. BROEKMAN, Droit et anthropologie, Paris, LGDJ, Story Scientia, 1993, p.147 

s. ; F. EWALD, "Pour un positivisme critique : Michel Foucault et la philosophie du droit", Droits- 03, 1986, 

p.137 (p.141). 

13

conceptions de la "solution sûre" que la doctrine diffuse, solution constante, 

solution acquise, solution exacte, ou prévisible, il ne s'agit plus de fixité du 

contenu des normes proprement dit ; il s'agit de fixité et de certitude des 

procédures de détermination du contenu des énoncés juridiques. 

La description de la "solution unique" prend de ce fait une teinte 

particulière. En cherchant à exprimer des certitudes pour le futur, faisant de la 

"nécessaire prévisibilité" du droit un cheval de bataille, l'oeuvre doctrinale 

descriptive est assise sur des postulats probabilistes. Les raisonnements 

doctrinaux qui prétendent induire par l'observation des précédents ou déduire 

sous des principes généraux des solutions uniques et univoques, ne relèvent 

pas de la démonstration analytique. Les juristes ne pratiquent pas le syllogisme 

mais l'enthymème. Leur discours participe d'une rhétorique où ce qui est 

vraisemblable tient lieu de vérité (29) . 

Nous confronterons ce point de vue aux thèses de M. le professeur 

Dworkin qui constituent, selon nous, la version la plus aboutie du dogme de la 

solution unique (30) . Nous envisagerons ensuite le sort que le droit français et 

ses commentateurs doctrinaux réservent aux cas difficiles et aux cas faciles. 

Entre ce qu'exprime l'argumentation doctrinale et ce qu'elle tait, nous 

proposerons un état des lieux doctrinaux pour montrer que la rhétorique de 

l'unité se change parfois en une sophistique dont l'objet est de justifier a 

posteriori une solution plutôt que de convaincre de son bien-fondé. Nous nous 

interrogerons, pour terminer, sur la force du discours doctrinal. Capable de 

modifier l'état des questions, de l'enrichir ou de le restreindre, capable de 

déplacer les problèmes ou de clore des controverses, la doctrine ne dispose pas 

d'un pouvoir normatif ; son discours intègre pourtant les énoncés juridiques 

positifs et laisse son empreinte dans le contenu même des énoncés 

juridictionnels. 

Des analyses contextuelles sur l'usage des arguments et des concepts nous 

fourniront des éléments de réflexion sur la manière dont le discours doctrinal 

rend compte de la connaissance juridique. Le regard que nous porterons sur le 

discours doctrinal se fera à partir d'un point de vue externe, comme nous 

(29) ARISTOTE, Rhétorique, trad. M. Dufour, Paris, Gallimard, 1998, [1355 a] ; v. F. WOLFF, "Trois techniques 

de vérité dans la Grèce classique. Aristote et l'argumentation", Argumentation et Rhétorique, Hermès 15, 

CNRS, 1995, p.41. 

(30) R. DWORKIN, L'empire du droit, trad. par E. Soubrenie, Paris, PUF, recherches philosophiques, 1994 ; "La 

chaîne du droit", Droit et société, 1985, n°1, p.51 ; Prendre les droits au sérieux, trad. par M.-J. Rossignol et 

F. Limare, préface de P. Bouretz, Paris, PUF, Léviathan, 1995 ; Une question de principe, trad. par 

A. Guillain, Paris, PUF, recherches philosophiques, 1996. 

14

invite à le faire M. le professeur Hart, mais nous ne négligerons les critiques 

dont les thèses défendues par l'École analytique font l'objet. 

PARAGRAPHE 3. REGARD SUR LA DOCTRINE 

8. Point de vue externe - Pour décrire l'état du droit, M. le professeur Hart 

nous invite à ne pas négliger l'existence des points de vue interne et externe. 

Cette distinction est au moins une précaution méthodologique. "L’une des 

difficultés auxquelles se heurte toute théorie du droit soucieuse de rendre 

justice à la complexité des faits, consiste à se souvenir de la présence de ces 

deux points de vue, et à ne pas considérer l’un d’eux comme inexistant (31) ". La 

raison en est que "la plupart des obscurités et des déformations qui affectent 

les concepts juridiques et politiques proviennent du fait que ceux-ci 

impliquent une référence à ce que nous avons appelé le point de vue interne : 

c'est à dire, le point de vue de ceux qui ne se contentent pas de constater et de 

prédire le comportement qui se conforme à des règles, mais qui utilisent les 

règles comme des modèles qui permettent l'évaluation de leur propre 

comportement et de celui d'autrui (32) ". Il est d'autant plus important de 

séparer les deux points de vue et d'adopter un point de vue externe, que la 

situation de la doctrine se trouve particulièrement floue. 

Dans leur essai d'épistémologie juridique Jalons pour une théorie critique 

du droit, MM. les professeurs Ost et Van de Kerchove utilisent la métaphore 

du jeu théâtral pour rendre compte de la situation des différents acteurs dans 

la vie juridique. Sur scène, les acteurs qui représentent les justiciables, les 

autorités d'application du droit, le législateur jouent la pièce du droit positif. Il 

voient le droit d'un point de vue interne. Dans le public, les spectateurs sont 

les théoriciens qui voient la pièce se jouer sans intervenir ; ils commentent 

ensuite ce qu'ils ont observé de leur point de vue externe. L'ambivalence du 

statut et du rôle de la doctrine tient au fait que son discours est au carrefour 

des deux points de vue externe et interne, et oscille. Dans la métaphore du jeu, 

la doctrine est représentée comme un souffleur. Elle n'est ni acteur comme les 

(31) H. L. A. HART, Le concept de droit, trad. par M. Van de Kerchove, Bruxelles, FUSL, 1976, [88], p.116 ; 

adde A.-J. ARNAUD, "Valeur heuristique de la distinction interne / externe comme grande dichotomie pour la 

connaissance du droit", RRJ 1986, p.241 ; G. KALINOWSKI, "Théorie, métathéorie ou philosophie du droit 

(réflexions sur The concept of law de H.L.A. Hart et On law and justice d'Alf Ross)", APD 1970, p.179. 

(32) H. L. A. HART, Le concept de droit, précité, [96], p.124 

15

citoyens ou les autorités habilitées à produire du droit, ni spectateur comme 

les théoriciens de la science du droit. "Tant qu'il demeure dans les limites de 

sa fonction théorique, l'auteur de doctrine occupe la place du spectateur de la 

représentation se déroulant sous ses yeux, sans qu'il soit amené à y tenir un 

rôle actif. Mais, dès lors qu'il collabore au jeu scénique, même de façon 

indirecte, par ses suggestions pratiques, l'auteur de doctrine quitte les rangs 

des spectateurs. Sans doute ne monte-t-il pas pour autant visiblement sur la 

scène. (…) Il joue le rôle du souffleur, à la fois collaborateur des acteurs, prêt à 

intervenir en cas de défaillance de leur part et, en même temps, situé en 

marge de la scène, presque au niveau des spectateurs ordinaires (33) ". 

L'École analytique du droit représentée principalement par Kelsen et Hart 

nous fournit les instruments pour définir le point de départ de cette 

recherche. Deux concepts sont à retenir : "les actes de connaissance de la 

doctrine" et la "texture ouverte du langage". 

9. Les actes de connaissance de la doctrine - La situation des interprètes chez 

Kelsen est l'objet d'une distinction entre l'interprète scientifique ou doctrinal 

et l'interprète authentique, distinction qui sépare la fonction heuristique de la 

doctrine en quête des sens possibles et le pouvoir reconnu au juge de choisir 

l'interprétation qu'il posera. Selon Kelsen, la doctrine qui fait acte de 

connaissance en déterminant les différentes significations d'une norme, se 

contente de cela ; "la doctrine juridique ne peut poser des actes formateurs de 

droit, car les actes formateurs de droit sont des actes de volonté, tandis que la 

science du droit ou la doctrine juridique est une fonction de connaissance et 

non de volonté. La doctrine juridique peut seulement énoncer qu'une certaine 

norme juridique est valide ; elle peut seulement décrire les relations entre des 

normes juridiques, ou entre des normes juridiques et d'autres normes, mais 

elle ne peut pas rendre valides des normes juridiques ou les priver de validité. 

Seule une autorité juridique, comme le législateur ou le juge, peut le faire (34) ". 

Les raisons en seraient que "les normes juridiques ne sont pas la 

signification d'actes de pensée, mais la signification d'actes de volonté ; et une 

pensée “juridique” ne peut être qu'une pensée ayant pour objet des normes 

juridiques, qui sont la signification d'actes de volonté, c'est-à-dire des normes 

juridiques qui sont déjà posées. La pensée juridique ne peut créer ou abroger 

(33) F. OST et M. VAN DE KERCHOVE, Jalons pour une théorie critique du droit, Bruxelles, FUSL, 1987, p.43. 

(34) H. KELSEN, Théorie générale des normes, trad. par O. Beaud et F. Malkani, Paris, PUF, 1996, chapitre 28, 

p.155 critiquant la théorie de J. ESSER ; Théorie pure du droit, Paris, Dalloz, 2ème éd., 1962, p.462-463. 

16

des normes juridiques. Toutefois, la question de l'applicabilité aux normes des 

principes logiques de non-contradiction et d'inférence doit être prise en 

compte pour le cas d'un conflit de normes et pour le cas de l'application d'une 

norme générale au cas concret. Dans ces cas, il s'agit du problème de 

l'acquisition et de la perte de la validité des normes. Cela n'est pas possible par 

la voie de la pensée, pas même d'une pensée “juridique”. En ce sens, il ne peut 

y avoir quelque chose qui soit une pensée “juridique” (35) ". 

On ne saurait être plus clair. Hors d'une fonction législative ou 

prétorienne, les prescriptions des juristes ne sont pas à même de modifier 

l'état du droit positif. Mais dire qu'il n'existe pas de pensée “juridique” ou, de 

manière moins polémique, que les énoncés et les interprétations nonauthentiques 

n'ont aucun effet sur la validité des normes interprétées signifie 

que leurs contributions à la science du droit sont soit descriptives, soit 

politiques : "le juriste qui, dans un commentaire qu'il publie, distingue l'une 

des interprétations possibles comme la seule “exacte”, ne [remplit] pas une 

fonction de science juridique, mais une fonction de politique juridique (36) ". Et 

plaidant contre le dogme de la solution unique, Kelsen en dénonce l'illusion : 

"l'interprétation juridique doit éviter avec le plus grand soin la fiction qu'une 

norme juridique ne permet jamais qu'une seule interprétation, l'interprétation 

“exacte” ou “vraie”. C'est là une fiction dont la science du droit traditionnelle 

se sert pour maintenir l'idéal de sécurité juridique. Or, étant donné 

l'ambiguïté qui affecte, plus ou moins, la plupart des normes juridiques, cet 

idéal n'est réalisable qu'approximativement (37) ". 

Sans conteste, Kelsen reconnaît à cette fiction d'univocité une utilité 

politique, mais il considère néanmoins que le juriste qui proclame "qu'une 

interprétation qui est peut-être d'un point de vue politique-subjectif, 

préférable à une autre qui est logiquement possible, est la seule exacte d'un 

point de vue objectivement scientifique (38) ", fait passer pour une vérité 

scientifique ce qui n'est jamais qu'un simple jugement de valeur politique. Il 

(35) H. KELSEN, Théorie générale des normes, précité, chapitre 58, p.329. 

(36) H. KELSEN, Théorie pure du droit, trad. par Ch. Eisenmann, Paris, Dalloz, 2ème éd., 1962, n°47, p.463. 

(37) H. KELSEN, Théorie pure du droit, 2ème éd., 1962, précité, n°47, p.463 ; Théorie pure du droit, 1ère éd., 

1953, rééd., 1988, précité, p.155 ; sur la distinction entre actes de connaissance et actes de volonté : 

M. TROPER, "La liberté d'interprétation du juge constitutionnel", in P. AMSELEK (dir.) Interprétation et droit, 

Bruxelles, Bruylant, Aix-en-Provence, PUAM, 1995, p.235. L'auteur éclaire la confusion qui consiste à penser 

qu'en déterminant l'interprétation “ vraie ”, le juge fait un acte de connaissance. En réalité, non seulement le 

juge ne détermine pas l'interprétation vraie, mais en désignant "l'unique solution", il fait un acte de volonté. En 

revanche, le droit fonctionne conformément à la croyance que "l'interprétation [judiciaire] est un acte de 

connaissance". 

(38) H. KELSEN, Théorie pure du droit, 2ème éd., 1962, précité, n°47, p.463. 

17

demeure même sceptique sur l'efficacité politique de la fiction d'univocité et 

fait observer qu'une interprétation véritablement scientifique, réalisée sur la 

base d'une analyse critique et décrivant toutes les significations possibles 

politiquement correctes ou incorrectes, peut seule permettre à l'autorité 

habilitée de réduire à terme à un minimum les ambiguïtés et les équivoques 

inévitables de tout énoncé linguistique. Les auteurs qui, faisant mine de 

décrire les différentes significations et solutions possibles, prescrivent des 

choix, se trouvent en situation non plus d'interprètes doctrinaux ou 

scientifiques mais en situation de tribuns politiques. Kelsen condamne cette 

attitude mais observe très justement qu' "on ne peut naturellement pas le leur 

interdire (39) " ; on ne peut que s'insurger qu'ils le fassent au nom de la science 

juridique. Le discours doctrinal doit néanmoins être maîtrisé : "Un 

commentaire scientifique doit se borner à indiquer les interprétations 

possibles d'une norme. Il ne peut pas décider que telle d'entre elles est la seule 

correcte ou la seule juste. Cette décision est un acte de volonté incombant 

exclusivement à l'organe qui a la compétence d'appliquer la norme en en 

créant une nouvelle. La plupart des commentaires qui se disent scientifiques 

sont en réalité des ouvrages de politique juridique (40) ". 

La description scientifique doit dans cette perspective se contenter de 

commentaires éthiquement neutres car, à défaut, la doctrine ferait oeuvre 

politique. Au fond, il n'y a pas de solution unique, il n'y a pas d'interprétation 

exacte et surtout il n'y a pas de méthode pour connaître l'interprétation vraie 

parce que la langue du droit n'est pas un langage artificiel univoque. Cette 

idée présente incidemment chez Kelsen est développée par Hart par l'analyse 

de la texture ouverte du langage. 

10. Texture ouverte - Selon Hart, "les énoncés linguistiques généraux dotés 

d'autorité dans lesquels une règle se trouve formulée, peuvent ne fournir que 

des lignes de conduite incertaines, presque au même titre qu'un exemple 

faisant autorité. L'idée selon laquelle le langage de la règle nous permet de 

repérer en toute simplicité des cas d'application facilement reconnaissables, 

s'effondre sous cet angle ; les notions de subsomption et de conclusion tirée 

d'un syllogisme ne caractérisent plus le nerf du raisonnement emprunté pour 

déterminer le comportement qu'il convient d'adopter (…)". S'il advenait que 

l'on "fige la signification d'une règle de telle façon que ses termes généraux 

(39) Ibid., p.463. 

(40) H. KELSEN, Théorie pure du droit, 1ère éd., 1953, précité, p.140. 

18

possèdent nécessairement la même signification dans toutes les situations où il 

est question de l'appliquer (…), [on] assurerait un certain degré de certitude 

ou de prévisibilité , au prix de préjuger aveuglément ce que l'on doit 

accomplir dans une série de situations futures, dont nous ignorons la 

composition (41) ". 

Pour l'École analytique, l'incertitude constitue en quelque sorte le prix de 

l'utilisation du langage ordinaire (42) . La "texture ouverte du langage" nous 

permet de comprendre que les significations des énoncés produits par les juges 

ou le législateur ne peuvent être a priori désignées comme univoques. On 

observera avec Hart, au-delà de la polysémie des termes présents dans les 

textes juridiques, que ceux-ci se caractérisent par la pluralité de leurs 

extensions, pluralité que l'on ne peut dénombrer a priori. (43) . Aussi, termes et 

concepts doivent-ils être analysés de manière contextuelle, car, dans cette 

mesure, il apparaît que l'activité d'interprétation extra-juridictionnelle, 

particulièrement doctrinale, crée pour le juge les contraintes discursives qui 

tenteront de maintenir son raisonnement dans un contexte (44) . Le juge reste 

toutefois libre de ne pas se soumettre aux raisons d’autorité ainsi élaborées (45) . 

Les actes de connaissance de la doctrine participent donc à la définition du 

contexte de l’interprétation judiciaire. Nous adopterons ce point de vue sur 

l'interprétation en dépit des critiques dont ce mouvement de pensée fait 

l'objet. 

11. Critiques de l'École analytique - Dans le sillage de Kelsen et Hart, on 

rencontre de nombreux auteurs - réalistes (46) et jusnaturalistes (47) - qui tout en 

(41) 

H. L. A. HART, Le concept de droit, précité, [126], p.161. 

(42) 

H. L. A. HART, Le concept de droit, précité, [124], p.159. 

(43) 

B. BIX, "H.L.A. Hart and the "open texture" of language", Law and Philosophy 10, 1991, p.51 ; S. WALT, 

"Hart and the claims of analytical jurisprudence", Law and Philosophy 15, 1995, p.387. 

(44) 

L. ALEXANDER et F. SCHAUER, "On extra-judicial constitutional interpretation", 110 Harvard L. Rev. 1359 

[1997]. 

(45) 

N. MACCORMICK, "La texture ouverte des règles juridiques", in P. AMSELEK (dir.), Controverses autour 

de l'ontologie du droit, Paris, PUF, Questions, 1989, p.109 ; "Les contraintes argumentatives dans 

l'interprétation juridique ; argumentation et interprétation en droit", in P. AMSELEK (dir.), Interprétation et 

droit, Bruxelles, Bruylant, Aix-en-Provence, PUAM, p.211 ; adde, J. RAZ, Practical reason and norms, 

Londres, Hutchinson, 1975. 

(46) 

Ainsi trouve-t-on chez les réalistes scandinaves l'idée que la “ science juridique ”, telle que pratiquée de 

manière dogmatique par les juristes, n'a rien d'une science véritable. Cette position est strictement antimétaphysique. 

Le discours de la doctrine se serait autre chose qu'une pratique politique destinée à peser sur le 

cours de la jurisprudence (A. ROSS, Directives and Norms, Londres, Routledge and Kegan Paul, 1968 ; v. 

R. GUASTINI, "Alf Ross : une théorie du droit et de la science juridique", in P. AMSELEK (dir.), Théorie du 

droit et science, Paris, PUF, 1994, p.249). Les réalistes américains ont en général une approche voisine du 

rôle du juriste, mais pour eux, le droit ne relève pas du devoir-être mais d'une réalité matérielle (F. MICHAUT, 

L'École de la sociological jurisprudence et le mouvement réaliste américain, Thèse Lille, 1985 ; M. STOKES, 

19

les critiquant, s'appuient sur les concepts développés par l'École analytique 

pour dessiner leur propre théorie de l'interprétation. À bien y regarder tous 

seraient d'accord pour admettre que les choix opérés par les interprètes parmi 

les significations possibles sont politiques (48) , à ceci près que les jusnaturalistes 

considèrent que le droit naturel et la morale constituent un guide objectif de 

l’action politique et qu’en cela, une doctrine qui ne dirait pas le juste, ne serait 

point docte (49) . 

Enfin, contre le normativisme et le naturalisme, les thèses développées par 

"Formalism, realism, and the concept of law", Law and Philosophy 13, 1994 p.115-159 ; D. WILKINS, "Legal 

Realism for Lawyers", 104 Harvard L. Rev. 468 [1990]). Il se ramène simplement à ce que disent les juges. 

Holmes entend par "droit" : "les prophéties de ce que feront effectivement les cours et les 

tribunaux" (O. W. HOLMES, "The Path of the law", 10 Harvard L. Rev. 457 (1897) ; réimpr. 110 Harvard L. 

Rev. 989 (1997), n° spécial du centenaire ; R. POUND, "The theory of judicial decision", 36 Harvard L. Rev. 

954 [1923]). La connaissance du droit consiste à prévoir les solutions futures de sorte que les juristes ont 

essentiellement une activité prédictive (pour un point complet : F. MICHAUT, "L'approche scientifique du droit 

chez les réalistes américains", in P. AMSELEK (dir.), Théorie du droit et science, Paris, LGDJ, 1994, p.265). 

Aujourd'hui, le mouvement des Critical legal studies aborde la théorie à partir de la teneur politique du droit. 

De ce point de vue, il s'agit encore de montrer les rapports qu'entretiennent la méthodologie juridique et les 

groupes sociaux (Pour une bibliographie détaillée, v°Critical legal studies, Dictionnaire de théorie et 

sociologie du droit, Paris, LGDJ, 2ème éd., 1993). Empruntant de manière éclectique au 

réalisme (A. ALTMANN, "Legal realism, critical law studies and Dworkin", Philosophy and public affairs 15 

(1986): 205), au marxisme, au féminisme (K. BARTLETT, "Feminist legal methods", 103 Harvard L. Rev. 829 

[1990]) ou au communautarisme (FREEMAN, "Racism, Rights, and the quest for equality of opportunity : a 

critical legal essay", 23 Harvard C. R-C. L. L. Rev. 295 (1988) ; CRENSHAW, "Race, reform and 

retrenchment : transformation and legitimation in anti-discrimination law", 101 Harvard L. Rev. 1331 [1988]), 

les Critical legal studies proposent des instruments conceptuels permettant de s'interroger sur la manière dont 

le politique affecte l'activité du juge (D. KENNEDY, A critique of adjudication (fin de siècle), Cambridge, 

Harvard U.P., 1997 ; voir P. TCHIAPKE, Les théories de l'interprétation constitutionnelle aux États-Unis, 

Thèse Paris X, 1992). Dans cette perspective, la doctrine ne décalque pas l'état du droit positif mais justifie ou 

combat un ordre établi. En France, c'est le point de vue défendu par le mouvement critique du droit emmené 

notamment par M. le professeur Miaille (v. M. MIAILLE, "La critique du droit", Droit et société, n°20-21, 

1992, p.73). 

(47) 

Pour l’examen des thèses de l’École analytique, voir J. FINNIS, Natural law and natural rights, Oxford, 

Clarendon Press, 1980, p.3-22. Les partisans des thèses jusnaturalistes étant, eux, capables d'affirmer qu'une 

solution juste doit pouvoir être découverte par l'équité, cette "sorte d'instinct, qui sans faire appel à la raison 

raisonnante, va de lui-même et tout droit à la solution la meilleure" (F. GENY, Méthode d'interprétation et 

sources en droit privé positif, tome 2, Paris, LGDJ, 2ème éd., 1919, p.488), la doctrine occupe dans cette 

perspective, une place évidemment centrale (A. SERIAUX, "Les sources du droit, vision jusnaturaliste", RRJ 

1990, p.166 ; M. VILLEY, Leçons d'histoire de la philosophie du droit, Paris, Dalloz, 1962, p.292 ; Ph. REMY, 

"Philosophie de l'ordre civil positif", in G. PLANTY-BONJOUR et R. LEGEAIS (dir.), L'évolution de la 

philosophie du droit en Allemagne et en France depuis la fin de la seconde guerre mondiale, Paris, PUF, 

1991, p.157-158). Comme toutes les autorités en charge de dire le droit, la doctrine énonce des solutions en 

répondant à des questions. Tendue vers le juste objectif, la méthodologie jusnaturaliste invite le juriste à saisir 

la juste mesure du droit ; une mesure que le docteur par son recul est mieux à même de découvrir. Sans doute, 

la doctrine n'est pas infaillible mais son détachement des espèces lui permet de tracer les principes qui 

guideront l'interprétation des autorités habilitées (A. SERIAUX, Le droit, une introduction, Paris, Ellipse, 1997, 

p.214-224 ; "La notion de doctrine juridique", Droits-20, p.65). Encore faut-il qu'elle suive les préceptes de la 

science jusnaturaliste et qu'elle ne refuse pas de raisonner en équité à l'occasion de chaque cas. 

(48) 

Sur les sens de “ politiques ”, voir L. STRAUSS, Qu’est-ce que la philosophie politique ?, trad. par 

O. Sedeyn, Paris, PUF, 1992, p.15 s. 

(49) 

A. SERIAUX, Le droit, une introduction, précité, p.222. 

20

M. le professeur Ronald Dworkin présentent un intérêt tout à fait particulier. 

S'opposant à Hart et se démarquant des thèses naturalistes, Dworkin prétend 

qu'il est possible, pour un juge, de déterminer la bonne solution pour chaque 

cas, et considère dès lors que le juge rationnel serait dépourvu de "pouvoir 

discrétionnaire". Selon cet auteur, l'unité du droit - le droit comme intégrité - 

est assurée par la raison qui anime chaque juge (50) . La métaphore du roman 

écrit chapitre après chapitre de la main de ces juges rationnels illustre le 

processus de création des solutions du droit. Les cas faciles sont résolus par des 

règles. Les solutions des cas difficiles sont découvertes par la discussion sur les 

principes qui fondent la cohérence de l'ordre juridique. Ainsi, le juge pourrait 

être contraint par le système juridique lui-même d'adopter la bonne réponse 

parce que celle-ci existe. Par extension, il serait possible, pour la doctrine, par 

un acte de connaissance, de guider dans tous les cas le choix du juge vers la 

bonne réponse à une question de droit, pratique ou imaginaire. Nous en 

discuterons la pertinence à l'occasion de l'examen des théories qui voient le 

droit comme ensemble continu de solutions cohérentes. 

Il faut retenir de cette présentation sommaire des diverses perspectives 

théoriques que chacune assigne à la doctrine - interprète non-authentique - 

un statut défini par comparaison au rôle accordé au juge - interprète 

authentique. Cela contraint à s'interroger constamment sur la situation de la 

doctrine dans le concert des interprètes : sur sa place dans la hiérarchie des 

normes, sur la validité des principes méthodologiques qu'elle décrit et sur le 

caractère descriptif / prescriptif des énoncés qu'elle produit. 

12. Plan - Nous montrerons donc l'ambivalence du discours doctrinal 

cherchant dans la permanence des solutions positives et des concepts 

consacrés, l'unité et l'unicité des solutions futures et qui, pour parvenir à leur 

découverte, pratique une rhétorique de la nécessaire transformation et 

adaptation du droit positif. Nous verrons ainsi comment, de descriptions en 

prescriptions, la doctrine exprime son désir de modifier l'état du droit et la 

mesure dans laquelle elle y parvient. La solution est unique et pourtant elle 

doit changer. Telle pourrait être la devise d'une doctrine qui, décrivant le 

permanence des instruments et des solutions juridiques, use de son autorité 

scientifique pour ordonner leurs mutations. S'il est acquis que l'idée de 

permanence a changé en doctrine ces deux derniers siècles, signifiant l'idéal 

(50) R. DWORKIN, "La chaîne du droit", Droit et société, 1985, N°1, P.51 

21

abouti de fixité de la loi, muant en dogme de la solution sûre, le discours 

doctrinal a en permanence exprimé avec force le désir des auteurs de 

transformer ce qu'ils représentaient comme la réalité juridique. 

L'étude du dogme de la solution unique sera donc menée en deux parties : 

Première partie : La transformation en doctrine de l'idée de permanence. 

Deuxième partie : La permanence du désir doctrinal de transformation. 

22

PREMIERE PARTIE 

LA TRANSFORMATION EN DOCTRINE DE L'IDEE DE PERMANENCE 

13. Permanence de la solution - "La solution consacrée par de nombreux 

tribunaux et cours, approuvée par la Cour de cassation, constitue une véritable 

règle juridique qui présente, sous certaines réserves il est vrai, un caractère de 

permanence et de stabilité d'où résulte une prévisibilité propre à permettre 

d'obtenir l'indispensable sécurité du commerce juridique (51) ". Voilà résumés 

en une phrase les caractères que la doctrine contemporaine prête à la 

jurisprudence. La généralité de la solution répétée et consacrée s'impose au 

présent par sa permanence et sa stabilité pour prévoir l'avenir et répondre au 

souci de sécurité ; c'est en fait le dogme de la solution unique que l'on prêche. 

Les raisons d'aborder le dogme de la solution unique par l'étude historique 

de la doctrine sont contenues dans l'interrogation qui suit la lecture des 

caractères de la solution permanente proposés par M. E.S. de la Marnierre. 

L'image de la solution prétorienne fut-elle toujours celle qui est présentement 

décrite ? Il semble que non. Bien au contraire, le concept s'est transformé dans 

le discours doctrinal, par le discours doctrinal. On cherchait la permanence du 

droit dans la fixité de la règle ; on recherche aujourd'hui la solution sûre et 

prévisible. 

Les métamorphoses de l’image doctrinale de la doctrine et de la 

jurisprudence constituent les repères qui balisent l’évolution du concept de 

permanence et du désir d'unité, et cela parce que ce qui, périodiquement, 

apparaît comme l’impérieuse nécessité de remettre en ordre le droit est le 

produit d’un sentiment paradoxal. L’idée de permanence des normes, des 

concepts, de la nature des situations juridiques ou la permanence d’un savoir 

(51) E. S. DE LA MARNIERRE, Éléments de méthodologie juridique, Paris, Libr. JNA, 1976, p.80. 

23

propre aux juristes s’est coordonnée depuis la rénovation du droit naturel aux 

XVIIème et XVIIIème siècles à l’idée que seul ce qui est unique, unitaire dans 

sa structure intellectuelle et esthétique, peut durer valablement. La 

Révolution et l’Empire ont ainsi contribué à la mise en oeuvre de l’unification 

de l’ancien droit privé. Mais, d’un point de vue historique, on reconnaît que 

cette oeuvre de remise en ordre du droit et d’unification est dans une très 

large mesure l’oeuvre des jurisconsultes de l’Ancien Régime. L’effectivité de 

cette mise en ordre du droit français à la Révolution et sous l’Empire est liée à 

l’affermissement d’un pouvoir politique centralisé dont l’un des objectifs était 

de promouvoir l’unité juridictionnelle de la France. L’étude des premiers 

commentateurs du Code civil montre comment s’est opéré, si l’on veut 

l’appeler ainsi, le changement de paradigme. L’ensemble du droit privé, civil 

et commercial, a bien sûr été réformé en profondeur mais le travail 

préparatoire à cette réforme remonte à Dumoulin, Domat, Pothier ; Merlin et 

Portalis ne furent que les continuateurs d’un mouvement qu’ils considéraient 

déjà eux-mêmes comme unitaire. Avant la Révolution, la permanence de la 

jurisprudence entendue comme science du droit était assurée par la tradition 

et le recours soit à la continuité du droit romain, soit aux coutumes, mais le 

droit romain ayant subi de telles mutations et les coutumes étant par 

définition sans cesse en mouvement et variables, c’était aux jurisconsultes que 

revenait le pouvoir de présenter la solution qui s’imposait. La Révolution et 

l’Empire ont redéfini la situation des interprètes devant la référence 

normative et cela s’est traduit par le pouvoir accordé au législateur de fixer la 

norme législative et son interprétation. 

En considération de la situation des interprètes dans les diverses 

perspectives théoriques et philosophiques aux XIXème et XXème siècles, la 

mise en évidence du dogme de la solution unique se fera d'abord par une 

histoire de la doctrine, de la transformation de l'idée doctrinale de fixité en 

désir de sécurité. La solution unique sera ensuite abordée à travers son avatar 

actuel que l'on dénommera la "solution sûre". 

La transformation en doctrine de l'idée de permanence sera donc étudiée 

en deux volets : 

Titre premier : De la fixité à la sécurité 

Titre second : La solution sûre 

24

TITRE PREMIER 

DE LA FIXITE A LA SECURITE 

14. Une brève histoire de la doctrine - Au tournant du XXème siècle, la 

doctrine française se représente comme rénovatrice, et plus encore comme 

refondatrice du rôle qu'elle s'attribue. Les auteurs entendent renoncer au 

dogme de la loi. Ils appuient leurs intentions réformatrices sur une approche 

méthodologique détachée de la seule autorité du texte. L'École de l'exégèse 

avait rendu un culte à la loi, ils retourneront aux "sources" pour rendre au 

droit son véritable sens et en saisir sa pureté. Les jurisconsultes du XIXème 

siècle avaient altéré la compréhension du droit, ils s'efforceront d'en montrer 

les constantes, et dégageront la synthèse de ses éléments inaltérables (52) . Ce 

nouvel esprit juridique souffle depuis les années 1890, depuis qu'avec 

R. Saleilles et surtout F. Gény, il convient d'adopter une autre perspective de 

pensée. Le travail du juriste ne peut plus se limiter à une exégèse 

controversiste dont l'intérêt se limiterait au prétoire ; il ne peut non plus se 

satisfaire des études purement spéculatives où les maîtres du XIXème siècle 

excellaient (53) . Il s'agit de donner à un "droit vivant" les moyens de conjuguer 

les besoins de la pratique et la permanence des textes du Code civil centenaire 

en libérant l'interprète de la volonté du législateur (54) . Ce programme consiste 

donc à donner à la science du droit les moyens de se développer hors des 

frontières que les siècles écoulés avaient tracées pour elle ; il s'agit de la libérer 

des contraintes politiques et des idées conservatrices qui l'empêchent de 

profiter des évolutions de la connaissance philosophique et en particulier des 

progrès de la philosophie des sciences. Invitant le juriste à s'initier à la 

linguistique de Saussure (55) , à l'intuitionnisme de Bergson (56) ou à la 

l'épistémologie de Poincaré (57) et de Duhem (58) , à utiliser l'économie (59) et 

(52) 

E. ROGUIN, La science juridique pure, tome 1, Paris, LGDJ, 1923, préface, p.IX-XII. 

(53) 

R. SALEILLES, préface de F. GENY, Méthode d'interprétation et sources en droit privé positif, tome 1, 

Paris, LGDJ, 2ème éd., 1919, p.XVIII-XIX. 

(54) 

R. SALEILLES, préface de F. GENY, Méthode d'interprétation et sources …, précité, p.XVII : "Étant donné 

que la volonté du législateur n'a porté que sur les solutions littérales qu'il a prévues et leurs conséquences les 

plus immédiates, pour tout le reste, c'est-à-dire pour le domaine presque indéfini des questions qui s'y 

rattachent et au sujet desquelles il faut prendre parti, il y a lieu de choisir une méthode de direction désormais 

indépendante de toute recherche de volonté et d'adopter des procédés scientifiques et précis de solution". 

(55) 

v. F. GENY, Science et technique en droit privé positif, tome III, Troisième partie. Élaboration technique du 

droit positif, Paris, Sirey, 1921, p.448. 

(56) 

F. GENY, Science et technique en droit privé positif, tome I, précité, p.81. 

(57) 

F. GENY, Science et technique en droit privé positif, tome I, précité, p.6, ou encore p.77 ; v. également 

G. RENARD, "La valeur des théories", in Le droit, la logique, le bon sens, Paris, Sirey, 1925, p.39. 

(58) 


25

l'ethnologie (60) , le doyen Gény s'emploie à démontrer l'importance d'une 

réflexion tous azimuts. Comprendre le droit suppose ne rien négliger du 

travail de ceux qui l'appliquent comme de ceux qui le créent et, pour ce faire, 

aucune idée ne doit être rejetée tant qu'elle n'est pas éprouvée. Tant en droit 

public (61) qu'en droit privé, comprendre le droit suppose ainsi une réflexion 

sur l'élaboration et les modes de genèse des normes, sur les techniques 

d'application des règles et sur l'analyse des buts recherchés par ce (ou ceux) 

que l'on nomme "source". Mais la tâche qu'entend accomplir la doctrine ne 

s'arrête pas là. La lutte pour la jurisprudence qu'annonce A. Esmein en 

ouverture de la Revue trimestrielle de droit civil (62) ne consiste pas en la seule 

invitation à tenir pour acquis un certain nombre de décisions et de grands 

arrêts, elle consiste aussi et surtout à s'assurer le contrôle de l'élaboration des 

normes jurisprudentielles. "En même temps que la loi ramène à elle les 

créations d'essence doctrinale ou coutumières [entendons également 

jurisprudentielles] celles-ci influent sur le droit écrit, en modifiant peu à peu 

l'interprétation primitive des formules légales, en les fécondant d'une vie 

réflexe, qui crée entre elles une harmonie nouvelle (63) ". L'enjeu de cette lutte 

pour la jurisprudence est, en fait et en théorie, la place officiellement 

abandonnée par le législateur depuis 1837 de l'interprète par voie d'autorité. La 

suppression du recours en interprétation devant un interprète officiel, 

représentant du pouvoir législatif ou de l'exécutif selon les périodes, a laissé la 

pratique et la théorie devant une sorte de vide. Le pouvoir herméneutique 

appartient désormais au juge (64) , mais la fin des référés interprétatifs n'a pas 

pour autant propulsé la Cour de cassation au rang d'interprète par voie 

d'autorité (65) . Les théoriciens de cette époque, constatant la disparition de 

l'interprète législatif, ne saisissent pas non plus l'occasion d'affirmer un retour 

à l'ancienne autorité formelle de la communis opinio doctorum. Après 1837, 

c'est une sorte de statu quo qui s'établit, la jurisprudence et les jurisconsultes 

sont des interprètes doctrinaux qui, chacun pour leur part, contribuent à 

l'interprétation scientifique. La place de l'interprète par voie d'autorité est 

(59) 

F. GENY, Méthode d'interprétation et sources en droit privé positif, tome 2, 2ème éd., 1919, précité, p.35. 

(60) 

F. GENY, Méthode d'interprétation et sources en droit privé positif, tome 1, 2ème éd., 1919, p.237 pour 

une citation de H. Sumner-Maine. 

(61) 

G. JEZE, "De l'utilité pratique des études théoriques de jurisprudence : Le rôle du théoricien dans l'examen 

des arrêts des tribunaux", RDP 1914, p.311. 

(62) 

A. ESMEIN, "La jurisprudence et la doctrine", RTD civ. 1902, p.5. 

(63) 

R. SALEILLES, préface de F. GENY, Méthode d'interprétation et sources …, précitée, p.XX. 

(64) 

J. CARBONNIER, Droit civil, Introduction, précité, 25éme éd., 1997, [159], p.280. 

(65) 

Contra, P. HEBRAUD, "Le juge et la jurisprudence", Mélanges Couzinet, Toulouse, 1974, p.341. 

26

donc laissée vacante et une vacation ne sera proposée que plus tard, par l'École 

du droit libre. Le vacataire désigné par la doctrine sera alors, - tout 

naturellement (?) - la Cour de cassation. 

Pour présenter l'évolution des rapports entre la loi, la jurisprudence et la 

doctrine, un bref historique en quatre temps permettra de repérer une 

chronologie. Nous poserons un regard plus attentif sur la grande révolution du 

début du siècle pour montrer qu'en guise de révolution théorique et 

méthodologique, il n'y a eu qu'un glissement (ou plutôt une glissade) de 

conceptions existantes vers des idées préconçues, qu'en critiquant le 

"servilisme" de leurs maîtres (66) , les auteurs qui ont eu à s'engager dans la voie 

nouvelle tracée par l'École de la rénovation du droit n'en ont pas saisi le sens 

ni véritablement mesuré la portée. 

15. Plan choisi - De nombreux auteurs se sont déjà essayés au jeu de l'histoire 

de la doctrine. Les césures existent mais elles tiennent plus au renouvellement 

des hommes qu'aux révolutions d'idées et aux changements de paradigmes. 

Bonnecase découpait le XIXème siècle en quatre temps (67) . L'École de 

l'exégèse était le nerf de la doctrine du XIXème siècle; il y eut son instauration 

de 1804 à 1830, son apogée de 1830 à 1880 et son déclin de 1880 à 1900. L'École de la 

libre recherche scientifique avait depuis pris le relais au XXème siècle. M. le 

doyen Carbonnier, à l'instar de Bonnecase, voit comme une transition la 

période du déclin de l'exégèse (68) , si bien que les auteurs de cette période 

charnière peuvent être considérés comme les précurseurs des partisans de la 

rénovation méthodologique que Gény et Saleilles conduiront. Au vrai, tous les 

découpages se valent ; ils dépendent seulement de l'objet de l'étude historique. 

Nous avons choisi d'étudier les rapports entre les autorités interprétantes pour 

comprendre comment s'est transformé le désir de permanence et de certitude 

du droit. Dans cette perspective, il faut retenir du discours doctrinal plusieurs 

conceptions qui vont à tour de rôle dominer la représentation de l'ordre 

juridique. La première période, celle qui suit immédiatement la promulgation 

des codes, livre des réflexions et des commentaires où l'autorité de l'intention 

du législateur est certes présente mais dure peu. Elle se confond dès la 

Restauration avec celle de l'Usurpateur, de sorte que les travaux de Merlin et 

(66) 

H. DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, tome 1er, Introduction, théorie générale des droits et 

des lois, Bruxelles, Bruylant, 1933, p.26. 

(67) 

J. BONNECASE, "L'École de l'exégèse en droit civil. Les traits distinctifs de sa doctrine et de ses méthodes 

d'après la profession de foi de ses illustres représentants", Rev. gén. du droit 1918, p.212. 

(68) 

J. CARBONNIER, Droit civil, Introduction, 25ème éd., 1997, précité, [152], p.268-269. 

27

Maleville perdront leur autorité et ne la retrouveront pleinement qu'avec la 

Monarchie de Juillet, à un moment où, avec Marcadé, la doctrine trouvera 

dans l'intention du législateur un moyen de renverser les dogmes anciens et 

persistants (69) . Les tabous de l'Empire condamnaient les commentaires à une 

certaine sécheresse ; en apparence, ils s'en remettaient pour l'interprétation 

des lois au seul interprète par voie d'autorité : le législateur impérial (ou royal 

après la Restauration). En réalité, la Cour de cassation et les auteurs 

commençaient tout juste leur travail doctrinal. Ils se percevaient 

mutuellement à égalité devant l'interprétation prétendument proscrite de la 

règle. Ils étaient "interprètes par voie de doctrine". Mais alors que les 

inconvénients du recours en interprétation devant le législateur étaient déjà 

patents sous l'Empire, l'abrogation du référé législatif ne modifiera pas les 

rapports qu'entretenaient les interprètes doctrinaux. Ils maintiennent leurs 

représentations réciproques à égalité devant la référence législative. Cette 

deuxième période qui commence donc autour de 1837 sera plus tard considérée 

comme l'apogée de l'École de l'exégèse. Il s'en dégage que face au législateur 

qui a renoncé explicitement à son statut d'interprète par voie d'autorité, la 

Cour de cassation dont l'autorité scientifique est jeune, et la doctrine dont la 

relève est déjà en place, conservent leur statut d'interprètes scientifiques. 

Cette égalité reflètera l'image des interprètes jusqu'à ce qu'à la fin du XIXème 

siècle, la doctrine mette en avant le pouvoir normatif de la jurisprudence et 

l'autorité de la Cour de cassation. La troisième période annonce l'avènement 

de la sécurité juridique et le dogme de la solution sûre. Elle commencera avec 

la rénovation de la science du droit et la scission entre les interprètes 

doctrinaux. Pour contrôler la Cour de cassation, la doctrine saisit les 

mutations sociologiques et renverse ses perceptions de l'ordre juridique. La 

jurisprudence glisse doucement vers l'état de source du droit et la doctrine 

devient neutre. Les années 1930 marquent l'avènement de la Cour de cassation 

comme interprète autorisé. La doctrine intègre pleinement le pouvoir 

jurislatif judiciaire dans ses représentations de l'ordre juridique, tout en 

maintenant sur lui un contrôle scientifique dont la neutralité est assise 

(69) MARCADE écrira : "c'est précisément pour substituer le raisonnement à l'autorité des traditions, que j'ai 

entrepris mon travail ; c'est pour remplacer les idées de convention par des idées logiquement appréciées ; 

c'est pour revendiquer dans la doctrine écrite l'exercice plein et entier du libre examen et de franche 

discussion" : concluant que pour accéder à une critique sérieuse et indépendante, à faire et à subir, il oeuvrait 

pour substituer au système dominant une "étude, raisonnée et sentie, des convictions obtenues par la 

recherche attentionnée de la volonté législative", Explication théorique et pratique du Code civil, tome 1, 

Paris, Delamotte, 7ème éd. par P. PONT, 1873, préface de la première édition, p.14-15. 

28

contradictoirement sur les conceptions historiquement chrétiennes et sur les 

nouvelles théories positivistes. La deuxième guerre mondiale ne clora pas 

cette période qui se prolongera jusqu'aux codifications des années 1960. La 

participation de la doctrine aux mouvements de codification va réinventer 

l'intention du législateur et lui donner une assise doctrinale importante. 

L'utilisation de la sociologie et des sciences sociales pour l'élaboration des lois 

va dégager le législateur de son image figée et redonnera à la doctrine les 

moyens de redessiner les pouvoirs de la Cour de cassation. Certes la doctrine 

reste neutre, mais les théories réalistes de l'interprétation la conduisent 

maintenant à réfléchir sur son propre pouvoir normatif, en tant qu'interprète 

scientifique des lois, mais aussi dans sa capacité à concevoir les mutations 

futures de l'ordre juridique (70) . Ainsi, alors que les "sources", législateur rénové 

et jurisprudence, définissent le présent, la doctrine regarde l'avenir pour 

définir le droit à venir. Nous verrons, au cours des deux cents ans d'histoire 

doctrinale, que l'image doctrinale de la Cour de cassation a changé et, avec 

elle, l'unité de législation et la permanence des concepts. De la fixité 

caricaturale du droit certain sont nées la sécurité juridique et la solution sûre. 

La dualité des interprètes par voie de doctrine, se représentant à égalité devant 

la référence, a cédé devant la représentation d'un pouvoir normatif général 

détenu par la Cour de cassation. En rénovant la théorie du droit naturel et en 

portant la Cour de cassation au rang d'interprète authentique, la doctrine 

française allait asseoir le dogme de la solution unique. Les figures de la loi qui 

assuraient elles-mêmes la légitimité de ce pouvoir judiciaire allaient s'effacer à 

leur tour devant le dogme de la solution sûre. 

Cette étude diachronique de la "permanence" nous conduira à envisager 

deux périodes : 

Chapitre 1 : Le temps de la dualité des interprètes par voie de doctrine 

Chapitre 2 : Le temps de la neutralité de la doctrine 

(70) M. TROPER, Pour une théorie juridique de l'État, Paris, PUF, Léviathan, 1996, p.293 s. et p.332 s. 

29

CHAPITRE 1 

Le temps de la dualité des interprètes par voie de doctrine. 

16. Quelles assises doctrinales pour la science du droit au XIXème siècle ? - 

Pour s'assurer contre un retour de la pratique juridictionnelle des arrêts de 

règlements, les Constitutions révolutionnaires, l'Empire et la Charte de 1814 

s'accordaient sur un point : il ne fallait pas laisser au juge, fût-il suprême, le 

pouvoir d'interpréter la loi. Il ne fallait pas manquer de préserver la séparation 

des pouvoirs. Une fois entendus les slogans politiques des tribuns de la 

Révolution et de l'Empire, l'analyse de la doctrine juridique de ce début du 

XIXème siècle montre comment la distinction instituée entre interprétation 

par voie d'autorité et interprétation doctrinale fait émerger la place de la 

doctrine face au législateur et à son continuateur, la jurisprudence. 

17. La voix de la Raison - Il sera important de citer la parole des orateurs de la 

Révolution qui ont livré des discours sur la place de la jurisprudence et sur 

l'organisation du pouvoir judiciaire pour comprendre l'écho qu'ils recevront 

pendant deux siècles. Ce qui peut nous apparaître comme bien caricatural 

aujourd'hui doit être lu et entendu en pensant que ces discours rendaient 

compte d'une expression politique des théories juridiques du moment, car, 

sans être de glorieux savants, les révolutionnaires bourgeois étaient pour un 

certain nombre des praticiens du droit. Il reste difficile de mesurer chez ces 

orateurs la profondeur de leurs connaissances philosophiques et l'importance 

de leurs réflexions sur le droit. Il se dessine néanmoins trois grandes idées 

pour assurer la "remise en ordre du droit". 

La nécessité d'une remise en ordre du droit et de la jurisprudence passe par la 

codification des règles, pour assurer l'uniformité de la législation. 


mise en oeuvre d'un organe régulateur unique, pour assurer l'uniformité de la 

jurisprudence. 


suppression du pouvoir des jurisconsultes pour assurer l'uniformité de la 

science du droit. 

30

18. Unification - L'idée d'une unification des règles légales, de leur 

interprétation et de leur méthode d'élaboration et d'application n'est en rien 

propre à la Révolution française. Dès le XVIème siècle, Dumoulin oeuvrait 

pour l'unification des coutumes (71) et, dans tous les pays d'Europe, les juristes 

réfléchissent à l'élaboration d'un droit commun tant national qu'international. 

Rien d'étonnant à ce que cette idée se trouve aussi chez Leibniz (72) comme 

chez tous les théoriciens du droit (73) désireux de systématiser dans une 

philosophie de l'État les rapports entre les différentes autorités de 

gouvernement. Il reste que la réalité culturelle française et la pratique de la 

centralisation vont donner aux thèses de l'unification du droit une efficacité et 

une puissance sans commune mesure avec les revendications théoriques des 

philosophes de l'Est européen. 

19. Jurisconsultes et philosophes - Les fondements philosophiques de la 

doctrine française du début du XIXème siècle sont assez obscurs, ils ne sont 

perceptibles qu'au filtre plutôt opaque des références et renvois aux ouvrages 

philosophiques. Il en est qui dominent pourtant. Comme le pensait Thiercelin, 

il y eut un avant et un après Grotius (74) . L'auteur du De jure belli ac pacis est 

très fréquemment cité comme point d'appui théorique par les commentateurs 

du Code civil. On rappelle sa fameuse réflexion impie Etiamsi daremus Deum 

non esse (75) . Parmi les successeurs de Grotius, la doctrine française s'appuie 

aussi évidemment sur Pufendorf, Thomasius, Heineccius et Wolff. Plus rare, 

mais bien présente, est la référence à Leibniz. Kant ne sera apprécié que plus 

tard (76) , sans doute parce qu'il écrivait en allemand ; ses prédécesseurs, eux, 

(71) E. MEYNIAL, "Sur le rôle joué par la doctrine et la jurisprudence dans l'oeuvre d'unification du droit en 

France depuis la rédaction des Coutumes jusqu'à la Révolution, en particulier dans la succession aux propres", 

Rev. gén. du droit 1903, p.326 et 446 ; A. COLIN et H. CAPITANT, Cours élémentaire de droit civil français - 

tome 1er, Paris, Dalloz, 1914, p.31 : "On peut dire que ce droit commun construit par de grands jurisconsultes 

tels que Dumoulin et Domat, a fait l'unité rationnelle et morale du Droit français avant que la Révolution n'en 

réalisât l'unification légale". 

(72) G. W. LEIBNIZ, Le droit de la Raison, textes réunis et présentés par R. SEVE, Paris, Vrin, 1994, p.183. 

(73) A.-J. ARNAUD, Les origines doctrinales du Code civil français, Thèse Strasbourg, 1964, Paris, LGDJ, 

1969, p.1-22 ; J.-L. THIREAU, "La doctrine civiliste avant le Code civil", in A. BERNARD et Y. POIRMEUR 

(dir.), La doctrine juridique, Paris, PUF, publ. CURRAP - CHDRIP, 1993, p.13 et spéc. p.50. 

(74) H. THIERCELIN, "Les précurseurs de Grotius", Rev. crit. légis. et jur. 1859, tome 14, p.151 ; "Grotius", Rev. 

crit. légis. et jur. 1859, tome 15, p.292 ; "Les successeurs de Grotius", Rev. crit. légis. et jur. 1860, tome 16, 

p.312. 

(75) H. GROTIUS, Le droit de la guerre et de la paix, Discours préliminaire §XI, Paris, 1625, trad. J. Barbeyrac, 

rééd. Caen, 1984, p.10 ; v. A. DUFOUR, Droits de l'homme, droit naturel et histoire, Paris, PUF, 1991, p.45. 

(76) P. JANET, "De la philosophie du droit dans la doctrine de Kant", Rev. crit. légis. et jur. 1855, tome 6, p.39 ; 

H. KLIMRATH, "Résumé de la philosophie du droit d'après le point de vue historique de F. J. Stahl", Extrait de 

la Revue germanique, Strasbourg, Levrault, 1837, Cote BU Aix, 36118. 

31

s'exprimaient en latin et la doctrine française rarement germaniste (77) 

connaissait en revanche parfaitement la langue de Cicéron. Les philosophes 

anglais et écossais sont eux presque ignorés (78) . 

En dépit des controverses philosophiques qui opposèrent ces auteurs, leur 

littérature abondante montre des aspirations à la constitution d'un droit 

commun à travers une théorie du droit commune. Le jusnaturalisme moderne 

aura cette fonction de rassembler les juristes autour d'un projet très pratique 

constituant "les fondations d’une lutte contre les doctrines théocratiques et 

celles de l'État Léviathan (79) ". Grotius est le plus cité et il est sans conteste 

celui dont l'empreinte est la plus profonde. Quant aux contributions de 

Leibniz à la philosophie du droit, elles furent le plus souvent ignorées ; elles le 

sont encore, mais il est rappelé avec une grande constance que son influence 

fut déterminante pendant tout le XVIIIème siècle (80) . Ainsi ces auteurs, qui 

aimaient aller à contre-courant des idées reçues (81) , vont avec Pufendorf, 

Wolff, Domat, Pothier, Montesquieu et avant eux Dumoulin, constituer le 

fonds philosophique et doctrinal commun des auteurs qui entameront la 

lecture et l'exégèse des Codes. Tous les auteurs des XIXème et XXème siècles 

vont être influencés par ces penseurs qui les ont précédés, mais il n'est guère 

possible de mesurer à quel point les oeuvres de Marcadé, de Troplong ou de 

Demolombe sont empreintes de la pensée des philosophes et des jurisconsultes 

des Lumières. Quelques indices existent dans les ouvrages d'histoire du droit 

contemporains des auteurs étudiés. On constatera par exemple que Lerminier 

fait une place prépondérante à Grotius et à Pufendorf disant de ce dernier, 

reprenant par là le jugement de Leibniz, qu'il est un auteur médiocre, mais 

également aux modernes Kant, Savigny et Bentham (82) . Toullier cite 

Thomasius et commente longuement Grotius à propos de la division entre 

(77) À l'exception des jeunes écrivains de la Thémis et d'AUBRY et RAU qui sont plus tardifs. 

(78) J. Bentham, "organe de l'école expérimentale" est abordé par TAULIER, qu'il oppose à Portalis dont il se 

réclame, in Théorie raisonnée du Code civil, tome premier, Grenoble, Prudhomme, 1840, p.20 ; Ferguson est 

cité par Toullier, v. J.-L. HALPERIN, Histoire du droit privé français depuis 1804, Paris, PUF, 1996, p.60 mais 

D. Hume et J. Austin semblent n'apparaître que dans la littérature de la toute fin du XIXème siècle, voir 

E. ROGUIN, La science juridique pure, tome 1, préface précitée, p.IX ; adde H. BATIFFOL, "La responsabilité 

de la doctrine dans la création du droit", RRJ 1981-2, p.178. 

(79) E. CASSIRER, La philosophie des Lumières, trad. P. Quillet, Paris, Fayard, 1966, p.243. 

(80) G. RAULET, Aufklärung, les Lumières allemandes, Paris, GF-Flammarion, 1995, p.43. Si les travaux de 

Leibniz furent et continuent d'être ignorés des juristes, ils ne le furent pas du doyen Gény : en entame de sa 

Méthode d'interprétation et sources en droit privé positif (tome 1, précité, n°7, p.18), Leibniz est cité comme 

une exception au principe de pauvreté des recherches philosophiques sur la méthode juridique. 

(81) A. DUFOUR, Droits de l'homme, droit naturel et histoire, précité, p.68. 

(82) E. LERMINIER, Introduction générale à l'histoire du droit, Paris, Chamerot, 2ème éd., 1835. 

32

justice distributive et justice commutative (83) . Demolombe s'appuiera sur 

Leibniz, affirmant que la hiérarchie et l'ordre qu'impose toute harmonie sont 

nécessaires, mais "ne sont pas immuables car le progrès matériel et moral est 

lui aussi une loi de justice (84) ", pour éclairer ses lecteurs sur ces conceptions 

philosophiques. "Car tel est véritablement le Droit, science active et militante, 

toujours en présence des faits, qu'elle a pour mission de gouverner. Et voilà 

bien pourquoi les jurisconsultes se forment et s'éclairent, non moins que dans 

les livres, par l'observation attentive des moeurs et des besoins de la société, et 

de tous les intérêts et de toutes les passions qui s'y agitent (85) ". Si, pour le 

Prince de l'exégèse, le droit positif procède de la raison d'un législateur 

éclairé, son interprétation se conçoit bien comme l'art de découvrir le juste. 

Les auteurs du XIXème siècle étaient au fond nourris d'influences 

théologiques et philosophiques anciennes et contradictoires. La Révolution 

française et son épilogue napoléonien apparaissent aujourd'hui comme une 

suite d'événements qui ont posé et réformé la pensée juridique en profondeur 

et le culte de la loi aurait germé sur le terreau révolutionnaire. Logiquement 

pour les uns, de manière dévoyée pour les autres. Pour comprendre le désir de 

permanence de la doctrine du XIXème siècle, envisageons la conversion 

révolutionnaire (86) et sa mesure à travers quelques orateurs de la Révolution. 

20. Les orateurs de la Révolution (87) - Ce ne furent pas des théoriciens du droit. 

Les plus savants restaient tapis dans l'ombre de ceux qui, à la tribune, 

haranguaient leurs pairs du très haut de l'autorité de la Raison. L'intérêt que 

l'on portera à cet épisode de notre histoire, où l'on tranchait souvent autre 

chose que des cas difficiles, n'est limité qu'à ces discours polémiques et 

incantatoires qui fondèrent par la suite l'unité constitutionnelle de la France. 

Pilier de cette unité, on trouve l'organisation du pouvoir judiciaire au service 

(83) Ch. TOULLIER, Le droit civil français suivant l'ordre du Code, tome 1er, Paris, Renouard, 5ème éd., 1830, 

p.6 note (I). Par ailleurs, pour aller plus loin à propos de l'interprétation des lois et du droit naturel, il invite à 

la lecture de Pufendorf, Grotius, Heineccius et cite Portalis, ibid., p.117. 

(84) Y. BELAVAL, "Religion et fondement du droit chez Leibniz", APD 1973, p.89-90 : "La volonté de Dieu est, 

à la fois, puissance, amour, charité répandue sur tous les esprits. La volonté du Prince éclairé doit également 

être puissance du droit positif réglé sur la justice du droit naturel". 

(85) J.-Ch.-Fl. DEMOLOMBE, Cours de Code Napoléon, tome I, Traité de la publication des effets et de 

l'application des lois en général, Paris, Pédone, 1877, préface, p.IV. Que LEIBNIZ fût largement ignoré des 

juristes du XIXème siècle est sans doute vrai, mais l'idée reçue qu'il fut ignoré de tous est fausse. Comp. 

P. DUBOUCHET, Sémiotique juridique, Paris, PUF, 1990, p.46 ; également MOLINIER, "Notice sur les oeuvres 

juridiques de Leibniz", Rev. crit. légis. et jur. 1859, tome 14, p.447. 

(86) C. ATIAS, "La conversion révolutionnaire et le droit civil", Corps écrits, n°28, 1988, p.27. 

(87) F. FURET et R. HALEVI, Les orateurs de la Révolution française, I. Les constituants, Paris, Gallimard, Bibl. 

Pléiade, 1989. 

33

du peuple et de sa loi immuable (88) . La séparation des pouvoirs trouve une 

expression dogmatique constante chez tous les constituants : "le pouvoir 

judiciaire sera mal organisé si les dépositaires de ce pouvoir ont une part 

active à la législation, ou peuvent influer, en quelque manière que ce soit, sur 

la formation de la loi (89) (…), si le juge jouit du dangereux privilège 

d'interpréter la loi ou d'ajouter à ses dispositions (90) ". Au sommet de 

l'organisation judiciaire, il faut un tribunal de cassation chargé de "maintenir 

l'unité des formes dans la manière d'appliquer le sens de la loi (91) ". Sont 

énoncés les trois caractères d'une Cour suprême et, à vrai dire, peu d'auteurs 

contesteraient encore aujourd'hui pareille définition : "La constance de sa 

doctrine, la profonde connaissance des lois, l'éloignement parfait des intérêts 

des justiciables. Quelle confiance auraient les justiciables dans ce tribunal 

suprême si deux décisions contradictoires dans un cas semblable présentaient 

en dernier résultat l'incertitude et l'erreur ? Telle est la faiblesse de la sagesse 

humaine que l'on ne peut en exiger ni la raison ni la vérité absolue mais, du 

moins, on peut lui demander dans ces décisions une confiance, une uniformité 

rassurante (92) ". Plus caricaturaux, mais aussi plus connus et beaucoup plus 

cités (93) sont les mots de Robespierre sur la "Jurisprudence". "Ce mot de 

jurisprudence des tribunaux dans l'acception qu'il avait dans l'ancien régime 

ne signifie plus rien dans le nouveau, il doit être effacé de notre langue. Dans 

un État qui a une constitution, une législation, la jurisprudence n'est autre 

chose que la loi, alors il y a toujours identité de jurisprudence (94) ". À bien y 

réfléchir, une telle présentation ne rend pas compte de la diversité des 

opinions, ni de leur évolution pendant les années 1790. Si dominait l'ambition 

de soumettre le pouvoir judiciaire à la loi, restait présente l'idée que la mission 

du juge ne pouvait se limiter à "l'exécution des lois (95) ". Thouret, Tronchet et 

(88) 

CAMBACERES, "l'immutabilité est le premier caractère d'une bonne législation", in FENET, Recueil des 

travaux préparatoires, tome 1, p.10 cité par N. POULET-GIBOT LECLERC, La place de la loi dans l'ordre 

juridique interne, Thèse Limoges, PUF 1990, p.123. 

(89) 

BERGASSE, rapport sur l'organisation du pouvoir judiciaire du 17 août 1789, in F. FURET et R. HALEVI, Les 

orateurs de la Révolution française, I. Les constituants, Paris, Gallimard, Bibl. Pléiade, 1989, p.108. 

(90) 

BERGASSE, rapport précité, p.112. 

(91) 

BARNAVE, Arch. parl., tome 20, séance du 18.XI.1790, p.516. 

(92) 

CLERMONT-TONNERRE, 25.V.1790, cité par N. J. MAZEN, L'insécurité inhérente au système juridique, 

Thèse Dijon 1979, p.348. 

(93) 

par exemple : D. D'AMBRA, L'objet de la fonction juridictionnelle : dire le droit et trancher les litiges, 

Paris, LGDJ, 1994, p.136 qui s'appuyant sur Robespierre, considère que les Constituants n'avaient pas donné 

au Tribunal de cassation la vocation de maintenir l'unité de la jurisprudence, puisque la jurisprudence avait 

disparu avec la prohibition d'interpréter la loi. 

(94) 

ROBESPIERRE, Arch. parl., tome 20, séance du 18-XI-1790, p.516. 

(95) 

M. VERPEAUX, "La notion révolutionnaire de juridiction", Droits-09, 1989, p.38. 

34

Merlin mettent en garde l'assemblée contre une conception trop simpliste des 

lois et de l'organisation judiciaire, une opinion que Garat traduira par : "si 

vous voulez qu'on ne juge absolument que les cas prévus par la loi, vous 

paralyserez la justice (96) ". L'interprétation de la loi est nécessaire, tout comme 

sont nécessaires les légistes (97) . On est malgré tout assez loin de l'anathème 

voltairien : "interpréter la loi, c'est presque toujours la corrompre (98) ". 

Pourtant l'impression domine encore, dans les présentations des auteurs et 

orateurs de cette époque et de ceux qu'ils ont directement influencés, que la 

pensée juridique se résumait au mot d'ordre de l'article premier du titre IV du 

livre préliminaire du projet primitif de Code civil : "Le premier effet de la loi 

est de terminer tous les raisonnements et de fixer toutes les incertitudes sur les 

points qu'elle règle (99) ". 

A l'inverse, la philosophie de Portalis sera et demeure, elle, très prisée (100) . 

21. La codification réalisée - Les mots de Portalis sont continûment utilisés, 

aujourd'hui encore, pour faire passer telle ou telle idée sur le rôle de la 

jurisprudence et sur l'interprétation des articles 4 et 5 du Code civil. C'est de 

Portalis dont se réclameront les tout premiers commentateurs. C'est de sa 

philosophie que se réclamera Taulier. C'est encore chez Portalis que Toullier 

trouvera des guides infaillibles du raisonnement juridique. Bien d'autres 

loueront la transaction du Code civil entre pays de droit romain et pays de 

coutume (101) . Beudant éclairera ses cours des lumières de Portalis : "Le 

discours préliminaire …, oeuvre de Portalis, est un document de la plus haute 

importance ; c'est en quelque sorte un essai sur la philosophie du Code 

civil (102) ". C'est en revenant à Portalis que les critiques de l'exégèse justifieront 

l'élévation de la jurisprudence au rang de "source du droit". Et plus tard, 

défendant l'école de la libre recherche scientifique et son bilan 

méthodologique, Léon Husson assoira Portalis dans la situation d'un 

visionnaire que le XIXème n'aura pas compris, mais dont heureusement les 

(96) GARAT, Arch. parl., tome 16, séance du 5-VII-1790, p.704, cité par M. VERPEAUX, ibid., p.42. 

(97) THOURET, Arch. parl., tome 12, séance du 6-IV-1790, p.551 : "Aucune grande société ne peut subsister 

sans un code de lois variées ; partout où il y a un tel code, il est utile qu'il y ait des légistes : on en trouve chez 

tous les peuples civilisés ; ils y sont d'autant plus honorés, que le peuple est plus libre, plus ami de ses lois, 

plus soigneux de les conserver." cité par M. VERPEAUX, ibid., p.42. 

(98) VOLTAIRE, Dictionnaire philosophique, Paris, GF-Flammarion, 1996, v° Loi. 

(99) FENET, Recueil complet des travaux préparatoires du Code civil, tome 2, Paris, 1827, p.6. 

(100) B. OPPETIT, "Portalis philosophe", D. 1995, chr. p.331. 

(101) B. BEIGNIER, "Portalis et le droit naturel dans le Code civil", RHFD 1988, n°6, p.77. 

(102) Ch. BEUDANT, Cours de droit civil français, Tome 1, Introduction et explication du titre préliminaire du 

Code civil, Paris, Rousseau, 1896, p.69. 

35

préceptes seront suivis au XXème. "Le rôle de la doctrine et de la 

jurisprudence que Portalis avait, à la lumière de son expérience proclamé à 

l'encontre des doctrinaires de son temps, s'est affirmé de plus en plus 

nettement ; et il est devenu impossible de soutenir que des lois puissent jamais 

fournir la solution de tous les problèmes posés par la pratique, et donc d'éviter 

de reconnaître un rôle créateur à la jurisprudence et même aussi, sous le 

contrôle de celle-ci, à la pratique extrajudiciaire, ainsi qu'un rôle d'inspiratrice 

à la doctrine (103) ". Aujourd'hui, la doctrine en mal d'assises philosophiques 

regarde l'oeuvre du grand juriste comme une puissante source d'inspiration 

théorique. Et pour dire que la solution doit être unique, on se lie toujours aux 

mêmes mots, écrits et réécrits en épigraphe de chapitre. En deux siècles, la 

doctrine a retenu de Portalis trois phrases célèbres :"Tout ce qui est ancien a 

été nouveau ; l'essentiel est d'imprimer aux institutions nouvelles le caractère 

de permanence et de stabilité qui puisse leur garantir le droit de devenir 

anciennes (104) " pour sa philosophie de la permanence ; "L'office de la loi est de 

fixer par des grandes vues les maximes générales du droit, d'établir les 

principes féconds en conséquence, et non de descendre dans le détail des 

questions qui peuvent naître sur chaque matière. C'est au magistrat et au 

jurisconsulte, pénétrés de l'esprit général des lois, à en diriger 

l'application (105) " pour sa philosophie de l'ordre juridique, et le très fameux 

"nous raisonnons comme si les législateurs étaient des Dieux et comme si les 

juges n'étaient même pas des hommes (106) " pour sa philosophie du juge ; trois 

phrases qui ensemble abritent bien des contradictions mais d'où émerge 

invariablement une conception du rôle de la juridiction suprême tendue vers 

un objectif d'uniformité des solutions. 

Pourrait-on imaginer qu'en revenant à Portalis, le XXème siècle dépassera 

le culte de la loi pour observer celui de la solution unique (107) ? Sans chercher 

véritablement à répondre à cette question mais en la gardant à l'esprit, notre 

(103) 

L. HUSSON, "Examen critique des assises doctrinales de la méthode de l'exégèse", RTD civ. 1976, p.451. 

(104) 

cité par F. DORCE, "Portrait de l'auteur", in J.-E.-M. PORTALIS, Écrits et discours juridiques et politiques, 

Aix-en-Provence, PUAM, 1988. 

(105) 

Cité par E. L. BACH, Rép. civil Dalloz, 1973, v° Jurisprudence, n°8, p.2. Comp. à l'article 1 du titre IV, du 

Livre préliminaire du premier projet, "Le premier effet de la loi est de terminer tous les raisonnements et de 

fixer toutes les incertitudes sur les points qu'elle règle". 

(106) 

FENET, Recueil complet des travaux préparatoires du Code civil, tome 6, Paris, 1827, p.359. 

(107) 

Comp. A. TOUFFAIT et A. TUNC, "Pour une motivation plus explicite des décisions de justice notamment 

celle de la Cour de cassation", RTD civ. 1974, p.503 : "seule cette clarté nouvelle permettrait à la Cour de 

cassation de remplir la triple mission que Portalis assignait à la jurisprudence et d'assurer un véritable unité de 

l'application du droit". 

36

historique commencera par les temps où la jeune Cour de cassation n'avait 

d'autre autorité que doctrinale. 

Section 1 

Le temps de l'interprétation par voie d'autorité. 

22. Renaissance - De la période révolutionnaire et de son droit intermédiaire, 

est apparue une nouvelle législation sur l'organisation et le pouvoir judiciaire ; 

le tribunal puis la Cour de cassation placée au sommet de la hiérarchie est 

habilitée à unifier le droit français qui, sous l'Empire, a vocation à s'appliquer 

de manière efficace dans une grande partie de l'Europe occidentale (108) . C'est 

alors du Code civil que renaissent les études doctrinales. Pour aborder cette 

histoire de la doctrine, nous avons jusqu'alors fait état des conceptions 

philosophiques et politiques de jurisconsultes et philosophes en prise avec 

l'idée, l'impératif même, d'une remise en ordre du droit par l'unification. 

Après l'Empire, c'est chose faite (109) . Les modifications apportées aux codes 

napoléoniens par la Restauration et la Charte de 1814 montrent qu'en tout état 

de cause, il ne fut pas question de revenir sur le droit français nouvellement 

constitué. Sans doute les règles des codes elles-mêmes ne sont-elles pas toutes 

en rupture avec la tradition de l'ancien régime, mais la centralisation 

révolutionnaire et l'Empire ont donné à l'unité du droit une force que l'ancien 

Régime n'avait jamais eue. L'esprit nouveau est moins dans les textes que dans 

la manière de concevoir l'ensemble du droit remis en ordre. Encore faut-il 

mesurer que la codification constituait évidemment une organisation unifiée 

des règles positives mais également une contribution à l'évolution des 

conceptions de l'ordre juridique. Jusqu'alors, les codifications réalisées avaient 

(108) A. CABANIS, "Le Code hors la France", in B. BEIGNIER (dir.), La codification, Paris, Dalloz, 1996, p.63. 

(109) R.-T. TROPLONG, Le droit civil expliqué selon l’ordre du Code, “ Du nantissement, du gage et de 

l’antichrèse ”, tome XIX, Paris, Hingray, 1847, préface p.XLI : "Lorsque Pothier parut, il fallait résumer le 

droit ; aujourd’hui il faut l’étendre. Pothier trouva une science encombrée, diffuse, péchant par surabondance 

et par luxe ; maintenant elle a pour défaut capital la sécheresse, la maigreur, l’indigence. Sans réduire le droit 

à sa plus simple expression, comme l’avait fait Domat avec la rigueur d’un algébriste, il fallait au dixhuitième 

siècle, l’abréger, le rendre sobre, précis, méthodique et cependant lui laisser la profondeur 

scientifique et la richesse de la doctrine. Pothier a merveilleusement réussi cette tâche ; c’est là le chef 

d’oeuvre de son talent. Mais à l’heure qu’il est, il est permis de penser que le Code civil, résumé des progrès 

de la société moderne dans les rapports privés, ouvre une carrière dans laquelle la science doit se montrer dans 

des formes nouvelles" ; adde, Ph. REMY, "Préfaces de Troplong, préface aux préfaces", RHFD 1997, n°18, 

p.161 s. 

37

été modestes ou inefficaces, le succès de la codification française apportait la 

preuve qu'un législateur rationnel pouvait en peu de mots rassembler 

l'ensemble du droit commun d'un grand État. Les écrits des premiers 

commentateurs accordent au Code civil la vertu d'avoir su maîtriser la 

diversité des règles existantes mais ces auteurs ne se privent pas de relever les 

imperfections de telle ou telle disposition particulière. N'oublions pas que ces 

auteurs français, Merlin, Delvincourt, Toullier, Duvergier, Taulier, Duranton, 

Proudhon, Troplong, etc.… sont directement influencés par des théories 

jusnaturalistes. En ce sens, relevons que selon Toullier, en cas d'obscurité de la 

loi, "le guide sûr des décisions infaillibles" se trouve dans les écrits des 

jurisconsultes romains, ou, pour l'interprétation des lois, chez les théoriciens 

de son époque. Ces auteurs partagent des conceptions du droit qui se satisfont, 

pour l'ensemble, du résultat obtenu par la codification, et ce parce que 

l'incomplétude irréductible de la législation fait partager à tous les interprètes 

sans exception la place d'interprète par voie de doctrine. 

23. L'interprète par voie de doctrine - Par opposition à l'interprète autorisé, 

législateur ou pouvoir réglementaire, l'interprète doctrinal ou scientifique 

s'entend de l'ensemble des jurisconsultes et de l'ensemble des juges, y compris 

du plus haut de la hiérarchie judiciaire, la Cour de cassation (110) . Il ne s'agit 

pas ici d'une précision de vocabulaire sur le sens des interprétations par voie 

d'autorité et de doctrine. Cette division des interprètes héritée positivement 

de la législation révolutionnaire et fondée sur l'adage ejus est interpretari 

legem cujus est condere (111) , est la clé de l'image doctrinale des interprètes 

pendant tout le XIXème siècle. Placés à égalité devant la loi, les interprètes 

doctrinaux assurent des fonctions tout à fait comparables quant à la 

détermination des questions théoriques et des solutions pratiques. Ils sont 

interprètes par voie d'argument (112) . Il en résulte une attitude parfois 

ouvertement polémiste entre auteurs, et manifestement controversiste dans 

les dialogues qu'entretiennent magistrats et docteurs, sachant au demeurant 

que nombreux seront les écrivains juridiques à assurer des fonctions dans les 

(110) J. BORE, La cassation en matière civile, Paris, Sirey, 1988, n°262, p.65. L'auteur fait une présentation de 

la question qui nous paraît inexacte. Le rôle créateur de la jurisprudence, entendu dans son sens normatif et 

positif, ne se déduit pas de son statut d'interprète par voie de doctrine, mais de celui d'interprète par voie 

d'autorité ; et ce n'est que plus tard que la Cour de cassation y accédera. 

(111) H. ROLAND et L. BOYER, Adages du droit français, Paris, Litec, 3ème éd., 1992, n°102, p.199. 

(112) A. DURANTON, Cours de droit français suivant le Code civil, tome 1er, Paris, Alex-Gobelet, 1828, n°99, 

p.59. 

38

Cours de province ou à Paris. On retiendra en somme qu'aucune hiérarchie 

des interprètes n'est perceptible dans les ouvrages des auteurs les plus 

marquants, ni aucun sentiment d'infériorité de la doctrine face à la Cour de 

cassation dans un sens, comme dans l'autre. Delvincourt se défend de négliger 

la jurisprudence mais ne la tient que pour une autorité " très respectable ". 

"Quant aux arrêts, je ne suis pas de l'avis de ceux qui pensent qu'il est inutile 

de s'en occuper et qu'un arrêt n'est bon que pour celui qui l'obtient (…) mais 

je ne pense pas non plus qu'il suffise, comme cela a lieu dans quelques 

ouvrages, de donner la date d'un arrêt pour toute réponse à une question (113) ". 

Proudhon est plus sévère. La Cour de cassation est jeune, elle doit encore faire 

la preuve de la qualité de ses solutions. Or "(…) nous voyons souvent que la 

Cour de cassation, par de glorieux retours sur elle-même, adopte des principes 

contraires et en vient à des décisions tout opposées aux arrêts multipliés 

qu'elle avait rendus". Et en tout état de cause, le juriste ne doit pas se 

contenter de l'examen de la jurisprudence, "la tête la plus remplie des 

souvenirs d'arrêts divers, doit être naturellement la plus vide d'idées sur les 

grands principes du droit, parce qu'elle appartient à l'homme, qui s'est fait une 

étude de ne penser que par les autres (114) ". 

24. L'autorité de la loi - En contrepoint de cette égalité des interprètes, les 

auteurs révèlent une référence législative associée ou non à la raison qui met 

au jour une déférence de l'interprète par voie de doctrine vis-à-vis du 

législateur (115) . En réaction, probablement, au culte de la Raison et à ses 

exubérances révolutionnaires, Merlin interroge : "la Raison, affranchie de 

l'autorité de la Loi, serait le plus cruel tyran de la société ou, pour mieux dire, 

que deviendrait la raison elle-même ? (116) " Ce sont les commentaires des 

articles 4, 5 et 1351 du Code civil qui traduisent sans doute le mieux les 

conceptions doctrinales de l'ordre juridique positif telles que les auteurs en 

véhiculent l'image à travers leurs traités. La difficulté est ici que les positions 

adoptées pour l'explication du déni de justice et de l'autorité de la chose jugée 

ou pour l'analyse des fondements de la prohibition des arrêts de règlement, 

(113) 

M. DELVINCOURT, Cours de Code civil, Paris, Videcocq, 1834, Avertissement, p.vj. 

(114) 

J.-B. PROUDHON, Traité des droits d'usufruit, d'usage personnel et d'habitation, tome 1, Dijon, Lagier, 

2ème éd., 1836, préface p.XVIII. 

(115) 

Il faut néanmoins être circonspect. Dans les premières années de la Restauration, la référence à l'intention 

du législateur est proscrite pour être celle de l'usurpateur. J. CARBONNIER, "En l'année 1817", Mélanges 

Pierre Raynaud, Paris, Dalloz-Sirey, 1985, p.87. 

(116) 

P.-A. MERLIN, Répertoire universel et raisonné de jurisprudence, Paris, Garnery, 4ème éd., 1812, v° 

Autorités, p.535. 

39

versent parfois dans une attitude radicale qui frôle le discours politique du 

haut d'une tribune imaginaire. Il en ressort, si l'on n'y prend garde, le 

sentiment que ces auteurs, plus que leurs prédécesseurs et leurs successeurs, 

auront eu le culte de la loi. Ces apparences trompeuses que M. le professeur 

Rémy a largement éclairées (117) , se retrouvent assez peu dans le commentaire 

des autres articles pour l'interprétation desquels l'appel à la raison, à l'équité et 

à l'expérience est le plus souvent recommandé. Le juge doit appliquer "la loi 

avec discernement et fidélité, (…) mais son rôle est de juger suivant la loi et 

pas de juger la loi (118) ". Bien sûr, cette radicalité gouverne profondément la 

philosophie de l'ordre juridique et, bien que l'on ne puisse valablement user 

de généralités sur les assises théoriques de la doctrine du XIXème siècle, ces 

figures rhétoriques où l'interprétation judiciaire est présentée comme un 

danger pour la séparation des pouvoirs, ont pour but de légitimer l'existence 

d'un travail critique de la doctrine. C'est le plus souvent la philosophie 

politique de Montesquieu qui est citée à l'appui de l'idée que nulle autorité, 

autre que celle du législateur, ne doit se voir reconnaître le pouvoir 

d'interpréter la loi par voie d'autorité et que, si d'aventure on le permettait au 

juge, il ne tarderait pas à se rendre maître de la totalité du pouvoir législatif. 

"Ce serait alors un grand malheur parce que l'on perdrait l'opinion de sûreté 

de son état et de ses propriétés, dont les tribunaux sont les gardiens 

naturels (119) ". La Cour de cassation est gardienne de la loi, elle n'est pas son 

juge. La " Jurisprudence " est comprise comme une représentation concrète de 

la raison universelle et elle conserve ainsi son double sens ; elle est la science 

et sa pratique judiciaire. La constance dégage des principes immuables, nous 

dit Proudhon, "series rerum perpetuo judicatarum (L.38, D., De legibus), c'està-dire 

cette raison universelle qui, uniformément appliquée à l'interprétation 

doctrinale des lois, constitue les règles immuables de la jurisprudence (120) ". La 

science du droit n'est pas cet art d'imitation qui consisterait à calquer 

abusivement un jugement sur un autre (121) . Le double sens de "jurisprudence" 

(117) 

Ph. REMY, "Éloge de l'exégèse", Droits-01, 1985, p.115. 

(118) 

Ch. TOULLIER, Le droit civil français suivant l'ordre du Code, tome 1er, précité, p.104. 

(119) 

Ch. TOULLIER, Le droit civil français suivant l'ordre du Code, tome 1er, précité, p.113 citant MALEVILLE, 

Analyse raisonnée de la discussion du Code, tome 1, p.264 et Montesquieu, De l'esprit des lois, Livre VI, 

Chap. 5 et 6. 

(120) 

J.-B. PROUDHON, Traité des droits d'usufruit, d'usage personnel et d'habitation, tome 1, préface précitée, 

p.XVII. 

(121) 

J.-B. PROUDHON, Traité des droits d'usufruit, d'usage personnel et d'habitation, tome 1, préface précitée, 

p.XX. 

40

eflète bien la dualité des interprètes et leur statut ambigu (122) . Les prudents 

sont aussi bien le magistrat physiquement, la Cour abstraitement, que les 

jurisconsultes de l'École, individuellement. Tous sont dépositaires de la 

science du droit et chacun est en charge de son exécution. Tout simplement, 

l'idée ne s'est pas encore dissipée que ce sont les juristes qui font le sens des 

lois, et non le pouvoir abstraitement considéré. C'est une ambivalence 

fondamentale sur laquelle la doctrine française s'est construite depuis deux 

siècles. D'une part, la règle positivement applicable doit être appliquée sans 

nuance, c'est la déférence à l'autorité du législateur ; la règle posée durera 

parce qu'elle est l'expression de sa Sage Volonté. D'autre part, les juristes sont 

garants de la conformité de l'interprétation et de la loi à l'ordre juridique, 

ordre naturel s'entend. Toullier illustre assez cette ambiguïté. "La loi est une 

règle permanente, uniforme, prescrite sur un objet d'utilité générale et 

d'intérêt commun. La loi diffère de ce que nous appelons des règles de droit, 

regulae juris. Ce ne sont que des maximes générales, formées par les 

jurisconsultes qui, après avoir observé ce qu'il y a dans les lois de commun à 

plusieurs cas particuliers, énoncent cette conformité par une maxime qu'ils 

appellent une règle ; parce qu'en effet, dans les cas douteux et imprévus, elle 

sert de règle de décision, elle sert à rattacher les cas particuliers aux principes 

généraux (123) ". L'activité scientifique du juge et du professeur ne sont pas 

conçues de manière différente : la doctrine s'entend de l'ensemble des 

autorités interprétantes. D'une certaine façon, l'idée domine que le pouvoir 

terrestre ne peut maîtriser l'interprétation. Il ne peut tout prévoir bien qu'un 

culte soit rendu à l'omniscience du législateur. Habilement présentée par 

Toullier, l'habilitation donnée par le législateur à l'interprète doctrinal revêt la 

forme d'une adhésion aux thèses jusnaturalistes : "le droit civil doit garder le 

silence sur un certain nombre de nos actions. (…) La morale et le droit naturel 

suppléent alors aux lois civiles (124) ". 

25. L'autorité de la nature - La science du droit, qui subit plus que jamais des 

influences philosophiques contradictoires, reste encore très attachée à une 

perspective qui associe raison, justice et droit naturel. "Les lois ne sont justes 

qu'autant qu'elles ne sont pas contraires au droit naturel. De là, il suit que 

(122) comp. F. TERRE, "Jurisimprudence ?", RTD civ. 1992, p.354. 

(123) Ch. TOULLIER, Le droit civil français suivant l'ordre du Code, tome 1er, précité, p.16. 

(124) Ch. TOULLIER, Le droit civil français suivant l'ordre du Code, tome 1er, précité, p.10. 

41

pour les interpréter conformément à la justice, il faut absolument suivre ce 

que dicte l'équité dans les cas difficiles (125) ". 

Le droit privé positif est ainsi conçu comme un ensemble de règles et de 

concepts permettant d'atteindre la juste solution du cas. La positivité et 

l'effectivité des raisonnements menés sur la nature des choses sont tout à fait 

réelles ; la force des raisonnements causalistes est très présente. Mais la 

"nature" a aussi une valeur dynamique, elle permet de faire évoluer l'ordre 

normatif positif. Au rythme des vides législatifs ou des carences des codes 

relevés çà et là, les jurisconsultes qui pourtant espèrent la complétude du droit 

privé législatif, conviennent de la nécessité d'adapter l'interprétation des 

textes aux mouvements sociaux et économiques. La nature des choses est en ce 

sens un excellent moyen rhétorique de découverte du sens. C'est peut-être 

plus encore sensible à l'examen des commentaires du Code de commerce. Estce 

là une spécificité de la doctrine commercialiste ? Nous ne saurions le dire 

mais il est clair que dès la promulgation des codes, le droit commercial et le 

droit des sociétés sont apparus comme parties d'un corps de règles en 

mutation. L'influence de la pratique et contradictoirement, les tensions nées 

des réticences politiques à voir s'imposer un droit des sociétés véritablement 

ouvert sur le capitalisme moderne naissant, ajoutent à l'idée que le droit 

commercial législatif n'est pas achevé. Il en ressort une référence constante à 

la nature des choses pour l'explication des règles commerciales. Le trait est 

suffisamment marqué pour être souligné. Pour l'explication du contrat de 

société, Pardessus utilise la nature des choses comme guide (126) . Pour 

concevoir qu'une société, personne morale, soit distincte des individus qui la 

composent, il suffit de ne pas confondre la qualité d'associés et celle de tiers. 

"Il n'est point, en effet, contre la nature des choses qu'un associé ait des droits 

individuels distincts de ses droits communs, et que ces droits soient opposés 

les uns aux autres (127) ". La référence à un ordre transcendant les règles 

positives a ici d'autant plus de force que l'ensemble du commentaire est très 

technique. Dans la première édition de son Cours de droit commercial, les 

exemples juridictionnels sont absents mais sous forme de cas d'école, 

(125) P. LEPAGE, Éléments de la science du droit, tome 2, Paris, Gérard, 1820, p.484. 

(126) J. M. PARDESSUS, Cours de droit commercial, tome 3, Des sociétés commerciales, Paris, Garnery, 1815 ; 

v. également DELVINCOURT, Institutes de droit commercial français, Paris, Videcoq, 1834, ; A. FREMERY, 

Études de droit commercial (ou du droit fondé par la coutume universelle des commerçants), Paris, Alex- 

Godelet, 1833. 

(127) J. M. PARDESSUS, Cours de droit commercial, tome 4, Des sociétés commerciales, Paris, Nève, Libr. de la 

Cour de cassation, 4ème éd., 1831, n°975, p.17. 

42

Pardessus donne à ses propos une teneur pratique. Dès les éditions suivantes 

sont intégrées par des références de bas de page des illustrations 

jurisprudentielles (128) . La différence s'explique facilement. 

À la fin de l'Empire, la Cour de cassation n'avait pas eu l'occasion de faire 

connaître sa doctrine sur nombre de questions. Tenue pour autorité 

doctrinale, elle était, de fait, restée muette. La doctrine avait, elle, pu déflorer 

l'interprétation des nouvelles règles et donner rapidement pleine mesure à sa 

compétence scientifique. L'équilibre s'établit autour des années 1830 ; les 

références à l'autorité doctrinale de la Cour de cassation apparaissent au titre 

d'illustration de la pensée des commentateurs de tous les codes. Il reste que la 

doctrine commercialiste paraît avoir dégagé un souffle propre à sa matière. 

Selon M. le professeur Atias, elle a eu très tôt le grand mérite "d'avoir trouvé 

un rapport particulier entre la théorie et la pratique; elle aurait élaboré une 

expression proprement juridique des théories d'ordre politique et économique 

qui inspirent ses travaux et une conception axiologique ou normative de la 

pratique des affaires (129) ". À propos des nullités de sociétés, Malepeyre et 

Jourdain affirmaient ainsi que "malgré la sévérité de la loi, la puissance du fait 

l'a emporté sur la puissance de la loi, et lorsqu'une société a réellement existé 

entre les parties, sans accomplissement des formalités, il a bien fallu que la 

jurisprudence acceptât le fait avec ses conséquences nécessaires (130) ". Ex facto 

jus oritur. 

La nature des choses montre la voie de l'interprétation contra legem. Grâce 

à cette attitude, la doctrine commercialiste a pu en quelque sorte s'émanciper 

plus facilement des contraintes légalistes qui pesèrent sur l'ensemble du droit 

privé. Il est cependant délicat d'affirmer jusqu'à quel point le droit 

commercial fut terre d'imagination doctrinale, mais la qualité discutée par la 

doctrine des règles du Code de commerce fut pour beaucoup dans l'admission 

par la jurisprudence des pratiques commerciales nouvelles. Et le temps aidant, 

les illustrations jurisprudentielles remplacèrent peu à peu les exemples tirés de 

l'ancien droit et du droit romain. 

26. L'autorité du droit romain - Le droit romain est très présent chez les 

premiers commentateurs du Code civil qui en éclairent les règles à la lumière 

(128) Il suffit, par exemple, de comparer J. M. PARDESSUS, Cours de droit commercial, Tome 3, Des sociétés 

commerciales, Paris, Garnery, 1815 et Cours de droit commercial, tome 4, Des sociétés commerciales, 4ème 

éd., 1831. 

(129) C. ATIAS, "Hypothèses sur la doctrine en droit commercial", Mélanges Roblot, Paris, LGDJ, 1984, p.32. 

(130) M. MALEPEYRE et M. JOURDAIN, Traité des sociétés commerciales, Paris, Mansut et fils, 1833, p.273. 

43

de leurs connaissances de l'ancienne jurisprudence et du droit romain. Il est 

également un outil théorique important pour tous ceux qui, comme Du 

Caurroy et les auteurs de La Thémis, adhèrent à une démarche historique (131) . 

Les Institutes du droit romain commentés (132) présentent à travers l'analyse 

régénérée des solutions traditionnelles une vision du droit privé totalement 

détachée du droit civil législatif. Sans être admise toujours explicitement par 

les auteurs orthodoxes et déférents devant l'autorité de la loi, cette vision 

participe de leur représentation de l'ordre juridique. Pour aucun d'entre eux le 

droit privé français n'est né avec le Code civil même s'ils n'enseignent que le 

Code civil. Le contenu des normes n'est jamais que l'émanation d'un processus 

historique, naturel ou coutumier (selon ses affinités culturelles). D'ailleurs, les 

juges de la Restauration ne se déroberont pas à l'application du Code civil car 

les solutions prétoriennes restent fondées encore largement sur les anciennes 

maximes ou les lois romaines. Les arrêts de la Cour de cassation visent 

parallèlement l'ordre ancien et l'ordre nouveau que l'on considère le plus 

souvent comme la forme codifiée des anciens principes (133) . M. le doyen 

Carbonnier s'est interrogé sur la présence simultanée de ces doubles 

motivations qui défèrent tout autant à la législation nouvelle qu'aux principes 

anciens. Cela serait le signe de la coexistence en droit civil de "deux sources de 

positivité, cumulatives ou alternatives : le fond coutumier et la promulgation 

formelle (134) ". 

Avec le temps, l'influence des maximes romaines ou la référence aux 

anciennes coutumes va aller en diminuant. À l'argument fondé sur la tradition 

héritée de l'ancienne jurisprudence, va se substituer une argumentation 

fondée sur l'émergence d'une nouvelle tradition, cette fois-ci héritée du Code. 

C'est ce qui paraît émerger de ce qu'écrira, par exemple, H. Thiercelin en 1867 

à propos de la réserve héréditaire : "Les défenseurs de l'opinion opposée à celle 

de la Cour de cassation raisonnent comme si le code était sans précédents. On 

argumente sur des mots ; on parle indifféremment de légitime et de réserve, 

comme si elles étaient une même chose ; on oublie que le mot de légitime ne 

se trouve plus dans le code (…). Nous ne pouvons passer sur une telle manière 

(131) Ph. REMY, "“ La Thémis ” et le droit naturel", RHFD 1987, n°4, p.145. 

(132) A. M. DU CAURROY, Institutes de Justinien nouvellement expliquées, Paris, G. Thorel, 6ème éd., 1841. 

(133) “ attendu qu'il est de principe constant, consacré par l'ancienne et la nouvelle législation ”, “ attendu 

qu'avant le Code civil il était de principe constant en France [et que tel article du Code civil dispose 

également] ”, “ [attendu que la Cour d'appel en jugeant ainsi], a violé les lois romaines et les articles 1603 et 

1653 du Code civil ”, “ attendu qu'en vertu de l'ancienne maxime "Semel haeres, semper haeres", maxime 

consacrée par le Code civil, formules sélectionnées par J. CARBONNIER, "En l'année 1817", précité, p.86. 

(134) Ibid., p.86 

44

de discuter où l'on suppose résolue la question même à résoudre. La vérité est 

que les descendants n'ont plus de légitime depuis l'abrogation des coutumes ; 

ils ont tous ensemble une réserve. Mais cette réserve est-elle autre chose que 

la succession même, diminuée de la portion disponible ? (135) ". L'argument 

reste historique et Thiercelin ne rejette les anciens concepts que pour 

défendre une cause, ici la solution posée par la Cour de cassation. Cela montre 

néanmoins que la doctrine est parvenue à s'émanciper de l'ancienne science 

du droit sans pour autant y renoncer. Ainsi, pour les premiers commentateurs 

que nous venons d'évoquer, l'adage ejus est interpretari … avait déjà une 

portée limitée sous l'empire du référé interprétatif. Avec sa disparition en 1837, 

s'ouvre une nouvelle ère. En fait, cette césure apparemment artificielle parmi 

les auteurs n'est pas guidée par la suppression du recours en interprétation 

législative ; son inefficacité était depuis longtemps avérée. Elle s'explique 

mieux par le fait que la plupart des auteurs de la première période, hormis les 

jeunes écrivains de La Thémis, étaient des jurisconsultes d'Ancien Régime 

reconvertis sous l'Empire ou redécouverts par la Restauration. La seconde 

période annonce une vague nouvelle d'auteurs nés avec la Révolution et le 

Code. Plus libéraux, ils vont avoir une approche différente du texte, plus 

critique, plus controversiste. 

Section 2. 

La vacance de l'interprète par voie d'autorité 

27. L'après 1837 - Deuxième temps de cette présentation chronologique : le 

temps des auteurs nés avec le Code civil (136) , commentant le Code à partir non 

seulement de ses origines doctrinales mais aussi de ses gloses. Il se trouve que 

cette deuxième génération d'auteurs arrive en un temps où le recours 

interprétatif devant le législateur n'existe plus. Nous ne citerons jamais que les 

plus grands mais il suffit de parcourir quelques volumes de la Revue (critique) 

de législation et de jurisprudence après 1835 pour saisir l'empreinte que cette 

doctrine entendait laisser. Contrairement à quelques idées reçues, ces auteurs 

n'étaient pas que des exégètes de la loi, ils étaient des commentateurs mais 

aussi de simples analystes de la jurisprudence. Par de sommaires annotations 

(135) H. THIERCELIN, note sous Cass. req., 25 juillet 1867, DP 1868.1.65. 

(136) Ph. REMY, "Éloge de l'exégèse", RRJ 1982, XIII, p.259. 

45

d'arrêts, ils rendaient compte de l'évolution des positions de la Cour de 

cassation sur telle ou telle question. Bien sûr, certains sujets prêtaient 

particulièrement à l'exposé polémique, qu'il s'agisse de la défense de la 

propriété, de la liberté contractuelle (137) , de la constitution des sociétés ou des 

enfants adultérins (138) : il est rare en effet que les commentaires ne soient pas 

emportés pour accabler la Cour de cassation ou louer la sagesse de ses juges. 

On notera au demeurant que les mêmes sujets formulés différemment 

enflamment encore le discours de la doctrine sans que l'on accuse les auteurs 

contemporains de se perdre en conjectures purement spéculatives. La doctrine 

actuelle est devenue pragmatique. Mais leurs prédécesseurs ne l'étaient pas 

moins, même s'ils l'étaient différemment. 

Aubry et Rau, Marcadé, Pont, Troplong, Demolombe, Valette, Huc, Labbé, 

Démante, Colmet de Santerre sont des noms plutôt connus, déjà entendus, 

mais ces auteurs sont rarement lus et ne sont jamais enseignés. M. le 

professeur Rémy montrait combien artificiel était leur groupement en école, 

qui plus est en École légaliste. Charmont et Chausse ne disaient d'ailleurs pas 

autre chose : "Il n'y a pas eu à proprement parler d'Écoles ; on ne peut guère 

noter que des variations, des préférences individuelles. L'interprétation des 

uns est plutôt littérale, celle des autres plus équitable; selon son tempérament, 

sa nature ou ses habitudes d'esprit, tel auteur s'adonne aux analyses 

minutieuses, tel autre se plaît aux vues d'ensemble; on fera la part de l'exégèse, 

celle de la systématisation (139) ". L'explication tient sans doute à ce que, d'un 

point de vue sociologique et historique, "jamais dans ses attitudes politiques et 

dans ses origines sociales, le monde des juristes n'a présenté un aspect 

uniforme et monolithique (140) ". La doctrine du milieu du XIXème siècle est 

particulièrement hétérogène, ses opinions sont empreintes d'un paradoxe 

topique propre à ces années où capitalisme et socialisme se constituent en tant 

que systèmes de pensée. Il tient à ce que le Code civil achevé demeure et 

parvient à traverser les années d'après l'Empire, il s'est imposé comme un 

(137) 

Notons avec J. HABERMAS (Droit et démocratie, Paris, Gallimard, 1997, p.42) que "depuis Hobbes, les 

règles du droit civil fondé sur la liberté contractuelle et la propriété sont considérées comme le prototype 

même du droit". Il n'est pas étonnant que les questions qui s'y rapportent paraissent toujours remettre en cause 

les fondements du système et provoquent encore des réactions plus violentes que d'autres. 

(138) 

J. LACOINTA, note sous Cass. req. 29 janvier 1883, S. 1884.1.73. Encore aujourd'hui le problème des 

enfants adultérins nés avant 1972 reste une matière sensible, v. F. DEKEUWER-DEFOSSEZ, obs. sur Cass. 

civ. 1ère, 23 mars 1994, D. 1995, somm. p.127. 

(139) 

J. CHARMONT et A. CHAUSSE, "Les interprètes du Code civil", in Le livre du centenaire, tome 1, Rééd. 

Duchemin, 1969, p.139. 

(140) 

J.-L. THIREAU, "Le jurisconsulte", Droits-20, p.22. 

46

aboutissement et une sélection des règles dégagées par les jurisconsultes 

d'ancien régime. Mais passée la déférence envers leurs maîtres et le législateur, 

la doctrine paraît libérée de l'emprise de l'autorité institutionnelle. Cela 

correspond diversement au caractère et à la plume de ces auteurs. Troplong, 

par exemple, ne cesse de critiquer Toullier et Duvergier (141) , dont il se dit 

pourtant le continuateur, et à travers lui, Dumoulin dont pour autant on 

s'accorde à reconnaître l'influence majeure sur le droit positif français (142) . Et 

dans leur activité d'interprète de la loi, ils sont aussi et naturellement 

interprètes de l'arrêt. Mais contrairement à la retenue qui préserve en général 

le législateur des foudres doctrinales (143) , la franchise, la verve et parfois 

l'insolence parfois avec lesquelles les auteurs portent des critiques contre les 

décisions rendues, ont de quoi surprendre encore par leurs envolées lyriques. 

Ils n'hésitent pas à clamer que la Cour de cassation avait tort de ne pas suivre 

leur point de vue quand elle n'y avait pas adhéré (144) . Cela correspond aussi au 

fait que ces auteurs assuraient des fonctions dans l'ordre judiciaire, magistrat 

ou avocat, ils étaient de fait interprètes controversistes. Il est sensible que la 

fin du référé interprétatif n'a pas altéré la position des interprètes face au 

texte. Jurisprudence et doctrine assurent des fonctions différentes, mais elles 

ne se conçoivent pas en termes hiérarchiques. Ni dans un système positif, ni 

dans une théorie des sources. 

Il reste que l'introduction en France des théories kantiennes et 

hégéliennes, aura des effets. Mais plus tardivement, la doctrine française est 

encore influencée par les philosophes du droit naturel et le restera pendant ce 

long demi-siècle. La frontière franco-allemande est pourtant loin d'être 

imperméable. D'Outre-Rhin nous viennent les débats sur la nécessité de 

rénover et de codifier un droit commun. Les auteurs français puiseront dans 

(141) R.-T. TROPLONG, Le droit civil expliqué suivant l'ordre du Code civil, "De l'échange et du louage", tome 

1, Paris, Hingray, 1840, p.173-174, à propos de l'emphytéose : "Mais Dumoulin, faute de bien connaître 

l'histoire de l'emphytéose, s'était imaginé que, dans l'origine, cette sorte de concession avait été à temps et que 

c'est seulement dans la suite, et par l'effet d'une sorte de dégénérescence qu'elle avait été pratiquée à 

perpétuité. Mais cette opinion, quoique souvent répétée n'a pas le moindre fondement historique et légal [avec 

en note l'erreur répétée par Loyseau], et M. Duvergier a suivi de confiance ces auteurs". 

(142) AUBEPIN écrira notamment une impressionnante série d'articles à la Revue critique de législation et de 

jurisprudence intitulée, "De l'influence de Dumoulin sur la législation civile", Rev. crit. légis. et jur. 1853, 

tome 3, p.603 (I) et p.778 (II), 1854, tome 4, p.27 (III) et p.261 (IV), 1854, tome 5, p.32 (VI) et p.305 (VII), 

puis "De l'influence de Dumoulin sur certains points de droit civil", Rev. crit. légis. et jur. 1855, tome 7, 

p.145, tome 14, p.179. 

(143) Toutefois TROPLONG : "La doctrine fondée en raison finit toujours par l'emporter sur l'autorité de la loi qui 

a le malheur d'avoir tort" cité par N. KANAYAMA, "Les civilistes français et le droit naturel au XIXème siècle, 

à propos de la prescription", RHFD 1989, n°8, p.142. 

(144) Ph. JESTAZ, "Déclin de la doctrine ?", Droits-20, p.91. 

47

les controverses entre Pandectistes et partisans de Savigny, les arguments qui 

alimenteront le débat sur la rénovation du Code civil français à l'approche de 

son centenaire et plus importante encore sera leur influence en droit 

international privé. Mais les tensions politiques entre la France et l'Allemagne 

agiront comme un bouclier contre la possibilité pour la doctrine française de 

se réclamer valablement de telle influence allemande (145) . Il faut donc se taire 

au risque d'être dénoncé comme trop germanique (146) . 

On peut aussi s'interroger sur l'évolution de la diffusion du savoir juridique 

pour en comprendre son image doctrinale ; parce qu'au-delà des conceptions 

de l'ordre juridique qui transparaissent de leurs écrits théoriques, que reste-t-il 

aujourd'hui de ces jurisconsultes sinon l'inévitable image d'exégètes 

dogmatiques ? Toujours cités, Demolombe et Bugnet. "Ma devise, ma 

profession de foi est aussi les textes avant tout" pour le premier, et "Je ne 

connais pas le droit civil, je n'enseigne que le Code Napoléon" pour le second. 

Demolombe ne se prive pourtant pas de critiquer la méthode exégétique : "si 

par exemple, l'exégèse, suivant le texte pas à pas, peut se flatter de découvrir 

ainsi plus facilement la pensée du législateur, ne peut-on pas, en revanche, lui 

reprocher, sinon d'empêcher absolument, du moins de favoriser très peu, par 

ses allures saccadées et décousues, cet esprit de méthode et de généralisation, 

cet ordre et cet arrangement systématique, qui constituent la science et qui en 

rendent l'initiation plus puissante et plus efficace (…) Il est très utile que 

l'interprétation des lois soit tour à tour soumise à des méthodes diverses (147) ". 

Le sens des écrits de ces auteurs s'est déformé au filtre de la description 

qu'auront faite d'eux leurs successeurs. 

À cet égard, la présentation faite par le doyen Gény de la pensée de 

Demolombe tient de la mystification. "Il n'est pas douteux que l'effort 

principal, sinon exclusif, de la doctrine juridique française, se soit appliqué à 

l'interprétation stricto sensu des textes légaux. C'est ce qui a fait si longtemps 

le succès de l'exégèse, qui, comme le dit Demolombe, “ suivant le texte pas à 

pas, peut se flatter de découvrir ainsi plus facilement la pensée du 

Législateur ” (148) ". Il est bien clair qu'il manque à cette phrase tronquée 

(145) 

M. DE VAREILLES-SOMMIERES, La synthèse du droit international privé, premier volume, Paris, Cujas, 

Rééd. 1954, p.142, n°224. 

(146) 

v. Ph. REMY, "“ La Thémis ” et le droit naturel", RHFD 1987, n°4, p.145. 

(147) 

J. Ch. F. DEMOLOMBE, Cours de Code Napoléon, tome I, Traité de la publication des effets et de 

l'application des lois en général, Paris, Pédone, 1877, p.VI. 

(148) 

F. GENY, Méthode d'interprétation et sources en droit privé positif, tome 1, 2ème éd., 1919, précité, p.29 ; 

adde J.-F. JEANGUILLOU, Esthétique de la mystification, Paris, Minuit, 1994, chap. IV, "Ambiguïtés 

textuelles", à propos des copies plus ou moins conformes. 

48

l'opinion fondamentale de l'auteur pour qui la diversité des méthodes fait la 

science du droit. Mais il fallait imputer aux prédécesseurs la responsabilité des 

faiblesses théoriques du présent puisque selon ces auteurs, la tradition 

juridique française devait nourrir la rénovation méthodologique. Les 

“ exégètes ” furent en quelque sorte les boucs émissaires du changement de 

paradigme, un peu comme s'ils avaient trahi la pensée de Portalis en érigeant 

"en dogme la rigidité et l'immobilité de la loi, son aptitude à tout prévoir et à 

tout régler" et en considérant "toutes les autres sources comme taries (149) ". 

C'est donc d'opinions déformées en opinions de seconde main que va se 

construire l'École de l'exégèse (150) , et ce bien que sa condamnation ne soit 

point unanime (151) . Pourtant, assurément ce n'est pas à tort qu'ils furent 

qualifiés d'exégètes, le temps de l'analyse des textes s'y prêtait et les méthodes 

utilisées pour interpréter étaient celles de l'exégèse. Rompus à l'exégèse 

biblique, il n'est pas douteux que la doctrine française de cette époque 

maîtrisait l'herméneutique classique (152) . L'inexactitude porte donc sur 

l'"École", le terme ne rend pas compte de l'hétérogénéité du corps doctrinal, ni 

de la diversité des méthodes utilisées. Ensuite, si cette description a servi les 

ambitions des successeurs immédiats, à savoir de la doctrine conduite par la 

rénovation de Gény, il est intéressant de se demander pourquoi cette façon de 

comprendre les "exégètes" s'est pérennisée. Perelman, notamment, analyse en 

profondeur le raisonnement juridique et consacre un chapitre de Logique 

juridique, la nouvelle rhétorique à l'École de l'exégèse (153) ne citant d'ailleurs 

qu'Aubry et Rau (154) et le célèbre mot de Laurent : "Les codes ne laissent rien à 

(149) 

F. GENY, Méthode d'interprétation et sources en droit privé positif, tome 1, 2ème éd., 1919, précité, p.91. 

(150) 

Sur le modèle proposé par GENY, les auteurs du début du XXème siècle vont écrire à plus ou moins gros 

traits une histoire de la doctrine qui se confondra avec l'histoire du culte de la loi. v. E. LAMBERT, Études de 

droit commun législatif, tome 1, La fonction du droit civil comparé, "Les conceptions étroites ou unilatérales", 

Paris, Giard et Brière, 1903 ; M. MORNET, Du rôle et des droits de la jurisprudence en matière civile, Thèse 

Paris, 1904 ; D. N. MICESCOU, Essai sur la technique juridique, Thèse Paris, 1911, p.19 s. ; CONDOMINE, 

Essai sur la théorie juridique et sa fonction, Thèse Lyon, 1912 ; J. ROUME, A propos de la méthode juridique, 

Thèse Montpellier, 1922 ; G. MARTY, La distinction du fait et du droit. essai sur le pouvoir de contrôle de la 

Cour de cassation sur les juges du fait, Thèse Toulouse, 1929 ; G. MARASCO, Expression et concrétisation du 

droit, Thèse Paris, 1930 ; A. LEBRUN, La coutume, ses sources, son autorité en droit privé, Thèse Paris, 

1932 ; CHRETIEN, Les règles de droit d'origine jurisprudentielle, leur formation, leurs caractères, Thèse Lille, 

1936. 

(151) 

Pour une défense très énergique des interprètes du Code civil, voir A. COLIN et H. CAPITANT, Cours 

élémentaire de droit civil français - tome 1er, précité, p.31-33. 

(152) 

Ph. REMY, "Le rôle de l'exégèse dans l'enseignement du droit au XIXème siècle", AHFD 1985, n°2, p.91- 

105. 

(153) 

Ch. PERELMAN, Logique juridique, précité, n°16, p.23. 

(154) 

Pourtant AUBRY et RAU sont présentés par la doctrine du début du XXème siècle parmi les seuls auteurs à 

ne pas s'être laissés emporter par le culte de la loi, v. R. DEMOGUE, Les notions fondamentales du droit privé, 

Paris, Rousseau, 1911, p.233 : "Rien n'est plus funeste que de s'immobiliser dans l'étude des institutions 

49

l'arbitraire de l'interprète (155) ". Rien au-delà de la caricature (156) . L'on peut 

pareillement reprocher à Husson de ne fonder ses critiques que sur l'opinion 

des auteurs qui auront succédé aux "exégètes (157) ". L'erreur de la critique tient 

à son caractère incomplet. 

Concédons sans mal que Demolombe et Marcadé étaient des 

"exégètes (158) " ; encore une fois, la pratique des "exégètes" correspond à des 

méthodes d'interprétation propres à la culture théologique de l'époque (159) . 

Mais il s'agit toujours d'une exégèse critique et controversiste (160) . Pour être 

dénoncées, les opinions adverses sont énoncées nécessairement. Elle ne sont 

pas tues. Leur exégèse n'est pas une exégèse purement dogmatique et c'est 

bien, par ailleurs, ce qui était reproché aux grands traités. Leur longueur, 

excessive souvent, livrée à un verbiage parfois pesant (161) et à un style 

emphatique, traduisait justement l'impossibilité de comprendre la norme et 

l'ordre juridique en dehors d'un examen dialogique quasi-exhaustif. En dépit 

de la vigueur et de l'arrogance avec lesquelles les opinions d'auteurs 

s'entrechoquent, il est constant qu'une place importante est faite à 

suivant une unique méthode. Il est regrettable que sauf Aubry et Rau, les commentateurs soient restés près 

d'un siècle à suivre le même chemin que les rédacteurs du Code, ce qui n'avait pas pour résultat de faire 

deviner facilement les nouvelles questions". 

(155) F. LAURENT, Cours élémentaire de droit civil, tome 1, Paris, A. Maresq, 1878, p.9. 

(156) Récemment, J. GAUDEMET, Les naissances du droit, Paris, Montchrestien, 1996, p.351 s. présente 

PROUDHON comme aveuglé par la lettre du Code, incapable de s'en échapper pour simplement réfléchir en 

opportunité ; également J. GILISSEN, Introduction historique au droit, Bruxelles, Bruylant, 1979, p.473 : "Le 

fondement de la nouvelle conception de l'étude du droit était la doctrine légiste : tout le droit est dans la loi. 

Seul le législateur, agissant au nom de la nation souveraine, a le pouvoir d'élaborer le droit. Il ne peut donc y 

avoir d'autre source du droit que la loi". 

(157) L. HUSSON, "Examen critique des assises doctrinales de la méthode de l'exégèse", RTD civ. 1976, p.453 : 

"On pourrait également se demander comment il a pu se faire pendant tout le XIXème siècle qu'elle pratiquât 

avec conviction, et en plein accord avec l'ensemble de la doctrine une méthode, celle de l'exégèse, dont 

Portalis avait vigoureusement dénoncé l'illusion". 

(158) Il faut préciser un point terminologique. Dans le Dictionnaire des mots de la foi chrétienne (par 

O. DE LA BROSSE, A. M. HENRY, Ph. ROUILLARD, Paris, Cerf, 1989), l'exégèse désigne "le commentaire 

scientifique de la Bible, mettant en oeuvre toutes les disciplines capables d'en éclairer le sens" et 

l'herméneutique est "l'ensemble des règles qui permettent de déterminer le vrai sens de l'Écriture et d'en 

donner la juste interprétation"; v. également P. EICHER (dir.), Nouveau dictionnaire de théologie, Paris, Cerf, 

2ème éd., 1996, v° Exégèse / Sciences bibliques. Auparavant, dans le Dictionnaire de théologie catholique 

(par A. VACANT et E. MANGENOT, Paris, Letouzey et Ané éd., 1913), l'exégèse était définie comme 

l'explication de la Bible et l'herméneutique désignait l'art de l'interprétation dont elle donne les règles : 

l'exégèse était ainsi l'application pratique et rigoureuse des règles de l'interprétation. 

(159) C. ATIAS, Épistémologie du droit, précité, p.96 ; "Philosophie du droit : les enjeux d'une fin de siècle", in 

G. PLANTY-BONJOUR et R. LEGEAIS (dir.), L'évolution de la philosophie du droit en Allemagne et en France 

depuis la fin de la seconde guerre mondiale, Paris, PUF, 1991, p.235. 

(160) Nous n'avons cependant pas rencontré d'auteurs s'appuyant sur Spinoza ni même sur Richard Simon ; 

v. J. DORE, Introduction à l'étude de la théologie, Paris, Desclée, 1991, tome 1, p.518. 

(161) On reprochera par exemple à TROPLONG de faire des “ romans de droit ”, N. KANAYAMA, "Les civilistes 

français et le droit naturel, à propos de la prescription", RHFD 1989, n°8, p.142 ; C'est aussi ce que l'on fera 

observer aux travaux du doyen Gény. 

50

l'adversaire. Pour mieux le balayer mais sans jamais le taire. Car il y a bien une 

sorte d'antagonisme, une véritable contradiction à présenter ces auteurs 

comme purement légalistes. Si la loi suffisait à leur représentation de la 

connaissance juridique, les ouvrages didactiques et ceux plus théoriques se 

seraient satisfaits de sommaires développements techniques, comme aux 

premiers temps des codes. Les longs traités de Demolombe ou de Troplong 

témoignent d'une représentation du savoir sur le Code civil presque 

infiniment inaccessible et il n'est sans doute pas inutile de remarquer que la 

plupart de ces commentaires ne furent pas achevés. Les traités plus courts qui 

succéderont aux commentaires du Code, en premier lieu le traité de Planiol, 

revêtiront une forme synthétique plus dogmatique, bien qu'il ne s'agisse plus 

vraiment du dogme de la loi. 

PARAGRAPHE 1. L'IMAGE DOCTRINALE DE LA LOI 

28. Une image nette - L'hétérogénéité de la doctrine présente de la Monarchie 

de Juillet aux premiers temps de la IIIème République, appelle une double 

constatation. D'une part, par le dogme politique de la loi, l'interprète est invité 

à mener un raisonnement abstrait, en réfléchissant sur des catégories posées a 

priori. Il faudra étudier ce qui n'en ressort pas, à savoir le jeu des contraintes 

interprétatives à travers l'examen des questions controversées, les solutions 

posées n'apportant rien ici. D'autre part, le manque d'unité de la doctrine 

française s'estompe apparemment à l'étude de ses assises théoriques. 

Apparemment seulement, parce qu'il nous paraît impossible de tirer des 

conclusions définitives sur leurs convictions politiques, religieuses et 

philosophiques sans faire une sociologie de ces auteurs. Sauf à énoncer 

quelques banalités sur la composition du corps des juristes, il est illusoire de 

prétendre expliquer la place de la doctrine par son appartenance à une classe 

sociale. Il faut garder à l'esprit que si les magistrats et professeurs étaient en 

général des bourgeois ou des aristocrates, les auteurs qui en ont marqué de 

leur empreinte la pensée juridique française ont presque tous une histoire 

personnelle qui ne colle pas avec l'image du bourgeois débonnaire, frileux et 

avide. La caricature, balzacienne ou marxiste, est trop rapidement faite. Droit 

bourgeois, conscience de classe et unité du corps des juristes ne forment pas 

des critères suffisants de l'analyse théorique. Sans doute, ces auteurs étaient-ils 

51

donc des bourgeois mais ils n'avaient pas nécessairement des opinions 

convergentes sur des sujets politiques brûlants touchant notamment à l'état 

des personnes ou encore au droit des sociétés. L'oeuvre d'Émile Accolas en 

témoigne (162) . 

La difficulté est donc de ne pas s'en tenir à la mythologie construite et 

perpétuée par les auteurs du XXème siècle. Quel sens cela a-t-il de qualifier 

aujourd'hui Troplong ou Duranton de "positivistes" ? Le risque d'une 

distorsion anachronique est pris par certaines présentations (163) . Il ne faut pas 

être dupe. Ces auteurs sont "positivistes", entendons plutôt légalistes, pour 

asseoir leurs opinions sur des positions convergentes d'autres autorités. Il sont 

"naturalistes" pour combattre des décisions ou des lois qui heurtent leurs 

opinions. En fait, le sens contemporain de positivisme ne convient pas du tout 

à leur représentation de l'ordre juridique. La volonté du législateur ne se 

conçoit qu'en relation avec sa légitimité. Pour Démante et Colmet de Santerre, 

"c'est la volonté du législateur qui constitue la loi, mais cette volonté est 

toujours déterminée par un principe de justice éternelle ou par un motif 

d'utilité particulière. De là, nous sommes fondés à conclure que la loi obscure 

ou ambiguë doit toujours s'interpréter dans le sens le plus conforme à l'équité 

et à l'esprit particulier de la législation (164) ". Il faut également garder à l'esprit 

que la France du XIXème siècle connaîtra des périodes d'instabilité 

constitutionnelle qui vont profondément asseoir la nécessité d'un contrepoids 

législatif stable. En traversant les bouleversements politiques, les révolutions 

et les coups d'État, sans être affecté dans sa structure, le Code civil (et, avec 

lui, le droit privé législatif français) gagnera en reconnaissance. Ce ne sera 

véritablement qu'au moment du plein essor de la Révolution industrielle que 

la vision de l'ordre juridique changera. Jusqu'alors la loi est stable, elle n'est 

pas innovante. 

Cette image doctrinale de la loi s'oppose à la représentation des autres 

interprètes. Ce sont doctrine et jurisprudence qui innovent à la mesure du 

pouvoir qui leur est accordé. En fait, tout se lie ; la doctrine conçoit des 

(162) C. JAMIN, compte rendu de "Émile Accolas, Introduction à l'étude du droit", RTD civ. 1998, p.548 ; J.- 

L. HALPERIN, Histoire du droit privé, précité, p.76, n°42 ; J. CARBONNIER, Droit civil, Introduction, 25ème 

éd., 1997, précité, [152], p.269 ; "Accolas, tout seul pour représenter cette gauche qui a visiblement manqué à 

l'École française du XIXème siècle" ; v. également, G. RIPERT, Le régime démocratique et le droit civil 

moderne, Paris, LGDJ, 1936, n°11, p.21. 

(163) N. KANAYAMA, "Les civilistes français et le droit naturel…", précité, p.137 : Troplong et Duranton sont 

qualifiés de "positivistes naissants" ; p.145 : Aubry et Rau sont des "positivistes convaincus". 

(164) A. DEMANTE, Cours analytique de Code civil, continué par E. COLMET DE SANTERRE, Tome 1, Paris, 

Librairie Plon, 3ème éd., 1895, n°23. 

52

eprésentations de l'ordre juridique et d'elle-même qui réservent aux 

interprètes la part de création scientifique. La fixité et la permanence étant les 

caractères de la norme législative, l'évolution du droit positif se fait lentement 

par la simple adaptation aux hypothèses pratiques, par l'élaboration de 

concepts ou d'interprétations originaux (165) ou par la résurgence de concepts 

anciens (166) . L'autorité par voie de doctrine n'est pas discutée tant que dure la 

stabilité des normes législatives, tant que le droit commun gouverne 

l'ensemble du droit privé. Mais avec l'ère industrielle qui s'annonce, le droit 

commercial a besoin d'adapter les structures juridiques des acteurs 

économiques au capitalisme, et en contrepoint les législations du travail 

désignent des domaines spécifiques pour la défense des intérêts des 

ouvriers (167) . L'éclatement du droit commun est alors ressenti comme une 

dérive. Ce sentiment est frémissant à la fin de la période de l'“ exégèse ” mais il 

produira le basculement et la révolution de la Libre recherche. D'une position 

de déférence vis-à-vis des Codes au tout début du XIXème siècle, la doctrine a 

gagné en pouvoir critique et en autorité créatrice ; à tel point que la 

transformation du droit la plus marquante sera, à la fin du XIXème siècle, 

l'intronisation doctrinale de la jurisprudence au titre de "source du droit". La 

Cour de cassation échappera alors à sa condition d'interprète par voie de 

doctrine pour gagner le rang d'interprète par voie d'autorité laissée vacante, 

depuis l'inefficacité avérée du référé législatif. 

Sans aucun doute, il est causalement possible d'imputer aux phénomènes 

sociaux la responsabilité de ce changement de perspective, mais plus 

intéressante est la traduction théorique de ces changements. Car la science du 

droit est à la fois créatrice des représentations de l'ordre juridique et en subit 

nécessairement le reflet. En assurant à la Cour de cassation le pouvoir de 

disposer par voie générale, la doctrine sonne la fin de l'" exégèse 

controversiste " et condamne à terme le dogme de la loi, mais elle s'abandonne 

alors au dogme de la solution unique. Le pouvoir jurislatif devient bicéphale. 

Législateur et jurisprudence se partagent le pouvoir de faire la norme. Quand 

la permanence de la norme législative est assurée, l'interprétation téléologique 

rend au législateur la totalité de son pouvoir, quand l'instabilité législative 

crée le désordre, c'est à la Cour de cassation de rendre au droit son unité en 

(165) Sur la célèbre construction prétorienne de la validité des donations déguisées consacrée par la Cour de 

cassation, v. H. BLAISE, "La formation au XIXème siècle de la jurisprudence sur les donations déguisées", 

Mélanges Savatier, Paris, Dalloz, 1965, p.89. 

(166) J. LEAUTE, Les éclipses et les renaissances d'institutions en droit civil français, Thèse Paris, 1946. 

(167) comp. G. RIPERT, Aspects juridiques du capitalisme moderne, Paris, LGDJ, 2ème éd., 1951, p.37 s. 

53

établissant la sécurité juridique. Ce changement est progressif. Il est, du reste, 

nourri d'influences contradictoires ; avant d'être affirmé par les théoriciens du 

XXème siècle, sa nécessité est revendiquée par les commentateurs du XIXème, 

non pas qu'ils soient précurseurs d'un abandon des préceptes de la tradition, 

mais l'exposé controversiste invite toujours à repousser hors des frontières de 

la pertinence les arguments qui ne satisfont pas la pratique. En ce sens 

Marcadé critiquera abondamment les juristes qui n'auront pu adapter leurs 

connaissances à l'esprit de la nouvelle législation (168) . "Si beaucoup de 

professeurs (…) n’ont pas su s’affranchir de cette soumission exagérée à la 

tradition, de ce respect pour l’autorité poussée jusqu’au fétichisme, il en est 

heureusement d’autres qui marchent depuis longtemps dans la voie 

contraire (169) ". On retiendra combien est actuel le regard porté par Marcadé 

sur ses glorieux prédécesseurs. Ce reproche est en fait un refrain, la doctrine 

d'hier n'a su adapter son savoir ni aux théories nouvelles, ni aux événements 

sociaux. Elle s'est finalement trouvée prisonnière de ses dogmes périmés sans 

pouvoir les renouveler, elle s'est montrée fétichiste de ses méthodes alors que 

le monde avait changé (170) . 

29. Premiers changements - Le rapport entre les interprètes est modifié par la 

loi de 1837. Demolombe ne compte plus deux sortes d'interprètes mais trois et 

distingue les propriétés de l'interprétation judiciaire de celles de 

l'interprétation doctrinale. Ce sont les conséquences pratiques de la solution 

posée "par voie d'argument", selon l'expression de Duranton, qui ouvre la 

réflexion sur les dangers de l'interprétation judiciaire. De manière récurrente, 

la crainte du désordre réapparaît et avec elle, la nécessité pour la doctrine de 

procéder à une surveillance et à concevoir une remise en ordre du droit. 

(168) 

C'est Toullier qui est le plus violemment attaqué par MARCADE : "Docteur de l’ancienne école, nourri 

surtout du droit romain, objet de sa prédilection, (…) c’était pour lui chose impossible, surhumaine de se 

familiariser tout à coup avec les idées nouvelles que ce code consacrait : fortement imbu des anciens 

principes, à la méditation desquels il avait passé sa vie, il n’a pas su, et il ne pouvait pas, en vérité, rompre 

avec eux, pour se plier tout d’un coup à l’esprit de la loi nouvelle", Explication théorique et pratique du Code 

civil, tome 1, préface précitée, p.17. Marcadé observera plus loin que ses contemporains trop enclins à suivre 

l'argument d'autorité considéraient les critiques contre Toullier presque comme une impiété, quel qu'en fût 

leur contenu. 

(169) 

V. N. MARCADE, Explication théorique et pratique du Code civil, tome 1, préface précitée, p.15-16. Il 

épargne ainsi Oudot, Bugnet et Valette. 

(170) 

comparer avec le programme que se donne F. GENY, Méthode d'interprétation et sources en droit privé 

positif, tome 1, 2ème éd. 1919, précité, p.70 : "J'entends m'attaquer au fétichisme de la loi écrite et codifiée", 

ou encore M. MIAILLE, Une introduction critique au droit, Paris, Maspéro, 1976, p.376, pour qui le 

"fétichiste", le juriste sans qualité, est condamné à un raisonnement infécond, incapable d'adapter lui-même 

ses raisonnements pour la compréhension des phénomènes sociaux de son temps. 

54

L'idée traditionnelle toujours présente est que, par nature, l’interprétation 

judiciaire peut susciter "un grand danger". L'interprétation par voie d'autorité 

garantissait, par le référé, une remise en ordre législative de la jurisprudence. 

Son abandon, considéré comme une demi-mesure insuffisante, ne subroge pas 

la Cour de cassation dans les fonctions d'interprète normatif ; l'article 5 du 

Code civil reste une contrainte théorique efficace, et la pratique prétorienne 

de la Cour de cassation est encore jeune. Selon Marcadé, la Cour de cassation 

n’a pas, par essence, une fonction normative parce que ses décisions "ne 

terminent point le débat, elles ne vident point la contestation". La Haute 

juridiction serait plutôt une émanation du pouvoir exécutif. Originellement, 

elle ne fait d'ailleurs pas partie de l’ordre judiciaire, "elle n’est pas une 

assemblée de juges; c’est une commission d’interprétation et de conservation 

des lois (171) ". 

La loi de 1837 est donc mal ressentie par une partie de la doctrine pour avoir 

modifié l'ordre juridique jusqu'à dénaturer les attributions de la Cour, en lui 

transférant une partie des prérogatives de l'interprète législatif (172) . Mais le 

transfert n'est qu'imparfait, les jugements même solennels ne s'imposent 

jamais comme une loi. L'intervention de la Cour de cassation, outre qu'elle est 

peu fiable, est toujours trop tardive. "Un arrêt en chambres réunies 

n’intervient jamais qu’après bien des années depuis la promulgation du texte 

faisant difficulté. C’est ainsi que, sur la fameuse question de révocation des 

donations par la séparation de corps, un arrêt solennel de la Cour suprême n’a 

été rendu qu’en 1845, c’est-à-dire quarante et un ans après la publication du 

Code! Bien d’autres questions non moins graves attendent encore pareil arrêt ! 

Or cet arrêt, si longtemps attendu, donnera-t-il enfin la certitude du sens dans 

lequel la loi doit être entendue ! Non, puisque la Cour suprême elle-même 

peut juger différemment un peu plus tard, et il suffira du changement de 

quelques uns de ses membres pour amener ce résultat. Les citoyens sont donc 

dans l’impossibilité d’avoir jamais, et sur aucun point que ce soit le sens 

certain de règles qui sont pourtant à la base de leurs conventions de chaque 

jour! Si au contraire la loi de 1837 avait déclaré légaliser à l’avance toutes les 

interprétations qui seraient données par les arrêts solennels de la Cour 

suprême, chacun de ces arrêts eût été un pas fait vers l’unité fixe de la 

(171) V. N. MARCADE, Explication théorique et pratique du Code civil, tome 1, précité, p.74. 

(172) Duranton pense ainsi que la loi de 1837 sonne la fin de l'interprétation de la loi par voie d'autorité, 

MARCADE pense de même et s'interroge sur la situation nouvelle, DEMOLOMBE est plus nuancé, Cours de 

Code Napoléon, tome I, Traité de la publication des effets et de l'application des lois en général, précité, 

p.139, et approuve finalement la réforme. 

55

jurisprudence; il eut apporté aux citoyens le sens légalement certain d’un des 

points faisant difficulté, et cette cour n’aurait point rendu de jugement, 

puisque ses arrêts de seconde cassation eussent obligé, non comme ayant force 

de chose jugée, mais comme ayant force législative. Quant à l’objection devant 

laquelle on semble avoir reculé et qui consistait à dire qu’on eût ainsi fait 

participer la Cour de cassation au pouvoir législatif, elle tombe devant cette 

observation développée sous l’article 2 que, si la légalisation d’une 

interprétation ne peut, en effet, émaner que du pouvoir législatif, 

l’interprétation à légaliser, ou légalisée d’avance peut très bien émaner de 

toute autre source (173) ". Aux dires de Marcadé, la Cour de cassation, 

insuffisamment armée pour donner à ses décisions les caractères de 

permanence et de fixité qui en feraient les égales de la loi, devient un 

interprète dont la nature emprunte, et à l'autorité législative, et à la doctrine. 

Aussi, l'image de la Cour de cassation que reflète la doctrine d'après 1837, est 

celle d'un interprète, certes doctrinal, mais différent, comme dénaturé. La 

Cour ne mérite pas la déférence due formellement à l'autorité législative, elle 

mérite en revanche les éloges ou les critiques formulées contre toutes les 

autorités doctrinales. 

Demolombe se méfie de cette idée qui ferait de la Cour de cassation un 

interprète autorisé et n'invite pas à la considérer comme détentrice d'un 

pouvoir normatif puisqu'elle n'est pas en mesure de garantir la permanence de 

ses interprétations. Le risque et le danger seraient que la normativité de 

l’interprétation judiciaire permettrait l'effectivité d'une pluralité des sens de la 

loi. La même loi peut être entendue différemment selon les juges et cela peut 

créer un "véritable désordre puisque les citoyens ne savent vraiment plus 

quelle est la loi qui les régit, et ne peuvent point compter sur la validité de 

leurs actes et de leurs conventions livrées ainsi à toutes les oscillations, à tous 

les revirements d’une jurisprudence incertaine (174) ". L'instabilité connue de la 

jurisprudence, face à la permanence de la loi, la prive encore d'un pouvoir 

normatif reconnu, mais l'abandon du référé législatif a balayé les 

appréhensions (ou les tabous) à concevoir théoriquement la Cour de cassation 

autrement qu'une sentinelle au service de la loi. Cela explique qu'après 1837, 

l'image doctrinale de la Cour de cassation, à laquelle elle-même contribue, est 

ainsi partagée entre celle d'un interprète doctrinal et celle de pouvoir 

(173) V. N. MARCADE, Explication théorique et pratique du Code civil, tome 1, précité, p.74. 

(174) J. Ch. F. DEMOLOMBE, Cours de Code Napoléon, tome I, Traité de la publication des effets et de 

l'application des lois en général, précité, p.133. 

56

normatif potentiel dont la doctrine se charge de surveiller l'évolution. À cet 

égard la note d'arrêt ne change pas de nature, elle est "conçue véritablement 

comme un moyen de connaissance des motifs d'action des tribunaux dans la 

perspective clairement posée de rechercher les tendances des tribunaux sur un 

point donné et d'en prévoir l'évolution (175) ". 

Peut-être est-ce dû à la personnalité des auteurs : les notes d'arrêts sont le 

lieu d'une tension manifeste entre les commentateurs et l'interprète judiciaire, 

les uns s'étant assignés de contrôler le rôle de l'autre (176) . Au fond, les auteurs 

des années 1850 et 1860 laisseront encore doctrine et jurisprudence à égalité 

d'autorité et quoique des changements méthodologiques s'annoncent, le 

dialogue controversiste entre les deux interprètes restera la règle du 

commentaire. 

30. D'une image à l'autre - En conclusion de son Essai sur l'histoire générale du 

droit français, D. Dalloz écrivait qu'"après une épreuve de près de soixante 

ans, le Code Napoléon a résisté, et suffit encore à l'objet que devaient avoir en 

vue ses auteurs ; il est assez fort, il a touché assez juste pour répondre à tous 

les besoins dans l'ordre civil. Mais il serait injuste d'oublier ce que le droit 

français, tel qu'il est aujourd'hui, doit à la jurisprudence des Cours et 

particulièrement de la Cour de cassation (177) ". L'idée a pénétré et s'est affirmée 

nettement, renversant par là l'opinion de Proudhon (178) , que la jurisprudence a 

mûri et que l'on ne saurait plus lui reprocher valablement sa jeunesse. Les 

transformations de l'image doctrinale de la Cour de cassation sont en route ; 

elles accompagneront plus tard l'évolution des méthodes de la doctrine mais 

pour l'heure, l'opinion domine qu'aussi "grande que soit l'autorité de la Cour 

suprême, elle ne l'est cependant pas assez pour l'emporter sur la loi et la 

raison ; lorsque ses arrêts y sont conformes, nous y applaudissons ; quand ils 

s'en écartent, qu'il nous soit permis de ne pas y souscrire (179) ". Au fond, la 

jurisprudence, "compagne inséparable de la loi et de la doctrine, éclaire l'une 

(175) E. SERVERIN, De la jurisprudence en droit privé, théorie d'une pratique, Thèse Lyon, PUL, 1985, p.111 à 

propos des premières notes d'arrêts rédigées notamment par Sirey ou Devilleneuve. 

(176) E. SERVERIN, De la jurisprudence en droit privé, précité, p.116. 

(177) D. DALLOZ, Essai sur l'histoire générale du droit français, in Jurisprudence générale, tome 1, Paris, 

Dalloz, 1870, p.330. 

(178) J.-B. PROUDHON, Traité des droits d'usufruit, d'usage personnel et d'habitation, tome 1, préface précitée, 

p.XVIII. 

(179) M. DELAMARRE et M. LEPOITEVIN, Traité théorique et pratique de droit commercial, tome 1, Paris, 

Hingray, 2ème éd., 1861, n°22, p.47. 

57

et sert au perfectionnement de l'autre (180) " ; son autorité est doctrinale et le 

commentaire controversiste reste le modèle. 

Une illustration est donnée par une note de J.-E. Labbé commentant un 

arrêt de la Cour de cassation ayant posé que la femme séparée de biens ne 

pouvait accomplir seule que des actes d'administration et que l'emploi du prix 

d'un immeuble dotal en achat d'un autre immeuble, conformément au contrat 

de mariage, était "un acte dépassant les limites de la simple administration, 

qu'elle ne pouvait l'accomplir sans l'assistance de son mari ou de justice (181) ". 

Labbé commence son analyse par une réflexion presque désabusée. Nullement 

converti par la solution qui maintient l'épouse sous l'emprise du mari, il se 

laisse aller à un soupir dépité. À quoi bon continuer le débat, à quoi bon 

croiser le fer avec la juridiction suprême puisque "les particuliers et les 

notaires ne risqueront pas la chance d'un procès en nullité avec l'autorité de la 

Cour de cassation contre eux, pour obéir à une conviction scientifique". La 

suprématie accordée à la Cour par l'auteur dure cependant moins que 

l'introduction de son commentaire d'arrêt. Le dépit affiché n'était que 

rhétorique. Prenant son parti de la solution, Labbé concède aux juges le 

pouvoir d'énoncer des règles qui pratiquement s'appliqueront. Il recherche 

alors les moyens d'éclairer la pratique pour étendre cette solution particulière 

à des cas voisins, car "malheureusement, les faits qui se succèdent dans la 

pratique ne se ressemblent jamais de façon complète et pour être en sécurité, 

il faut savoir quel est le principe dont la chambre civile a fait application". La 

suite sera une critique de la solution posée. Confondant "libre administration" 

et "simple administration", favorisant abusivement le mari, la Cour s'oppose 

aux thèses défendues par Aubry et Rau et Demolombe. "Impassible dans sa 

fonction d'interprète du passé, [elle] resserre les liens de son autorité au risque 

de la compromettre (182) ". Il termine par une réflexion sur la place de la Cour 

de cassation dans le concert des interprètes. Pendant que cet arrêt affirme que 

la question posée avait été "l'objet d'une controverse entre les auteurs qui 

n'avait pas encore reçu de solution juridique (183) ", Labbé questionne les 

méthodes de la juridiction suprême et renverse l'argument pragmatique 

devant lequel il paraissait céder en introduction. Ce n'est pas tant la portée de 

l'arrêt qui motive la critique de Labbé que l'incapacité des magistrats à saisir le 

(180) D. DALLOZ et Ch. VERGE, "Propos en ouverture de la table alphabétique des vingt-deux années du recueil 

périodique de jurisprudence, de législation et de doctrine (1845 à 1867)", Paris, Dalloz, 1867. 

(181) Cass. civ., 2 décembre 1885, S.1886.1.97, note LABBE. 

(182) J.-E. LABBE, note Cass. civ., 2 décembre 1885, précité, p.97. 

(183) J.-E. LABBÉ, ibidem, p.97. 

58

concret. L'application de la loi doit se concevoir dans le mouvement social. 

Les solutions énoncées hors de toute analyse historique et empirique n'ont pas 

vocation à perdurer, et la controverse prétendument close par l'arrêt conserve 

en vérité toute sa force. 

L'image doctrinale de la doctrine se déduit de ce raisonnement. Si les 

professionnels craignent de voir leur responsabilité engagée sur le fondement 

d'une erreur de droit pour avoir méconnu une solution affirmée par la Cour et 

si la pratique se place dans un rapport de sujétion vis-à-vis de la juridiction 

suprême, la doctrine, elle, reste libre de faire évoluer par la critique des 

positions qui heurtent ses convictions scientifiques. Le plaidoyer d'Esmein 

pour la jurisprudence est déjà présent dans les questions posées par Labbé, 

mais il s'agit de ne pas sauter la première étape de la métamorphose. Avant 

d'accorder à la Cour de cassation le pouvoir de faire le droit, encore faut-il 

qu'elle change de méthodes et en vienne à des raisonnements moins 

dogmatiques, moins rigides, où la raison d'être des textes doit être 

contemporaine de l'interprétation. Les lois conservent leur statut de 

contraintes interprétatives premières, cela va sans dire, mais ils faut leur 

adjoindre des raisonnements permettant de comprendre des questions 

inédites, questions qui ne trouvent pas de réponse dans la loi. En fait, la 

permanence du Code civil et les critiques portant sur la désuétude de 

l'intention du législateur comme guide des raisonnements, placent les 

arguments naturalistes et conséquentialistes en première ligne. Et en ce sens 

Labbé se méfie de la loi que le législateur pose pour renverser une 

jurisprudence, "car une interprétation qui a prévalu avec constance devant les 

tribunaux, a fondé, au profit des particuliers, des attentes aussi légitimes que la 

loi elle-même (184) ". L'image de la loi s'est troublée ; la doctrine en esquisse déjà 

une nouvelle à travers celle de la jurisprudence. 

PARAGRAPHE 2. L'IMAGE DOCTRINALE DE LA JURISPRUDENCE 

31. Esquisse - Labbé utilise continûment des arguments utilitaires et 

pragmatiques contre la rigueur excessive de l'interprétation : "Il faut traiter 

humainement les choses humaines. La logique à outrance conduit à 

(184) J.-E. LABBE, note au S. 1886.2.1. 

59

l'injustice ; elle suppose dans l'établissement et la formule des principes une 

perfection qui n'est pas de ce monde (185) ". Il développe ainsi des arguments 

tenant à la nature des choses associés à des arguments d'utilité sociale. Le rôle 

que s'assigne la doctrine est en train de changer. La glose change de nature. 

Elle assoit dans une perspective réaliste le commentaire d'arrêt et le 

développement des concepts jurisprudentiels. Mme Serverin remarque à juste 

titre que "l'aspiration de Labbé, partagée par nombre de juristes de son 

époque, était de parvenir à donner une réponse juridique à toutes les 

situations sociales et économiques nouvelles". Les juristes deviennent "les 

agents efficaces d'un processus de médiation juridique des intérêts, articulant 

les demandes contradictoires des partenaires sociaux, et l'univers unifié des 

théories juridiques (186) ". En présence de difficultés, la critique est franche, 

éminemment politique. Le légalisme de ces auteurs consiste le plus souvent en 

une admission de la nature comme principe décisif. Mais les solutions ne sont 

pas données d'elles-mêmes ; elles sont l'expression juridictionnelle d'un savoir 

doctrinal controversé. Pour Labbé, cela ne fait aucun doute, la doctrine 

participe à l'élaboration des règles jurisprudentielles : "cette question s'est déjà 

présentée devant la justice; elle a été discutée et résolue par les auteurs (187) ". 

L'attitude des auteurs contemporains est moins claire, l'égalité de l'interprète 

n'est pas revendiquée. On y renoncerait apparemment - mais apparemment 

seulement ; le légalisme aura pris les traits d'une adhésion à la décision de la 

Cour de cassation. 

32. Le rôle de la doctrine - Trouver la solution conforme à l'ordre juridique est, 

chez ces auteurs, compris sans distinction de l'ordre positif ou naturel. La 

science du droit conçoit le statut des interprètes selon la place qui leur est 

accordée par la loi et selon leur mission essentielle. Mais quelle que soit 

l'origine de son pouvoir, on attend de l'interprète qu'il situe son raisonnement 

en cohérence avec l'ensemble. On touche ici une version ancienne de 

l'Hercule de Dworkin (188) . Valette nous dit à propos de la fonction et des 

devoirs du juge qu'ils consistent à "donner sur chaque affaire une solution 

(185) J.-E. LABBE, note au S. 1884.1.10, 3ème col. 

(186) E. SERVERIN, De la jurisprudence en droit privé, précité, p.121-122. 

(187) Lorsque Labbé dit "résolue", il évoque le débat qui mettait aux prises des auteurs dont les opinions 

divergeaient (Laurent, Demolombe, Berthaud). LABBE, note sous Cass. civ. 17 juillet 1884, S. 1884.1.306; 

comp. A. SERIAUX, "La notion de doctrine", Droits-20 p.67 note 6 : "Nombre de questions juridiques ont été 

résolues par avance par les enseignants". 

(188) R. DWORKIN, L'empire du droit, précité, p.261-262. 

60

quelconque, en interprétant la loi dans le sens le plus plausible, eu égard aux 

textes spéciaux , à l'ensemble de la législation et aux règles de la raison et de 

l'équité (189) ". La bonne solution est celle qui s'accorderait le mieux avec tout ce 

que l'on saurait par ailleurs. Or les commentateurs du XIXème voient 

généralement cet ailleurs épistémologique dans un savoir qu'ils tirent de la 

théologie et d'une réaction rationaliste au droit naturel, ils en usent pour 

déterminer la qualité des règles sujettes à interprétation, pour apprécier 

l'énoncé juridictionnel et pour définir leurs propres opinions. La 

solution (pro)posée par un juge peut être tenue pour vraie ou fausse, certaine 

ou incertaine, exacte ou inexacte (190) . Les opinions des autres auteurs gagnent 

les mêmes qualificatifs. Il faut en retenir que la doctrine de droit privé, 

civiliste ou commercialiste, aspire bien à la détermination des bonnes 

solutions, idéalement uniques, certaines et vraies. "Rechercher et déterminer 

le véritable sens, pour l'application des lois aux cas particuliers, est ce que l'on 

appelle interpréter par voie de doctrine (191) ". Elle est néanmoins consciente 

d'être aux prises avec des réalités pratiques et concrètes qui supposent que les 

raisonnements juridiques ne soient pas purement abstraits. Les juristes se 

doivent de suivre "la marche progressive de la société, c'est pour elle qu'ils 

travaillent ; c'est pour elle qu'ils donnent des préceptes et des réponses (192) ". 

Pour ce faire, ce discours doctrinal est scindé en deux genres : l'exposé 

dogmatique et l'exposé controversiste (193) . 

33. L'exposé dogmatique - Parce que le droit doit apporter précision, simplicité 

et unité d'entendement, l'oeuvre de la doctrine se doit d'être claire. Suivant 

l'ordre des Codes dans les traités, par ordre thématique dans les encyclopédies, 

selon des canevas d'ordre et de synthèse dans les notes d'arrêt, les auteurs 

décrivent la vérité juridique. Ce sont Aubry et Rau qui, le plus souvent, sont 

(189) 

A. VALETTE, Explication sommaire du livre 1er du Code Napoléon et des lois accessoires, Paris, Maresq 

Aîné, 1859, p.6. 

(190) 

"La solution principale consacrée par la cour de cassation est inexacte en ce qu'elle donne au mot "laisser" 

de l'art. 757 une limitation que les principes condamnent ; d'autre part, son raisonnement est essentiellement 

vicieux en ce qu'elle décide, sur un point controversé, par une proposition qui soulève elle-même la plus vive 

controverse, et qui est même, malgré ses précédents nombreux en jurisprudence à côté de la vérité juridique”, 

P. PONT, obs. à la Rev. crit. légis. et juris, 1859, tome 14, p.1 s. ; cité par E. SERVERIN, De la jurisprudence en 

droit privé, précité, p.115, remarquant justement que pour Pont, "non seulement le précédent n'est pas une 

référence, mais il est a priori suspect de vouloir forcer la vérité des principes". 

(191) 

A. DEMANTE, Cours analytique de Code civil, 3ème éd., 1895, précité, n°29. 

(192) 

R.-T. TROPLONG, Le droit civil expliqué suivant l'ordre du Code civil, De l'échange et du louage, tome 1, 

préface précitée, p.V. 

(193) 

J. H. ROBERT, "Le cours magistral", AHFD 1985, n°2, p.135 et C. ATIAS, "La controverse et 

l'enseignement du droit", AHFD 1985, n°2, p.107. 

61

cités en exemple pour la qualité de leur entreprise de synthèse. Mais quelle 

que soit la qualité de l'exposé, quelles que soient sa concision et sa clarté, il 

procède toujours de l'idée que les règles posées sont destinées à répondre à des 

questions, et que l'on ne peut échapper à leur examen. L'oeuvre de description 

est donc aussi une présentation des problèmes dans un style, certes éloigné, 

mais hérité des méthodes des anciens jurisconsultes : "La distinction des 

Institutes et des Quaestiones se maintient (194) ". Delvincourt terminait son 

Cours de Code civil par une table alphabétique des questions exposant les 

difficultés à connaître tel point particulier et renvoyant supra à l'exposé 

dogmatique (195) . Les Répétitions écrites de Mourlon en sont un autre 

exemple (196) : en marge du texte de l'exposé dogmatique, l'auteur du manuel 

dispose ses questions comme si le Code civil et son explication en étaient les 

réponses. Curieusement, l'exposé article par article, qui pouvait apparaître très 

suiviste et légaliste, donnera à la doctrine les moyens de discuter les questions 

et les cas délicats en l'obligeant à réfléchir sur la raison d'être du texte 

expliqué. L'exposé synthétique que l'on trouvera dans l'oeuvre d'Aubry et 

Rau, puis plus tard dans celles de Baudry-Lacantinerie ou Planiol, aura pour 

effet d'estomper la pratique du questionnement. Les questions de droit 

n'auront donc pas disparu avec les auteurs du XIXème siècle. Au contraire, la 

doctrine est plus que jamais controversiste. 

34. L'exposé controversiste - Il a pour objet de discuter la question et la 

solution. Les analyses d'arrêts et les brefs sommaires que l'on trouve dans les 

revues juridiques livrent le plus souvent un état des opinions. D'une question 

non résolue par la Cour de cassation, et dont l'annotateur signale son caractère 

inédit, la présentation est interrogative. Parmi tant d'exemples, "la séparation 

des patrimoines prononcée vis-à-vis de tous les cohéritiers, autorise-t-elle le 

créancier qui l'a obtenue, à agir hypothécairement, contre ceux des héritiers 

qui sont détenteurs d'immeubles de la succession, pour la totalité de la 

créance ? (197) ". La réponse à cette question étant discutée tant en jurisprudence 

qu'en doctrine, elle fait l'objet d'un exposé controversiste mettant aux prises 

Duranton et Troplong, principalement. La première thèse, minoritaire, 

considère que l'inscription prise par le créancier du défunt sur un immeuble 

(194) C. ATIAS, Épistémologie juridique, précité, n°3, p.13. 

(195) M. DELVINCOURT, Cours de Code civil, tome III, Paris, Videcocq, 1834. 

(196) F. MOURLON, Répétitions écrites sur le premier examen de Code Napoléon, tome premier, Paris, 

A. Marescq, 8ème éd., par Ch. DEMANGEAT, 1869. 

(197) Cass. civ., 3 février 1857, DP 1857.1.49, note [anonyme]. 

62

de la succession, lui donne le droit de poursuivre le paiement de la totalité de 

la créance contre l'héritier détenteur de l'immeuble et ce, eu égard au principe 

d'indivisibilité de l'hypothèque qui tempère l'interprétation du principe 

concurrent de la divisibilité de plein droit des dettes du défunt entre les 

héritiers. La seconde thèse, majoritaire, oppose que la séparation des 

patrimoines est absolument indépendante du système hypothécaire, de sorte 

que le principe de l'article 1220 du Code civil doit s'appliquer en l'absence de 

dérogation expresse. Le compte rendu de chaque argumentation est concis 

mais les arguments sont détaillés. Aux arguments de textes tirés des articles 

1220 et 2111 du Code civil répondent des arguments tirés de la raison d'être des 

mêmes textes et tenant à la nature de la séparation des patrimoines ; les 

arguments conséquentialistes sont formulés de manière sceptique pour rendre 

compte de l'inopportunité pratique de la thèse adverse ou pour dénoncer son 

incohérence. Alors que la Cour de cassation n'a pas répondu à la question, 

l'annotateur, mettant en parallèle deux thèses doctrinales, chacune étayée de 

références à des arrêts de Cour d'appel contradictoires, ne dénonce pas 

l'incertitude causée par une telle situation. Lorsque la jurisprudence est 

hésitante, le juriste, en prise à une certaine anxiété, est censé s'en remettre à 

l'autorité doctrinale pour rédiger ses argumentations et doit utiliser ces 

incertitudes d'interprétation comme autant d'événements encourageant par 

exemple une meilleure qualité de rédaction des actes (198) . En effet, bien qu'elle 

soit déjà présente, on rencontre encore peu cette rhétorique sécuritaire qui 

fleurira au XXème siècle. Lorsque la position de la Cour de cassation est 

combattue par la doctrine, ce n'est jamais véritablement parce qu'elle a changé 

ou s'est nuancée, c'est parce que la solution adoptée était fausse, erronée, 

incomplète, maladroite, en fait, non conforme à un ordre juridique 

transcendant. L'insécurité et l'instabilité ont même des vertus (199) : Troplong, 

comparant le bail à colonage au bail à ferme, considère que le fermier, dans 

(198) Pour une question où la Cour de cassation s'est montrée particulièrement hésitante, à propos de 

l'interprétation de l'article 369 du Code de commerce qui déterminait les événements de mer auxquels était 

attachée la faculté de délaissement, Cass. civ., 20 janvier 1869, DP 1869.1.361 note [anonyme] : "Il sera donc 

prudent qu'à l'avenir les polices d'assurances énoncent avec soin que la condition d'une perte matérielle 

qu'elles imposent à l'exercice du délaissement sera obligatoire même pour le cas de naufrage. C'est là 

l'enseignement qu'on doit tirer des incertitudes de la jurisprudence sur la portée véritable de la clause qui 

prescrit cette perte, soit qu'elle puisse être l'objet d'une interprétation juridique soumise au contrôle de la Cour 

de cassation, comme le font supposer les arrêts de 1840 et 1850, soit qu'elle appartienne à l'appréciation des 

juges du fait, comme le décide l'arrêt de 1857 ". 

(199) v. [anonyme], note sous Cass. civ., 22 décembre 1845, DP 1846.1.5 : "Malgré la juste anxiété que répand 

l'incertitude de la jurisprudence dans des questions aussi graves que sont les questions d'état, on se félicite 

cependant de voir la cour suprême abandonner l'opinion qu'elle n'avait émise qu'après hésitation et partage". 

63

une situation plus incertaine, permet à l'agriculture de se développer, alors 

que "d'un autre côté, la sécurité dans les rapports du métayer et du maître, 

chose excellente en soi, favorise cependant l'esprit de routine trop naturel au 

paysan ; elle le maintient dans un état d'immobilité nuisible à son bien-être, 

nuisible aussi à l'agriculture (200) ". La parabole peut paraître audacieuse mais 

elle traduit assez bien l'esprit et le sens de la revendication de certitudes par 

les auteurs du XIXème siècle. L'incertitude remplit sa part de contribution au 

progrès et l'exposé controversiste participe de la connaissance du droit. Aussi 

bien chez les auteurs de traités que chez les arrêtistes. Si aujourd'hui, et c'est 

heureux, la doctrine utilise encore ce genre pour affirmer que la controverse 

est close ou pour la relever de son tombeau, la proportion des exposés 

controversistes par rapport aux exposés dogmatiques est considérablement 

plus faible. Elle est même presque inexistante dans les manuels (201) alors que, 

dans les anciens traités, Demolombe ou Marcadé s'en prenaient directement 

aux écrits de leurs maîtres. À ne lire que Troplong, on a le sentiment très vif 

que Duvergier, continuateur de Toullier, n'avait rien entendu de la vileté du 

prix (202) . Pont malmène les opinions de Troplong, à propos de l'interprétation 

des articles 2093 et 2094 du Code civil, pour conclure que sa "doctrine n'a pas 

prévalu et (…) qu'elle ne devait pas prévaloir (203) ". Cela n'est pas qu'une 

affaire de style. La polémique n'est pas recherchée si elle ne sert pas les 

convictions défendues. Il y a au-delà de la forme, la conscience de peser sur 

l'évolution des solutions. Quand Labbé s'interroge sur le fait de savoir si "une 

société civile peut se constituer en société anonyme ou si ses statuts peuvent 

borner la responsabilité de ses membres envers les créanciers sociaux à la 

perte de leurs mises (204) ", il ne manque pas d'introduire le débat en 

remarquant que la question était "vivement agitée entre les jurisconsultes", et 

bien qu'elle ait reçu dans l'arrêt commenté "une solution conforme à la 

jurisprudence dominante, elle reste susceptible (…) de vigoureuses critiques". 

La présentation des problèmes juridiques suit un canevas rarement 

(200) 


préface précitée, p.XCVII. 

(201) 

Ph. JESTAZ, "Déclin de la doctrine ?", Droits-20, p.91. 

(202) 


précité, p.60-64 ; pour une défense de Duvergier contre les attaques incessantes de Troplong, voir CHENU, 

"Éloge de Duvergier", Discours prononcé à la rentrée de la conférence des Avocats le 29 novembre 1880, in 

Mélanges de Jurisconsultes modernes, Bibl. universitaire d'Aix-en-Provence, cote 36106. 

(203) 

V.-N. MARCADE, Explication théorique et pratique du Code civil, Des privilèges et des hypothèques, 

Paris, Cotillon, par P. PONT, 1856, p.14. 

(204) 

J.-E. LABBE, note sous Cass. req. 21 février 1883, S. 1884.1.361. 

64

abandonné. Premièrement, la question est posée. Elle est, deuxièmement, 

annoncée controversée. Troisièmement, elle est illustrée de décisions 

constantes ou d'opinions autorisées, pour être, quatrièmement, contredite. La 

rhétorique utilisée est sur ce point très classique. Elle permet aux auteurs 

entrés en dissidence de développer un rapport dialogique pour s'opposer à une 

jurisprudence fixée. La doctrine défend parfois une solution différente (205) ou, 

à solution identique, un raisonnement distinct (206) . La présence de ces notes 

controversistes donne à l'image doctrinale de la jurisprudence une teinte 

particulière. 

En dehors d'une déférence pour la fonction des hauts magistrats, les 

auteurs défendent leurs thèses, celles qu'ils considèrent les plus vraies. Loin 

d'être suivistes, les grands arrêtistes se félicitent d'avoir été suivis ou invitent 

les juridictions à le faire. C'est la doctrine qui montre la voie. Lorsqu'un 

auteur est minoritaire, que sa thèse est dissidente, il n'hésite pas à faire savoir 

que l'opinion adverse est fausse. L'image doctrinale de la Cour de cassation est 

alors fonction des questions pratiques. Les auteurs ne sont jamais en désaccord 

sur tout, ni n'approuvent toujours les conséquences d'une solution. La Cour de 

cassation reçoit les critiques doctrinales, comme la doctrine intègre la 

constance ou les hésitations jurisprudentielles. Les deux autorités échangent et 

dialoguent. Il est bien nécessaire de dissocier les rapports particuliers que 

chaque auteur entretient avec la Cour de cassation pour les questions qui lui 

tiennent à coeur, des considérations générales sur l'ordre juridique qu'il sera 

amené à livrer. L'image doctrinale de la Cour de cassation ne se réduit pas à 

des généralités et le passage vers le XXème ne s'est pas fait en 1899 (207) . 

35. Charnière - La dernière période du XIXème siècle que Bonnecase appelle 

celle du "déclin de l'exégèse (208) " est une époque de transition. L'oeuvre de 

Baudry-Lacantinerie, selon M. le doyen Carbonnier, emmène la doctrine vers 

le XXème siècle (209) . Transition du contenu des pouvoirs des autorités, 

transition des pratiques d'écritures et des objets intellectuels de la doctrine. À 

la suite immédiate des auteurs un peu plus anciens emmenés par Labbé, la 

(205) 

Ch. BEUDANT, note sous Cass. civ., 16 novembre 1868, DP 1869.1.73. 

(206) 

A. ESMEIN, note sous Cass. req., 12 juin 1884, S. 1884.1.257. 

(207) 

Comp. Ch. PERELMAN, Logique juridique, précité, n°16, p.23 et l'idée que l'ouvrage du doyen Gény, "a 

sonné le glas de l'exégèse". 

(208) 

J. BONNECASE, La pensée juridique française de 1804 à l'heure présente, tome 1, Bordeaux, Delmas, 

1933, p.296 s. 

(209) 

J. CARBONNIER, Droit civil, Introduction, 25ème éd., 1997, précité, [152], p.268. 

65

note de jurisprudence va prendre une place plus importante dans les revues. 

On trouvait aussi jusqu'alors dans les revues des analyses, des commentaires, 

des dissertations, mais on rencontrait principalement des arrêts, des rapports 

de conseillers, et pour la doctrine de sommaires observations non signées. Les 

notes d'auteurs étaient somme toute minoritaires ; elles le resteront encore 

cependant, jusqu'à ce que la forme de la publication change. Pendant le 

XIXème siècle, les principales revues qui publient les arrêts de la Cour de 

cassation, Recueil Dalloz et Sirey, disposèrent les commentaires en bas de page 

et en parallèle avec la décision. Au XXème siècle, les commentaires seront 

disposés à la suite de l'arrêt. C'est un signe difficile à interpréter qui montre 

un retrait apparent de la doctrine et sa traduction d'un point de vue éditorial. 

C'est un basculement de la doctrine vers une attitude qui va tenir pour 

normative l'autorité juridictionnelle de la Cour de cassation (210) . 

36. Autorité normative ? - Dans les années 1880-1890, il faut avouer que le 

pouvoir normatif accordé à la jurisprudence est bien timide. L'idée d'Aubry et 

Rau domine nettement que si "la jurisprudence a puissamment contribué aux 

progrès de la science du droit (…), quelle que soit l'autorité qui s'y attache, et 

alors même qu'elle serait constante sur tel ou tel point de droit, elle ne forme 

jamais une règle juridiquement obligatoire pour les citoyens ou pour les 

tribunaux. Si l'intérêt général demande que le juge ne s'écarte pas, sans graves 

motifs, des solutions consacrées par la jurisprudence, il est cependant de son 

devoir de ne pas se laisser arrêter par des précédents dont la doctrine ou 

l'expérience lui aurait démontré l'erreur ou les inconvénients (211) ". Tout 

comme la raison d'être de la loi peut être affectée par le temps, une 

interprétation ou une solution peuvent même souffrir de leur permanence. 

L'inclination de la doctrine de la fin du XIXème siècle à rénover le dogme de 

la loi entraîne également une défiance à l'égard des précédents (devenus 

brocards) trop rigidement appliquées. G. Démante manifeste cette réticence à 

tenir pour acquise une interprétation toujours répétée en doctrine. A propos 

de l'application du principe selon lequel "l'effet déclaratif n'est attaché qu'aux 

partages qui font cesser complètement l'indivision entre tous les ayants droit", 

l'auteur met en garde l'interprète et l'invite au discernement ; il n'empêche 

(210) 

E. SERVERIN, De la jurisprudence en droit privé, précité, p.107 s.; C. ATIAS, "L'ambiguïté des arrêts de 

principe en droit privé", JCP 1984.I.3145. 

(211) 

Ch. AUBRY et Ch. RAU, Cours de droit civil français, tome 1, 5ème éd., 1897, par RAU et FALCIMAIGNE, 

n°39 bis, p.192. 

66

pas l'efficacité d'un partage partiel en nature, lotissant un ou plusieurs des 

cohéritiers, alors même que les autres demeurent entre eux dans l'indivision. 

La méfiance de l'auteur concerne cette façon de répéter un principe devenu 

tralatice depuis cinquante ans. S'il reconnaît cependant l'autorité des 

précédents, ce n'est qu'à la condition "que le principe s'impose absolument 

dans la pratique" et il ajoute en guise de conclusion critique : "je souhaite du 

moins qu'on en modifie la formulation. Avec la formule usitée, il semble qu'il 

y ait une contradiction dans les termes, et il faut un grand effort d'esprit pour 

admettre comme une simple limitation du principe une proposition qui, à 

première vue, paraît en être la négation directe (212) ". Devant le vieillissement 

prétendu des codes, il y a les auteurs qui souhaitent l'intervention du 

législateur et ceux qui estiment la jurisprudence suffisamment mûre pour 

prendre en mains les réformes espérées. Les deux tendances remporteront 

chacune des succès. Mais la diversification des matières, la spécification des 

branches du droit vont faire que le législateur va s'avérer incapable de poser 

des normes générales dans la totalité des domaines du droit. C'est par là, aidée 

par la doctrine universitaire, que la Cour de cassation va combler les 

défaillances de la loi positive et prendre en charge ses mutations en posant des 

arrêts de principe. La doctrine va ainsi se situer en retrait de la Cour de 

cassation. 

37. Une position de retrait apparent - Cette nouvelle situation de la doctrine va 

sans doute conduire à la construction des théories de la cause en droit des 

contrats ou de la responsabilité du fait des choses pour leur consécration par la 

jurisprudence devenue source de droit, mais la doctrine et la jurisprudence du 

XIXème siècle n'avaient-elles pas des constructions doctrinales à mettre à leur 

actif ? La sanction des donations déguisées, l'étendue donnée à la notion 

d'inexistence ou l'avènement de l'action de in rem verso montrent que 

l'influence des auteurs fut constructive et que les exposés dogmatiques ou 

controversistes ne furent pas stériles. Mais il est vrai que les premières 

ébauches prétoriennes de la responsabilité générale du fait des choses ont 

donné aux théories doctrinales un retentissement plus important. Dans les 

années 1890, cette dernière question oppose vivement les auteurs, dont 

Saleilles, Josserand et Planiol. Leurs opinions sont divergentes, la 

jurisprudence est également partagée, mais une idée paraît acquise par tous, 

(212) G. DEMANTE, note sous Cass. civ., 23 avril 1884, S. 1884.1.209. 

67

c'est le pouvoir de l'autorité juridictionnelle de peser sur la réforme du droit 

civil. Certes, la jurisprudence n'est pas considérée comme source du droit mais 

le débat sur l'autorité coutumière de la norme prétorienne occupe une place 

importante dans le traitement des questions techniques. Pour convaincre son 

lecteur du mouvement historique qui amènera la Cour de cassation à adopter 

bientôt un système de responsabilité générale du fait des choses, Saleilles 

utilise la rhétorique de solution unique. "Logiquement, il n'y a plus qu'un 

système possible, susceptible de s'adapter avec la réalité des faits et l'évolution 

du droit, c'est celui de la responsabilité par le fait des choses : c'est le domaine 

nouveau, particulièrement large et élastique, où viendra prendre place la 

théorie du risque professionnel. Pour le moment, constatons seulement le 

premier pas fait dans cette voie. Il est encore bien timide mais la logique 

juridique ne manquera pas de faire produire au système toutes ses 

conséquences (213) ". 

Il y a dans cette phrase tout une conception du rôle de la doctrine et de son 

relais normatif, la Cour de cassation. L'histoire des faits sociaux conduit le 

savoir juridique à s'adapter et à concevoir des systèmes appropriés que la Cour 

de cassation appliquera. L'inévitable écoulement du temps doit inviter les 

acteurs de la vie juridique à anticiper sur le cours des événements pour qu'ils 

tirent des prémisses d'une évolution les conséquences probables à terme. Qui, 

mieux que personne, est capable de définir le futur juridique ? La logique 

juridique. Saleilles efface la doctrine au profit de la logique. La neutralité de la 

doctrine commence ainsi à poindre sous cet artifice argumentatif. Le savoir 

juridique sera "objectif" en taisant le rôle de la doctrine, et bien qu'il soit sousentendu 

que les acteurs de la vie économique devront s'intéresser aux 

nouvelles méthodes juridiques pour comprendre les temps à venir, cette 

rhétorique fait du droit un savoir indépendant formellement du sujet 

doctrinal. Le contenu des normes prétoriennes, lui, est naturellement issu, en 

toute neutralité, de l'interprétation scientifique. Dans le même sens, Planiol 

compare la doctrine à l'opinion publique et se situe loin, comme en retrait. "La 

doctrine joue dans la science du droit à peu près le même rôle que l'opinion 

publique en politique, et ce rôle est considérable ; c'est elle qui donne 

l'orientation ; elle prépare de loin beaucoup de changements de législation et 

(213) R. SALEILLES, note sous Cass. civ., 16 juin 1896, DP 1897.1.433, spéc. p.437, 1ère col. ; voir également, 

L. JOSSERAND, De la responsabilité du fait des choses inanimées, Paris, Rousseau, 1897, p.66 et s. 

68

de jurisprudence, par l'influence de l'enseignement (214) ". Cet accord sur le rôle 

et le pouvoir de la doctrine n'empêche pas ces deux auteurs d'avoir de 

profondes divergences sur la question de l'interprétation de l'article 1384 du 

Code civil. Quelques années plus tard, alors que la Cour de cassation n'aura 

pas tiré, à l'invitation de Saleilles, les conséquences inévitables qu'imposait la 

logique juridique, Planiol se félicitera de la "condamnation de l'opinion 

nouvelle qui veut rendre le propriétaire responsable en sa seule qualité (215) ". 

38. La transition - L'image doctrinale de la Cour de cassation est clairement en 

mutation à partir des années 1880. Selon Charles Beudant, "c'est par la 

jurisprudence que les controverses juridiques sont résolues, que l'accord se fait 

peu à peu et que les lacunes de la législation sont comblées. On est amené à 

discuter les précédents de la pratique judiciaire comme on discute les textes ; il 

n'y a pas de discussion juridique sans examen des arrêts intervenus sur la 

question. Les arrêts des chambres réunies de la Cour de cassation ne sont pas 

des lois ; mais ils ont une autorité doctrinale considérable ; ils fixent la 

jurisprudence et équivalent presque à des lois" (216) . Quand Gény écrira sa 

Méthode d'interprétation, la transition sera mûre pour que la doctrine fasse 

mine d'oublier l'enseignement de ses prédécesseurs et se donne à la neutralité 

scientifique des sources du droit. 

CHAPITRE 2 

Le temps de la neutralité de la doctrine 

39. Science, spécialité et neutralité - L'éclatement du droit commun et la 

diversification des branches du droit privé conduisent la doctrine à se 

spécialiser. Le vingtième siècle aura la prétention d'être "scientifiquement 

(214) M. PLANIOL, Traité élémentaire de droit civil, tome 1, Paris, Pichon, 5ème éd., 1908, p.47, n°127. 

L'auteur ajoute : "Même quand elle est fixée, la doctrine ne constitue pas une source du droit comme la 

jurisprudence, parce que les commentateurs ne possèdent aucun pouvoir de contrainte. Cependant, c'est dans 

leurs livres, c'est par leur enseignement oral que se transmettent les principes scientifiques et les idées 

juridiques dont l'autorité domine la pensée des juges et du législateur lui-même et que l'on appelle tradition". 

(215) M. PLANIOL, note sous Cass. req., 25 mars 1908, DP 1909.1.73. 


Code civil, 1896, précité, n°114, p.121 ; adde C. JAMIN, "L'oubli et la science.", RTD civ. 1994, p.815. 

69

objectif". La prétention théorique à épurer les concepts juridiques de leur 

contenu religieux, moral ou politique, se traduit pour la doctrine de droit 

privé par une propension à neutraliser son propre discours. Elle délaisse le 

discours controversiste et ouvertement prescriptif au profit d'une rhétorique 

descriptive. Cela est d'autant plus sensible que le discours doctrinal véhicule le 

désir de stabilité et de permanence des institutions et des solutions à travers la 

constatation de l'unité du droit (217) . Mais le monde change ; la loi est 

réformée ; le champ de l'unité des solutions se réduit. Le droit éclate en 

branches. Les juristes deviennent spécialistes. Oscillant entre le désir 

d'unification du droit privé par la jurisprudence et celui d'une remise en ordre 

des solutions par la loi, les juristes du XXème siècle vont rénover les méthodes 

de la science du droit (Section 1) pour ensuite réinventer, un temps, 

l'intention du législateur (Section 2) 

Section 1 

La rénovation des méthodes par la scission des interprètes 

40. Les transformations de la science du droit - Les arrêtistes du XIXème siècle 

se plaçaient volontiers dans un rapport d'égalité avec l'interprète 

juridictionnel face à la loi. Pour critiquer, les juristes de ce début de siècle 

installent l'énoncé juridictionnel sur les hauteurs du "pouvoir normatif de la 

jurisprudence". En concédant au juge un pouvoir jurislatif, les théoriciens du 

droit s'octroient le pouvoir d'apprécier le travail des juges ; ils construisent un 

point de vue externe, pur et neutre. L'École de l'exégèse était servile, l'École 

nouvelle sera libre. Toujours suivant le projet de la nouvelle école, on 

s'interroge pour comprendre le rôle de la Cour de cassation. Des thèses et 

leurs théories doctrinales participent à la construction de ce nouveau rapport 

entre les différents interprètes, entre les sources formelles et les sources 

informelles (218) . Elles permettent d'établir les canons de l'appréciation et de la 

critique doctrinale autour du rôle unificateur de la Cour de cassation. Il lui 

appartient "d'assurer l'unité et la fixité de la jurisprudence en France, 

d'apporter dans la mesure du possible un point final à ces divergences et 

(217) J. LEFORT, "De la jurisprudence et de son rôle", Rev. gén. du droit, 1905, p.63. 

(218) J. CHARMONT, "Les sources du droit positif à l'époque actuelle", Rev. de Métaph. et de Morale 1906, 

p.117. 

70

oppositions (219) ". Il faut trouver l'exacte interprétation car "faussement 

interpréter la loi, c'est donner à cette loi un sens autre que son sens véritable, 

c'est lui faire produire des conséquences qu'elle ne doit pas produire (220) ". 

Chose curieuse, pour déterminer ces canons de l'unité et pour les justifier, 

les auteurs n'hésitent pas à s'appuyer sur les orateurs de la Révolution (221) . Le 

déplacement des préoccupations des juristes vers une réflexion théorique et 

méthodologique est sensible, leurs efforts sont louables mais les résultats sont 

inégaux. De l'aveu même du doyen Gény, "ces études manquent de la base 

philosophique indispensable, et, si elles offrent quelques vues intéressantes, 

elles n'ont pu aller au fond des choses, ni résoudre les problèmes capitaux (222) ". 

Le virage devait venir de l'activité théorique, il viendra de l'activité 

technique (223) . 

41. L'activité d'analyse technique - "La jurisprudence est la matière première 

sur laquelle doivent travailler l'écrivain et le professeur (224) ". L'étude des 

procédés techniques de la jurisprudence permettra de mettre au jour le jeu des 

mouvements de l'ordre juridique. Conçu comme une structure historique en 

mutation, finalisée ou non, le droit doit désormais se comprendre et 

s'expliquer par ses changements. Le droit positif figé et dogmatique n'est pas 

réellement l'enjeu de ce débat, parce qu'il n'existe déjà plus. Éclairer l'acquis, 

enregistrer le présent et préparer l'avenir (225) , telles sont les trois tâches de la 

doctrine. En reconnaissant à la jurisprudence un rang supérieur à l'énoncé 

législatif, devenue la seule "loi réelle et positive (226) ", en modifiant donc la 

situation d'égalité des interprètes devant la référence qui avait persisté, la 

doctrine se place en retrait de la Cour de cassation. Pour mieux la contrôler. 

(219) 

Ch. DUBIE, Essai sur la technique des conflits de jurisprudence en droit civil, avec études de cas d'espèce, 

Thèse Toulouse, 1932, p.11. 

(220) 

J. JOLY, De la loi dont la violation peut constituer un moyen de cassation en matière civile, Thèse Nancy, 

1903. p.117. 

(221) 

v. par exemple, L. BONNECASE, Des pourvois en cassation dans l'intérêt de la loi et pour excès de pouvoir 

en matière civile, Thèse Toulouse, 1909, p.15 ; G. MARTY, La distinction du fait et du droit. Essai sur le 

pouvoir de contrôle de la Cour de cassation sur les juges du fait, Thèse Toulouse, 1929, p.206. 

(222) (1) 

F. GENY, Science et technique en droit privé positif, tome I, précité, p.14 note à propos des thèses de 

MICESCOU, Essai sur la technique juridique, Paris, 1911 et CONDOMINE, Essai sur la théorie juridique et sa 

fonction, Lyon, 1912. 

(223) 

C. ATIAS, Épistémologie juridique, précité, n°4, p.14-15. 

(224) 

L. JOSSERAND, Cours de droit civil positif français, tome 1, Paris, Sirey, 2ème éd., 1932, n°94, p.66 à 

propos des orientations nouvelles de la doctrine. 

(225) 

A. ESMEIN, "La jurisprudence et la doctrine", RTD civ. 1902, p.12. 

(226) 

RIPERT Rejoindra parfaitement Esmein sur ce point : "La loi (…) échappe pendant sa vie à la domination 

de son créateur ; (…) si elle guide le juge, elle pénètre dans le milieu juridique par le pouvoir judiciaire chargé 

de l'appliquer et de la faire vivre", Les forces créatrices du droit, Paris, LGDJ, 2ème éd., 1955, n°165. 

71

La Cour de cassation devenue interprète autorisé est dépouillée de son pouvoir 

doctrinal, de sorte que c'est la doctrine qui s'arroge la science du droit. L'École 

de la libre recherche et ses auteurs parviennent à modifier la teneur du travail 

du juriste. Adepte de la méthode historique, Adhémar Esmein ne cache pas 

que ce changement d'attitude méthodologique a pour but d'assurer à la 

doctrine le premier rang des interprètes. Si "les tribunaux … fournissent et 

taillent les matériaux", ils ne sont pas chargés de "construire l'édifice (227) ". 

C'est une quête du pouvoir qui s'annonce, autant que l'édification d'une 

philosophie politique de la doctrine. La lutte pour la jurisprudence est aussi 

une lutte contre le législateur. Si ce n'était pas inhérent aux déclarations 

d'Adhémar Esmein et des rénovateurs, cela le deviendra avec la radicalisation 

du discours doctrinal de Georges Ripert. Les cinquante premières années du 

vingtième siècle se diviseront selon les sillons tracés par deux de ses plus 

grands auteurs. Ce fut avec François Gény que l'on affirma le renoncement au 

dogme de la loi ; ce fut avec Georges Ripert que l'on consacra le culte du 

précédent. 

PARAGRAPHE 1. LE RENONCEMENT AU DOGME DE LA LOI : LE TEMPS DE GENY. 

42. Rénovations du droit naturel et réflexions positivistes - Les exégètes 

auraient trahi l'esprit du code. La science du droit du XXème siècle aura pour 

tâche de le régénérer. J. Bonnecase décrit l'École de l'exégèse comme une 

réaction à la philosophie du Code Napoléon. Alors que Portalis situait 

résolument le Code dans une perspective pluraliste, "en ce sens qu'elle 

admettait comme sources réelles des règles de droit un élément expérimental 

et un élément rationnel, la doctrine de l'exégèse a été, elle, résolument 

moniste, puisqu'elle a refusé en somme toute action effective sur la vie 

juridique à la notion de droit ou de droit naturel. Elle n'a voulu connaître que 

le droit positif et elle s'est située à cet égard dans le cadre de l'ordre étatique 

(…) La conception de l'École de l'exégèse évoque de la sorte par avance le 

système moniste du professeur Kelsen (228) ". Ce parallèle entre le normativisme 

(227) A. ESMEIN, "La jurisprudence et la doctrine", RTD civ. 1902, p.15. 

(228) J. BONNECASE, La pensée juridique française de 1804 à l'heure présente, tome 2, Bordeaux, Delmas, 

1933, p.200-201, n°375. La même assimilation entre Kelsen et l'Exégèse se retrouve chez P. ROUBIER, 

Théorie générale du droit, Paris, LGDJ, 1946, p.271. 

72

et l'École de l'exégèse permet à Bonnecase d'argumenter pour la rénovation du 

droit naturel contre les tentations positivistes. Elles ont déjà gagné le droit 

public ; la doctrine de droit privé doit se montrer vigilante et préserver son 

savoir. En présentant ainsi les théories positivistes comme dévoiement de la 

connaissance juridique, de la même manière que l'exégèse fut une perversion 

de la philosophie de Portalis, Bonnecase résume l'histoire de la doctrine à une 

tension entre les philosophies essentialistes et un mauvais légalisme, entre une 

philosophie de l'expérience et de l'auctoritas, et la prosternation devant le 

culte de la loi et de la potestas. Mais au-delà des considérations traçant à gros 

traits cette description, il faut s'interroger sur les mobiles de Bonnecase et en 

expliquer les contradictions. 

43. La recherche de la vérité - Il est bien difficile de comprendre pourquoi les 

auteurs du XXème siècle ont rejeté en bloc et à ce point leurs prédécesseurs. 

Pour stigmatiser Marcadé, qu'il tient cependant en haute estime, Bonnecase 

en dénonce les écrits polémiques et, en fin de compte, stériles. Il souligne que 

les emportements doctrinaires dont il était coutumier, étaient la manifestation 

de son culte de la vérité. Emporté par sa foi, Marcadé ne cessera de relever et 

discuter les erreurs de ses contemporains (229) , de sorte que l'ensemble de son 

oeuvre en sera affecté. Plus loin, pour louer la méthode et l'enseignement de 

Thaller, Bonnecase relève que ce dernier "empoignait les questions d'actualité 

(…) pour les ramener à leurs données essentielles et les résoudre par 

l'application des principes fondamentaux du droit". Le maître était pris "par le 

jeu de la passion d'enseigner et d'apprendre aux autres à persévérer dans la 

voie de la découverte scientifique, la recherche de ses applications, le culte du 

vrai et du juste". Bien mince est finalement la différence. 

L'ambiguïté du discours de Bonnecase consiste à reconnaître à l'un les 

qualités qu'il nie à l'autre et à mettre entre parenthèses la "période de 

l'exégèse" en déniant toute pertinence à la pensée juridique de cette époque, à 

l'exception d'Aubry et Rau, de La Thémis et de quelques autres (230) , pour 

ensuite expliquer la continuité du processus de formation du savoir juridique. 

Ce raisonnement qui évince plus de la moitié du XIXème siècle conduit à lier 

la science du droit du XXème aux discours préparatoires du Code civil et à 

l'oeuvre philosophique de Portalis. L'année 1804 symbolise l'incontournable 

(229) J. BONNECASE, La pensée juridique française…, tome 1, précité, p.335. 

(230) Charles Beudant est lui aussi épargné : "Bien que de la génération des exégètes, il a contribué à réveiller 

les énergies assoupies". v. J. BONNECASE, La pensée juridique française…, tome 1, précité, p.398-401. 

73

point de départ d'une pensée juridique authentiquement française et 

véritablement moderne. Dans sa description historique, le culte n'est pas 

rendu au législateur mais l'esprit du Code et sa valeur philosophique ont tracé 

pour l'avenir un chemin que la libre recherche tâchera de retrouver (231) . Cette 

distorsion permet de critiquer les exégètes et d'affirmer sans paradoxe le désir 

de la doctrine contemporaine de redonner au droit et à la jurisprudence le 

souffle que le premier législateur lui avait insufflé. Revenir à la nature. "Même 

si l'on admet que le Droit est une science purement expérimentale, il faut 

reconnaître que la recherche de la nature juridique des institutions est pour 

lui une tâche inéluctable (232) ". 

Dans un autre registre, plus acerbe cependant, Edouard Lambert décrit les 

méthodes étroites et mesquines de "l'École des interprètes du Code civil", "leur 

mépris absolu et leur ignorance systématique de la pratique 

extrajudiciaire (233) ". Ce n'est pas la nature des choses qui guidera Lambert mais 

la volonté de découvrir les instruments permanents du droit à travers les 

sciences sociales comparées. 

Une explication de cette curée scientifique ne se trouverait ni dans le 

renouvellement des questions de droit, ni dans la rénovation des codes, mais 

dans le contenant du savoir juridique. La formation des juristes a changé et au 

XXème siècle, "l'exégèse ne convient plus à des juristes dont la culture et la 

formation ne sont plus celles des Demolombe, Marcadé, Troplong … C'est 

l'interprétation qu'il faut rajeunir" (234) . L'évolution des techniques, la 

(231) "L'École de la libre recherche scientifique" en France et le "mouvement du droit libre (Freirecht 

Bewegung)" emmenés par H. Kantorowicz, E. Zitelmann, G. Radbruch en Allemagne connaissent des 

développements parallèles et une réelle communauté de pensée, mais il est difficile de déterminer les 

influences réciproques de ces deux mouvements d'idées. Néanmoins, initiateur de l'École française et 

connaisseur du mouvement allemand, Gény rédige dans l'épilogue de la deuxième édition de Méthode 

d'interprétation et sources en droit privé positif de 1919 un chapitre consacré au "mouvement du “ freies 

Recht ” (libre droit) dans les pays austro-allemands" (tome 2, n°205 s., p.330 s.). On y devine que les oeuvres 

des auteurs allemands séduisent Gény, mais celles-ci ne sont pas déterminantes de sa pensée déjà solidement 

établie. Voir également G. FASSO, Histoire de la philosophie du droit, XIXéme et XXème siècles, trad. par 

C. Rouffet, Paris, LGDJ, 1974, p.155. 

(232) J. BONNECASE, "Science et tradition en droit civil. A propos de la thèse de doctorat de M. J. Carbonnier, 

Le régime matrimonial, Sa nature juridique sous le rapport des notions de société et d'association", tel que 

cité par C. ATIAS, "Métamorphoses de la réalité juridique", Corps écrit 26, La métamorphose, Juin 1988, 

p.30-31. 

(233) E. LAMBERT, Études de droit commun législatif, tome 1, La fonction du droit civil comparé, Les 

conceptions étroites ou unilatérales, Paris, Giard et Brière, 1903, p.819. "Cet injustifiable dédain est la raison 

d'être d'un des défauts les plus apparents que présentent toutes les productions de cette école, qui décrivent 

avec minutie celles-là mêmes des pièces accessoires du mécanisme juridique de 1804 qui, depuis longtemps 

sont hors d'usage". 

(234) C. ATIAS, "Philosophie du droit : les enjeux d'une fin de siècle", in G. PLANTY-BONJOUR et R. LEGEAIS 

(dir.), L'évolution de la philosophie du droit en Allemagne et en France depuis la fin de la seconde guerre 

mondiale, Paris, PUF, 1991, p.235. 

74

naissance des sciences sociales, la diffusion de l'épistémologie contribuent à ce 

que des auteurs s'appuient sur des savoirs renouvelés. La théologie chrétienne 

ne fournit plus seule les méthodes d'interprétation et, en tout état de cause, 

l'herméneutique du XXème siècle intègre les pensées scientifiques et 

renouvelle son approche de la connaissance objective. Les théoriciens français 

se tournent vers la philosophie des sciences, l'ethnologie naissante (235) , la 

sociologie, l'économie et les philosophies utilitaristes qui accompagnent le 

développement du capitalisme. Ils prétendront trouver dans ces nouvelles 

sciences les outils conceptuels d'une redéfinition de l'objet de leur savoir, mais 

loin de concevoir une science du droit au sens kelsénien, la définition qu'ils 

donneront de l'objet droit sera ontologique. L'oeuvre du doyen Gény en sera 

le modèle. 

44. Gény le rénovateur - Pour présenter l'homme et l'oeuvre, il ne suffirait pas 

d'une thèse tout entière (236) . L'idée est en fait de rendre compte du regard que 

ce grand auteur portait sur la rénovation méthodologique de la fin du XIXème 

siècle de façon à dissiper un certain nombre de malentendus. Dans les "Études 

Ripert", Gény publie un article intitulé "L'évolution contemporaine de la 

pensée juridique dans la doctrine française (237) " et en quelques pages, retrace 

trois-quarts de siècle d'histoire de la doctrine. La méthode d'interprétation des 

lois enseignée alors qu'il n'était encore qu'étudiant, était faite de "procédés 

étriqués et stériles" et les traités des grands auteurs n'étaient pas véritablement 

accessibles aux débutants. C'est là une remarque qui nous paraît importante. 

La conviction de Gény selon laquelle il faut changer de méthode, s'appuierait 

sur une insatisfaction d'étudiant. Peut-être est-ce là grossir le trait, mais 

comparant les Répétitions écrites de F. Mourlon, ouvrage rudimentaire, au 

Cours de Code civil de Demolombe ou Cours de droit civil français d'Aubry et 

Rau, il dissocie deux doctrines. La doctrine des débutants et celle des initiés. 

L'ambition de Gény aura-t-elle consisté à rendre la théorie accessible aux 

débutants ? Sans conteste. Son but était de convaincre les auteurs de regarder 

au-delà d'un monde juridique prétendument clos. Mais les raisonnements des 

(235) 

Les oeuvres d'H. SUMNER-MAINE sont abondamment utilisées par E. LAMBERT, Études de droit commun 

législatif, tome 1, précité, p.219. 

(236) 

P. KAYSER, "François GENY, le Professeur et l'Homme", in Le centenaire de François Gény, Paris, 

Dalloz, 1963, p.1 ; M. TOUTSAKOVITCH, Élaboration scientifique du droit positif dans la conception de 

François Gény, Thèse Paris, 1939. 

(237) 

F. GENY, "L'évolution contemporaine de la pensée juridique dans la doctrine française", in Le droit privé 

français au milieu du XXème siècle, Études offertes à Georges Ripert, tome 1, Paris, LGDJ, 1950, p.3. 

75

grands auteurs du XIXème siècle étaient-ils aussi abscons et stériles que le 

laissera entendre l'École de la libre recherche scientifique ? C'est très douteux. 

Des supports différents de la connaissance juridique coexistent, chacun ayant 

une vocation plus ou moins théorique. L'augmentation et la diversification des 

supports de diffusion des données juridiques seront-elles un signe de la 

meilleure qualité des raisonnements ? C'est encore plus douteux. Mieux vaut 

organiser que compiler. 

D'une manière analogue à ce qu'avaient fait les auteurs du XVIIIème siècle, 

Gény va tenter de réorganiser la science du droit français. La doctrine est plus 

que jamais hétérogène et, à cette époque, commencent véritablement à se faire 

sentir les influences des philosophies positivistes - Roguin, par exemple, se 

réclame de John Austin et publiera en 1923 une Science juridique pure (238) , 

Duguit cite abondamment Comte et se réclame de Durkheim (239) et Marty 

s'appuiera sur Cournot (240) . Gény n'est d'ailleurs pas étranger à cela. Loin 

d'adhérer à toutes ces théories nouvelles, il n'a de cesse de les présenter pour 

en juger la pertinence de sorte que grâce à la large diffusion de ces ouvrages, 

ce sera l'ensemble de la philosophie des sciences qui se révélera à la 

communauté des juristes. Cela lui sera du reste reproché au titre d'un 

éclectisme incohérent (241) . Curieusement, Leibniz et Gény auront essuyé les 

mêmes critiques et leurs démarches philosophiques auront finalement été 

assez proches. Pour chacun, la remise en ordre du droit prendra la forme 

d'une rénovation du droit naturel (242) . 

45. Le "donné" et le "construit" - Le renouveau que Gény propose au-delà de 

l'abandon du culte du législateur infaillible et omniscient est sans aucun doute 

une théorie naturaliste. Il l'affirme et le revendique (243) . Mais la perspective 

(238) 

E. ROGUIN, La science juridique pure, tome 1, préface précitée, p.IX citant J. AUSTIN, Lectures on 

jurisprudence, trad. française, La philosophie de l'ordre positif, M. G. Henry éd., 1894. 

(239) 

notamment L. DUGUIT, Les transformations générales du droit privé depuis le Code Napoléon, Paris, 

F. Alcan, 1912, p.13-14 et p.29 ; D. SALAS, "Droit et institution : Léon Duguit et Maurice Hauriou", in 

P. BOURETZ (dir.), La force du droit, Paris, Esprit, 1991, p.196 ; voir également l'analyse faite par F. GENY de 

la pensée de L. Duguit, Science et Technique en droit privé positif, tome II, précité, p.190 et s., n°115 et s. 

(240) 

G. MARTY, La distinction du fait et du droit, précité, p.200. 

(241) 

F. TERRE, "En relisant Gény", APD 1961, p.125 ; M. VILLEY, "F. Gény et la renaissance du droit 

naturel", in Seize essais de philosophie du droit, Paris, Dalloz, 1969, p.137. M. Villey faisait observer l'aspect 

trop éclectique de ses inspirations et, tout en louant les efforts accomplis en faveur de la renaissance du droit 

naturel par l'auteur de Méthode d'interprétation et sources, il ne manquait d'en constater l'échec. 

(242) 

J.-L. SOURIOUX, "La doctrine française et le droit naturel dans la première moitié du XXème siècle", 

RHFD 1989, n°8, p.155. 

(243) 

F. GENY, Méthode d'interprétation et sources en droit privé positif, tome 2, 2ème éd., 1919, précité, 

n°160, p.93. 

76

d'une recherche ontologique se dessine également sous l'influence des 

théories réalistes. La recherche de la vérité ne peut se satisfaire des contraintes 

fixées et figées tant par la loi positive, que par une quelconque attitude 

légaliste et Gény entend certainement libérer la doctrine non seulement de la 

loi obscure mais plus encore d'une attitude se satisfaisant d'énoncés 

méthodologiques non-empiriques. C'est en ce sens que se conjuguent unité et 

vérité. "L'idéal d'unité, de simplicité, d'immobilité vers lequel tend toute 

connaissance ne semble pouvoir être atteint qu'aux dépens de la vérité 

toujours essentiellement variée, complexe et mouvante (244) ". L'objectif de la 

libre recherche est d'accéder à la détermination d'un "droit commun, général 

par sa nature, subsidiaire par son office, qui supplée aux lacunes des sources 

formelles, et dirige tout le mouvement juridique". Et pour atteindre cet 

objectif, il s'agit de préciser le champ et la matière des investigations. "D'une 

part, interroger la raison et la conscience pour découvrir en notre nature 

intime les bases mêmes de la justice ; d'autre part, s'adresser aux phénomènes 

sociaux, pour saisir les lois de leur harmonie et les principes d'ordre qu'ils 

requièrent. Telle est la double tâche à remplir, la seconde ayant sa base ferme 

dans ce qu'on peut appeler “la nature des choses positive”, représentée par 

l'ensemble des conditions qui forment comme l'atmosphère de la vie juridique 

extérieure (245) ". Le coeur de la thèse de Gény est là. 

46. La nature des choses positive - À lui seul, ce concept transporte la réflexion 

sur l'ordre juridique d'une vision statique vers une approche dynamique et 

traduit bien l'évolution de la pensée juridique française. Les choses ont une 

double nature (246) . Cela permet de concevoir des interprétations et des 

solutions pratiques, telles qu'il y ait un ajustement permanent de la norme au 

cas. Car il s'agit pour Gény de réfléchir sur la valeur normative du recours à la 

nature des choses. La nature des choses est de toute évidence, pour le juge, un 

élément décisif du choix de la solution pratique à dégager, ou pour le 

législateur, un guide infaillible de la règle à adopter. Mais la nature des choses 

a une part inconnaissable (ou indicible), de sorte que son indétermination, 

(244) 


(245) 


n°160, p.92. 

(246) 

comp. Ph. JESTAZ, "Amélioration du droit “ l’avenir du droit naturel ou le droit de seconde nature ”", RTD 

civ. 1983, p.233. 

77

certes seulement relative (247) , pèse sur le raisonnement des juristes et ménage 

à l'arbitraire une part considérable. Le législateur étant incapable d'assumer 

seul cette indétermination de la nature des choses, il convient d'élaborer une 

théorie du droit qui permette à la fois de faire prospérer une réflexion 

ontologique, fondée sur la transmission d'un savoir donné par l'expérience 

passée, et d'élaborer pour le présent des principes méthodologiques capables 

d'expliquer les mutations à venir. Pour rendre compte de la modernité du 

droit naturel, Gény et Saleilles définissent un droit naturel à contenu 

variable (248) , qui, sur une base irréductiblement naturaliste, permet de 

concevoir l'activité intellectuelle de construction et de rationalisation comme 

une participation de la doctrine à l'ordre juridique naturel futur. La véritable 

révolution consistera, en quelque sorte, en une tentative d'intégration des 

jeunes théories positivistes dans une philosophie de l'ordre juridique naturel. 

"Si l'on veut faire progresser l'élaboration du droit qui postule avant tout ordre 

et sécurité, il faut dissocier la matière juridique de la forme où elle est 

incorporée, pour assurer à chacun de ces éléments l'efficacité propre qu'il 

comporte. Ainsi nous apparaît la distinction du donné et du construit, de la 

science et de la technique, distinction qui n'est pas tant dans les choses que 

dans la volonté, oeuvre d'action plus que d'intelligence (249) ". 

47. La permanence est un "donné" et le "construit" a vocation à durer (250) - 

Gény défend l'idée que la fonction du juge se limite à dire le droit, à 

l'appliquer, dans le cadre de cas individuels à traiter juridiquement. Il faut 

avoir un droit naturel pour s'opposer au pouvoir discrétionnaire. Ce droit 

naturel est alors conçu comme garde-fou mais tant son statut ontologique que 

son utilisation rhétorique dans la critique et les prescriptions doctrinales, sont 

au pouvoir de l'interprète doctrinal. La rénovation du droit naturel et son 

utilisation participent d'un point de vue épistémologique à la transformation 

du rôle de la doctrine. Cette rénovation consiste à déplacer le rapport d'égalité 

(247) comp. A. SERIAUX, Le droit naturel, Paris, PUF, 1993, p.59 à propos des règles sur la cession de créance : 

"Il existe dans le droit naturel quelque chose d'indéterminé. La raison humaine peut bien s'attacher en 

observant les choses, à découvrir ce qui est naturellement juste, il n'empêche que cette découverte demeurera 

fréquemment imprécise. Elle exprime en quelque sorte ce que les juristes appellent des standards, c'est-à-dire 

des règles générales à faible détermination (l'intérêt de l'enfant, le délai raisonnable, etc…). Toute la mission 

du droit positif consistera à parachever la démarche opérée en termes de droit naturel en fixant une mesure 

précise et concrète de ce qui est juste et de ce qui ne l'est pas". 

(248) R. SALEILLES, "École historique du droit et droit naturel", RTD civ. 1902, p.80. 

(249) F. GENY, "La relativité de la technique juridique", RTD civ. 1935, p.793. 

(250) F. GENY, Science et technique en droit privé positif, tome III, précité, n°182, p.16 (à propos de la 

technique). 

78

des interprètes et des jurislateurs. La loi était au-dessus des interprètes sous 

l'École de l'exégèse, elle sera maintenant à égalité avec les énoncés normatifs 

des juridictions suprêmes. Pour lutter contre le dogme légaliste, la 

jurisprudence est assise en maître de la sécurité dynamique du droit, la fixité 

dans le mouvement, mais dans le même temps, le juge, libéré de la loi, siège 

dans un cadre argumentatif et interprétatif déterminé par la doctrine (251) . 

Autrement dit, l'École de la libre recherche, en érigeant la jurisprudence en 

“ source du droit ” s'assurait de renouveler son pouvoir de contrôle ; ou, pour 

résumer, alors que les exégètes étaient maîtres de l'interprétation de la loi par 

des voies plus controversistes, les jurisconsultes de la Revue trimestrielle de 

droit civil vont s'assurer le contrôle de la jurisprudence et donc de 

l'interprétation de la loi, par l'exposé scientifique et rationnel. 

48. La rénovation de l'objet de la science du droit - "L'effort accompli pour la 

renaissance du droit naturel a pour but de reconnaître et de délimiter un 

terrain commun d'entente à l'usage de tous ceux qui travaillent à faire du droit 

positif. Ceux qui font la loi ne peuvent la faire à leur guise, ils devront se 

conformer à des directions qui les dominent parce qu'elles surgissent de la 

nature même des choses. Et c'est également de ces directions communes que 

devront s'inspirer ceux qui commentent la loi ou qui l'appliquent et que 

déconcertent souvent ses lacunes ou ses obscurités (252) ". Cet effort est au 

demeurant commun à l'ensemble de la philosophie juridique : dégager le droit 

du fait. 

Quand les thèses naturalistes tâchent de découvrir les constantes du droit 

par la voie d'une interprétation axiologique de la tradition et de l'histoire (253) , 

les tenants des thèses normativistes, en particulier Kelsen, construisent un 

objet épuré. Mais Gény et Kelsen ont en théorie le même but : déterminer 

l'objet droit, l'objet de la science du droit (254) . Les deux voies sont évidemment 

bien différentes, elles ont néanmoins en commun l'ambition d'établir une 

sorte d'objet minimal sur lequel tous les juristes pourraient s'entendre. Gény 

(251) 

E. LAMBERT, "La fonction dynamique de la jurisprudence et l'interprétation sociale du droit", Rev. gén. du 

droit, 1904, p.166 s. et p.451 s. 

(252) 

P. CUCHE, Conférences de philosophie du droit, Paris, Dalloz, 1928, p.9-10. 

(253) 

Ed. PICARD, Les constantes du droit, Paris, Flammarion, 1921 ; du même auteur, Le droit pur, Paris, 

Flammarion, 1899, p.8-10. L'ambition théorique de Picard était de découvrir l'ensemble des permanences 

abstraites du droit ; pour un point de vue sévère sur l'oeuvre de Picard, v. J. HAESERT, Théorie générale du 

droit, Bruxelles, Bruylant, 1946, p.56-57. 

(254) 

C. ATIAS, Épistémologie du droit, précité, p.100-101. 

79

voit cet objet dans "l'irréductible droit naturel (255) ", Kelsen le construit de 

manière stipulative comme système hiérarchisé. 

Au-delà de leurs divergences dans la façon de concevoir le monde 

juridique, chaque présentation a son image dans la thèse adverse. Pour Gény, 

la norme fondamentale sera dans une réinterprétation métaphysique de 

l'ordre juridique, ce droit naturel indicible (256) . Et inversement on peut penser 

qu'il assignait à l'existence d'un droit naturel le statut d'un présupposé logique 

transcendantal, un statut identique à la norme fondamentale de Kelsen, 

quelque chose qui existe mais que l'on ne peut énoncer. C'est à la fois donné 

parce que l'on présuppose sa permanence et son immutabilité face aux 

modifications de l'ordre positif construit. Mais c'est aussi construit en tant 

qu'intuition linguistiquement énoncée. "Il n'est pas à méconnaître que le 

construit, oeuvre de volonté artificielle sinon arbitraire, arrive peu à peu à 

augmenter la somme du donné (257) ". Le construit s'incorpore au donné par 

l'expérience et la pratique du juste. 

Cette double nature de la distinction sur laquelle repose l'oeuvre du doyen 

Gény n'est pas véritablement surprenante même si elle paraît parfois 

contradictoire. Sa conception de l'interprétation et son approche 

méthodologique se situent du point de vue de l'interprète dans une logique de 

la découverte, peu importe que les énoncés soient contradictoires si les 

contradictions sont relevées, peu importe les ambiguïtés si elles sont discutées. 

Les propositions de Gény sont soumises par l'auteur lui-même à la critique de 

ses pairs. Ce qui va manquer à l'oeuvre de Gény, c'est sans doute de n'avoir pas 

été comprise par ses contemporains comme une oeuvre d'épistémologie 

juridique sans autre prétention que d'inviter à la réflexion en excipant et 

traduisant les contradictions de la science juridique du début du XXème siècle 

(258) . 

(255) F. GENY, Science et technique en droit privé positif, tome II, Deuxième partie. Élaboration scientifique du 

droit positif (L'irréductible droit naturel), Paris, Sirey, 1915. 

(256) O. CAYLA, "L'indicible droit naturel de François Gény", RHFD 1988, n°6, p.103 ; comp. M. VILLEY, "F. 

Gény et la renaissance du droit naturel", in Seize essais de philosophie du droit, précité, p.135 : "Gény luimême 

a fort bien vu que tout ce que l'on pouvait tirer de la “ raison a priori ” en fait de principe de droit 

naturel, c'était quelque chose d'extrêmement vague et d'incolore et de formel, et pratiquement informulable. 

Cette partie du droit naturel se réduit, Gény le reconnaît, à une simple “ orientation ”, à un “ minimum ”, mais 

un minimum tellement minimal qu'on voit mal en quoi il consiste". 

(257) F. GENY, Science et technique en droit privé positif, tome I, précité, p.97 ; contra J. DABIN, La technique 

de l'élaboration du droit positif, Bruxelles, Bruylant, 1935, p.22-28 : "En réalité, le droit est tout entier 

construit jusque dans sa matière". 

(258) E. SERVERIN, De la jurisprudence en droit privé, précité, p.145 ; adde C. ATIAS, "La mission de la 

doctrine universitaire en droit privé", JCP 1980.I.2999, n°7, "Pauvre Gény ! Le voici trahi une deuxième 

fois". 

80

À l'heure où le positivisme kelsénien ne s'est pas encore imposé et que ses 

avatars critiques ne sont pas encore nés, la théorie juridique dominante est 

largement naturaliste, l'esprit du droit romain souffle sur la théorie du droit 

en Europe. L'oeuvre de Gény se situe à ce point de l'histoire du droit où la 

doctrine va adhérer confusément mais majoritairement à une perspective 

stipulative de l'ordre positif (259) , plutôt qu'à une recherche ontologique. 

Science et Technique semble être une tentative de conciliation de ces deux 

perspectives qui va préparer en quelque sorte l'avènement des théories 

normativistes en France (260) . En somme, la plus grosse faiblesse de la théorie 

de Gény n'est pas interne. Conçue tout à la fois comme un instrument et un 

objet de réflexion pour faire progresser le droit et la pensée juridique, pour 

identifier et étudier des modes de formation du droit qui ne soient que 

formels, elle sera reçue pour légitimer une pratique doctrinale, elle va 

contribuer plus qu'une autre à déplacer le culte de la loi vers le culte de la 

jurisprudence (261) . 

49. La loi et les contraintes interprétatives - Il s'agit de ne pas se méprendre. 

En aucun cas, Gény ne prônera l'abandon de la loi comme guide des solutions. 

L'inflexion qu'il propose laisse le législateur maître de la destinée des lois 

positives (262) , tout en l'invitant à imprimer aux règles nouvelles une vocation à 

durer. Ainsi, "en admettant comme une nécessité de fait, cette permanence du 

matériel légal, ne concevrait-on pas bien tout de même, que l'interprétation 

(259) R. CARRE DE MALBERG, Contribution à la théorie générale de l'État, Paris, Sirey, 1920-1922 dont le 

doyen Gény mène l'examen approfondi : Science et technique en droit privé positif, tome IV, Quatrième 

partie. Rapports entre l'élaboration scientifique et l'élaboration technique du droit positif (Le conflit du droit 

naturel et du droit positif.), Paris, Sirey, 1924, p.241 s. ; v. O. PFERSMANN, "Carré de Malberg et “ la 

hiérarchie des normes ”", in O. BEAUD et P. WACHSMANN (dir.), La science juridique française et la science 

juridique allemande de 1870 à 1918, Strasbourg, PUS, 1997, p.295. 

(260) C. ATIAS, "Philosophie du droit, les enjeux d'une fin de siècle", in G. PLANTY-BONJOUR et R. LEGEAIS 

(dir.), L'évolution de la philosophie du droit en Allemagne et en France depuis la fin de la seconde guerre 

mondiale, Paris, PUF, 1991, p.258. Mais des tentatives de construction normative de théories pures du droit 

sont antérieures à Kelsen ou Gény, voir E. ROGUIN, Étude de science juridique pure, la règle de droit, 

Lausanne, 1889. 

(261) Rappr. J. D. BREDIN, "Remarques sur la doctrine", Mélanges Pierre Hébraud, Toulouse, 1981, p.117 ; 

P. DUBOUCHET, Sémiotique juridique, précité, p.15. L'on notera néanmoins que le culte de la loi n'a pas cessé. 

Par exemple : "Dans l'absolu d'ailleurs il serait préférable, au nom des libertés, de priver les tribunaux de la 

moindre marge d'appréciation. Le principe même d'une interprétation judiciaire est en effet porteur du risque 

de déformation du sens de la loi. Malheureusement le phénomène est inévitable car la loi n'est jamais parfaite 

et le juge au demeurant a l'obligation de statuer en cas d'obscurité ou d'insuffisance de la loi", W. JEANDIDIER, 

Jurisclasseur Pénal, art. 111-2 à 111-5, fasc. 20, "Interprétation de la loi pénale", n°2. 

(262) Ce qui n'est pas le cas des propositions polémiques de A. ESMEIN, "La jurisprudence et la doctrine", RTD 

civ. 1902, p.12 ; ni ne sera la position du doyen RIPERT qui fera du pouvoir normatif de la jurisprudence un 

outil doctrinal contre le pouvoir politique, La règle morale dans les obligations civiles, Paris, LGDJ, 4ème 

éd., 1949, n°15, p.25. 

81

proprement dite, qui applique la loi au jour le jour, suivant les besoins d'une 

civilisation changeante, et au milieu d'un état social sans cesse en mouvement, 

dût s'inspirer des nécessités et des préoccupations du moment, plutôt que de 

tenir les yeux invariablement fixés sur les circonstances et les considérations, 

qui entouraient la naissance de la loi ? (263) " L'auteur s'interroge. En fait, il est 

même réticent à une adaptation sans contrainte de l'interprétation juridique 

au mouvement social, preuve que la loi conserve sa vertu de fixité et de 

stabilité face à l'utilisation que pourraient en faire des juges maladroits ou trop 

prompts à satisfaire des considérations d'opportunité (264) . Mais un juge guidé 

par les principes de la nouvelle méthodologie serait, lui, capable de fournir à 

ses innovations prétoriennes les caractères de stabilité et de sécurité que la 

règle requiert (265) . Le rôle de la loi n'est pas nié mais il est déterminé par un 

rapport à l'autorité normative de la Cour de cassation et l'autorité scientifique 

de la doctrine (266) . Si le législateur reste prépondérant pour assurer l'évolution 

institutionnelle du droit positif, il convient de ne pas faire les erreurs du passé 

qui avaient rivé l'interprétation à l'immobilité du texte (267) . Et bien que la 

subsomption soit présentée par Gény comme le mode idéal de résolution des 

problèmes de droit, appliquée à la recherche du juste, le juge ne doit pas se 

satisfaire de la découverte de la règle applicable. Il doit encore s'efforcer de lui 

donner une consistance propre à saisir le réel. Il est donc soumis à trois 

contraintes formelles - l'autorité de la loi, l'autorité scientifique de la doctrine, 

l'autorité normative de la Cour de cassation - et à une contrainte 

psychologique abstraite qui lui permettra de ne pas s'égarer en de pures 

spéculations fantaisistes (268) . 

(263) 

F. GENY, Méthode d'interprétation et sources en droit privé positif, tome 1, 2ème éd., 1919, p.240 s. ; 

adde H. BROCHER, "L'interprétation des codes", Rev. gén. du droit, 1907, p.55. 

(264) 

F. GENY, Méthode d'interprétation et sources du droit privé positif, tome 2, 2ème éd., 1919, précité, 

p.287-307 critique contre le juge Magnaud ; adde C. ATIAS, "Premières réflexions sur la doctrine française de 

droit privé (1900-1930)", RRJ 1981-2, p.196 : "La méthode de François Gény rend, à l'interprète, sa liberté par 

rapport à la loi absente, silencieuse ou inutilisable. La libre recherche peut s'exercer hors des textes mais elle 

ne peut pas s'exercer dans n'importe quelle direction". 

(265) 


p.270. 

(266) 

F. GENY, Science et technique en droit privé positif, tome IV, précité, p.34 s. 

(267) 

H. DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, tome 1er, Introduction, théorie générale des droit et 

des lois, Bruxelles, Bruylant, 1933, p.17 ; "L'école de l'exégèse avait eu comme programme de river le droit à 

l'immobilité du texte". 

(268) 

rappr. F. GENY, Science et technique en droit privé positif, tome I, précité, p.158, à propos de la 

subsomption : "C'est la mise en oeuvre dans le domaine du droit, de ce sens de l'identité dont on a pu dire qu'il 

était l'ossature de la pensée. Mieux encore, c'est appliqué à la recherche et à la réalisation du “juste objectif” 

l'effet de cette aspiration à l'unité qui caractérise tout effort humain vers la pénétration et la domination des 

choses" et encore F. GENY, Science et technique en droit privé positif, tome I, précité, p.189, à propos du 

juriste face au cas difficile : "La croyance abstraite à la justice est une condition primordiale du droit. 

82

La doctrine, elle, est conçue par sa diversité comme un agent d'adaptation 

des solutions à l'évolution des moeurs mais aussi comme un agent de contrôle 

de cette adaptation. Juge et doctrine sont guidés par des impératifs supérieurs 

relevant tout à la fois de l'essence du droit et de sa finalité. Les interprètes sont 

clairement dépendants des éléments du débat doctrinal, ils ne sont pas des 

créateurs, mais les législateurs ne sont plus maîtres des mutations de la norme. 

"Si le Législateur laisse subsister la loi sans la modifier alors qu'un autre esprit 

anime l'époque nouvelle, c'est apparemment qu'il permet à l'interprète de se 

prononcer suivant l'esprit nouveau (269) ". Et lorsque la loi est incomplète et 

indéterminée, "il existe en dehors d'elle une atmosphère qui la nourrit et 

l'éclaire. La loi positive ne constitue qu'une faible partie d'une science 

juridique dont les règles s'imposent à tous avec une force obligatoire (270) ". Par 

delà la loi, la positivité du droit est un concept qui comprend également les 

lois de mutation de l'ordre juridique, lois qui permettent de prévoir 

l'évolution de l'ordre juridique positif vivant et les solutions prétoriennes. 

Pour contrôler les solutions, il faut aborder la jurisprudence par un examen 

systématique pour en saisir la mesure la plus complète. "Si, donc, la doctrine 

reste en arrière des arrêts, si elle s'ankylose en des conceptions rigides et 

incapables de s'accommoder aux faits, il s'ensuivra nécessairement que la 

jurisprudence, détournée par les exigences des affaires, de suivre une direction 

rétrograde, restera livrée aux oscillations de l'empirisme, ou s'arrêtera dans sa 

marche en avant (…). Non contente de relever et d'apprécier les décisions 

judiciaires, elle doit les devancer, les susciter, les diriger dans la voie du 

progrès (271) ". 

50. L'analyse de l'arrêt - Parmi les nombreuses décisions que le doyen Gény 

commenta au Recueil Sirey, nous retiendrons l'arrêt de la Cour de cassation 

du 11 janvier 1933. Outre le fait que cet arrêt Crémieux fut très vite rangé 

parmi les grands arrêts de jurisprudence civile (272) , le commentaire qu'en fit 

Gény est un modèle du genre. Le cas était difficile puisqu'il illustra une 

controverse aiguë qui vit encore s'affronter jurisprudence, doctrine et pratique 

Toujours cependant on le retrouve [le jurisconsulte] indispensable pour donner aux règles juridiques cette 

fermeté, cette précision, cette sécurité et pour tout dire d'un mot, cette adéquation à la vie, qui ne saurait 

résulter d'une investigation purement scientifique". 

(269) 

M. MALLIEUX, L'exégèse des codes, 1908, p.140 cité par J. ROUME, A propos de la méthode juridique, 

Thèse Montpellier, 1922, p.44. 

(270) 

Ibid., p.44. 

(271) 

F. GENY, Méthode d'interprétation et sources en droit privé positif, tome 2, 2ème éd, 1919, précité, p.237. 

(272) 

Cass. civ., 11 janvier 1933, Crémieux, S. 1933.1.161 note GENY ; D. 1933.1.10, note H. CAPITANT. 

83

notariale jusque dans les années 1980 et ce, en dépit de l'intervention du 

législateur en 1965 lors de la réforme des régimes matrimoniaux et de l'article 

1390 du Code civil. Cette question, désormais prétendument close (273) , était 

celle de la validité de la clause dite “ commerciale ” au regard de la prohibition 

des pactes sur succession future. Cette clause, stipulée dans un contrat de 

mariage, attribue au conjoint survivant désireux d'en continuer l'exploitation, 

le fonds de commerce appartenant en propre au prémourant, moyennant 

indemnité (274) . En 1933, la Cour de cassation se montra d'une fermeté 

remarquable en condamnant ces stipulations qui instituaient un contrat forcé 

au détriment de l'héritier. Plus que l'enjeu technique, cette décision et son 

commentaire permettent de bien cerner et de mieux saisir l'approche critique 

de Gény. Le commentaire suit un plan en trois parties illustrant le rapport 

entre le savoir purement doctrinal et l'autorité décisionnelle. 1°) Dégager 

(épurer) la solution des circonstances de la cause, 2°) apprécier la portée et la 

valeur de ces solutions, 3°) relever les conséquences de la décision pour 

conseiller la pratique. 

Le style de Gény est incomparable. Concision, précision et sûreté de 

l'écriture tendues vers un objectif : l'appréciation scientifique de la décision. À 

plusieurs reprises, dans son commentaire, Gény fait état du rapport entre Cour 

de cassation et doctrine. La Cour de cassation exerce "la puissance que lui 

assure son autorité hiérarchique (275) " et qui lui permet d'imposer avec rigueur 

la prohibition des pactes sur succession future. Les mémoires des parties 

témoignent de l'influence de la doctrine sur les arguments des parties, mais les 

raisonnements plus empiriques n'auront pu convaincre les juges d'infléchir 

leur position (276) . Le rôle de la Cour de cassation est défini par l'autorité de la 

solution retenue, mais moins par son contenu que par son style. "En 

l'adoptant, la Cour de cassation est restée strictement fidèle à sa mission (…) 

pour rendre plus sûrement la justice (…). Du point de vue général, d'ailleurs, 

il est heureux que la Cour de cassation ait tranché sans ambages, par une 

décision écartant toute équivoque, le problème important et grave, qui 

inquiétait la pratique (277) ". La solution étant clairement posée, la pratique 

(273) 

Cass. civ. 1ère, 29 avril 1985, D. 1986, p.365, note BEAUBRUN ; Defrénois 1985, p.1159, obs. 

CHAMPENOIS. 

(274) 

A. SERIAUX, Les successions, les libéralités, Paris, PUF, 2ème éd., 1993, n°106, p.207. 

(275) 

F. GENY, note précitée au S. 1933, p.163, 1ère col. 

(276) 

référence est faite à H. CAPITANT, "De la clause donnant au survivant des époux la faculté de prélever le 

fonds de commerce exploité par eux", Rev. crit. légis et jur. 1927, p.27. 

(277) 

F. GENY, note précitée au S. 1933, p.162, 1ère col. 

84

saura à quoi s'en tenir et pourra en contenir les effets ; des effets qui seront de 

détourner les parties et leurs conseils - les notaires - de l'idée d'insérer ces 

clauses commerciales dans les contrats de mariage. Plutôt que de s'affronter 

directement à une prohibition catégorique, affirmée solennellement par la 

Cour de cassation, Gény envisage les détours concevables pour parvenir à un 

effet voisin de la clause prohibée. Face au dogme de la prohibition des pactes 

sur succession future appliqué au droit des régimes matrimoniaux, la 

meilleure option pour la pratique sera l'esquive. Gény concède à la Cour la 

vertu catégorique de sa décision de principe pour éviter la rigueur de son 

application. Ainsi l'auteur propose-t-il un certain nombre de pis-aller qui 

pourraient à l'usage s'avérer intéressants (278) . Reste l'appréciation critique. 

51. Le contrôle de la solution - La principale critique que Gény adresse à l'arrêt 

est, sous prétexte de brevitas imperatoria, d'avoir éludé un problème 

important. La progression critique se fait par questionnement ; en huit 

questions Gény fait le tour du problème (279) . La Cour de cassation évidemment 

n'est pas en mesure de répondre à toutes ces interrogations, de sorte que, 

"jusqu'à ce que ces points soient élucidés d'une façon pleinement 

convaincante, le problème doctrinal subsiste dans toute son acuité". 

Le pouvoir de la doctrine est là. Elle pose des questions, ce que, bien 

entendu, la juridiction suprême ne peut pas faire. Sauf à déborder du cadre 

institutionnel qui lui est attribué, elle ne peut élever le débat théorique sans 

rendre incertaine son autorité. La dialectique doctrinale fonctionne de cette 

manière. Soit la Cour de cassation questionne et elle perd sa crédibilité (280) , 

soit elle affirme des solutions elliptiques qui s'imposent par leur concision 

mais renonce à son autorité scientifique en laissant dans l'ombre des questions 

subsidiaires et s'expose à la critique du déni doctrinal. Ainsi, tout en 

reprochant à la Cour de n'avoir pas su saisir l'opportunité de répondre à la 

question de savoir si la clause de fonds de commerce ne portait pas atteinte "au 

droit qu'eût prétendu l'héritière réservataire d'obtenir sa réserve en nature", 

Gény expose ses thèses et complète l'arrêt. La motivation concise des décisions 

a cet avantage pour la doctrine. La critique est aisée pour un prétendu défaut 

de clarté ou de généralité, et amorce toujours une démonstration doctrinale de 

(278) F. GENY, note précitée au S. 1933, p.165. 

(279) F. GENY, note précitée au S. 1933, p.163, 1ère col. 

(280) Ibid. p.163, 1ère col. : "Il a pu paraître à la Cour de cassation, qu'en se prononçant sur ce point [au surplus 

ou par obiter dictum], elle eût diminué, parce qu'elle eut semblé insuffisante à elle seule, la portée de sa 

décision principale". 

85

sorte qu'un arrêt ne saurait se lire sans commentaire. Au reste, l'arrêt est-il 

vraiment lu ? De ce point de vue, le succès méthodologique de l'École du droit 

libre est absolument établi. Depuis cette époque, les arrêts ne sont plus livrés 

brut dans les revues. Le texte de la décision déjà épouillé de ses moyens sans 

intérêt est soigneusement disséqué en question de fait et question de droit, et 

la doctrine réécrit la décision avec ses mots (281) . Le commentaire doctrinal a 

donc pour fonction d'établir un droit doctrinal. Les questions, même 

anciennes, qui ne sont jamais parvenues devant la Cour de cassation trouvent 

une solution dans les commentaires de questions connexes. Autrement dit, 

face à l'étendue de l'inédit juridictionnel, la doctrine "appelée à discuter, à 

contrôler, et par conséquent, à parfaire le droit législatif et jurisprudentiel, 

exerce un ascendant considérable sur les destinées du droit (282) ". Son discours 

est sa force ; elle n'a de limite qu'avec l'indicible et l'interdit et sa légitimité 

scientifique est fonction de l'image de l'interprète concurrent. Pour s'assurer 

le contrôle du droit vivant, la doctrine a mis en avant le pouvoir normatif de 

la Cour de cassation. Elle va maintenant lutter pour qu'il ne lui échappe pas. 

52. Transformation de l'image doctrinale de la Cour de cassation - Dès les 

années 1880 les commentateurs conjuguent la maturité de la Cour de cassation 

et le vieillissement du Code civil pour affirmer qu'il faut discuter la légitimité 

du législateur qui s'opposerait à une jurisprudence permanente, "car une 

interprétation qui a prévalu avec constance devant les tribunaux, a fondé, au 

profit des particuliers, des attentes aussi légitimes que la loi elle-même (283) ". La 

transformation profonde est celle de la représentation doctrinale de l'autre 

interprète par voie de doctrine qu'est la Cour de cassation. Gény tentera de 

théoriser cette métamorphose mais on sent bien que dès avant 1899, le rôle de 

la Cour de cassation est l'enjeu de tensions contradictoires. 

La scission des interprètes existe mais est encore peu énoncée. Roguin se 

fait écho du philosophe anglais John Austin qui affirme : "le droit créé par les 

juges est créé à l’occasion d’une décision judiciaire. L’objectif premier de son 

auteur immédiat est de trancher un litige particulier en lui appliquant la règle 

qui convient, et non de poser la règle. Dans la mesure où les fondements de la 

décision peuvent servir de fondements pour d’autres espèces ultérieures, son 

(281) Comme le remarquera RIPERT, "s'il plaisait à un éditeur de falsifier ou d'imaginer un texte, il est probable 

que ce texte faux serait appliqué", Le déclin du droit, Paris, LGDJ, 1949, p.162. 

(282) F. GENY, "À propos de l'ouvrage de M. H. De Page : De l'interprétation des lois", RTD civ. 1925, p.857. 

(283) LABBE, note au S. 1886.2.1. 

86

auteur légifère de façon substantielle : et sa décision sera généralement 

déterminée par la considération des effets que les fondements de sa décision 

peuvent produire en tant que principe ou règle générale (284) ". Roguin utilisera 

Austin pour aborder la définition de l'objet de la théorie du droit : "La science 

juridique pure est la discipline qui s'attache à faire voir quels sont les éléments 

constants dans le droit (285) " et à dégager des phénomènes sociaux les éléments 

inaltérables (286) . Le rôle de la doctrine se dissocie ainsi du rôle du juge. Ce 

dernier étant limité dans sa perception du monde par l'obligation de juger le 

cas alors que "le jurisconsulte complet doit s'occuper de tous les domaines de 

l'activité humaine, et est conduit à envisager synthétiquement les collectivités 

formées par nos semblables (287) ". Dans le même esprit, Demogue s'appuiera 

aussi sur les philosophes de l'utilitarisme (288) pour intégrer dans ses définitions 

de la sécurité juridique les moyens de gouverner la science du droit entre 

dynamique et statique. Il est sensible en fait que les auteurs contemporains de 

Gény, qui oeuvrent pour la reconnaissance du pouvoir normatif de la Cour de 

cassation, vont trouver les assises théoriques de leurs idées chez les 

philosophes anglais et écossais que leurs prédécesseurs avaient quelque peu 

ignorés ou combattus. Mais alors que Gény affirme purement et simplement la 

prééminence de la loi, ses contemporains utilisent leur autorité pour redéfinir 

le rôle de la Cour de cassation. 

Il faut noter à cette époque l'abondance des travaux en droit judiciaire 

privé sur la Haute juridiction. Ils se rapportent le plus souvent à l'ouvrage du 

haut magistrat E. Faye qui décrit la juridiction suprême comme la seule 

autorité capable de maintenir l'unité de la législation (289) . La doctrine va se 

saisir des aspirations d'autonomie des magistrats pour s'imposer comme la 

seule autorité capable de définir l'unité de la jurisprudence. Les relations entre 

la Cour de cassation et la doctrine vont évoluer de telle manière qu'en 

concédant et en théorisant le pouvoir normatif de la jurisprudence les auteurs 

(284) tel cité par N. MACCORMICK, Raisonnement juridique et théorie du droit, précité, p.153. 

(285) E. ROGUIN, La science juridique pure, tome 1, préface précitée, p.IX ; E. PICARD, Le droit pur, Paris, 

Flammarion, 1899. Ces deux auteurs furent pourtant présentés par R. DEMOGUE comme illustrant la 

renaissance du droit naturel, v. R. DEMOGUE, Les notions fondamentales du droit privé, précité, p.28. 

(286) E. ROGUIN, La science juridique pure, tome 1, préface précitée, p.XIX. 

(287) R. DEMOGUE, Les notions fondamentales du droit privé, précité, p.64. 

(288) J. BENTHAM, Principes du Code civil, 1ère partie, chap. VII, cité par R. DEMOGUE, Les notions 

fondamentales du droit privé, précité, p.64. À la même page, l'auteur note à propos de Ihéring, qu'il cite 

abondamment par ailleurs, qu'il "a vanté avec beaucoup de raison toute l'importance de la sûreté en droit au 

point de vue économique et au point de vue moral, montrant que, ni les richesses, ni le caractère ne peuvent 

croître là où manque le sentiment de sûreté du droit". 

(289) E. FAYE, La Cour de cassation, Paris, Chevalier-Marescq, 1903. 

87

vont déposséder la juridiction suprême de son autorité scientifique. Sans 

doute, la doctrine n'a pas un pouvoir de contrainte mais son autorité critique 

est plus grande ; ses systèmes ont l'ambition de définir les orientations futures 

de la loi et de son interprétation. 

Pour Marty et pour le courant dominant le début du XXème siècle, "la 

fonction de la Cour de cassation est de maintenir l'unité de la jurisprudence, 

mais pour lutter contre l'incertitude des solutions qui favorise la chicane (…) 

contre le scandale des décisions contradictoires mettant en péril l'unité, 

l'égalité et la certitude du droit (290) ", elle doit n'exercer son contrôle que "dans 

les cas où son intervention peut servir de guide pour la solution des difficultés 

à venir (291) " et doit donc s'en remettre, pour saisir le futur, au débat doctrinal 

et aux lumières de la doctrine. Autrement dit, la Cour de cassation, si elle est 

bien un pouvoir jurislatif de l'ordre juridique considéré hiérarchiquement, 

elle n'est du point de vue du contenu des normes posées que le relais du 

discours doctrinal établi. De la même manière, la présentation qui fait de la 

jurisprudence une norme coutumière supérieure aux règles qui président à 

l'élaboration des lois, rend compte de cette hiérarchie et invite à s'en remettre 

à l'autorité doctrinale pour connaître la valeur normative d'une décision. 

Selon Rouast, "lorsque le sens du texte a été fixé depuis longtemps par la 

jurisprudence, celle-ci constitue alors une véritable coutume qui mériterait en 

tout cas autant de respect de la part du législateur, car elle donne 

pratiquement la même sécurité aux relations sociales (292) ". L'appréciation de la 

valeur sociale d'une règle est du ressort de la doctrine. Par le recours à la 

sécurité juridique, elle témoigne de ce que l'arbitraire du juge sera évincé si 

ses préceptes sont suivis. S'il reste néanmoins une difficulté, elle est de taille; 

c'est évidemment que, pas plus qu'hier, la doctrine n'est homogène, et que la 

controverse théorique est source d'insécurité. Gény et Saleilles avaient lancé 

la libre recherche scientifique ; leurs contemporains, disciples et adversaires, 

réagiront. 

53. Gény et ses contemporains - Leurs joutes doctrinales s'étendent sur une 

période bien difficile à situer, tant l'influence du grand auteur dura tout au 

long de sa longue vie, d'autant qu'il ne cessa de publier commentaires d'arrêt 

et articles théoriques. L'un des premiers à faire entendre une voix 

(290) G. MARTY, La distinction du fait et du droit…, précité, p.365. 

(291) G. MARTY, La distinction du fait et du droit…, précité, p.349. 

(292) J. ROUAST, note au D. 1921.1.121. 

88

méthodologique dissonante fut Lambert. Très tôt, dès 1903, il compose un 

hymne à une méthode comparatiste qui, fondée sur le principe d'une analyse 

historique de l'ordre juridique, évince le point de vue naturaliste au profit 

d'une approche plus sociologique des univers juridiques comparés (293) . Comme 

Gény, il critique sans ménagement l'École des interprètes du Code civil qui 

"ont donné comme base essentielle à leur méthode un postulat qui constitue la 

négation de l'une des lois les plus certaines du développement des sociétés, la 

loi de perpétuelle mobilité du droit (294) ". Leurs chemins se séparent là où 

Lambert n'admet pas l'idée que la solution des cas difficiles doive être 

recherchée dans la nature des choses positive comme le recommande Gény. 

Cette méthode produirait une fiction d'immobilité de l'ordre juridique qui 

aurait, "quoique sur un champ moins large d'application, tous les fâcheux 

effets de la méthode de l'École des interprètes du Code civil (295) ". Au reste, "en 

donnant au droit naturel la forme complexe et mobile de la nature des choses 

positive, il le rend même plus difficilement perceptible (296) ". S'appuyant sur un 

éventail très réduit de sciences sociales imparfaites et en mutation, la méthode 

de Gény "ne pourrait fournir de solutions fermes et définitives que sur un bien 

petit nombre de problèmes juridiques (297) ". L'ambition de E. Lambert était sans 

doute tout autre. En cherchant dans le droit comparé les principes d'un droit 

commun législatif, il entendait donner clairement à la doctrine la mission 

d'unifier le droit du monde "civilisé" (298) . 

D'autres auteurs furent plus présents dès les années 1910 pour faire évoluer 

le savoir doctrinal en adaptant la technique juridique à leur propre vision du 

monde. Le premier et le plus important d'entre eux fut le doyen Georges 

Ripert. Contradicteur de Gény, il illustrera le désir de neutralité de la 

doctrine, il défendra également le pouvoir et l'autorité de la jurisprudence, 

invitant à rendre véritablement à la Cour de cassation le culte du 

précédent (299) afin de lutter contre le pouvoir politique : "Plus le juriste défend 

(293) 

E. Lambert se plaint de l'état d'abandon dans lequel on a laissé le comparatisme et revendique pour lui un 

retour en grâce. Reste que là encore l'exposé historique sert la cause présente, le comparatisme ne fut peut-être 

pas aussi ignoré que Lambert le prétend. Ses méthodes étaient jeunes. comp. J. HILAIRE, "Le comparatisme en 

matière commerciale au XIXème siècle", RHFD 1991, n°12, p.127. 

(294) 

E. LAMBERT, Études de droit commun législatif, tome 1, précité, p.17. 

(295) 


(296) 


(297) 

E. LAMBERT, ibid., p.36. 

(298) 

A. COLIN et H. CAPITANT, Cours élémentaire de droit civil français - tome 1er, précité, p.33. 

(299) 

G. RIPERT et J. BOULANGER, Traité de droit civil, tome 1er, Introduction générale, Paris, LGDJ, 1956, 

n°226, p.103 : "Le pouvoir judiciaire a conscience d'une continuité nécessaire du droit. Ce serait créer le 

désordre que de modifier dans chaque cas particulier l'application et l'interprétation des règles juridiques. La 

conception de la permanence des règles façonne la psychologie du juge et lui donne le culte du précédent. (…) 

89

le pouvoir du juge et l'autorité de la jurisprudence, plus il élève la puissance 

intellectuelle contre la puissance politique, si toutefois le juge est indépendant 

de cette puissance (300) ". Ripert sera critique de Gény, certes, mais participera 

de cet élan donné depuis les premières pages de la revue trimestrielle de droit 

civil, à l'étude systématique des décisions de la Cour de cassation. 

Les autres auteurs majeurs que nous retiendrons de ces années d'entredeux-guerres 

seront Julien Bonnecase, Louis Josserand, Henri Capitant, René 

Demogue et René Savatier. En dépit des controverses qui opposèrent ces 

auteurs sur des sujets "techniques", tous entendirent donner à leurs 

raisonnements une consistance théorique décisive. Ces années sont celles de la 

rénovation du droit des obligations ; du contrat et de la responsabilité 

délictuelle (301) . La doctrine, par l'autorité donnée à la Cour de cassation, a pris 

en main la réforme du droit civil positif et a imposé ses vues au législateur, 

très habilement, sous couvert de neutralité. Les difficultés liées aux thèses de 

Gény et à la conscience d'Adhémar Esmein, de faire de la doctrine "une source 

du droit" à travers l'édification du construit, seront éludées par les auteurs des 

années 1920-1930. Il vont se ménager un point de vue neutre et en surplomb, 

soit en réaction au positivisme en ne se fondant que sur un ordre naturel 

donné, soit en adhérant aux thèses normativistes dont la diffusion devient 

réelle. 

54. Gény et Ripert - Leur différend théorique était tenace, il se révèle à 

l'examen de leurs écrits d'arrêtistes. À cet égard, une décision de la Cour de 

cassation du 27 mars 1928, commentée par les deux auteurs dans deux revues 

concurrentes, constitue un exemple topique de leur divergence 

méthodologique (302) . En l'espèce, deux époux, qui avaient été gracieusement 

La Cour de cassation présente l'avantage d'assurer, dans l'unité, la permanence de l'interprétation judiciaire. 

Par simple contrainte psychologique, la Cour suprême impose à toutes les juridictions qu'elle contrôle une 

doctrine juridique qui tend à demeurer semblable à elle-même". 

(300) G. RIPERT, La règle morale dans les obligations civiles, précité, n°15 ; adde, G. RIPERT, Le régime 

démocratique et le droit civil moderne, Paris, LGDJ, 1936, n°224, p.450 : "Le droit civil ne saurait être dans la 

dépendance du pouvoir politique d'un jour, voilà l'idée qui devrait s'imposer à la démocratie comme elle s'était 

imposée à l'ancienne Royauté. Qui touche à ce droit touche à l'ordre dans la vie privée des hommes, c'est-àdire 

à la civilisation même". 

(301) R. SAVATIER, "Vers la socialisation de la responsabilité et des risques éventuels", DH 1931, chr. p.9 : 

"Alors qu'on s'était accoutumé à trouver dans le droit des obligations la partie la plus immuable du droit civil, 

voici qu'il se révèle profondément ébranlé. Un empire immense, celui de la responsabilité civile est en train de 

s'y constituer sous le signe de principes nouveaux encore entourés de brume". L'auteur confirmera sa réflexion 

in Les métamorphoses économiques et sociales du droit civil d'aujourd'hui, première série, Paris, Dalloz, 

3ème éd., 1964, n°274, p.332. 

(302) Cass. civ., 27 mars 1928, S. 1928.1.353, note GENY ; DP 1928.1.145, note RIPERT ; F. TERRE et 

Y. LEQUETTE, Les grands arrêts de la jurisprudence civile, 10ème éd., 1994, précité, n°131, p.551 ; sur le 

90

transportés par un automobiliste, furent blessés, l'un mortellement et l'autre 

grièvement, dans l'accident du véhicule. Le survivant demandait réparation au 

conducteur sur le fondement des articles 1382 et 1384 du Code civil. Telle que 

se présentait la question à l'époque, à défaut de la démonstration d'une faute 

personnellement imputable au conducteur, il s'agissait de savoir si les victimes 

gracieusement transportées pouvaient invoquer la présomption de faute 

instituée par l'article 1384 al. 1er du Code civil à l'encontre du gardien de la 

chose. La formulation de la question est importante, il s'agit de resituer dans le 

temps ce problème connexe à l'évolution de la responsabilité générale du fait 

des choses. 

55. Entre les deux arrêts Jand'heur - En 1927, "… la loi, pour la présomption 

qu'elle édicte ne distingue pas suivant que la chose qui a causé le dommage 

était ou non actionnée par la main de l'homme ; qu'il suffit qu'il s'agisse d'une 

chose soumise à la nécessité d'une garde en raison des dangers qu'elle peut 

faire courir à autrui (303) ". Ce principe contesté encore par la cour de 

renvoi (304) , vint à nouveau à l'examen de la Cour de cassation en 1930, mais 

cette fois, devant les chambres réunies. "… la présomption de responsabilité 

établie par l'article 1384 al. 1er du Code civil, à l'encontre de celui qui a sous 

sa garde la chose inanimée qui a causé un dommage à autrui ne peut être 

détruite que par la preuve d'un cas fortuit ou de force majeure ou d'une cause 

étrangère qui ne lui soit pas imputable ; qu'il ne suffit pas de prouver qu'il n'a 

commis aucune faute ou que la cause du fait dommageable est demeurée 

inconnue (305) ". 

En trois ans, la position de Cour de cassation passa d'une présomption de 

faute à une présomption de responsabilité, brisant ainsi les tentations 

doctrinales d'une interprétation restrictive du champ d'application de l'article 

1384 al. 1er. Si l'on s'accorde aujourd'hui pour dire que cette évolution fut 

irréversible et qu'avec cette solution fut définitivement posé le régime de la 

responsabilité générale du fait des choses, elle fut continuellement attaquée 

pendant les années 1930. De fait, l'arrêt du 27 mars 1928 et le principe dégagé 

venaient en contrepoint de cette vocation hégémonique de l'article 1384 al. 

1er, puisqu'avec constance, la juridiction suprême en martela le principe de sa 

même problème, contre la thèse dominante : L. JOSSERAND, "Le transport bénévole et la responsabilité des 

accidents d'automobile", DH 1926, chr. p.21. 

(303) Cass. civ., 21 février 1927, DP 1927.1.97 note RIPERT ; S. 1927.1.137 note P. ESMEIN. 

(304) Lyon, 7 juillet 1927, DH 1927, p.423 ; S. 1927.2.106. 

(305) Cass. ch. réunies, 13 février 1930, DP 1930.1.57, note RIPERT ; S. 1930.1.121, note P. ESMEIN. 

91

non-application au transport bénévole jusqu'à son revirement explicite du 20 

décembre 1968 (306) . 

56. La solution de l'arrêt du 27 mars 1928 - " … la présomption instituée par 

l'article 1384 al. 1er du Code civil à l'encontre du gardien d'une chose 

mobilière inanimée soumise à la nécessité d'une garde, en raison du danger 

qu'elle peut faire courir à autrui, a été établie pour protéger, en assurant, le cas 

échéant, leur indemnisation, les victimes du dommage causé par une chose à 

l'usage de laquelle elles n'ont point participé ; que cette présomption ne peut 

donc être invoquée contre le gardien d'une voiture automobile par ceux qui 

ont pris place dans cette voiture, soit en vertu d'un contrat, soit à la suite d'un 

acte de courtoisie purement bénévole …". Le conducteur, gardien du 

véhicule, n'est donc tenu que de son fait personnel, fautif. 

Cette solution est saluée par le doyen Ripert à plus d'un titre. 

Premièrement, il se félicite de ce que, l'ayant lui-même annoncée, elle 

confirmerait l'arrêt Jand'heur du 21 février 1927 en posant cette distinction 

parmi les victimes "que le bon sens et la justice réclament [à tel point que] 

quand la théorie aura pris sa figure définitive, on s'émerveillera qu'à la faveur 

d'un texte ambigu du Code civil un tel progrès ait pu être réalisé dans la 

défense des intérêts privés (307) ". Deuxièmement, cette solution répond à une 

exigence théorique, "il fallait fixer la jurisprudence (308) " ; ce que fit l'arrêt 

commenté et qui fut confirmé dès le 9 juin 1928 par la chambre des 

requêtes (309) et le 11 juin par la chambre civile (310) , de sorte qu'il fallait 

convenir : "aucun doute n'est plus possible aujourd'hui (…) la jurisprudence 

est donc fixée". La pratique pouvait donc être rassurée, la solution était sûre. 

Troisièmement, en déterminant de façon si nette la règle applicable, la Cour 

de cassation a rendu inutile l'intervention du législateur (311) . La note de Gény 

n'a pas ce ton si élogieux et rappelle utilement les principes qui fondent une 

bonne décision : "toute décision juridique qui veut être pleinement justifiée 

doit reposer sur des considérations tirées des exigences de la vie sociale et 

trouver une expression technique, à défaut de textes formels, dans un principe 

(306) 

Cass. ch. mixte, 20 décembre 1968, in F. TERRE et Y. LEQUETTE, Les grands arrêts de la jurisprudence 

civile, 10ème éd., 1994, précité, n°132, p.553 ; adde, L. HUSSON, "Réflexions d'un philosophe sur un 

revirement de jurisprudence", APD 1971, p.293-343 ; Ch. PERELMAN, Logique juridique, précité, p.170, n°92. 

(307) 

G. RIPERT, note précitée au DP 1928, p.145, 1ère col. 

(308) 

G. RIPERT, note précitée au DP 1928, p.145, 2ème col. 

(309) 

Cass. req., 9 juin 1928, DP 1928.1.153 note SAVATIER. 

(310) 

Cass. civ., 11 juin 1928, DH 1928, p.414. 

(311) 

G. RIPERT, note précitée au DP 1928, p.145, 1ère col. 

92

de droit justement adapté à l'ensemble de la législation positive (312) ". Pas à pas, 

le commentaire décortique la décision pour ce qu'elle dit et pour ce qu'elle ne 

dit pas, et cela, parce que Gény cherche à déterminer le rayonnement futur de 

la solution analysée : "Cette solution, positive (…) se trouve enrobée de motifs 

très pleins, dépassant même quelque peu les exigences de l'espèce, qui ne sont 

pas sans fournir plusieurs indications utiles à l'éclaircissement de difficultés 

connexes à celle que soulevait principalement le litige (313) ". Gény expose ainsi 

l'objet de sa recherche : 

"(I). Les raisons profondes et les bases juridiques de la jurisprudence 

consacrant la responsabilité générale de l'automobiliste. 

(II). La solution nettement suggérée pour le cas où un contrat unit la victime à 

l'auteur de l'accident. 

(III). La justification de la solution directe et principale, de l'arrêt, pour le cas 

du transport bénévole et la portée qu'elle lui assigne. 

(IV). Les conséquences de cette dernière solution, notamment quant à la faute 

devant être démontrée contre le transporteur bénévole pour le faire déclarer 

responsable (314) ". 

La différence de style entre Gény et Ripert est sensible. Le premier discute 

le contenu de la solution, le second l'érige en solution acquise (315) et c'est le 

modèle de Ripert qui va dominer la fin du vingtième siècle. 

PARAGRAPHE 2. LA CONSECRATION DU CULTE DU PRECEDENT : LE TEMPS DE 

RIPERT. 

57. Le dogme de la solution unique - Le XXème siècle sera en définitive le 

siècle du doyen Ripert. En rédigeant le traité de droit maritime de 

E. Thaller (316) , et plus tard en continuant le traité de droit civil de 

M. Planiol (317) , en inaugurant, sous une forme qu’il conserve encore 

(312) F. GENY, note précitée au S. 1928, p.354, 3ème col. ; rappr. R. DWORKIN, "Is law a system of rules ?", in 

Readings in philosophy, Oxford U.P. 1977, p.38-65. 

(313) F. GENY, note précitée au S. 1928, p.353, 1ère col. 

(314) F. GENY, note précitée au S. 1928, p.354, 3ème col. 

(315) A. BERNARD et Y. POIRMEUR, "Doctrine civiliste et production normative", in La doctrine juridique, 

Paris, PUF, publ. CURRAP - CHDRIP, 1993, p.162. 

(316) Ed. THALLER, Droit maritime, tome 1, par G. Ripert, Paris, Rousseau, 1913. 

(317) M. PLANIOL, Traité élémentaire de droit civil, tome III, Paris, Pichon, 10ème éd., 1927, par G. Ripert ; 

Traité pratique et théorique de droit civil français, Paris, Pichon, 14 volumes, 1925-1934. 

93

aujourd’hui, un traité de droit commercial (318) , Georges Ripert fut 

omniprésent pour représenter la doctrine privatiste. Cette oeuvre technique 

considérable, à l’usage des étudiants et des professeurs, a d’autant plus marqué 

la pensée juridique française qu’elle s’est accompagnée d’une oeuvre théorique 

tout aussi importante. Aujourd’hui, rares sont encore les domaines qui 

échappent à la note de bas de page renvoyant soit, en droit civil, au “ Planiol 

et Ripert ” ou au “ Ripert et Boulanger ”, soit au “ Droit maritime ” ou au 

“ Ripert et Roblot ” en droit commercial, soit enfin aux articles de 

l'Encyclopédie Dalloz. Les essais théoriques ne sont pas moins utilisés pas la 

doctrine contemporaine ; La règle morale dans les obligations civiles, Le 

déclin du droit ou encore Les forces créatrices du droit sont si présents qu’ils 

constituent parfois de manière presque hégémonique le fondement 

philosophique des écrits doctrinaux actuels (319) . Ce sont les raisons de cette 

omniprésence et de cette pérennité que nous allons tâcher d’éclairer. 

Continuateur puis innovateur, Ripert participe à la Révolution scientifique 

de l’École de la libre recherche scientifique, mais s’affronte aussi au doyen 

Gény dont il dénonce l'idéalisme libéral, voire, mais c’est l’esprit du temps, 

l’influence trop allemande. Mais la pensée de Ripert a évolué et fait évoluer la 

doctrine. Dans l'édition de 1913 du traité de droit maritime de Thaller, que 

Ripert rédige, les auteurs affirment que "l'on ne saurait étudier le droit 

maritime sans faire une très large place à la jurisprudence (320) ". Au même 

paragraphe, Ripert ajoutera dans une édition postérieure : "Dans ce droit qui a 

besoin de fixité et de certitude, on ne saurait méconnaître l'avantage d'une 

décision qui dégageant la règle générale affirme la solution (321) ". Le glissement 

méthodologique a eu lieu. L'étude de la jurisprudence a laissé place au besoin 

de fixité de la norme prétorienne, au dogme de la solution unique et au culte 

du précédent. 

Il est clair cependant qu’au début du XXème siècle le doyen Ripert n’a pas 

l’influence qu’il aura en son milieu ni même à sa fin, mais, à travers lui et ses 

premiers écrits, il est possible de comprendre pourquoi et comment la 

rénovation du droit naturel par Gény fut finalement considérée comme un 

(318) G. RIPERT, Traité de droit commercial, Paris, LGDJ, 1947. 

(319) v. J. ROUAST, "L'œuvre civiliste de Georges Ripert", RTD civ. 1959, p.1. 

(320) Ed. THALLER, Droit maritime, tome 1, par G. RIPERT, 1913, précité, n°94, p.49 : "La jurisprudence joue 

un rôle considérable en matière de droit maritime. Elle a eu à adapter un Code vieilli aux nécessités de la 

navigation moderne, à concilier les textes législatifs et la pratique nouvelle, à créer la règle juridique là où 

existait la lacune législative (…) On ne saurait étudier le droit maritime sans faire une très large place à la 

jurisprudence" [souligné par nous]. 

(321) G. RIPERT, Droit maritime, Paris, Dalloz, 4ème éd., 1950, n°102, p.94. 

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échec. L’École du droit libre n’a rien d’homogène, sans doute y adhère-t-on 

pour des raisons fort diverses. Les thèses de doctorat des années 1910 et 1920 

en sont une bonne illustration puisque leurs auteurs formeront l’autorité 

doctrinale de l’entre-deux-guerres et de l’après 1945. Ripert, comme du reste 

Hauriou (322) et la grande majorité de la doctrine, se situent dans un 

mouvement de pensée antipositiviste, mais le positivisme juridique n’a pas 

encore véritablement d’assises théoriques, de sorte que la cible privilégiée de 

ces auteurs se trouve être la rénovation du droit naturel, rénovation contrenature. 

Le spectre de l’influence allemande est combattu non seulement par la 

droite française catholique et conservatrice, mais par l’ensemble de ceux qui se 

fondent dans l’esprit patriotique. La perspective théorique de l’École du droit 

libre est suspecte, l’érudition de Gény joue contre elle, et sa théorie ne 

s’impose qu’à travers une interprétation faussée par le filtre de l’esprit français. 

58. L’esprit du droit français - Impossible à décrire, cette référence est mêlée 

d’influences contradictoires, mais en cela elle permet de réunir derrière elle 

l’union sacrée de la doctrine. Cet esprit se traduit dans les manuels de droit, 

dans les thèses de doctorat, et dans tous les écrits juridiques par l’exacerbation 

du rôle de la Cour de cassation, protectrice de l’unité du droit français. Hormis 

les jurisconsultes marxistes que le matérialisme historique rend méfiants à 

l’égard de l’organe judiciaire suprême gardien de la paix bourgeoise (323) , la 

doctrine française fait de l’appel à l’esprit français un leitmotiv très utile à ses 

convictions. Cet appel le plus souvent incantatoire est fondé 

contradictoirement sur la tradition juridique française, chrétienne, romaine et 

conservatrice, une tradition qui a façonné un droit français garant de la Justice 

et de l’Équité, et sur les généreux principes de la Révolution qui ont permis à 

la France de devenir ce qu’elle est, un pays de Liberté, d’Égalité et de 

Fraternité. Est-il besoin d’ironiser pour comprendre que sous l’unité se 

rejoignent des conceptions fondamentalement et irréductiblement 

incompatibles ? La France n’est une unité qu’en ce que cette unité sert une 

cause politique. Dans ces années troublées, au sortir de l’affaire Dreyfus et 

jusqu’à la première Guerre Mondiale, toute influence allemande est sacrifiée 

sur l’autel nationaliste, ou plutôt patriotique (324) . Cela ne cessera pas en 1918. 

(322) O. BEAUD, "Hauriou et le droit naturel", RHFD 1988, n°6, p.123. 

(323) G. RIPERT, "Le socialisme juridique d'Emmanuel Lévy", Rev. crit. de légis. et jur. 1928, p.21. 

(324) M. HAURIOU, Aux sources du droit : le pouvoir, l'ordre et la liberté, Rééd. Centre de philosophie 

politique et juridique, Caen, 1986. 

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De manière récurrente, les juristes français dénoncent les concepts venus 

d'Outre-Rhin. En 1921, le doyen Larnaude présentait la lésion comme une 

institution "boche (325) ". De Vareilles-Sommières, commentant l'oeuvre de 

Savigny, invitait son lecteur à "percer la buée qui enveloppe toujours la pensée 

des Allemands (326) " et, dans la même veine, Ripert n'épargnait pas la méthode 

historique de Saleilles : "nul des juristes contemporains ne peut se flatter 

d'avoir échappé à cette influence de l'école historique. Tous se sont trop 

copieusement nourris de la science allemande pour ne pas avoir perdu à ce 

contact la claire vision de l'ordre naturel que le rationalisme français avait 

eue (327) ". 

59. La philosophie de Georges Ripert - Le doyen Ripert affirme son 

engagement positiviste. Selon lui, "il ne sert à rien de s'endormir dans la douce 

croyance qu'il existe un droit naturel. Cette croyance ne nous donnera ni la 

sécurité dans le jugement, ni la force dans l'action, ni la tolérance dans la 

victoire (328) ". Cela lui permet de condamner les tentatives de rénovation 

méthodologique (329) comme les prophètes de la socialisation du droit (330) . 

"Ceux qui pour des raisons diverses lancent ces appels au droit naturel sont des 

idéalistes s'efforçant de croire encore à un dogme qui ne renaîtra pas (331) ". 

Pourtant l'oeuvre du doyen Ripert est sans cesse ponctuée de points de vue 

moralistes. La neutralité de la doctrine se double de considérations politiques. 

L'auteur s'affranchit sans difficulté de la retenue descriptive qu'il prescrit. 

Était-il vraiment positiviste (332) ? M. le professeur Troper observait que "pour 

un positiviste, la pire critique est de dire qu'il est un jusnaturaliste caché ; de 

même pour un jusnaturaliste, la pire critique est de dire qu'il est un positiviste 

(325) LARNAUDE écrivait à Demogue : "Je trouve l'idée dangereuse et susceptible de provoquer beaucoup de 

chantage avec des procès scandaleux. Son origine boche ne me dit rien qui vaille. Il faudrait, en tous cas, avoir 

étudié avec le plus grand soin la jurisprudence qui s'est établie sur cet article et celui correspondant au Code 

civil suisse pour voir si cette disposition est utile ou si elle est dangereuse". Propos rapportés par 

R. DEMOGUE, rapport à la société d'études législatives, séance du 15 décembre 1921, discussion du projet de 

loi sur la lésion, Bull. soc. études législatives 1922, question n°46, p.36-37. 

(326) M. DE VAREILLES-SOMMIERES, La synthèse du droit international privé, premier volume, précité, p.142, 

n°224. 

(327) G. RIPERT, La règle morale dans les obligations civiles, 4ème éd., 1949, précité, n°9, p.16-17. 

(328) G. RIPERT, "Droit naturel et positivisme juridique", Ann. fac. dr. d'Aix, 1918, n°1, p.47. 

(329) Le doyen GENY s'était très tôt défendu des attaques menées contre lui, Science et technique en droit privé 

positif, tome IV, précité, p.254. 

(330) G. RIPERT, Le régime démocratique et le droit civil moderne, précité, p.63. 

(331) G. RIPERT, La règle morale dans les obligations civiles, 4ème éd., 1949, précité, n°9, p.16. 

(332) M. le professeur ATIAS compte Ripert parmi les tenants du positivisme épistémologique, Épistémologie 

juridique, précitée, n°15, p.32. 

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caché (333) ". Ripert n'est ni l'un, ni l'autre. Il est positiviste pour condamner les 

thèses jusnaturalistes mais il abhorre par dessus tout les anticléricaux. Il est 

antipositiviste pour s'opposer aux législations du travail (334) . Nous 

conviendrons que le terme le plus adéquat pour désigner la philosophie de 

Ripert est celui de "pseudo-positivisme (335) ", car il a donné à sa conception de 

l'ordre juridique une assise contradictoire. "Le véritable progrès du droit 

consiste à régler l’organisation de la société de telle façon que chaque homme 

puisse vivre et agir avec sécurité, en étant obligé de reconnaître ce qu’il doit 

aux autres, mais en pouvant exiger aussi l’accomplissement de ce qu’ils lui 

doivent. Rendre à chacun le sien (336) ". C'est une tentative de conciliation des 

perspectives naturaliste et positiviste réservant sa part à la Morale, pour que 

suum cuique tribuere soit un gage de sécurité (337) . 

60. Le "pseudo-positivisme" de Ripert - "On opposait autrefois la doctrine et la 

jurisprudence parce que les hommes de la science pure paraissaient maintenir 

plus strictement le sens réel des lois que les juges enclins à en adoucir 

l'application suivant les circonstances. Les temps ont changé. Ce sont 

maintenant les juristes qui réclament “ la libre recherche scientifique ” (338) ". 

(333) 

M. TROPER, "Le positivisme juridique", Rev. de synthèse 1985, n°118-119, p.198 note (27). 

(334) 

G. RIPERT, Le régime démocratique et le droit civil moderne, précité, p.68 s. sur "la protection des 

faibles". 

(335) 

M. TROPER, "La doctrine et le positivisme", in D. LOCHAK (dir.), Les usages sociaux du droit, Paris, 

CURAPP—PUF, 1989, p.291 : "La doctrine ne doit décrire les valeurs qui justifient les normes positives et en 

général la ratio legis que si elle entend exprimer des normes, qui régissent des situations non prévues par le 

législateur. Mais on ne doit pas oublier ce truisme que le droit positif, c'est seulement le droit posé. Les 

normes que la doctrine prétend exprimer relèvent au contraire du droit non posé. En réalité, lorsqu'elle est 

ainsi conçue et pratiquée, elle ne sert qu'à produire des arguments visant à persuader un juge. Elle n'est pas un 

véritable métalangage et les juristes qui la pratiquent agissent en réalité de sentencia ferenda. Ils ne sont en 

réalité que des pseudo-positivistes" ; v. J.-L. HALPERIN, Histoire du droit privé français, précité, p.204 ; 

comp. A. ROSS : Le pseudo-positivisme de Kelsen, in C. GRZEGORCZYK, F. MICHAUT et M. TROPER (dir.), Le 

positivisme juridique, Paris, LGDJ, Story scientia, 1992, p.204. 

(336) 

G. RIPERT, Les forces créatrices du droit, 2ème éd., 1955, précité, p.67 ; adde J. BOULANGER, "Notations 

sur le pouvoir créateur de la jurisprudence civile", RTD civ. 1961, p.423. 

(337) 

Kelsen soulignait justement cette confusion entretenue par la doctrine : "La théorie du droit prétend 

devenir source du droit. Cela traduit les intérêts corporatistes des juristes qui, naturellement, n’éprouvent 

guère de satisfaction dans le rôle très modeste qui consiste à exprimer en concepts et à systématiser le droit 

positif, mais qui en trouvent à participer au processus de formation du droit : ils entendent ainsi acquérir une 

influence politique. Cependant, dans la mesure où ils enfreignent les principes du positivisme, admis au moins 

jusqu’à une date récente, par la science du droit moderne, ils sont contraints de dissimuler cette tendance. 

Telle est la fonction idéologique de l’annulation des frontières entre le droit et la science du droit, entre la 

connaissance et son objet", (H. KELSEN, La théorie générale du droit et le matérialisme historique, 1931) cité 

par M. TROPER, "La doctrine et le positivisme", in Les usages sociaux du droit, Paris, PUF, 1989, p.286 

(p.291). 

(338) 

G. RIPERT, Les forces créatrices du droit, 2ème éd., 1955, précité, p.16 citant GENY, Méthode 

d'interprétation et sources en droit privé positif, tome 2, n°155. 

97

La réaction de Ripert contre la libre recherche et la radicalisation de son point 

de vue au cours de sa carrière va le conduire à nier le rôle créateur de la 

doctrine pour ne concevoir de droit que prétorien. Empruntant à la 

rénovation du droit naturel, l'idée d'un retour à la continuité historique et à la 

coutume pour déterminer l'applicabilité de la règle jurisprudentielle, Ripert 

revendique un positivisme prétorien (339) . La loi positive, seule efficace, c'est la 

jurisprudence constante. Le législateur de la IIIème République accompagnant 

la décadence de l'autorité de la loi (340) , la doctrine en quête de liberté 

scientifique, se livrant à d'illusoires spéculations, trouvent sur leur route 

déclinante une Cour de cassation qui sans faiblir maintient la permanence et 

l'efficacité des solutions que toute Morale impose. La réflexion de Ripert n'est 

pas tant fondée sur le pouvoir créateur qu'il reconnaît à la jurisprudence, que 

sur sa capacité à assurer la permanence des solutions, une permanence 

prétorienne qui s'impose à tous y compris au législateur. "Les juristes qui 

exaltent la valeur de la jurisprudence comme source créatrice du droit ne 

remarquent pas assez qu'il s'agit d'une création du droit par la continuité des 

décisions, qu'il est plus difficile de changer une jurisprudence établie que de 

modifier une loi … Les praticiens trouvent dans la répétition des mêmes actes, 

établis dans les mêmes formes, une sécurité que ne leur donnerait pas la plus 

intelligente initiative (341) ". Et c'est moins la qualité scientifique d'une solution 

qui en impose l'application que sa répétition. À l'adresse de ses contradicteurs, 

et sur le terrain de la lutte pour l'autorité doctrinale, Ripert se place en 

situation de successeur de Gény (342) . Comme la Libre recherche avait tenté de 

discréditer les commentateurs du XIXème siècle, Ripert défend l'idée que les 

limites de la liberté scientifique des juristes sont posées par la nature stable du 

(339) On trouve pareillement cette idée chez Josserand qui livrera un Cours de droit civil positif. Pour M. le 

doyen CARBONNIER, cet intitulé est révélateur de ce que "la véritable positivité est non pas légale, mais 

jurisprudentielle. L'engouement pour la dernière jurisprudence remplace le culte du texte de loi", Droit civil, 

Introduction, 25ème éd., 1997, précité, [150], p.266 ; v. également D. FENOUILLET, "Étienne, Louis Josserand 

(1868-1941), RHFD. 1996, n°17, p.27 (p.39-40). 

(340) G. MORIN, "La décadence de l'autorité de la loi", Rev. de Métaph. et de Morale 1925, p.259. 

(341) G. RIPERT, Les forces créatrices du droit, 2ème éd., 1955, précité, p.14. 

(342) Les successeurs de Gény sont, en réalité, nombreux. On observe chez eux et malgré leur diversité, le désir 

de coordonner la permanence et la stabilité des solutions juridiques à une attitude résolument pragmatique qui 

commande de s'adapter aux changements de la société française. À l'instar de G. RENARD, qui, à travers une 

théorie de l'institution juridique, reprend le credo de la pureté des concepts juridiques durables : “L’institution 

juridique est une entité juridique qui a sa racine dans la personne, et qui pourtant la dépasse en durée, en 

continuité et en permanence” (La théorie de l’institution, essai d’ontologie juridique, Paris, Sirey, 1930, 

p.31) ; la doctrine montre sa fidélité à Gény en associant sécurité et justice. 

98

droit (343) . La controverse et l'innovation doctrinale sont des facteurs 

d'insécurité et de déclin dès lors que sont franchies ces limites. 

61. La pseudo-neutralité doctrinale - Le rôle que le doyen Ripert assigne à la 

doctrine peut paraître singulièrement réduit. Il proclame et annonce à 

plusieurs reprises l'effacement du rôle de la doctrine face à l'autorité de la 

Cour de cassation, en déclarant notamment que "nul professeur de la Faculté 

ne se permettrait aujourd'hui d'opposer sa doctrine personnelle aux arrêts de 

la Cour de cassation (344) ". Est-ce là la description d'une réalité ? On peut 

valablement en douter. Cette invitation à adhérer au dogme de la solution 

unique énoncée par la Cour de cassation permet à la doctrine de s'assurer sous 

un discours descriptif une force considérable. Si aucun auteur ne se permet 

aujourd'hui de mettre en avant ses propres idées, l'on ne peut douter de sa 

neutralité et de son objectivité lorsqu'il interprète une décision de la 

juridiction suprême. 

En apparence Ripert est loin de l'idée de Demogue écrivant : "L'instinct 

d'imitation fait prendre longtemps une solution comme la moins mauvaise, 

jusqu'au jour où un penseur, un esprit à première vue paradoxal, fait pénétrer 

dans le public une solution nouvelle, que répand l'instinct d'imitation (345) ". 

Alors que pour le premier la continuité du droit ne peut être assurée 

positivement que par la Cour de cassation, le second réfléchit sur les modes de 

transformations de droit positif et s'appuyant sur la sociologie de Gabriel de 

Tarde pour définir et comprendre les moments de l'évolution d'une théorie et 

des solutions, laisse penser que la doctrine exerce une influence décisive sur la 

détermination de la positivité des solutions. Ces deux discours mettent 

l'accent sur la tension du rapport entre l'interprète doctrinal et l'autorité 

normative reconnue à la jurisprudence. Demogue reconnaît 

qu'informellement des thèses doctrinales gagnent le droit positif, et qu'elles 

(343) G. RIPERT, Les forces créatrices du droit, 2ème éd., 1955, précité, p.19 : "Les oppositions doctrinales 

n'ont porté pendant longtemps que sur les méthodes d'interprétation et la valeur respective des sources du 

droit ; elles ne compromettaient en rien la conception commune à tous les juristes de la nature stable du droit" 

renvoyant à F. GENY, Méthode d'interprétation et sources en droit privé positif, tome 2, précité, n°139. 

(344) Cette invitation à adhérer au dogme de la solution unique prêtée à G. RIPERT, Préface à la table 

quinquennale du recueil des sommaires, p.1 [Référence introuvable], fut dénoncée par L. JOSSERAND dans un 

article resté célèbre par son titre "La doctrine contre la jurisprudence. Sur le problème de la responsabilité du 

fait des choses inanimées", DH 1931, p.69, dans lequel l'auteur montre que loin de clore une controverse 

l'arrêt des chambres réunies du 13 février 1930 avait mis le feu aux poudres doctrinales. Si aujourd'hui la 

doctrine admet que cet arrêt Jand'heur a établi définitivement le régime de la responsabilité générale du fait 

des choses, c'est par une sorte de contraction historique ; car la lecture des commentaires de l'époque montre 

combien âpre et long fut le débat. 


99

100 

s'affirment comme les bonnes solutions indépendamment de l'aval de 

l'autorité habilitée. Ripert prétend le contraire mais la neutralité qu'il 

revendique pour la doctrine "suiviste" lui assure une autorité du même ordre. 

Sa neutralité lui impose de rendre à la décision son véritable sens si celui-ci est 

malencontreusement obscur ou abscons. La doctrine est, au fond, devenue la 

sentinelle du droit prétorien. Son retrait est la source de son pouvoir. 

L'hommage rendu par Ripert à la continuité du Recueil Dalloz trahit cette 

pseudo-neutralité doctrinale. "À la mobilité du droit contemporain le Dalloz 

oppose la pérennité de son recueil, les rééditions de ces ouvrages. (…) jamais 

la publication n'a été interrompue. Dans la France occupée, la permanence du 

droit et la souveraineté française se sont affirmés par la continuité de notre 

oeuvre (…) Depuis plus d'un siècle c'est un des grands murs qui soutiennent 

l'ordre français. L'orgueil légitime de ceux qui le construisent tient au 

sentiment qu'ils maintiennent ainsi dans le monde la primauté de notre 

droit (346) ". 

Une autre réflexion du doyen Ripert montre dans quelle mesure la 

doctrine influence l'évolution du droit positif malgré ses prétentions à la 

neutralité. Répondant à Gaston Morin qui critiquait l'esprit conservateur des 

civilistes et leur reprochait leur incapacité à s'adapter, Ripert interrogeait : 

"Faut-il combattre ou supprimer l'ordre ancien ? Voilà encore une question 

préliminaire. On invite le juriste à combattre pour une transformation de la 

société. Or, cette transformation implique certaines conceptions, morales, 

religieuses, sociales, etc. Les juristes qui appuient l'évolution prennent parti, et 

précipitent cette évolution. De là une responsabilité qu'ils portent comme 

hommes de doctrine. Il faut donc nous dire pourquoi précipiter l'évolution. 

Car le juriste peut la retarder, aussi bien que la précipiter. Le juriste doit donc 

d'abord se prononcer lui-même. Pour lui reprocher son rôle conservateur, il 

faut d'abord établir que les doctrines qu'il défend sont mauvaises (347) ". 

L'engagement du juriste est ainsi source de transformation dès lors que 

s'affirme un parti pris ; mais le travail même d'analyse peut-il n'être que 

descriptif ? De manière explicite, Ripert aura refusé de suivre les invitations 

de Gény, Saleilles ou Demogue à se tourner vers la sociologie et les sciences 

sociales mais en affirmant le statut jurislatif et normatif de la jurisprudence, 

tous auront donné à la doctrine le pouvoir de choisir les décisions appelées à 

(346) G. RIPERT, in "Le Centenaire du Dalloz", D. 1950, chr. p.108. 

(347) G. RIPERT, in Discussion du rapport de M. G. Morin, "Le rôle de la doctrine dans l'élaboration du droit 

positif", précité, p.72.

101 

durer. D'une façon ou d'une autre, la doctrine se conçoit en vue de définir les 

conditions de la permanence, en usant du thème du désordre de la législation, 

en usant de la nature stable du droit ou de la certitude à atteindre. 

La révolution méthodologique n'eut qu'un succès fort mince, puisque 

parmi les grands auteurs de traités, seul Bonnecase (348) , continuateur du 

Baudry-Lacantinerie, peut être directement rattaché à Gény. Les autres furent 

sans doute libérés par l'École de la libre recherche mais l'on ne peut guère les 

considérer comme des disciples, bien qu'étant des émules. Ainsi très tôt notet-on 

la méfiance d'Ambroise Colin et Henri Capitant, à l'égard des nouvelles 

méthodes, qui affirment de manière polémique que leur ambition est de 

former des jurisconsultes plutôt que des sociologues (349) . En dépit des 

affrontements de tous ces auteurs sur les questions brûlantes, cette période 

inventive qui a consacré une hiérarchie des interprètes et a porté la Cour de 

cassation à son sommet, a permis à la doctrine d'exprimer toute sa force en lui 

permettant de réformer le droit de la responsabilité civile. Cette force, les 

auteurs la tirent du statut que leur accorde Adhémar Esmein : ils sont gardiens 

de la continuité du droit, maîtres de la coutume et de l'écriture de la science 

du droit. 

La différence fondamentale d'avec le statut de la doctrine au XIXème siècle 

vient de l'occultation de l'auctorialité de la doctrine au XXème jusqu'à la 

négation de son influence. Mais en retrait, devenue scientifique et neutre, 

abstraite et anonyme, elle s'impose comme raison pure ; son discours est 

gouverné par la seule rationalité logique et relègue la méthode controversiste 

parmi les raisonnements dépassés. Calqué sur celui du juge, l'anonymat de la 

doctrine rend le contenu de son discours neutre et son pouvoir "informel" 

légitime. N'étant pas une source, elle n'empiète pas formellement sur le 

terrain des autorités normatives. Les auteurs lui reconnaissent - en fait, se 

reconnaissent - pourtant une influence décisive. En préface des Grands arrêts 

de la jurisprudence civile, Henri Capitant affirme le rôle fondamental joué par 

la Cour de cassation dans l'émergence des solutions mais remarque aussi que 

"les juristes ont compris que leur mission consistait à étudier, à critiquer ce 

droit en formation, à le dégager de la masse des décisions où il se trouve 

(348) v. J. BONNECASE, Traité de droit commercial maritime, Paris, Sirey, 1922, p.3 : "L'auteur d'un traité a en 

effet commencé par subir l'enseignement des faits ; ce sont par conséquent des enseignements que sous la 

forme de solutions positives et directives, il s'efforce à son tour de répandre, des enseignements issus de 

l'union intime de la constatation de la réalité et de l'effort de la pensée appliqué à démêler cette réalité". 

(349) A. COLIN et H. CAPITANT, Cours élémentaire de droit civil français - tome 1er, précité, avant-propos, 

p.VI.

102 

enfoui comme le minerai dans le sol, à la mettre au jour, à le dépouiller de ses 

scories, en un mot à le systématiser. C'est à eux, en effet, qu'incombe cette 

mission de découverte, de direction et de redressement (350) ". La neutralité de 

la doctrine est bien un leurre ; les auteurs ne conçoivent le sens et la portée 

des décisions qu'à partir de la force qu'ils leur donneront. La jurisprudence est 

certes source de droit, mais sans le dire, en toute neutralité, la doctrine fait la 

jurisprudence. 

62. L'échec de la libre recherche ? - Dira-t-on que Gény, Saleilles et Esmein 

auront échoué dans leur entreprise de rénovation des méthodes de la 

doctrine ? Il est désormais acquis que la connaissance du droit passe 

nécessairement par la consultation des recueils de jurisprudence et "cela 

suppose d'ailleurs une étude critique des arrêts les plus importants, surtout 

ceux de la Cour de cassation rendus sur la question, étude qui consiste non 

seulement à lire ces arrêts, leur dispositif et leurs motifs, mais à en dégager la 

solution compte tenu des éléments de fait qui ont pu donner à la cause un 

aspect particulier (351) ". La reconnaissance d'un rôle créateur à la doctrine reste 

par contre tapie dans l'ombre de sa neutralité. Peut-être y avait-il trop "loin de 

l’habilité de l’interprétation à l’admission d’un pouvoir créateur, de la 

hardiesse de la technique à l’affirmation d’un “ droit libre ” (352) ?". 

Les raisons de l'avènement du dogme de la solution unique nous paraissent 

intimement liées à cet esprit de légalité qui agit comme contrepoint des 

tentatives de rénovation. Les thèses de Gény en étaient porteuses, il fut 

développé grâce à l'influence de Ripert sous l'image de la Cour de cassation. 

Comme le suggère M. le doyen Carbonnier, en prenant la norme juridique 

comme objet, les théoriciens du XXème siècle n'ont tous fait qu'ajouter des 

objets au culte des sources du droit (353) et ont ainsi développé une telle 

autocensure qu'ayant poussé les arrêts à un rang quasi-législatif, la doctrine 

(350) 

H. CAPITANT, préface pour Les grands arrêts de la jurisprudence civile, Paris, Sirey, 1934. 

(351) 

L. JULLIOT DE LA MORANDIERE, Traité de droit civil de A. Colin et H. Capitant, tome 1er, Paris, Dalloz 

1957, p.177. 

(352) 

G. RIPERT, Les forces créatrices du droit, 2ème éd., 1955, précité, p.12. 

(353) 

J. CARBONNIER, Flexible droit, Paris, LGDJ, 8ème éd., 1995, p.96 : "L'esprit de légalité qui devait 

marquer le XIXème siècle libéral (…) n'a pas peu contribué à faire regarder la règle de droit comme le plus 

essentiel des phénomènes juridiques : par son impersonnalité comme son immutabilité de principe, n'est-elle 

pas la garantie spécifique de la liberté, de l'égalité et de la sécurité que le droit a pour fonction de 

sauvegarder ? À la loi, donc à la règle, l'École de l'exégèse rendit on sait trop quel culte. Mais dans la doctrine 

civiliste rénovée par Gény, la position n'est pas très différente - à ceci près qu'à côté de la règle légale, d'autres 

règles (la coutume, la jurisprudence) ont été admises à figurer".

103 

"les a mis elle-même hors de la portée de ses flèches (354) ". Par un effet de 

balancier, la doctrine qui travaillera après guerre, redorera le blason de la loi 

et libérera partiellement la critique doctrinale du culte du précédent. 

Avec l'École de la libre recherche au début du siècle, puis avec Ripert, 

Capitant, Josserand et tant d'autres, les années d'entre-deux-guerres ont donné 

à la Cour de cassation le statut d'interprète autorisé. L'après-guerre et son 

instabilité politique vont renforcer le sentiment que la permanence et la 

continuité du droit sont préservées par l'activité régulatrice de la Cour 

suprême. Mais les années cinquante et soixante annoncent une nouvelle ère ; 

le temps de la redécouverte de l'intention du législateur, un législateur issu 

pour les grandes réformes des rangs de la doctrine universitaire : c'est le temps 

des autorités qui restitue sa force à la norme législative et rétablit une égalité 

des interprètes en encourageant l'exégèse des nouveaux textes, l'utilisation de 

la sociologie et des sciences sociales et la réflexion sur une cohérence 

transnationale pour permettre l'émergence d'un droit commun pour l'Europe. 

D'un point de vue théorique, c'est clairement le passage d'un affrontement des 

théories jusnaturalistes et normativistes à une préhension plus réaliste des 

phénomènes juridiques. 

Section 2 

La rénovation de l'intention du législateur. 

63. Mise au point - Si nous avons largement décrit le dogme de la solution 

unique avec les mots de Ripert, son oeuvre s'éclaire rétrospectivement d'une 

réflexion faite par M. le conseiller J. Léonnet, directeur des services de 

documentations et études de la Cour de cassation, décrivant les méthodes de 

sélection et de publication des arrêts des années quarante à nos jours. "Il fallait 

alors beaucoup publier pour fixer la doctrine de la Cour … Avec les années 

cette publication intensive ne cessa de diminuer. Autocensure volontaire, car 

la jurisprudence une fois solidement établie, il convenait de ne publier que 

l'essentiel de la jurisprudence présentant un caractère doctrinal (355) ". Le 

(354) J. CARBONNIER, "Notes sous des notes d'arrêts", D. 1970, chr. p.138. 

(355) J. LEONNET, Allocution prononcée lors de l'audience solennelle de rentrée de la Cour de cassation, le 12 

janvier 1996, Rapport de la Cour de cassation 1995, p.46-47. Comparer les chiffres n'est pas inutile. En 1949, 

sur 3660 décisions rendues par les trois chambres civiles, 1904 sont publiées. En 1994, sur 24650 arrêts

104 

changement de perception du rôle de la Cour de cassation est sensible. Pour 

Ripert et ses contemporains, c'est la répétition puis la coutume qui en émerge, 

qui légitiment la permanence de la solution. On rencontre aujourd'hui un 

autre discours. Un seul arrêt permet maintenant de créer une jurisprudence 

constante (356) . La fixité est obtenue plus sûrement grâce au pouvoir de 

l'assemblée plénière de mettre fin aux controverses, y compris doctrinales. 

Elles ne sont pourtant pas faciles à éradiquer. La Cour de cassation doit donc 

disposer des moyens d'asseoir son pouvoir sur l'ensemble des juristes de 

manière à imposer ses interprétations. La contestation de paternité légitime et 

l'application de l'article 334-9 du Code civil ont donné lieu à de pénibles 

querelles "avant que la Cour de cassation n'en retienne l'interprétation dite "a 

contrario", unanimement admise aujourd'hui en jurisprudence et devant 

laquelle la doctrine s'est inclinée (357) ". 

Il est patent que la mission de la Cour de cassation n'est plus celle d'un 

contre-pouvoir face à l'arbitraire du législateur comme la concevait Ripert. 

Les magistrats et professeurs qui participent à la voix doctrinale de la Cour de 

cassation, livrent le plus souvent un discours où l'unité de la solution poursuit 

un dessein politique. Réformer sans légiférer, en posant des règles générales 

qui s'imposeront aux juridictions du fond devant lesquelles les autres autorités 

devront s'incliner (358) . En toutes hypothèses, l'euphémisme est de rigueur (359) . 

Ces arrêts ne s'imposent pas par la règle posée qui reste critiquable le cas 

échéant, mais parce qu'ils ont rallié un point de vue doctrinal unanime hors 

duquel toutes les opinions sont hérétiques. L'unité du savoir est construite par 

élimination des controverses ou plutôt par négation des difficultés (360) . En 

cinquante années, alors que les théoriciens du droit - français et belges - se 

sont considérablement orientés vers des perspectives réalistes de 

rendus, 15474 sont jugés utiles et peuvent être diffusés, mais 2038 sont publiés, et seulement 1614 provenantt 

des cinq chambres civiles. 

(356) Ph. MALINVAUD, Introduction à l'étude du droit, Paris, Litec, 7ème éd., 1995, p.49 ; mais déjà G. RIPERT, 

Les forces créatrices du droit, 2ème éd., 1955, précité, p.381. 

(357) J. MASSIP, obs. sur Cass. civ. 1ère, 4 mai 1994, Defrénois 1994, p.1442 ; comp. Ph. CONTE, "L'arbitraire 

judiciaire : chronique d'humeur", JCP 1988.I.3343, n°13 : l'interprétation a contrario "a permis le saccage 

sans précédent du droit de la filiation". 

(358) Il est ainsi admis qu'avec l'arrêt Besse de l'Assemblée plénière du 12 juillet 1991, "toutes les chambres de 

la Cour de cassation se sont inclinées", A. BENABENT, Droit civil, Les obligations, Paris, Montchrestien, 6ème 

éd., 1997, n°264, p.173. 

(359) Voir J.-L. SOURIOUX et P. LERAT, "L'euphémisme dans la législation récente", D. 1983, chr., p.221. 

L'effet d'euphémisation produit la déréalisation des problèmes juridiques ; le contenu sémantique et politique 

des règles est alors évincé au profit d'une approche "strictement juridique". Quand ce légalisme conduit à 

l'insoutenable, v. D. LOCHAK, "La neutralité de la dogmatique juridique : mythe ou réalité ?" in P. AMSELEK 

(dir.), Théorie du droit et science, Paris, LGDJ, 1994, p.298. 

(360) A. JEAMMAUD, Des oppositions de normes en droit privé interne, Thèse Lyon, 1975, p.39.

105 

l'interprétation (361) qui font de l'aveu de complexité et de l'antiréductionnisme 

leur cheval de bataille, la doctrine dominante a abandonné 

progressivement une partie de son influence critique au profit d'un discours 

favorable aux décisions de la Cour de cassation. Certes, il y eut des 

controverses tenaces d'où ont émergé des conceptions doctrinales, mais en 

règle générale, l'écart s'est creusé entre la part du recensement et la part de la 

critique. L'enregistrement des décisions s'est substitué à l'analyse. 

Naturellement, la doctrine demeure hétérogène, elle ne se réduit ni aux 

opinions dominantes, ni aux opinions consacrées, ni aux opinions autorisées. 

C'est pourquoi, en dehors des tentations suivistes, des auteurs ont oeuvré pour 

un nouveau souffle doctrinal. La doctrine avait besoin de se ressourcer, ils 

retournèrent aux orateurs de la Révolution, à Portalis, ou aux écrivains de la 

Thémis, auxquels fut dédiée une prestigieuse collection d'ouvrages (362) . 

D'autres cherchèrent chez Aristote et Saint Thomas d'Aquin les raisons de 

croire que la théorie du droit n'était pas ensevelie sous la solution unique, 

d'autres enfin, suivant les pas de Gény, regardèrent le droit sous son rapport 

avec les théories de la connaissance. Plus rares, en droit privé, sont les auteurs 

à avoir utilisé les positivistes anglo-américains. Malgré la diversité des 

perspectives philosophiques à sa disposition, la doctrine française semble 

rechercher encore sa propre légitimité scientifique dans la continuité du droit 

privé. 

64. Continuité ? - La doctrine universitaire et la magistrature ne sortent pas 

indemnes de la période vichyste. Les auteurs que rattrape le spectre d'une 

épuration anachronique ne parviennent pas à faire disparaître la tache des 

écrits de jeunesse. Ceux qui se défendent d'avoir jamais collaboré se réfugient 

derrière la neutralité politique de la doctrine et du droit (363) . Or il se trouve 

que la neutralité de la doctrine est un concept bienvenu après guerre pour 

légitimer à travers la survivance des institutions et leurs mutations, la 

(361) La théorie du droit s'est rapprochée ainsi de la sociologie, de l'anthropologie, de la linguistique ou encore 

de la philosophie du langage faisant du droit un objet interdisciplinaire. La revue Droit et société ou la Revue 

interdiciplinaire d'études juridiques font écho à ce mouvement. Voir également M. VAN DE KERCHOVE (dir.), 

L'interprétation en droit, approche interdisciplinaire, Bruxelles, FUSL, 1978 ; adde, D. DE BECHILLON, 

"L'ordre de la hiérarchie des normes et la théorie réaliste de l'interprétation", RRJ 1994, p.247 ; M. TROPER, 

"À propos de la théorie réaliste de l'interprétation. Réplique à D. de Béchillon", RRJ 1994, p.267. 

(362) M. le doyen Carbonnier et les fondateurs de la collection Thémis aux presses universitaires de France 

concevaient le titre de la collection comme une invocation à la revue du siècle dernier. Voir. J. CARBONNIER, 

Droit civil, Introduction, 25ème éd., 1997, précité, [152], p.270. 

(363) D. LOCHAK, "Écrire, se taire… Réflexions sur l'attitude de la doctrine française", in "Le droit antisémite 

de Vichy", Le genre humain, Été-Automne 1996, Paris, Seuil, p.433.

106 

permanence des hommes. Sans doute, les partisans et les résistants auront-ils 

une légitimité plus grande pour prendre en mains les destinées politiques de 

l'université, mais la continuité temporelle de l'ordre juridique français, une 

fois les lois racistes abrogées, retrouve son sillon tracé pendant la IIIème 

République. On pourra ainsi penser que la neutralité du Planiol et Ripert a 

sauvé Georges Ripert, doyen de la faculté de droit de Paris en 1943 et 

secrétaire d'État du gouvernement vichyste en 1940 (364) . Les méthodologies 

(pseudo)positivistes publiées après guerre commandent à la doctrine de ne pas 

avoir un rôle passif ; elle ne doit pas "se borner à enregistrer les oscillations de 

la jurisprudence (365) ". La nécessité d'une mise en ordre du droit et de la 

jurisprudence dicte donc à l'interprète l'obligation de mettre en lumière les 

"principes immuables appelés à dominer la réalisation du droit (366) ". 

Déterminer les principes universels du droit pour la France d'aujourd'hui et 

l'Europe de demain, telle est la sommaire ambition de la doctrine 

contemporaine (367) . 

65. Nouvel équilibre - La reconstruction de l'Europe et la naissance d'une 

communauté politique européenne, la bipolarisation des rapports Est-Ouest 

après les décolonisations ramènent en quelque sorte le discours juridique au 

point de départ de notre historique. Les Deux Géants qui se partagent le 

monde condamnent la pensée politique à se radicaliser. En France, l'instabilité 

politique de la IVème République ne va rien arranger ; les juristes 

conservateurs, toujours en quête de stabilité, s'en remettent à l'autorité de la 

Cour de cassation et dénoncent le "confusionnisme intellectuel et moral" qui 

naît de la controverse (368) . Le savoir juridique est hypothético-déductif et la 

subsomption doit garantir le rejet des ambiguïtés et l'affirmation de principes 

permanents ; ils s'érigent contre le déclin du droit législatif. 

La remise en ordre du droit est encore l'enjeu du discours doctrinal qui va 

dominer les années cinquante. Sa formulation cependant renouvelée intègre la 

dimension temporelle à l'approche historique et invite les sources du droit à 

(364) 

A.-F. ROBERT-PRECLOUX, "Qu'enseignait-on à la faculté de droit de Paris ?" in "Le droit antisémite de 

Vichy", Le genre humain, Été-Automne 1996, Paris, Seuil, p.413. 

(365) 

H. MOTULSKY, Principes d'une réalisation méthodique du droit privé, Paris, Dalloz, 1948, rééd. 1991, 

n°126, p.141. 

(366) 

H. MOTULSKY, Principes d'une réalisation méthodique du droit privé, précité, n°141, p.161. 

(367) 

comp. C. LARROUMET, "La valeur des principes d'Unidroit applicables aux contrats de commerce 

international", JCP 1997.I.4011 ; adde, J. BONNECASE, Traité de droit commercial maritime, précité, p.13 à 

propos de l'unification du droit international maritime, qui selon lui, relevait d'une foi mystique. 

(368) 

J. BELIN-MILLERON, "La logique au prétoire est une éthique", D. 1954, chr. p.127 (p.129).

107 

réfléchir sur l'accélération de l'histoire (369) . Cette invitation ne s'adresse pas à 

la seule autorité de la Cour de cassation. L'infléchissement sociologique donné 

à la théorie du droit depuis le début du XXème siècle gagne les sphères de 

l'élaboration du droit législatif. L'idée pénètre lentement que la rénovation des 

codes sera plus sûre si elle résulte d'une pensée systématique et structuraliste 

plutôt que d'une lente élaboration prétorienne. Des auteurs dénoncent 

"l'incertitude congénitale propre à la jurisprudence d'aujourd'hui (…) qui 

cesse d'être anonyme, collective et permanente (370) ". La césure est importante 

entre les auteurs nés avec le siècle pour qui l'oeuvre prétorienne donne malgré 

tout la solution juste et les auteurs de l'après-guerre pour qui la résolution des 

problèmes juridiques passe nécessairement ou le plus souvent par le 

traitement global des questions, comme si le législateur détenait un pouvoir 

doctrinal, un pouvoir de définition. 

Cette période marque l'avènement de jurisconsultes universitaires qui, de 

sensibilités différentes et donc de manière différente, vont réhabiliter la 

loi (371) : au coeur de cette remise en ordre du droit législatif, un professeur de 

droit qui deviendra Garde des sceaux, M. Jean Foyer. La génération gaulienne 

va constituer ainsi une période où les pratiques exégétiques contribueront à 

rénover l'intention du législateur, le temps d'une parenthèse. 

PARAGRAPHE 1. LE TEMPS D'UNE NOUVELLE EXEGESE DE LA LOI (372) . 

66. La génération gaullienne - Au début des années soixante, l'on peut opposer 

deux grands courants doctrinaux. Il y a les auteurs qui ont participé aux 

grands débats sur la responsabilité civile et qui ont réussi, grâce au rôle qu'ils 

ont donné à la Cour de cassation, à réformer en profondeur le droit français 

des obligations. Ceux-là sont, dans les années cinquante, généralement 

hostiles à des réformes législatives globales qui réduiraient l'étendue du 

pouvoir normatif de la jurisprudence au motif principal que la qualité des lois 

déclinant, il serait imprudent de laisser à un législateur versatile le pouvoir de 

réformer le droit privé. Incapable d'avoir une vision d'ensemble de l'ordre 

(369) 

R. SAVATIER, Les métamorphoses économiques et sociales du droit civil d'aujourd'hui, première série, 

Paris, Dalloz, 3ème éd., 1964, p.14. 

(370) 

Ph. MALAURIE, "La jurisprudence combattue par la loi", Mélanges Savatier, Paris, Dalloz, 1965, p.603. 

(371) 

J. CARBONNIER, Essais sur les lois, Paris, Répertoire du Notariat Defrénois, 1979, p.284 : "L'éloge de la 

loi n'est plus à faire ; on a pourtant besoin qu'il soit fait". 

(372) 

G. CORNU, L'apport des réformes récentes du Code civil à la théorie générale du droit civil, Cours de 

DES, 1970-1971, Paris, Les cours de droit, 1971, p.162.

108 

juridique, ce législateur partial et de circonstance ne serait bon qu'à permettre 

l'éclatement du droit commun. Le thème récurrent du déclin du droit tient 

encore le haut du débat théorique à dessein de préserver le rôle unificateur de 

la Cour de cassation, gardienne de la continuité de l'ordre juridique, gardienne 

de la loi et juge du législateur. Cette vision du droit se manifeste par une 

attitude résolument hostile à la reconnaissance de l'idée que le progrès naît de 

la controverse. Mais à ceux qui avec Ripert affirmeraient que rien ne naît du 

désordre (373) , M. le doyen Carbonnier répond que par nature, "seule la 

discussion est féconde, parce que, seule, elle permet de faire sortir de la loi ou 

de la sentence, les contraires dont elles ne sont que le provisoire repos (374) ". 

Cette division de la doctrine française toujours répétée depuis deux siècles, 

peut-être culturelle, peut-être naturelle, montre comment les questions se 

déplacent en fonction des tentations conservatrices des uns et des tentatives 

rénovatrices des autres. À l'image de Saleilles, la doctrine du premier tiers du 

XXème siècle aura été non-conformiste dans une période inventive. Pour leur 

part, les auteurs d'entre-deux guerres furent aux prises avec des tensions 

politiques qu'il est difficile d'expliquer et plus encore de juger, mais ils 

fouillèrent les pistes lancées par leurs prédécesseurs pour assurer la 

transformation prétorienne du droit privé. Après 1945, toujours inventive, la 

doctrine fut cependant plus conformiste, peut-être pour assurer le contrepoids 

des législations d'inspiration révolutionnaire. L'instabilité institutionnelle de 

la IVème république plaçait la doctrine en situation de critiquer le pouvoir 

législatif mais aussi l'obligeait à concevoir un avenir. Savatier nuance ainsi 

l'utilisation doctrinale du déclin du droit, pour affirmer que "toutes les fois 

qu’une civilisation se transforme, on assiste donc, non à un déclin, mais à une 

crise du droit. Celui-ci se cherche dans des ébauches d’abord informes. D’une 

part, à cette époque de transition, une législation jeune, faite de slogans et de 

programmes n’est pas encore du droit. D‘autre part, une législation vieillie, 

sclérosée à la même époque dans l’abondance des règlements minutieux et 

inobservés n’est déjà plus du droit. Il faut construire un droit permettant de 

fournir une norme à l’accélération de l’histoire (375) ". Nul doute que pour 

Savatier la doctrine en charge de cette construction progresse par la 

controverse et l'échange. Les longues années de la chronique de droit des 

(373) G. RIPERT, "Bilan d'un demi-siècle de vie juridique", D. 1950, chr. p.1. 

(374) J. CARBONNIER, "Le silence et la gloire", D. 1951, chr., p.120. 

(375) R. SAVATIER, Les métamorphoses économiques et sociales du droit civil d'aujourd'hui, première série, 

3ème éd., 1964, précité, p.18-19.

109 

successions qu'il tint à la Revue trimestrielle de droit civil, témoignent du 

caractère inlassablement controversiste de l'auteur, toujours prêt à condamner 

l'opinion d'un collègue ou plus fermement encore une solution édictée par la 

Cour de cassation jusqu'à obtenir gain de cause (376) . Il reste que la rhétorique 

du déclin était majoritaire. 

67. Le déclin d'hier et d'aujourd'hui - En 1950, H. Solus craignait du législateur 

trop prompt à satisfaire des intérêts catégoriels qu'il ne condamne le droit et la 

science juridique à la déraison. "Le droit, écrivait-il, comme toute science et 

toute technique, repose, en effet, sur des principes. Renier ceux-ci, en 

mépriser le bien-fondé et la force, c'est du même coup ruiner l'efficacité et la 

solidité du droit : c'est provoquer la mort du droit. (…) L'expérience démontre 

en effet que les solutions hérétiques édictées par le droit positif en violation 

des principes et donc, - c'est là qu'est le danger et il importe d'y réfléchir, - en 

méconnaissance des raisons profondes qui justifient ces principes, se révèlent 

à l'usage toujours défectueuses (377) ". Le discours de la doctrine contemporaine 

montre toujours cet attachement conservateur, comme autarcique, à un bloc 

de connaissances monolithe et rejette l'immixtion dans le savoir juridique 

d'idées issues de savoirs extérieurs. Le déclin du droit et sa dénaturation 

guettent toujours. "Les logiques juridiques elles-mêmes, qui paraissaient 

établies de toute éternité, définitivement et universellement, sur les principes 

de hiérarchie, de non-contradiction, de déduction, de continuité, de causalité, 

de réduction à l'unité, et qui semblaient intrinsèquement reposer sur les 

concepts de normes institutives, prescriptives ou prohibitives, ne basculentelles 

depuis quelques temps dans les eaux douteuses de la semi-impérativité, 

de la flexibilité, de la discontinuité, des hiérarchies alternatives, pour sombrer 

dans le monde incertain de l'optatif, des normes molles, prospectives, floues 

expérimentales ? (378) ". Aujourd'hui le déclin de la loi (379) , demain le déclin du 

droit tout entier. Dans un article récent, M. le professeur Langlois attirait 

(376) 

par exemple R. SAVATIER, obs. à la RTD civ. 1960, p.693, à propos de la reconnaissance par la Cour de 

cassation de la validité d'un pacte tontinier, l'auteur trouve récompense de ses efforts critiques après avoir 

"souvent protesté contre l'extension donnée volontiers par la Cour de cassation à l'interdiction des pactes sur 

successions futures". 

(377) 

H. SOLUS, "Le statut hérétique des Tribunaux paritaires de baux ruraux", D. 1950, chr. p.153 ; rappr. de 

G. RIPERT qui compte parmi les facteurs de déclin la création de juridictions d'exception, Le déclin du droit, 

précité, p.184. 

(378) 

Et. PICARD, "“Science du droit” ou “doctrine juridique”", Mélanges R. Drago, Paris, Économica, 1996, 

p.119. 

(379) 

Sur le déclin du principe de légalité en matière criminelle, v. R. KOERING-JOULIN, "De l'art de faire 

l'économie d'une loi", D. 1990, chr., p.187.

110 

encore l'attention sur le rôle que s'arrogeait la chambre sociale de la Cour de 

cassation, du fait de l'inconstance avérée de la législation du travail (380) . La 

dérive consisterait en fait en ce qu'au lieu de raisonner de manière 

téléologique en recherchant le but de la loi et la volonté du législateur, la 

Cour de cassation, comme démunie face aux changements de majorité 

politique, se raccrocherait à la lettre défectueuse des textes plutôt qu'à leur 

esprit évanoui. Le droit se déliterait donc et si, plus qu'ailleurs, le flou, 

l'ambiguïté et l'incertitude trouvaient en droit social une terre d'élection, le 

danger guetterait l'ensemble du savoir juridique. Devenue sans esprit, la loi 

laisserait prospérer "une jurisprudence aléatoire où sombre la sécurité 

juridique, sans parler de la cohérence du droit qu’on n’ose même plus 

revendiquer comme critère de pertinence, d’efficacité et d’esthétique 

juridique (381) ". 

68. Fonction rhétorique du déclin - Le déclin du droit, thème apparemment 

nostalgique d'une cohérence et d'un esthétisme juridique très mythologiques, 

est un outil doctrinal. On peut s'interroger avec M. le professeur Jestaz pour 

qui les prophéties du déclin contribueraient à le créer, comme par effet 

performatif (382) . Mais ce discours, montrant les formes du déclin, 

s'accompagne toujours d'un appel à la remise en ordre du droit. Ainsi sous 

couvert d'un appel à la préservation des valeurs passées, les jurisconsultes 

reprennent à leur compte la réflexion sur les concepts en devenir. Le rappel de 

la continuité, qui exprime le plus souvent une oeuvre de reconstruction 

historique des solutions, permet de rétablir un sens aux éléments d'un débat 

embrouillé de considérations politiques. En dénonçant le déclin de la loi, la 

doctrine attire à elle la réflexion sur le danger représenté par le gouvernement 

des juges et l'on dira alors qu'elle remplit son rôle de rempart contre 

l'arbitraire (383) . Dans tous les cas, sa tradition, sa neutralité, son expérience 

font que "l’appréciation du droit positif est dévolue sans partage à la doctrine, 

sans nul carcan. Pour elle, aucune règle, aucune théorie, n’a de vertu en soi : 

(380) Ph. LANGLOIS, "La Cour de cassation et le respect de la loi", D. 1997, chr., p.45. 

(381) D. R. MARTIN, note sous Cass. com., 21 mai 1996, D. 1997, p.106. 

(382) Ph. JESTAZ, "Déclin de la doctrine ?", précité, p.96 ; comp. C. ATIAS, "La mission de la doctrine 

universitaire en droit privé", JCP 1980.I.2999, n°6 ; adde, B. OPPETIT, "Les tendances régressives dans 

l'évolution du droit", Mélanges D. Holleaux, Paris, Litec, 1990, p.317 et B. OPPETIT, "L'hypothèse du déclin 

du droit", Droits-04, p.9. 

(383) A. PERROT, "La doctrine et l'hypothèse du déclin du droit", in A. BERNARD et Y. POIRMEUR (dir.), La 

doctrine juridique, Paris, PUF, publ. CURRAP - CHDRIP, 1993, p.181. L'auteur recense les situations dans 

lesquelles la doctrine française joue de la rhétorique du déclin comme un instrument.

111 

son champ de discernement est infini (384) ". Les années soixante resteront dans 

cette mesure une période durant laquelle la doctrine universitaire fut à 

l'origine des réformes législatives qui auront abouti (385) . 

69. Les réformes nécessaires - La doctrine d'après-guerre a ainsi poursuivi les 

débats théoriques entamés dans les années trente. La doctrine a changé, soit 

que les auteurs ne sont plus les mêmes, soit qu'ils ont évolué. Un certain 

nombre de débats sur la responsabilité générale du fait des choses paraissent 

clos ; les controverses sur la nature des personnes morales vont bientôt se 

taire. En fait les questions se déplacent (386) . Les tensions politiques touchent le 

droit des personnes, le droit patrimonial de la famille, le droit des sociétés et 

des procédures collectives. La révolte des faits contre le Code dont Gaston 

Morin avait élaboré la description en 1920 (387) gagne désormais l'ensemble de 

la société française. 

Plus mythologique que jamais, l'accès à la science du droit est promis au 

justiciable ; plus démagogique que jamais, l'accès à la justice est promis à tous. 

Mais peu importe finalement ce que l'on croit être l'adaptation du droit au 

fait, les réformateurs des années soixante ne lient pas forcément l'efficacité de 

la rénovation des codes aux pratiques existantes, ils tentent d'anticiper sur 

l'avenir pour l'infléchir. L'appel à la sociologie qui s'était généralisé dans les 

années cinquante (388) , trouve un écho suffisant pour l'élaboration 

législative (389) . C'est une parenthèse qui s'ouvre dans l'histoire récente de la 

doctrine puisqu'avec le succès des codifications réapparaît l'intention du 

législateur rationnel, capable de systématiser par voie de dispositions générales 

la rénovation du droit civil, du droit des sociétés, de la faillite, de la procédure 

civile. Bien sûr la jurisprudence a réformé le droit de la responsabilité 

(384) Ph. LE TOURNEAU, "La plume professorale est libre", D. 1995, chr., p.273. 

(385) Auparavant v. L. JULLIOT DE LA MORANDIERE, "La réforme du Code civil", D. 1948, chr. p.117 et Les 

Travaux de la commission de réforme du Code civil emmenés par L. JULLIOT DE LA MORANDIERE, Paris, 

Sirey, tome 1, 1946, tome 2, 1948. 

(386) Sur la personnalité juridique de la famille, v. R. SAVATIER, Les métamorphoses économiques et sociales 

du droit civil d'aujourd'hui, première série, 3ème éd., 1964, précité, n°125, p.153. 

(387) G. MORIN, La révolte des faits contre le Code, Paris, B. Grasset, 1920. 

(388) J. BRETHE DE LA GRESSAYE, "De la connaissance pratique du droit et ses difficultés", D. 1952, chr. p.89 ; 

P. DURAND, "La connaissance du phénomène juridique et les tâches de la doctrine moderne du droit privé", 

D. 1956, chr. p.75 : "Les signes se multiplient de l'importance que la doctrine moderne entend attacher à cette 

connaissance des faits juridico-sociaux : une indispensable sociologie devra compléter la pure théorie 

juridique". 

(389) L. SEBAG, "La méthode quantitative en droit civil et la réforme des régimes matrimoniaux", D. 1963, chr. 

p.203 ; F. TERRE, "La signification sociologique de la réforme des régimes matrimoniaux", L'année 

sociologique 1965, p.5.

112 

contractuelle et délictuelle depuis les années trente et des réformettes 

législatives, au demeurant nombreuses, ont effleuré le Code civil - M. le doyen 

Cornu en compte soixante et un entre 1938 et 1963 (390) - mais cette 

"abondance de transformations formelles doit être énergiquement repoussée 

comme critère de rénovation (391) . La permanence de la lettre du Code civil n'a 

pas empêché cependant la transformation du droit privé (392) . En se 

développant hors du Code par des lois extérieures propres à des matières 

particulières ou de l'intérieur grâce à l'oeuvre prétorienne, le droit civil et sa 

rénovation apparaissent trompeusement immobiles. Ainsi, alors que la 

vocation permanente du Code est de guider le législateur "par l'espèce 

d'usufruit qu'il a de la jurisprudence" pour "recueillir les fruits les mieux 

venus", arrive un moment où "le décalage mérite d'être réduit, non seulement 

entre le Code et les lois postérieures, mais entre le Code et les formations 

prétoriennes les mieux élaborées, par voie d'incorporation au texte de la loi. 

Sinon de trop vastes écarts risquent de s'établir entre la permanence toute 

formelle des textes et l'évolution réelle du droit" (393) . 

Encore une fois la doctrine avance la nécessité d'une remise en ordre du 

droit pour organiser la rationalisation et la systématisation de la législation, et 

le mouvement de codification des années soixante va, par son succès, rendre 

aux faiseurs de système une autorité scientifique qui prétendument faiblissait. 

En fait, cette période de codification réinvente l'intention du législateur, 

redécouvre les travaux préparatoires (394) et réoriente les méthodes doctrinales 

vers une nouvelle exégèse. De l'opinion de R. Savatier, la jurisprudence était 

entrée dans une phase nouvelle où sa puissance serait moins exclusive (395) . 

Cela ne durera que le temps d'une parenthèse. 

(390) 

G. CORNU, "La lettre du Code à l'épreuve du temps", Mélanges Savatier, Paris, Dalloz, 1965, p.157. 

(391) 

G. CORNU, "La lettre du Code à l'épreuve du temps", précité, p.163. 

(392) 

R. SAVATIER, Les métamorphoses économiques et sociales du droit privé d'aujourd'hui, seconde série, 

Paris, Dalloz, 1959, n°8, p.14-15. 

(393) 

G. CORNU, "La lettre du Code à l'épreuve du temps", précité, p.166. 

(394) 

J.-F. COUDERC, "Les travaux préparatoires de la loi ou la remontée des enfers", D. 1975, chr., p.249 ; 

comp. H. CAPITANT, "L'interprétation des lois d'après les travaux préparatoires", DH 1935, p.77 qui affirmait 

alors que les méthodes d'interprétation devaient se passer du recours aux travaux préparatoires tout 

simplement parce qu'il était impossible de reconstituer la volonté collective d'une assemblée. L'auteur vantait 

“ la conception anglaise ” de l'interprétation considérant qu'elle augmentait l'autorité des juges et "la fixité du 

droit, garantie pour le justiciable", (p.80). 

(395) 

Opinion de René SAVATIER, "Observations sur les modes contemporains de formation du droit positif", 

Mélanges J. Dabin, tome 1, Paris, Sirey, 1963, p.293, relayée par J. CARBONNIER, "Notes sous des notes 

d'arrêts", D. 1970, chr., p.138.

113 

70. Des autorités interprétatives concurrentes - Il apparaît ainsi que les causes 

de l'insécurité sont moins à rechercher dans l'intervention du législateur que 

dans les caractères de l'oeuvre jurisprudentielle. Alors que G. Ripert rendait 

les législations contemporaines responsables de l'insécurité et du déclin du 

droit (396) , la doctrine des années soixante va restaurer une certaine égalité 

entre les interprètes par voie d'argument (397) . Le vocable utilisé est néanmoins 

terre de confusion. 

Rappelons qu'au début du XIXème siècle, la jurisprudence et les 

jurisconsultes étaient ensemble interprètes doctrinaux face au seul interprète 

par voie d'autorité qu'était le législateur. 

Ce dernier est ensuite devenu une "source", accompagné plus tard par la 

jurisprudence. Les thèses de M. le doyen Carbonnier ont restauré le législateur 

comme seule source formelle et les interprètes sont devenus des 

"autorités" (398) . Leur pouvoir de contrainte n'étant que moral, leur autorité, 

même grande, n'est pas source de droit. "On aura beau dans une 

jurisprudence, entasser les jugements couche par couche, on n'aura jamais que 

des solutions particulières sans rayonnement au dehors, des 

accommodements, des arrangements de conflits individuels. Même les arrêts 

solennels des Chambres réunies, même les arrêts rendus par l'assemblée 

plénière sont des jugements à autorité relative (399) ". M. le 

professeur Carbonnier justifie ce déclassement - ou ce reclassement - de la 

jurisprudence par ses pathologies ou plus exactement ses infirmités (400) : sa 

lenteur, ses incertitudes, son insécurité et son impuissance à faire de véritables 

réformes. Elle ne perçoit la réalité juridique que par le petit bout de la 

lorgnette, "au filtre des procès. Or toutes les relations juridiques ne donnent 

pas lieu à procès". L'approche sociologique du droit permet de redistribuer les 

(396) G. RIPERT, "Le bilan d'un demi-siècle de vie juridique", D. 1950, chr. p.4. 

(397) G. CORNU, "Aperçu de la pensée juridique contemporaine", Annales Université Poitiers, 1960, p.15. 

(398) Il faut noter que cette position est antérieure à l'oeuvre législative que M. le doyen Carbonnier accomplira. 

Voir J. CARBONNIER, Droit civil, tome 1, Introduction à l'étude du droit et droit des personnes, Paris, PUF, 

3ème éd., 1960, [31] s., p.111 s. 

(399) J. CARBONNIER, Introduction précitée, 3ème éd., 1960, [32], p.116 ; comp. G. RIPERT, Les forces 

créatrices du droit, 2ème éd., 1955, précité, p.381 à propos des arrêts rendus toutes chambres réunies et de 

l'absence d'interprétation par voie d’autorité : "Sans doute cet arrêt n’est pas un arrêt de règlement et la Cour 

peut revenir sur sa décision par un arrêt ultérieur. Il n’empêche que les divergences disparaissent en fait, que 

les revirements de jurisprudence sont rares et que la loi est appliquée partout de la même manière". 

(400) J. CARBONNIER, Introduction précitée, 3ème éd., 1960, [34], p.120. Les années soixante et soixante-dix 

furent celles des grands réformateurs. Dans un article brûlot, M. le professeur ATIAS, ("Les maux du droit et 

les mots pour le dire", D. 1997, chr. p.231) considère qu' il y aurait parmi les juristes tant de médecins de 

Molière qui nourrissent l'illusion légaliste que les années à venir risquent d'être celles des charlatans (ibid., 

n°17).

114 

rôles des différents jurislateurs. En réaffirmant la primauté de la loi, 

M. Carbonnier revient aux principes d'une élaboration doctrinale des règles 

et, sans nier l'importance de la jurisprudence, il en fait un interprète par voie 

d'autorité somme toute "relative". 

Cette reformulation des pouvoirs de la jurisprudence s'accompagne d'une 

réforme du rôle de la doctrine. La neutralité de l'entité doctrinale prend un 

autre sens. La controverse doctrinale permet l'émergence de réponses 

adéquates aux problèmes grâce à une sorte d'éthique délibérative à laquelle 

adhère la classe des juristes. C'est la permanence d'un dialogue entre les 

auteurs, entre les jurislateurs, tenant compte des aspirations des justiciables 

qui permet de fournir des règles satisfaisantes et adaptées à la société 

moderne (401) . La doctrine se fait neutre par sa diversité et ses 

contradictions (402) . L'art de l'arrêtiste est de suggérer tous les possibles et son 

pouvoir est celui de l'invention, mais "l'arrestographie ne se conçoit plus sans 

ce supplément de pronostics" (403) . 

PARAGRAPHE 2. LE TEMPS DE L'EXEGESE DES ARRETS. 

71. Fin de la parenthèse - L'état de la doctrine dans les années 1970 est triple : 

la doctrine universitaire est divisée d'un point de vue institutionnel, tout 

d'abord en participant aux rénovations et innovations législatives depuis les 

années gaulliennes. Ensuite, en accédant à la Cour de cassation, des 

professeurs de droit ont quitté le commentaire critique pour l'acte de juger. 

Enfin, la doctrine restée à la faculté, de par l'augmentation considérable du 

nombre des revues et le développement des banques de données, s'est chargée 

d'un fardeau. Elle s'est assigné le travail de compiler pour comprendre. 

Après la période de renaissance de la loi des années 1960, la fin des années 

1970 va produire un discours qui va donner à la jurisprudence un regain 

d'autorité. La sécurité que le droit a pour fin de procurer est menacée, nous 

dit-on, à un double titre : non seulement l'inflation législative chronique 

s'aggrave jusqu'à l'indigestion (404) mais l'instabilité des lois est permanente (405) . 

(401) 

rappr. J.-L. BERGEL, "“ La loi du juge ” Dialogue ou Duel ?", Mélanges Kayser, tome 1, Aix-en-Provence, 

PUAM, 1979, p.21. 

(402) 

J. CARBONNIER, "Le silence et la gloire", D. 1951, chr., p.120. 

(403) 

J. CARBONNIER, "Notes sous des notes d'arrêts", D. 1970, chr., p.138. 

(404) 

R. SAVATIER, "L'inflation législative et l'indigestion du corps social", D. 1977, chr., p.43. 

(405) 

R. GRANGER, "La tradition en tant que limite aux réformes du droit", RID comp. 1979, p.100, n°67.

115 

Les grandes réformes législatives avaient provoqué le sommeil des grands 

arrêts ; ceux-ci reviennent depuis en force et avec eux, la nécessité de 

concevoir des solutions permanentes et stables. L'on notera également que les 

arrêts, s'ils deviennent grands parfois, sont surtout nombreux, pour soutenir le 

pouvoir de la Cour de cassation. L'augmentation considérable des décisions 

disponibles par la voie informatique contribue sans aucun doute à la diffusion 

du sentiment que les questions doivent pouvoir se résoudre grâce à un 

précédent. Était-ce l'idée de ceux qui plaidaient pour une informatisation des 

données juridiques que d'assujettir des raisonnements à des abstrats (406) ? Non, 

sans doute mais l'informatisation a donné au dogme de la solution unique sous 

couvert de syllogisme et de subsomption, une force jamais atteinte. "L'idéal 

serait évidemment que la solution de tout litige puisse être 

mathématiquement déduite de règles juridiques clairement définies. Ainsi 

serait assurée une absolue prévisibilité et la sécurité du justiciable. Le recours 

au juge serait moins fréquent et son rôle essentiellement de dire le droit (407) ". 

Quoique les auteurs reconnaissent néanmoins que la déduction absolue 

conserve le rang d'un idéal, leur attitude, et celle des praticiens, parfois dévote 

envers l'outil informatique, abonde dans le sens d'un effacement du rôle 

controversiste de la doctrine. Et les banques de données aujourd'hui déployées 

créaient l'illusion que toutes les solutions ont déjà été dites et que le travail du 

juriste se résume à de la recherche documentaire. 

72. Aujourd'hui - Il ne faut pas croire que la sécurité juridique soit le seul 

guide de la critique doctrinale. Quantitativement on la retrouve même assez 

peu dans le discours technique d'enregistrement des décisions mais il est 

constamment fait appel au principe, à l'impératif ou au besoin de sécurité dès 

qu'il s'agit de commenter une question réputée délicate pour laquelle la 

doctrine s'autorise un raisonnement de jure ferenda. Dans les dernières années 

du XXème siècle, c'est au crible de la sécurité juridique que la doctrine a jugé 

l'évolution de la jurisprudence relative à l'indétermination du prix, aux 

chaînes et groupes de contrat, à la qualification des clauses abusives, au régime 

de la répétition de l'indu, ou à la confusion des obligations de délivrance 

conforme et de garantie des vices cachés. Pour les juristes privatistes comme 

(406) E. BERTRAND et P. JULIAN, "Vers une informatique judiciaire, l'analyse des arrêts de la Cour d'appel 

d'Aix-en-Provence", D. 1972, chr., p.123 ; voir également P. CATALA, Le droit à l'épreuve du numérique, Jus 

ex Machina, Paris, PUF, 1998, et le chapitre 12 intitulé : "Les banques de données juridiques peuvent-elles 

influencer l'évolution du droit ?", p.210 s. 

(407) E. S. DE LA MARNIERRE, Éléments de méthodologie juridique, précité, n°91, p.193.

116 

publicistes, il est clair que le principe de sécurité juridique joue un rôle 

déterminant des solutions dans les cas difficiles ; il est même devenu, aux dires 

de certains, une véritable obsession (408) . Assurément la dimension et la portée 

que prend le recours à la sécurité traduit bien une orientation théorique 

donnée à l’évolution du droit français par ceux qui le font positivement. En 

fait, il n’est pas innocent que la question de la sécurité juridique se pose 

aujourd’hui à propos de l’influence des droits communautaire et européen sur 

le droit interne. On peut s’interroger sur la dualité des références à l’Europe et 

à la tradition française. 

L’Europe ayant inscrit le principe de sécurité juridique parmi ses principes 

fondateurs (409) , la sécurité est mise en avant comme mode d’élaboration des 

règles qui s’imposerait aux Législateurs et aux juridictions suprêmes. Son 

efficacité lui vient de ce que la sécurité est un besoin si simple qu’elle est au 

fond un dénominateur commun à l’Europe occidentale pour la construction 

d’un ordre juridique unitaire (410) . L’ambiguïté du principe réside donc dans la 

double nature qui lui est assignée : il est une fin ultime et il est ce sur quoi l’on 

construit. Encore une fois, c’est l’idéal d’unité qui est traduit dans une pensée 

se voulant pragmatique, de la même manière que l’on recherche l’unité dans 

les théories pures ou l’essence des choses. 

73. La doctrine du clafoutis - La métaphore de la cerise aurait pu être celle de 

l'eau de vie, mais plus sobrement, MM. les professeurs Jestaz et Jamin ont 

préféré le clafoutis. "La doctrine fait le système (sous couleur d'en faire 

prendre conscience) et cela mérite attention. Pour le comprendre, il faut 

réduire le droit français à ce qu'il serait sans la doctrine, c'est-à-dire une 

simple juxtaposition d'articles de lois et de décisions jurisprudentielles. Entre 

ce droit-là (en gros le Code civil au lendemain de sa promulgation) et celui qui 

apparaît à la lecture d'un traité de droit civil, il y a la même différence 

qu'entre le kilo de cerises et le clafoutis servi au dessert (411) ". Mais au jeu des 

métaphores, il y a des systèmes qui encombrent l'estomac plus que d'autres. 

(408) Y. JEGOUZO, "Commentaire de la loi 9 février 1994", Rev. dr. imm. 1994, p.153 : "Depuis plusieurs 

années, ce thème de la sécurité juridique est devenu obsessionnel dans le domaine de l'urbanisme." 

(409) v. J. BOULOUIS et R. M. CHEVALLIER, commentaire de CJCE, 9 juillet 1969 : Portelange c/. Smith 

Corona Marchant international, Grands arrêts de la Cour de justice des communautés européennes, tome 1, 

Paris, Dalloz, 6ème éd., 1994, n°15, p.73 (p.75) 

(410) comp. P. LEGRAND, "Sens et non-sens d'un Code civil européen", RID comp. 1996, p.779. 

(411) Ph. JESTAZ et C. JAMIN, "L'entité doctrinale française", D. 1997, chr., p.167 et la réplique : L. AYNES, 

P.-Y. GAUTIER et F. TERRE, "Antithèse de “ l'entité ” (à propos d'une opinion sur la doctrine)", D. 1997, chr., 

p.230.

117 

Au fond, la coexistence de représentations différentes du rôle des interprètes 

montre combien il est difficile pour les auteurs de définir leur légitimité 

scientifique et politique. 

Que la doctrine universitaire soit réellement un corps, une classe ou une 

communauté, importe assez peu. Elle a face à elle des corps constitués et les 

porte-parole des institutions. Tous ont des voix doctrinales dissonantes et tous 

tentent de comprendre la positivité du droit afin d'en maîtriser l'évolution. Le 

Législateur, la Cour de cassation, la Doctrine sont les trois protagonistes de 

notre clafoutis positif ; le premier pose des règles applicables, la deuxième juge 

conformément à ces règles, et la troisième donne son sens à “ règle 

applicable ”. L'article 12 al. 1er du nouveau Code de procédure civile résume 

en une phrase toute la détresse d'un système légaliste et toute la richesse d'une 

approche épistémologique. "Le juge tranche le litige conformément aux règles 

de droit qui lui sont applicables (412) ", mais les normes juridiques applicables 

varient selon les théories de la validité (413) et le droit français est nourri 

d'influences contradictoires. Des juges croient pourtant au dogme de la 

solution unique pour affirmer qu'une solution n'a qu'un seul fondement 

possible (414) , à moins évidemment que la solution unique, sûre et permanente, 

ne soit qu'un leurre rhétorique, voire sophistique (415) . 

(412) C’est avec ce texte la consécration législative d’une perspective philosophique dont les assises doctrinales 

se trouvent chez le principal auteur : Henri Motulsky. À tort ou à raison, c’est à lui que l’on attribue la 

paternité de la formule, et le sens du texte s’éclaire des écrits théoriques et méthodologiques de cet illustre 

processualiste ; v. G. BOLARD, "Les principes directeurs du procès civil : le droit positif depuis H. Motulsky", 

JCP 1993.I.3693 ; G. CORNU, "Les principes directeurs du procès en eux-mêmes (fragment d'un état des 

questions)", Études offertes à P. Bellet, Paris, Litec, 1991 ; J. HERON, "Le nouveau Code de procédure civile", 

in B. BEIGNIER (dir.), La codification, précité, p.81. 

(413) N. MACCORMICK, Raisonnement juridique et théorie du droit, précité, 1996, p.241 s. 

(414) Cass. civ. 1ère, 14 mai 1996, RJDA 10/96, n°1177, p.849 ; Cass. civ. 1ère, 17 juin 1997, Bull. civ. 

I, n°237 ; Cass. civ. 1ère, 9 février 1994, pourvoi n°91-19.878 lexis ; Cass. civ. 1ère, 27 octobre 1993, 

D. 1994, p.212 à propos de l'action en garantie des vices cachés. Ces arrêts utilisent la même formule comme 

un refrain ; adde, J. F. PERRIN, "Comment le juge suisse détermine-t-il les notions juridiques à contenu 

variable ?", in Ch. PERELMAN (dir.), Les notions à contenu variable, Bruxelles, Bruylant, 1984, p.218 : à 

propos de jugements du Tribunal fédéral suisse affirmant "Rechercher le sens d'un concept juridique dit 

imprécis ce n'est pas, selon l'opinion dominante, poser un acte d'appréciation mais résoudre une question de 

droit (…) Il est vrai que tels concepts doivent être précisés dans chaque cas particulier et appliqués à l'état de 

fait concret. Mais ils ne laissent pas de choix entre deux ou plusieurs solutions d'égale valeur. C'est toujours 

une seule interprétation qui est juste et c'est à l'autorité qui doit appliquer une disposition légale qu'il 

appartient de trouver cette interprétation". 

(415) Ph. JESTAZ, "Déclin de la doctrine ?", Droits-20, p.93 : "(…) Les juristes actuels s'efforcent de débusquer 

les enjeux réels derrière le vernis des concepts juridiques (sauf à le faire au coup par coup et sans vision 

globale). Les grands anciens n'y songeaient guère, qui croyaient ou s'efforçaient de croire à un droit neutre. 

Mes amis de Bruxelles racontent l'histoire de ce vieux professeur qui se fâchait tout rouge quand on mettait en 

doute la neutralité du droit. Mais il avait des émules en France, qui, à partir d'axiomes considérés par eux 

comme indiscutables (en réalité reflets d'une idéologie), prétendaient déduire la chaîne des solutions de façon 

quasi mathématique, sans s'étonner que la pseudo-déduction les menât comme par hasard à un résultat

118 

74. Conclusion - Ce bref historique a fait apparaître le caractère mythologique 

de la chaîne du droit. Le droit ne s'écrit pas de manière continue. La narration 

doctrinale relève plus de l'Iliade que du roman. Chaque cycle, représenté par 

une génération d'auteurs, se définit en réaction par rapport au précédent. Les 

auteurs, toujours très laudatifs à l'égard de leurs maîtres, se joignent pourtant à 

un mouvement cyclique de discrédit envers les idées établies. À une nuance 

près toutefois ; lorsque la génération présente critique sa devancière, c'est en 

revenant aux vraies sources trahies : la pénultième génération se trouve ainsi 

redécouverte par la doctrine du moment de sorte que chaque auteur finit avec 

le temps par être réhabilité aux yeux de l'histoire. Ainsi, Delvincourt, Toullier 

et Proudhon regardaient leurs illustres prédécesseurs de l'Ancien Régime à la 

fois comme des autorités indiscutables et des adversaires d'opinions. Marcadé 

critiquait Duranton et Toullier pour revenir à l'intention législative ; Gény, 

puis Bonnecase, s'en prenaient à Demolombe pour retrouver la philosophie de 

Portalis, ou celle des jeunes auteurs de La Thémis ; Ripert dénonçait le droit à 

contenu variable de Gény et Saleilles pour revenir à une conception plus 

rigide et légitimiste de l'ordre juridique ; Roubier et Motulsky revinrent aux 

fondements révolutionnaires de la République. M. Carbonnier emprunta les 

pas de Gény pour offrir à la sociologie juridique un antécédent théorique. 

MM. les professeurs Atias et Rémy ressuscitèrent Marcadé pour tenter de faire 

renaître la méthode controversiste. Les actuelles inclinations réalistes et 

pragmatiques de la doctrine contemporaine seront sans doute dénoncées 

bientôt par d'autres qui avanceront par exemple que les véritables sources 

d'un raisonnement empiriste ont été dévoyées (416) . 

La permanence et la continuité du droit, des raisonnements et des solutions 

procèdent toujours d'une rétrodiction, d'une rationalisation a posteriori qui se 

prétend volontiers descriptive. Elles procèdent toujours d'un discours 

argumentatif lorsque la doctrine se situe en amont de la décision à prendre ou 

de la solution à proposer. Mais la construction de la continuité permet à l'idée 

que le droit se transforme selon des modalités déterminées et à un rythme 

connaissable et prévisible, de s'imposer comme si elle faisait l'unanimité 

d'approches théoriques différentes, comme si elle était en quelque sorte un 

noyau commun et constant des différentes manières de percevoir le droit. 

pratique en général satisfaisant : c'est qu'en réalité ils procédaient par induction! Les modernes sont plus 

cyniques, ou plus scientifiques". 

(416) W. BARANES et M.-A. FRISON-ROCHE, "Le souci de l’effectivité du droit", D. 1996, chr., p.301.

119 

L'illusion se maintient et se perpétue par l'idée que le droit pose des solutions 

alors que la principale activité des juristes est une activité de questionnement. 

En rénovant les méthodes de la science du droit, Gény se proposait de 

combattre le fétichisme de la loi écrite et codifiée (417) ; près d'un siècle plus 

tard, les différentes tendances de l'épistémologie juridique invitent les juristes 

à abandonner les méthodes exagérément "applicatives" faisant de l'univocité 

d'entendement des normes la condition de connaissance du droit, pour se 

pencher sur les questions et les phénomènes d'émergence des problèmes 

juridiques (418) . Mais le succès des approches épistémologiques est loin d'être 

assuré. Le “fétichisme” de la solution unique est une attitude souvent 

rencontrée (419) . 

Sous les coups portés par la doctrine, la loi a abandonné une partie de son 

empire mais le culte de la loi n'a cédé que devant le dogme de la solution sûre. 

(417) 

F. GENY, Méthodes d'interprétation et sources en droit privé positif, tome 1, 2ème éd., 1919, précité, p.70. 

(418) 

Ph. REMY, "Philosophie de l'ordre civil positif", in G. PLANTY-BONJOUR et R. LEGEAIS (dir.), L'évolution 

de la philosophie du droit, précité, p.157. 

(419) 

M. MIAILLE, Une introduction critique au droit, précité, p.376.

TITRE SECOND 

LA SOLUTION SÛRE 

120 

In law as elsewhere, we can know and 

yet not understand. Shadows often 

obscure our knowledge which not only 

vary in intensity but are cast by 

different obstacles to light. These 

cannot all be removed by the same 

methods and till the precise character 

of our perplexity is determined we 

cannot tell what tools shall need. 

H. L. A. HART , "Definition and theory 

in Jurisprudence", The Law Quarterly 

Review, vol. 70, [1954], p.32. 

75. Mutation - "La solution doit être sûre dans ses effets (420) ". C'est un voeu de 

la doctrine. "La sourde inquiétude née d'un affaiblissement de la sécurité 

assurée par la loi (421) ", l'anxiété née des incertitudes de la jurisprudence 

contemporaine (422) conduisent les auteurs à réclamer toujours plus de 

prévisibilité, toujours plus de certitudes pour l'avenir. Cette revendication de 

sûreté pour soi-même, pour ses biens et pour ses droits est même devenue 

avec le temps l'objet d'un principe fondamental des droits français et 

européen. "En effet, aucun juriste ne peut nier que la sécurité juridique qui 

donne la capacité de prévoir, d'une façon pratiquement satisfaisante, les 

réactions de ceux qui sont chargés de dire le droit, qu'il s'agisse de juges ou 

d'agents de l'administration, constitue une valeur centrale du droit, tel qu'il 

est conçu actuellement (423) ". La sécurité est désormais une valeur essentielle 

qui doit s'imposer au juge de manière à priver d'effet ses tentations 

subjectivistes et discrétionnaires. Mais, "à défaut de sécurité complète, il n'est 

(420) B. BOCCARA, note sous Cass. civ. 3ème, 20 février 1985, JCP 1986.II.20639 à propos de l'interprétation 

de l'article 3-2 du décret du 30 septembre 1953 relatif aux baux commerciaux et du renouvellement des baux 

dérogatoires ; H. GROUTEL, "Qu'entend-on par insécurité juridique ? Exposé introductif", in Insécurité 

juridique et assurance, colloque du 3 octobre 1996, RGDA 1998, p.419. 

(421) G. RIPERT, "Le bilan d'un demi-siècle de vie juridique", D. 1950, chr., p.4. 

(422) A. HERVIEU, "Observations sur l'insécurité de la règle jurisprudentielle", RRJ 1989-2, p.257. 

(423) Ch. PERELMAN, Logique juridique, précité, p.84 ; adde H. BATIFFOL, Problèmes de base de philosophie 

du droit, Paris, LGDJ, 1979, p.131-133.

121 

pas interdit de tendre au maximum de sécurité compatible avec la souplesse, 

en traitant, par le procédé de la loi, les matières qui réclament avant tout une 

norme sûre (424) ". La flexibilité de la norme légale devient alors "le gage le plus 

sûr de son adaptation future et donc de sa longévité (425) ". 

Au fond, en profitant de l'érosion du principe de légalité (426) , la 

jurisprudence et la doctrine ont contribué à déplacer l'attitude légaliste et la 

confiance dans le texte vers l'énoncé prétorien : la sécurité juridique a 

remplacé la légalité pour que la solution parfaitement juridique devienne la 

solution sûre. 

76. Assises philosophiques de la sécurité - M. le professeur Ewald a expliqué les 

mutations récentes du concept de sécurité (427) comme l'avait fait avant lui 

Gustav Radbruch (428) . L'avènement de la sécurité juridique est le résultat de 

l'affermissement d'une préoccupation ancienne. L'Antiquité faisait déjà de la 

sécurité l'enjeu d'un débat philosophique sur le rôle de l'État et du droit (429) , et 

les modernes utilisèrent le concept pour définir l'état des droits des individus 

dans la société. Pour Pufendorf, le droit civil positif avait pour but de rendre 

plus sûre la pratique des maximes du droit naturel (430) . Hobbes voyait la 

sécurité comme un droit naturel de l'Homme (431) et Montesquieu l'utilisait 

pour définir la liberté politique, laquelle demeure dans la "sûreté ou du moins 

dans l'opinion que l'on a de sa propre sûreté (432) ". La sécurité juridique qui va 

émerger aux XIXème et XXème siècles est un concept qui permet de donner 

au droit une dimension économique et en l'occurrence capitaliste. L'économie 

politique et l'utilitarisme du XIXème siècle vont tourner la sécurité vers 

l'avenir pour en faire un instrument prédictif des mouvements sociaux. Les 

(424) 

J. DABIN, Théorie générale du droit, Paris, Dalloz, 1969, n°237, p.272. 

(425) 

W. JEANDIDIER, Jurisclasseur Pénal, art. 111-2 à 111-5, fasc. 20, "Interprétation de la loi pénale", n°2. 

(426) 

J. CARBONNIER, Flexible droit, LGDJ, 8ème éd., 1995, p.96 ; Droit et passion du droit sous la Vème 

république, Paris, Flammarion, 1996, p.58. 

(427) 

F. EWALD, "Philosophie de la précaution", L'année sociologique 1996, 46, n°2, p.381 ; v. également 

H. BATIFFOL, Problèmes de base de philosophie du droit, précité, p.394 s. 

(428) 

G. RADBRUCH, "La sécurité en droit d'après la théorie anglaise", APD 1936, p.86. 

(429) 

V. GOLDSCHMIDT, La doctrine d'Épicure et le droit, Paris, Vrin, 1977, p.123. 

(430) 

R. DERATHE, Jean-Jacques Rousseau et la science politique de son temps, Paris, Vrin, 1979, p.391 citant 

Pufendorf à propos de la raison d'être du droit positif et de l'institution des sociétés civiles : "Le but principal 

de cet établissement est même de pouvoir sûrement pratiquer les lois de la Nature, qui sont le fondement de la 

Paix du Genre Humain", Droit de la nature et des gens, Liv. VIII. I. §2 ; II, 431. 

(431) 

pour une lecture de T. Hobbes, voir S. GOYARD-FABRE, Le droit et la loi dans la philosophie de Thomas 

Hobbes, Paris, Klincksieck, 1979, p.87-99 à propos du contrat transfert de droits ; A. SERIAUX, Droit naturel, 

précité, p.94-106. 

(432) 

MONTESQUIEU, De l'esprit des lois, XII, 2, Oeuvres complètes, tome 2, Paris, Gallimard, 1951, Bibl. de la 

Pléiade, p.431 ; Ch. PERELMAN, Logique juridique, précité, n°12, p.13.

122 

philosophes écossais et anglais vont ainsi s'avérer déterminants pour la 

définition du concept qui apparaîtra dans la littérature juridique française du 

début du XXème siècle. 

77. David Hume puis Jeremy Bentham et John Stuart Mill - Chacun d'eux va 

utiliser la sécurité des lois pour définir une philosophie de l'ordre juridique 

positif. Les versions hédonistes et eudémonistes de l'utilitarisme placent la 

sécurité au dessus de toutes les autres valeurs juridiques. "La sécurité du 

peuple est la loi suprême", elle est érigée en raison d'être des lois positives (433) . 

Jeremy Bentham énonce les quatre buts de la loi. Sa philosophie politique 

tournée vers une justification du capitalisme fait de l'anticipation et de la 

prévision des axiomes de la recherche de l'utile. La loi doit donc assurer 

subsistance et abondance, égalité et sécurité, mais "celle-ci acquiert aussitôt le 

premier rang, car c'est elle qui peut seule conférer la durée aux autres buts, 

une fois ceux-ci atteints (434) ". Bentham adhère à l'idée que les opérations 

commerciales et les droits réels doivent faire l'objet d'une protection 

particulière qui tout en figeant dans le droit positif l'état actuel de la 

distribution des biens, permet aux titulaires des moyens de production 

d'assurer le développement économique pour la satisfaction du plus grand 

nombre (435) . Le glissement conceptuel de l'utilité vers la sécurité permet 

d'isoler la conception utilitariste du droit positif des théories de la justice et 

prescrit la fixité des règles comme but ultime des lois. "Bentham est 

curieusement actuel (436) ". 

La loi garantit par la clarté et la permanence de son contenu normatif la 

qualité des anticipations. La sécurité est, axiologiquement considérée, cette 

valeur qui va fonder tout à la fois et paradoxalement des raisonnements 

aprioriques et la recherche d'une interprétation pragmatique. La sécurité et le 

temps se conjuguent pour garantir l'exactitude des prévisions. "Aucun homme 

ne peut faire la moindre chose sans sécurité. C'est d'elle que nous dépendons, 

(433) D. HUME, Enquête sur les principes de la morale, Paris, Aubier, trad. A. Leroy, 1947, p.51 ; P.-L. AUTIN, 

"La fonction du droit et la question du lien social chez Hume et Montesquieu", Rev. philosophique 1992, 

p.145 (p.151) : selon M. Autin, le droit a chez Hume (comme chez Montesquieu) le statut d'une fonction. Par 

sa valeur instrumentale, "il sert à la conservation et au développement du corps social", "la fonction du droit 

est la jouissance de l'activité productive". 

(434) G. RADBRUCH, "La sécurité en droit d'après la théorie anglaise", précité, p.86. 

(435) Oeuvres de Jeremy Bentham, Bruxelles, éd. Dumont, 1829-1840, vol. 1, p.55 cité par M. EL SHAKANKIRI, 

La philosophie juridique de Jeremy Bentham, Paris, LGDJ, 1970, p.255. 

(436) M. VILLEY, Philosophie du droit, tome 1, définitions et fins du droit, Paris, Dalloz, 3ème éd., 1982, n°86, 

p.153 ; F. OST, "Codification et temporalité dans la pensée de J. Bentham", in Actualité de la pensée juridique 

de Jeremy Bentham, Bruxelles, FUSL, 1987, p.219.

123 

lorsque nous voulons nous soustraire au mal et donner au bien toute sa valeur 

pour une durée autre que le moment actuel (437) ". Le principe de sécurité 

juridique, directement issu des philosophies utilitaristes, est dominant en 

Angleterre au XIXème siècle (438) . 

78. Comparaison - Cette vision utilitariste de l'ordre juridique se retrouve assez 

peu dans la pensée des auteurs français du XIXème siècle. Taulier fait 

ouvertement une critique des idées de Bentham (439) , et Troplong situe la 

recherche de l'utilité hors de la sécurité lorsqu'il s'agit de concevoir une 

évolution. Trop de garanties privent les rapports contractuels de leur 

valeur (440) . L'incertitude liée aux variations de la jurisprudence n'est pas, non 

plus, mauvaise chose dès lors qu'une solution conforme à la Morale finit par 

triompher (441) . L'on trouve néanmoins des utilisations de la sécurité du 

commerce proches du concept de sécurité dynamique tel que René Demogue 

le définira. 

Sur la question très controversée du droit de reprises de la femme d'un 

commerçant failli, la Cour de cassation limitait ce droit et décidait que pour 

tous les biens tombés en communauté, la femme n'était "à l'égard de ces 

valeurs qu'une simple créancière tenue de subir le concours des autres 

créanciers de la communauté (442) ". S'interrogeant sur le bien-fondé de la 

solution posée par la Cour, l'annotateur ne manquait pas de relever la 

difficulté de concilier la délicate interprétation de la loi commerciale avec la 

(437) 

J. Stuart MILL, L'utilitarisme, cité par R. DEMOGUE, Les notions fondamentales du droit privé, précité, 

p.59. 

(438) 

G. RADBRUCH, "La sécurité en droit d'après la théorie anglaise", précité, p.89-90 ; "Que la sécurité 

juridique soit en Angleterre le principe prédominant, toute l'histoire du droit anglais le prouve. On a dit non 

sans raison que l'accent posé sur la rigidité et sur la certitude sont en même temps la cause et la justification 

du droit du précédent en Angleterre. Lorsque l’économie capitaliste éprouva la nécessité d’une jurisprudence 

certaine et prévisible d’avance, le droit continental en trouva le fondement dans la réception du droit romain, 

et plus tard dans l’oeuvre de codification. La jurisprudence anglaise inspirée par l’esprit de discipline 

autonome si caractéristique du peuple anglais avait déjà précédemment trouvé un substitut à ce procédé dans 

la limitation du juge par des décisions antérieures. Ainsi elle avait crée une limite jurisprudentielle à la place 

de la rigidité législative qui lui manquait. Mais cette limitation jurisprudentielle bien plus précaire ne pouvait 

fonctionner d’une manière satisfaisante qu’en se fondant sur une volonté de sécurité bien plus forte que jamais 

l’esprit continental n’en eut besoin." 

(439) 

J.-F. TAULIER, Théorie raisonnée du Code civil, tome premier, précité, p.20. Au reste, M. le professeur 

REMY souligne que parmi les écrivains de la Thémis, Blondeau adhéra aux thèses de Bentham alors que 

Jourdan les abhorrait, "“ La Thémis ” et le droit naturel", RHFD 1987, n°4, p.155. 

(440) 

R.-T. TROPLONG, Le droit civil expliqué suivant l'ordre du Code civil. De l'échange et du louage, tome 1, 

préface précitée, p.XCVII : "La sécurité dans les rapports du métayer et du maître chose excellente en soi, 

favorise cependant l'esprit de routine trop naturel au paysan ; elle le maintient dans un état d'immobilité 

nuisible à son bien-être, nuisible aussi à l'agriculture". 

(441) 

Cass. civ., 22 décembre 1845, DP 1846.1.5, note [anonyme]. 

(442) 

Cass. req., 19 août 1856, DP 1857.1.33, note [anonyme].

124 

cohérence de la jurisprudence. La recherche de la meilleure solution passerait 

par la raison des textes par préférence à une interprétation imaginée utilitatis 

causa, afin que la "sécurité que doit puiser le commerce [dans la jurisprudence 

de la Cour] ait sa source dans la loi elle-même sainement entendue, plutôt que 

dans une raison d'utilité peu rassurante". 

L'idée est ici que la sécurité n'est jamais qu'un état qui dépend de la qualité 

de l'interprétation de la loi. Ce n'est certainement pas un principe, et si c'est 

une valeur, elle est intimement liée à l'image de la loi. Or la loi et la qualité de 

son interprétation ne se jugent pas par rapport aux variations et aux nuances 

prétoriennes mais eu égard à un ordre juridique transcendant, soit qu'il soit 

naturel, soit qu'il nous vienne d'une tradition historique, romaine, 

coutumière, soit qu'il soit assuré par la Sagesse du Législateur. La valeur de la 

sécurité lui est encore reconnue par référence à la justice. 

Au XXème siècle, la rénovation du droit naturel aura finalement accouché 

de l'autonomie de la sécurité juridique par rapport à la dimension distributive 

de la justice. Alors que Gény, Saleilles et leurs disciples s'appuient encore sur 

une conception de la transmission du savoir juridique et des solutions par la 

tradition et l'expérience (443) , alors qu'ils utilisent le précédent judiciaire et la 

constance de la jurisprudence comme des éléments ambivalents - "construits" 

pour durer et devenir "donnés" - participant en tant qu'instrument heuristique 

à la découverte des solutions, les auteurs qui se détourneront de l'École de la 

libre recherche, détacheront la sécurité de son terrain empirique. "La 

première valeur sociale à atteindre, c'est la sécurité juridique (444) ". 

79. Remarque - Il est important d'observer que la sécurité juridique érigée par 

la doctrine française en valeur essentielle du droit (445) ne va pas s’en tenir aux 

assises philosophiques que les philosophes anglais lui avaient données. La 

lecture des auteurs français nous livre bien des références à Bentham, Mill, ou 

encore Pound mais les différences culturelles entre les systèmes angloaméricain 

et continental vont faire de la sécurité juridique, qui sera utilisée au 

XXème siècle comme un outil pragmatique par les auteurs réalistes 

(443) 

M. MALLIEUX, "Le rôle de l'expérience dans les raisonnements des jurisconsultes", Rev. de Métaph. et de 

Morale 1907, p.755. 

(444) 

P. ROUBIER, Théorie générale du droit, Paris, Sirey, 1946, p.269. 

(445) 

P. ROUBIER, Théorie générale du droit, précité, p.279 : "Là où cette valeur essentielle qu’est la sécurité 

juridique a disparu, il n’y a plus aucune autre valeur qui puisse subsister; le mot même de progrès devient une 

dérision, et les pires injustices se multiplient avec le désordre".

125 

américains (446) , deviendra un outil plus rigide dans le discours conservateur de 

la doctrine française. On fera également observer que les auteurs qui utilisent 

la sécurité juridique ne rejoignent pas nécessairement le courant positiviste ou 

le normativisme de Kelsen. Ce dernier en dénonce d'ailleurs expressément 

l’illusion. La sécurité juridique ne serait pour Kelsen qu'un avatar des 

conceptions fixistes de l’ordre juridique (447) . D’un autre côté, les auteurs 

jusnaturalistes ne prêtent pas à la sécurité juridique une attention particulière 

dans la mesure où la justice reste pour eux la valeur primordiale (448) . Mais la 

théorie pure du droit, comme du reste l'ensemble des approches globales de 

l'univers juridique, aborde le thème récurrent du désordre permanent de la 

législation et entend doter l'ordre juridique des instances capables de répondre 

à la nécessité d'assurer une unité du savoir. Bien qu'hostiles aux 

raisonnements absolutistes et aprioriques, les philosophes du droit laissent 

poindre un désir d'unité d'entendement des solutions qui, d'une perspective 

philosophique à l'autre, transite par une doctrine qui justifie le respect du 

précédent univoque et le rejet des interprétations dissidentes. Le dogme de la 

solution unique n'est pas né des théories juridiques mais il les accompagne ; le 

désir d'unité théorique cède parfois la place à cette attitude légaliste qui 

consiste à affirmer qu'une seule solution existe. Il s'agit de comprendre la 

consistance que donne la sécurité juridique aux idéaux poursuivis d'unité et de 

permanence des solutions juridiques, car le travail de la doctrine et ses efforts 

pour concevoir un savoir sûr n'ont d'autre but que de déterminer la bonne 

solution. 

L'étude de la "solution sûre" fera donc l'objet de deux chapitres : 

Chapitre 1. Un savoir juridique "sûr". 

Chapitre 2. La bonne solution. 

(446) Les juristes anglo-américains feront le même constat que les juristes français de la fin du XIXème siècle : 

"The nineteenth century theory" was "one of eternal legal conceptions involved in the very idea of justice and 

containing potentially an exact rule for every case to be reached by an absolute process of logical deduction", 

R. POUND, "Juristic science and the law", 31 Harvard L. Rev., 1047 (1918) ; B. CARDOZO, The nature of 

judicial process, New Haven, Yale university press, 1921, p.79 ; adde F. MICHAUT, "Le rôle créateur du juge 

selon l'école de la "sociological jurisprudence" et le mouvement réaliste américain. Le juge et la règle de 

droit", RID comp. 1987-2, p.343. 

(447) H. KELSEN, Théorie pure du droit, 2ème éd., 1962, précité, n°47, p.462-463 ; comp. C. ATIAS, Science 

des légistes, savoir des juristes, Aix-en-Provence, PUAM, 3ème éd., 1993, p.106 : "Au positivisme juridique 

souhaitant le déclin des controverses, il faut répondre que la sécurité puisée dans le respect des lois et de la 

jurisprudence n'est qu'un leurre". 

(448) M. VILLEY, Philosophie du droit, tome 1, définitions et fins du droit, 3ème éd., 1982, précité, n°25 s., 

p.51 s.

CHAPITRE 1 

UN SAVOIR JURIDIQUE "SÛR" 

126 

80. Une confiance légitime - Le droit apporterait la "sécurité juridique" par la 

certitude et la prévisibilité du contenu de ses règles, et le savoir juridique 

serait "sûr" s'il permettait de déterminer avec certitude, et par avance, les 

règles applicables. A ces conditions, on pourrait légitimement avoir confiance 

dans le système et celui-ci nous devrait la contrepartie de la "confiance 

légitime" qu'on lui accorderait. L'Europe nous montre la voie. Mais l'unité ne 

sera accomplie qu'avec la certitude que le système apportera des réponses 

sûres à nos interrogations légitimes. Heureuse Union. Les principes de sécurité 

juridique et de confiance légitime s'imposeront à nous pour guider le 

raisonnement des juges et préserver les justiciables de leur arbitraire. Si le 

Conseil constitutionnel refuse encore de leur reconnaître une quelconque 

valeur (449) , une doctrine constitutionaliste a déjà pris parti en découvrant dans 

la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, le fondement 

constitutionnel du principe de sécurité juridique (450) . Si certains pensent que 

le principe nous manque (451) , la doctrine privatiste utilise largement les images 

de la sécurité juridique pour asseoir et finaliser ses positions (Section 1). Il 

nous restera ensuite à comprendre comment un sentiment aux représentations 

théoriques bien différentes, peut être le fondement annoncé de l'unité 

d'entendement des solutions (Section 2). 

Section 1 

Les images de la sécurité juridique. 

81. Un singulier pluriel - Pour beaucoup, la sécurité juridique serait "l'ordre et 

la stabilité dans la vie juridique de l'État de droit et, plus particulièrement, la 

(449) Conseil constitutionnel, 9 avril 1996, JCP 1996.I.3975, n°25 ; 30 décembre 1996, JCP 1997.I.4023, n°37. 

(450) M. VERPEAUX et B. MATHIEU, obs. sur Cons. const. n°97-391 DC, JCP 1998.I.137, n°20. Pour ces 

auteurs, le Conseil constitutionnel aurait déjà oeuvré pour une reconnaissance implicite du principe de sécurité 

juridique : "La formule du Conseil, selon laquelle le caractère rétroactif de la loi ne doit pas avoir pour objet 

de priver de garanties légales des exigences constitutionnelles, pourrait être considérée comme visant la 

sécurité juridique. Cette condition s'ajouterait aux exigences, qui par ailleurs ne sont pas étrangères au 

principe de sécurité juridique, selon lesquelles une loi prononçant des peines ne peut être rétroactive et une loi 

ne peut remettre en cause des prescriptions légalement acquises. Le principe de sécurité juridique trouverait 

son fondement constitutionnel adéquat dans l'article 16 de la Déclaration de 1789 relatif à la garantie des 

droits" ; adde L. FAVOREU, "Une convention collective peut-elle comporter des dispositions à caractère 

rétroactif ?", D. 1995, chr., p.82 ; J. BIANCARELLI, "Sécurité juridique : définition et analyse de la 

jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes", Droit fiscal, 1996, n°Hors-série, p.18. 

(451) B. PACTEAU, "La sécurité juridique, un principe qui nous manque ?", AJDA 1995, p.151.

127 

confiance dans les juridictions et dans la direction de l'État (452) ". Pour d'autres, 

"la sécurité juridique à laquelle les juristes font souvent référence, n'a aucune 

signification en elle-même ; elle renvoie à la sécurité économique qui 

représente le bon fonctionnemment de l'économie de marché (453) ". Le flou qui 

entoure ce concept reste grand (454) . Impossible à définir avec précision, on en 

aurait au mieux une intuition immédiate : quelque chose qui ressortirait pêlemêle 

de la sûreté, de la stabilité, de la permanence des situations 

juridiques (455) . On l'associe parfois à l'intérêt général (456) , à la cohérence (457) et 

le plus souvent à la prévisibilité (458) . Mais il s'agit toujours d'un concept 

ambigu qui sert les tentations conservatrices et les réflexes méthodologiques 

des juristes à la recherche de la solution (459) (PARAGRAPHE 1). S'appuyant sur la 

(452) 

W. SAUER, "Sécurité juridique et justice", Études Lambert, tome 3, Paris, 1938, §136, p.34. 

(453) 

R. MARTIN, "Le refoulement de la cause dans les contrats à titre onéreux", JCP 1983.I.3100, n°4. 

(454) 

Aussi grand que celui qui entoure la notion de "clarté", v. R. DEMOGUE, Les notions fondamentales du 

droit privé, précité, p.11 : "On pensera peut-être le droit, cette force durable en puissance, a ainsi des limites 

assez vagues. Cela est exact. La clarté des notions est plus un besoin de l'esprit affamé de sécurité qu'une 

traduction de la réalité complexe des choses". 

(455) 

M. KDHIR, "Vers la fin de la sécurité juridique en droit français ?", Les petites affiches du 16 août 1993, 

p.9. 

(456) 

B. MATHIEU, "Pour une reconnaissance de “ principes matriciels ” en matière de protection 

constitutionnelle des droits de l'Homme", D. 1995, chr., p.212 : "Ce principe de sécurité juridique serait 

également dans certains cas un substitut efficace à la notion trop vague d’intérêt général". 

(457) 

G. PAISANT, note sous Cass. civ. 1ère, 26 mai 1993, D. 1993, p.568 : "Cette conception interventionniste 

de la Cour de cassation en la matière avait déjà été suggérée en doctrine. Elle s’inscrit dans le souci d’assurer 

une certaine unité dans la compréhension de la notion de clause abusive. Elle apparaît comme une réponse aux 

voix qui, lors de la discussion du projet qui allait devenir la loi n° 92-60 du 18 janv. 1992 renforçant la 

protection des consommateurs, s’étaient opposées à l’insertion dans le texte de la disposition autorisant le juge 

à déclarer une clause abusive sur le fondement du seul art. 35, au motif que des divergences d’appréciation 

seraient à redouter au sein des différentes juridictions françaises et que ces divergences engendreraient 

incohérence et insécurité.... La volonté manifestée par la Cour de cassation de contrôler la notion de clause 

abusive aurait sans doute mérité d’être affirmée à meilleur escient. Le désir de faire connaître au plus tôt sa 

position sur une question attendue l’aura emporté sur les rigueurs d’une stricte analyse juridique". 

(458) 

J. RIVERO, "Apologie des faiseurs de systèmes", D. 1951, chr., p.100. "C'est que le droit - on s'excuse de 

rappeler ces évidences - a dans la vie sociale, une fonction à remplir. Fonction de stabilité, fonction de 

sécurité. L'individu ne se sent en sécurité que lorsqu'il peut prévoir à l'avance quelle règle régira la situation 

dans laquelle il envisage de se placer. C'est pourquoi il a, des siècles durant, lutté pour faire sortir du secret 

des temples la règle qui le condamnait sans qu'elle lui eût été révélée. C'est pourquoi il s'est détourné du règne 

du Juge, préférant la sécurité de la règle à un arbitraire qui, excellentes qu'en pussent être les manifestations 

lorsque le juge était sage, présentait le risque minimum de tous les arbitraires : l'imprévisibilité. L'homme a 

besoin de connaître la règle ; il ne peut, d'ailleurs, la respecter qu'à ce prix. Encore faut-il qu'elle soit 

connaissable. Ceci implique une certaine précision, et une certaine permanence". 

(459) 

H. LEVY-BRUHL, "Les sources, les méthodes, les instruments de travail", in L. JULLIOT DE LA 

MORANDIERE, P. ESMEIN et alii, Introduction à l'étude du droit, tome 1, Paris, Rousseau, 1951, p.286 : "Le 

juriste a parfois recours aux précédents judiciaires. C’est le procédé paresseux : on ne s’étonnera pas de le voir 

fréquemment employé. Il est juste d’ajouter que ce n’est pas seulement par paresse. Le juriste, le juge est par 

définition conservateur. Il a un souci légitime de sécurité sociale" ; comp. R. SAVATIER, Les métamorphoses 

économiques et sociales du droit civil d'aujourd'hui, première série, 3ème éd., 1964, précité, n°11, p.14 : "On 

aurait tort de taxer simplement de paresse cette résistance instinctive du juriste aux changements précipités. 

Elle tient aussi à une valeur fondamentale de la formation juridique. C'est que le droit nous apparaît 

essentiellement comme un instrument de sécurité, et, par là, de liberté".

128 

constatation que la sécurité juridique avait un contenu variable, un auteur 

faisait justement observer que l'idéal de sécurité juridique renvoyait des 

images fort diverses à tel point qu'il n'existerait pas une sécurité juridique 

mais des sécurités juridiques (460) . On tâchera donc de savoir ce que recouvrent 

les sécurités au pluriel (PARAGRAPHE 2). 

PARAGRAPHE 1. SOLUTION AU SINGULIER 

82. La solution unique - La doctrine contemporaine a consacré la solution sûre, 

abandonnant pour elle la référence à la règle éternelle dont l'interprétation 

serait définitivement fixée. "La chimère a retrouvé son rang parmi les 

chimères (461) ". Et pourtant il s'agit de la même chose, c'est la permanence de la 

norme et l'univocité de son contenu qui sont enjeux de ce débat (462) . Mais 

désormais c'est la jurisprudence "qui est la véritable expression du droit civil ; 

elle est la loi réelle et positive (463) ". Ce qu'en dit aujourd'hui M. le professeur 

Malinvaud nous paraît, à cet égard, édifiant. La Cour de cassation contrôle et 

assure "l'unité de l'interprétation, l'unité de la jurisprudence (…) [L'ordre 

hiérarchisé] restreint déjà les divergences d'interprétation au nombre des 

cours d'appel ; en fait, il n'y a jamais plus de deux ou trois interprétations 

possibles, ce qui est encore trop. (…) Si parfois des dissidences se font jour au 

niveau des cours d'appel, c'est parce que, sur un point particulièrement 

controversé, la position de la Cour de cassation apparaît encore incertaine, 

mal établie; de tels conflits s'effacent en principe lorsque la Cour a statué en 

assemblée plénière.(…) Cette soumission volontairement acceptée s'explique 

non pas tant par un respect de la hiérarchie que par le souci d'assurer aux 

citoyens une sécurité qu'ils n'auraient pas si la jurisprudence n'était pas 

uniforme sur tout le territoire. Dans la mesure où la jurisprudence est une 

(460) F. TULKENS, "La sécurité juridique : un idéal à reconsidérer", RIEJ 1990-24, p.38. 

(461) R. SALEILLES, "École historique du droit et droit naturel", RTD civ. 1902, p.86. 

(462) Sur le culte et la culture de l'unité, v. C. ATIAS, "La Cour de cassation, gardienne de l'unité du droit", in 

L'image doctrinale de la Cour de cassation, Paris, La documentation française, 1994, p.73 : "Plus que la 

tragédie, plus que la science, plus que la politique, le droit tend à l'unité. Il s'y complaît avec d'autant plus 

d'aisance que son unité est sans mesure. Nul ne pourrait dire qu'elle est atteinte ou dépassée. Entre la diversité 

qu'implique l'appréciation souveraine des circonstances de fait et l'unité qu'exige le respect de la loi égale pour 

tous, également respectable par tous, se situe l'unité souhaitable : le degré d'unité reste indéterminé. Et l'unité 

du droit devient un idéal accommodant, un rêve, un alibi, une chimère !" 

(463) A. ESMEIN, "La jurisprudence et la doctrine", RTD civ. 1902, p.12.

129 

source de droit, les règles qu'elle forge doivent être aussi uniformes et aussi 

stables que celles édictées par la loi ou le règlement (464) ". 

Le dogme de la solution unique est affirmé nettement et il s'agit bien d'un 

dogme. C'est une soumission volontaire à l'uniformité d'interprétation qui est 

censée donner au système sa cohérence. Elle est moins fonction d'un rapport 

hiérarchique, entendons d'une conception normativiste, que d'une intuition 

de nécessité. La sécurité juridique gouverne la recherche de la solution. Elle 

est, en droit français positif comme pour la doctrine contemporaine 

majoritaire, l'essence du droit, sa finalité dernière et le guide interprétatif 

permettant au droit de réaliser son essence. Elle procède à la fois d'une 

réflexion ontologique et axiologique. Mais là où la doctrine jusnaturaliste 

pourrait affirmer l'identité du Juste et du Sûr à partir de l'étude empirique du 

cas, en invitant l'interprète à raisonner en équité, la sécurité juridique se raidit 

pour affirmer une détermination apriorique des règles applicables. Le dogme 

de la solution unique ne définit pas l'objet de sa foi, il ne fait que le désigner. 

"De la permanence des règles dépend l’utilité de l’action, car aucune prévision 

ne peut être faite que sur la considération de ce qui existe (465) ". "Ce serait créer 

le désordre que de modifier dans chaque cas particulier l'application et 

l'interprétation des règles juridiques. La conception de la permanence des 

règles façonne la psychologie du juge et lui donne le culte du précédent (466) ". 

Le dogme de la solution unique est tout entier ramassé dans ces deux formules 

du doyen Ripert : l'objet du culte est la règle jurisprudentielle existante, les 

lieux du culte sont les prétoires et la doctrine est gardienne du temple. Sa 

liturgie est l'incantation de la sécurité juridique. 

83. Eau tiède - La sécurité juridique est assise sur les deux grandes perspectives 

qui divisent la philosophie du droit. Elle procède d'une part d'une réflexion 

ontologique sur l'essence du droit, prêtant alors à la constance de 

l'interprétation la vertu d'assurer aux justiciables les moyens de prévoir et 

d'ajuster leurs comportements à l'évolution sociale pour que chacun reçoive 

son dû (467) . Elle marque l'anticipation de l'avenir du sceau de la continuité 

historique et de la tradition. Les choses changent, mais on peut savoir quand 

(464) 

Ph. MALINVAUD, Introduction à l'étude du droit, 7ème éd., 1995, précité, p.47-49 ; adde A. PERDRIAU, 

"La chambre mixte et l'assemblée plénière de la Cour de cassation", JCP 1994.I.3798, n°82. 

(465) 

G. RIPERT, Les forces créatrices du droit, Paris, LGDJ, 2ème éd., 1955, précité, p.1. 

(466) 

G. RIPERT et J. BOULANGER, Traité de droit civil, tome 1er, Introduction générale, Paris, LGDJ, 1956, 

n°226, p.103. 

(467) 

G. RIPERT, Les forces créatrices du droit, Paris, LGDJ, 2ème éd., 1955, précité, p.67.

130 

et comment elles changeront puisqu'elles assurent la continuité du passé. Dans 

cette mesure et sans jeu de mots, la solution sûre n'est jamais une solution de 

continuité, elle est au contraire la solution conforme à ce processus historique 

de maturation. Mais alors que la philosophie du droit naturel achève la 

découverte des solutions par un raisonnement casuiste, les tenants de la 

sécurité juridique rejettent l'équité comme principe décisoire (468) ; elle 

procède donc, d'autre part, d'une réflexion positiviste. 

La sécurité juridique étant un but à atteindre, doivent être appliquées les 

règles permettant d'y accéder. La Cour de cassation, à qui est confié le rôle 

unificateur, doit assurer la conformité de l'interprétation au principe 

d'uniformité de la règle applicable. Relayée en cela par l'ordre juridique 

européen, elle doit offrir à tous ce que commande l'unité, c'est-à-dire une 

solution uniforme. Elle doit également répondre aux questions inédites, ou 

prétendues telles. Elle doit faire face aux problèmes renouvelés ; elle doit 

adapter sa doctrine et ses solutions à l'évolution sociale mais elle doit aussi 

respecter la loi et ses contraintes interprétatives. Limitée dans son pouvoir 

d'interprétation par l'article 5 du Code civil, la Cour de cassation ne peut se 

prononcer par voie de disposition réglementaire (qu'elle le fasse par voie de 

disposition générale est somme toute courant). Gardienne de l'unité, la Cour 

de cassation ne saurait utiliser ses pouvoirs d'interprète authentique pour 

créer le désordre et l'insécurité juridique. Mais alors que les tenants du dogme 

de la solution unique voient dans les principes d'unité, d'uniformité et de 

sécurité, des règles s'imposant à la juridiction suprême, les théoriciens du 

positivisme interrogeront le rapport hiérarchique qui lie la Cour de cassation 

aux autres autorités (469) . Qui empêchera la Cour de cassation de suivre, le jour 

venu, les préceptes et les décisions du bon juge Magnaud (470) ? Nulle autorité 

(468) A. PERDRIAU, "Le juge doit-il se méfier de la simplicité comme de … l'équité ?", Gaz. pal. 1996, doctr., 

p.1388 ; E. AGOSTINI, "L'équité", D. 1978, chr., p.7. Et par extension, les raisonnements favorisant 

l'apparence deviennent suspects ; selon MM. les professeurs ZENATI et REVET, "l'apparence comme tout 

mécanisme d'équité risque de subvertir l'ordre juridique", Les biens, Paris, PUF, 2ème éd., 1997, n°146, 

p.177. 

(469) M. TROPER, Pour une théorie juridique de l'État, Paris, PUF, 1994, p.95 s. 

(470) H. LEYRET, Les jugements du juge Magnaud, Paris, Stock, 1900. Sur l'acquittement de la voleuse de pain, 

Trib. corr. Château Thierry 4 mars 1898 confirmé en appel par Amiens, 22 avril 1898 (qui n'en adopta pas les 

motifs), S. 1899.2.41, DP 1899.2.329, note JOSSERAND. F. GENY condamnait sèchement les jugements rendus 

par le juge Magnaud au motif que de telles méthodes conduisaient "fatalement à l'incertitude et l'instabilité des 

solutions positives, partant à une sorte d'anarchie juridique, abolissant tout frein dans les jugements, ruinant 

toute sécurité juridique dans les affaires", Méthode d'interprétation et sources en droit privé positif, tome 2, 

2ème éd., 1919, précité, p.287. Pourtant, selon M. le doyen CARBONNIER, "le phénomène Magnaud méritait 

mieux que l'accueil sarcastique des juristes", Droit civil, Introduction, 25ème éd., 1997, [14], p.40 ; adde, 

Ph. JESTAZ, Répertoire civil Dalloz, v°Equité, 1972, n°12.

131 

dans le système positif français n'a de pouvoir sur la Cour de cassation. En tant 

qu'interprète suprême habilité, elle oeuvre souverainement à la définition des 

principes qu'elle entend suivre et n'est donc pas soumise à un contrôle du 

contenu des normes énoncées. La sécurité juridique, comme tout autre 

concept, ne peut tenir lieu de règles limitant le pouvoir discrétionnaire des 

interprètes suprêmes. Elle reçoit néanmoins les foudres doctrinales lorsque, 

par ses revirements, la Cour de cassation brise la cohérence d'une matière. 

Hier comme aujourd'hui la doctrine appelle de ses voeux la fixité et la stabilité 

qui "apportent la sécurité et répondent mieux par là au besoin des peuples 

libres qui est de ne dépendre que de lois fixes, à l'abri de toute fluctuation et 

de tout arbitraire (471) ". Les formules ont changé mais le contenu est identique. 

Désormais, "nous ne vivons plus, comme beaucoup de juristes du début du 

siècle dernier, dans le culte superstitieux du Code (472) " et l'arbitraire judiciaire 

est dénoncé "à l'aune de la sécurité juridique à laquelle le justiciable 

légitimement aspire (473) ". 

84. L'arbitraire - Cette présentation de la sécurité juridique nous amène à 

discuter la version française de la controverse philosophique sur le pouvoir 

discrétionnaire du juge suprême. Il est intéressant de constater que nous avons 

eu en France l'équivalent du débat qui a vu et qui voit encore s'affronter les 

philosophes américains du droit, MM. les professeurs Hart et Dworkin (474) . Le 

juge est-il libre de ses choix ou ceux-ci sont-ils prédestinés ? L'ordre juridique 

contraint-il le juge à rendre des "solutions conformes" ou lui permet-il de 

définir librement le contenu des énoncés qu'il rend ? Le débat est en fait 

récurrent dès lors que l'on s'intéresse aux relations existant entre le savoir 

juridique et l'autorité qui en use, mais alors que les spécificités 

institutionnelles des systèmes anglo-américains permettent de poser 

clairement les questions sur les pouvoirs des juridictions, la doctrine française 

(471) 

Ch. BEUDANT, Cours de droit civil français, Tome 1, Introduction et explication du titre préliminaire du 

Code civil, 1896, précité, p.28, n°23. 

(472) 

H. LEVY-BRUHL, "Les sources, les méthodes, les instruments de travail", in Introduction à l'étude du 

droit, tome 1, précité, p.280. 

(473) 

Ph. CONTE, "L'arbitraire judiciaire : chronique d'humeur", JCP 1988.I.3343, n°10 : "L'arbitraire doit être 

jugé et reconnu à l'aune de la sécurité juridique, à laquelle le justiciable légitimement aspire ; or de ce point de 

vue sont semblablement choquants les revirements de jurisprudence dont les raisons sont étrangères au souci 

de cohérence juridique". L'auteur vise les réinterprétations successives des conditions de la responsabilité des 

commettants et de la notion d'abus de fonction. 

(474) 

Voir notamment B. S. JACKSON, "Hart et Dworkin sur le pouvoir discrétionnaire", APD 1989, p.243 ; 

M. BAYLES, "Hart vs. Dworkin", Law and Philosophy 10, 1991 p.349-381 ; N. MACCORMICK, "Discretion 

and rights", Law and Philosophy 8, 1989, p.23 ; B. HOFFMASTER, "Understanding judicial discretion", Law 

and Philosophy 1, 1982, p.21.

132 

ne parvient pas à se situer face aux autres autorités (475) . Les auteurs ont 

rarement l'occasion d'expliquer ce qu'ils entendent précisément par 

l'arbitraire des juges, même si des écrits techniques laissent perler quelques 

idées générales. La menace du gouvernement des juges effraie encore (476) et 

l'on préfère un juge conformiste à un esprit iconoclaste (477) . En fait, la 

partition de la doctrine trouble profondément le débat. 

Le droit privé français possède des voix doctrinales très diverses : une 

doctrine universitaire qui s'autorise facilement une critique de l'autorité 

prétorienne, une doctrine de praticiens qui ne ménage pas ses critiques contre 

les spéculations de la précédente (478) , qui les lui rend bien (479) , des voix 

doctrinales de la Cour de cassation, des électrons libres, d'inclassables 

pourfendeurs de l'injuste, des chroniqueurs de l'utile, des pédagogues de la loi, 

des didacticiens de l'arrêt (480) , des juges devenus écrivains, et des professeurs 

devenus conseillers. Chaque auteur a, à sa manière, un rôle à tenir face aux 

autres autorités et en fonction d'un certain degré de connexité institutionnelle 

ou d'affinité intellectuelle avec la Cour de cassation ou les pouvoirs exécutif et 

législatif, il relaie et enrichit un discours doctrinal estampillé. Les rapports 

parlementaires, le rapport annuel de la Cour de cassation, les rapports des 

conseillers publiés dans les revues, les études de magistrats en activité publiées 

en leur propre nom, les chroniques d'anciens conseillers à la Cour de 

cassation, les commentaires d'avocats, de notaires ou de juristes d'entreprise, 

les précis et les traités de la doctrine universitaire et les ouvrages des 

philosophes, montrent combien, et sociologiquement et théoriquement, la 

(475) 

pour une étude comparée, voir V. CROMBEZ, La doctrine en droit français et en common law (étude 

comparative), Thèse Lyon III, 1995. 

(476) 

par exemple F. COLLART-DUTILLEUL et Ph. DELEBECQUE, Contrats civils et commerciaux, Paris, Dalloz, 

3ème éd., 1996, n°309 : "L’imprécision des critères employés pour définir les clauses abusives laisserait au 

juge un très large pouvoir d’appréciation qui risquerait d’engendrer une grave insécurité". 

(477) 

Selon Mme le professeur M.-A. FRISON-ROCHE, "L'esprit comparé du juge civil et du juge consulaire", 

Gaz. Pal. 25-27 juin 1995, p.7, (p.8, n°8), face aux tentations subjectivistes, "la sécurité juridique, qui 

participe aussi à la vertu de justice, est alors du côté de la règle générale et abstraite tandis que l'esprit du juge 

conduit au gouvernement injustifié des juges (…) En effet, si l'esprit d'un juge peut être dangereux, et la 

personnalisation du contentieux est parfois préoccupante, c'est lorsque le juge entend faire sécession de 

l'institution en revendiquant un esprit personnel. Mais, justement, l'esprit du juge consiste pour le juge 

particulier à se conformer spontanément à des normes de comportement qui sont communes à tous les juges 

de son espèce. C'est ainsi que si tous les juges civils participent de l'esprit du juge civil, si tous les juges 

consulaires participent de l'esprit du juge consulaire, alors cette sorte de conformisme juridique ou social 

permet de limiter l'arbitraire de l'esprit particulier et permet au justiciable d'anticiper sur les modes 

d'élaboration des jugements". 

(478) 

R. MARTIN, "Impertinente supplique d'un praticien à des chercheurs", JCP 1989.I.3393. 

(479) 

voir J. MESTRE, obs. à la RTD civ. 1989, p.743. 

(480) 

J. VOULET, "L'interprétation des arrêts de la Cour de cassation", JCP 1970.I.2305 ; A. PERDRIAU, Les 

arrêts civils de la Cour de cassation, Paris, Litec, 1993.

133 

doctrine est plurielle. Les universitaires qui acceptent de participer à 

l'élaboration des lois, ceux qui deviennent conseillers à la Cour de cassation, 

les praticiens dont les ouvrages font autorité à l'université, conçoivent-ils la 

place des interprètes et le rôle scientifique de la doctrine différemment des 

auteurs qui gardent une distance respectable entre eux et les institutions ? Ce 

sont des questions qui ne méritent de réponse qu'autant que l'on puisse 

connaître avec certitude l'influence des uns et des autres sur l'évolution du 

droit. 

Les querelles entre auteurs et leur poids sur la destinée de l'ordre juridique 

définissent au demeurant le cadre du débat. Quand il s'agit de savoir si telle ou 

telle norme doit être laissée à l'appréciation souveraine des juges du fond, la 

présentation du risque d'arbitraire relève d'une discussion sur l'avenir et les 

mutations de la démocratie en France et en Europe, non de son opportunité. 

Ce ne fut pas nécessairement le cas au moment de l'émergence du concept de 

sécurité juridique. 

85. Démocratie - En critiquant et caricaturant peut-être la pensée des auteurs 

qui utilisent la sécurité juridique comme guide de leurs raisonnements, nous 

avons conscience d'utiliser une description orientée. Pour plus de clarté, il 

faut avoir à l'esprit que les tensions politiques de la première moitié du XXème 

siècle ont fait naître des discours où la sécurité juridique est utilisée comme un 

instrument politique. Pour Ripert, "les États autoritaires ont une conception 

(…) qui ruine la sécurité (481) " et rien ne naît du désordre. Ainsi doit être 

affirmée la prééminence des droits subjectifs. La Cour de cassation doit en 

assurer le respect, son contrôle est "la garantie la plus efficace de la sécurité 

juridique (482) ". Presque naturellement, les tensions politiques de l'après-guerre 

et la volonté de construire un droit commun pour l'Europe feront de la 

sécurité juridique un principe : un principe condamnant les solutions à 

l'univocité et à la permanence, faisant de l'unité le gage de la sécurité. "Le 

droit a besoin de stabilité car, sauf à soumettre l'homme à une loi ignorée de 

lui, comme le Procès de Kafka, la sécurité que le droit a pour fonction 

(481) G. RIPERT, Le déclin du droit, Paris, LGDJ, 1949, p.171. 

(482) M. MARKOVITCH, La théorie de l'abus des droits en droit comparé, Thèse Lyon, 1936, p.461 ; "Je ne nie 

pas que la théorie de l'abus des droits telle que je la comprends, à savoir une théorie qui se ramène à la 

détermination dans chaque cas particulier du contenu des droits subjectifs, présenterait un danger des plus 

inquiétants pour la sécurité juridique, si la libre appréciation du juge signifiait la décision définitive et sans 

appel des juges du fonds".

134 

d'établir, suppose la permanence des règles juridiques (483) ". Mais sur cette 

unité tant désirée, sur cette univocité construite a priori pèse le sentiment 

qu'elle n'est jamais qu'une illusion. Comme par magie, les juristes énoncent 

des descriptions qui se confondent avec la réalité, et la prévisibilité du droit se 

perçoit à travers l'image qu'ils donnent du futur juridique dont ils entendent 

maîtriser la destinée. Sous cette illusoire maîtrise du temps, la doctrine 

cherche à affirmer son pouvoir de prédire et conjugue ses prédictions aux 

transformations du droit. La solution sûre est finalement une solution 

contrôlée, maîtrisée et même idéologiquement contenue. 

86. Contenu variable - Pour satisfaire au lieu commun selon lequel on ne traite 

pas différemment des choses [proclamées] égales, la plasticité du terme donne 

à la "sécurité juridique" une étendue qui favorise l'utilisation du précédent 

comme guide de la découverte des solutions, et conforte le sentiment de 

continuité du droit (484) . C’est sans conteste une notion au contenu 

éminemment variable dont la seule évocation satisfait parfois l’auditeur. “Le 

respect” de la sécurité juridique, “la satisfaction du besoin” de sécurité 

juridique, la lutte contre l’insécurité juridique née des incertitudes de la loi ou 

de la jurisprudence, la sécurité juridique à laquelle tout individu peut 

légitimement prétendre (485) , le désir de sécurité que tout homme civilisé porte 

dans son coeur (486) , ce ne sont là que des formules, des slogans même, qui 

permettent de raccourcir les raisonnements et désigner la solution applicable. 

Pour l’étude de l’objet droit, sans illusion sur nos capacités à saisir l’étendue 

de sa réalité, on ne peut guère se satisfaire de ces raccourcis. La recherche d’un 

raisonnement plus simple ou plus pratique, c’est à dire d’une théorie mieux 

adaptée à la représentation que l’on a d’une série d'événements mentaux, ne 

peut se satisfaire d’idées simples sauf si ces idées modifient la représentation 

de la réalité. Un exemple : la théorie du patrimoine d’Aubry et Rau. Quoi de 

plus simple qu'une relation bijective entre la personne et son patrimoine (487) . 

(483) J.-L. BERGEL, Théorie générale du droit, 2ème éd., 1989, précité, n°152, p.157. 

(484) rappr. A. BOUVIER, L'argumentation philosophique, Paris, PUF, 1995, p.144. 

(485) LESEC, Avocat général, concl. pour Cass. civ. 1ère, 12 avril 1995, Bull. info. Cour de cassation 1er juin 

1995, p.10 : "Il appartient à la Cour de cassation en déterminant les règles juridiques sur le fondement 

desquelles est susceptible de s'exercer l'action en réparation de ses ayants droit, de procurer à ces derniers, et 

au-delà, à toutes les victimes la sécurité juridique à laquelle les uns et les autres peuvent légitimement 

prétendre". N'y a-t-il pas dans cette formule une sacralisation de la prévisibilité qui confère à la stabilité 

désirée un caractère quasi-religieux ? 

(486) G. RIPERT, Le déclin du droit, précité, p.155. 

(487) R. SEVE, "Détermination philosophique d'une théorie juridique : la théorie d'Aubry et Rau", APD 1979, 

p.247 ; A. SERIAUX, "La notion juridique de patrimoine", RTD civ. 1994, p.801.

135 

Une personne, un patrimoine. Un patrimoine, une personne. Est-ce la réalité ? 

Peu importe, la théorie du patrimoine d’Aubry et Rau crée la réalité de cette 

relation biunivoque entre l’individu et l’ensemble de ses biens en recevant 

une adhésion des autorités scientifiques. Les relations de l’individu à ses biens 

n’ont pourtant rien de simple, la richesse de la théorie d’Aubry et Rau est de 

n’en faire qu’une question de composition du patrimoine en justifiant et 

fortifiant la classification du Code civil. Mais arrivera le jour où cette relation 

bijective ne permettra plus de rendre compte de la réalité, où le défaut 

d’adhésion à la théorie rendra l’évidence discutable, parce que l’on se 

représentera d’autres universalités, d’autres classifications. Les théories de la 

propriété commerciale ou de la propriété incorporelle créent des choses 

nouvelles (notamment celles qui n’existent que si l’on s’en sert) qui n’entrent 

pas ou qui entrent mal dans les classifications classiques, à tel point que le 

génie de la simplicité passée est aujourd’hui le nerf d’un raisonnement 

tronqué. 

87. L'unité du savoir sûr - L'ambition que se sont donnée les auteurs du début 

du XXème siècle, indépendamment, du reste, de leur adhésion ou de leur rejet 

des thèses de l'École du droit libre, fut de concevoir l'ordre juridique à partir 

des règles posées a priori, et de celles créées par leur effectuation. L'énoncé 

juridictionnel n'est plus conçu comme le résultat d'une découverte du vrai 

sens de la loi, mais comme celui de sa mutation. Les transformations du droit 

que nombre d'auteurs tentent d'expliquer tiennent principalement à ce que la 

doctrine va considérer l'énoncé juridictionnel comme un énoncé prétorien. 

Labbé en avait été l'un des augures en critiquant l'immobilité dans laquelle la 

Cour de cassation maintenait la loi. "Y aurait-il de grands inconvénients, y 

aurait-il des avantages à ce que la Cour régulatrice s'emparât, dans la mesure 

où le texte de la loi le lui permet, du rôle que le prêteur à Rome a si bien 

rempli, et à ce que la jurisprudence devînt un développement progressif de la 

loi, successivement assouplie aux besoins de la société ?" (488) . Avec Esmein, 

Saleilles et Gény, l'unité du savoir juridique, cet idéal tant désiré (489) , va se 

concevoir à partir d'un ordre normatif éclaté et protéiforme. Si la loi garde son 

statut primordial, l'adjonction des autres "sources du droit" à l'ordre juridique 

oblige la doctrine à réfléchir à un réordonnancement et à une mise en ordre 

du droit prétorien. De cette manière, la théorie juridique pèse véritablement 

(488) J.-E. LABBE, note sous Cass. civ., 2 décembre 1885, S. 1886.1.97. 

(489) F. GENY, Science et technique en droit privé positif, tome I, précité, p.135.

136 

sur le droit positif puisque la recherche de la bonne solution est une activité 

dont le but est de donner des résultats, "chaque jour plus sûrs", et ce grâce à 

l'oeuvre doctrinale "d'étude directe et synthétique de la jurisprudence (490) ". 

Formellement, cela s'est traduit par une évolution du contenu sémantique du 

discours doctrinal sur la certitude et la permanence du droit. 

88. La sémantique de la certitude - Le discours doctrinal est fleuri de ces 

expressions devenues des lieux communs. À la fois arguments et slogans, ces 

formules ont forgé une rhétorique de l'adhésion à la norme prescrite que l'on 

retrouve constamment depuis deux siècles. Bien sûr les auteurs du XIXème 

siècle utilisaient des formules qui paraissent aujourd'hui insolites, mais le 

vocabulaire juridique aime tant ses archaïsmes qu'ils n'ont cessé d'avoir cours. 

On les trouve en parcourant les recueils de jurisprudence. La solution adoptée 

a fini par faire triompher une doctrine plus saine (491) , elle fait une application 

parfaitement juridique des lois (492) . La question a été résolue par un arrêt (493) , 

sa solution est certaine et du reste, la chambre des requêtes persiste dans la 

jurisprudence que la chambre civile paraît avoir définitivement fixée (494) . La 

raison en est que cette dernière doctrine a toujours paru la plus vraie (495) . La 

doctrine adverse n'a pas prévalu car elle ne devait pas prévaloir (496) . 

Aujourd'hui encore, la solution est certaine tant en jurisprudence qu'en 

doctrine (497) . Elle est, qui plus est, dépourvue d'ambiguïté (498) . C'est donc sans 

à coup mais irréversiblement, que la cour de cassation en aménage le régime 

juridique (499) . La solution n'est finalement que la conséquence nécessaire et 

inévitable de l'application de la loi (500) . Dès lors, le rejet des arguments de la 

thèse adverse était prévisible, ses positions étaient hérétiques (501) , pire, 

(490) A. ESMEIN, "La jurisprudence et la doctrine", RTD civ. 1902, p.12. 

(491) Cass. civ., 22 décembre 1845, DP 1846.1.5. 

(492) Cass. civ., 17 mai 1881, S. 1884.1.123. 

(493) Cass. civ., 20 août 1867, DP 1868.1.265. 

(494) H. THIERCELIN note sous Cass. req., 25 juillet 1867, DP 1868.1.65. 

(495) Cass. civ., 1er avril 1846, DP 1846.1.81. 

(496) V. N. MARCADE, Explication théorique et pratique du Code civil, Des privilèges et des hypothèques, 

Paris, Cotillon, par P. PONT, 1856, p.14. 

(497) B. PETIT, Jurisclasseur civil, Contrats et obligations, V° Erreur, art.1110, n°60 à propos de l'erreur sur la 

valeur. 

(498) G. CHAMPENOIS, obs. sur Cass. civ. 1ère, 29 avril 1985, Defrénois 1985, p.1159 à propos de la clause dite 

"commerciale" dans les régimes matrimoniaux. 

(499) C. GAVALDA, note sous Cass. civ., 9 juin 1992, D. 1992, p.530 à propos de la stipulation conventionnelle 

du taux d'intérêt. 

(500) F. DERRIDA, note sous Cass. com., 8 octobre 1996, D. 1997, p.87, "la solution est une conséquence 

nécessaire et inévitable de la suppression de la masse des créanciers par la loi du 25 janv. 1985". 

(501) B. PETIT, Jurisclasseur civil, V° Erreur, précité, n°64.

137 

diaboliques. Grâce soit rendue à la chambre commerciale d'avoir chassé le 

diable (502) . S'ouvre ainsi la voie à la sécurité juridique dans ce domaine délicat 

après des années d'hésitations et d'incertitudes (503) . 

On le voit, les affirmations de la certitude de la solution aux XIXème et 

XXème siècles présentent une teneur voisine, mais il est sensible que la 

prévisibilité l'emporte aujourd'hui quantitativement sur la fixité (504) . La 

jurisprudence est perçue par la doctrine dans son mouvement historique et le 

discours a évolué de ce point de vue. Ainsi, la critique doctrinale ne porte plus 

guère sur la remise en cause des solutions anciennes, quoique la défense de 

solutions datant du droit romain et qui ont fait leurs preuves, reste un outil 

critique de poids (505) . Elle se concentre plus volontiers dans un discours 

ménageant sa part à la variabilité. Mais le variable n'est ni l'incertain, ni 

l'ambigu. Dans l'esprit de la doctrine française, il s'affirme nettement que, si la 

fixité de la solution est un concept dépassé, la sécurité à laquelle tout 

justiciable peut légitimement prétendre, confère aux solutions une vocation à 

prévoir, et à la doctrine le pouvoir de prédire. Le contrôle des arrêts de la 

Cour de cassation se traduit par une sorte de “ dispositif doctrinal ” en forme 

de cachet : conforme à la sécurité juridique ou non-conforme. Et les auteurs 

plaident toujours pour l'unité du système : "l'unicité du système juridictionnel 

serait ainsi une condition majeure d'un droit jurisprudentiel sûr (506) ". 

89. Sécurité au singulier ? - Le contenu de la notion de sécurité juridique tel 

qu'il se dégage des écrits doctrinaux est protéiforme. Chaque facette couvre 

des situations factuelles d'insécurité que l'on ramènera à une division binaire ; 

(502) 

M. BANDRAC, obs. à la RTD civ. 1994, p.900. 

(503) 

E. FORT-CARDON, note sous Cass. com., 23 février 1993, D. 1994, p.318 en matière de distribution 

sélective. 

(504) 

La distinction est purement artificielle, mais "fixité" a pris une connotation, semble-t-il, péjorative. Notons 

que la prévisibilité de la règle s'entendait encore de sa fixité pour M. MORNET, Du rôle et des droits de la 

jurisprudence en matière civile, Thèse Paris, 1904, p.11 : "Il est indispensable pour la sécurité des relations 

juridiques que les particuliers puissent compter sur la fixité de la jurisprudence". 

(505) 

A. SERIAUX, "Beaucoup de bruit pour rien", D. 1993, chr., p.229, pour la défense de l'exigence de l'erreur 

du solvens comme condition de la répétition de l'indu. 

(506) 

Y. GAUDEMET, “Sécurité du droit et jurisprudence”, Entretiens de Nanterre des 16 et 17 mars 1990, JCP 

(E) 1990, Cah. dr. entr., supplément n°6, p.12. À la recherche de l'unité, R. MARTIN honnit "ce contentieux 

parasite dont le byzantinisme ne peut réjouir que des juristes cultivant l'art pour l'art juridique", "Sur l'unité 

des ordres de juridictions", RTD civ. 1996, p.123 ; adde, L. JOSSERAND, "Sur la reconstitution d'un droit de 

classe", DH 1937, chr., p.1 à propos de la disparition d'un droit unitaire par la naissance des ordres juridiques 

privés.

138 

nous compterons à ce titre et schématiquement, l'instabilité économique (507) 

et l'instabilité des normes. 

La première branche de notre découpage conceptuel s'annonçait de prime 

abord comme un recensement. Il s'agissait de savoir quel sens donnaient à la 

"sécurité juridique" les spécialistes des matières qui la prenaient a priori pour 

l'objet. Le droit des sûretés, le droit des assurances, dans une large mesure les 

droits des contrats civils et commerciaux, le droit notarial utilisent une forme 

définie du concept. Il s'agit grosso modo de prévenir les risques liés aux 

circonstances tenues pour étant de pur fait, en s'assurant bien sûr, mais aussi 

en se garantissant contre l'inexécution contractuelle (508) , en solennisant la 

forme des actes, en conditionnant les engagements ou en anticipant sur 

l'avenir par des stipulations particulières (509) . À proprement parler, ces 

branches du droit privé ont pour objet de régler les questions d'insécurité 

contractuelle, et il n'est pas besoin d'entrer dans de longs développements 

pour comprendre que le désir de sécurité des parties revêt une concrétion que 

l'on ne saurait définir sans aborder chaque problème au fond. 

Pourtant, le sentiment de sécurité ou d'insécurité contractuelle, concret et 

purement psychologique, se traduit dans le discours de la doctrine par des 

formules condamnant le changement et prescrivant une sorte de 

conservatisme normatif. C'est la deuxième branche de la division qui est en 

fait à l'esprit des auteurs. Sans stabilité des normes et de leurs interprétations, 

et sans prévisibilité des changements ou revirements éventuels, de quelle 

efficacité sera dotée la sûreté qui garantit, la stipulation qui prévoit, ou la 

forme qui prévient ? Pur bon sens, la modification des normes change les 

équilibres établis sur les bases anciennes. La revendication de la sécurité n'a 

pas cette si sommaire ambition de figer les rapports juridiques concrets. Du 

reste, Demogue observera : "le désir de sécurité si considérable qu'il soit n'est 

pas tout, car il y a dans l'homme un certain goût du risque. Il trouve un 

certain plaisir dans l'insécurité qui lui donne un plaisir plus vif à lutter et 

triompher (510) ". Les situations décrites pour mettre en garde contre les dangers 

de l'insécurité juridique ne sont donc pas nécessairement des situations 

concrètes. 

(507) Pris en son sens le plus étendu, l'“ économie ” fait résonner son étymologie, tout ce qui concerne les 

choses de la maison, celles de la famille et des personnes. 

(508) J.-M. MOUSSERON, "La gestion des risques par le contrat", RTD civ. 1988, p.481. 

(509) J. MESTRE, "Les clauses d'avenir" in J. MESTRE (dir.), Les principales clauses des contrats conclus entre 

professionnels, Aix-en-Provence, PUAM, 1990 p.161 s. 

(510) R. DEMOGUE, Les notions fondamentales du droit privé, précité, p.87.

139 

C'est le plus souvent l'ordre juridique dans son entier qui est prétendument 

menacé par l'évolution des normes et des pratiques normatives. La doctrine 

qui a en charge de veiller à ce que soient respectées des procédures définies de 

transformation du droit, doit auparavant concevoir les outils intellectuels qui 

lui permettront de se plonger dans l'avenir. La sécurité aura le grand mérite de 

réaliser l'alliance entre rigidité et adaptation, entre progrès et tradition. Elle 

conciliera des perspectives théoriques pourtant antagonistes pour assurer la 

continuité des représentations de l'ordre juridique. La raison en est que la 

sécurité, tout en étant absolument polysémique, véhicule des désirs de 

transformations en douceur de l'ordre juridique. 

PARAGRAPHE 2. SECURITES AU PLURIEL 

90. Une notion fondamentale du droit privé - Dans son ouvrage capital pour 

comprendre les dimensions de la notion de sécurité, René Demogue définit les 

instruments d'une analyse de l'évolution de l'ordre juridique. Le changement 

de cap prôné par la rénovation du droit naturel situe l'analyse technique des 

règles applicables et leur appréciation doctrinale dans une perspective 

historique. Comprendre les mouvements sociaux suppose désormais pour les 

juristes de prévoir et d'anticiper leurs évolutions. Aussi la théorie du droit 

doit-elle refondre ses certitudes pour intégrer les changements de la société 

française aux raisonnements juridiques. La certitude désirée n'est pas celle du 

présent, mais celle du futur proche. Concrètement, la doctrine doit établir les 

modalités et les moyens de dominer le temps car, même proche, l'avenir est 

incertain. Jusqu'alors, la doctrine du XIXème siècle avait figé le temps. Elle 

s'était détachée des contingences sociales pour construire un espace-temps 

idéal, un univers abstrait de règles et de constructions juridiques. Toujours 

comme un leitmotiv revient la même rhétorique sur la doctrine antérieure, 

trop abstraite, abusivement polémiste, purement scolastique, illusoirement 

dogmatique. Le droit se faisait sans elle parce qu'elle n'avait pas compris 

l'importance des mouvements sociaux qui en transformaient la substance. Le 

XIXème siècle fut statique, le XXème siècle sera dynamique. 

91. Inventaire - Demogue inventorie des situations juridiques où le besoin de 

sécurité se fait intuitivement sentir, et auxquelles le droit répond. L'apparence

140 

doit garantir la sécurité des tiers, soit que la loi lui donne effet dans le cas du 

possesseur de meuble ou d'immeuble, soit qu'un principe ancien du droit 

français - error communis facit jus - s'impose dans le cas de l'héritier apparent, 

soit enfin que la Cour de cassation ait pu en poser le principe dans le cas où le 

mandataire apparent engage son mandant (511) . Ces garanties offertes au tiers 

contractant illustrent la sécurité dynamique. En contrepoint, le formalisme et 

la publicité permettent d'assurer un équilibre. Les formes des cessions de 

créances et des sûretés, les formes des donations et des actes unilatéraux 

poursuivent l'objectif de sécurité. Le droit de la preuve et la recherche de la 

vérité sont tendus vers le même but. Dans des directions apparemment 

opposées, mais dont la conjonction permet d'établir un équilibre entre la 

sécurité due à l'ensemble des acteurs juridiques et l'assurance, la sûreté et la 

garantie dues à chacun (512) , Demogue invite la doctrine à une réflexion sur 

l'amélioration du contenu des relations contractuelles pour le but avoué d'une 

meilleure compréhension du capitalisme et de son efficacité (513) . 

Il distingue ainsi deux sécurités, celle qui est due à l'état acquis : la sécurité 

statique ; et celle qui est due à la circulation des richesses et au mouvement 

social : la sécurité dynamique. Cette dernière vise en fait des hypothèses 

factuelles d'insécurité. La construction doctrinale ordonne cet ensemble de 

telle manière que les qualifications juridiques correspondant aux situations 

données répondent à des catégories définies par l'utilité sociale. La vente 

conclue par l'héritier apparent doit-elle préjudicier à l'acquéreur ? Pour 

admettre comme décisif a priori que dans nombre d'hypothèses l'annulation 

de la vente aura trop d'“ effets pervers ” et qu'il convient d'y renoncer quitte à 

(511) R. DEMOGUE, Les notions fondamentales du droit privé, précité, p.68 : "Celui qui a traité avec une 

personne ayant toutes les apparences d'avoir un droit, ne doit pas être trompé. L'apparence raisonnable du 

droit doit, dans les rapports avec les tiers, produire les mêmes effets que le droit lui-même". 

(512) R. DEMOGUE, Les notions fondamentales du droit privé, précité, p.79. L'auteur nous livre un plaidoyer 

précurseur de la lutte contre les clauses abusives dans les contrats d'assurance : "[La fausse sécurité] cause des 

désastres. Aussi répandre un sentiment de fausse sécurité en paraissant accorder des droits qu'une clause 

ignorée restreint est-il des plus dangereux. On doit à ce point de vue regretter qu'il y ait ainsi dans les polices 

d'assurance, contrats de sécurité par excellence, tant d'embûches à l'assuré, et que des mesures n'aient été 

prises pour mettre celui-ci mieux au courant de sa situation véritable. Au lieu de cela on a préféré le beau 

principe de la liberté des conventions, comme si un principe est encore bon dans la mesure où il donne en fait 

de mauvais résultats". 

(513) R. DEMOGUE, Les notions fondamentales du droit privé, précité, p.72 : "Ces solutions favorables à la 

sécurité sont bien dans l'esprit de la législation européenne occidentale dominée par un idéal d'affaires, par 

cette idée que le but à atteindre, c'est de produire plus, de fabriquer plus, de vendre plus de choses, de 

multiplier les jouissances, de satisfaire les besoins les plus divers" ; comp. D. R. MARTIN, "De la nature 

corporelle des valeurs mobilières (et autres droits scripturaux)", D. 1996, chr., p. 263 : "la sécurité juridique... 

est une valeur refuge de la finance internationale".

141 

léser le véritable propriétaire, la doctrine érige les arguments 

conséquentialistes en principes décisoires. 

La théorie de Demogue, aussi séduisante qu'elle puisse paraître en ce 

qu'elle cherche à déterminer un équilibre entre les impératifs de sécurité 

statique et dynamique, est empreinte d'un paradoxe. L'argumentation de 

Demogue consiste à dire que s'il est contraire à la sécurité statique de remettre 

en cause des situations acquises, dans certaines hypothèses, le mouvement 

social impose cette remise en cause et la sécurité dynamique doit alors être 

préférée. L'apparence créée donne sa validité à la convention conclue, et en 

l'absence de critique à formuler contre le tiers, le principe de sécurité 

dynamique contractuelle impose sa valeur sociale, afin que la vente formée 

sous l'empire de l'erreur commune ne puisse être remise en cause. Si 

d'aventure la nullité du contrat était admise, le juge s'exposerait à la critique 

doctrinale pour avoir contrevenu à la sécurité juridique. Mais laquelle ? Est-il 

contraire à la sécurité dynamique de remettre en cause une situation née d'un 

contrat nul (514) ? Est-il conforme à la sécurité statique de s'en tenir à une 

situation acquise du fait d'un contrat apparent ? Les justifications proposées 

par les auteurs sont nécessairement contradictoires parce que, comme le 

reconnaît d'ailleurs Demogue, la frontière entre les deux concepts est 

incertaine (515) . Plus qu'incertaine, cette frontière n'existe pas. Tour à tour, 

sécurité statique et sécurité dynamique justifient de décider a priori pour le 

rejet de telle interprétation ou en faveur de telle autre. En fait, en admettant 

avec Paul Roubier le postulat qui fait de la sécurité juridique la valeur 

primordiale de notre société, il restera toujours à se demander qui, de la 

sécurité statique ou de la sécurité dynamique, devra triompher. 

Pour éliminer cette difficulté, en cohérence de sa summa divisio, Demogue 

situe le principe général de sécurité juridique sur deux plans : constance de 

l'interprétation et rapidité des procédures de décision. "Le droit retardé dans 

son application est déjà un droit blessé (516) " et la solution sûre réside dans 

"cette certitude de ne pas voir la Cour de cassation se déjuger facilement". En 

cherchant à suivre le précédent, en cherchant à rendre ses raisonnements 

cohérents et à dire "un droit uniformisé dans ses détails (517) ", la Cour de 

cassation assure le respect de la tradition. En témoignant par ses décisions de 


(515) R. DEMOGUE, Les notions fondamentales du droit privé, précité, p.74 


(517) R. DEMOGUE, Les notions fondamentales du droit privé, précité, p.219.

142 

l'évolution sociale, elle assure aux règles juridiques une interprétation vivante, 

là où "une ossification de la jurisprudence" est toujours à craindre (518) . Cette 

lutte contre la congélation du droit (519) est le travail de la doctrine que les 

juges doivent relayer. Chacun doit créer autour des questions qu'il traite "une 

atmosphère qui peu à peu pénètre les esprits" et incline le public à admettre 

telle ou telle solution (520) . La motivation des propositions doctrinales doit être 

nécessairement pratique, la théorie nouvelle proposée ne doit pas jeter un 

voile d'obscurité sur la connaissance existante. Car le renouveau est source 

d'instabilité du savoir juridique et une théorie acquise ne doit pas être battue 

en brèche par des controverses stériles (521) ; il faut pourtant constamment 

renouveler les instruments conceptuels au service d'une meilleure 

compréhension du droit et notamment en ce début de XXème siècle, du droit 

des obligations. 

92. La force majeure - La plus grande ambition de Demogue aura été de donner 

au droit des obligations les moyens de comprendre et d'anticiper des effets de 

l'imprévisibilité, par une nouvelle théorie de l'inexécution (522) et par l'analyse 

de l'imprévision (523) . "Le Code civil, cette construction rigide de style Empire a 

une conception du contrat qui a priori apparaît nette. Les conventions 

tiennent lieu de loi. La sécurité l'exige ainsi". La révision doit pouvoir 

s'imposer empiriquement mais "elle se heurte à la stabilité des conventions. 

C'est l'opposition classique entre le besoin de sécurité et celui de 

transformation (524) ". Aujourd'hui encore, atteindre une définition claire et 

opératoire du concept de force majeure reste un enjeu doctrinal important 

mais l'ambiguïté des théories qui conçoivent l'imprévisible comme excuse 

contractuelle tient aux variations d'interprétation qui affectent leur 

(518) 

R. DEMOGUE, Les notions fondamentales du droit privé, précité, p.221 ; citant J. CRUET, La vie du droit et 

l'impuissance des lois, Paris, Flammarion, 1908, p.82. 

(519) 

R. DEMOGUE, Les notions fondamentales du droit privé, précité, p.236. 

(520) 

R. DEMOGUE, Les notions fondamentales du droit privé, précité, p.231. 

(521) 

G. MORIN, "Le rôle de la doctrine dans l'élaboration du droit positif", Annuaire de l'institut international 

de philosophie et de sociologie juridique, Paris, Sirey 1934-1935, tome 1, p.64. Les théories nouvelles 

doivent, "par leur structure même, laisser du jeu à l'initiative privée créatrice et ne pas enlever la sécurité 

juridique". 

(522) 

R. DEMOGUE, Traité des obligations en général, tome V, Paris, Rousseau, 1923, p.538 et tome VI, p.644, 

n°99. 

(523) 

R. DEMOGUE, Traité des obligations en général, tome VI, Paris, Rousseau, 1923, p.697. 

(524) Ibid., p.697.

143 

contenu (525) . Le fait exonératoire se ramènerait-il nécessairement à la 

constatation de l'absence de faute ? 

93. La preuve de l'inexécution - La distinction proposée par Demogue entre 

obligation de moyen et de résultat, qui sera rapidement illustrée en 

jurisprudence et s'imposera en doctrine en dépit de sévères critiques (526) , va 

conduire à reformuler le rapport d'obligations à partir d'un schéma calqué sur 

la responsabilité délictuelle. Cette nouvelle classification conduit à 

s'interroger sur l'objet des obligations inexécutées. Le raisonnement est 

inductif. Comment anticiper théoriquement l'inexécution des obligations, 

sachant que certains contractants, particulièrement des professionnels, les 

transporteurs ou les médecins par exemple, sont amenés à ne pas exécuter 

leurs obligations de transport ou de soins, et comment donner au contractant 

l'assurance d'être indemnisé ? En fait la théorie de Demogue ne donne pas de 

réponse à cette question mais elle permet aux acteurs de la vie économique de 

savoir a priori si l'inexécution d'une obligation sera facilement indemnisée ou 

non, et par ricochet d'intégrer en terme de probabilité l'inexécution des 

contrats dans des anticipations économiques. La conséquence de ce 

raisonnement inductif sera le développement des contrats d'assurance qui, 

eux, intégrant jusqu'à l'imprévisible, permettent à chacun de concevoir un 

avenir probable (527) . 

94. Pour un avenir probable - L'idée est maintenant devenue classique. Le 

droit doit fournir "un certain nombre de points d'ancrage grâce à un corps de 

règles relativement simples (…) Ce que craint l'homme dans l'avenir, c'est son 

flou, son indétermination. Le droit procure des points de repère en principe 

fixes et c'est ce qui permet d'asseoir une prévision ayant de bonnes 

probabilités de se réaliser. Selon l'expression de M. Ellul (528) , le droit a une 

(525) v. P. H. ANTONMATTEI, "Ouragan sur la force majeure", JCP 1996.I.3907 ; S. FARNOCCHIA, L'excuse 

contractuelle, étude de l'inexécution fortuite du contrat, Thèse Aix, 1994 ; A. SERIAUX, "L'acte de Dieu", 

Liber amicorum Benoît Savelli, Aix-en-Provence, PUAM, 1998, p.325. 

(526) R. SAVATIER, Traité de la responsabilité civile, Paris, LGDJ, 1939, tome 1, Les sources, n°213 et n°235. 

Déjà Savatier perçoit les développements futurs de la division bipartite en sous-divisions d'obligations de 

résultat atténuées et redoute que l'augmentation des distinctions rende vaine et inefficace la summa divisio 

utilisée a priori. Près de soixante ans plus tard, les constructions jurisprudentielles continuent de sous-diviser 

parmi les obligations, de renforcer ou d'alléger les contraintes probatoires et de distinguer selon les 

professions. La solution est donnée par la Cour de cassation et il faut attendre sa décision pour savoir à quelle 

obligation l'on a affaire. Pour illustration, voir T. HASSLER, "De l'obligation de résultat allégée" note sous 

Cass. civ. 1ère, 2 février 1994, Les petites affiches, 22 juin 1994, n°74, p.25. 

(527) R. SAVATIER, "La socialisation de la responsabilité et des risques éventuels", DH 1931, chr., p.9. 

(528) J. ELLUL, "Sur l'artificialité du droit et le droit d'exception", APD 1963, p.28.

144 

fonction de stabilisation du temps (529) ". Les thèses de Demogue vont ainsi 

intégrer cette valeur sociale de prévision du mouvement c'est-à-dire de vitesse 

du changement de la société. Savatier intégrera, lui, cette fonction en 

raisonnant sur l'accélération de l'histoire. M. le professeur Terré explique 

aujourd'hui que de la stabilité et du mouvement, "ces deux contraintes 

immémoriales du droit", le mouvement a émergé comme valeur première 

pour devenir en quelque sorte "la vraie norme fondamentale (530) ". Dans le 

même esprit, la sécurité dynamique l'emporte toutes les fois où est reconnue, 

comme une valeur supérieure, la rapidité des échanges sur la stabilité des 

droits acquis. M. le professeur Leveneur considère lui aussi que notre époque 

est devenue celle de la rapidité (531) , de sorte que la théorie du mandat apparent 

consacrée par l'arrêt de l'assemblée plénière du 13 décembre 1962 et la 

discussion qui s'ensuivit (532) , s'inscrivent dans cette nouvelle conception de 

l'évolution du droit. D'un point de vue théorique, ces conceptions du 

changement vont faire écho aux auteurs réalistes anglo-américains (533) et à 

une réflexion sur le capitalisme moderne. D'un point de vue strictement 

technique, la doctrine va ainsi travailler sur les pistes explicitement lancées 

par Demogue, mais aussi sur l'action directe et l'effet relatif des conventions, 

sur la cause des engagements, sur l'obligation naturelle ou sur les actes 

unilatéraux. En toute hypothèse, les réflexions des auteurs vont être tournées 

vers les moyens d'obtenir conceptuellement des garanties théoriques sur 

l'avenir du droit positif (534) . 

(529) 

R GRANGER, "La tradition en tant que limite aux réformes du droit", RID comp. 1979, p.99. 

(530) 

F. TERRE, "Rapport de synthèse", in L'image doctrinale de la Cour de cassation, Paris, La documentation 

française, 1994, p.244-245. 

(531) 

L. LEVENEUR, Situations de fait et droit privé, Paris, LGDJ, 1990, préface de M. Gobert, p.148-149. 

(532) 

Cass. ass. plén., 13 décembre 1962, D. 1963, p.277 note CALAIS-AULOY ; JCP 1963.II.13105 note 

P. ESMEIN ; RTD civ. 1963, p.572, obs. CORNU. Aujourd'hui acquise positivement la théorie du mandat 

apparent a permis le développement connexe de la notion de croyance légitime qui rayonne maintenant dans 

d'autres domaines que celui du mandat : J.-L. SOURIOUX, "La croyance légitime", JCP 1982.I.3058. 

(533) 

Eux-mêmes influencés par les auteurs français, v. R. POUND, An introduction to the philosophy of law, 

New Haven, Yale university press, 2ème éd., 1954, p.108 ; B. CARDOZO, The nature of judicial process, New 

Haven, Yale university press, 1921, p.74-75 ; adde B. A. WORTLEY, "L'influence de François Gény sur les 

juristes de common law", in Le centenaire du doyen François Gény, Recueil de conférences, Paris, Dalloz, 

1963, p.57 ; PINTO, "Spicilège des lectures en français d'Oliver Wendell Holmes (1841-1935)", RDP 1996-3, 

p.703. 

(534) 

Comp. M. WEBER, Sociologie du droit, Paris, PUF, 1986, p.223 : "… pour les intéressés au marché la 

rationalisation et la systématisation du droit signifie en général, et sous réserve des restrictions que l'on 

examinera plus loin, prévisibilité croissante du fonctionnement de la juridiction, une des conditions les plus 

importantes à l'existence d'entreprises économiques devant fonctionner de façon permanente, plus 

spécialement des entreprises capitalistes qui ont besoin de la “ sécurité juridique du commerce ”. Des formes 

spéciales de transactions et des procédures spéciales comme la lettre de change et la procédure en vue de son 

encaissement rapide répondent à ce besoin de certitude formelle de la garantie juridique …".

145 

95. Garanties théoriques - Intégré à une vision globale de l'ordre juridique, le 

principe de sécurité juridique impose aux juges des contraintes interprétatives 

pour réaliser les prévisions énoncées. À défaut, la réalisation judiciaire du 

droit ne remplirait pas sa fonction sociale, "garantir à l'homme les résultats 

qu'il a pu prévoir au moment d'agir (535) ". On comprendra que le serpent se 

morde parfois la queue. D'une part, on ne peut prévoir qu'en considération de 

ce qui existe, nous dit Ripert (536) , et d'autre part le juge doit garantir un avenir 

conforme aux prévisions. Le principe de sécurité juridique signifie soit que la 

tâche du juge est de maintenir éternellement les solutions présentes, soit qu'il 

doit assurer la réalisation des prédictions. 

Les auteurs qui, comme Demogue, Morin, Ripert ou Gény, oeuvrent pour 

que les juges gagnent la reconnaissance de leur pouvoir normatif, témoignent 

de ce que la sécurité juridique est un concept qui place l'interprète autorisé - 

la Cour de cassation - devant une question théorique. Il ne s'agit plus de savoir 

quel est le droit positif applicable au temps présent mais il faut se demander si 

les solutions possibles sont conformes au processus historique de sélection des 

bonnes réponses, et si pour l'avenir la réponse choisie assure la continuité de 

l'évolution (537) . Devant l'ampleur de la tâche, le juge - qui n'est pas Hercule - 

s'en remettra au travail de la doctrine. Sans se montrer, la doctrine aura fourni 

la méthode et la solution. Sa neutralité ne sera qu'un constat. Reste qu'il lui 

faut se discipliner elle-même. "Les controverses sont facteurs d'insécurité 

juridique" (538) . 

Le savoir doctrinal domine l'insécurité tant que les controverses ne créent 

pas des difficultés à connaître le droit et la diversité des opinions est une cause 

d'incertitude et de fragilité (539) . C'est ainsi que l'évolution récente du droit de 

la promesse de vente fait dire à M. le professeur Mazeaud que "les décisions et 

opinions en sens inverse compromettent assez gravement l'impératif de 

sécurité juridique dans la période précontractuelle. Surtout, elles contribuent 

à fragiliser les avant-contrats qui, parce qu'ils sont désormais des contrats 

(535) G. MORIN, "La conception individualiste du droit", RTD civ. 1908, p.520. 

(536) G. RIPERT, Les forces créatrices du droit, 2ème éd., 1955, précité, p.1. 

(537) M. VIRALLY, La pensée juridique, Paris, LGDJ 1960, p.183 s. 

(538) J. DABIN, Théorie générale du droit, Paris, Dalloz, 1969, p.268-271 : "Les controverses sont facteurs 

d'insécurité juridique (…) mais la vie sociale (…) ne saurait être ramenée à une collection d'hypothèses types 

auxquelles le droit aurait à pourvoir par autant de solutions uniformes. Institué pour discipliner la matière 

vivante, le droit est tenu d'épouser (dans la mesure où les exigences de la sécurité juridique n'y contredisent 

pas) la plasticité de la vie". 

(539) G. RIPERT, Le déclin du droit, précité, p.161.

146 

imprévisibles, voient leur intérêt pratique diminuer (540) ". Aussi, pour maîtriser 

les incertitudes nées de la production intellectuelle, la doctrine assignera à ses 

théories le dessein d'accomplir l'unité d'entendement des solutions. La 

recherche de garanties théoriques dévoile la quête de la doctrine moderne : 

l'élaboration de concepts sûrs, de concepts censés permettre la prévision de 

l'évolution du droit positif sans contrarier les besoins de changement de la 

société. Avec la sécurité juridique, la recherche de l'unité et de la solution qui 

s'imposera, projette le jurisconsulte dans l'avenir. Devenu pronostiqueur et en 

quelque sorte oracle, il se doit de définir les règles de la sécurité à venir mais 

le noeud de la difficulté se serre lorsque le constat est avéré que l'insécurité est 

inhérente au système juridique contemporain. Le système est malade et ses 

pathologies sont graves. 

96. Pathologies - Les versions modernes du déclin du droit se présentent 

aujourd'hui comme des mises en garde (541) ; et, pragmatisme oblige, l'inflation 

législative, la parcellisation des droits au détriment du droit commun (542) ou 

les infirmités jurisprudentielles (543) n'appellent plus des traitements globaux. 

Au contraire, la pratique a besoin que l'on réponde à ses exigences pratiques et 

n'a que faire des systèmes pourvu qu'ils lui assurent certitude et fiabilité. Mais, 

en fait d'empirisme et de compréhension non apriorique de la complexité des 

phénomènes juridiques, les mêmes qui exigent une approche plus réaliste, se 

font les nostalgiques de l'unité passée et les ambitieux d'une sécurité à venir. 

L'égalité revendiquée a priori, la conformité à assurer et la sécurité à garantir 

seront ainsi des concepts qui permettront d'apporter les remèdes qui rendront 

au droit son unité. "Le droit est le même pour tous, il devrait être unique (544) ". 

Peu ou prou, il s'agit toujours de réinventer une nouvelle unité dont on espère 

qu'elle viendra à bout, définitivement cette fois, des tentations subjectivistes. 

Section 2 

L'unité d'entendement des solutions 

(540) D. MAZEAUD, note sous Cass. civ. 3ème, 30 avril 1997, D. 1997, p.478. 

(541) P. DIENER, "Pathologie juridique et doctrine universitaire en droit des affaires", D. 1997, chr., p.147. 

(542) Ph. REMY, "Exploitation agricole et statut civil des époux", Dr. rural 1981, p.240 : "Le droit morcelé et 

parcellisé qu'on fabrique ainsi est toujours du mauvais droit". 

(543) J. CARBONNIER, Droit civil, Introduction, 25ème éd., 1997, précité, [147], p.260. 

(544) N.-J. MAZEN, L'insécurité inhérente au système juridique, Thèse Dijon, 1979, p.447.

147 

97. Contre l'arbitraire - Léon Husson, appréciant l'avènement des 

méthodologies nouvelles issues de la Libre recherche, considérait que leur 

effet était de donner au juge une plus grande liberté face au cas inédit, "sans le 

dispenser pour autant de s'appliquer à insérer les solutions nouvelles qu'il 

apporte dans le système des lois existantes, afin de maintenir dans toute la 

mesure du possible, la cohérence nécessaire pour assurer l'égalité et la sécurité 

juridique. La rigueur qui convient au droit ne peut être obtenue que par cette 

alliance (545) ". Partant de l'idée que le système juridique ne gagne sa cohérence 

qu'en unissant l'égalité des uns et la sécurité des autres pour des solutions 

applicables à tous, les auteurs qui utilisent la rhétorique de l'unité 

d'interprétation, décrivent la continuité du droit comme le chemin qui mène 

à la solution sûre. Et lorsque l'analyse de la complexité emprunte des voies 

plus chaotiques et moins conformistes, ils voient planer le spectre de 

l'incertain. Au fond, l'alliance entre unité et sécurité ne supporte pas le doute ; 

elle libère une rhétorique très conformiste qui cherche sa légitimité dans les 

garde-fous qu'elle apporte contre le pouvoir discrétionnaire des juges. La 

sécurité juridique est utilisée pour rendre compte d'un besoin primordial de 

l'Homme, comme l'objet d'un principe directeur du procès, ou encore comme 

un principe "matriciel" du droit français (546) . Mais la sécurité est une notion 

essentiellement doctrinale ; Demogue distinguait d'ailleurs en ce sens 

l'opinion de sécurité du sens commun de l'état de sécurité juridique : "Pour le 

juriste, le sentiment de sécurité existe dès lors que la sécurité existe 

objectivement, il n'en est pas de même pour l'homme étranger au droit (547) ". 

La sécurité juridique est un savoir d'initié. Nombreux sont du reste les auteurs 

à décliner la sécurité sur le mode de l'intelligibilité du droit (548) . Il y aurait une 

contradiction à affirmer que le sentiment de sécurité n'est pas a priori 

accessible à l'homme moyen, tout en faisant de la connaissance des règles un 

impératif de sécurité, si l'on ne soulignait que la sécurité juridique n'est rien 

d'autre qu'un contenant rhétorique véhiculant les prescriptions techniques et 

politiques de celui qui l'utilise. 

(545) L. HUSSON, "Examen critique des assises doctrinales de la méthode de l'exégèse", RTD civ. 1976, p.437. 

(546) B. MATHIEU, "Pour une reconnaissance de “ principes matriciels ” en matière de protection 

constitutionnelle des droits de l'Homme", D. 1995, chr., p.211-212. 


(548) J.-L. BERGEL, Théorie générale du droit, précité, n°152, p.157 ; M.-A. FRISON-ROCHE, "L'esprit comparé 

du juge civil et du juge consulaire", Gaz. Pal. 25-27 juin 1995, p.7, (p.8, n°8).

148 

Au fond, le discours sécuritaire, qu'il nous vienne des législateurs français 

et européens, des magistrats, des praticiens ou des universitaires, masque les 

difficultés à concevoir des justifications légitimant de manière décisive des 

prises de positions politiques, morales, religieuses ou même esthétiques. La 

connaissance du droit devant être sûre, la doctrine imagine de jure ferenda des 

procédures qui permettront de contraindre l'interprétation à la seule 

objectivement valable et officielle (PARAGRAPHE 1). Elle apporte également 

des gages scientifiques de la réalisation de l'unité (PARAGRAPHE 2). 

PARAGRAPHE 1. LE DESIR D'UNITE FORMELLE 

98. Un conseil de jurisprudence - L'institution en droit français d'un organe 

jurislatif capable d'énoncer la véritable interprétation de la loi est une 

revendication récurrente de la doctrine. Pour lutter contre les deux 

principales infirmités du droit jurisprudentiel que sont l'existence 

d'interprétations divergentes et la rétroactivité de la jurisprudence, des 

auteurs proposent la formalisation de l'énoncé prétorien par l'instauration 

d'une autorité promulguant des solutions générales (549) . Tenus de trancher les 

litiges conformément aux règles applicables, les juges seraient formellement 

contraints par l'énoncé prétorien rendu obligatoire (550) . Cette formalisation 

évincerait les difficultés propres à l'établissement incertain de la jurisprudence 

constante et les questions sur la validité et l'obligatoriété du précédent 

judiciaire français. Elle autoriserait la naissance d'un droit jurisprudentiel 

transitoire qui aménagerait les soubresauts des revirements successifs. Elle 

permettrait, en outre, l'extension du champ d'investigation du pouvoir 

prétorien : si l'univocité de l'interprétation était assurée par un organe unique 

et unitaire, il pourrait se saisir et réformer les ambiguïtés de la loi avant que 

ne naisse un contentieux sur la question. En droit privé français, ce désir n'a 

pas encore été satisfait mais ce discours s'est déjà fait entendre du législateur : 

"Il est souhaitable d'instaurer [dans l'ordre judiciaire, un dispositif] qui offre 

l'avantage de trancher dès qu'elles apparaissent les questions de principe 

(549) 

A. TUNC, "Pour un conseil supérieur du droit privé", Études offertes à Léon Julliot de la Morandière, 

Paris, Dalloz, 1964, p.615. 

(550) 

P. DECHEIX, "Suggestion hérétique pour une justice moins lente (Plaidoyer pour l'arrêt de règlement)", 

D. 1991, chr., p.49.

149 

discutées. Il sera pour les justiciables un facteur de sécurité juridique et 

permettra d'éviter notamment que l'appréciation des textes législatifs ou 

réglementaires nouveaux ne soit inutilement paralysée par des controverses 

stériles (551) ". Certains avaient pourtant cru que la saisine pour avis de la Cour 

de cassation aurait été un premier pas dans le sens d'une élaboration formelle 

du droit prétorien (552) . Sa vocation était bien de fournir une unité 

d'interprétation a priori (553) mais les résultats sont aujourd'hui décevants (554) . 

Peu importe ; le droit est oeuvre d'unité. Pour les juristes, occulter la 

difficulté, c'est déjà la faire disparaître. Bien souvent, le silence tient lieu de 

raison. 

99. Dénégation - S'en remettre à un organe unique susceptible de définir la 

seule et véritable interprétation qui s'imposera à tous est une version moderne 

de l'idéal défendu par les absolutistes de la loi. C'est une dénégation ; c'est nier 

l'existence des oppositions de normes en droit privé, comme Robespierre 

rayait la jurisprudence de son vocabulaire. Au demeurant, il n'y a pas besoin 

de créer un organe supplémentaire unificateur de l'interprétation, la Cour de 

cassation suffit. 

Récemment, sur la question controversée de la pluralité des actions de 

l'acquéreur, la première chambre civile affirmait que "la garantie des vices 

constituant l'unique fondement possible de l'action exercée, faute de l'avoir 

intentée à bref délai, l'acquéreur ne pouvait obtenir de dommages et 

intérêts (555) ". Plus que le revirement, qui prive l'acquéreur d'agir en dommages 

et intérêts sur le terrain de l'erreur, c'est la formulation de la solution qui nous 

paraît symptomatique de la recherche d'univocité. La confusion des actions 

était certes critiquée (556) et la nouvelle solution a reçu l'approbation de la 

(551) Exposé des motifs d'un avant-projet de réforme du Code de l'organisation judiciaire cité par 

Y. GAUDEMET, "Sécurité du droit et jurisprudence", Entretiens de Nanterre des 16 et 17 mars 1990, JCP 

éd. E, 1990, Cah. dr. entr., supplément n°6, p.17. 

(552) A.-M. MORGAN DE RIVERY-GUILLAUD, "La saisine pour avis de la Cour de cassation", JCP 1992.I.3576 ; 

G. ROUHETTE, "Une fonction consultative pour la Cour de cassation", Mélanges Breton et Derrida, Paris, 

Dalloz, 1991, p.343. 

(553) F. ZENATI, "La saisine pour avis de la Cour de cassation", D. 1992, chr., p.247 : "La saisine pour avis a 

pour conséquence de déposséder les juges du fond de leur mission jurisprudentielle que l’on confie 

exclusivement à la Cour suprême. Il ne s’agit plus d’unifier la jurisprudence, mais de la confectionner ab 

initio". 

(554) Le Rapport de la Cour de cassation 1996 fait état d'un fléchissement très important du nombre des avis 

(seulement 11 avis rendus en 1996), Paris, La documentation française, 1997, p.449. 

(555) Cass. civ. 1ère, 14 mai 1996, Bull. civ. I, n°237 ; déjà, Cass. civ. 1ère, 27 octobre 1993, D. 1994, p.212. 

(556) O. TOURNAFOND, "Les prétendus concours d'action et le contrat de vente", D. 1989, chr., p.237.

150 

doctrine (557) , mais dire que la solution n'a qu'un seul fondement possible est 

une dénégation. La Cour de cassation s'autoprésente comme garante de la 

continuité du droit (558) , comme si les revirements suivaient une lente 

maturation, comme s'ils concrétisaient l'avènement d'une évolution pensée et 

organisée et comme si la découverte de l'unique fondement possible était le 

résultat de cette évolution. 

Dans cette décision du 14 mai 1996, la Cour de cassation profite de 

l'existence d'une controverse pour enrichir le débat d'un énoncé péremptoire 

qui condamne à l'absence de pertinence la recherche des autres fondements. 

L'on perçoit vite les limites de ce type de normes. Si le culte de la solution 

unique confère à la Cour de cassation ce pouvoir d'énoncer des normes 

générales, il ne lui permet pas de maîtriser la texture ouverte du langage. Il ne 

lui permet pas non plus d'expliquer les contradictions qui jalonnent le chemin 

parcouru par la notion de vice caché. Clairement, quoique s'affirme par des 

arrêts de principe la spécificité de l'action en garantie des vices face au dol et à 

l'erreur, d'autres solutions paraissent en ignorer la portée. 

Lorsqu'à l'occasion de la vente d'un fonds de commerce, l'acquéreur est 

victime d'un dol du vendeur consistant en une inexactitude portant sur la 

mention du chiffre d'affaires, certaines décisions permettent l'annulation du 

contrat au titre de l'article 1116 du Code civil (559) ; d'autres admettent 

contradictoirement l'application de l'article 13 de la loi du 29 juin 1935, texte 

qui renvoie au régime des articles 1644 et 1645 pour faire de l'inexactitude des 

informations fournies le vice caché du fonds de commerce (560) , et selon lequel 

le juge saisi d'une demande en résolution en appréciera l'opportunité et pourra 

ne condamner le vendeur qu'à une réduction du prix (561) . 

Ces deux solutions divergentes illustrent-elles une évolution heurtée ou 

contradictoire ? Cela dépend du mouvement dans lequel on les situe, et cela 

dépend de la façon dont la divergence sera relevée. Si elle passe inaperçue, soit 

que l'arrêt n'est pas publié, soit qu'il n'a pas attiré l'oeil de la doctrine (562) , on 

peut toujours penser qu'il n'existe qu'un seul fondement possible. 

(557) 

C. RADE, "L'autonomie de l'action en garantie des vices cachés", JCP 1997.I.4009 ; D. BOULANGER, 

"Erreur, non-conformité, vice caché : la fin d'une confusion", JCP éd. N, 1996.I. p.1585. 

(558) 

C'est une constante des discours prononcés lors des audiences solennelles de rentrée de la Cour de 

cassation par les hauts magistrats. 

(559) 

Cass. com., 18 octobre 1994, D. 1995, p.180, note ATIAS. 

(560) 

Ch. BEUDANT, Cours de droit civil, Tome XI, La vente, le louage des choses, Paris, Rousseau, 2ème éd., 

1938, par R. Beudant, P. Lerebours-Pigeonnière et J. Brethe de la Gressaye, n°259, p.208. 

(561) 

par exemple Cass. civ. 1ère, 3 juillet 1996, Bull. civ. I, n°290. 

(562) 

Ph. JESTAZ, "La jurisprudence : réflexions sur un malentendu", D. 1987, chr., p.11 (p.15).

151 

Évidemment l'adepte du culte de la solution unique pourra toujours affirmer 

qu'avant, le désordre régnait et qu'aujourd'hui, l'unité est faite, mais il ne 

convaincra personne. En fait, ce ne sont pas tant les grands arrêts 

contradictoires qui illustrent l'illusion de la solution unique que les petits (563) , 

et l'on pourrait multiplier les exemples. Mais l'important est que devant la 

complexité du droit moderne, l'indétermination et l'incohérence avérée du 

droit prétorien, l'insécurité dénoncée des droits législatif et réglementaire, 

vont accoucher de conceptions unitaires du contenu du droit. Figurant l'idéal 

d'unité d'interprétation, les formes contemporaines de rescrit révèlent les 

difficultés à concevoir des solutions univoques. 

100. Les rescrits - Si l'unité formelle des interprétations échappe largement à 

nos institutions, certaines matières sont pourvues d'autorités capables 

d'énoncer d'authentiques interprétations positives. Les rescrits social (564) , 

fiscal (565) ou boursier (566) et peut-être également la saisine pour avis de la Cour 

de cassation (567) ou encore le système de questions écrites au 

gouvernement (568) sont des procédures dont l'ambition serait de débrouiller la 

complexité des textes aux fins de dégager une interprétation univoque, 

cohérente et pragmatique. Mais pour que les concepts soient définis sans 

ambiguïté, pour que les effets de l'introduction des normes nouvelles soient 

prévus et mesurés, pour que les questions soient réglées par avance, ne nous 

faudrait-il pas tout simplement un rescrit doctrinal ? C'est un peu ce que la 

doctrine plaide. Y a-t-il loin entre un discours d'analyse, de synthèse ou de 

rationalisation et un discours prescriptif qui, après coup, fait de la doctrine 

l'auteur de la norme ? Sans doute les contraintes interprétatives positives ne 

permettent-elles pas de placer la doctrine sur le piédestal d'une autorité 

normative (569) , mais ses propositions, souvent entendues et ses prophéties, 

(563) P.-A. LECOCQ, Les grands arrêts contradictoires, Paris, Ellipses, 1997 ; S. MARGUERY, Contradiction et 

continuité dans la jurisprudence de la Cour de cassation, Thèse Bordeaux, 1984. 

(564) J.-P. CHAUCHARD, "Le rescrit social, procédure d'interrogation de l'URSSAF", Dr. social 1995, p.642. 

(565) B. BENOIT, "Le rescrit fiscal", Rev. franç. compta. 1989, n°199, p.39. 

(566) N. DECOOPMAN, "Le rescrit boursier", Rev. sociétés 1991, p.449 ; F. ANNUNZIATA, "Interpréter ou 

“ légiférer ” ? Un nouvel enjeu pour les autorités de contrôle des marchés financiers", Rev. sociétés 1995, 

p.675 ; P. LE CANNU, "Le rescrit de la COB : un nouvel instrument d'interprétation du droit boursier", Bull. 

Joly sociétés, 1990, p.927. 

(567) P. CHAUVIN, "La saisine pour avis", in L'image doctrinale de la Cour de cassation, Paris, La 

documentation française 1994, p.109. 

(568) B. OPPETIT, "Les réponses ministérielles aux questions écrites des parlementaires et l'interprétation des 

lois", D. 1974, chr., p.111 

(569) En apparté, on peut prolonger les questions posées par D. PORACCHIA à propos des montages (Recherche 

sur les montages conçus par les professionnels du droit, Thèse Aix, 1997, n°510, p.310), et se demander si au

152 

parfois réalisées (570) , sont l'expression de son influence. À vrai dire, le souhait 

d'une unité formelle a peu de chance d'être exaucé, mais il anime la recherche 

des solutions comme une utopie. 

Au fond, il semblerait que seule une oeuvre de rationalisation a posteriori 

soit capable de maintenir l'unité d'entendement des solutions et des 

interprétations : aucun législateur, aucune juridiction ne pourrait assurer cette 

mission dans notre système juridique contemporain. Il ne peut appartenir qu'à 

la doctrine d'apporter les gages scientifiques de l'unité passée. 

Mais son travail ne s'arrêterait pas là. "La continuité du droit" exige qu'elle 

fournisse également les instruments conceptuels de l'unité à venir. 

PARAGRAPHE 2. LES GAGES DOCTRINAUX DE L'UNITE 

101. La remise en ordre du droit - Pour remédier aux pathologies du droit, la 

doctrine raisonne toujours de jure ferenda. Son discours, purement 

conjoncturel ou plus théorique, invoque alors la nécessité d'une remise en 

ordre pour résoudre les difficultés liées à la délimitation de notions connexes. 

La sécurité juridique qui résultera de définitions plus claires, évincera les 

controverses nées de la confrontation de ces notions et permettra à la 

jurisprudence de donner définitivement un sens univoque à des concepts 

confus. Vécue par de nombreux juristes comme une infirmité du savoir 

juridique, la controverse persistante se doit d'être close. Devant "le désordre 

indescriptible du droit positif (571) ", la doctrine rappelle à l'ordre (572) tantôt le 

législateur, tantôt les juges suprêmes pour qu'ils apportent l'éclaircie là où 

règnent le chaos et la confusion. 

Des exemples récents illustrent l'influence critique de la doctrine sur la 

destinée du droit positif : en matière de clauses abusives, ou encore à propos 

de l'indétermination du prix, les auteurs oeuvraient pour que s'impose la 

filtre de son éventuelle responsabilité, la doctrine qui participe à la conception d'un montage, ne pourrait pas 

apparaître comme une autorité normative. 

(570) 

J. GHESTIN, "La prophétie réalisée", JCP 1976.I.2786. 

(571) 

A. BENABENT, note sous Cass civ. 1ère, 5 mai 1993, D. 1993, p. 508 à propos de la distinction entre vice 

caché et non-conformité. 

(572) 

J. MORAND-DEVILLER, "Urbanisme et sécurité juridique. Rapport de synthèse présenté au 89ème congrès 

des notaires", Defrénois, 1993, p.961 : "Toute science se fonde d'abord sur un langage clair. La dialectique 

exige un dialecte rigoureux. C'est la philosophie de la cohérence. Le droit de l’urbanisme flirte trop avec l’art 

baroque. Il est temps de le rappeler à l'ordre".

153 

sécurité juridique. La remise en ordre de ces matières était gouvernée par la 

volonté de découvrir la solution sûre. 

102. Les clauses abusives - Au cours des années 1980, la rigidité du cadre de la 

loi du 10 janvier 1978 s'est peu à peu effacée pour laisser place à une 

interprétation contra legem de l'article 35 (devenu L. 132-1 C. consom.). Le 

texte initial privait le juge de la possibilité de déclarer les clauses abusives, 

puisque seul un décret en conseil d'État habilitait les juridictions à réputer les 

clauses non écrites. Mais de décret, il n'y en eut qu'un. La carence constatée 

du pouvoir réglementaire à définir le champ d'application de la notion 

plongea les juristes dans une perplexité certaine (573) . Les critiques doctrinales, 

aidées par le travail de la commission des clauses abusives, dénonçaient 

l'immobilité législative et invitaient les juges à prendre en main les destinées 

du droit de la consommation en usant des textes du droit commun des 

obligations (574) . Progressivement, la Cour de cassation libéra les juges du fond 

de la lettre de l'article 35 et se libérant elle-même, finit par les approuver 

d'avoir usé du pouvoir qu'elle leur avait conféré (575) . Néanmoins, méfiante à 

l'égard du risque d'insécurité créé par la liberté accordée aux juges du fond, la 

jurisprudence érigea la référence aux recommandations de la Commission 

comme le guide sûr de l'éradication des clauses abusives. Cette oeuvre de 

définition et de recensement a permis à la Cour de cassation d'assurer l'unité 

d'interprétation de la notion de clause abusive à partir des critères dégagés par 

la Commission (576) . La réforme du 1er février 1995 ne fit qu'entériner la 

pratique prétorienne tout en intégrant une vision communautaire du 

consommateur européen. 

103. L'indétermination du prix - Après des années d'hésitation et d'incertitude, 

la doctrine qui plaidait pour sortir de l'impasse (577) a salué les revirements de 

(573) 

J. GHESTIN, Traité de droit civil, Le contrat, formation, Paris, LGDJ, 2ème éd., 1988, n°604, p.688. En 

1988, l'auteur écrivait : "La perplexité générale des professionnels devant le premier décret d'application 

permet de penser cependant qu'en définitive la difficulté a été seulement repoussée, tant il est vrai que 

l'interprétation judiciaire reste indispensable pour la solution des cas d'espèce". 

(574) 

A. SINAY-CYTERMANN, "La commission des clauses et le droit commun des obligations", RTD civ. 1985, 

p.475 s. 

(575) 

Cass. civ. 1ère, 14 mai 1991, D. 1991, p.449, note GHESTIN, JCP 1991.II.21763 note PAISANT, RTD 

civ. 1991, p.526 obs. MESTRE ; Defrénois 1991, p.1268, obs. AUBERT ; Cass. civ. 1ère, 26 mai 1993, D. 1993, 

p.568, note PAISANT ; JCP 1993.II.22158, note BAZIN. 

(576) 

A. BENABENT, Les obligations, 6ème éd., 1997, précité, n°172, p.114. 

(577) 

L. AYNES, "Indétermination du prix dans les contrats de distribution : comment sortir de l'impasse?", 

D. 1993, chr., p.25 ; L. VOGEL, "Plaidoyer pour un revirement : contre l'obligation de détermination du prix 

dans les contrats de distribution", D. 1995, chr., p.155.

154 

1994 (578) et 1995 (579) comme une libération. À travers l'examen des questions 

posées par les contrats-cadre (580) , la Cour de cassation avait engagé l'exigence 

de la déterminabilité du prix propre au contrat de vente sur la voie d'une 

généralisation. En 1978, sous le visa de l'article 1129 du Code civil, elle 

établissait une construction qui allait durer près de dix-huit ans. La 

déterminabilité générale du prix réunissait alors deux exigences cumulatives : 

précision et extériorité des éléments de référence par rapport à la volonté 

d'une des parties. La seconde de ces conditions sera l'enjeu d'une longue 

controverse. Au cours des années 1980, et conformément à l'option prise en 

1978, la jurisprudence dominante ne va cesser d'affirmer que, dès lors que le 

prix de la prestation dépend d'une manière ou d'une autre de la volonté du 

fournisseur, la nullité absolue doit sanctionner l'ensemble contractuel. 

Accueillie par la doctrine partagée (581) , cette orientation permettait pourtant 

un certain dégagement des contrats de distribution de l'étau du droit spécial 

de la vente, mais cette construction de l'autonomie des contrats-cadre montra 

ses limites et ses faiblesses pratiques dès qu'il se fut agi de résoudre les 

questions posées par les conséquences de leur annulation (582) . Devant le front 

uni des critiques tenant à l'inopportunité de l'annulation, la jurisprudence 

entreprit de dissocier parmi les contrats concernés ceux qui comportaient 

principalement des obligations de faire de ceux qui mettaient à la charge de 

leur débiteur des obligations de donner. Cette réduction de la vocation 

générale de l'article 1129 se fondait sur une tentative de rapprochement des 

premiers avec le contrat d'entreprise qui, par son régime propre, échappait 

aux exigences de déterminabilité du prix (583) . Restait que cette réduction 

significative du champ d'application du texte laissait sous l'empire de la 

(578) 

Cass. civ. 1ère, 29 novembre 1994, D. 1995, p.122 note AYNES ; JCP 1995.II.22371, note GHESTIN. 

(579) 

Cass. ass. plén., 1er décembre 1995, JCP 1996.II.22565, concl. JEOL, note GHESTIN ; D. 1996, p.17 note 

AYNES ; RTD civ. 1996, p.153, obs. MESTRE ; Les petites affiches 27 décembre 1995, p.11 note BUREAU et 

MOLFESSIS ; M.-A. FRISON-ROCHE, "De l'abandon du carcan de l'indétermination du prix à l'abus dans la 

fixation du prix", RJDA 1996, chr., p.3 ; L. LEVENEUR, "Indétermination du prix : le revirement et sa portée" 

Contrats, Concurr., Consomm. 1996, chr., 1, p.1 ; J. FOSSEREAU, "L'indétermination du prix dans les 

contrats", Rapport de la Cour de cassation 1995, p.111 ; A. LAUDE, "La détermination du prix dans les 

contrats de distribution, le changement de cap", D. aff. 1996, p.3. 

(580) 

F. POLLAUD-DULIAN et A. RONZANO, "Le contrat-cadre, par delà les paradoxes", RTD com. 1996, p.179. 

(581) 

Cass. com., 11 octobre 1978, D.1979, p.135, note HOUIN ; RTD civ. 1979, p.138, JCP 1978.II.19034, note 

LOUSSOUARN. 

(582) 

Cass. com., 18 février 1992, JCP 1992.II.21897, note BEHAR-TOUCHAIS. 

(583) 

Cass. com., 22 janvier 1991, JCP 1991.II.21679, note VIRASSAMY ; RTD civ. 1991, p.322, obs. MESTRE.; 

Cass. com., 2 juillet 1991, D.1991, p.501, note MALAURIE.

155 

controverse de nombreuses conventions ; les critiques doctrinales ne 

décoléraient pas (584) . 

La Cour de cassation ne poursuivit pas dans cette voie. Après une marche 

arrière hésitante (585) , il était temps de sortir de l'impasse (586) . La première 

chambre civile montra le chemin (587) qu'allait suivre ensuite l'Assemblée 

plénière. Le revirement du 1er décembre 1995 pose désormais que "l'article 

1129 n'est pas applicable à la détermination du prix (588) ", et ainsi "lorsqu'une 

convention prévoit la conclusion de contrats ultérieurs, l'indétermination du 

prix de ces contrats dans la convention initiale n'affecte pas, sauf dispositions 

légales particulières, la validité de celle-ci, l'abus dans la fixation du prix ne 

donnant lieu qu'à résiliation ou indemnisation (589) ". 

Les termes du débat ont changé. Ce n'est plus sur le terrain de la formation 

des contrats que se nouent les problèmes de détermination du prix mais sur 

celui de l'exécution. L'absence de détermination ou de déterminabilité du prix 

n'est plus, avec l'abandon de l'interprétation étendue de l'article 1129, une 

cause de nullité du contrat. Dans la nouvelle construction, la détermination 

d'un abus dans la fixation du prix est une fonction de l'exécution de bonne foi 

des obligations; l'anéantissement éventuel des engagements ne pourra 

désormais se faire que par la voie de l'action en résolution (mais c'est la 

résiliation qui semble avoir été préférée, pour régir les conséquences de la 

disparition des liens contractuels). Selon M. le professeur Huet, cette solution 

présente une double originalité : "elle ne repose pas sur un contrôle a 

posteriori de la justesse des prix par le juge (…) mais elle ne débouche pas non 

plus sur une possibilité d'annulation du contrat qui imposerait de remettre les 

choses en l'état. Une voie moyenne a été choisie qui consiste, en cas de 

constatation d'un abus, à n'anéantir le contrat que pour l'avenir et à remédier 

à l'injustice passée grâce à l'indemnisation (590) ". 

(584) 

D. TALLON, "Le surprenant réveil de l'obligation de donner (à propos des arrêts de la Chambre 

commerciale de la Cour de cassation en matière de détermination du prix)", D. 1992, chr., p.67 ; M.- 

A. FRISON-ROCHE, "Le choix de l'annulation comme sanction de l'indétermination du prix dans les contrats 

d'exclusivité et ses conséquences", Les petites affiches 8 décembre 1993, n°147, p.14 ; M. BEHAR-TOUCHAIS, 

"La structure du contrat-cadre de distribution et la détermination du prix des contrats d'application", JCP 

1994.I.3800. 

(585) 

J. MESTRE, obs. sur Cass. com., 14 avril 1992, RTD civ. 1993, p.350 ; Cass. com., 5 novembre 1991 et 19 

novembre 1991, D. 1993, p.379, note GHESTIN. 

(586) 

L. AYNES, "Indétermination du prix dans les contrats de distribution : comment sortir de l'impasse ?", 

D. 1993, chr., p.25. 

(587) 

Cass. civ. 1ère, 29 novembre 1994, D.1995, p.122 note AYNES ; JCP 1995.II.22371, note GHESTIN. 

(588) 

Cass. ass. plén., 1 décembre 1995, Bull. AP, n°9. 

(589) 

Cass. ass. plén., 1 décembre 1995, Bull. AP, n°7. 

(590) 

J. HUET, Traité de droit civil, Les principaux contrats spéciaux, Paris, LGDJ, 1996, n°11193, p.151.

156 

Le traitement des difficultés a rebondi. En abandonnant une attitude rigide 

qui laissait dominer l'impérialisme de l'article 1129 et la sanction implacable 

de l'annulation, la Cour de cassation a déplacé les problèmes vers les exigences 

d'une définition des critères de l'abus dans la fixation du prix. "Fidèle à sa 

tradition après qu'elle a effectué un revirement de jurisprudence, [elle] adopte 

en quelque sorte une politique des petits pas en vue de fixer ce qui sera sa 

nouvelle ligne de conduite (591) ". Au moins la nouvelle solution évite-t-elle aux 

juristes de s'interroger sur les questions nées avec les obligations de 

restitutions qui empoisonnaient les solutions abandonnées ; mais certains ne 

manqueront pas de faire remarquer que "le bon plaisir d'un seul ne peut faire 

la loi du contrat (592) ". 

Ces exemples relatifs aux clauses abusives et à l'indétermination du prix 

montrent que la doctrine ne se satisfait pas de solutions controversées ; elle 

cherche à dégager des solutions qui dureront. "Si l'effort du juriste, nous dit 

Batiffol, consiste à rechercher les idées susceptibles d'organiser les 

propositions en lesquelles s'expriment les solutions de droit, une méthode s'est 

toujours présentée comme offrant une voie adéquate à cette recherche, celle 

d'une organisation à partir d'un, voire de plusieurs principes évidents, 

auxquels il serait possible de relier par voie déductive l'ensembles des 

solutions positives (593) ". C'est bien ce que font les auteurs qui utilisent le 

principe de sécurité juridique comme la majeure d'un raisonnement déductif. 

Par là, ils en appellent à l'unicité des solutions pour préserver l'unité du savoir 

juridique, comme si l'indécision et la controverse étaient néfastes à la 

connaissance du droit. 

104. L'appel à l'unité - Dans bien des hypothèses les auteurs en appellent à 

l'unité : unité des définitions, unicité de l'interprétation. Les souhaits de la 

doctrine expriment le désir de voir s'établir des concepts stables et acquis, des 

réponses suffisamment claires pour durer et des principes contre l'arbitraire. 

"Pourquoi la jurisprudence ne poserait-elle pas une fois pour toutes ( *), en 

principe que le subrogé peut se prévaloir, au moins lorsqu'il ne dispose pas 

(591) 

C. JAMIN, note sous Cass. com., 21 janvier 1997, D. 1997, p.414, (p.415) ; rappr. O. SALVAT, Les 

revirements de jurisprudence ; étude comparée de droit français et de droit anglais, Thèse Paris II, 1983, 

n°265, p.270. 

(592) 

Ph. REMY, obs. à la RTD civ. 1987, p.106 rappelant la formule utilisée par G. CORNU, obs. à la RTD civ. 

1965, p.820. 

(593) 

H. BATIFFOL, Problèmes de base de philosophie du droit, Paris, LGDJ, 1979, p.137. 

(*) Souligné par nous.

157 

parallèlement d'une action personnelle lui permettant immédiatement d'agir, 

de la maxime contra non valentem agere non currit praescriptio pour le temps 

où il n'a pas encore été sollicité de payer par le créancier ? (594) ". La doctrine 

s'en remet aussi parfois à la Cour de cassation et semble, en quelque sorte, lui 

déléguer un pouvoir scientifique de définition quand les auteurs n'ont pu 

s'accorder sur la bonne réponse. On lira par exemple : "On peut légitimement 

souhaiter que la Cour de cassation nous donne une définition plus stricte de 

l'intérêt commun pour éviter les dérives à redouter d'un critère purement 

économique. La pratique nous offre des pistes à explorer. (…) Cet arrêt est un 

premier pas. On peut espérer qu'il constituera l'amorce d'un mouvement qui 

devrait aboutir à la consécration jurisprudentielle d'une notion de contrat 

d'intérêt commun applicable à d'autres catégories de distributeurs que les 

mandataires (595) ". Ce type de discours se justifie par l'idée que "si un concept 

juridique n'était pas clairement défini ou si quelque divergence que ce soit 

pouvait subsister à cet égard (...), il en résulterait nécessairement une 

impossibilité de prévoir la solution à donner à un litige éventuel, puisqu'elle 

serait fonction de l'appréciation du juge, de la conception qu'il pourra se faire 

de la notion seulement évoquée (596) ". L'unité des définitions, leur clarté 

imposée par la Cour de cassation sont gages de sécurité et la doctrine plaide 

ainsi pour l'éviction du disparate au profit de l'unitaire. 

Revenons alors sur l'indétermination du prix ou sur la question des clauses 

abusives. Pendant les années 1980, la doctrine n'a cessé de critiquer sans 

faiblir les positions de la Cour de cassation ou du législateur pour infléchir des 

interprétations qui composaient des prescriptions, on ne peut plus claires et 

générales. L'article 1129 du Code civil était applicable à tous les contrats (sauf 

exception), et la nullité pour indétermination du prix était une sanction 

générale et non équivoque. Pareillement, alors que l'article 35 de la loi du 10 

janvier 1978 privait clairement le pouvoir judiciaire de la possibilité de 

sanctionner les clauses abusives hors de toute intervention du pouvoir 

réglementaire, la doctrine n'a cessé de peser pour que s'impose une 

interprétation contra legem. Dans ces deux grandes hypothèses, la rébellion 

contre les autorités institutionnelles s'est faite au nom de la sécurité juridique, 

pour que triomphe la solution sûre. Mais aujourd'hui que le changement de 

(594) J. MESTRE, obs. à la RTD civ. 1987, p.104-105. 

(595) T. AUBERT-MONPEYSSEN, note sous Cass. com., 2 mars 1993, D. 1994, p.50. 

(596) E. S. DE LA MARNIERRE, Éléments de méthodologie juridique, précité, p.45.

158 

perspective a eu lieu, la doctrine cherche à définir et à redéfinir les contours 

des notions présentées hier comme salvatrices. 

Ces exemples où la doctrine fait mine de s'en remettre à l'autorité 

institutionnelle pour trancher une controverse sur le contenu des normes ou 

pour définir clairement un concept qu'une controverse stérile aurait obscurci, 

illustrent cette tension entre l'interprète scientifique qui met en avant sa 

neutralité, et l'interprète doctrinal qui use de son autorité prescriptive. Il s'agit 

pourtant du même personnage. Ainsi s'impose le paradoxe que, pour assurer la 

permanence de la solution sûre, il faut pouvoir en déterminer la source 

formelle et la neutralité est exprimée par cet appel aux véritables sources du 

droit. C’est dans cet esprit que la recherche de la solution s’effectue. Pour 

résoudre un cas difficile de manière certaine et définitive, l’on implorera soit 

l’assemblée plénière, soit le législateur mais il arrivera aussi que la doctrine 

s'en remette aux lumières des formations ordinaires de la Cour de cassation, 

eu égard à leurs domaines spécifiques de compétence. 

105. Le recours à l’assemblée plénière de la Cour de cassation - Au delà de la 

prohibition des arrêts de règlement disposée à l’article 5 du Code civil, 

l’assemblée plénière a vocation de régler les questions qui se posent à elle de 

manière générale et définitive. L'article L. 131-2 du Code de l’organisation 

judiciaire prévoit sa saisine dans deux séries d’hypothèses. Premièrement, 

l’assemblée plénière doit être obligatoirement saisie lorsque "après cassation 

d'un premier arrêt ou jugement, la décision rendue par la juridiction de renvoi 

est attaquée par les mêmes moyens" ; deuxièmement, elle peut être 

facultativement saisie sur un premier pourvoi dès lors que "se pose une 

question de principe, notamment s’il existe des solutions divergentes soit entre 

les juges du fond, soit entre les juges du fond et la Cour de cassation (597) . 

De par la solennité qui est attachée aux arrêts rendus en assemblée 

plénière, la loi et la doctrine prêtent à la plus haute formation de la Cour de 

cassation la capacité à résoudre les cas les plus difficiles. On ne peut 

s’empêcher de faire un rapprochement avec la thèse de Ronald Dworkin dans 

la mesure où le texte de l’article L. 131-2 alinéa 2 du Code civil utilise lui aussi 

l’expression “ question de principe ” pour désigner les cas devant être tranchés 

par l’assemblée plénière. La question se posera donc de savoir si l’assemblée 

plénière a comme Hercule le pouvoir d’écrire la chaîne du droit, mais en tout 

(597) L. CADIET, Droit judiciaire privé, Paris, Litec, 2ème éd., 1998, n°276, p.129; G. CORNU et J. FOYER, 

Procédure civile, Paris, PUF, 3ème éd., 1996, n°57, p.242.

159 

état de cause, lorsque la doctrine prête à la Cour de cassation le pouvoir de 

trancher la controverse pour la clore définitivement, c’est a priori qu’elle 

accorde à la Haute juridiction tout à la fois un pouvoir juridictionnel et le 

pouvoir scientifique doctrinal de définir les orientations futures du droit 

positif. 

Dans cette mesure, l’image de la Cour de cassation et plus encore celle de 

l’assemblée plénière dont la grande majorité de la doctrine se fait le relais, est 

celle d’un interprète habilité à résoudre les questions de principe et à définir 

ces mêmes questions de principe. C'est ainsi que la doctrine s'en remet au 

pouvoir normatif de l'assemblée plénière pour mettre un terme aux 

dissonances prétoriennes ou pour définir des notions incertaines. "Face à la 

diversité des décisions des juridictions du fond, bien des cours d’appel 

continuant par exemple à se référer à la jurisprudence apparue en 1987 qui 

protège le professionnel se trouvant dans le même état d’ignorance que 

n’importe quel autre consommateur, l’exigence de sécurité juridique apparaît 

désormais comme la première des priorités. [...] Une décision de l’Assemblée 

plénière de la Cour de cassation, qui apporterait de clairs principes de 

solution, serait la bienvenue (598) ". 

Lorsque la Cour de cassation ne semble pas en mesure de pouvoir résoudre 

et trancher définitivement les controverses, soit que l’on considère qu’il faut 

une réforme profonde et globale de l’ensemble d’une matière, soit que l’on 

s’appuie sur des hésitations de la Cour de cassation concernant la politique 

jurisprudentielle à mener, la doctrine en appelle au législateur. 

106. Le recours à l'autorité du législateur - Il est alors présenté comme la seule 

autorité capable soit d’entériner une position doctrinale ou prétorienne 

controversée, soit de définir lui-même une nouvelle norme générale. Bien 

entendu, en l’absence de recours formel devant l'autorité législative, ces 

appels sont plus fréquents qu'entendus, de sorte que le recours au législateur 

lancé par la doctrine tient plus d’une rhétorique de la détermination d’une 

question particulièrement difficile que d’une attente effective. 

Quand les auteurs plaident pour une remise en ordre législative du droit de 

la vente par exemple, ils utilisent l’autorité du législateur pour disqualifier les 

(598) G. PAISANT, note sous Cass. civ. 1ère, 3 janvier 1996 et 30 janvier 1996, D. 1996, p.230.

160 

solutions dégagées par la Cour de cassation (599) . Ces solutions n’ont pu 

s’imposer et, sur la matière considérée, elles ont discrédité l’autorité 

scientifique de la Cour de cassation. Du reste, l’image doctrinale du législateur 

capable de résoudre les cas difficiles est ambivalente. A priori la doctrine qui 

en appelle au législateur concède son incapacité à résoudre les problèmes et 

propose elle-même des solutions qui s’imposeraient par leur univocité et leur 

qualité de sécurité. Devant la carence plus que vraisemblable du législateur, la 

doctrine retient à elle l’autorité scientifique qu’elle paraissait concéder pour 

prescrire elle-même des solutions. 

En d’autres termes, l’utilisation de l’appel au législateur procède d’une 

rhétorique masquant un traitement doctrinal incertain du cas difficile. 

Lorsque l’appel au législateur sera entendu, il se trouvera toujours des auteurs 

pour critiquer la norme promulguée de sorte que le législateur véhicule une 

double image : celle du sauveur et celle de l'incompétent. Néanmoins, on lui 

prête toutefois, contrairement à la Cour de cassation, le pouvoir de faire table 

rase (600) et d’assurer ainsi la possibilité pour les interprètes de renouveler les 

analyses exégétiques ou conséquentialistes grâce à la reformulation des 

normes législatives (601) . 

En matière de responsabilité du fait des produits défectueux par exemple, 

et en dépit des innovations prétoriennes, la doctrine soulignait que les 

décisions de la Cour de cassation, si audacieuses qu'elles soient pour appliquer 

la directive européenne du 25 juillet 1985, ne pouvaient se substituer à 

l'intervention du législateur (602) . Des auteurs notaient cependant (603) que, 

devant l'inertie législative, la Cour de cassation se ralliait clairement au régime 

de la directive en posant "que le vendeur professionnel est tenu de livrer des 

produits exempts de tout vice ou de tout défaut de fabrication de nature à 

créer un danger pour les personnes ou les biens ; qu'il en est responsable tant à 

(599) J. GHESTIN et J. DESCHE, Traité des contrats, La vente, Paris, LGDJ, 1990, p.1043 : "On a montré que 

l'existence et les relations particulièrement complexes des diverses actions susceptibles d'être exercées par 

l'acheteur étaient un grave facteur d'incertitude et d'insécurité juridique. Une réforme du droit de la vente en la 

matière est indispensable (…). C'est donc une réforme législative du droit des contrats qui doit être 

entreprise". 

(600) Toutefois l'assemblée plénière de la Cour de cassation est pourvue de pouvoirs très voisins ; "Cet 

événement était attendu. Il efface le passé, marque le présent et prépare l'avenir", L. AYNES, note sous Cass. 

ass. plén., 1er décembre 1995, D. 1996, p.13, à propos des arrêts rendus en matière d'indétermination du prix. 

(601) G. CORNU, Les régimes matrimoniaux, Paris, PUF, 7ème éd., 1995, p.124 à propos du maintien après le 

mariage de la présomption de pouvoir de l'art. 221 al. 2 issu de la réforme du 23 décembre 1985 : "Ce 

maintien est aujourd'hui certain et la controverse close. C'est un bris de jurisprudence". 

(602) v. Loi 98-389 du 19 mai 1998 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux et son 

commentaire exégétique par F.-X. TESTU et J.-H. MOITRY, D. aff. 1998, supplément au n°25. 

(603) A. BENABENT, Droit civil, Les obligations, 6ème éd., 1997, précité, n°665, p.396.

161 

l'égard des tiers que de son acquéreur (604) ". On constatera ainsi que lorsque le 

sentiment est bien présent que le législateur tarde à intervenir, lorsque les 

appels qui lui sont lancés restent lettre morte, la doctrine replace la 

jurisprudence en situation de combler le vide, imparfaitement sans doute, 

mais réellement néanmoins, à dessein de forcer ou non la main du législateur 

par des arrêts particulièrement audacieux ou provocateurs. 

Le pouvoir législatif garde néanmoins la primauté ; on lui prête par 

exemple le pouvoir de rompre la cohérence d’un système existant et la 

doctrine se félicite parfois de ce qu’une réforme législative destinée à répondre 

à l’appel de certains lobbies n’a pas créé plus de difficultés qu’elle a résolu de 

problèmes. Le recours au législateur se dilue, en somme, dans l’efficacité et la 

qualité des réformes adoptées pour n’être parfois que de simples coups d’épée 

dans l’eau (605) , pour être encore de véritables scandales provoquant la mort du 

droit (606) ou enfin pour être les réponses attendues mais trop tardives aux 

sollicitations de la doctrine. 

Finalement, le sentiment domine que d’une manière ou d’une autre, ni le 

recours à l’assemblée plénière, ni le recours au législateur ne sont capables de 

trancher à coup sûr les questions de principe. Sans doute est-ce dû au fait que 

la résolution des "questions de principe" ne peut être le monopole de 

l'assemblée plénière et que le législateur chirurgien qui viendrait opérer un 

abcès relève du plus parfait fantasme (607) . La doctrine prête tout autant aux 

formations ordinaires le pouvoir de trancher, nettement et sèchement, une 

longue controverse doctrinale (608) . 

Pour la doctrine française, la solution est sûre par son contenu et non par 

sa forme. La bonne solution n'est pas entendue comme un énoncé valide dont 

il faudrait déterminer la signification politique pour le cas à trancher mais elle 

est entendue comme la signification elle-même, prenant place a priori dans un 

ensemble de solutions cohérentes. Lorsque cette cohérence est rompue, il faut 

la rétablir. Qui peut agir ? En faisant appel aux autorités jurislatives, la 

(604) 

Cass. civ. 1ère, 17 janvier 1995, D. 1995, p.350, note JOURDAIN ; ou encore Cass. civ. 1ère, 3 mars 1998, 

D. Aff. 1998, n°113, p.664, obs. J. F. 

(605) 

M. BANDRAC, obs. sur Paris, 7 mai 1996, RTD civ. 1996, p.948 à propos de l’interprétation de l’art. 2037 

du Code civil. 

(606) 

H. SOLUS, "Le statut hérétique des Tribunaux paritaires de baux ruraux", D. 1950, chr., p.153. 

(607) 

M. REMOND-GOUILLOUD, obs. sous Cass. com., 19 mars 1991, D. 1992, somm., p.81 : "En définitive, 

l'intérêt essentiel de la décision rapportée est qu'il ait fallu la rendre. L'importance du contentieux que l'action 

directe du substitué en douane continue de susciter en dépit de la fermeté de la Cour suprême, montre que les 

plaideurs ne désarment pas. Puisque l'abcès se fixe sur ce point, il faudra bien se résoudre à opérer". 

(608) 

D. MAZEAUD, note sous Cass. com., 6 mai 1997, Defrénois 1997, p.981, n°8 à propos de la cession de 

contrat et du consentement du cédé.

162 

doctrine les représente à l'aide de constructions contradictoires qui montrent 

les faiblesses des conceptions légalistes et suivistes ; elle en retire comme 

bénéfice qu'elle seule est en mesure de guider les interprètes habilités sur la 

voie de la cohérence. 

En somme, le savoir juridique appartiendrait tout entier à la doctrine. 

"C'est pure question doctrinale que de juger de la question de la rectitude 

juridique de la jurisprudence et de dire laquelle est ou n'est pas fidèle à la 

loi (609) ". Ce serait également pure question doctrinale que de juger de la 

conformité de la loi à l'unité de l'ordre juridique. 

107. Conclusion - La rhétorique de l'unité d'interprétation et de la solution 

sûre se résume finalement à peu de mots souvent rencontrés. Nombre 

d'analystes et de commentateurs de la jurisprudence reprennent un discours 

devenu refrain. Quand il est critique, il met en avant un dévoiement des 

fonctions judiciaires par la juridiction suprême en lui rappelant son rôle. "La 

Cour de cassation dont le rôle est d'unifier l'interprétation de la règle de droit, 

a une incidence pratique considérable … Elle participe au maintien de la 

sécurité juridique en général et de la prévision contractuelle en 

particulier (610) ". Et ce rôle n'appartient qu'à la juridiction suprême. 

"L’interprétation de la loi est exclusivement donnée et imposée à tous les juges 

par la Cour de cassation. Reconnaître aux juges du fond un pouvoir légal de 

résistance, c’est nier ce monopole et revenir à un temps où n’existait d’autre 

droit que la loi. [...] La jurisprudence ne peut s’épanouir dans un système de 

droit codifié sans être unique et imposée (611) ". Au fond contre l'arbitraire des 

juges, contre les incohérences du législateur, contre les spéculations 

doctrinales sources de controverses, il faudrait s'en remettre à la Cour de 

cassation parce qu'elle est seule capable de découvrir la bonne solution. Cela 

est bien difficile à croire et l'on soupçonne de la part de la doctrine qui invite 

à adhérer au dogme de la solution unique soit une certaine ironie, soit un 

double langage. Les gages doctrinaux de l'unité ne seraient-ils que des leurres 

lancés pour satisfaire les conceptions suivistes et légalistes de l'ordre 

juridique ? Il n'est pas douteux que les auteurs oeuvrent à la découverte des 

solutions et des concepts : leur neutralité n'est que de façade. 

(609) 

Ph. MALAURIE, "La jurisprudence combattue par la loi", Mélanges Savatier 1965, p.607. 

(610) 

C. BOULLEZ, "La garantie des vices : la part maudite de la jurisprudence", Gaz. pal., 4-5 novembre 1994, 

p.9. 

(611) 

F. ZENATI, "La saisine pour avis de la Cour de cassation", D. 1992, chr., p.247.

163 

En raisonnant de jure ferenda, la doctrine est nécessairement en avance sur 

le droit positif et son discours en affecte l'évolution ; son autotité se crée dans 

un contexte formé par ses anticipations, ses "prémonitions" et l'ensemble de 

ses prévisions. Elle pose les jalons des contraintes argumentatives qui pèseront 

sur les interprètes authentiques. Qui plus est, en admettant le lieu commun 

que le droit doit être prévisible, on admet qu'il doit être conforme aux 

prévisions doctrinales. La solution posée prend donc place dans un contexte 

dont la cohérence est définie par la doctrine. Par ses "actes de connaissance", 

elle crée des contraintes argumentatives qui guideront mais aussi entraveront 

l'interprète et sa liberté d'interprétation. 

Elle est aussi, et c'est ce qui est le plus difficile à concevoir, nécessairement 

en retard. La bonne solution, celle qui assure la continuité de notre ordre 

juridique est toujours le résultat d'un jugement a posteriori, c'est à dire d'une 

(re)construction du passé à travers la chaîne du droit, la sédimentation du 

savoir juridique, les changements de paradigmes ou les révolutions 

scientifiques (612) . On considère aujourd'hui que "si notre système juridique est 

en train de changer radicalement, c’est en effet par souci d’effectivité du droit. 

Le législateur ne peut que produire les instruments normatifs à travers les lois, 

mais non les appliquer lui-même : il n’a pas le pouvoir de rendre effectives les 

règles qu’il édicte. Si l’on pose que le droit ne prend vie, c’est-à-dire n’existe, 

qu’à travers son application, le système juridique doit mettre en avant, d’une 

façon première, ce souci d’effectivité du droit. Par conséquent il cesse 

nécessairement de reposer sur la loi pour se reconstruire à partir du 

jugement (613) ". “ Nul n'est censé ignorer la loi ” nous dit-on pourtant, mais cet 

adage n'a d'autre but que de maintenir "le caractère unitaire et cohérent de 

l'ordre juridique (614) ". “ Nul n'est censé ignorer l'unité du droit ” devrait-on 

dire. Mais si la loi et les énoncés prétoriens ont en commun de créer cette 

unité constatée par la doctrine, ils sont des solutions à des questions. Dans ce 

cas, il s'agirait d'aborder les solutions par les questions. 

(612) C. ATIAS, Théorie contre arbitraire, précité, p.171, n°45. 

(613) W. BARANES et M.-A. FRISON-ROCHE, "Le souci de l’effectivité du droit", D. 1996, chr., p.301. 

(614) F. TERRE, "Le rôle actuel de la maxime “ Nul n'est censé ignorer la loi ”", Études de droit contemporain, 

Trav. et recherches de l'institut de droit comparé de l'université Paris X, Paris, Cujas, 1966, p.91.

CHAPITRE 2 

La bonne solution 

164 

108. Présentation - Loin d'entamer un débat sur l'ontologie de la bonne 

réponse, la doctrine française décrit la solution sûre à travers des mots 

simples. Si les vocables utilisés sont distincts selon les matières, ils expriment 

tous l'idée que la sécurité juridique est un guide interprétatif dont le respect 

permet d'atteindre sans heurt une connaissance certaine quoique parfois 

inédite. On recherchera et on trouvera ainsi la solution efficace, la solution 

constante, la solution exacte ; enfin et surtout, l'on définira la solution 

prévisible. Ces épithètes montrent les diverses faces du dogme de la solution 

unique qui, se transformant, a fini par reléguer la solution juste et équitable, la 

solution infaillible ou la solution vraie au rang des idéaux figés ou dépassés. Ils 

montrent surtout que la doctrine pratique une ontologie prescriptive par 

laquelle, dans les hypothèses examinées, elle assigne aux solutions souhaitées 

des propriétés ad hoc grâce à l'utilisation d'épithètes polysémiques. 

La "solution sûre", conforme à la "sécurité juridique", permet, tout en 

préservant l'idéal d'unicité de la solution et d'univocité de son contenu, de 

concevoir un raisonnement qui intégrera a priori les mutations de l'ordre 

positif. À l'image de la solution prévisible, quand celle-ci n'a pas encore été 

énoncée par une autorité normative habilitée, la solution à rendre devra être 

conforme aux prédictions déjà faites et déjà diffusées auprès des justiciables. 

Connaître la solution positive (SECTION 1), prévoir la solution future 

(SECTION 2) sont les deux objets du discours doctrinal. 

Section 1 

Connaître la bonne solution 

109. Une solution positive - Les jurisconsultes sont de bons conseils, mais pour 

renseigner, il faut connaître. Ils cherchent donc la solution consacrée par le 

droit positif : celle qui par son efficacité assurera la sécurité des relations 

juridiques (PARAGRAPHE 1), celle qui par son exactitude démontrera la qualité 

du savoir transmis (PARAGRAPHE 2).

PARAGRAPHE 1. LA SOLUTION EFFICACE 

165 

110. Efficacité des sûretés - "Sûreté" et "sécurité" sont des concepts 

pareillement difficiles à saisir parce qu'ils se répondent, et l'on est bien en 

peine de définir positivement la sécurité juridique à partir du droit des sûretés. 

Abruptement, "la sûreté n'est pas [même] une notion, ce n'est qu'une étiquette 

qui s'accommode du disparate (615) ". Elle recouvre des réalités différentes faute 

de critères homogènes de qualification. Mais l'absence d'une telle définition 

conceptuelle de la sûreté ne prive pas les mécanismes de protection des 

créanciers de leur efficacité. Au contraire, c'est l'efficacité du mécanisme qui 

définit la sûreté. La sûreté est bonne (c'est-à-dire sûre) si elle assure "au 

créancier une chance maximale de paiement et dont la constitution et la 

réalisation sont simples et peu onéreuses" (616) . En fait, tous les mécanismes qui 

permettent à leurs utilisateurs de parvenir au meilleur compte, au meilleur 

résultat, sont des concepts et des solutions efficaces et, dans cette mesure 

pragmatique, ce qui est efficace est sûr. Inversement les sûretés inefficaces 

seraient appelées à disparaître. C'est en tout cas le sort qui fut envisagé pour 

l'antichrèse (617) . Comme la réforme des procédures collectives de 1985 n'en fit 

aucun cas, une doctrine inventive la relevait associée au bail (618) et posait de 

manière renouvelée la question de son efficacité. La doctrine s'interrogeait. 

Fallait-il "la reléguer au rang de pièce de musée ?" Il eût été imprudent de le 

faire, "car l'atteinte portée à l'efficacité de l'hypothèque par le droit des 

procédures collectives [pouvait] donner un second souffle à sa piètre 

rivale (619) ". La nouvelle réforme de 1994 aura toutefois sonné la fin 

(provisoire) de la renaissance de l'antichrèse (620) . De cette entreprise de 

rénovation discutée (621) , l'on retiendra que l'oeuvre de résurgence du concept 

fut essentiellement doctrinale et que seule la modification des termes du débat 

par l'intervention du législateur fut un frein à la renaissance de l'antichrèse 

comme sûreté efficace. Il est déjà clair que la recherche de la bonne sûreté est 

(615) M. CABRILLAC et C. MOULY, Droit des sûretés, Paris, Litec, 4ème éd., 1997, n°2, p.2. 

(616) M. CABRILLAC et C. MOULY, Droit des sûretés, 4ème éd., 1997, précité, n°5, p.5. 

(617) M. DAGOT, Les sûretés, Paris, PUF, 1981, p.273. 

(618) F. LEJEUNE, "Une sûreté nouvelle : l'antichrèse-bail", JNA 1986, p.571. 

(619) M. CABRILLAC et C. MOULY, Droit des sûretés, Paris, Litec, 2ème éd., 1993, n°814, p.610. 

(620) La revanche des sûretés frustes sur les sûretés perfectionnées aurait fait long feu. M. CABRILLAC et 

C. MOULY, Droit des sûretés, Paris, Litec, 4ème éd., 1997, n°814, p.656. 

(621) D. R. MARTIN, "L'antichrèse", JCP , éd. N, 1987.I. p.299 ; R. TENDLER, "L'antichrèse, mythe ou réalité ?" 

D. 1989, chr., p.143.

166 

fonction de l'état actuel de la législation et de l'évolution de la jurisprudence, 

elle l'est aussi des capacités de la doctrine à inventer ou réinventer des 

mécanismes de garanties appropriés aux exigences des praticiens. Ce qui 

diffère peut-être d'avec d'autres conceptions de la bonne solution, c'est bien 

que la valeur de la sûreté s'apprécie à son résultat. C'est ainsi que le 

cautionnement personnel, après les contorsions jurisprudentielles sur la 

mention manuscrite, cède, semble-t-il aujourd'hui, une partie de son empire à 

des garanties voisines, soit à des garanties autonomes, soit à des 

cautionnements hypothécaires. On compte aussi d'autres techniques en marge 

du droit des sûretés que la doctrine recueille sous l'appellation de “ sûreté 

négative ” "pour embrasser diverses formules restreignant la liberté 

contractuelle du débiteur ou l'astreignant à renseigner le créancier de façon à 

accroître les chances de paiement (622) ". Dans son acception étendue, cette 

pseudo-sûreté s'entendrait de toutes les clauses tendant à accroître la sécurité 

du créancier. Leur efficacité n'est cependant pas absolue, "reposant sur le seul 

contrat, elles demeurent inopposables aux tiers de bonne foi et se résolvent 

donc, en cas de violation, en de simples dommages et intérêts (623) ". Cette 

efficacité relative des sûretés indirectes explique évidemment le recours aux 

sûretés directes dont la forme est gage de sécurité, mais l'utilisation du terme 

"sûreté" pour ce qui n'est, somme toute, qu'une technique contractuelle, est 

révélatrice de l'équivalence entre efficacité et sécurité que l'on retrouve pour 

tous les concepts de la vie des affaires. 

111. Efficacité des techniques contractuelles - Les instruments juridiques 

s'imposent aux acteurs du commerce par leur efficacité. De la lettre de change, 

on dira par exemple qu'elle "conserve un rôle très important dans les relations 

commerciales, car la sécurité juridique qu’elle procure à travers des règles 

sûres et rigoureuses pour les débiteurs reste très appréciée des opérateurs (624) ". 

Quelles sont les raisons mises en avant pour expliquer ce succès et cette 

pérennité de la lettre de change ? Rigueur, simplicité, invariance des concepts 

révélant aussi bien une capacité remarquable d'adaptation qu'une application 


(623) A. JAUFFRET et J. MESTRE, Droit commercial, Paris, LGDJ, 23ème éd., 1997, n°679, p.472. 

(624) A. JAUFFRET et J. MESTRE, Droit commercial, 23ème éd., 1997, précité, n°843, p.601 ; Dans le même 

esprit ces auteurs considèrent le rôle important joué par la jurisprudence commerciale à travers la rapidité et 

l'efficacité de ses interventions (ibid., n°23, p.15).

167 

sans faille (625) . Un rien paradoxal, ce constat montre la double nature assignée 

à la sécurité des instruments et des techniques juridiques : stabilité et 

adaptabilité. Malgré - ou grâce à - l'invariance de son régime légal, la plasticité 

de la lettre de change lui a permis d'accompagner avec succès les 

métamorphoses de l’économie capitaliste. C'est ainsi que, par l'alliance de la 

souplesse et de la rigueur contractuelles, les acteurs de la vie économique 

caressent l'espoir de mieux maîtriser l'avenir de leurs relations, et avant toute 

intervention judiciaire ou arbitrale, la sécurité des instruments juridiques se 

juge à la qualité du cadre qui aura été défini conventionnellement. 

L'efficacité et la sécurité se reconnaissent en matière contractuelle à travers 

les concepts qui permettent de ne pas avoir recours à l'institution judiciaire. 

En ce sens, les rédacteurs du Code civil avaient évidemment perçu 

l'importance de la transaction en matière civile dont la raison d'être était de 

pallier l'incertitude des droits et leur évolution en fixant formellement dans le 

présent le cadre d'un éventuel contentieux (626) . La complexité croissante des 

textes législatifs et réglementaires, les variations économiques, s'ajoutent 

aujourd'hui à la recherche d'efficacité et l'on découvre ainsi la valeur 

transactionnelle de certaines conventions ou stipulations. Le contrat d'avoir 

est de cet ordre. Il permet d'aménager conventionnellement les conséquences 

de la non-réalisation d'une opération en reportant dans le futur le règlement 

du problème. Mais la nature de l'avoir est elle-même soumise à question, et la 

technique peut perdre son intérêt dès lors qu'il s'agit de traduire le mécanisme 

de l'avoir en termes de “ dû ” ou de “ créance ” (627) . 

Pourtant, l'efficacité des techniques contractuelles ne se vérifie pas à ce 

qu'en dira un juge. Dans un article important, M. le professeur Mousseron a 

montré que la sécurité contractuelle n'était pas qu'une affaire d'assurance ou 

de raisonnement judiciaire, qu'elle était surtout affaire d'imagination (628) . 

(625) 

On lira par ailleurs à propos des promesses de vente sous condition suspensive que "l'article 1178 du Code 

civil constitue un instrument particulièrement efficace de protection des intérêts du vendeur, car il engendre à 

la charge de son cocontractant une obligation de loyauté dont l'objet est assez rigoureusement déterminé par la 

jurisprudence", D. MAZEAUD, obs. sous Cass. civ. 1ère, 25 octobre 1994, Defrénois 1995, p.755. 

(626) 

E. SERVERIN, P. LASCOUMES, T. LAMBERT, Transactions et pratiques transactionnelles, Paris, 

Économica, 1987, p.28. 

(627) 

A. HONORAT et A.-M. ROMANI, note sous Cass. com., 22 février 1994, D. 1995, p.27 ; D. R. MARTIN, 

"L'avoir", D. 1995, chr., p.129. 

(628) 

J.-M. MOUSSERON, "La gestion des risques par le contrat", RTD civ. 1988, p.481. L'auteur cite à l'appui de 

sa présentation, (p.486) D. LEDOUBLE, "L'entreprise et le contrat", Paris, Litec, 1980, p.246 : "L'influence des 

compagnies d'assurances, ajoutée à la paresse intellectuelle de certains juristes, ont pu laisser croire que 

l'unique moyen de réduire les risques liés à un contrat ne pouvait être que l'assurance, alors qu'une rédaction 

attentive des clauses mêmes du contrat peut rendre les plus grands services sans entraîner des frais 

supplémentaires. Dans les contrats de longue durée, les risques de toutes sortes assaillent les cocontractants et

168 

L'évolution du capitalisme et l'adaptation du droit contemporain des contrats 

à l'économie libérale - en crise (629) - ont engendré la nécessité d'intégrer dans 

la prévision contractuelle l'anticipation du risque d'inexécution. Le concept de 

la “ gestion des risques ” par le contrat montre que la sécurité n'est pas une fin 

pour les acteurs économiques. L'efficacité et la réalisation de l'objet du contrat 

priment, et la prévisibilité augmente avec la qualité des techniques utilisées à 

bonne fin. La prévention des risques et leur imputation par des aménagements 

conventionnels de l'inexécution manifestent une perception du contrat qui a 

singulièrement changé (630) . Les acteurs économiques entourent l'objet du 

contrat d'un cadre conventionnel destiné à discipliner sa réalisation de 

manière autonome et à maîtriser en quelque sorte l'incertitude de l'avenir. 

Mais tant d'un point de vue pratique que théorique, la maîtrise du futur révèle 

ses illusions et ses désillusions (631) . Le fait est que le "risk-management" 

conduit à élargir la sphère contractuelle et invite les contractants à développer 

des techniques qui substitueront la discipline conventionnelle à un règlement 

contentieux de l'inexécution. L'utilisation de clauses de “ suspension du 

contrat ”, de clauses d'adaptation automatique, de négociation, de 

prolongation ou de “résiliation sauvegarde”, permet de concevoir le rapport 

contractuel d'obligation indépendamment du cadre de la responsabilité. 

"L'évolution va consister à “ déculpabiliser ” l'inexécution, à ne plus y voir le 

signe d'une quelconque faute d'un débiteur négligent ou récalcitrant mais un 

risque dont il faut organiser le traitement". Notre droit serait capable 

d'absorber cette évolution en fournissant aux acteurs économiques des 

instruments juridiques de qualité. Un traitement contractuel du risque 

d'inexécution permettrait par le biais de ces mécanismes “ d'auto-assurance ” 

de réduire les coûts du contrat et, à terme, cette "programmation 

la prise de conscience de la notion de risque au travers des diverses manifestations concrètes a conduit à une 

nouvelle technique : “ la gestion des risques ”". 

(629) v. L. AYNES, "Crise économique et rapports de droit privé", in Droit de la crise : crise du droit ? Les 

incidences de la crise économique sur l'évolution du système juridique, Cinquièmes Journées René Savatier, 5 

et 6 octobre 1995, Publications de la faculté de droit et des sciences sociales de Poitiers, Paris, PUF, 1997, 

p.57-72. 

(630) L'impact des études et les théories économiques du contrat y est sans doute pour quelque chose. Les 

efforts des économistes pour modéliser des relations contractuelles montrent que le contrat ne se conçoit plus 

seulement comme une relation bilatérale (ou commutative) mais comme un objet scientifique. Reste que les 

économistes et les juristes se rejoignent pour faire état de l'incomplétude du contrat et la dénoncer, le cas 

échéant : incomplétude due aux mouvements du droit positif ; voir par exemple B. SALANIE, Théorie des 

contrats, Paris, Économica, 1994, p.109. 

(631) J.-M. MOUSSERON, "La gestion des risques par le contrat", précité, p.483 : "Mais du temps qui vient 

l'homme même le mieux informé ne peut avoir qu'une connaissance bien approximative et les prophètes du 

passé sont plus nombreux que les devins de l'avenir".

169 

conventionnelle de l'activité commune" aboutirait à l'éclosion et au 

développement des "formes les plus modernes de la maîtrise du futur (632) ". 

Tout à la fois désireux de maîtriser le temps et conscients de n'y pouvoir 

parvenir, les juristes pragmatiques traitent le phénomène contractuel et 

l'insécurité qui lui est inhérente comme une donnée empirique. Loin d'être 

des pathologies, le risque d'inexécution et le risque de contentieux sont 

intégrés dans l'ordre contractuel pour être mieux connus et maîtrisés. Il reste 

que la discipline contractuelle montre parfois ses limites. Certains prônent 

alors le recours à la forme pour pallier les défaillances du contrat. 

112. Efficacité du formalisme - La solennité et le formalisme de l'acte sont pour 

beaucoup d'auteurs un remède efficace contre les pathologies de l'ordre 

juridique, les incertitudes du droit de la preuve (633) , le développement des 

formes anomales de législation (634) ou la nécessité de concilier des exigences 

contradictoires (635) . La forme, et plus encore la forme solennelle, garantirait 

contre les hésitations jurisprudentielles. Pour préserver la prévisibilité et la 

sécurité qui sont, selon M. E. S. de la Marnierre les fondations 

méthodologiques de notre civilisation juridique, le formalisme des actes 

permettrait de fixer a priori (et sans grande surprise) les conditions de leur 

efficacité (636) . 

Mais gare aux illusions : le formalisme, comme du reste le consensualisme, 

paie son tribut aux fluctuations jurisprudentielles. En matière de 

cautionnement, la mention manuscrite fut une terre d'élection de la diversité 

des solutions. Les débats sont d'ailleurs récurrents et ne risquent pas de se 

clore avec les "éruptions volcaniques des années 1980 [qui] ont perturbé le 

paysage juridique du cautionnement pour des décennies. La prévisibilité des 

(632) J.-M. MOUSSERON, "La gestion des risques par le contrat", précité, p.503. 

(633) L. AYNES, "Les garanties du financement", Defrénois 1986, p.909, n°6 à propos de l'idée selon laquelle 

l'efficacité du cautionnement serait mieux assurée s'il faisait l'objet d'une authentification. 

(634) P. PESCATORE, Introduction à la science du droit, Luxembourg, 1960, p.209. Ardent défenseur d'une 

vision téléologique de l'interprétation, P. PESCATORE ne se prive pas de dénoncer les tentations dirigistes du 

législateur contemporain, il n'en est que plus critique à l'égard des formes incertaines que revêtent les normes 

juridiques, "le développement actuel de toutes sortes de formes anomales de la législation est dangereux pour 

la sécurité juridique". 

(635) "La solution est bonne d'abord pour des raisons de sécurité : le formalisme du remploi et la possibilité d'un 

remploi a posteriori concilient sécurité et souplesse", M. GRIMALDI, obs. sur Cass. civ. 1ère, 5 mars 1991, 

D. 1992, somm. p.222. 

(636) E. S. DE LA MARNIERRE, Éléments de méthodologie juridique, précité, p.81 s. Rien d'étonnant donc à ce 

que la doctrine présente banalement la publicité assurée par les registres de la Conservation des hypothèques 

comme garante de la sécurité des transactions. La mémoire mise en forme par l'autorité publique assurerait 

l'univocité des accords passés : F. PETIT, "La mémoire en droit privé", RRJ 1997-1, p.27.

170 

solutions est amoindrie à tel point que personne ne peut savoir si une 

formulation apparemment satisfaisante ne sera pas écartée pour des 

considérations extérieures, ou si une formulation manifestement insuffisante 

aujourd'hui ne sera pas jugée bonne demain. L'arbitraire et le hasard ont 

remplacé la cohérence (637) ". Pour MM. les professeurs Cabrillac et Mouly, qui 

regrettent cette évolution des mentalités, les incertitudes de la jurisprudence 

sont nées de ces tentations formalistes, qui voient dans l'alourdissement de la 

mention manuscrite la meilleure protection du consommateur-caution (638) . 

Ainsi, quoique l'on admette avec M. Pescatore qu'"assurer la sécurité juridique 

est la raison d’être du formalisme (639) " ou encore que la solennité se conjugue 

toujours avec la certitude, les difficultés surgissent néanmoins. En fait, si 

l'efficacité d'une solution ou d'une formule passe par la forme qu'elles 

revêtent, les questions et les controverses nées du contenu apparaîtront 

comme des imperfections de la forme et l'on réclamera toujours plus de 

formalisme jusqu'à ce que la forme aboutie de rigidité s'efface au profit d'un 

système différent, plus souple et prétendument plus sûr (640) , ou encore plus 

juste et mieux adapté, comme par exemple une fiction (641) . 

113. Efficacité de la fiction - Selon Perelman, "le recours à la fiction manifeste 

la révolte du juge devant une règle inique (...) quand le texte qu'il doit 

appliquer ne lui laisse aucun pouvoir d'appréciation, (…) pour échapper aux 

conséquences de la règle qu'il juge inacceptables (642) ". La fiction permettrait 

d'échapper à la solution qui paraît s'imposer pour justifier la solution juste ou 

acceptable. Pourtant on lit par ailleurs que "lorsque l'impératif de sécurité 

prime celui de la justice, les fictions pourront alors assurer cette sécurité (643) ". 

On considère également que la fiction légale permet de mieux assurer le 

respect d'une règle d'ordre public. C'est pourquoi, pour éradiquer les clauses 

(637) M. CABRILLAC et C. MOULY, Droit des sûretés, 2ème, 1993, précité, n°104, p.85. 

(638) M. CABRILLAC et C. MOULY, Droit des sûretés, 2ème, 1993, précité, n°111, p.96. 

(639) P. PESCATORE, Introduction à la science du droit, précité, p.209. 

(640) Comp. J. FLOUR, "Quelques remarques sur l'évolution du formalisme", in Le droit privé français au milieu 

du XXème siècle, Études offertes à Georges Ripert, Paris, LGDJ, 1950, tome 1, p.93 s. 

(641) Ch. PERELMAN, Éthique et droit, Éditions de l'université de Bruxelles, 1990, p.628. L'auteur utilise 

l'exemple de la fiction qui, pour éviter de condamner les auteurs de vol d'une valeur de 40 shillings à la peine 

de mort, conduisit les juges anglais au début du XIXème siècle à considérer que 10 livres ne valaient que 39 

shillings. 

(642) Ch. PERELMAN, Les notions à contenu variable, Bruxelles, Bruylant, 1984, p.364-365. 

(643) A.-M. LEROYER, Les fictions juridiques, Thèse Paris II, 1995, p.321, n°276 ; G. WICKER, Les fictions 

juridiques, contribution à l'analyse de l'acte juridique, préface de J. Amiel-Donat, Paris, LGDJ, 1997, n°3.3., 

p.13.

171 

nulles, le choix de la fiction de la clause réputée non écrite est un gage de 

sécurité (644) . 

Priorité du juste sur le sûr, primauté de la sécurité sur la justice. Les 

contradictions du contenu et du but de la sécurité juridique émergent de tous 

les raisonnements menés sur les questions difficiles. Est-ce parce que l'on se 

représente la sécurité comme fin subalterne du droit (645) , ou parce que "c'est 

dans la sécurité que certains juristes individualistes voient l'essence du droit, 

[parce qu'] elle forme l'un des éléments essentiels du droit pour certains 

autres (646) " ? Sous le film apparent de son ambiguïté, la fiction est un 

raisonnement qui sert toujours une cause pratique et, bien que pure 

abstraction, elle permet l'efficience d'arguments et de considérations 

d'opportunité. "L'obligation faite au juge français de statuer en droit et non en 

équité l'amène à rattacher nécessairement sa décision à une règle légale. Cette 

exigence peut conduire le magistrat à déformer artificiellement l'application 

logique de la règle s'il estime opportun de l'adapter aux nécessités du cas 

d'espèce à lui soumis (647) ". 

L'efficacité de la solution dépend alors de la qualité des fictions utilisées par 

le juge pour emporter la conviction, mais leur si grande efficacité atteint 

parfois un point paradoxal lorsque l'on refuse de les rendre opératoires en 

considération de l'insécurité qu'elles créeraient. On pense évidemment à la 

personnalité morale dont la puissance évocatrice en fait parfois une réalité. 

Les raisons qui justifient le fait que le législateur donne la personnalité 

juridique à certains groupements de personnes ou de biens et la refuse à 

certains autres, se résument à l'opportunité de créer un écran entre des 

personnes physiques et un patrimoine collectif, et à celle de donner à un 

groupe le droit d'agir en justice. 

L'efficacité économique et juridique de la personne morale est, 

reconnaissons-le, incomparable (648) , et cela en a fait un facteur décisif du 

développement des sociétés occidentales. Mais que dire du recours à la 

personnalité juridique du syndicat des copropriétaires par la loi du 10 juillet 

1965, sinon qu'il ne s'est pas avéré un moyen satisfaisant pour enrayer 

l'augmentation du nombre des copropriétés en difficultés ! Inversement le 

refus de reconnaître la personnalité des sociétés créées de fait dans certaines 

(644) J. KULLMANN, "Remarques sur les clauses réputées non écrites", D. 1993, chr., p.59 (p.63). 

(645) P. CUCHE, Conférences de philosophie du droit, précité, 1928, p.20. 

(646) D. N. MICESCOU, Essai sur la technique juridique, Thèse Paris, 1911, p.24. 

(647) J. SCHMIDT-SZALEWSKI, "Les fictions en droit privé", APD 1975, p.273. 

(648) A. SERIAUX, Les personnes, Paris, PUF, 2ème éd., 1997, p.102 s.

172 

hypothèses laisse également des auteurs perplexes, lesquels dénoncent les 

dangers de cette éviction (649) . La solution sera sûre si la fiction est adaptée au 

but recherché et ménage pour le système une certaine cohérence. "Les fictions 

ont l'utilité pragmatique de faciliter les innovations en en évitant la révélation 

brutale. Mais c'est précisément le rôle de la jurisprudence, de faire pont entre 

deux étapes de l'évolution du droit. Et c'est à la doctrine de surveiller le 

moment où l'on peut répudier impunément la fiction, révéler la vérité et, pour 

ainsi dire, réaliser la stabilisation juridique des changements sociaux en des 

mots et des concepts nouveaux pleinement accordés au réel (650) ". En somme, à 

défaut d'efficacité de la fiction, la doctrine dénoncera son irrelevance et 

discutera sa pertinence, ce qui en fera une solution controversée. 

La solution efficace est celle qui se vérifie en considération du résultat 

obtenu. Mais le choix de la sûreté, de l'effet de commerce, ou le raisonnement 

censé parvenir au résultat escompté précède nécessairement l'effet et le 

jugement sur l'opportunité de la solution, de sorte que sa qualité n'émerge 

qu'a posteriori ; à moins de raisonner a priori, mais dans ce cas, la solution 

efficace se distinguera mal de la solution induite. Quoi qu'il en soit, le juriste 

doit s'interroger sur la positivité des solutions ; il doit garantir, autant qu'il est 

possible, la certitude des informations qu'il donne. Cette sécurité à apporter 

impose qu'il connaisse parfaitement la solution positive. L'inexactitude peut 

même s'avérer fautive. 

PARAGRAPHE 2. LA SOLUTION EXACTE 

114. Pratique du conseil - La sécurité juridique est la raison d'être du 

formalisme et justifie la présence du notaire parmi les forces créatrices du 

droit. Il en est même l'un des gardiens naturels. Sa responsabilité pourra être 

engagée toutes les fois que "ses agissements se révéleront contraires à la 

sécurité juridique à la sauvegarde de laquelle il se trouve naturellement 

préposé du seul fait de sa mission d'officier public" (651) . Professionnel du droit, 

il ne saurait commettre une erreur de droit, il se doit de connaître le droit 

(649) J.-M. BERMONX DE VAULX, "L'empire des faits et l'émergence de la notion de société", D. 1996, chr., 

p.185 ; F. DEKEUWER-DEFOSSEZ, "Illusions et dangers du statut des sociétés crées de fait", D. 1982, chr., 

p.83. 

(650) G. MORIN, "Le rôle de la doctrine dans l'élaboration du droit positif", précité, p.68. 

(651) J.-L. AUBERT, obs. au Defrénois 1988, p.1095.

173 

positif. Informer suppose détenir l'information et causalement l'acquérir (652) . 

Il se trouve donc soumis à des contraintes ambivalentes. C'est son habilitation 

à garantir la validité et l'efficacité des actes qui est source de ses devoirs, et on 

admet ainsi que "le non-respect du devoir de conseil, générateur d'insécurité 

juridique, constitue en soi une faute déontologique (653) ". L'information donnée 

par le notaire est clairement l'objet et l'enjeu de la sécurité qu'il doit à son 

client, et il se trouve en quelque sorte tenu de garantir l'évolution à venir. Il 

doit non seulement connaître le droit positif mais anticiper son avenir. Mais le 

notaire est-il en mesure de dire le droit positif ? Il ne peut au mieux que faire 

état des règles existantes, légales et prétoriennes, et les conjuguer aux désirs et 

aux desseins des clients. Il pèse sur lui une règle dont la formulation révèle des 

conceptions bien rigides de l'ordre juridique et de la transmission du savoir. 

Jurisprudence et doctrine affirment avec constance la mise en oeuvre de la 

responsabilité du notaire en cas d'erreur de droit. Il ne s'agit pas à proprement 

parler de l'hypothèse où le notaire informe insuffisamment son client sur la 

portée de ses engagements, ni de celle où lui-même ménagerait sa peine et ne 

vérifierait la réalité des droits des uns ou des autres qu'imparfaitement (654) . Il 

s'agit d'une erreur sur le droit positif applicable. La jurisprudence est 

constante et ancienne sur ce point mais l'appréciation doctrinale de la notion 

d'erreur de droit varie. Par contre, en guise de tempérament, il est toujours 

affirmé que la responsabilité du notaire n'est pas engagée en cas d'erreur de 

droit commise "sur un point douteux et susceptible de controverse (655) ". Il 

serait d'ailleurs impropre de parler d'erreur de droit dans cette dernière 

hypothèse ; mais "sa responsabilité ne sera déchargée que s'il a pris soin 

d'aviser ses clients de cette particularité (656) ". Cet aspect de l'obligation 

(652) P. JOURDAIN, "Le devoir de “ se ” renseigner (contribution à l'étude de l'obligation de renseignement)", 

D. 1983, chr., p.139 ; Cass. civ. 2ème, 19 juin 1996, D. aff. 1996, p.1028 : "Celui qui a accepté de donner des 

renseignements a lui même l'obligation de s'informer en connaissance de cause". Ce principe général prend 

pour les praticiens du droit une teinte particulière. Leurs connaissances se trouvent en effet soumises aux 

variations des règles qui gouvernent les obligations d'informations. 

(653) G. ROUZET, Précis de déontologie notariale, Bordeaux, PUB, 2ème éd., 1994, p.99. 

(654) Il commet une faute de nature à engager sa responsabilité dès lors qu'il établit un acte de vente 

immobilière mentionnant des sommes versées inférieures à celles effectivement reçues caractérisant ainsi un 

manquement à son obligation d'assurer la sécurité juridique des actes qu'il rédige et authentifie (Paris, 2ème 

ch. B, 3 février 1995 Juris-data n°020090). 

(655) Cass. req. , 13 février 1883, DP 1884.1.255 ; Cass. civ., 18 juin 1918, DP 1922.1.149 ; Encyclopédie 

Dalloz, v° Notaires, par J. DEFRENOIS, 1953, n°139. 

(656) Cass. civ. 1ère, 17 février 1971, Bull. civ. I, n°52 ; PH. LE TOURNEAU et L. CADIET, Droit de la 

responsabilité, Paris, Dalloz Action, 1996, n°2420, p.554 citant Cass. civ., 16 avril 1935, sem. jur. 1935, 915 : 

"Il est des circonstances où l'existence même de la controverse rend incertaine, soit la validité, soit l'efficacité 

des droits faisant l'objet de l'acte et où le notaire ne saurait, sans se rendre coupable d'un délit ou d'un quasi

174 

d'information des notaires, pourtant très mineur en soi, donne à l'ensemble de 

la fonction notariale une teinte dogmatique. Il va de soi que les professionnels 

du droit sont tenus de s'informer de l'évolution des matières qui intéressent 

leurs spécialités ; la généralité de cette assertion est évidente. Pourtant, 

l'obligation d'informer le client de l'état controversé d'une question suspend 

au-dessus du notaire une sorte de menace, car la question qu'il doit, lui, se 

poser en pratique, est de savoir si la controverse est ou non de droit positif. Le 

fait qu'une question fut tranchée une fois par une juridiction quelconque ne 

donne aucune assurance ; le fait que le problème soit inédit n'en donne pas 

non plus. Or, si le notaire a pour fonction de donner aux actes qu'il 

instrumente "la sécurité à laquelle ses clients peuvent légitimement 

prétendre", il entend également que le régime de la transmission des 

informations préserve sa propre sécurité. La pratique notariale porte le relais 

de cette idée diffuse et diffusée dans le public, qui conduit à affirmer que le 

droit doit être certain. Les notaires ne peuvent se satisfaire de solutions 

juridiques incertaines parce que leurs clients ne s'en satisfont pas. Et même s'il 

n'a pas à aller au-delà de l'information floue, même s'il ne doit pas 

s'improviser prophète dans les cas incertains (657) , l'incertitude des solutions 

effraie. Elle effraie d'autant plus que des questions sont tranchées par des 

arrêts isolés et que d'autres passent plusieurs fois devant la Cour de cassation 

sans trouver le repos. "La question est-elle controversée ?" est elle-même une 

question théorique qui devrait amener la pratique à s'interroger sur la 

positivité des questions. L'erreur de droit consiste en ce que, se fondant sur 

une règle connue pour sa permanence, le notaire n'a pas mesuré qu'elle était 

sujette à controverse. C'est faute d'anticipation de l'évolution des questions 

que la responsabilité est engagée, plus que de méconnaissance des solutions 

déjà posées (658) . 

On se rend compte que les professionnels du droit doivent prévoir, au-delà 

de l'état des solutions, un état des questions et il n'est pas simple de concevoir 

la “ question prévisible ”. L'avocat n'est pas en reste. Un arrêt de la première 

chambre civile du 15 octobre 1985 a retenu que l'avocat engageait sa 

responsabilité pour avoir manqué à ses obligations "en méconnaissance d'une 

délit, refuser aux parties l'avertissement auquel leur inexpérience et leur confiance leur donnnent droit, sur les 

risques inhérents à la possibilité d'une solution jurisprudentielle de nature à consommer leur ruine". 

(657) Répertoire civil Dalloz, v° Notaires, par J. DE POULPIQUET, 1993, n°279. 

(658) G. ROUZET, Précis de déontologie notariale, précité, p.101-102. "Il ne peut se défausser en arguant 

l'existence d'incertitudes pour se dégager de son devoir de conseil mais il remplit correctement ses obligations 

en attirant l'attention de son client sur le risque d'une interprétation défavorable et inédite de la loi".

175 

nouvelle jurisprudence de la Cour de cassation (659) ". En mettant à la charge des 

professionnels du droit de telles obligations, la Cour de cassation s'arroge un 

pouvoir doctrinal plus grand. Ces arrêts diffusent dans la pratique le sentiment 

qu'une seule autorité interprétante, source unique du savoir juridique, serait 

finalement plus sûre et que, pour garantir la sécurité des professionnels, il 

suffirait pour eux qu'ils s'en remettent à ses prescriptions (660) . Le problème est 

alors que le revirement de jurisprudence, imprévisible pour qui voue un culte 

au dogme de la solution unique, induit en erreur. Mais il y a des erreurs que 

l'on peut admettre et d'autres qu'il faut taire. La répétition de l'indu illustre 

bien les difficultés qui naissent des interactions entre la pratique du paiement 

et l'évolution des interprétations. 

115. Pratique du paiement - Les développements récents de la jurisprudence 

relative à la répétition de l'indu permettent de comprendre que, sous l'autorité 

du principe de sécurité juridique, transparaissent des argumentations 

contradictoires. Lorsqu'un employeur verse à l'URSSAF des cotisations 

sociales calculées sur une base intégrant des indemnités de départ volontaire, 

et qu'un arrêt de la Cour de cassation vient ensuite exclure ces primes du 

calcul de l'assiette de ces cotisations (661) , peut-il invoquer utilement ce 

revirement de jurisprudence postérieur au paiement pour obtenir répétition 

des sommes versées ? L'arrêt de l'assemblée plénière du 2 avril 1993, rangé 

avec prudence parmi les grands arrêts (662) , répond par l'affirmative à cette 

question sans pour autant affirmer qu'un tel paiement était erroné. C'eût été 

admettre là l'erreur prétorienne. La Cour de cassation biaise et efface du 

régime de la répétition de l'indu objectif, la condition de l'erreur du solvens. 

Observons que cette décision n'a pas convaincu l'ensemble de la doctrine. Des 

auteurs ont contesté (663) , et d'autres continuent de le faire (664) , la valeur de cet 

arrêt et de l'interprétation doctrinale dominante qui en est faite. Le 

revirement de jurisprudence de la Chambre sociale aurait tout simplement 

rendu le paiement ultérieurement indu, par effet rétroactif de la 

(659) 

Cass. civ. 1ère, 15 octobre 1985, RTD civ. 1986, p.759, obs. HUET. 

(660) 

La pratique réagit cependant : C. RAMAGET et Ph. LAFARGE, "L'avocat fakir", Gaz. pal. 1995.1., doctr., 

p.137 ; B. RICHARD et F. SAGE, "La responsabilité civile de l'avocat", Gaz. pal. 1994.2., doctr., p.1324. 

(661) 

Cass. soc., 27 novembre 1985, Bull. civ. V, n°563. 

(662) 

Cass. ass. plén., 2 avril 1993, in F. TERRE et Y. LEQUETTE, Les grands arrêts de la jurisprudence civile, 

Paris, Dalloz, 10ème éd. 1994, n°153, p.626. 

(663) 

A. SERIAUX, "Beaucoup de bruit pour rien (brèves remarques sur un arrêt récent de l'assemblée plénière 

de la Cour de cassation)", D. 1993, chr., p.230. 

(664) 

M. DOUCHY, La notion de quasi-contrat en droit positif français, Thèse Aix, 1996, n°54, p.123.

176 

jurisprudence, et l'arrêt de l'assemblée plénière n'aurait fait que ramener ce 

paiement litigieux dans le giron des paiements déclarés ultérieurement sans 

cause, et pour lesquels ne fut jamais exigée la démonstration d'une quelconque 

erreur. La répétition de l'indu, concept connu et institution permanente 

depuis le droit romain, aurait-elle brusquement quitté sa chrysalide pour 

répondre aux exigences de la pratique contemporaine ? Subit-elle simplement 

les influences centrifuges des lobbies bancaires et patronaux, de la sécurité 

sociale, des compagnies d'assurance et de l'ensemble des milieux d'affaires ou 

bien sa mutation est-elle le fruit de l'évolution continue ? Indiscutablement, la 

doctrine dominante a fait de cette décision une révolution et, avec elle, table 

rase des raisonnements cherchant, dans la tradition et la nature des choses, le 

sens de l'évolution du concept. Le courant doctrinal qui plaidait pour la 

disparition de la condition de l'erreur du solvens (665) a saisi l'occasion de cette 

décision, somme toute d'espèce, pour réformer une institution si ancienne 

qu'aucun législateur contemporain n'aurait eu le courage d'une telle initiative 

politique. Ce discours doctrinal conduit à évincer la condition de l'erreur du 

solvens au motif qu'aucune erreur n'aurait été démontrable, que l'hypothèse 

de l'intention libérale de l'employeur à l'égard de l'URSSAF est pour le moins 

marginale, et surtout qu'en termes de probabilité, les organismes payeurs qui 

traitent par systèmes informatisés, ne peuvent que commettre une erreur 

quand le paiement s'avère indu ; qu'enfin, plutôt que poser une présomption 

d'erreur, autant débarrasser définitivement l'institution de ses guenilles en 

consacrant l'abandon de la condition et en laissant à l'accipiens le loisir de 

démontrer l'intention libérale du solvens. Et, sur le problème particulier du 

paiement conforme à une règle prétorienne qui ne durera pas le temps de la 

prescription, admettre l'erreur du solvens eût été admettre l'erreur de la Cour 

de cassation. Les commentateurs des Grands arrêts expliquent cette position 

silencieuse de sa ratio decidendi. "On perçoit mal pourquoi - sinon pour des 

raisons de sécurité juridique manifestes - la jurisprudence refuse de prendre 

en compte dans les procédures de recours l'erreur de droit qui résulte d'un 

changement de jurisprudence (666) ". L'erreur de droit ne naît pas d'un 

revirement ; cela discréditerait la continuité de la jurisprudence. À défaut 

(665) I. DEFRENOIS-SOULEAU, "La répétition de l'indu objectif. Pour une application sans erreur de l'article 

1376 du Code civil", RTD civ. 1989, p.243 ; D. R. MARTIN, "De la répétition de l'indu", D. 1993, chr., p.167. 

(666) F. TERRE et Y. LEQUETTE, commentaire de Cass. ass. plén., 2 avril 1993, in Les grands arrêts de la 

jurisprudence civile, précité, p.629.

177 

d'explication, la sécurité juridique doit donc s'imposer “ manifestement ” 

puisque la solution est désormais acquise. 

116. La solution acquise - La formule "solution acquise" désigne des solutions 

qui ont accédé à une constance qui se passe désormais d’explication. Qu'elle 

semble paradoxale ou illogique (667) , la solution acquise est devenue factuelle. 

On ne la présente plus comme le résultat d’une interprétation mais comme un 

fait (668) . C’est pourquoi ce qui est acquis est en général définitivement 

acquis (669) , comme si la constance de la jurisprudence était un phénomène 

irréversible. L’on ne peut que rapprocher cette expression de la distinction 

opérée par Gény entre le "donné" et le "construit" pour montrer que, dans 

l’esprit des auteurs contemporains, la Cour de cassation est capable de 

produire des énoncés normatifs qui intégreront le "donné". Sans le dire, la 

doctrine prête à la répétition, à la constance et à la stabilité, les vertus que le 

droit naturel accorde à la tradition : la vertu d’un révélateur de la bonne 

solution découverte et maintenue par le temps. C’est ainsi que la solution 

acquise rejoint les principes insusceptibles de controverse et indiscutables (670) , 

et ce en dépit de la nécessité de les rappeler périodiquement en en permettant 

la publication (671) . En somme, le statut de solution acquise est accordé aux 

règles prétoriennes, dont doctrine et jurisprudence considèrent qu’elles 

constituent le fond certain du droit positif. Irréductible droit naturel ou 

irréductible droit positif, la solution acquise est forcément la solution sûre (672) . 

(667) C. GIVERDON, obs. au D. 1992, somm., p.138 : "La Cour de cassation répond par l'affirmative assez 

curieusement toutefois, par un arrêt de cassation pour défaut de base légale alors que, semble-t-il, il aurait été 

plus logique que ce fût en violation de l'art.42 al.2. La solution n'en est pas moins acquise et apparemment 

paradoxale. Il semble cependant que la position de la Cour de cassation doive être approuvée". 


Code civil, Paris, Rousseau, 2ème éd., par R. BEUDANT et P. LEREBOURS-PIGEONNIERE, 1934, p.177. : "La 

vie a besoin de stabilité autant que de progrès et l'on sait que les revirements sont rares en jurisprudence ; une 

interprétation judiciaire est un fait acquis". 

(669) F. CHABAS, note sous Cass. civ. 2ème, 25 janvier 1995, Gaz. Pal. 1995, 18-20 juin 1995, p.28 : "Il est par 

ailleurs acquis (définitivement semble-t-il) que lorsqu'il y a choc entre la victime (ou son véhicule) et véhicule 

en mouvement du défendeur, ce dernier est impliqué". 

(670) J. MASSIP obs. sur Cass. civ. 1ère, 5 novembre 1996, Defrénois 1997, p.990, n°100 à propos de 

l'interprétation de l'article 334-9 du Code civil selon laquelle l'interdiction de contester une filiation établie par 

un titre et une possession d'état conforme ne concerne que les enfants légitimes, non les enfants légitimés. 

"Non seulement la solution est indiscutable en droit, mais, au surplus, on observera qu'il ne paraît pas justifié 

que la légitimation rende inattaquable la reconnaissance sur laquelle elle s'appuie et permette à son auteur de 

s'approprier l'enfant d'un tiers avec la complicité de la mère". 

(671) D. TRICOT, in P. DRAI, Y. CHARTIER, D. TRICOT, "Cour de cassation et doctrine", Droits-20, 1994, p.120- 

121 ; "Les arrêts publiés au bulletin civil ou criminel, ou signalés au bulletin d'information de la Cour de 

cassation, présentent un intérêt particulier dû à la nouveauté ou à l'utilité de rappeler une solution acquise". 

(672) comp. C. ATIAS, Théorie contre arbitraire, précité, p.58 : "La plupart des juristes souscriraient à cette 

affirmation qu’à la suite de la naissance d’une “jurisprudence solide”, la réflexion théorique change : “le débat

178 

117. Conclusion - À la réflexion, la solution certaine, la solution efficace, la 

solution acquise, la solution exacte sont autant de solutions sûres pour qui les 

connaît. Comme le praticien, le magistrat ou le professeur qui cherche à 

décrire l’état du droit positif de manière à renseigner son client, à juger 

conformément aux règles applicables ou à exposer un cours à ses étudiants, les 

juristes se projettent inévitablement dans l’avenir de telle sorte que, plus 

encore que certaine, exacte ou acquise, la solution sûre sera la solution prévue. 

Et, pour être prévue, encore fallait-il qu’elle fût prévisible. Et 

rétrospectivement, la solution prévisible sera-t-elle la solution qui aura été 

prévue ? Cette alliance entre la sécurité et la prévisibilité implique de la part 

du juriste une activité prédictive. La solution prévisible étant nécessairement 

une solution future, il doit s’en remettre à des concepts qui lui permettront de 

maîtriser l’avenir et l’évolution de la matière qui le préoccupe (673) . Si 

effectivement l’unicité de la solution est un gage de sécurité pour le présent, 

parce que l’absence de solution dissidente ou minoritaire impose l’unique 

solution comme une évidence, l’avenir réserve au juriste les incertitudes à 

naître. Il doit donc cheminer parmi la diversité des fondements possibles pour 

prévoir la solution qui, demain, sera positive. 

Section 2. 

Prévoir la bonne solution 

118. Une solution future - "Le droit bancaire français reste en l'absence de 

Code de la monnaie et du crédit soumis au droit commun complété par les 

usages et aménagé par la pratique, sous le contrôle de la jurisprudence. Le 

régime du compte courant comme la responsabilité professionnelle du 

doctrinal s’en trouve considérablement éclairci : il existe désormais des points acquis” (P. CATALA, "L’article 

866 du Code civil et l’attribution de la réserve, RTD civ. 1960, p. 396, n°5). Autrement dit, là où il y a réponse 

du droit positif, la théorie est à la fois inutile et condamnable; elle ne peut créer qu’en dehors des “points 

acquis”. La réalité est sans doute un peu moins simple. La théorie ne cède pas toujours respectueusement le 

pas au droit positif pour ne commencer, révérences gardées, qu’à ses limites. A l’évidence, le besoin de 

théorie se fait sentir à l’intérieur même de la règle la mieux établie, de la solution la plus certaine". 

(673) v. F. DOUET, Contribution à l'étude de la sécurité juridique en droit fiscal interne français, préface de 

B. Néel, Paris, LGDJ, 1997, p.153 s. Pour cet auteur, la solution respectueuse de la sécurité juridique est une 

solution prévisible ; il s'emploie ainsi à montrer par quelles procédures et à l'aide de quels concepts ("sûrs"), 

les justiciables peuvent prévoir les évolutions de l'interprétation des textes fiscaux.

179 

banquier sont des exemples types de ce système qui est à la fois flexible, 

adaptable et assez stable. Les déferlantes législatives et réglementaires de la 

dernière décennie inclinent à se réjouir du maintien de secteurs du droit aux 

solutions stables sans être irréversibles. La prévisibilité est en droit civil 

comme en droit des affaires une qualité précieuse pour les opérateurs et les 

usagers (674) ". L'idée est aujourd'hui bien ancrée que la solution figée est en soi 

mauvaise, mais l’imagination des juristes étant elle aussi un facteur 

d’insécurité, la doctrine non seulement recherche des solutions sûres mais 

encore, à travers la solution prévisible, pour connaître la solution future, elle 

cherche à dégager des recettes fiables et des concepts sûrs (PARAGRAPHE 2). 

Peu importent les évolutions, elles sont inévitables ; la solution restera sûre si 

elle peut être induite (PARAGRAPHE 1). 

PARAGRAPHE 1. LA SOLUTION INDUITE 

119. La solution répétée - Lentement mais sûrement, la solution se dessine, 

s'affirme et s'affermit. Elle finit par s'imposer par la régularité de son 

application et tire son caractère général de la répétition. Pour être sûre, la 

règle prétorienne doit être répétée "jusqu'à ce que [elle entre] dans tous les 

manuels et dans tous les esprits voire dans la loi (675) " ; mais le plus souvent, il 

suffira simplement "de constater que la solution consacrée par plusieurs 

décisions s'impose en fait avec un certain caractère de stabilité, partant de 

prévisibilité, pour autoriser à les qualifier de règles juridiques (676) ". La solution 

gagne alors sa légitimité dans la répétition : "une jurisprudence, parfois 

séculaire, n'est pas un accident ; si la solution se répète c'est qu'elle a des 

raisons (677) " ; des raisons de s'incliner devant la constance. "La sagesse des 

juges leur déconseille l'obstination têtue. Le maintien sans faiblesse de la ligne 

jurisprudentielle contestée emporte le plus souvent, au bout d'un temps qui 

peut être plus ou moins long, l'évanouissement des mouvements de résistance 

(674) C. GAVALDA, note sous Cass. com., 6 avril 1993, D. 1993, p.310. 

(675) A. PERDRIAU, "Visas, “ chapeaux ” et dispositifs des arrêts de la Cour de cassation", JCP 1986.I.3257. 

(676) E. S. DE LA MARNIERRE, Éléments de méthodologie juridique, précité, p.81. 

(677) H. BATIFFOL, "La responsabilité de la doctrine dans la création du droit", RRJ 1981-2, p.175 ; 

F. DERRIDA, obs. sur Cass. com., 20 février 1990, D. 1991, somm., p.3 qui mesure l'importance de la décision 

commentée, à la reconduction de la solution.

180 

(…) ; ce ralliement s'inscrit dans la logique de l'unité de la jurisprudence et 

contribue de ce point de vue à une certaine sécurité juridique (678) ". 

En somme, la solution est sûre parce qu'elle est répétée ; la validité de 

l'induction réalisée est assurée par le respect de la sécurité juridique. On 

pressent que, présenté comme le fruit d'un établissement coutumier et 

irréversible, le résultat de l'induction n'est jamais qu'un pronostic sur la 

norme future. La solution répétée a ses nuances, connaît des revirements et 

n'est stable qu'après coup. À travers "la solution répétée", c'est plus 

certainement une solution prévisible que la doctrine tâche de prescrire. 

PARAGRAPHE 2. LA SOLUTION PREVISIBLE 

120. Des recettes fiables - Sous l'apparence d'une déférence au dogme de la 

solution unique, les auteurs déploient une rhétorique de l'adhésion à la 

solution posée qui ménage la part du travail d'élaboration et de construction. 

Bien que cela n'apparaisse pas toujours lisiblement dans les commentaires 

d'arrêt "à chaud", sur des questions importantes nécessitant un recul suffisant, 

la doctrine sait préserver son autorité scientifique et ne livre pas toujours au 

juge suprême la maîtrise de l'avenir. 

À la suite des arrêts du 1er décembre 1995, la question de la validité des 

clauses de variation du taux d'intérêt a été reformulée et les solutions 

anciennes sont vite apparues obsolètes (679) . Alors que la Cour de cassation 

n'avait pas encore eu l'occasion de changer sa jurisprudence, M. le professeur 

Mazeaud écrivait : "Sur ce point [la notion de prix abusif] la lecture des 

commentaires doctrinaux apporte quelques éléments de réponse mais guère de 

certitude en raison de propositions parfois difficilement conciliables, sinon 

contradictoires. Il faudra fatalement du temps et des arrêts pour que des 

recettes fiables soient livrées à la pratique. En matière de prêt à intérêts, il est 

difficile de livrer des critères décisifs et définitifs en ce qui concerne le taux 

d'intérêt abusif (680) ". La Cour de cassation confirmera cette orientation par un 

arrêt de la Chambre commerciale du 9 juillet 1996, en mettant un terme à la 

(678) 

J.-L. AUBERT, "La résistance des juges du fond", in L'image doctrinale de la Cour de cassation, Paris, La 

documentation française, 1994, p.185. 

(679) 

D. MAZEAUD, obs. sur Paris, 12 janvier 1996, Defrénois 1996, n°61, p.756 ; contra Aix, 27 février 1996, 

Bull. Aix, 1996/1, p.72. 

(680) D. MAZEAUD, ibid., n°61, p.757.

181 

nullité de principe de la clause de variation se référant au taux de base de la 

banque et transportant ainsi les difficultés sur le terrain de la définition des 

conditions de la variation. "L'article 1129 du Code civil n'étant pas applicable 

à la détermination du prix, la cour d'appel a légalement justifié sa décision de 

rejeter la demande du bénéficiaire d'une convention d'ouverture de compte 

courant avec autorisation d'utilisation de crédit, tendant à voir nommer un 

expert à l'effet de recalculer les intérêts sur la base du taux d'intérêt légal, dès 

lors qu'elle retient que le taux de l'intérêt convenu pouvait varier en fonction 

de l'évolution du taux de base de la banque". La doctrine s'est montrée 

majoritairement satisfaite et même tout à fait séduite par ce changement de 

perspective favorable aux banques (681) , non seulement parce qu'il assure la 

cohérence du traitement de l'indétermination du prix dans le cadre général de 

l'abus, mais aussi parce que la jurisprudence antérieure réservait à la France 

une situation singulière face aux autres pays européens. Cette singularité était 

critiquée (682) . L'uniformité du contrôle des pratiques bancaires permet une 

harmonisation des jurisprudences européennes conforme aux idéaux d'unité et 

de sécurité. 

Mais au-delà de cette satisfaction, l'ancienne solution avait ses partisans (683) 

et ceux-ci ne manqueront pas de souligner le risque d'insécurité créé par 

l'absence de "critères objectifs de définition de l'abus" dans la fixation du prix 

ou dans la variation du taux. La fiabilité de la solution dépendra de la capacité 

des banques à préserver l'équilibre contractuel et de celle des juges à le faire 

respecter. Le désir d'unité posé, il s'agira ensuite de trouver, avec le temps, les 

moyens de sa réalisation. La définition de l'abus émergera de la façon dont la 

doctrine sera parvenue à saisir les aspirations de la pratique et à modifier les 

techniques contractuelles de celle-ci afin d'adapter son besoin de prévoir aux 

mouvements nécessaires de la matière. Le risque d'entrer dans une nouvelle 

impasse n'est cependant pas négligeable ; du coup, la doctrine se voit vigie : 

mieux vaut attendre que de prescrire d'emblée des critères imparfaits. Des 

faits sortira le droit, mais pour l'heure les recettes ne sont pas prêtes. À terme, 

(681) "L'esprit concret de la Chambre commerciale est décidément très séduisant" selon Ph. DELEBECQUE, obs. 

sur Cass. com., 9 juillet 1996, Defrénois 1996, p.1364 ; L. FINEL, "Les règles relatives à la détermination du 

prix et le contrat de prêt bancaire", JCP 1996.I.3957. 

(682) I. CORBISIER, "La validité de la clause de révision unilatérale des taux d'intérêt en Europe. Droit belge, 

luxembourgeois, néerlandais et allemand", Rev. Aff. Europ. 1993-3, p.27 ; R. SEFTON-GREEN, "La validité de 

la clause de révision unilatérale des taux d'intérêt en Europe. Droit anglais", Rev. Aff. Europ. 1993-3, p.41. 

(683) J.-L. RIVES-LANGE, obs. sur Cass. civ. 1ère, 2 mai 1990, Banque 1990, p.1097; C. GAVALDA, note sous 

Cass. com., 9 juin 1992, D.1992, p.531. Contra, M. CABRILLAC et B. TEYSSIE, obs. à la RTD com. 1992, 

p.653.

182 

l'observation des pratiques bancaires libérées des anciennes contraintes 

prétoriennes permettra à la doctrine de fournir non seulement des expédients 

fiables mais aussi lui donnera les moyens de fonder la validité des solutions 

positives en dégageant des règles plus sûres. L'exigence de fiabilité et de 

sécurité a ainsi donné lieu à la création et à l'affermissement d'un certain 

nombre d'obligations que les professionnels doivent scrupuleusement remplir 

pour assurer la sécurité de leurs clients ; elle a également conduit la doctrine à 

imaginer des concepts plus "sûrs". 

121. Des concepts sûrs - Le désir d'offrir aux praticiens des techniques plus 

efficaces et des garanties plus solides pour que les juges puissent fournir des 

règles plus adaptées aux contraintes économiques modernes, est assurément 

l'un des principaux axes de recherche de la doctrine privatiste. Il faut observer 

que les auteurs ne se sont pas contentés de concevoir des instruments sûrs, 

mais ils ont cherché à développer une certaine "sécurité des concepts". 

Le développement des questions liées à la notion d'action directe nous 

paraît à cet égard topique. Au XXème siècle, la doctrine a contribué à 

conceptualiser les rapports d'obligations à plusieurs personnes en donnant une 

consistance à une dimension collective de l'intérêt contractuel. Associant 

l'intérêt économique au cadre traditionnel du contrat, l'action directe 

permettait de gagner en prévisibilité tout en augmentant la prise de risque. 

Dans sa thèse consacrée à cette notion, M. le professeur Jamin rappelait 

qu'avant d'avoir été conçue comme une dérogation à l'effet relatif des 

conventions, l'action directe avait été utilisée pour éluder les difficultés de 

mise en oeuvre de l'action oblique. En effet, cette dernière n'offre pas toujours 

au créancier qui agit contre le débiteur de son débiteur la possibilité de se 

faire payer de manière satisfaisante. Au préalable, il doit démontrer la 

défaillance de son contractant ; la somme récupérée dans le patrimoine du 

sous-débiteur réintègre alors celui du débiteur défaillant, ce qui n'augure rien 

de bon pour le créancier quand son contractant est en cessation des 

paiements : il devra affronter le concours des autres créanciers. L'action 

directe permet, elle, d'échapper à la condition de la démonstration de la 

défaillance du contractant, et surtout peut court-circuiter le risque d'une 

éventuelle faillite. En somme, le créancier qui peut agir directement contre un 

débiteur substitué dispose d'une garantie supplémentaire de paiement. L'on 

considère ainsi que "l'action directe confère à celui qui l'exerce une situation

183 

privilégiée sur la créance de son débiteur qui lui est en quelque sorte 

réservée (684) ". 

Cette garantie très particulière a donc donné lieu à une très abondante 

littérature notamment doctorale et a divisé les auteurs entre ceux qui ne 

voyaient que la loi comme fondement de l'action directe et ceux qui 

admettaient qu'elle puisse être d'origine prétorienne. Sur ce terreau a priori 

abstrait et conceptuel, ont éclos des questions très en prise sur les 

métamorphoses de la réalité économique. Ces mutations ont conduit à 

repenser la nature des rapports contractuels jusqu'à imaginer des liens 

d'obligation comprenant des prérogatives contractuelles en l'absence de 

formation d'un lien contractuel. Il faut remarquer que la discussion sur la 

nature légale ou extralégale de l'action directe en paiement qui durait encore 

dans les années soixante (685) , céda sa place, dans les années soixante-dix et 

quatre-vingt, à un débat sur la nature contractuelle ou délictuelle de l'action 

directe en responsabilité, comme s'il était acquis que l'origine formelle des 

actions directes était indifférente. Légales, prétoriennes voire doctrinales, elles 

existaient pour répondre à un besoin de sécurité du créancier en lui 

garantissant une plus grande prévisibilité. La constatation de ce besoin 

suffisait à transporter le champ d'investigation doctrinale en d'autres lieux. En 

1979, la Cour de cassation consacrait la possibilité pour le sous-acquéreur 

d'agir directement contre le vendeur initial en garantie des vices cachés. La 

solution n'était pas tout à fait nouvelle. Très tôt la Cour de cassation avait 

reconnu la possibilité pour le sous-acquéreur lésé d'agir contre le fabricant ou 

un vendeur intermédiaire sur un fondement délictuel (686) . Elle avait consacré 

ensuite la reconnaissance d'une action directe en dérogation aux principes 

régissant l'action oblique (687) , action par laquelle elle laissait au sous-acquéreur 

lésé une option dérogeant au principe de non-cumul des responsabilités, en lui 

permettant d'agir en responsabilité délictuelle dès lors que le bref délai de 

(684) G. VINEY, Traité de droit civil, Introduction à la responsabilité, Paris, LGDJ, 1995, n°189, p.338. 

(685) Selon M. le professeur Jamin, la thèse de M. le professeur Cozian, (L'action directe, Paris, LGDJ, 1969), 

mène à son apogée l'idée que les actions directes n'ont de fondement qu'exclusivement légal. Cette thèse 

toujours d'actualité dans les ouvrages juridiques aurait, toujours selon M. Jamin, enserré l'étude du régime de 

l'action directe dans sa double fonction de voie d'exécution et de privilège, et l'aurait même condamné à n'être 

plus qu'une sûreté. C. JAMIN, "Brèves réflexions sur un mécanisme correcteur : l'action directe en droit 

français", in M. FONTAINE et J. GHESTIN, Les effets du contrat à l'égard des tiers ; comparaisons francobelges, 

Paris, LGDJ, 1992, p.264-265, n°2-3. 

(686) Cass. civ. 25 janvier 1820, S. 1820.1.213. 

(687) Cass. civ., 2 novembre 1884, S. 1886.1.149 ; Cass. civ., 17 novembre 1908, S. 1914, p.443.

184 

l'action en garantie était expiré (688) . La nouveauté de l'arrêt Lamborghini du 9 

octobre 1979 résidait dans la précision qui faisait de l'action directe en 

garantie des vices cachés, une action nécessairement contractuelle, privant le 

sous-acquéreur d'une action en dommages et intérêts intentée hors du bref 

délai (689) . Les enjeux du débat en étaient reformulés et ces actions directes se 

posaient véritablement comme des dérogations prétoriennes au principe de 

l'effet relatif des conventions. Depuis lors, doctrine et jurisprudence sont 

divisées sur la nature contractuelle ou délictuelle des actions en responsabilité 

dans les ensembles contractuels. Situons l'évolution du débat à partir de la 

distinction entre les chaînes de contrats et les groupes de contrats. 

122. Chaînes homogènes, chaînes hétérogènes - L'appellation de chaîne de 

contrats concerne les ensembles contractuels dont l'objet de chacun des 

contrats comprend le transfert de la propriété d'un bien. Une succession de 

ventes est une chaîne dite “ homogène ” puisqu'elle est composée de contrats 

de même nature ; une succession de contrats d'entreprise avec fourniture de 

matériel et de ventes est une chaîne dite “ hétérogène ”. L'arrêt Lamborghini 

avait admis en 1979 la nature contractuelle de l'action directe en garantie des 

vices cachés dans les chaînes de ventes ; sur son élan, la Cour de cassation 

ouvrit, dans les chaînes homogènes, la possibilité d'agir directement en 

"responsabilité contractuelle de droit commun (690) ". Mais dans les chaînes 

hétérogènes, le débat devint conflictuel entre la première et la troisième 

chambre civile de la Cour de cassation. Le 29 mai 1984, la première chambre 

civile consacrait l'action nécessairement contractuelle du maître de l'ouvrage 

contre le vendeur d'un produit défectueux, alors que, le 19 juin 1984, la 

troisième chambre refusait de l'imiter (691) . La thèse de la nature contractuelle 

de l'action en responsabilité dans les chaînes de contrats hétérogènes 

l'emportait finalement devant l'assemblée plénière de la Cour de cassation. 

Celle-ci décidait le 7 février 1986 que "le maître de l'ouvrage comme le sous- 

(688) 

M. BRUSCHI, La prescription en droit de la responsabilité civile, Thèse Aix-en-Provence, 1995, n°41, 

p.83. 

(689) 

"L'action directe dont dispose le sous-acquéreur contre le fabricant ou un vendeur intermédiaire pour la 

garantie du vice caché affectant la chose vendue dès sa fabrication est nécessairement de nature contractuelle", 

Cass. civ. 1ère, 9 octobre 1979, Gaz. pal 1980. 1. p.249, note PLANCQUEEL ; D. 1980, IR, p.222, obs. 

LARROUMET ; RTD civ. 1980, p.354, obs. DURRY. 

(690) 

G. VINEY, Traité de droit civil, Introduction à la responsabilité, Paris, LGDJ, 1995, n°189-1, p.339 qui 

cite Cass. civ. 1ère, 19 mars 1983, Bull. civ. I, n°92. 

(691) 

Cass. civ. 1ère, 29 mai 1984 et Cass. civ. 3ème, 19 juin 1984, D. 1985, p.213 note BENABENT ; JCP 

1985.II.20387, note MALINVAUD ; RTD civ. 1985, p.406 obs. REMY.

185 

acquéreur jouit de tous les droits et actions attachés à la chose qui appartenait 

à son auteur ; qu'il dispose donc à cet effet contre le fabricant d'une action 

contractuelle directe fondée sur la non-conformité de la chose livrée (692) ". En 

réalisant cette extension du lien contractuel intuitus rei, la Cour de cassation 

donnait à l'action directe contractuelle une vocation à régir les rapports entre 

tous les participants à une chaîne de contrats avec les inconvénients dus à des 

délais d'action plus courts, mais aussi l'avantage pour le créancier de ne pas 

avoir à prouver la faute du débiteur de l'obligation inexécutée et pour le 

débiteur celui de n'être tenu en principe que des dommages prévisibles (693) . La 

première chambre continuait son chemin. En 1988, elle innovait plus 

considérablement encore en consacrant le principe de l'action directe en 

"responsabilité contractuelle" dans les groupes de contrats. 

123. Groupes de contrats - Cette appellation est réservée aux ensembles 

contractuels complexes qui, homogènes ou hétérogènes, rassemblent des 

contrats dont l'objet n'est pas de transférer la propriété d'un bien (694) ; les 

groupes superposent des contrats qui, ensemble, sont destinés à la réalisation 

d'une opération, l'extension du lien contractuel se faisant donc intuitus 

operis (695) . Ainsi, par deux arrêts célèbres, la première chambre civile de la 

Cour de cassation consacrait la nature contractuelle de l'action directe dans les 

groupes de contrats. Le 8 mars 1988, elle posait que "dans le cas où le débiteur 

d'une obligation contractuelle a chargé une autre personne de l'exécution de 

cette obligation, le créancier ne dispose contre elle que d'une action de nature 

nécessairement contractuelle, qu'il peut exercer directement dans la double 

limite de ses droits et de l'étendue de l'engagement du débiteur substitué" (696) . 

Cela signifiait que l'action en responsabilité du maître de l'ouvrage contre le 

sous-traitant était encadrée par le régime de l'action en dommages et intérêts 

contractuelle et par les éventuels aménagements conventionnels de 

l'inexécution dont s'était entouré le sous-traitant. Cela signifiait en l'espèce 

(692) 

Cass. ass. plén., 7 février 1986, deux arrêts, D. 1986, p.293 note BENABENT ; JCP 1986.II.20616 note 

MALINVAUD, RTD civ. 1986, p.605 obs. REMY. 

(693) 

A. SERIAUX, Droit des obligations, Paris, PUF, 1992, n°53, p.205. 

(694) 

En dépit des nombreux travaux sur la question, la notion de groupe de contrats n'est pas univoque. L'on 

peut en effet admettre des groupes composés de contrat translatif de propriété au moins à titre accessoire 

lorsque la sous-traitance ou la location s'accompagne de fourniture de matériel : voir Ph. DELEBECQUE, 

"L'appréhension judiciaire des groupes de contrats", in Le juge et l'exécution du contrat, Aix-en-Provence, 

PUAM, 1993, p.117 

(695) 

A. SERIAUX, Droit des obligations, 1992, précité, n°54, p.209. 

(696) 

Cass. civ. 1ère, 8 mars 1988, JCP 1988.II.21070, note JOURDAIN ; RTD civ. 1988, p.551, obs. REMY ; 

ibidem, p.741, obs. MESTRE.

186 

que le client qui avait remis des diapositives au développement, diapositives 

perdues par le sous-traitant, se voyait opposer la clause limitative de 

responsabilité dont celui-ci bénéficiait à l'égard de son propre contractant. Le 

21 juin 1988, la première chambre civile accentuait l'extension du lien 

contractuel en affirmant "que dans un groupe de contrats, la responsabilité 

contractuelle régit nécessairement la demande de réparation de tous ceux qui 

n'ont souffert du dommage que parce qu'ils avaient un lien avec le contrat 

initial ; qu'en effet, dans ce cas, le débiteur ayant dû prévoir les conséquences 

de sa défaillance selon les règles contractuelles applicables en la matière, la 

victime ne peut disposer contre lui que d'une action de nature contractuelle, 

même en l'absence de contrat entre eux (697) ". 

L'importance de ces deux décisions résidait tout à la fois dans le régime 

applicable aux relations de deux membres d'un ensemble contractuel, mais 

surtout la première chambre civile transformait la vision que les opérateurs 

devaient avoir de leur propre engagement. Si l'absence de lien contractuel 

formalisé n'était pas un obstacle à l'application d'un régime contractuel à cet 

ensemble, était-ce parce que le groupe de contrats formait lui-même un 

contrat ? Cela ne fut jamais dit mais il y avait dans cette orientation de 

l'évolution du droit des obligations, l'idée qu'il fallait aborder les relations 

économiques contractuelles d'un point de vue global, de façon sans doute à 

comprendre le groupe comme une unité d'objet et de mobile. En effet, si l'on 

s'en tenait à une définition souple du groupe, on pouvait superposer des 

contrats de transport, d'entreprise voire de bail pour définir une unité de 

l'objet de l'opération. Le point délicat restait évidemment le consentement. 

Pour justifier la dérogation aux règles traditionnelles de formation des 

conventions que l'on sentait poindre, en plus de la dérogation à l'effet relatif 

déjà consacrée, les auteurs imaginèrent la notion de tiers intéressé (698) . Cela 

permettait d'adoucir l'argument de texte tiré d'une interprétation rigoriste de 

l'article 1165 du Code civil en suggérant que les ensembles contractuels, par 

leur structure complexe, échappaient pour partie au droit commun des 

obligations. Le consentement donné pour un contrat valait adhésion au 

groupe de contrats. Cela justifiait l'action directe de nature nécessairement 

contractuelle ; cela renforçait l'exigence de vigilance du contractant pour une 

(697) Cass. civ. 1ère, 21 juin 1988, D. 1989, p.5 note LARROUMET ; JCP 1988.II.21125, note JOURDAIN ; JCP, 

éd. E, 1988.II.15294, note DELEBECQUE ; RTD civ. 1989, p.107, obs. REMY. 

(698) Ph. DELEBECQUE, note sous Cass. civ. 1ère, 8 mars 1988, RJCom. 1988, p.304 ; J. GHESTIN, "La 

distinction entre les parties et les tiers au contrat", JCP 1992.I.3628.

187 

meilleure gestion des risques du contrat. Mais alors que la doctrine avait prôné 

l'adoption du régime contractuel pour augmenter la prévisibilité des 

événements, la Cour de cassation fit machine arrière pour garantir la 

cohérence. 

En fait, le système contractuel posait plus de questions qu'il n'en résolvait, 

et après trois ans d'une construction innovante de la première chambre, 

l'assemblée plénière donna sa préférence à l'application sans nuance du 

principe de l'effet relatif des conventions, à laquelle la troisième chambre 

civile était restée fidèle (699) . L'arrêt Besse du 12 juillet 1991 marquait le retour 

à l'orthodoxie (700) . Sous le visa de l'article 1165 du Code civil, l'assemblée 

plénière censurait une décision de la Cour d'appel de Nancy qui avait repris au 

mot près la formule utilisée par la première chambre le 8 mars 1988. Un 

laconique attendu de principe rendu sur le ton d'une évidence, ("attendu 

qu'en statuant ainsi, alors que le sous-traitant n'est pas contractuellement lié 

au maître de l'ouvrage, la Cour d'appel a violé le texte susvisé"), mettait un 

terme à un mouvement doctrinal qui avait vu dans l'action directe conjuguée 

à l'extension du rayonnement contractuel, un instrument favorisant la 

sécurité et la prévisibilité. Le sentiment avait gagné qu'à trop vouloir prévoir, 

on risquait d'être incohérent (701) . 

124. Mécanisme correcteur ou garantie de prévisibilité ? - Alors que, dans un 

premier temps, la jurisprudence fit écho à l'idée doctrinale qu'une plus grande 

prévisibilité des conséquences de l'inexécution était assurée par la voie 

contractuelle plutôt que par la voie délictuelle (702) , l'idée inverse finit par 

triompher. 

Il faut bien comprendre que cette question des groupes de contrats a été, 

un temps, le nerf d'une réflexion sur l'ensemble de l'ordre juridique. Il faut 

observer que lorsqu'elle examine une question technique, la doctrine ne 

(699) 

Cass. civ. 3ème, 22 juin 1988, JCP 1988.II.21225 note JOURDAIN ; Cass. civ. 3ème, 13 décembre 1989, 

RTD civ. 1990, p.287, obs. JOURDAIN. 

(700) 

H. GROUTEL, "Les groupes de contrat : le retour à l'orthodoxie", Resp. civ. et ass. 1991, chr., p.23. 

(701) 

MOURIER, concl. pour Cass. ass. plén., 12 juillet 1991, RJDA 1991, p.586. 

(702) 

J. MESTRE obs. sur Cass. civ. 1ère, 21 juin 1988, RTD civ. 1989, n°6, "Du sous-contrat au groupe de 

contrats", p.75 : "Ensuite, c’est au nom d’un impératif de prévisibilité qu’est affirmé le caractère 

nécessairement contractuel de l’action qui va relier les deux personnes situées aux extrêmes de l’ensemble 

contractuel. Ainsi, cette considération, qui inspirait déjà légalement le régime de la responsabilité au sein 

même du contrat, rayonne au-delà et va jusqu’à justifier que des personnes souffrent d’un accord auquel elles 

n’ont pas été parties. Cette idée qu’un contrat est aussi fortement un acte de prévision est naturellement 

intéressante au point de vue théorique, et peut même concrètement conduire à l’affermissement de certaines 

solutions, par exemple en droit transitoire".

188 

discute pas sa place au sein des interprètes, ni ne mène de réflexion globale. 

Pourtant, l'attention des auteurs se concentre ponctuellement sur des 

questions dont les réponses apportées modifient notre perception du droit 

positif. Est-ce ce regard doctrinal qui produit le changement ou est-ce la 

nouveauté des solutions consacrées ? Question sans réponse, mais le fait de 

questionner modifie déjà le réel parce que celui qui s'interroge sur une 

solution acquise peut toujours entamer sa discussion en faisant un aveu de 

complexité et en montrant que tout n'est pas si simple. Ainsi, si aujourd'hui on 

ne revient pas en doctrine sur le principe de l'effet relatif des conventions 

revigoré par l'arrêt Besse, la persistance d'une littérature abondante sur la 

nature de l'action directe montre le souci de concevoir le régime des 

ensembles contractuels complexes à partir des conditions classiques de 

formation des conventions, mais en tenant compte des questions nouvelles 

posées par l'allongement des chaînes de distribution et la spécialisation des 

opérateurs. Cela conduit des auteurs à aborder ces ensembles contractuels 

dans leur globalité de façon à saisir leurs différences d'avec la conception 

classique du contrat. 

Les thèses de MM. les professeurs Teyssié (703) et Néret (704) considérées 

comme à l'origine du mouvement prétorien des années 1980 (705) , ont été 

suivies récemment par d'autres qui ont révélé des approches conceptuelles 

originales de l'ensemble contractuel (706) . Indépendamment des solutions 

consacrées par la Cour de cassation, les analyses faites par la doctrine ont mis 

le doigt sur une difficulté récurrente et pour laquelle il s'agit de concevoir un 

régime juridique capable d'assurer au participant d'un ensemble contractuel 

complexe la réalisation de ses prévisions. En effet, puisque l'on considère 

classiquement que le contrat est un acte de prévision (707) , il est déterminant 

que la chaîne ou le groupe de contrats puissent assurer au contractant la 

(703) B. TEYSSIE, "Les groupes de contrats", Paris, LGDJ, 1975, préface de J.-M. Mousseron, n°584 

"L'apparition de qualifications de groupes consacre cette unité en même temps qu'elle suscite la question de 

leur devenir. Ne seraient-ils qu'une étape sur la voie de l'intégration d'un certain nombre de conventions en un 

contrat unique à structure complexe? La découverte de relations de nature contractuelle entre toutes les parties 

à un groupe rend l'interrogation plus pressante (…) n'annoncent-ils pas la naissance de nouveaux contrats 

complexes ?" 

(704) J. NERET, Le sous-contrat, Paris, LGDJ, 1979, préface P. Catala. 

(705) C. JAMIN "Une restauration de l'effet relatif du contrat", D. 1991, chr, p.257. 

(706) D. MAINGUY, La revente, Paris, Litec, 1996, préface Ph. Malaurie, p.422. "Une observation partielle des 

reventes aurait pu laisser penser que, écarté l'article 1165 du Code civil, s'opère une “ fusion contractuelle ” de 

la vente et de la revente. Une observation plus complète tempère cette conclusion pour admettre une solution 

admettant une certaine imbrication sans que celle-ci soit totale" ; adde, M. BACACHE-GIBEILI, La relativité 

des conventions et les groupes de contrats, préface de Y. Lequette, Paris, LGDJ, 1996. 

(707) J. MESTRE, obs. RTD civ. 1989, p.75.

189 

prévisibilité recherchée. Or un ensemble de contrats n'est pas strictement un 

contrat, quoiqu'on leur reconnaisse des propriétés communes. Certes, on ne 

parlera pas de partie mais l'on admettra sans peine que les participants d'un 

ensemble contractuel sont empiriquement intéressés par les liens contractuels 

qui unissent les autres. Les conditions posées pour la formation des contrats, 

capacité, consentement, objet et cause, n'ont pas d'équivalent dans la 

discussion sur la formation des ensembles contractuels, mais économiquement 

les acteurs ne sont pas dupes. Ils intègrent nécessairement dans leur prévision 

le risque d'une adhésion à un ensemble contractuel complexe, en tant que 

distributeur, en tant que fournisseur, en tant que sous-traitant (agréé et non), 

et même en tant que consommateur. L'action directe de nature 

nécessairement contractuelle était une tentative prétorienne destinée à placer 

les contractants en situation de prévoir dans un cadre fini. Elle leur permettait 

d'intégrer, dans leurs raisonnements économiques, les conséquences d'une 

éventuelle inexécution de ses obligations par l'un quelconque des membres de 

l'ensemble, sachant qu'aux termes de l'article 1150 du Code civil, en matière 

contractuelle, la réparation des conséquences de l'inexécution est limitée par 

le dommage prévisible. 

Pour certains auteurs, l'arrêt Besse a marqué un retour louable à 

l'orthodoxie (708) . Pour d'autres et notamment pour M. le professeur Larroumet 

qui avait toujours plaidé en faveur de la nature nécessairement contractuelle 

de l'action dans les ensembles complexes (709) , cet arrêt a témoigné d’une 

attitude frileuse de la plus haute formation de la Cour de cassation, alors 

qu’elle avait su montrer de l’audace dans d’autres domaines. Selon cet auteur, 

la lecture rigide et traditionnelle de l’article 1165 du Code civil nie le concept 

d’ensemble contractuel alors que celui-ci, correspondant à une réalité 

économique, méritait d’être juridiquement structuré (710) . La fermeté de la 

position de la Cour de cassation sur l'application de l'effet relatif des 

conventions et la mort de la théorie des groupes de contrats (711) font place à 

des discussions de lege ferenda sur l'opportunité de concevoir des actions 

directes dans des groupes spéciaux de contrats. Mme le professeur Viney 

(708) 

H. GROUTEL, "Les groupes de contrat : le retour à l'orthodoxie", Resp. civ. et ass. 1991, chr., p.23. 

(709) 

C. LARROUMET, "L'action de nature nécessairement contractuelle et la responsabilité dans les ensembles 

contractuels", JCP 1988.I.3357. 

(710) 

C. LARROUMET, "L'effet relatif des contrats et la négation de l'existence d'une action en responsabilité 

nécessairement contractuelle dans les ensembles contractuels", JCP 1991.I.3531. 

(711) 

Ph. DELEBECQUE, "L'appréhension judiciaire des groupes de contrats", in Le juge et l'exécution du 

contrat, Aix-en-Provence, PUAM, 1993, p.120.

190 

remarquait déjà à la suite de l'arrêt Besse que, "s’agissant de manquements 

purs et simples au contrat sans atteinte à la sécurité, cette réorientation 

appelle des réserves et des nuances. Le régime délictuel apparaît en effet 

inadapté car il ne permet l’indemnisation de la victime qu’au prix d’une 

déformation de la notion de faute délictuelle et au risque d’un bouleversement 

de prévisions contractuelles. Pour éviter ces inconvénients sans priver la 

victime de toute possibilité d’agir directement contre l’auteur du dommage, il 

serait donc souhaitable de consacrer par voie législative une véritable “ action 

directe ” appuyée sur le contrat en la limitant toutefois strictement aux 

relations entre créancier et débiteur substitué, notamment, en matière de 

sous-traitance, entre le maître de l’ouvrage et le sous-traitant (712) ". 

Le partage persistant de la doctrine sur cette question des groupes de 

contrats montre que le recours à la prévisibilité des solutions comme but et 

principe décisoire du concept sûr n'apporte pas grand chose ; tout simplement 

parce que la sécurité et les prévisions des uns ne sont pas celles des autres. 

Pour beaucoup, le régime des relations contractuelles serait le meilleur moyen 

d'assurer la réalisation des prévisions mais, dans le même temps, on relève les 

limites de cette idée. Cela nous donne les discussions sans fin sur la nature de 

la responsabilité encourue dans telle ou telle hypothèse, sachant que le but 

visé est prétendument d'assurer une meilleure sécurité. La responsabilité du 

transporteur engagée du fait d'un tiers à l'occasion d'un vol de bagages dans 

un compartiment non fermé et situé en bout de wagon, est-elle contractuelle 

ou délictuelle ? La réponse prévisible dépend des orientations générales 

données au droit de la responsabilité. Hier, elle était contractuelle ; 

aujourd'hui elle ne le serait plus. La Cour de cassation attentiste cherche la 

solution sûre (713) . Qui peut, à cette heure, prédire la solution ? Quelle 

responsabilité est mieux à même d'assurer la sécurité des relations juridiques ? 

Les réponses sont si variées. Dans un autre registre, on dira que "la soumission 

des notaires au droit de la responsabilité délictuelle est gage de sécurité pour 

les victimes (714) ", mais comment expliquer que des professions voisines soient 

soumises à des régimes différents (715) ? On dénoncera la décision qui aura fait 

(712) 

G. VINEY, note sous Cass. ass. plén., 12 juillet 1991, JCP 1991.II.21743. 

(713) 

Cass. civ. 2ème, 6 mars 1996, Bull. civ. II, n°58 ; JCP 1996.I.3958, n°4 obs. FABRE-MAGNAN ; D. 1997, 

somm. p.25, obs. DELEBECQUE. 

(714) 

J.-L AUBERT, "Dix ans de jurisprudence de la Cour de cassation en matière de responsabilité notariale", 

Rapport de la Cour de cassation 1994, Paris, La documentation française 1995, p.79. 

(715) 

Dire que les notaires ou les huissiers ont un régime de responsabilité autonome n'explique pas que les 

commissaires-priseurs, par exemple, n'en aient pas : v. Ph. LE TOURNEAU et L. CADIET, Droit de la 

responsabilité, Paris, Dalloz Action, 1996, n°2392, p.551.

191 

primer l'ordre contractuel et sa sécurité juridique sur les impératifs de l'ordre 

public (716) , mais l'on plaidera aussi pour l'abandon d'une "solution 

arithmétique qui sert de moins en moins la sécurité juridique au profit d’une 

solution plus équitable et plus utile (717) ". 

Arrivé à ce point, il faut comprendre que la prévisibilité, la sécurité, la 

justice ou l'ordre public sont des exigences qui n'identifient pas 

nécessairement des réalités concrètes mais qui produisent des ressorts 

argumentatifs. Les concepts sûrs ne sont jamais que des objets intellectuels. 

Leur stabilité et leur unité d'entendement dépendent à la fois de leur efficacité 

pratique, de l'obéissance aux normes qui les véhiculent et de leur fonction 

dans le discours doctrinal. Sous l'interprétation, comme les pilotis du système 

juridique, l'on va trouver les différentes perspectives philosophiques qui 

contradictoirement, non seulement établissent les guides et les contraintes 

interprétatives mais aussi justifient et donnent un sens aux pratiques 

existantes. Les questions "techniques" résonnent donc toujours à plusieurs 

niveaux d'entendement. 

Si l'on s'interroge sur la nature de l'action directe, mécanisme correcteur 

ou garantie, on donne au débat doctrinal une dimension philosophique, tout à 

la fois parce que l'on va raisonner sur l'essence d'une chose et incidemment 

parce que l'on va s'appuyer sur la distinction aristotélicienne de la justice. Sur 

cette même question, les philosophies utilitaristes vont donner une assise à des 

raisonnements et des solutions différentes ; les philosophies positivistes et 

réalistes feront de même. Si aujourd'hui les acteurs du théâtre juridique, selon 

la métaphore de MM. les professeurs Ost et Van de Kerchove, recherchent la 

prévisibilité des solutions, ils n'assoient pas la maîtrise de l'avenir sur les 

mêmes fondements théoriques. Pourtant, si d'un point de vue descriptif on 

peut penser que la prévisibilité ne peut servir de fondement à des solutions 

divergentes, il reste que les tenants des thèses opposées auront à coeur de 

montrer que la solution qu'ils prônent est la plus efficace, la plus exacte, la 

plus constante ou la plus prévisible et cela, parce que dans notre système 

juridique positif, les valeurs qui sont censées remporter l'adhésion des juges et 

des justiciables sont aujourd'hui plus centrées sur la sécurité que sur l'ordre 

public ou sur l'équité. Du reste, la critique doctrinale peut, le cas échéant, 

(716) C. COLOMBET, obs. sur Paris, 6 juillet 1989, D. 1990, somm. p.57 : "L’arrêt (…) laisse une impression de 

malaise qui provient précisément du fait qu’il contient quelque chose de difficilement acceptable pour la 

doctrine française du droit d’auteur, notamment lorsqu’il fait prévaloir les obligations d’un contrat et la 

sécurité juridique qui y est attachée sur les nécessités de l’ordre public". 

(717) D. VOINOT, note sous CJCE, 24 novembre 1993, Keck, D. 1994, p. 191.

192 

dénoncer les heurts théoriques entre la sécurité d'une part, et l'ordre public ou 

la cohérence d'autre part, notions dont les champs sémantiques ne sont 

pourtant pas moins flous (718) . Pour revenir aux actions directes, la recherche 

de la prévisibilité s'est pour l'instant soldée par un retour à une conception 

rigide de l'ensemble contractuel, mais cette longue controverse a mis à jour 

des questions qui n'ont pas cessé d'exister et qui, n'en doutons pas, 

réapparaîtront prochainement sous d'autres formes. Qu'il s'agisse du notaire, 

de l'avocat, qu'il s'agisse du solvens ou du "tiers intéressé", qu'il s'agisse même 

des commentateurs, la question est voisine. Qui doit assumer l'instabilité du 

droit positif et les incertitudes du prétoire ? Chacun voudrait être sûr de ses 

prédictions et tous voient d'un mauvais oeil la remise en cause du point de vue 

adopté. 

(718) J. GHESTIN, "L'ordre public, notion à contenu variable, en droit privé français", in Ch. PERELMAN (dir.), 

Les notions à contenu variable, Bruxelles, Bruylant, 1984, p.77.

CONCLUSION DU TITRE 2 "LA SOLUTION SURE". 

193 

125. Quête ou conquête ? - La découverte de la solution sûre donne à la 

doctrine une mission et au droit une définition. L'affirmation du principe de 

sécurité juridique et la variabilité de son contenu laissent penser que le droit 

est envisagé de manière fonctionnelle : le droit doit assurer la stabilisation des 

relations sociales. On est passé de la nature stable du droit avancée par 

Ripert (719) à la fonction stabilisatrice du droit. Les juristes se trouvent donc en 

situation de définir pour l'avenir les concepts, les solutions qui assureront 

cette fonction de stabilisation. Sous couvert de neutralité, la sécurité juridique 

absorbe le caractère péjoratif dont est teinte l'appréciation de la valeur 

politique, morale ou plus sûrement idéologique de la règle posée par le 

législateur ou le juge. La sécurité proclamée principe fondamental du droit 

français est un instrument rhétorique absolument creux ou parfaitement 

contradictoire. Sauf chez les auteurs qui distinguent encore, à l'instar de 

Demogue, sécurité statique et sécurité dynamique (720) pour montrer la valeur 

accordée à la protection du propriétaire ou des tiers, le sens donné en général 

à la sécurité juridique se nourrit des ambiguïtés entretenues par le discours 

doctrinal. La sécurité juridique n'est pas que polysémique. Elle est fortement 

ambiguë (721) . Elle relaie un discours centré sur lui-même plus apparenté à la 

poésie qu'à la logique (722) . Les efforts faits pour recenser la diversité des 

contenus sont vains. C'est un contenant rhétorique qui neutralise le discours 

politique de la doctrine sans priver ses prescriptions de leur caractère 

persuasif. La sécurité juridique commande (723) et la solution s'impose par sa 

permanence (724) . 

(719) 

G. RIPERT, Les forces créatrices du droit, 2ème éd., 1955, précité, p.19. 

(720) 

L. LEVENEUR, Situations de fait et droit privé, précité, p.134 à propos du mandat apparent. 

(721) 

Supra n°4. 

(722) 

Selon R. JAKOBSON, "l'ambiguïté est une propriété intrinsèque, inaliénable, de toute message centré sur 

lui-même, bref c'est un corollaire obligé de la poésie", cité par M. AQUIEN et G. MOLINIE, Dictionnaire de 

rhétorique et de poétique, Paris, Le livre de Poche, 1996, p.450. 

(723) 

J.-L. AUBERT, obs. sur Cass. civ. 1ère, 16 avril 1991, D. 1992, somm. p.265 : "La sécurité juridique 

commande, nous semble-t-il, qu’en toute hypothèse plus aucune action en nullité...". 

(724) 

A. HONORAT et A.-M. ROMANI, note sous Cass. com., 22 février 1994, D. 1995, p.29 : "La solution 

s'impose avec une égale évidence sous l'empire de la loi du 25 janvier 1985 (...) La compensation légale devait 

donc être écartée, ce qui fut fait. (...) La demande du tiré devait nécessairement être rejetée (...) L'arrêt 

commenté apporte un nouveau témoignage de la permanence de cette solution".

194 

Mais la doctrine implore aussi pour elle-même la stabilité de son savoir et 

se laisse parfois aller à des incantations. Pour M. le professeur Brière de L'Isle, 

"comment entamer un procès dont on ne sait ce que sera son issue ? (725) " ; des 

auteurs qui se font écho de la voix doctrinale de la pratique, reprochent 

volontiers à la doctrine universitaire de couper les cheveux en quatre et de 

n'aborder les questions que pour fuir les solutions (726) ; et plutôt que de faire 

les systèmes, certains paraissent supplier la juridiction suprême de les faire à 

leur place (727) ; on se laisserait aller à penser qu'ils réclament pour eux-mêmes 

la sécurité juridique. 

(725) 

G. BRIERE DE L'ISLE, “Sécurité et Loi”, Entretiens de Nanterre des 16 et 17 mars 1990, JCP éd. E, 1990, 

Cah. dr. entr., supplément n°6, p.6. 

(726) 

R. MARTIN, "Impertinente supplique d'un praticien à des chercheurs", JCP 1989.I.3393. 

(727) 

G. COUTURIER, note sous Cass. civ. 1ère, 28 mars 1995, D. 1995, p.440 : "Pour mettre plus de sécurité 

juridique dans l’application de l’art. L.321-4-1 [C. trav.] et rendre les décisions des juges en la matière plus 

aisément prévisibles, il faudra attendre de la Cour de cassation bien d’autres directives".

195 

CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE "LA TRANSFORMATION EN DOCTRINE DE 

L'IDEE DE PERMANENCE". 

126. La sécurité à la laquelle la doctrine peut légitimement prétendre ! - Être 

en sécurité, c'est savoir ce qui est juridique et ce qui ne l'est pas, savoir ce qui 

est conforme à l'ordre juridique et ce qui ne l'est pas, savoir ce qui relève de 

l'évidence et ce qui n'en relève pas. Mais l'on peut croire en la certitude d'un 

savoir et se tromper. Être en sécurité, c'est alors pouvoir se tromper 

légitimement. Il y a ainsi des erreurs que l'on peut commettre et d'autres qui 

ne sont pas admises - sans parler des erreurs inexcusables. L'erreur invincible 

crée le droit. L'erreur légitime du tiers contractant avec le mandataire 

apparent crée le lien de droit. Mais la sécurité de celui qui commet une erreur 

sur la valeur d'une chose n'est pas assurée, il aurait dû savoir. Le solvens qui 

payait en application d'une règle appelée à changer ne pouvait pas savoir que 

l'exigence de l'erreur disparaîtrait des conditions de la répétition de l'indu. 

Véritable imbroglio, les raisonnements juridiques pour expliquer les 

mutations des concepts font des allers et retours entre des niveaux 

épistémologiques différents. Les descriptions de la sécurité envisagent 

rarement la diversité des aspects des questions. Que dire de la sécurité du 

mandant engagé par l'apparence, ou celle de l'organisme URSSAF obligé de 

répéter des sommes qu'il avait dûment encaissées ? Tout cela montre que le 

savoir juridique est instable et il est illusoire de vouloir le fixer. L'illusion 

devient complète et les raisonnements parfaitement rigides dès lors que l'on 

passe de la description d'une situation factuelle de sécurité ou d'insécurité, au 

principe de sécurité juridique. Ce qu'il y a de plus curieux dans l'attitude des 

auteurs qui prônent le respect de la sécurité juridique, c'est qu'ils paraissent 

renoncer à leur faculté de raisonner de lege ferenda ou de jure ferenda. Cela 

n'est qu'une apparence. "L’argument de stabilité revient à dire qu’une solution 

approximative mais stable est un principe préférable à une solution plus 

pertinente ou plus juste, mais susceptible d’engendrer l’insécurité juridique de 

par sa nouveauté même (728) " ; mais, une fois placés sous l'égide de la 

"nécessaire stabilité des solutions", les raisonnements peuvent emprunter les 

chemins qui mènent au changement. Il n'est pas si paradoxal d'inviter "à 

(728) F. OST, "L'interprétation logique et systématique et le postulat de rationalité du législateur", in M. VAN DE 

KERCHOVE (dir.), L'interprétation en droit, Approche interdisciplinaire, Bruxelles, FUSL, 1978, p.136-138.

196 

assurer au mieux la sécurité juridique, qui suppose prévision raisonnable et 

harmonisation des solutions", par un revirement des solutions déjà 

établies (729) , quand on mesure à quel point les impératifs de l'unité et de la 

sécurité sont les véhicules rhétoriques du désir doctrinal de transformation du 

droit positif. 

(729) J. GHESTIN, note sous Cass. civ. 1ère, 14 mai 1991, D. 1991, p.449. L'auteur se félicitait de l'interprétation 

contra legem de l'article 35 de la loi du 10 janvier 1978 relative à la lutte contre les clauses abusives, 

interprétation ayant consacré la possibilité pour les juges du fond de réputer non écrites les clauses abusives 

contenues dans un contrat de consommation, quel qu'il soit, alors que la lettre du texte ne les dotait pas d'une 

telle faculté.

DEUXIEME PARTIE 

LA PERMANENCE DU DESIR DOCTRINAL DE TRANSFORMATION 

197 

127. Les autorités - Selon la définition donnée par M. le professeur Carbonnier, 

"dans le vocabulaire juridique, on appelle “ doctrine ” l’opinion qui sur un 

point de droit se dégage comme prépondérante parmi les docteurs, (s’il peut 

s’en dégager une car ils sont très individualistes). Toute opinion tend à devenir 

du droit, surtout si elle réussit à séduire les juges. Mais ce n’est que l’effet 

d’une influence intellectuelle ; et la doctrine n’a pas auprès des juges l’autorité 

de la jurisprudence qui s’impose par le poids hiérarchique des tribunaux 

supérieurs (730) ". Cette réflexion sur la définition de la doctrine et sur 

l’influence qu’elle exerce sur les autorités habilitées à rendre des jugements 

nous invite à apprécier l’incidence du discours savant, non pas auprès des 

juridictions du fond mais directement auprès de la Cour de cassation. En effet, 

peut-être est-ce là un point de vue sociologiquement réducteur mais le poids 

des hiérarchies institutionnelles semble avoir un effet dissuasif contre 

l’émergence d’opinions doctrinales depuis les juridictions du fond (731) . 

Naturellement, cette réduction de la jurisprudence à la seule jurisprudence de 

la Cour de cassation évince une très grande partie du droit prétorien qui se 

(730) 

J. CARBONNIER, Droit et passion du droit sous la Vème République, Paris, Flammarion, Forum, 1996, 

p.70. 

(731) 

Il est rare que les juridictions citent expressément les opinions doctrinales. Pour un contre-exemple, v. 

Aix, 14 décembre 1995, n°583, Bull. Aix, 1995/2, p.303, obs. B. LASSALLE : "Une décision pouvait être prise 

à la majorité de l'article 25. Quel est l'effet du rejet (3.841 voix contre) de la demande d'autorisation qui n'a 

recueilli que 977 voix pour alors qu'elle requérait au moins 5.001 voix pour être adoptée par une assemblée 

réunissant 7.017 voix sur 10.000 ? En suivant la dernière position d'auteurs aussi éminents que 

MM. CAPOULADE et GIVERDON, dans la mesure où le nombre des copropriétaires présents ou représentés 

excédait la moitié des voix de tous les copropriétaires, il y avait en l'espèce décision de refus, même votée à la 

majorité relative, ne rendant pas nécessaire la convocation d'une autre assemblée générale en application du 

dernier alinéa de l'article 25 de la loi du 10 juillet 1965. La Cour relève toutefois que cette opinion introduit 

dans le dispositif de la loi une notion de quorum qui n'y figure pas. Elle préfère donc se ranger à l'opinion 

d'autres auteurs aussi remarquables que les précités, tels que MM. GUILLOT, MORAND, ZURFLUTH et SIZAIRE 

en considérant qu'il n'a pu y avoir de décision d'approbation ou de rejet prise à la majorité de l'article 25 quel 

qu'ait été le nombre de voix et quel qu'ait été le sens du vote, et qu'une deuxième assemblée aurait dû être 

convoquée pour statuer à la majorité de l'article 24 de la loi".

198 

crée sur le terreau des particularismes locaux (732) . Mais l'analyse se tient sur 

plusieurs niveaux. 

Dans l'ordre judiciaire, l'organisation hiérarchique de la magistrature est 

sans doute un obstacle à l'émergence d'idées neuves : les générations de 

magistrats se succèdent à un rythme et selon une périodicité qui respectent 

des procédures d'avancement très centralisées. Ajoutée au fait que la 

jurisprudence se fait essentiellement à Paris, en cour d'appel ou à la Cour de 

cassation, et que les revues juridiques n'y sont évidemment pas pour rien (733) , 

cette imbrication des points de vue institutionnels et des habitudes de penser 

crée des réflexes conformistes que seule une étude sociologique menée en 

profondeur pourrait éclairer. On constaterait ainsi que l'éviction du point de 

vue sociologique confère à la Cour de cassation un quasi-monopole dans 

l'élaboration du droit prétorien (734) . Cela se justifie d’un point de vue 

théorique dans la mesure où la Cour de cassation se présente comme le garant 

de l’unité du droit prétorien en particulier et du droit en général (735) . 

Naturellement, la jurisprudence est un phénomène qui sociologiquement ne 

se réduit pas aux seuls énoncés de la Cour de cassation puisque tous les 

jugements ne sont pas frappés d’appel et que tous les arrêts d’appel ne sont pas 

frappés d’un pourvoi, mais sous le dogme de la solution unique, cette croyance 

selon laquelle un énoncé prétorien peut régler définitivement une question 

générale ou une série de questions particulières, fait que, seule la Cour de 

cassation et, selon les hypothèses, seule l’assemblée plénière de la Cour de 

cassation disposerait de ce pouvoir normatif général. On a pu constater que 

l'attitude suiviste qui résulte d'une adhésion au dogme de la solution unique, a 

connu depuis deux siècles une métamorphose sensible provoquée par l’érosion 

du principe de légalité (736) . Le développement de la jurisprudence et 

l’émergence de son caractère normatif ont modifié la perception que la 

doctrine avait du législateur et qu’elle avait d’elle-même. Nécessairement, la 

(732) B. BEIGNIER, note sous TGI de Saintes, 2 juillet 1991, D. 1992, p.466 : à propos de l'application de 

l'article 1348 du Code civil qui permet prouver par tous moyens dès lors qu'existe une coutume régionale 

contra legem créant une impossibilité morale de rapporter un écrit ; J. PREVAULT, note sous Versailles, 21 

septembre 1990, JCP 1991.II.21772 à propos de l'usage qui en région parisienne dispense les voisins de 

respecter la servitude légale de plantation de l'article 671 du Code civil. 

(733) Voir C. BEROUJON, "Contentieux au singulier et jurisprudence au pluriel", RTD civ. 1995, p.579 ; 

S. BORIES, "À la rencontre du droit vécu (L'étude des masses jurisprudentielles : une dimension nouvelle des 

phénomènes socio-judiciaires)", JCP 1985.I.3213. 

(734) C. LARHER-LOYER, "La jurisprudence d'appel", JCP 1989.I.3407. 

(735) C'est un refrain que l'on lit chaque année dans les comptes rendus des audiences de rentrée disposés en 

ouverture des rapports de la Cour de cassation. 

(736) J. CARBONNIER, Droit et passion du droit, précité, p.58 ; F. OST et M. VAN DE KERCHOVE, Jalons pour 

une théorie critique du droit, précité, p.491 s.

199 

doctrine et la jurisprudence se définissent l'une par rapport à l'autre 

puisqu'elles partagent toutes deux la même fonction d'interprète scientifique. 

La tension qui résulte du regard que chacun porte sur l'ordre juridique et de 

l'image que les interprètes entendent donner d'eux-mêmes se traduit par 

l'existence de questions fondamentales sur l'effectivité des énoncés produits. 

En concurrence, ils conçoivent, posent et prédisent des interprétations dont 

ils souhaiteraient qu'elles fussent éternelles (737) . Les interprètes scientifiques 

partagent donc l'ambition de guider la réalisation de l'unité et de la 

permanence du droit et l'expriment dans un discours savant qui est son propre 

enjeu. 

128. Son propre enjeu - La doctrine désigne à la fois l'auteur du discours et le 

discours lui-même considéré comme l'ensemble des travaux juridiques propres 

à une matière ou à une théorie. La dualité de la "doctrine" crée son ambiguïté. 

Cette remarque n'est pas purement sémantique ; elle porte en elle toute la 

difficulté à situer la place du discours doctrinal dans le concert des interprètes. 

L'auteur est autant en quête d'une reconnaissance personnelle que d'une 

autorité désincarnée et anonyme. Si, comme l'affirmait M. Touffait, peu 

d'auteurs franchissent la rampe de la Cour de cassation (738) , à titre personnel 

s'entend, il reste que la doctrine dans son entier, en tant que communauté 

abstraite détentrice d'un savoir d'initié, influence directement les autorités 

décisionnaires. L'unité du discours n'est pas, du reste, une nécessité pour que 

l'influence soit réelle, puisque les interprétations divergentes par les 

juridictions sont aussi un reflet des affrontements doctrinaux. D'un point de 

vue sociologique, la communauté des juristes n'est pas homogène, peut-être 

l'est-elle même de moins en moins ; mais la notion d'entité doctrinale 

conserve une force importante dans la mesure où chaque auteur se projette 

dans son propre discours comme le représentant d'un groupe, soit qu'il soit 

majoritaire, soit qu'il soit minoritaire, soit qu'il soit unanime (739) . Par cette 

(737) 

J. CHEVALLIER, "Les interprètes du droit", in P. AMSELEK (dir.) Interprétation et droit, Bruxelles, 

Bruylant, Aix-en-Provence, PUAM, 1995, p.121 

(738) 

A. TOUFFAIT , "Conclusion d'un praticien (à propos de l'étude comparative sur les cours suprêmes)", RID 

comp. 1978, p.484 : selon cet auteur, infiniment rares étaient les opinions de la doctrine qui "franchissaient la 

rampe de la Cour de cassation" parce que formellement (et nominativement) la doctrine n'était pas une source 

du droit. 

(739) 

Ph. JESTAZ et C. JAMIN, "L'entité doctrinale française", D. 1997, chr., p.167 ; L. AYNES, P.-Y. GAUTIER et 

F. TERRE, "Antithèse de “l'entité” (à propos d'une opinion sur la doctrine)", D. 1997, chr., p.230 ; Adde, 

V. CROMBEZ, La doctrine en droit français et en common law (étude comparative), Thèse Lyon III, 1995, qui 

représente la doctrine française de manière organique.

200 

opération l'auteur rejoint l'entité doctrinale et se fond en elle, avec le dessein 

de maîtriser les incidences de l'abstraction doctrinale par un discours 

personnel. 

Pour mesurer la réalité de l'influence de ce discours personnel sur 

l'ensemble de la doctrine, il faudrait être capable de connaître la vitesse 

d'établissement du savoir doctrinal en savoir juridique positif. Une telle étude 

ne peut être menée que sur de longues périodes et donc de manière historique 

car nos institutions fonctionnent en tenant le sceau de l'anonymat comme un 

gage d'objectivité. Ce secret qui donne aux organes délibérants leur autorité, a 

ses équivalents dans les abstractions utilisées par la doctrine pour parler d'ellemême. 

La diversité des personnages qui composent la doctrine, comme la 

diversité de leurs opinions philosophiques, de leurs méthodes d'enseignement 

ou encore de leurs conceptions de l'ordre juridique et le recours à une vision 

presque unitaire de la doctrine, placent le discours doctrinal au centre d'une 

tension fondamentale entre les différents intervenants sur la scène juridique. 

Quelle que soit la perspective théorique que l'on adopte, l'on en revient 

toujours à s'interroger sur l'influence de ceux qui ne décident pas, qui ne 

produisent pas de norme, qui n'énoncent au fond que des propositions mais 

qui, indéniablement, contribuent à la transformation de l'ordre juridique. 

Nous avons pu observer que la doctrine justifiait ses prises de position par 

la neutralité de sa démarche. Une opinion déduite de la solution unique se 

confond avec la solution elle-même ; une opinion dérivant du principe de 

sécurité juridique se confond avec les exigences de ce principe. Mais la 

"solution unique", qu'elle soit "fixe" ou "sûre", a des propriétés différentes 

selon ce qu'entend montrer ou démontrer celui qui en use. L'absence de 

véritable critère de démarcation entre les différentes applications du concept 

de sécurité fait que la solution efficace, la solution acquise, la solution exacte, 

fixée ou prévisible, sont, toutes, l'expression d'un désir de certitude : certitude 

du contenu de la norme elle-même ou certitude des procédures de 

détermination de la signification des énoncés produits. Or cette certitude ne 

s'acquiert qu'en termes de probabilité. Du coup, la description doctrinale qui 

montre "la solution juridique" n'est qu'une prise de position sur un présent 

possible et un avenir probable. La solution unique n'est pas déduite mais 

induite. L'unicité de la solution n'est pas le résultat d'un constat mais celui 

d'un choix. Sous le syllogisme et la subsomption, on trouve l'enthymème et 

l'argumentation.

201 

On comprend dès lors que la description doctrinale de l'ordre juridique 

constatant l'unité du droit et l'unicité nécessaire des réponses à donner, se 

double de prescriptions pour l'unité ; toutes deux expriment le désir doctrinal 

de transformation de l'ordre juridique. 

L'étude du désir doctrinal de transformation sera donc menée en deux 

volets : 

Titre 1. Les descriptions doctrinales par l'unité. 

Titre 2. Les prescriptions doctrinales pour l'unité.

TITRE PREMIER 

LES DESCRIPTIONS DOCTRINALES PAR L'UNITE 

202 

Quant aux jurisconsultes, comme s'il voulait supprimer 

tout usage de leur science, il déclara souvent "qu'il ferait en 

sorte, par Hercule, que personne ne pût donner de 

consultation excepté lui". 

SUETONE, Les douzes Césars, Caligula, XXXIV. 

Trad. par M. Rat, Paris, Classiques Garnier, 1955. 

129. L'unité - L'unité convainc le sens commun. C'est là sa seule vertu. L'unité 

du droit, l'unité des concepts, l'unité de la doctrine ne sont rien d'autre que 

des représentations que l'expérience, le plus souvent, démasque. Mais rien n'y 

fait. Comme toutes les philosophies spéculatives, le droit est en quête 

permanente de cette unité, de cette pureté, toujours désirée, toujours réalisée 

à bon marché (740) et toujours discutée (741) . Lorsque l'École de la libre 

recherche scientifique et ses auteurs révoquèrent la méthode exégétique, 

c'était pour faire état d'une découverte. "Ils découvrirent progressivement 

combien leurs aînés avaient été obsédés par le rôle de la loi au détriment de 

leur vocation naturelle de partenaires du juge si longtemps oblitérée, et se 

démarquèrent d'eux en les rangeant dans “l'école de l'exégèse” dont ils 

dénoncèrent l'abus de construction juridique (742) ". 

Dénoncer l'unité d'un système ancien et archaïque pour construire ou 

révéler une nouvelle vision de l'ordre juridique participe d'un discours 

théorique qui emprunte à la rhétorique ce que la réalité ne parvient pas à 

imposer comme relevant de l'évidence. Le débat doctrinal, dans cette mesure, 

n'est pas seulement technique car, à travers l'illusion de neutralité, se dévoile 

le pouvoir des interprètes. La doctrine neutre, le juge anonyme, le législateur 

(740) G. BACHELARD, La formation de l'esprit scientifique, Paris, Vrin, 1970, p.86. 

(741) R. DEMOGUE, Traité des obligations en général, tome IV, Paris, Rousseau, 1923, n°681, "Il ne faut pas 

trop céder aux tendances à l'unité. Il faut remarquer que chaque droit a une limite objective différente suivant 

sa nature". 

(742) F. ZENATI, La jurisprudence, Paris, Dalloz, 1991, p.75.

203 

de la France unitaire conjuguent à leur manière leur pouvoir normatif et leur 

faculté de convaincre. Le discours descriptif se veut explicatif en mesurant la 

conformité des énoncés juridiques à une représentation théorique de l'ordre 

juridique. 

Décrire "l'unité de l'ordre juridique" et la cohérence du contenu des 

normes - règles et principes -, suppose replacer chacune de ses manifestations 

dans un système explicatif de cette unité. Pour mieux comprendre les usages 

par la doctrine française des concepts d'unité ou d'unicité des solutions, nous 

établirons un parallèle entre les thèses développées par M. le professeur 

Dworkin et la manière dont la doctrine met au jour la cohérence du système 

juridique. 

Précisons néanmoins que Dworkin place le juge au centre de ses travaux 

alors que nous n'envisageons que la doctrine. Nous ne voyons pas cependant 

d'inconvénient majeur à mener cette comparaison dans la mesure où nous 

nous intéressons au discours explicatif sur la norme juridictionnelle ou légale 

et non à la norme elle-même. Le fait que dans les systèmes anglo-américains il 

appartienne au juge lui-même de produire un tel discours de motivation et 

d'explication tient aux particularités de l'évolution sociologique des groupes 

composant les interprètes du droit (743) : en l'absence d'une doctrine 

institutionnellement distincte de la magistrature, les juges de common law 

produisent, à la fois mais distinctement, des interprétations authentiques et 

non-authentiques. 

Nous poursuivrons ce parallèle en nous interrogeant sur la manière dont 

les interprètes conçoivent la distinction, présente chez Dworkin, entre les cas 

faciles tranchés par des règles et les cas difficiles soulevant des questions de 

principe, distinction, qui, en droit positif, est consacrée par le Code de 

l'organisation judiciaire relativement au tri des pourvois parvenant devant les 

chambres de la Cour de cassation. 

Nous discuterons parmi les théories de la conformité et de l'unité, celle qui, 

selon nous, correspond le mieux aux pratiques discursives des juristes. Mais 

nous ferons apparaître que lorsque chaque interprète juge la conformité des 

solutions proposées à l'unité postulée, le jugement qu'il porte, qu'il soit 

approbatif ou non, est l'expression d'un désir de changement ou de stabilité et, 

qu'en réalité, ce sont des prescriptions que l'interprète formule. 

L'examen des descriptions doctrinales comportera donc deux chapitres : 

(743) Voir V. CROMBEZ, La doctrine en droit français et en common law (étude comparative), précité, p.27 s.

204 

Chapitre 1. Théories de la conformité 

Chapitre 2. Jugements de conformité

CHAPITRE 1 

Théories de la conformité 

205 

130. Approches - Pour rendre compte de la qualité d'une solution posée ou 

proposée, les interprètes se fondent sur les représentations de l'ordre juridique 

que véhiculent plus ou moins confusément les trois grands courants de la 

philosophie du droit, positiviste, naturaliste et réaliste. Les guides de la 

conformité sont trouvés tantôt dans des raisonnements en terme de validité, 

tantôt dans des théories métaphysiques ou politiques de la justice, tantôt dans 

la mesure de la complexité. Il en ressort que la solution conforme est autant à 

constater qu'à construire. Le discours doctrinal vante l'unité pour ses vertus 

(SECTION 1), mais c'est lui-même qui crée les entraves de sa réalisation 

(SECTION 2). 

Section 1 

Les vertus de l'unité 

131. Vis et virtus - La solution unique s'impose infailliblement en l'absence de 

réponses concurrentes. La force de l'unité est sa vertu. Selon le Tribunal 

fédéral suisse, "rechercher le sens d'un concept juridique dit imprécis, ce n'est 

pas, selon l'opinion dominante, poser un acte d'appréciation mais résoudre 

une question de droit (…). Il est vrai que de tels concepts doivent être précisés 

dans chaque cas particulier et appliqués à l'état de fait concret. Mais ils ne 

laissent pas de choix entre deux ou plusieurs solutions d'égale valeur. C'est 

toujours une seule interprétation qui est juste et c'est à l'autorité qui doit 

appliquer une disposition légale qu'il appartient de trouver cette 

interprétation (744) ". Reste donc à découvrir cette solution qui est la seule 

correcte. La théorie de la bonne réponse développée par Ronald Dworkin est 

sans doute la plus aboutie et celle qui, à l'heure actuelle, remporte le plus 

grand succès tout en étant la plus discutée. Elle correspond assez bien à la 

(744) Cité par J.-F. PERRIN, "Comment le juge suisse détermine-t-il les notions juridiques à contenu variable ?", 

in Ch. PERELMAN (dir.), Les notions à contenu variable, Bruxelles, Bruylant, 1984, p.218 à propos de la 

doctrine du Tribunal fédéral suisse concernant les notions juridiquement indéterminées.

206 

méthode rationaliste avec laquelle la doctrine et la jurisprudence françaises 

abordent leur rôle de gardien de l'ordre juridique. Sous un regard critique, la 

bonne réponse unique (PARAGRAPHE 1) ne manquera pas d'apparaître comme 

une oeuvre de rationalisation a posteriori, plutôt que comme une découverte 

de la raison (PARAGRAPHE 2). 

PARAGRAPHE 1. LA BONNE REPONSE 

132. La chaîne du droit - A de nombreux égards, si l’on devait résumer la 

théorie de l'interprétation dominante, on pourrait fort bien utiliser la 

conception dworkinienne. Il est en effet intéressant de constater que la 

théorie normative du juge présente chez Dworkin décalque assez bien 

l’analyse doctrinale de la pratique judiciaire et cela depuis près de deux siècles. 

Bien entendu, il serait anachronique de présenter la théorie de la chaîne du 

droit comme représentative ou explicative de la situation du juge dans 

l'histoire du système français. D'un point de vue sociologique, les 

américanismes dont est pourvue cette représentation de l'ordre juridique 

peuvent également constituer un frein à une tentation d'assimilation entre 

théorie dworkinienne et pratique française (745) , mais à travers l'étude de la 

représentation doctrinale des interprètes en quête d'unité et d'unicité aux 

XIXème et XXème siècles, il apparaît que la métaphore de la chaîne narrative 

est une représentation ancienne quoique rénovée de la pratique judiciaire. Le 

discours de la doctrine, qu'il s'agisse du commentaire explicatif ou de la 

synthèse pédagogique, s'est souvent efforcé et s'efforce encore de dégager du 

passé les moyens de découvrir, par la mise en évidence de la continuité du 

droit, les solutions en devenir. Selon MM. les professeurs Terré et Lequette, 

l'activité des juges est ainsi soumise à une double loi : loi d'imitation et loi de 

continuité. La première signifie que "ce que la Cour de cassation a jugé, les 

juges du fond le jugeront. Il savent en effet que, s'ils ne respectent pas les 

directives de la Haute juridiction, leurs décisions seront censurées. Encore 

faut-il pour cela que le système fonctionne correctement, que le modèle 

proposé soit unique, clair et connu de ses destinataires. Unique : l'institution 

des chambres mixtes et celle de l'assemblée plénière sont là pour y pourvoir. 

(745) J. CARBONNIER, Sociologie juridique, Paris, PUF, 1994, p.132.

207 

Clair : le prononcé d'arrêts de principe aux formules soigneusement ciselées y 

répond. Connu de ses destinataires : la publication au Bulletin des arrêts de la 

Cour de cassation n'a pas d'autre fin". La seconde traduit l'idée que "ce que la 

Cour de cassation a jugé dans le passé, elle le rejugera dans l'avenir. Certes, 

rien ne l'y oblige : un revirement est toujours possible (…) [mais] la stabilité 

de la jurisprudence n'est probablement pas inférieure à celle de la loi ; de plus 

en plus souvent produit de ministères “ techniques ”, celle-ci énonce moins 

une règle de conduite qu'elle ne devient un procédé de gouvernement, alors 

que celle-là est l'oeuvre des magistrats imprégnés, au-delà de leur diversité, de 

ce que Ripert nommait “ l'esprit juridique ”, c'est-à-dire “ l'esprit conservateur 

au sens philosophique du terme ” (746) ". 

Ailleurs, anecdotique mais néanmoins symptomatique, l'utilisation de la 

métaphore de la chaîne pour illustrer la continuité était déjà présente chez 

Picard : "Après un si long parcours, de cime en cime, sur la chaîne alpine du 

droit, il est difficile de ne point penser à son avenir (747) ". Pour cet auteur, le 

droit se lirait du haut des crêtes de sorte qu'en gagnant de l'altitude, la 

doctrine pourrait voir plus loin et prévoir les évolutions du droit. On notera 

toutefois que les représentations anciennes de l'unité du droit accompagnaient 

un discours polémique n'hésitant pas à disputer la valeur politique des 

solutions. À présent, l'abandon patent des pratiques doctrinales de la 

polémique conceptuelle semble donner au discours sur la continuité et sur la 

détermination des règles applicables, une force d'autant plus considérable que 

le droit positif de l'organisation judiciaire rend compte de la tension entre les 

interprètes d'une manière qui favorise la représentation de la jurisprudence de 

la Cour de cassation par la continuité de son oeuvre prétorienne. L'utilisation 

par le Code de l'organisation judiciaire de la distinction entre les questions de 

principes dévolues à l'assemblée plénière de la Cour de cassation et les affaires 

simples réservées aux formations ordinaires, donne aux thèses de Dworkin 

encore plus de résonance. Mais avant de les discuter au contact du système 

français, il nous faut rappeler les principes qui les gouvernent. 

(746) 

F. TERRE et Y. LEQUETTE, Les Grands arrêts de la jurisprudence civile, 10ème éd., 1994, précité, p.310- 

312. 

(747) 

Ed. PICARD, Les constantes du droit, Paris, Flammarion, 1921, p.247 ; adde H. BATIFFOL, Problèmes de 

base de philosophie du droit, Paris, LGDJ, 1979, p.133 ; voir également J. ESSER, Principe général du droit et 

norme dans la pratique juridictionnelle de droit privé, dont KELSEN fait un compte rendu, Théorie générale 

des normes, Paris, PUF, 1996, chapitre 28, "Normes juridiques et principes juridiques. La théorie de la 

transformation d'Esser", p.151.

208 

133. Le droit comme unité - Ronald Dworkin illustre sa thèse de l'unité du 

droit - le droit comme intégrité - au moyen de la métaphore de la chaîne 

narrative (748) . Sorte de roman (ou d'épopée ?) écrit chapitre après chapitre de 

la main des juges, le roman du droit raconte la découverte et l'application des 

principes et des règles qui forment le droit positif (749) . La cohérence de la 

globalité de l'oeuvre - la cohérence narrative - est assurée par la raison qui 

anime chaque auteur de chapitre, chaque interprète authentique. Certes 

l'unité du droit est postulée mais cette axiomatique s'explique par le fait que le 

système produit les conditions et les modalités de son propre renouvellement. 

Outre que cette métaphore est séduisante en présentant l'interprète judiciaire 

sous l'aspect d'un écrivain cohérent, loin du poète surréaliste ou du prêcheur 

ésotérique sous les traits duquel la doctrine le dessine parfois (750) , elle permet 

de légitimer largement une certaine adhésion des juristes à l'idée que le passé 

prépare l'avenir et que les (bonnes) raisons actuelles de décider sont à 

rechercher dans les chapitres précédents. L'utilisation du précédent, non 

comme solution mais comme outil heuristique, permet dans cette perspective 

de découvrir les arguments et les raisons qui hier ont prévalu pour fonder les 

solutions anciennes, si bien que la cohérence postulée de la narration et de 

l'évolution de l'ordre juridique s'avère un moyen pour le juge de trouver, au 

présent, l'état positif des principes par lesquels le droit exprime ses raisons 

pratiques. 

Il faut comprendre que pour Dworkin, le droit positif est le produit d'une 

évolution des solutions et des textes, mais également des raisons de décider ; et 

(748) 

R. DWORKIN, "La chaîne du droit", Droit et société, 1985, n°1, p.51 ; L'empire du droit, trad. par 

E. Soubrenie, Paris, PUF, 1994, p.250. 

(749) 

Dworkin n'est pas le premier à associer un raisonnement en principes et en règles faisant du juriste le 

dépositaire d'un savoir total ; v. G. DEL VECCHIO, "Essai sur les principes généraux du Droit", Rev. crit. légis. 

et jur. 1925, p.153 (p.165) : "A priori il est impossible que d'un principe général on puisse tirer des 

applications qui seraient en contradiction avec une règle particulière. Cette exigence se fonde essentiellement 

sur la nature du système juridique, lequel doit former un assemblage unique et cohérent, un véritable 

organisme logique, susceptible d'offrir une directive certaine, non équivoque, et ne comportant aucune 

solution contradictoire pour tout rapport social possible. L'harmonie intime des différentes parties composant 

le système doit être essayée et confirmée à chaque instant, en rapprochant les règles particulières entre elles, et 

par rapport aus principes généraux auxquels elles se rattachent. C'est seulement par là que le juriste peut 

comprendre l'esprit profond du système et le suivre dans ses applications particulières, en évitant les erreurs 

qui ne manqueraient pas de se produire s'il se contentait de ne considérer, d'une manière abstraite, que telle ou 

telle règle. Le juriste et particulièrement le juge, doivent, autant que possible, dominer et pour ainsi dire 

revivre le système entier, en se pénétrant de son unité spirituelle, depuis les principes lointains et sousentendus, 

jusqu'aux plus minimes dispositions de détail, comme s'ils étaient l'auteur du tout, qu'en eux la loi 

parle réellement" [souligné par nous]. 

(750) 

F. CHABAS note sous Cass. civ. 2ème, 25 janv. 1995, Gaz. pal. 18/20 juin 1995, p.28 : "Toute révérence 

gardée envers la Cour suprême, l’arrêt, de cassation et de principe, rendu par la 2ème chambre civile le 26 mai 

1992, comporte un chapeau qui est un chef d’oeuvre d’ésotérisme ! Lecteur retiens ton souffle…"

209 

le système juridique dans son entier produit des arguments juridiques qui 

servent à la détermination des solutions juridiques. Comme le souligne M. le 

professeur Stamatis, "la maxime méthodologique décisive est [pour Dworkin] 

l'argumentation adéquate sur les principes qui justifient les régulations 

applicables, et non pas la recherche historique en tant que telle (751) ". Mais la 

cohérence postulée, nécessaire d'un point de vue pratique pur, est elle-même 

assurée par ces rétrospections. Cette construction a la vertu d'illustrer une 

thèse de l'unité du droit dont l'ambition est de tordre le cou aux conceptions 

sceptiques qui noient le droit dans une diversité contradictoire et qui 

présentent son unité comme un mythe. "Le “mythe” selon lequel il existe une 

bonne réponse dans un cas difficile, est à la fois rebelle et bien portant. Sa 

ténacité et sa prospérité tendraient à prouver qu'il ne s'agit pas d'un 

mythe (752) ". 

Ainsi, selon Dworkin, une assemblée de juristes [des juges d'une Cour 

suprême par exemple] qui auraient une connaissance et une expérience 

suffisantes de la pratique judiciaire, pourraient raisonnablement déterminer la 

bonne réponse à une question controversée sans que cette réponse soit le fruit 

d'un quelconque arbitraire politique. Dans cette mesure, c'est la vérité ou 

l'objectivité de la décision qui pourrait être appréciée. "Une proposition de 

droit peut être présentée comme vraie si elle est plus cohérente avec la théorie 

du droit qui justifie le mieux le droit établi que ne l'est la proposition opposée. 

Elle peut être invalidée comme fausse si elle est moins compatible avec cette 

théorie du droit que la proposition contraire (753) ". 

Reste tout de même à identifier la théorie du droit qui sert de référentiel. 

Pour vérifier son théorème, Dworkin fait appel à un philosophe affirmant que 

les juristes "ont tort de penser que dans les cas difficiles une proposition de 

droit peut être vraie et par conséquent la proposition contraire fausse. Il peut 

[ajoute le philosophe] y avoir un certain intérêt politique à propager le mythe 

selon lequel il existe une bonne réponse et selon lequel par conséquent ils 

n'ont aucun pouvoir discrétionnaire dans les solutions des cas difficiles. Mais 

les juges doivent reconnaître, du moins entre eux, que cette idée n'est en 

(751) 

C. STAMATIS, Argumenter en droit, précité, p.204, note 51 ; R. DWORKIN, Une question de principe, trad. 

par A. Guillain, Paris, PUF, 1996, p.186. 

(752) 

R. DWORKIN, Prendre les droits au sérieux, trad. par M.-J. Rossignol et F. Limare, préface de P. Bouretz, 

Paris, PUF, 1995, p.411 ; adde F. MICHAUT, "La bonne réponse n'est-elle qu'une illusion ? Autour de 

Dworkin", Droits-09, 1989, p.69 ; B. HOFFMASTER, "Understanding judicial discretion", Law and Philosophy 

1, 1982 p.21-55. 

(753) 

R. DWORKIN, Prendre les droits au sérieux, précité, p.402.

210 

réalité qu'un mythe (754) ". Ce philosophe, qui entre-temps serait devenu juriste 

en acquérant connaissance et expérience par une formation ad hoc, et qui 

serait amené à trancher un litige, ne pourrait rendre manifestement que des 

“jugements à égalité” signifiant que les propositions de solutions ne sont ni 

vraies ni fausses. Logiquement, le philosophe devenu juriste, convaincu qu'il 

n'y a pas de bonne réponse mais des réponses, se contenterait de rendre des 

jugements à égalité - des matchs nuls (755) - mais ces jugements, qui ne sont 

rien d'autre que des dénis, seraient du même ordre qu'un jugement de valeur 

prescrivant la meilleure solution, celle qui serait la plus conforme à la théorie 

du droit la mieux adaptée. Le philosophe-juriste devrait donc considérer qu'il 

admet que la meilleure réponse dans les cas difficiles est de rendre ces 

jugements à égalité. Or, souligne Dworkin, le jugement à égalité ne se 

rencontre pas ou trop peu pour tenir lieu de solution matrice ; les affaires 

délicates ne sont pas indécidables, au contraire, l'hypothèse du match nul 

serait même tout à fait exotique (756) . 

Dworkin paraît soupçonner qu'un principe inhérent à l'ordre juridique, 

expression d'une raison pratique pure, prescrirait la prohibition du déni de 

justice. Le juge cohérent ne pourrait en somme ni refuser d'écrire, ni écrire 

plusieurs chapitres différents au risque de rompre la cohérence narrative de 

l'ensemble ; et bien que le principe de prohibition du déni jouxte des principes 

opposés dans un certain nombre d'hypothèses - désistement d'instance, 

transaction par exemple - ce principe directeur de la chaîne du droit 

condamnerait en somme le juge à rechercher la solution plus en accord avec 

l'ensemble de l'oeuvre. Certes, il peut y avoir des juges fantaisistes et Dworkin 

en tient compte, si bien que ses thèses se présentent de façon normative. Mais 

pour être cohérent, il suffira au juge de juger en conformité avec tout ce qu'il 

sait par ailleurs, et si la bonne réponse est au prix d'un travail herculéen, elle 

reste accessible (757) . Pourtant, Dworkin abandonne souvent le discours 

normatif pour une approche constatative : les juges sont rarement fantaisistes 

(754) R. DWORKIN, Prendre les droits au sérieux, précité, p.402 ; L'empire du droit, précité, p.287 ; Comp. 

P. VEYNE, Les grecs ont-ils cru à leurs mythes ?, Paris, Seuil, 1983, Points essais, p.89 : "Dire que, par 

conséquent, le mythe était devenu une idéologie politique n'est pas faux, mais demeure peu instructif. Un 

détail même au delà de ces généralités : les grecs semblent souvent ne pas avoir cru beaucoup à leurs mythes 

politiques et ils étaient les premiers à en rire (…); en effet, le mythe était devenu vérité rhétorique. On devine 

alors qu'ils éprouvaient moins de l'incroyance, à proprement parler qu'un sentiment de convention ou de 

division devant le caractère convenu de cette mythologie". 

(755) R. DWORKIN, Une question de principe, précité, p.182. 


(757) v. K. KRESS, "Legal Reasonnig and Coherence Theories : Dworkin's Right Thesis, Retroactivity, and the 

Linear Order of Decisions", 72 California L. Rev. 369 (1984).

211 

et, dans les cas difficiles, leur travail consiste à prendre la mesure d'une 

évolution ; on aurait tendance à penser qu'il s'agirait même d'une 

prédestination. L'habileté de Dworkin consiste à déplacer les questions dans le 

champ des théories politiques de la justice. Il écrit : "Pour me prouver que j'ai 

tort, il faudra donc recourir à des raisonnements de type philosophique ; il 

faudra s'attaquer au présupposé qui est le mien : à savoir que dans un système 

juridique complexe et complet, il est a priori improbable que deux théories 

diffèrent au point d'exiger des réponses différentes pour un certain cas et 

offrir un degré de convenance acceptable avec les textes juridiques relatifs à ce 

cas. La démonstration de mon adversaire devra offrir une certaine forme de 

scepticisme, ou l'idée d'un certain degré d'indétermination dans la doctrine 

morale, pour supposer qu'aucune de ces théories n'est préférable à une autre 

en termes de morale politique (758) ". L'argument renverse d'une certaine 

manière la charge de la preuve philosophique de l'unité en proposant aux 

sceptiques de démontrer qu'il y a des réponses ; puis, partant de l'idée que la 

prétendue pluralité des réponses naît de la diversité des théories politiques, 

Dworkin condamne le scepticisme en tant que théorie politique. 

En résumé, l'argument de Dworkin est le suivant. Les théories qui 

admettent l'existence de plusieurs bonnes réponses possibles sont incapables 

de démontrer que lesdites réponses ont la même valeur politique ou 

morale (759) . S'il n'y a pas égalité, c'est qu'il y a une solution qui est forcément 

meilleure qu'une autre. Le juge va donc devoir choisir, parmi les théories 

politiques ou morales présentes, celle qui lui permettra d'assurer la continuité 

de l'ordre juridique. Le scepticisme, et tous ses avatars du pluralisme moral, 

étant eux-mêmes vecteurs d'une philosophie politique et participant donc à ce 

choix, Dworkin s'interroge : que perdrions-nous en abandonnant le 

scepticisme ? (760) . Autrement dit, sauf à concevoir une théorie capable 

d'expliquer que des solutions possibles auraient une valeur politique ou 

morale égale, il n'y a pas lieu de croire qu'il n'y a pas qu'une réponse possible. 

Dworkin nous invite donc à croire par défaut au dogme de la solution unique, 

(758) R. DWORKIN, Une question de principe, précité, p.183 ; contre le scepticisme, ibid., p.220. 

(759) R. DWORKIN, "Les contraintes argumentatives dans l'argumentation juridique 2 : Y a-t-il une bonne 

réponse en matière d'interprétation juridique?" in P. AMSELEK (dir.) Interprétation et droit, Bruxelles, 

Bruylant, Aix-en-Provence, PUAM, 1995, p.227. 

(760) R. DWORKIN, Une question de principe, précité, p.222.

212 

simplement parce qu'il y aurait plus d'avantages à y croire qu'à ne pas y 

croire (761) . 

Sous l'interprétation, le juge a donc un premier choix à faire, celui de la 

théorie qui va lui permettre d'étalonner les solutions qui lui seront 

proposées (762) . Ce premier choix, s'il est conscient et éclairé, est un choix 

philosophique ; il doit choisir, parmi les théories de la justice, celle qui 

positivement serait le mieux à même d'expliquer et de fonder l'ordre social 

dans lequel il évolue. Un tel débat peut-il fournir une réponse autre que 

politique ? Que l'on adhère à une théorie métaphysique ou politique de la 

justice, ce choix est nécessairement le résultat d'une argumentation 

philosophique, politique ou le cas échéant d'un réflexe communautaire ou 

idéologique. Dworkin semble pourtant aller plus loin. Les théories de la justice 

seraient produites par l'observation du système juridique lui-même, de sorte 

que l'on devrait considérer que toute raison politique de décider est en réalité 

une raison juridique, et que les raisons pratiques pures sont également 

fournies par le système. Le système juridique serait ainsi producteur des 

arguments juridiques - d'autorité ou substantiels pour reprendre la distinction 

du professeur MacCormick (763) -, des raisons juridiques de décider et de la 

solution posée. Au demeurant, Dworkin considère qu'une théorie est 

nécessairement dominante ou positivement admissible, parce que les juristes 

sont en général d'accord pour affirmer qu'une théorie est meilleure qu'une 

autre (764) . La théorie dominante serait-elle celle qui rassemble le plus de 

suffrages, serait-ce cette théorie des droits qui permettrait d'étalonner les 

solutions proposées et de déterminer leur valeur de vérité ? Outre le fait que le 

discours théorique sur le fondement des solutions ne se résume pas à un débat 

philosophique éclairé en toile de fond du débat judiciaire, il paraît difficile 

d'évincer l'aspect confus que produit la superposition des théories au fil du 

(761) comp. G. DEL VECCHIO, "Essai sur les principes généraux du Droit", Rev. crit. légis et jur. 1925, p.153 : 

"Aucun argument ne saurait mieux montrer la nature éminemment pratique du droit et son adaptation pleine et 

parfaite que celui-ci : il ne peut exister aucun conflit entre les hommes, aucune discussion, même compliquée 

et imprévue, qui n'implique ou même n'exige, une solution juridique ferme et assurée. Les questions douteuses 

et incertaines, peuvent subsister longtemps dans le domaine théorique : toutes les branches du droit du savoir 

humain, et la science du droit elle-même considérée comme une science théorique, offrent l'exemple de 

problèmes discutés pendant des siècles et restés jusqu'ici sans solution, peut-être parce qu'ils sont insolubles. 

Mais à la demande : quid juris ? quelle est la limite de mon droit et de celui d'autrui ? on doit, en chaque cas 

d'espèce, pouvoir donner une réponse, qui certes ne sera pas infaillible, mais qui sera pratiquement définitive". 

(762) rappr. R. SHUSTERMAN, Sous l'interprétation, trad. J.-P. Cometti, Combas, L'éclat, p.20-21, p.37-38. 

(763) N. MACCORMICK, Raisonnement juridique et théorie du droit, repris dans "Les contraintes 

argumentatives dans l'argumentation juridique 1 : Argumentation et interprétation en droit" in P. AMSELEK 

(dir.) Interprétation et droit, Bruxelles, Bruylant, Aix-en-Provence, PUAM, 1995, p.213. 

(764) R. DWORKIN, Une question de principe, précité, p.181.

213 

temps. Dworkin l'admet du reste : "le raisonnement du juriste s'appuie sur la 

notion de cohérence normative, qui est clairement plus complexe que la 

notion de cohérence narrative (765) ". Cette cohérence idéale, axiomatique, 

politiquement et socialement utile est exprimée de manière dynamique à 

travers la chaîne narrative et à travers les chapitres précédents qui ont écrit la 

complexité du droit positif. Mais ces chapitres rassemblent des textes et des 

énoncés jurisprudentiels d'époques différentes répondant à des préoccupations 

sociales différentes, rédigés dans des styles différents, rendant compte 

d'intentions législatives différentes. Par quel enchantement ces couches 

superposées antinomiques seraient-elles rendues non-contradictoires sans 

poser a priori un axiome de non-contradiction ? 

Il est difficile de ne pas penser que de solutions uniques en bonnes 

réponses, la continuité du droit ne se construit pas par rétrodiction. Il faut 

s'interroger. La rationalisation a posteriori qui permet de réinterpréter la 

chaîne du droit une fois rendues des décisions incongrues, ferait-elle aussi 

partie du système ? Car il n'est pas douteux que pour être cohérente, la chaîne 

narrative est constamment réinterprétée à la lumière des décisions nouvelles. 

Sauf à considérer que le droit est pleinement prédestiné, la continuité ne se 

découvre qu'au réexamen permanent du passé par une rationalisation a 

posteriori faisant regagner aux décisions ésotériques ou insolites le giron du 

"droit comme intégrité". Les arrêts provocateurs condamnés pour leurs effets 

immédiats sont après coup reconsidérés à la lumière de leurs avatars pour 

devenir souvent les événements décisifs sans lesquels des réformes nécessaires 

n'auraient jamais eu lieu. C'est aujourd'hui la manière dont la doctrine 

interprète l'arrêt Desmares du 21 juillet 1982. Cette décision, qui fut 

abondamment critiquée (766) , revenait sur la possibilité de partager la 

responsabilité entre la victime et le gardien de la chose en posant que la faute 

de la victime ne pouvait avoir une force exonératoire de la responsabilité du 

gardien qu'à condition de présenter les caractères d'un événement 

"imprévisible et insurmontable" : "seul un cas de force majeure exonère le 

(765) R. DWORKIN, Une question de principe, précité, p.180 ; comp. R. GUASTINI, "Théorie et ontologie du 

droit chez Dworkin", Droit et société 1986 n°2, p.15 (p.19) : "Il faut remarquer que cette façon de penser de 

Dworkin est fondée sur une hypothèse difficilement démontrable : je veux parler du dogme de la cohérence du 

droit. Si un système juridique n'était pas considéré comme cohérent, on ne pourrait pas soutenir qu'une et une 

seule doctrine éthique et politique (bien que très générale et abstraite et donc indéterminée), est au fondement 

du système tout entier. Par contre, si le système n'est pas cohérent, on peut tirer de lui non pas une seule 

doctrine mais plusieurs doctrines politiques en conflit entre elles". 

(766) Cass. civ. 2ème, 21 juillet 1982, D. 1982, p.449, concl. CHARBONNIER, note LARROUMET ; JCP 

1982.II.19861, note CHABAS ; RTD civ. 1982, p.606, obs. DURRY ; Defrénois 1982, p.1689, obs. AUBERT.

214 

gardien de la chose, instrument du dommage, de la responsabilité par lui 

encourue par application de l'article 1384 al. 1er du Code civil : dès lors, le 

comportement de la victime, s'il n'a pas été pour le gardien imprévisible et 

irrésistible, ne peut l'en exonérer même partiellement". La résistance des 

juridictions du fond fut une véritable rébellion. Pour leurs magistrats, l'arrêt 

Desmares n'avait d'autre ambition que de forcer le législateur à intervenir de 

sorte qu'ils persistèrent à procéder à des partages de responsabilité là où la 

Cour de cassation prescrivait pourtant l'inverse (767) . Puis la loi du 5 juillet 1985 

rendit caduque la provocation et la Cour de cassation retrouvait sa continuité 

dès 1987 (768) . Aujourd'hui, l'oeuvre doctrinale a rationalisé l'ensemble de cette 

évolution : "L'intervention souhaitée s'étant réalisée, qu'allait-il advenir de la 

jurisprudence Desmares ? La réponse ne se fit guère attendre. Par trois arrêts 

rendus le 6 avril 1987, la deuxième chambre civile rompit avec cette 

jurisprudence en affirmant que “le gardien de la chose instrument du 

dommage est partiellement exonéré de sa responsabilité s'il prouve que la 

faute de la victime a contribué à la production du dommage”. Il est ainsi 

confirmé que la finalité de l'arrêt du 21 juillet 1982 était bien de provoquer 

l'intervention du législateur. Celle-ci obtenue, la Cour de cassation abandonne 

le système du “tout ou rien” instauré par l'arrêt Desmares (769) . L'arrêt 

Desmares fut-il la bonne réponse aux problèmes posés de l'indemnisation des 

victimes d'accidents de la circulation ? Il fut une réponse possible dont les 

incidences furent éminemment politiques (770) . 

On peut se demander si la description de la continuité du droit ne serait 

pas plutôt le résultat d'une rationalisation que l'oeuvre de la raison. 

PARAGRAPHE 2. UNE OEUVRE DE RATIONALISATION 

134. Un principe de rationalisation - Le point de vue adopté par Dworkin pour 

décrire la chaîne du droit nous paraît proche de la situation de la doctrine 

française commentant l'évolution de l'ordre juridique positif. Il est normatif 

(767) 

A. ORIOL, "La résistance des juges du fond", in L'image doctrinale de la Cour de cassation, Paris, La 


(768) 

Cass. civ. 2ème, 6 avril 1987, D. 1988, p.32, note MOULY ; JCP 1987.II.20828, note CHABAS ; Defrénois 

1987, p.1136, obs. AUBERT ; RTD civ. 1987, p.767, obs. HAUSER. 

(769) 

F. TERRE et Y. LEQUETTE, Les grands arrêts de la jurisprudence civile, 10ème éd., 1994, précité, p.564. 

(770) 

J.-L. AUBERT, "L'arrêt Desmares : une provocation… à quelques réformes", D. 1983, chr., p.1.

215 

de la même manière que le discours doctrinal est prescriptif : il permet une 

activité de pronostics et si ceux-ci sont contredits, il opère la rationalisation de 

la solution posée par rapport à l’ensemble (771) . La recherche de la noncontradiction 

se fait de manière à gommer les paradoxes pour créer la 

continuité. Il faut ici bien dissocier l'axiome de non-contradiction logique 

comme pourrait l'utiliser un positiviste normativiste servant à la construction 

d'un objet, de l'utilisation d'une rhétorique de la non-contradiction portant 

directement sur le contenu des énoncés. Si l'on admet avec les positivistes que 

l'autorité d'application du droit sera en mesure de résoudre la contradiction 

sémantique par recours à une norme de conflit, ce conflit, résolu en logique, 

laisse à l'interprète l'expression libre et discrétionnaire du contenu de la 

solution. Ce contenu qui dépendra de la volonté de l'interprète authentique et 

de son adhésion à un certain nombre de contraintes argumentatives, sera, en 

définitive, l'expression d'un choix politique (772) . Pour Dworkin, le juge serait 

capable de donner objectivement la bonne réponse : à savoir une réponse qui 

serait indépendante de son arbitraire, une réponse qui ne serait que 

l'expression d'un acte de connaissance constatant la seule réponse possible. La 

non-contradiction est pour Dworkin inhérente à la production des normes 

prétoriennes et à l'application du droit. Le roman écrit par les juges chapitre 

après chapitre est toujours cohérent. Le problème, c'est qu'il peut être 

cohérent quoi qu'il raconte. Ce qui peut apparaître incohérent ou immoral, 

sera rationalisé sur le tard pour être réinterprété chaque fois que la trame du 

roman aura balbutié ou aura changé de cap. 

La faiblesse de la métaphore de la cohérence narrative, c'est la fin du 

roman, son épilogue. On ne le connaît pas et on ne le connaîtra jamais. N'estil 

pas difficile d'apprécier l'intégrité et l'unité d'une oeuvre sans en connaître 

la fin ? A moins que l'on entende fin comme finalité. Dans ce cas, l'unité de la 

chaîne du droit a une fin ; toutes les questions ont une réponse et une seule 

parce que c'est de l'office du juge que d'en fournir conformément à cette fin. 

Le droit serait-il ainsi finalisé, vers le juste, vers la sécurité, vers la 

démocratie ? Il est vrai, comme le dit Dworkin, que "les juristes seront 

rarement d'accord pour affirmer qu'aucune théorie ne fournit un meilleur 

(771) M. TROPER, "Les juges pris au sérieux ou la théorie du droit selon Dworkin", Droit et société, 1986, n°2, 

p.41 ; C. STAMATIS, Argumenter en droit, précité, p.233 ; adde O. BEAUD, "Pour une autre lecture de Ronald 

Dworkin, théoricien de la pratique juridique. À propos de “Prendre les droits au sérieux”", Droits-25, 1997, 

p.135. 

(772) H. KELSEN, Théorie pure du droit, 2ème éd., 1962, précité, p.462-463.

216 

cadre qu'une autre (773) " ; mais, le discours des juristes semble ne pas nous 

laisser d'autre choix que de croire qu'il existe une bonne réponse et une seule : 

"Le télescopage des textes ne laisse-t-il qu'une porte étroite : mais l'article 4 du 

Code civil nous dit qu'elle existe nécessairement. Il faut bien la trouver et 

l'emprunter (774) ". La bonne réponse existe nécessairement parce que les 

raisons d'autorité en témoignent. Les textes disposent ainsi que le juge doit 

parvenir à énoncer une solution unique, univoque et conforme aux règles 

applicables (art. 12 NCPC), que la solution obscure ou ambiguë est elle-même 

soumise à interprétation (art. 461 NCPC), et qu'enfin le déni est prohibé (art. 4 

C. CIV.) ; la Cour de cassation cherche à dégager le seul fondement possible des 

solutions qu'elle pose ; la doctrine, elle, cherche à rendre compte de la 

production normative en montrant qu'un phénomène continu anime la 

genèse des règles et des principes de droit (775) . Chaque raison d'autorité, 

s'appuyant sur un texte, sur un précédent ou sur une opinion dominante, 

conduit à ce que "l'idée défendue s'impose comme une évidence (censée être 

irréfutablement démontrée) en rendant certain le probable. Ce qui compte 

n'est pas tant le raisonnement mené par le locuteur que la façon dont 

l'évidence s'impose à l'auditeur (776) ". Pour cela, le discours technique de la 

doctrine comme les contributions du théoricien à la science du droit, 

participent d'une rhétorique d'autorité. 

Or, pour décrire l'unité du droit, il faut idéalement que la thèse de l'unité 

se soit déjà imposée comme une réalité (777) . C'est donc cette hypostase qui 

fournit la matière mythologique de la bonne réponse. On soulignera à l'instar 

de Roland Barthes que la chaîne du droit est bien au coeur de la formation 

d'un mythe. En effet, en tant que parole dépolitisée, "le mythe a pour charge 

de fonder une intention historique en nature, une contingence en éternité 

(…). Ce que le monde fournit au mythe, c'est un réel historique ; ce que le 

mythe restitue, c'est une image naturelle de ce réel. (…) Le mythe est 

constitué par la déperdition de la qualité historique des choses : les choses 


(774) M. le conseiller Y. CHARTIER, rapport pour Cass. ass. plén., 23 décembre 1994, D. 1995, p.145 (p.146). 

(775) J.-F. NIORT et G. VANNIER, "Sur la théorie du droit de Dworkin : de l'interprétation des principes à leur 

application aux cas difficiles", Droits-20, 1994, p.161. 

(776) R. PEREZ PERDOMO, "L'argument d'autorité dans le raisonnement juridique", APD 1972, p.234. 

(777) Les juristes de droit public qui hier encore dissociaient la continuité du droit constitutionnel et du droit 

administratif (G. VEDEL, "Discontinuité du droit constitutionnel et continuité du droit administratif : le rôle du 

juge", Mélanges Waline, Paris, LGDJ, 1974, tome 2, p.777), en arrivent à plaider pour une continuité globale 

de l'ordre juridique (S. DYENS et E. SALES, "Le Conseil constitutionnel est-il herculéen ?", La Revue 

administrative, Mai - juin 1996, p.275).

217 

perdent en lui le souvenir de leur fabrication (778) ". Et c'est bien ce que produit 

la représentation du droit sous la forme d'un processus continu. On évince les 

controverses, les solutions divergentes, les opinions hérétiques pour tracer un 

cheminement continu dans cet ensemble dont les mutations sont pourtant les 

fruits de phénomènes discrets. Il est donc à craindre qu'aucune démonstration 

ne puisse vraiment être convaincante. La bonne réponse est celle qui parvient 

à faire taire les dissidences, celle qui renvoie à l'absence de pertinence toute 

autre proposition et justification, celle qui finit par persuader la communauté 

des juristes que le cas difficile est devenu facile. Mais les affaires simples sont 

aussi un lieu d'expression du pouvoir discrétionnaire du juge, simplement 

parce que la discrétion est faite du silence des raisons. 

La vertu pratique de la métaphore de la chaîne narrative est de présenter 

l'unité des solutions comme un idéal théoriquement accessible, et de masquer 

ainsi le pouvoir des juges de créer le droit en dissimulant cette création 

derrière "la volonté cachée du législateur ou les principes fondamentaux qui 

préexistent à leurs décisions (779) ". Elle permet en outre aux commentateurs 

doctrinaux de la bonne réponse de la généraliser en donnant à la décision la 

portée qui lui convient (780) . Mais le pouvoir de généraliser appartient à la 

doctrine seule, elle "ne saurait [le] perdre, ni même [le] partager (781) ", de sorte 

que les descriptions de la portée de l'arrêt et de la continuité des réponses ne 

sont vraisemblablement que les faire-valoir d'une rhétorique de l'extension ou 

de la restriction de la solution aux hypothèses connexes. 

Plus largement, on relèvera que les théories qui conçoivent l'évolution de 

l'ordre juridique comme un processus continu, immunisent celui qui les 

emploie. De manière voisine, la chaîne narrative immunise le juge contre les 

conséquences politiques de ses décisions, comme les représentations de la 

doctrine dépositaire d'un savoir issu de la tradition et de l'initiation 

immunisent les auteurs contre leurs propres prescriptions. Lorsqu'ils tombent, 

les masques de la continuité ou de la neutralité laissent la place à des 

discussions sur la complexité et les paradoxes du système et ne restent que des 

arguments. En fait, il faut revenir au point de départ et admettre qu'il y a 

(778) 

R. BARTHES, Mythologies, Paris, Seuil, 1957, Points essais, 1970, p.216. 

(779) 

M. TROPER, "Les juges pris au sérieux ou la théorie du droit selon Dworkin", Droit et société, 1986, n°2, 

p.41 (p.51-52). 

(780) 

v. J.-L. BERGEL, "Le processus de transformation des décisions de justice en normes juridiques", RRJ 

1993, p.1055 et C. ATIAS, "L'ambiguïté des arrêts de principe en droit privé", JCP 1984.I.3145. 

(781) 

M. MOREAU, "Rôle de la doctrine et du droit comparé dans la formation de la jurisprudence, aspects de 

droit privé français", Journées de la Société de législation comparée, RID comp. n°spécial - vol. 16, 1994, 

p.239.

218 

peut-être autant de bonnes réponses que de théories. Et que de théories pour 

expliquer les solutions existantes (782) ! Nous rejoindrons donc M. le professeur 

Perrin quand il affirme: "Prendre le droit au sérieux consiste donc à accepter à 

son sujet, plutôt deux ordres de vérité, parfois contradictoires et concurrents, 

plutôt qu'une certitude, encore et toujours introuvable (783) ". En pastichant le 

style de M. le professeur Carbonnier, on pourrait même ajouter que chaque 

réponse est mauvaise, parce qu'au fond, toute unité en soi est un mal (784) . 

Section 2 

Les entraves à l'unité 

135. L'interprétation sans contrainte - Concurremment à un discours qui fait 

de la solution unique la fin et l'essence du droit, les interprètes défont les 

contraintes argumentatives positives relevant de leur autorité pour dépasser et 

déplacer le champ convenu de leur positivité. L'expression permanente du 

désir doctrinal de transformation de l'ordre juridique condamne l'unité à se 

reconstituer. On recherche dans des raisons pratiques les moyens d'ériger de 

nouvelles contraintes (PARAGRAPHE 1) et l'on profite de ce déplacement de 

l'autorité pour libérer un discours polémique où la diversité des réponses se 

fait entendre (PARAGRAPHE 2). 

PARAGRAPHE 1. LES CONTRAINTES INTERPRETATIVES 

136. Maîtrise de l'univocité - Selon Dworkin, l'univocité est caractéristique de 

la règle alors que les principes sont, eux, de nature éthico-politique et leur 

application est soumise à discussion. On ne pourrait pas déterminer les 

seconds sur la base d'un raisonnement en termes de pedigree (785) . Il faut 

comprendre par là que le sens d'un énoncé n'est pas à rechercher dans son 

(782) C. ATIAS, Théorie contre arbitraire, précité, p.27. 

(783) J.-F. PERRIN, "Définir le droit… selon une pluralité de perspectives", Droits-10, p.63 (p.67) ; adde 

R. SEVE, "La juste diversité des définitions du droit", Droits-10, p.89. 

(784) J. CARBONNIER, Essai sur les lois, précité, p.281. 

(785) R. DWORKIN, "Is law a system of rules ?", in Readings in philosophy, Oxford, OUP, 1977, p.38-65 ; adde 

A. GOLDMAN, "Rules in the law", Law and philosophy 16, 1997, p.581.

219 

arbre généalogique mais dans le texte lui-même et dans son contexte. Dans 

cette mesure, que faut-il penser de l'application du principe selon lequel "nul 

ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage (786) " ? On conviendra 

rapidement que l'anormalité du trouble est rarement univoque et qu'au sens 

où l'entend Dworkin, cet adage constitue bien un principe. Le fondement en 

fut longtemps discuté en doctrine, et la jurisprudence a fini par considérer 

qu'il s'agissait d'une responsabilité autonome à mi-chemin entre la 

responsabilité de droit commun et l'abus du droit de propriété (787) . Depuis le 

début des années 1970, la Cour de cassation a progressivement défini les 

contours de l'anormalité du trouble de voisinage et vise aujourd'hui 

directement le principe, oubliant la référence passée aux articles 544 et 1382 

du Code civil. Le fondement n'est plus discuté. L'anormalité est definie dans 

ses détails. Le principe est devenu une règle. Il est utilisé pour subsumer le cas, 

lequel reçoit des réponses évidentes. La règle a trouvé son pedigree. Doctrine 

et jurisprudence ont maîtrisé l'univocité. 

C'est là l'enjeu du “ combat pour la doctrine (788) ”. L'unité et l'univocité se 

créent dans le discours non-authentique qui a pour objet de maîtriser les 

contraintes interprétatives. 

137. Maîtrise des contraintes - Entre argumentation et interprétation, la 

doctrine possède des moyens d'orienter les choix de l'interprète authentique. 

Dans un court article sur les contraintes argumentatives, M. le professeur Neil 

MacCormick présentait une grille d'analyse des différents arguments que 

véhicule le discours juridique (789) . Selon l'auteur de Raisonnement juridique et 

théorie du droit (790) , le monde des arguments opposerait les raisons 

substantielles qui viennent au soutien d'un raisonnement pratique pur et les 

raisons institutionnelles d'autorité qui justifient l'utilisation des classiques 

arguments de texte et des références déjà consacrées. L'idée de MacCormick 

est de montrer que derrière tout raisonnement d'autorité se trouve un 

(786) 

Cass. civ. 3ème, 24 octobre 1990, Bull. civ. III, n°205. 

(787) 

Cass. civ., 27 novembre 1844 et Cass. civ. 3ème, 4 février 1971, in F. TERRE et Y. LEQUETTE, Les grands 

arrêts de la jurisprudence civile, 10ème éd., 1994, précité, n°72-73, p.312. 

(788) 


p.235, n°188. 

(789) 

N. MACCORMICK, "Les contraintes argumentatives dans l'interprétation juridique ; argumentation et 

interprétation en droit", in P. AMSELEK (dir.), Interprétation et droit, Bruxelles, Bruylant, Aix-en-Provence, 

PUAM, p.211. 

(790) 

Pour une appréciation de l'évolution de la théorie de MacCormick, v. O. PFERSMANN, "Notes de lectures : 

Neil MacCormick, Raisonnement juridique et théorie du droit", Droits-27, p.208 s.

220 

raisonnement pratique pur qui permet à l'interprète, le cas échéant, de se 

dégager des contraintes formalistes et institutionnelles créées par l'autorité et 

le fonctionnement des institutions. Pour répondre à la question Quid juris ?, le 

raisonnement de l'interprète est balisé par des contraintes linguistiques, 

systémiques et téléologico-déontologiques. Pour cheminer, il utilise donc des 

arguments linguistiques, systémiques (des arguments tirés de l'harmonisation 

contextuelle, des arguments tirés du précédent, l'argument tiré de l'analogie, 

l'argument logico-conceptuel, l'argument tiré des principes généraux, et 

l'argument historique), des arguments téléologico-déontologiques et des 

arguments conséquentialistes (791) , de sorte que les décisions prises se 

justifieront en considération "à la fois des arguments conséquentialistes 

montrant l'acceptabilité ou la non-acceptabilité d'un jugement par rapport à 

ses conséquences, et des arguments de cohérence et de consistance montrant 

comment un jugement acceptable pour d'autres raisons peut s'intégrer au 

corps législatif concerné existant (792) ". Mais au-delà du cercle de l'autorité, il 

reste à s'interroger sur le pouvoir des interprètes à ériger ou déjouer les 

contraintes argumentatives (793) . Si la recherche des raisons de décider que la 

solution n'a qu'un seul fondement possible, se trouve liée d'une manière ou 

d'une autre à la sécurité juridique, à la prévisibilité, ou encore à l'exigence 

d'efficacité, on a quelques raisons de croire que le raisonnement tenu sera 

celui d'un prestidigitateur. Des concepts, dont le contenu est plus 

contradictoire que variable, et sur lesquels nombre d'interprétations sont 

prétendument fondées en raison, sont utilisés pour justifier le choix d'une 

signification. En guise de cohérence, l'interprète serait contraint par 

l'exigence de prévisibilité des règles juridiques ou l'impératif de sécurité 

juridique. Cette contrainte positive tenant à la fois d'un raisonnement sur la 

continuité, la cohérence, le précédent et la conséquence est en réalité un 

passeport pour la liberté de l'interprète. Si, au nom de la prévisibilité, on doit 

assurer la réalisation des prédictions, cela signifie que l'on érige en contraintes 

les opinions et les pronostics doctrinaux (non-authentiques), alors qu'euxmêmes 

sont le résultat d'un usage rhétorique de la prévisibilité. Si l'interprète 

authentique ne peut (ou ne doit) réaliser que ce qui a été prédit, ou pour 

reprendre un euphémisme autorisé, ce à quoi l'on pouvait légitimement 

(791) N. MACCORMICK, "Les contraintes argumentatives…", précité, p.220. 

(792) N. MACCORMICK, "Le raisonnement juridique", APD 1988, p.106. 

(793) Sur la distinction entre contraintes au sens fort et contraintes au sens faible, M. TROPER, "La liberté 

d'interprétation du juge constitutionnel", in P. AMSELEK (dir.) Interprétation et droit, Bruxelles, Bruylant, 

Aix-en-Provence, PUAM, 1995, p.243.

221 

s'attendre, sa liberté est totale puisque, du point de vue des significations 

possibles, on peut s'attendre à tout. Seul un accord parfait, une unanimité sans 

faille serait le témoin de l'univocité des règles mais l'on constatera qu'en quête 

d'unité, le droit savant ne fournit que des réponses. 

PARAGRAPHE 2. LES REPONSES DOCTRINALES. 

138. Pluralité des opinions - La diversité des opinions doctrinales est un 

obstacle infranchissable pour qui voudrait admettre la doctrine parmi les 

sources du droit. C'est du moins ce qui se déduit du postulat selon lequel les 

sources du droit fournissent des énoncés univoques ; nous savons combien est 

illusoire ce genre de réduction du raisonnement juridique, car, qu'elle soit 

formelle ou informelle, aucune source ne peut garantir l'univocité des énoncés 

normatifs qu'elle produit. Les auteurs conçoivent leur rôle par la double 

nature de leur travail : découvrir ce qui est et proposer ce qui doit être. "La 

doctrine n'a pas seulement à découvrir les choses qui préexistent ; 

l'imagination entre aussi dans son lot : à elle de proposer une solution neuve 

ou une réforme législative. Certes, elle n'a pas d'autorité officielle. Simple 

puissance de l'esprit, elle propose : le juge et le législateur disposent, étant 

certain que jamais ne s'impose une solution unique et définitive, ce qui 

explique le pluralisme, la diversité des opinions des docteurs (794) ". Ainsi le 

discours doctrinal pèse sur le droit positif par la description de jure lata et 

parvient à le transformer par des raisonnements de jure ferenda. Alors 

cependant que l'on s'accorde en général pour reconnaître la valeur heuristique 

de la discussion doctrinale et sa fonction imaginative, peu d'auteurs seraient 

prêts à admettre le caractère performatif des énoncés doctrinaux, surtout 

lorsqu'ils sont constitués d'un ensemble d'opinions contradictoires. Pourtant 

le discours doctrinal prétendument neutre pèse considérablement sur la 

transformation de l'ordre juridique positif. E. Bertrand expliquait cette 

influence par l'idée que les écrits juridiques opèrent comme une dialectique 

en mouvement (795) et rappelait que les succès obtenus en jurisprudence par les 

théories de Josserand et de Ripert avaient fait coexister de manière antagoniste 

(794) Ph. LE TOURNEAU et L. CADIET, Droit de la responsabilité, Paris, Dalloz Action, 1996, n°8, p.9 ; adde 

C. ATIAS, "La mission de la doctrine universitaire en droit privé", JCP 1980.I.2999. 

(795) E. BERTRAND, "Le rôle de la dialectique en droit privé positif", D. 1951, chr., p.153.

222 

la faute et le risque comme fondement de la responsabilité civile alors même 

que d'autres auteurs réclamaient une intervention législative prétendument 

capable de trancher le conflit doctrinal (796) . L'idée de E. Bertrand était que 

dans cette conjonction des contraires, le rôle du juriste consistait à "définir le 

moment des institutions qui se meuvent et de veiller, afin que les forces de 

principes contraires donnent une somme constante de justice (797) ". Dans cette 

perspective, la doctrine appellerait à la controverse pour exercer des 

contrepoids sur des questions particulières afin que l'ensemble de l'ordre 

juridique soit dirigé vers le but, avoué ici, de la recherche du juste. On 

pourrait tout aussi bien fixer d'autres buts à la controverse de manière à lui 

permettre de dégager l'utile, le cohérent ou le vrai (798) . En fait, tous ces buts 

coexistent dans le discours prescriptif de la doctrine, de sorte que la première 

difficulté consiste à identifier la finalité la plus vraisemblable d'une thèse 

défendue par un auteur. La deuxième difficulté est sans doute la plus ardue 

puisque, se présentant la plupart du temps sous une forme descriptive et 

neutre, le discours prescriptif qui traduit le désir doctrinal de transformation 

du droit positif passe sous silence ses tenants et ses aboutissants. C'est 

d'ailleurs ce silence qui fait la richesse et la force de ce discours, l'aveu de 

contradiction est, au moins en apparence, le signe d'une méthode de fou (799) . Il 

faut donc affirmer l'unité, l'unicité, la cohérence et la neutralité pour prescrire 

des solutions diverses et particulières. Peu d'auteurs défendent les vertus du 

discours contradictoire contre l'univocité postulée des solutions posées, mais 

ils sont plus nombreux à déjouer les pièges tendus par le dogme de l'unité pour 

emmener leurs interlocuteurs sur des chemins de traverse et ainsi opérer des 

distinctions qui a priori ne s'imposaient pas. 

139. Les interlocuteurs doctrinaux - Déterminer ceux à qui précisément la 

doctrine s’adresse revient peu ou prou à définir son rôle et le champ supposé 

de son influence. Premièrement, la doctrine s’adresse à elle-même ; plus 

(796) 

H. CAPITANT, "Les fluctuations de la théorie de la responsabilité des dommages causés par le fait des 

choses", DH 1927, chr., p.49. 

(797) 

E. BERTRAND, "Le rôle de la dialectique", D. 1951, chr., p.154. 

(798) 

Comp. L. AYNES, P.-Y. GAUTIER ET F. TERRE, "Antithèse de “l'entité” (à propos d'une opinion sur la 

doctrine)", D. 1997, chr., p.230 et C. ATIAS, "La controverse doctrinale dans le mouvement du droit privé", 

RRJ 1983, p.447. 

(799) 

E. BERTRAND, "Le rôle de la dialectique", D. 1951, chr., p.153. L'auteur plaide pour la reconnaissance des 

vertus de la dialectique en droit privé, "quelles seraient les conséquences d'une méthode dialectique 

généralisée ? Elle impliquerait qu'aucun principe, en aucune matière, ne soit proclamé ou accepté sans 

l'acceptation, au même moment, du principe contraire".

223 

exactement, les auteurs tâchent de se convaincre les uns les autres de la 

qualité des solutions qu’ils préconisent. Deuxièmement, la doctrine s’adresse 

aux autorités normatives. Mais qu’il s’agisse de la doctrine universitaire ou de 

la voix doctrinale de la pratique, les discours spéculatifs ou pragmatiques se 

rejoignent en ce qu’ils contribuent à offrir aux membres de la communauté 

des juristes des raisons de plaider et aux autorités habilitées des raisons de 

décider. Troisièmement, en retour, les autorités normatives répondent par 

voie d’arrêt ou d’avis, de notes d’arrêts, de conclusions ou de rapports publiés. 

Certes les formes empruntées pour discourir sont différentes et tiennent à des 

particularités culturelles, mais la présence de ces voix doctrinales sonnantes et 

dissonantes montrent que le discours scientifique est son propre enjeu. Il 

forme un champ de tensions entre les différents interprètes qui se disputent 

l’autorité scientifique et la capacité de convaincre. Son objet, c’est la maîtrise 

de l’évolution du savoir juridique (800) . 

140. L’objet du discours doctrinal - À ceux qui critiquaient l’École de la libre 

recherche, Gény répondait : “Les spéculations, sur la méthode et les sources, 

sont, dira-t-on, vaines et superflues, puisque, en fait, la mise en oeuvre du 

droit dépend exclusivement de l’autorité judiciaire, qui, l’expérience le 

montre, s’adapte d’elle-même aux nécessités. On sent pourtant que l’objection 

ainsi présentée part d’un point de vue bien étroit, et qu’elle tend si on la 

pousse jusqu’au bout à nier toute influence doctrinale. Sous peine de se 

réduire à un rôle exclusivement empirique, la jurisprudence ne peut se passer 

du secours et de l’appui des auteurs. Ses travaux conduits au jour le jour et 

circonscrits au domaine concret des espèces, doivent, pour se soutenir et se 

développer, être dirigés par les vues d’une doctrine perspicace et condensés en 

de fortes synthèses. De fait, il en a toujours été plus ou moins ainsi . Et pour en 

être assuré, il suffit d’observer comment, en présence d’une législation 

nouvelle ou des autres évolutions plus discrètes du droit positif, les exposés 

des auteurs apparaissent nécessaires pour ouvrir la voie aux décisions de 

justice, ou en résumer les tendances (801) ”. Tout à la fois, objet et but du 

discours doctrinal, la compréhension et la maîtrise de l’évolution du droit 

positif sont l’enjeu des propositions, des critiques ou des injonctions faites par 

(800) voir La Cour de cassation et la loi : collaboration ou tension?, Entretiens de Nanterre 1991, JCP éd. E, 

1991, cah. dr. entr., n°5, p.5 ; J. DEPREZ, "“ Sois juge et tais-toi ” (réflexions sur le rôle du juge dans la cité)", 

RTD civ. 1978, p.503. 

(801) F. GENY, Méthodes d'interprétation et sources en droit privé positif, tome 2, 2ème éd., 1919, précité, 

p.236.

224 

la doctrine aux autres autorités. Aujourd’hui, les termes du débat ont changé : 

le pouvoir normatif de la jurisprudence est reconnu. Effet de balancier sans 

doute : la Cour de cassation est en quête d’un pouvoir doctrinal mais sa 

position d’interprète habilité lui interdit souvent une pleine reconnaissance 

scientifique. "Depuis son Olympe, la Cour de cassation dit le droit, mais elle le 

dit en peu de mots, voire en termes sibyllins et seulement quand les plaideurs 

la saisissent. Pour le reste, c'est l'oracle doctrinal qui parle à sa place en lui 

prêtant, à tort ou à raison, des intentions de constance ou de non constance 

(802) ". En somme, la jurisprudence en recherche d’une légitimité et d’une 

autorité scientifiques croise le chemin de la doctrine en quête d’une 

reconnaissance pour ses contributions effectives aux transformations du droit. 

Si la doctrine contemporaine est face à cet immense obstacle à sa 

reconnaissance, sa propre création, à savoir le pouvoir normatif de la 

jurisprudence et plus globalement la théorie des sources, les auteurs ne se 

contentent pas d’argumenter dans les interstices que leur laissent la loi et la 

jurisprudence. Car au fond, où est l’interstice, où est la solution acquise ? Où 

la forme, où le contenu ? Où le construit, où le donné ? Chacun voit midi à sa 

porte et dénonce l'illusion qui consiste à prendre l'un pour l'autre. Par ses 

contradictions, par la diversité des opinions qui émergent du discours 

doctrinal, les auteurs (comme les voix doctrinales des autorités normatives) 

oeuvrent à une redéfinition permanente de leur position sur le théâtre 

juridique. Située aux confins flous d’un point de vue interne savant et d’un 

point de vue externe, la doctrine modifie donc par sa contribution la 

définition de son propre rôle. Elle modifie aussi les contraintes interprétatives 

que les représentations passées de l’ordre juridique avaient créées. Cela laisse 

apparaître plus encore l’ambiguïté du discours doctrinal qui se présente 

comme descriptif d’un ordre normatif (803) , si bien que, sous couvert de 

description, l’oeuvre de la doctrine manifestant une tension entre interprètes, 

est essentiellement argumentative. "Et qu'il en ait ou non conscience, le juriste 

défend une cause. Décrire pour lui c'est choisir (804) ". 

141. L'argumentation doctrinale - Pour ne pas aborder la question d'une 

éventuelle spécificité de l'argumentation doctrinale, nous nous en tiendrons à 

(802) 

Ph. JESTAZ, "La jurisprudence constante de la Cour de cassation", in L'image doctrinale de la Cour de 

cassation, Paris, La documentation française, 1994, p.216. 

(803) 

R. GUASTINI, "Problèmes épistémologiques du normativisme en tant que théorie de la science juridique", 

Rev. de Métaph. et de Morale 1997, p.551. 

(804) 

M. VILLEY, Leçons d'histoire de la philosophie du droit, Paris, Dalloz, 1962, p.292.

225 

la seule idée que les auteurs, même de façon indéterminée, produisent un 

discours destiné à peser sur l'orientation de l'évolution du droit. Vers une 

société plus juste, plus libérale, plus démocratique, peu importe la 

qualification du but puisque le progrès du droit est un concept à l'image des 

théories juridiques : non finalisé. La détermination de la progression du droit 

dans le temps ne se fait qu'en considération du chemin déjà parcouru : elle 

n'est jamais que rétrospective. Pour progresser axiologiquement, c'est-à-dire 

pour s'améliorer, encore faut-il que le droit se transforme en tant qu'objet 

d'étude et en tant que savoir. Or l'évolution passée a créé des contraintes à 

cette progression qui aujourd'hui sont positives. Quand bien même on aurait 

la conviction que la solution unique n'est qu'une illusion, qu'un arrêt 

d'assemblée plénière peut être une décision de circonstances, l'analyse 

technique d'interprétation de la jurisprudence ou de la loi nous contraint à 

cheminer selon des méthodes qui tiennent certaines idées pour inhérentes au 

droit. La seule façon de transformer les concepts positivement établis est donc, 

comme l'écrit M. le doyen Carbonnier, de réussir à convaincre que la suite est 

déjà dans le précédent (805) . La transformation du droit qui rend positifs des 

désirs parfois contradictoires est le résultat d'une rhétorique de l'adhésion à 

une idée considérée comme seule valablement juridique, rhétorique qui 

conjugue pour la définition de l'avenir les éléments actuels d'un débat. Les 

difficultés pour comprendre le pouvoir de la doctrine tiennent donc à la 

définition de ces éléments qui loin d'être clairement identifiables, mêlent 

souvent l'ambigu au tabou, l'indicible au non-dit, et le mythe à l'esprit de la 

loi (806) . 

142. Paradoxe - Le discours des juristes qui décrivent des phénomènes 

normatifs pour tenter d'en comprendre l'évolution, se double d'un discours 

qui, loin d'être neutre et descriptif, est au contraire prescriptif et argumentatif. 

Ce paradoxe n'en est pas un. Les conflits apparents entre le caractère descriptif 

du discours doctrinal et la volonté des auteurs de peser sur les transformations 

du droit reflètent les tensions entre les exigences d'un point de vue interne 

pratique et la découverte d'un savoir (méta)juridique capable d'expliquer les 

modes de transformation du savoir juridique. Ils reflètent également les 

tensions nées de l'hétérogénéité de la communauté des juristes, une 

hétérogénéité telle que les juristes ne sont jamais parvenus à déterminer 

(805) J. CARBONNIER, "Notes sous des notes d'arrêts", D. 1970, chr., p.138. 

(806) rappr. M. FOUCAULT, L'archéologie du savoir, Paris, Gallimard, nrf, 1969, p.144-145.

226 

l'objet de leurs investigations. C'est une diversité des points de vue qui fait 

coexister une pluralité des méthodes. En fait cette description sous forme 

communautaire (807) plutôt que sous forme d'entité (808) sert une vision réaliste 

de l'ensemble des sujets détenant un savoir sur le droit. Mais qu'y a-t-il de 

commun à l'ensemble des juristes ? Selon Ripert, "la science juridique crée un 

esprit commun à tous les juristes (...) Il faut pour une telle science un esprit 

d’ordre et de modération, un sens concret qui préserve de l’idéologie, un souci 

de la justice qui écarte les passions, une conviction de l’utilité des règles 

existantes, une prévision des maux engendrés par leur violation (809) ". L'étude 

du droit et son enseignement donneraient à celui qui s'y applique une pensée 

ordonnée et le sens de la mesure. Elle ferait de lui un prudent dont les qualités 

exprimeraient la tempérance, la capacité à saisir le concret, la conviction de 

l'utilité des solutions positives et la capacité à prédire. On perçoit dans cette 

manière de comprendre les détenteurs du savoir juridique un fort sentiment 

communautaire comme si la grande vertu de prudence était dévolue aux seuls 

initiés, comme si seul le juriste pouvait précisément découvrir la bonne 

solution. Pour les uns donc, cette capacité acquise par les juristes à découvrir 

ce qui est de droit positif en toute neutralité serait le facteur déterminant de la 

cohésion de leur communauté. Pour les autres, la mission de la doctrine se 

situerait ailleurs : dans un rôle de grincheux impénitent (810) . 

143. Le rôle du grincheux impénitent - Pour M. le professeur Atias, le juriste 

doit se montrer iconoclaste (811) pour se donner les moyens de poursuivre les 

hypothèses examinées dans toutes leurs conséquences, car seule la controverse 

est susceptible d'apporter une amélioration du savoir juridique. Face aux 

autres autorités, le juriste doit trouver les moyens rhétoriques de se distinguer. 

L'enregistrement des décisions, les commentaires approbatifs se contentant de 

paraphraser les arrêts ne peuvent suffire à lui assurer une autorité scientifique. 

"La science du droit ne se contente pas d'observer les produits des sources du 

droit et les faits auxquels ils s'appliquent ; elle examine les normes, les 

pratiques, les réactions sociales et les événements juridiques au travers du 

(807) Voir J. CARBONNIER, Droit et passion du droit…, précité, p.66 et son sous-ensemble des docteurs (p.70). 

(808) PH. JESTAZ et C. JAMIN, "L'entité doctrinale française", D. 1997, chr., p.167 

(809) G. RIPERT, Les forces créatrices du droit, 2ème éd., 1955, p.9 ; adde H. LEVY-BRUHL, qui présente les 

tendances conservatrices des juristes comme des gages de sécurité, "Les sources - les méthodes - les 

instruments de travail", in L. JULLIOT DE LA MORANDIERE, P. ESMEIN et alii, Introduction à l'étude du droit, 

tome 1, précité, p.281. 

(810) D. MAZEAUD, note sous Cass. civ. 3ème, 30 avril 1997, D. 1997, p.478. 

(811) C. ATIAS, "La fin d'un mythe ou la défaillance du juridique", D. 1997, chr., p.44.

227 

miroir des concepts et des régularités (ou “lois scientifiques”) pour construire 

ce qu'elle appelle l'état du droit positif (812) ". Ainsi le juriste doit se montrer 

inventif pour trouver les moyens de décrire des phénomènes nouveaux, quitte 

à affronter des tabous ou à renverser des dogmes, quitte à se faire anarchiste 

de la connaissance (813) . S'appuyant aussi sur les travaux de M. le 

professeur Aubenque, M. le professeur Atias s'emploie à démontrer la valeur 

impérative de la controverse. Le débat doctrinal serait ainsi moins éclairé 

qu'éclairant (814) . En fait, le droit positif ne serait accessible que par le discours 

de la doctrine, lui-même objet d'une épistémologie descriptive. Cela se conçoit 

aisément pour la recherche des solutions passées. Par effet rétrospectif, le 

droit passé est un droit doctrinal, sélectionné par les auteurs pour figurer dans 

des manuels, des traités ou des encyclopédies. Les sources législatives, 

réglementaires ou prétoriennes n'atteignent une autorité historique qu'au 

tamis des ouvrages doctrinaux. Quelles raisons y aurait-il de douter que le 

droit positif n'emprunterait pas sa part aux ouvrages doctrinaux ? Certes, la 

doctrine ne fournit pas de règles positives applicables au moyen d'une 

subsomption conforme à l'article 12 du NCPC, mais elle fournit la matière et 

le contenu des règles qui vont se dégager pour expliquer les changements du 

droit positif. Lorsque, rétrospectivement, on observe l'existence d'une "source 

doctrinale directe" (815) ou la paternité doctrinale d'une solution (816) , c'est bien 

que les auteurs se reconnaissent le pouvoir de franchir la rampe de la Cour de 

cassation pour imposer leurs vues (817) ; c'est bien que l'interprète par voie 

d'argument assoit sa sphère d'influence au-delà de celle a priori et 

formellement réservée à l'interprète authentique. Mais le problème reste 

souvent que la recherche juridique se conçoit toujours plus ou moins comme 

devant déboucher sur la solution future la plus acceptable, celle qui d'une 

manière ou d'une autre s'imposera comme la solution positive. Même lorsque 

les auteurs perçoivent le rôle de la doctrine à travers un examen dialogique de 

thèses opposées, c'est encore pour gagner en certitude de la solution offerte au 

juge. 

(812) 

C. ATIAS, Épistémologie juridique, précité, n°86, p.168. 

(813) 

Loin d'être péjoratif, l'anarchisme épistémologique envers lequel M. le professeur ATIAS a montré 

quelques sympathies est celui du philosophe Paul FEYERABEND cité dans Théorie contre arbitraire, précité, 

n°51, p.216. 

(814) 

P. AUBENQUE, La prudence chez Aristote, Paris, PUF, 1993, p.46. 

(815) 

Ph. REMY, obs. à la RTD civ. 1989, p.107. 

(816) 

D. MAZEAUD, obs. sur Paris, 12 janvier 1996, Defrénois 1996, n°61 p.756 qui attribue à M. le professeur 

AYNES la paternité des nouvelles solutions du 1er décembre 1995 relative à l'indétermination du prix. 

(817) 

comp. A. TOUFFAIT , "Conclusion d'un praticien", précité, p.484.

228 

Selon M. le professeur Zénati, "l'intervention doctrinale s'avère bénéfique 

et génératrice de certitude". La dialectique doctrinale permet de réduire la 

contradiction à deux thèses. "Cette cristallisation a un effet simplificateur ; à 

défaut de permettre à la doctrine d'accéder elle-même à la synthèse, elle 

présente au juge une alternative qui facilite la décision (818) ". L'office de la 

doctrine serait donc de réduire le nombre de solutions possibles et non de 

l'augmenter ; l'idéal serait évidemment qu'elle puisse déterminer la seule 

solution qui s'imposera. Ceci est dû sans doute à une focalisation excessive des 

auteurs sur le rôle normatif de la Cour de cassation. Lorsqu'apparaissent et 

persistent des divergences entre des juridictions du fond ou parmi les 

chambres de la juridiction suprême, et qu'elles subsistent après les 

interventions de l'assemblée plénière, la doctrine s'interroge et présente 

volontiers la jurisprudence comme une source du droit imparfaite voire 

infirme, incapable d'imposer la solution énoncée (819) . Mais le plus souvent, les 

divergences jurisprudentielles sont le reflet de la diversité des opinions qui a 

cours en doctrine, une diversité d'opinions qui est elle-même le reflet de la 

diversité des ordres de valeurs accordées aux solutions possibles. Ainsi, quand 

M. le professeur Zénati prête à la doctrine la vertu de condenser et de 

simplifier les alternatives offertes au choix judiciaire, n'y a-t-il pas là 

l'occultation d'une partie de son pouvoir, celui de passer sous silence les 

solutions et les raisonnements déviant de l'alternative dominante ? Le discours 

doctrinal a autant de force dans ses silences que par ses prescriptions 

explicites, et cela parce qu'il est à la fois un véhicule et un objet. Il est le 

véhicule d'une rhétorique de l'adhésion à des solutions prescrites par l'autorité 

énonciative. Il est aussi son propre objet, son propre enjeu même puisque cette 

rhétorique d'autorité pénètre les sphères plus théoriques et contamine en 

quelque sorte les supposés points de vue externes. 

En résumé, si l'on cherche les réponses possibles, on les trouvera 

vraisemblablement dans l'oeuvre doctrinale, mais gare aux leurres. Ce que l'on 

prend pour des descriptions, ce sont aussi des opinions. Les interprètes par 

voie d'argument jouent de leur position pour créer des contraintes 

interprétatives. Par leurs "jugements de conformité", ils expriment le désir de 

peser sur la transformation de l'ordre positif. 

(818) F. ZENATI, La jurisprudence, précité, p.253 et p.259 ; adde, M. CABRILLAC et C. MOULY, Droit des 

sûretés, Paris, Litec, 4ème éd., 1997, n°168, p.146 : "Dans le silence du contrat, la communauté des juristes 

est parvenue à s'accorder sur deux solutions". 

(819) P. ESMEIN, "La jurisprudence et la loi", RTD civ. 1952, p.17.

CHAPITRE 2 

Les jugements de conformité 

229 

144. La lutte pour la doctrine - Alors que la voix doctrinale de la Cour de 

cassation présente la Haute cour comme l'auteur des arrêts de principe, en 

particulier du fait du style rédactionnel qu'elle lui imprime, la doctrine 

universitaire se pose tout à la fois comme inspiratrice et maîtresse de la 

destinée de ces arrêts. M. Capoulade nous dirait ainsi que "l'arrêt unique ne 

peut prétendre inaugurer une jurisprudence constante que s'il se présente sous 

les aspects d'un arrêt de principe. Il s'impose alors avec une force particulière 

parce qu'il tire son autorité de sa rédaction concise, de sa motivation claire et 

ferme, énonçant sa décision à la manière d'une disposition générale, voire 

même avec solennité (820) " et M. le professeur Zénati ajouterait : "la 

jurisprudence ne doit pas que son existence à la doctrine. Elle lui est aussi 

redevable de son titre. Le pouvoir que détient le docteur est dû à l'écrit. C'est 

la rédaction de la solution qui assure sa conservation et permet sa diffusion. 

C'est parce qu'il est la mémoire du juge qu'il peut condamner à l'oubli 

certaines de ses décisions (821) ". Ce sont deux images bien différentes que les 

interprètes donnent d'eux-mêmes, et c'est sans doute cette diversité des 

représentations du pouvoir de la Cour de cassation et de son vis-à-vis 

doctrinal qui illustre le mieux la lutte que se livrent les voix doctrinales des 

institutions et la doctrine universitaire, pour le contrôle des énoncés 

normatifs. Pour rendre compte de ce “ combat pour la doctrine (822) ” que se 

livrent les différents interprètes du droit et dont le but est la maîtrise et le 

contrôle du contenu des règles, on utilisera la distinction classique entre 

(820) P. CAPOULADE, "La jurisprudence constante de la Cour de cassation", in L'image doctrinale de la Cour de 

cassation, Paris, la documentation française, 1994, p.220-221. 

(821) F. ZENATI, La jurisprudence, précité, p.251. 

(822) F. GENY, Méthode d'interprétation et sources en droit privé positif, tome 2, 2ème éd., 1919, précité, p.235 

s., n°188 s. ; rappr. A. PERDRIAU, "La portée doctrinale des arrêts civils de la cour de cassation", JCP 

1990.I.3468.

230 

l'interprétation authentique (SECTION 1) et l'interprétation scientifique par 

voie d'argument (SECTION 2). 

Section 1 

L'interprétation authentique 

145. Le contrôle des solutions - À qui est dévolu le rôle de contrôler les 

solutions ? Sans doute l'article 604 du Nouveau code de procédure civile laisset-il 

penser que c'est une tâche qui incombe à la Cour de cassation chargée de 

censurer la non-conformité des jugements aux règles de droit. Mais qui 

contrôle la conformité des décisions de la Haute juridiction à l'ordre 

juridique ? Posée en termes de conformité à un ordre supérieur immanent, à 

une chaîne narrative, à une tradition ou à une norme fondamentale, cette 

interrogation invite à réfléchir sur la continuité du droit. La réponse donnée 

est évidemment fonction d'une orientation philosophique et, positivement, 

d'une théorie dominante. La diversité des approches suscite donc la diversité 

des gardiens de la jurisprudence, mais pour nombre d'auteurs, la doctrine 

trouve sa légitimité dans son activité de sentinelle des juges et de la Cour de 

cassation : "accomplissant sa mission, elle est un incomparable rempart contre 

l’arbitraire. L’appréciation du droit positif est dévolu sans partage à la 

doctrine, sans nul carcan. Pour elle, aucune règle, aucune théorie, n’a de vertu 

en soi : son champ de discernement est infini. La réflexion n’est pas là pour 

approuver les lieux communs ou confirmer les évidences, mais, au contraire, 

en prenant de la hauteur, les regarder d’un oeil neutre, en recherchant leurs 

qualités et défauts par rapport au bien commun et aux seuls combats qui 

vaillent, celui de l’homme (823) ". De leur côté, les juges cheminent dans le 

dédale des lois et des règlements, dans les méandres des précédents judiciaires 

et dans l'insondable perplexité que provoquent parfois les prétentions des 

parties. Ils sont, en général, heureux de trouver un guide dans le labyrinthe 

des normes. 

146. Ariane - À la recherche de la solution sûre, M. le président Drai expliquait 

que le bonheur du juge était complet lorsqu'il pouvait atteindre et tenir ce fil 

(823) PH. LE TOURNEAU, "La plume professorale est libre", D. 1995, chr., p.273.

231 

conducteur, gage de la sécurité et de la prévisibilité de sa démarche (824) . La 

métaphore du fil d'Ariane ou celle de la chaîne narrative d'Hercule peuvent 

être conçues de deux manières, mais toutes deux font du jugement de 

conformité un examen de la continuité des solutions. Pour la première, la 

solution est à rechercher et le fil conducteur est à découvrir. La métaphore n'a 

alors qu'une propriété heuristique. Le juge produit une solution qu'il ramène à 

une cohérence présupposée par un discours de motivation. La continuité du 

droit pèse comme une contrainte interprétative sans priver le juge de son libre 

arbitraire. Pour la deuxième, le fil ou la chaîne existent. Ils ne pèsent pas sur la 

recherche de la solution comme des contraintes interprétatives, mais sont 

perçus comme les buts supposés réels de cette recherche ; la décision rendue 

qui s'écartera de cette ligne sera censurée par la Cour de cassation saisie à bon 

escient, mais si la décision émane de la Haute juridiction elle-même, elle sera 

condamnée pour hérésie, disqualifiée comme non-juridique par la doctrine. 

Le Code de l'organisation judiciaire consacre en droit français positif la 

distinction entre les cas faciles (825) et les cas difficiles. Devant la Cour de 

cassation, les premiers appellent des solutions qui s'imposent (826) ; les seconds 

posent des questions de principe (827) . L'organisation du traitement des 

pourvois et des questions juridiques appelle, ne serait-ce que parce qu'il fait 

résonner le débat philosophique sur le pouvoir discrétionnaire des juges dans 

les cas difficiles, une réflexion sur la façon dont la juridiction suprême entend 

jouer son rôle de source du droit c'est-à-dire d'interprète autorisé. Il faut 

distinguer pour cela les cas faciles (PARAGRAPHE 1) des cas difficiles 

(PARAGRAPHE 2), en gardant à l'esprit que la qualification de “ cas facile ” porte 

en elle l'éviction (arbitraire ?) de la question. 

PARAGRAPHE 1. LE CONTROLE DU CAS FACILE. 

(824) P. DRAI, "La Cour de cassation face à la doctrine : trois opinions", Droits-20, p.108-109 : "L'auteur du 

présent propos, juge depuis plus de quatre décennies, se souvient - non sans une certaine émotion - de sa quête 

fiévreuse, au fil des espèces qui lui étaient soumises, du moindre signe de la Cour de cassation pouvant lui 

révéler une certaine “doctrine”, au-delà d'une vaine et épuisante casuistique. Et le bonheur de ce juge était 

complet lorsqu'au travers des commentaires, même critiques, des maîtres de l'Université, il pouvait atteindre et 

tenir ce fil conducteur, gage de la sécurité et de la prévisibilité de sa démarche. Parvenu au sommet et... au 

terme de sa carrière professionnelle, mais toujours convaincu que, pour accomplir l'art du juste et du bien, il 

lui faut, encore et toujours avoir des idées... et les mettre en oeuvre, ne jamais jouer comme d'habitude, mais 

toujours désapprendre et recommencer (suivant le conseil de Toscanini donné à ses élèves), (…) Il en tire une 

grande et légitime fierté". 

(825) Le vocable "cas facile" n'est jamais usité mais la doctrine parle "d'affaires simples". v. G. GUIDICELLI- 

DELAGE, Institutions judiciaires et juridictionnelles, Paris, PUF, 2ème éd., 1993, n°230, p.301. 

(826) Art. L.131-6 C.O.J. 

(827) Art. L.131-2 C.O.J.

232 

147. Sursaturation - Devant la "sursaturation" de la Cour de cassation (828) , le 

législateur contemporain est intervenu à trois reprises pour réformer la 

procédure de sélection des affaires soumises à examen devant l'une des 

chambres de la Haute juridiction. La loi du 3 janvier 1979 a tout d'abord adjoint 

à chaque chambre une formation restreinte de trois magistrats chargée de 

"rejeter les pourvois irrecevables ou manifestement infondés". Mais peu 

satisfaite de ce système lourd et incertain (829) , la voix doctrinale de la Cour de 

cassation critiquait les effets pervers de cette institution impliquant un double 

examen des pourvois dans un grand nombre de cas (830) , et aboutissant de fait à 

ouvrir une section Requêtes à l'intérieur de chaque chambre (831) . La loi du 6 

août 1981 réforma la loi critiquée. Le nouvel article L. 131-6 al. 2 du Code de 

l'organisation judiciaire innovait en permettant à la formation restreinte non 

seulement de rejeter les pourvois, mais aussi de casser les arrêts dès lors que le 

cas avait été renvoyé devant elle. "Lorsque la solution lui paraît s'imposer, le 

premier président ou le président de la chambre concernée peut faire juger 

l'affaire par une formation restreinte" qui "peut renvoyer l'examen du pourvoi 

à l'audience de la chambre, à la demande de l'une des parties ; le renvoi est de 

droit si l'un des magistrats composant la formation le demande". Cette réforme 

très tôt considérée comme un expédient (832) s'avéra insuffisante pour assurer 

efficacement le désengorgement croissant de la Cour. Les projets de nouvelle 

réforme n'aboutirent pas (833) jusqu'à la récente loi du 23 avril 1997 (834) . L'article 

L. 131-6 du Code de l'organisation judiciaire dispose désormais : "Après le dépôt 

des mémoires, les affaires soumises à une chambre civile sont examinées par 

une formation de trois magistrats appartenant à la chambre à laquelle elles ont 

été distribuées. 

(828) 

P. BELLET, "Grandeur et servitudes de la Cour de cassation", RID comp. 1980, p.293. 

(829) 

P. HEBRAUD, "“Aggiornamento” de la Cour de cassation", D. 1979, chr., p.205 ; R. LINDON, "De certaines 

récentes modifications de la procédure devant la Cour de cassation", JCP 1980.I.2967. 

(830) 

J. BORE, "Réflexion sur la sélection des affaires devant la Cour de cassation", D. 1979, chr., p.247. 

(831) 

G. CORNU et J. FOYER, Procédure civile, 3ème éd., 1996, précité, p.245. 

(832) 

R. LINDON, "La loi du 6 août 1981 sera-t-elle la dernière loi modifiant la procédure devant la Cour de 

cassation ?", JCP 1981.I.3051, n°12 

(833) 

G. CORNU ET J. FOYER, Procédure civile, 3ème éd., 1996, précité, p.245. En 1994, "un projet de loi 

(Sénat, n°418, 1993-1994) prévoyait la création au sein de chaque chambre d'une formation d'admission, 

composée de trois magistrats, qui eût examiné toutes les affaires distribuées à la chambre, avec le pouvoir de 

refuser l'admission des pourvois manifestement irrecevables ou ne présentant aucun moyen de cassation 

sérieux". 

(834) 

Loi n°97-395 du 23 avril 1997 relative à l'examen des pourvois devant la Cour de cassation, J0 RF, 25 

avril 1997, p.6268.

233 

Cette formation statue lorsque la solution du pourvoi s'impose. Dans le cas 

contraire, elle renvoie l'examen du pourvoi à l'audience de la chambre. 

Toutefois, le premier président ou le président de chambre concernée, ou 

leurs délégués, d'office ou à la demande du procureur général ou de l'une des 

parties peuvent renvoyer directement une affaire à l'audience de la chambre 

par décision non motivée. 

Lorsque la solution d'une affaire soumise à la chambre criminelle lui paraît 

s'imposer, le premier président ou le président de la chambre criminelle peut 

décider de faire juger l'affaire par une formation de trois magistrats. Cette 

formation peut renvoyer l'examen de l'affaire à l'audience de la chambre, à la 

demande de l'une des parties ; le renvoi est de droit si l'un des magistrats 

composant la formation le demande". 

Cette loi vient de conférer aux formations restreintes des moyens censés 

permettre l'évacuation des pourvois pour lesquels une réponse s'impose sans 

conteste. Le texte, entérinant une pratique, réforme la totalité de la sélection 

des affaires puisqu'il supprime les termes de “formation restreinte”. Chaque 

chambre est désormais dotée d'une structure ordinaire de trois magistrats qui 

statue lorsque la solution du pourvoi s'impose et renvoie l'examen à l'audience 

de la chambre dans le cas contraire (835) . En termes clairs, le législateur, sous 

l'impulsion des magistrats de la Haute cour, a fait sienne la distinction entre 

les cas facile et difficile. "Il s'agit en pratique, d'étendre les attributions de 

l'ancienne formation restreinte au sein de chacune des chambres de la Cour de 

cassation pour permettre un traitement rapide des affaires simples et favoriser 

l'approfondissement des dossiers les plus complexes (836) ". 

148. La définition du cas facile - Le trait caractéristique du cas facile est qu'il se 

définit positivement par sa solution, soit qu'elle s'impose, soit qu'elle paraisse 

s'imposer. Les travaux parlementaires mettent au jour la différence de nuance 

entre les deux expressions. “La solution lui paraît s'imposer” fut remplacée au 

cours du débat par “la solution s'impose”. L'amendement proposé par la 

commission des lois du Sénat et adopté, visait non seulement à distinguer les 

affaires civiles des affaires pénales qui restent soumises au précédent système 

mais, surtout, à dissocier la fonction d'orientation de la fonction de jugement. 

Dans cet esprit, le pouvoir de juger - rejeter ou casser - supposait que soit 

assuré un certain équilibre entre la rapidité de la prise de décision et le degré 

(835) L. CADIET, Droit judiciaire privé, Paris, Litec, 2ème éd., 1998, n°272, p.127. 

(836) J. TOUBON, garde des sceaux, Ministre de la justice, JO Sénat, Séance du 16 janvier 1997, p.113.

234 

de complexité du cas. Juger rapidement n'est pas - dit-on - préjuger, de sorte 

que le cas ne sera facile que s'il reçoit une réponse évidente (837) ; or les termes 

"lorsque la solution paraît s'imposer" laissaient croire que la Cour de cassation 

pouvait "statuer sur le fondement d'une simple apparence (838) " ou pire, "d'une 

évidence douteuse (839) ". 

149. Les critères du cas facile - Le cas facile se conçoit de deux hypothèses soit 

par sa réponse évidente (840) , soit par sa réponse certaine, toutes deux 

conformes à la jurisprudence (841) . On perçoit ici la teneur dogmatique du 

débat. La solution, c'est-à-dire l'interprétation judiciaire, est considérée 

comme le seul élément décisif du champ argumentatif. La pertinence des 

moyens n'est pas à déterminer, la présence d'une jurisprudence constante 

permet d'en éluder l'examen. M. le doyen Perdriau considère ainsi le cas facile 

et les critères de compétence des formations restreintes. "S'il est conforme à la 

lettre de la loi qu'une formation restreinte juge les pourvois dont la solution 

paraît s'imposer, il est conforme à son esprit qu'elle juge en outre d'autres 

pourvois dont la solution peut ne pas s'imposer, mais n'engage ou n'entame en 

aucune façon la doctrine de la Cour. (…) Ainsi les affaires qui n'appellent 

qu'un contrôle de la motivation, quelle que soit la difficulté de celui-ci, 

doivent, selon nous, s'ajouter à celles qui appellent un contrôle normatif mais 

dont l'issue est certaine parce qu'elle est commandée par la simple application 

à l'espèce d'une jurisprudence constante (842) ". L'image que la Cour de cassation 

propose d'elle-même a besoin de cette distinction entre les arrêts de peu 

d'importance qui, quelle que soit leur réponse, n'affecteront pas sa doctrine, et 

ceux qui mettent en jeu l'unité de sa jurisprudence (843) . Aux formations 

restreintes le soin de juger selon la jurisprudence constante (844) , aux 

(837) 

J. TOUBON, ibidem, p.113 : "Cette formation examinera les moyens des parties pour déterminer si la 

solution s'impose d'évidence". 

(838) 

Ch. JOLIBOIS, rapporteur de la commission des lois, JO Sénat, Séance du 16 janvier 1997, p.113. 

(839) 

B. PETIT, "L'évidence", RTD civ. 1986, p.491. 

(840) 

v. P. CAPOULADE, "La Cour de cassation et la copropriété : synthèse de jurisprudence", AJDI 1998, p.495 

: "En écho à certaines thèses doctrinales, la Cour de cassation rejette, en formation restreinte et par une 

formule abrégée (ce qui témoigne de l'évidence de sa solution), le pourvoi contre un arrêt …" [c'est nous qui 

soulignons]. 

(841) 

J. BORE, "La loi du 6 août 1981 et la réforme de la Cour de cassation", D. 1981, chr., p.301, n°11 : "La 

simplicité de l'affaire s'apprécie d'après l'évidence de sa solution (…) Devant une cour régulatrice, dont le 

premier devoir est d'avoir une jurisprudence stable permettant la prévision des rapports juridiques, il est 

naturel que la notion de jurisprudence constante joue un rôle dans la sélection des affaires et que l'on réserve 

aux formations les plus nombreuses l'examen des pourvois offrant un intérêt jurisprudentiel". 

(842) 

A. PERDRIAU, "Les formations restreintes de la Cour de cassation", JCP 1994.I.3768, n°82 et 83. 

(843) 

J. BORE, "La Cour de cassation de l'an 2000", D. 1995, chr., p.141 

(844) 

J. BORE, "La Cour de cassation de l'an 2000", précité, p.139

235 

formations plénières le pouvoir créateur. Il y a de ce point de vue une claire 

dissonance entre la voie doctrinale de la Cour de cassation et la doctrine 

universitaire, non point sur les buts mais sur les moyens d'assurer l'unité de la 

jurisprudence. "L'unification de la jurisprudence ne peut être le résultat d'un 

débat rapide et tronqué, au risque de n'être qu'une unification provisoire et 

illusoire. Accélérer l'unification de la jurisprudence de la Cour de cassation, 

c'est prendre le risque d'une multiplication de revirements de 

jurisprudence" (845) . La raison d'être des chambres restreintes est en quelque 

sorte soumise à une double tension. Pour désengorger la Cour de cassation, il 

faut permettre un traitement rapide de certaines affaires. De la même 

manière, la rédaction des arrêts pourra-t-elle se satisfaire de formules 

elliptiques et évasives dont la concision rivalisera en maigreur avec leur 

contenu ? En somme, si l'éviction du contentieux de masse en est le but avoué, 

peut-il être atteint aux dépens de l'unité de la jurisprudence, de sa maturité et 

de sa constance ? La question est posée. Elle est bien sûr biaisée puisque son 

véritable enjeu est le contrôle du contenu normatif des solutions par les 

autorités doctrinales. 

150. Éluder le contentieux de masse - Le débat parlementaire discutant la loi 

du 23 avril 1997 a rappelé que depuis deux siècles, les effectifs de la Haute 

juridiction avaient été multipliés par quatre, et que le nombre des affaires à 

traiter annuellement avait été, lui, multiplié par soixante. Cet engorgement 

chronique de la Cour de cassation a plusieurs causes. On regrette toujours 

l'absence de moyens alloués, on dénonce le manque de qualité des lois (846) , on 

honnit plus encore l'existence d'un contentieux dénommé “disciplinaire” (847) . 

Ainsi, alors que la Cour de cassation s'est vue recevoir du législateur la triple 

mission de contrôler l'uniformité de l'application de la loi, d'assurer le respect 

de l'obligation de motiver et d'exercer son contrôle normatif sur 

l'interprétation des lois, elle ploie aujourd'hui sous le nombre des pourvois 

parasites. Son travail en est affecté. "Le refus d'opérer un tri a pour 

conséquence que la Cour de cassation, au lieu de définir des concepts, statue 

“coup par coup” compte tenu de la situation de fait, ce qui aboutit à de 

nombreuses décisions sur une même question avec d'infinies variations (848) ". À 

(845) 

M. JEANTIN, "Réformer la Cour de cassation", Mélanges P. Hébraud, 1981, p.469. 

(846) 

I. CORPART, "L'encombrement croissant de la Cour de cassation", Les petites affiches, 6 février 1995, 

n°16, p.4. 

(847) 

v. E. SERVERIN, De la jurisprudence en droit privé, précité, p.248-267. 

(848) 

J. BEL, "La plume d'oie", D. 1995, chr., p.59.

236 

terme, cet encombrement rendra la Cour de cassation tributaire du cas 

d'espèce et la fera juge du fait. Sa "mission essentielle, celle de veiller à la 

bonne application de la loi par les juges et d'assurer l'unité de son 

interprétation (849) ", sera dévoyée. Alors qu'elle a vocation à ne rendre que des 

arrêts de principe, la voilà aujourd'hui, occupée à la rédaction fastidieuse 

d'arrêts sans intérêt pour la "jurisprudence". Le recours aux formations 

restreintes ou à une institution de traitement rapide des cas faciles ne relevant 

pas ou plus de sa vocation, est présenté par sa voix doctrinale comme un 

impératif (850) . Le temps passé à rendre ces arrêts “disciplinaires”, à faire 

application d'une jurisprudence constante, à rejeter ces mauvais pourvois 

manifestement infondés (851) , est du temps perdu pour la réflexion sur les cas 

difficiles. Non seulement la Cour ne doit pas être encombrée mais ses auteurs 

plaident pour qu'elle n'embarrasse pas ces arrêts de subtiles motivations. Les 

arrêts “brévissimes” dans les cas faciles sont présentés comme salvateurs. 

151. Une solution brévissime - Devant l'abondance des pourvois formés par les 

justiciables qui feignent d'ignorer que la Cour de cassation n'est pas juge du 

fait (852) , les auteurs autorisés invitent aujourd'hui la pratique et l'ensemble des 

observateurs à se satisfaire de motivations “brévissimes”. Ces réponses données 

à des questions sans intérêt doctrinal sont révélatrices de la façon dont la Cour 

de cassation entend jouer son rôle d'interprète suprême. Lorsque, pour toute 

réponse, les arrêts énoncent après un rappel des faits et la présentation de la 

thèse du pourvoi, que le jugement n'encourt pas les griefs du moyen (853) et 

répètent cette formule magique comme un refrain, on peut se souvenir des 

exhortations de MM. Touffait et Tunc plaidant pour une motivation plus 

détaillée des réponses données. "La Cour de cassation procède par voie 

d’affirmation. Le souci de la sécurité juridique, à laquelle elle attache 

légitimement une très grande importance la conduit à reprendre les mêmes 

principes dans les mêmes termes, quelles que soient les discussions qu’ils ont 

(849) 

P. DRAI, "Pour la Cour de cassation", JCP 1989.I.3374. 

(850) 

Pour libérer la Cour de cassation des pourvois qui, provenant de juridictions statuant en premier et dernier 

ressort, mêlent fait et droit, certains proposent de décentraliser le pouvoir de cassation en attribuant une partie 

de ce pouvoir aux cours d'appel. Le rôle unificateur resterait à la Cour de cassation par l'intermédiaire du 

pourvoi dans l'intérêt de la loi. v. P. TRUCHE, "Discours prononcé lors de l'audience solennelle de début 

d'année 1997", Rapport de la Cour de cassation 1996, Paris, La documentation française, 1997, p.41. 

(851) 

A. PERDRIAU, "Les formations restreintes de la Cour de cassation", JCP 1994.I.3768, n°75. 

(852) 

A. PERDRIAU, "Pour une rédaction plus homogène des arrêts de la Cour de cassation", Gaz. pal. 19 et 20 

juillet 1995, p.2. 

(853) 

par exemple Cass. soc., 22 novembre 1995, pourvoi n°92-43.785 lexilaser.

237 

pu susciter. Tout se passe donc comme si la Cour se considérait comme 

infaillible. On peut discuter la portée du dogme, non son existence. De là 

résulte un certain immobilisme, une constance excessive, une “force d’inertie” 

- certains ont dit : une certaine sclérose (854) ". Le remède est pour les uns le mal 

que dénoncent les autres. Pour les uns le cas facile se résout facilement, 

objectivement, puisque indépendamment de l'arbitraire du juge, la solution 

s'impose infailliblement. En suivant les préceptes de M. le doyen Perdriau, on 

pourrait ainsi éliminer par quelques formules sibyllines les pourvois formés 

contre les décisions des Cours d'appel s'étant conformées aux arrêts de 

principe rendus en matière de paiement de l'indu ou d'indétermination du 

prix. La brièveté de la motivation aurait pour vertu la certitude des solutions. 

Pour les autres, concevoir le débat juridique en termes de questions / réponses 

élude la part créatrice des juges dans la répétition des mêmes solutions. Cela 

les amène à s'interroger sur la diversité des approches du raisonnement 

judiciaire et la validité de la subsomption comme mode idéal de résolution des 

cas faciles. "La science du droit n'a pas la rigueur de la science mathématique, 

et il est naturel que des recherches indépendantes aboutissent à des résultats 

différents ; un parfait monolithisme serait un indice certain de sclérose 

intellectuelle (855) ". Il y a lieu par conséquent de s'interroger sur des cas 

supposés faciles, subsumant des interprétations évidentes. On aurait tort de 

tous les juger hâtivement. Au reste, l’insistance avec laquelle la voix doctrinale 

de la Cour de cassation rappelle que la mission de la Haute juridiction est de 

veiller à l’unité du droit positif est porteuse d’une difficulté connexe. Les 

plaidoyers en faveur d’un désengorgement de la Cour par des méthodes 

expéditives, invitant les plaideurs à plus de retenue, utilisent de manière 

intelligemment anachronique le rôle confié à la Cour de cassation par Portalis 

et son pouvoir normatif actuel. En effet, au début du XIXème siècle, la Haute 

juridiction est encore considérée comme un interprète par voie d’argument, 

alors qu’aujourd’hui cet emploi est concurrent de celui d’interprète autorisé. 

Ainsi, en décidant qu’une affaire est simple voire simplissime, elle opère un 

classement entre les cas qui méritent une certaine attention et ceux qui n’en 

réclameraient pas. On a le sentiment que le pouvoir discrétionnaire de la Cour 

de cassation est de cet ordre : dans sa capacité à imposer que le cas est facile, 

(854) A. TOUFFAIT et A. TUNC, "Pour une motivation plus explicite des décisions de justice notamment de 

celles de la Cour de cassation", RTD civ. 1974, p.497. 

(855) G. ROUHETTE, Contribution à l’étude critique de la notion de contrat, Thèse Paris 1965, p. 50 cité par 

E. SAVAUX, La théorie générale du contrat, mythe ou réalité ?, précité, p.342 note 9.

238 

sans autre examen que la recherche de la constance ou la découverte d’une 

évidence. 

152. Sans préjugé ? - Le problème est bien là. Lorsque la voix doctrinale de la 

Cour de cassation invite au respect le plus scrupuleux des décisions de ses 

chambres les plus hautes dans un but de sécurité juridique, c'est au motif que, 

quoi qu'il advienne, ce non-respect ne donnera pas lieu à débat. La violation 

d'une solution acquise par un juge inférieur justifiera "l'attribution à une 

formation restreinte du jugement d'un pourvoi qui viendrait à poser la 

question réglée". L'idée est évidemment qu'en considération de la sécurité 

juridique, toute résistance est inutile. Pour M. le doyen Perdriau, "dans cet 

esprit, la solution juridique donnée par une assemblée plénière, 

particulièrement si elle est adoptée dans une cassation sans renvoi, doit être 

considérée comme relevant d'une “jurisprudence établie”, au moins 

équivalente à une “jurisprudence constante”, sans avoir besoin d'avoir été 

reprise ou répétée. Il en va non seulement de la sécurité à laquelle ont droit 

les justiciables, mais de leur intérêt même. En effet, il ne servirait à rien, de la 

part des juridictions du fond, d'opposer des résistances ou des réticences qui 

ne feraient que retarder l'achèvement des litiges en raison du jeu des pourvois 

et de leur prévisible aboutissement (…) (856) ". Il apparaît clairement que si le 

pouvoir normatif crée les règles, c'est un pouvoir d'un autre ordre qui crée et 

applique les principes permettant de dire si la question est réglée ou non. C'est 

un pouvoir d'ordre doctrinal - non-authentique -; or c'est le second qui donne 

force et portée au premier. Lorsque l'on s'accorde en doctrine pour dire 

qu'une question est réglée, qu'une question ne se pose pas ou plus, ou 

simplement pour rappeler comment le législateur a mis un terme à une 

controverse, ce constat a pour effet d'écarter a priori toute discussion sur la 

pertinence de la question posée : d'avance, elle n'en a pas. Pour aller plus vite, 

on renonce donc à vérifier que la solution appliquée mérite un examen en 

termes d'opportunité politique, de justice ou de cohérence pour justifier son 

application par des raisons de seule autorité. Mais il est sans doute des affaires 

que l'on range vite parmi les affaires simples pour éviter de discuter le 

fondement de leur solution prétendument évidente. Car enfin, s'il est un 

pouvoir qui est absolument discrétionnaire politiquement, c'est bien celui de 

taire les opinions dissidentes, les raisonnements différents et surtout les 

(856) A. PERDRIAU, "La chambre mixte et l'assemblée plénière de la Cour de cassation", JCP 1994.I.3798, 

n°82, note 53.

239 

argumentations qui viennent ébranler les solutions acquises. Ce pouvoir, aux 

mains de l'interprète, se traduit, a priori, par l'étouffement de la controverse 

dans les cas faciles et, a posteriori, par l'utilisation d'un artifice de 

rationalisation lorsque la question a fini par émerger. La question devenue 

délicate s'écarte alors des chemins balisés par les raisons d'autorité pour 

devenir une question de principe. 

PARAGRAPHE 2. LE TRAITEMENT DU CAS DIFFICILE 

153. La réponse aux questions de principe - Contrairement au cas facile, le cas 

difficile ne se définit pas par sa solution mais plutôt par les conséquences 

théoriques et pratiques que ses solutions possibles pourraient avoir. Aussi les 

cas difficiles impliquent-ils de raisonner en cohérence de façon à appréhender 

la difficulté intrinsèque du cas, sans méconnaître la série d’autres questions 

qui surgissent à son examen et dont elle est génératrice. La révélation ou la 

qualification de cas difficiles agit comme l’épicentre d’un bouleversement 

dont la doctrine et la Cour de cassation se doivent de maîtriser les 

conséquences sur l’ensemble du système et des autres solutions. Les arrêts 

révolutionnaires (857) et les revirements spectaculaires (858) produisent ainsi des 

ondes de choc qui soit favorisent la multiplication des contentieux et 

augmentent un peu plus la difficulté des questions (dans cette mesure, c'est 

l’incohérence de la solution qui sera relevée), soit permettent la remise en 

ordre de la matière considérée. 

Ce qui distingue véritablement le cas facile du cas difficile est bien que le 

cas facile ne rayonne pas au-delà de la question qu’il pose et que la solution 

prescrite pour le résoudre n’est pas susceptible de discussion au-delà de 

l’hypothèse visée. Le cas difficile se conçoit quant à lui par une approche plus 

globale qui oblige la doctrine - ou le cas échéant la voix doctrinale de la Cour 

de cassation (859) - à raisonner à l’aide de principes capables de rendre compte 

et de traiter de manière plus théorique la pathologie de cette partie de l’ordre 

juridique. En effet, pour que la solution du cas difficile soit sûre, il faut que la 

(857) F. CHABAS note sous Cass. civ. 2ème, 25 janv. 1995, Gaz. pal. 18-20 juin 1995, p.28. Pour l'auteur du 

commentaire, par cet arrêt révolutionnaire, la deuxième chambre civile "reconstruit toute une aile de l'édifice - 

à vrai dire bien composite - de la notion d'implication". 

(858) J. GHESTIN note sous cass. civ. 1ère, 29 novembre 1994, JCP 1995.II.22371. 

(859) A. PERDRIAU, "La portée doctrinale des arrêts civils de la cour de cassation", JCP 1990.I.3468.

240 

règle qu’elle énonce soit susceptible de résoudre facilement des problèmes 

connexes. En un sens, la solution sûre d’un cas difficile sera celle qui 

permettra la mutation du cas difficile en cas facile. 

154. Détermination du cas difficile - Alors que le cas facile se reconnaît à 

l'évidence de sa réponse, le cas difficile naît d'une sorte d'incapacité de la 

doctrine ou de la jurisprudence à déterminer rapidement et unanimement la 

bonne réponse. Il en appelle alors à des principes supérieurs puisque les règles 

a priori immédiatement applicables s'avèrent douées d'inadéquation. Ce que 

l'on souhaite, c'est de rendre facile un cas difficile et pour cela, il faut 

s'interroger sur le futur pour le maîtriser. Le regard rétrospectif porté sur les 

précédents n'est pas suffisant pour concevoir la chaîne narrative du droit 

comme une image parfaitement opératoire en droit privé français : les 

jurislateurs français préfèrent souvent commencer un nouveau chapitre plutôt 

que de continuer celui de leur prédécesseur. La continuité du droit français ne 

s'établit donc pas a priori mais plus certainement de manière improvisée voire 

anarchique (dans le sens d'un établissement discontinu et discret de la 

connaissance), mais la force de la description rétrospective donne à l'ensemble 

sa continuité. Les éclipses et les renaissances des concepts en droit civil sont 

l'illustration de cette attitude de la doctrine, cherchant dans le passé la 

justification de son savoir et tournée vers l'avenir pour l'utilisation de ce 

qu'elle y a découvert (860) . 

155. Les principes en question - L'opinion de MM. Touffait et Tunc est 

partagée par un grand nombre d'auteurs : ils conçoivent l'obligation de 

motiver en détail les décisions de justice comme le moyen d'unir les efforts de 

la jurisprudence et de la doctrine pour clarifier le droit et le faire progresser. 

En respectant la mesure nécessaire en toute chose, sans excès de verbiage, en 

conservant une indispensable concision mais non une concision maximale, la 

Cour de cassation pourrait élucider certaines questions sans les éluder. Ce 

débat sur une motivation détaillée ou une brevitas imperatoria traduit l'état 

d'un rapport de force entre doctrine et jurisprudence. L'enjeu dépasse le cadre 

de l'acte décisionnel. Sur qui pèserait le renforcement de la contrainte 

(860) J. LEAUTE, Les éclipses et les renaissances d'institutions en droit civil français, Thèse Paris, 1946 ; et par 

exemple Ph. CONTE, note sous Cass. civ. 2ème, 23 mars 1994, JCP 1994, II, 22292 à propos de la résurrection 

de l'effet perturbateur : "On voit ainsi renaître aussitôt de leurs cendres certaines des distinctions que l’arrêt 

paraissait avoir légué à l’histoire".

241 

argumentative ? On est tenté de répondre que le juge aura une plus lourde 

charge pour justifier la solution qu'il donnera, et qu'il s'engagera, du coup, 

dans une recherche de la bonne réponse et de la bonne raison de décider. Cela 

permettra de réduire voire d'anéantir son pouvoir arbitraire, subjectif et 

politique - si tant est qu'il le soit - pour le plus grand bien de tous. La 

motivation plus explicite serait "une garantie contre toute manifestation 

d'hérésie" sans être un frein au progrès collectif (861) . Au regard de la sécurité 

juridique, cela permettrait de révéler si le juge a bien fait le tour du problème 

avant de prendre sa décision. Cette décision mieux expliquée, plus 

pédagogique et moins ésotérique, sera à même de convaincre les justiciables 

de la qualité de la solution adoptée et de la pertinence des principes qu'elle 

emploie. 

Pourtant, la difficulté intrinsèque du cas se double d'une discussion sur le 

contrôle que la Cour de cassation entend affirmer et exercer sur les pratiques 

des juridictions du fond. C'est là que l'on perçoit le mieux l'ambiguïté de la 

distinction cas facile / cas difficile positivement consacrée. Lorsque la Cour de 

cassation affirme son pouvoir de contrôle du trouble manifestement illicite 

par exemple (862) , elle se proclame seule gouverneur des règles de 

détermination de l'évidence juridique. L'arrêt d'assemblée plénière du 28 juin 

1996 a montré combien le cas facile pouvait devenir délicat et comment ce qui 

était évident pouvait contenir une “question de principe”; il illustre la manière 

dont la Cour de cassation dispose de son pouvoir normatif à travers 

l'habilitation qu'elle donne aux juridictions inférieures. Partant du lieu 

commun que le risque d'arbitraire doit être réduit au minimum, l'autonomie 

normative des juridictions inférieures est laissée à ce qui ne ressort que du 

fait (863) . L'existence du trouble est souverainement appréciée par les juges du 

fond ; son illicéité manifeste est, elle, du ressort de la Cour de cassation. Il faut 

comprendre que les mêmes questions se posent à chaque étage de la hiérarchie 

judiciaire, devant les juges du contentieux sérieux ou ceux des réponses 

rapides et, à tous ces niveaux, on peut observer que les questions liées à la 

distinction des cas faciles et des cas difficiles, (c'est-à-dire les questions de 

(861) A. TOUFFAIT et A. TUNC, "Pour une motivation plus explicite des décisions de justice notamment de 

celles de la Cour de cassation", RTD civ. 1974, p.508 ; contra, A. BRETON, "L'arrêt de la Cour de cassation", 

Ann. Faculté de droit de Toulouse 1975, XXIII, p.26. 

(862) Cass. ass. plén., 28 juin 1996, D. 1996, p.497, concl. WEBER, note COULON ; JCP 1996.II.22712, note 

MEMETEAU ; RTD civ. 1997, p.216, obs. NORMAND ; Procédures 1996, n°334, note PERROT ; Rev. dr. imm. 

1996, p.536, obs. critiques BERGEL. 

(863) M. BRUSCHI, "Dépossession manifestement illicite : le “ référé possessoire ” devant la Cour d'appel d'Aix- 

en-Provence", Bull. Aix 1997/1, p.131.

242 

délimitation du pouvoir souverain des juges du fond), celles sur la distinction 

du fait et du droit, (c'est-à-dire finalement, celles qui témoignent d'une 

interrogation sur le pouvoir de l'interprète), toutes ces questions sont des 

questions de principe. Et l'on pourrait revenir sur le contrôle des clauses 

abusives ou sur celui de la séparation de fait, condition du divorce pour 

rupture prolongée de la vie commune au sens de l'article 237 du Code civil, 

pour affirmer que la qualité des solutions posées par la Cour de cassation 

"laisse subsister une inquiétude ; jusqu'où entend-elle exercer en la matière un 

contrôle qui peut, de proche en proche, être envahissant et donner alors à 

penser à quelques esprits impertinents que si la Cour de cassation est 

débordée, c'est parce qu'elle le veut bien (864) ". La frontière entre cas facile et 

cas difficile serait donc plutôt ténue ; surtout lorsque le cas antérieurement 

difficile est devenu facile. 

156. Du cas difficile au cas facile - Ordinairement, les théoriciens qui discutent 

l'existence d'un pouvoir créateur discrétionnaire du juge et de sa liberté 

d'interprétation vis-à-vis de l'ordre juridique institué, usent de cas difficiles 

pour illustrer leurs argumentations. Bien plus, pour l'essentiel, ce serait par la 

distinction entre cas facile et cas difficile que l'on pourrait discuter l'existence 

du pouvoir discrétionnaire des juges en présence d'une question 

particulièrement sensible. Dans cet esprit, on pourrait prendre pour exemples 

des questions touchant à l'état des personnes et s'interroger avec l'assemblée 

plénière de la Cour de cassation sur les conventions de mère-porteuse (865) ou 

sur le changement d'état civil des transsexuels (866) , mais également sur toutes 

les décisions qui ont définitivement tranché une controverse. 

Cependant, il faut garder à l'esprit que le fait que l'arrêt devienne de 

principe n'est pas du ressort de l'interprétation authentique, mais du caractère 

persuasif du contenu de la décision ; l'activité de l'interprète habilité se 

confondrait parfois avec celle d'un jurislateur. Pourtant, la force de l'arrêt ne 

dépasse pas le contentieux qu'il tranche. Pour étendre son influence, sa 

portée, la norme prétorienne s'appuie toujours sur les commentaires 

doctrinaux qui vont la diffuser, la citer, la synthétiser et en somme la 

(864) 

F. TERRE et D. FENOUILLET, Les personnes, la famille, les incapacités, Paris, Dalloz, 6ème éd., 1996, 

n°612, p.494 note 9. 

(865) 

Cass. ass. plén., 31 mai 1991, JCP 1991.II.21752, concl. DONTENWILLE, note TERRE ; D. 1991, p.417, 

rapp. CHARTIER, note THOUVENIN ; RTD civ. 1991, p.517, obs. HUET-WEILLER. 

(866) 

Cass. ass. plén., 11 décembre 1992 (2 arrêts), JCP 1993.II.21991, concl. JEOL, note MEMETEAU ; RTD 

civ. 1993, obs. HAUSER ; J. MASSIP, "Le transsexualisme", Defrénois 1993, p.414.

243 

promulguer. Sans doute, lorsque la décision émane de la plus haute formation 

de la Cour de cassation, elle portera une propension plus grande à devenir une 

règle effective et d'application générale mais elle n'exclura ni les résistances 

des juridictions du fond, ni les revirements ultérieurs issus de ces résistances : 

on compte autant d'arrêts fondateurs que de résistances initiatrices (867) . Il faut 

par là observer que la tension qui existe entre les interprètes sur le contenu 

des interprétations met aux prises la diversité des opinions des juges et celle 

des auteurs ; au-delà de l'arrêt, c'est bien un débat scientifique qui confère à la 

norme prétorienne énoncée en termes généraux sa vocation quasi 

réglementaire (868) . 

Le débat doctrinal ne fait pas que prolonger le questionnement aux 

situations connexes ; il assure aussi aux arguments et aux solutions un 

habillage d'autorité qui leur permet de se confondre parfois avec des raisons 

pratiques pures. Cette confusion permet à des solutions idéologiquement 

dominantes de passer pour des réponses évidentes. L'autorité ainsi conférée 

par l'explication et l'approbation doctrinale finit par déclasser la question de 

cas difficile en cas facile. Il en fut ainsi pour la question discutée de la nature 

propre ou commune des gains et salaires des époux. Après la réforme des 

régimes matrimoniaux de 1965, un certain nombre d'auteurs affirmèrent que 

dans le régime légal de communauté d'acquêts, les gains et salaires des époux 

demeuraient propres (869) . Cette question qui fut âprement débattue dans les 

années soixante et soixante-dix, s'éteignit ensuite. Selon M. le doyen Cornu, 

"en décidant que les produits du travail des époux sont communs, dès 

l'origine, un jugement du TGI de Bordeaux (870) , confirmé par la Cour de 

Bordeaux (871) , fera cesser la controverse doctrinale - et l'émotion légitime - sur 

l'alimentation à la source de la communauté par les revenus professionnels des 

époux (872) ". On peut ici s'étonner que deux décisions de juridictions du fond 

aient suffi à éteindre une controverse doctrinale, alors que souvent des arrêts 

(867) Voir la résistance de la Cour d'appel de Paris, 6 février 1998, D. aff. 1998, n°114, p.713 contre la 

jurisprudence consacrée par les arrêts de l'assemblée plénière de la Cour de cassation du 1er décembre 1995 : 

"la vente étant un contrat synallagmatique source d'obligation, l'article 1129 du Code civil qui traite de la 

validité des obligations contractuelles lui est applicable en l'absence de dispositions contraires propres à la 

vente, quoi qu'en dise la Cour suprême". 

(868) N'est-ce pas la discussion au delà du Code civil qui est l'expression du succès de l'École de la libre 

recherche scientifique ? v. R. SALEILLES, préface de F. Gény, Méthode d'interprétation et sources en droit 

privé positif, précitée, p.XXV. : "ce à quoi nous tenons le plus, c'est à “ l'Au-delà ”". 

(869) notamment H. MAZEAUD, "La communauté réduite au bon vouloir des époux", D. 1965, chr., p.91. 

(870) TGI Bordeaux, 17 juin 1969, JCP 1970.II.16561, note COUTURIER, RTD civ. 1970, p.557, obs. NERSON. 

(871) Bordeaux, 5 janvier 1971, JCP 1971.II.16721, note PATARIN, RTD civ. 1971, p.374, obs. NERSON. 

(872) G. CORNU, Régimes matrimoniaux, 7ème éd., 1995, précité, p.329.

244 

de l'assemblée plénière de la Cour de cassation n'y parviennent pas. La raison 

en est que ce ne sont pas les arrêts qui peuvent clore les controverses mais les 

jugements doctrinaux portés sur ces arrêts. La solution choisie par l'interprète 

authentique n'a de véritable portée que celle que lui accordera l'interprète 

non-authentique. 

Le traitement du cas difficile est donc tout à la fois une oeuvre prétorienne 

en ce que la solution sera posée, et également une oeuvre doctrinale en ce que 

la solution posée sera rationalisée et interprétée par rapport à un ensemble de 

questions connexes. La question sera alors réglée, et le cas rangé parmi les 

affaires simples, s'il ne mérite pas que soient à nouveau exposées et débattues 

les raisons qui lui avaient fait gagner le statut de solution acquise. Les 

discussions menées au-delà de l'arrêt par les différentes voix doctrinales seront 

un discours qui donnera à la norme prétorienne sa portée. Cela explique que 

les représentations de la jurisprudence soient si contrastées. La Cour de 

cassation paraît poser des solutions comme le ferait un législateur mais ces 

solutions ne réalisent leur vocation générale qu'au tamis d'un discours second. 

Une fois les questions tranchées par l'interprète authentique, de manière 

rétrospective, le discours doctrinal donne une consistance au passé et cette 

oeuvre de rationalisation institue les guides des raisonnements futurs. Tout 

simplement, la doctrine érige en contraintes interprétatives les raisons 

d'autorités qu'elle a définies. La lutte pour la doctrine est donc la lutte pour la 

conquête de ce discours censé n'être que descriptif mais qui va en réalité 

étendre ou contrarier la portée des règles positives. 

Comment savoir si le cas facile est réglé ou le cas difficile résolu ? 

Comment savoir si la signification d'une norme choisie récemment par 

l'interprète authentique est toujours d'actualité ? Comment savoir si une 

décision insolite et isolée n'augure pas un revirement ? Cette activité de 

rationalisation et celle de prédiction qui l'accompagne sont le trait 

caractéristique de l'oeuvre doctrinale non authentique. 

Section 2 

L'interprétation par voie d'argument 

157. La "rampe" - Si selon M. Touffait, peu d'auteurs seraient susceptibles de 

franchir la rampe de la Cour de cassation (873) , il y a de quoi s'étonner. Les 

(873) A. TOUFFAIT , "Conclusion d'un praticien", précité, p.484.

245 

hauts magistrats seraient-ils imperméables aux opinions doctrinales ? Les 

conclusions et les rapports publiés montrent aujourd'hui pourtant le contraire. 

Si leurs auteurs préfèrent dessiner un conducteur historique continu au 

moyen de décisions de la Cour pour expliquer ses différentes positions, ils ne 

délaissent pas la littérature doctrinale, surtout quand ils considèrent que 

l'ancienne jurisprudence était par trop erronée (874) . Pareillement, quand le 

haut magistrat se livre à une exégèse de textes dont il relève l'ambiguïté, il 

peut en éclairer le contenu au moyen des différentes interprétations dégagées 

par les professeurs spécialistes de la matière (875) . Ce type de discours ne révèle 

pas, naturellement, une soumission du pouvoir judiciaire au pouvoir 

scientifique, mais l'absence d'étanchéité des savoirs montre non seulement 

que la Cour de cassation n'est pas insensible aux prescriptions doctrinales, 

mais surtout que la résolution des conflits d'interprétation n'est pas qu'une 

affaire de pouvoir. À travers l'idée que l'assemblée plénière doit unifier 

l'interprétation, il ne s'agit pas pour elle de désigner l'unique fondement 

possible mais de convaincre l'ensemble des juristes que la solution désignée 

devait légitimement prévaloir. La question du pouvoir normatif de la Haute 

juridiction se dédouble donc. S'adressant aux justiciables voire à la pratique, 

les énoncés prétoriens s'imposent par la place hiérarchique de la juridiction ; 

mais à l'adresse de la doctrine, parce qu'il s'agit bien d'un point de vue savant, 

le discours des magistrats est en quête de légitimité. 

158. La tension entre interprètes - "La qualité et l'autorité croîtraient aux 

dépens de la quantité sans ralentir la marche de la justice (876) ", car tel est bien 

le but de cette démarche : augmenter l'autorité doctrinale de la Cour de 

cassation face aux autres pouvoirs normatifs. N'en doutons pas ; l'enjeu de 

cette controverse sur le style des arrêts recèle une prise de parti fondamentale 

(874) 

Quand il s'est agi de résoudre la question très controversée du point de départ des intérêts d'une somme 

détenue en exécution d'une décision de justice exécutoire, par la suite anéantie, M. le Premier avocat général 

JEOL soulignait les erreurs qui avaient conduit la Cour à considérer le versement effectué comme un paiement 

indu et à admettre que le détenteur de la somme était un accipiens de mauvaise foi "censé connaître les vices 

du titre litigieux". "A la vérité, nous disait M. JEOL, s'il y avait un vice, c'était plutôt dans le raisonnement de 

la Cour de cassation" et concluait : "vous pouvez tout décider avec seulement la certitude que votre arrêt, quel 

qu’il soit, ne fera pas l’unanimité (…) mais il est souhaitable, sur un problème auquel le mauvais 

fonctionnement de la justice confère tant d’importance pratique, que votre assemblée plénière éclaire 

l’ensemble de la matière et ne se borne pas, après deux siècles de palinodies et de flottements, à trancher la 

moitié du débat!" Cass. ass. plén., 3 mars 1995, concl. M. JEOL, Gaz. pal. 17-18 mai 1995, p.16. 

(875) 

Voir par exemple, Avocat général WEBER, concl. pour Cass. ass. plén., 5 décembre 1997, JCP 

1998.II.10006. 

(876) 

A. TOUFFAIT et A. TUNC, "Pour une motivation plus explicite des décisions de justice notamment de 

celles de la Cour de cassation", RTD civ. 1974, p.505.

246 

sur la structure de l'ordre juridique. À l'inverse de l'invitation d'Adhémar 

Esmein et sa lutte pour la jurisprudence, avec l'augmentation de l'autorité de 

la Cour de cassation, les tenants de cette thèse entendent assurer aux énoncés 

juridictionnels généraux, prétendument plus didactiques, une meilleure 

adhésion des juristes. Leur argumentation théorique consiste en fait à proposer 

un cheminement censé permettre à la Cour de cassation de retrouver son 

autorité doctrinale sans perdre pour autant son pouvoir normatif, car la 

doctrine, voix de la controverse, ne se soumet par définition qu'à une autre 

autorité doctrinale. Le contenu normatif des décisions doit être apprécié pour 

ce qu'il révèle en lui-même. Mais si tout est dit, l'interprète doctrinal de l'arrêt 

ne commentera que de manière redondante et paraphrasée la fameuse 

motivation plus explicite. 

Tout cela est fort paradoxal et du reste, ces auteurs, professeurs et 

magistrats, ne furent pas vraiment suivis. Préservant les avantages de la 

concision des arrêts, la Cour de cassation a entrepris de reconquérir le terrain 

doctrinal en publiant elle-même dans son rapport annuel, ou en faisant 

publier en son nom dans les revues juridiques, les conclusions et les rapports 

de ses conseillers. Inversement, la doctrine universitaire et la voix doctrinale 

de la pratique professionnelle sont à l'unisson pour préserver la connaissance 

scientifique et pratique des tentatives de systématisation d'origine 

prétorienne. 

La Cour de cassation, bien qu'interprète suprême, n'est pas maîtresse de la 

connaissance juridique ; au contraire, la doctrine utilise la panoplie rhétorique 

dont elle dispose pour prononcer des jugements de conformité "dans l'intérêt 

de l'ordre juridique". M. le doyen Carbonnier montrait que cette tension entre 

doctrine et interprètes suprêmes habilités donnait au discours doctrinal une 

force particulièrement importante. "L'art du juriste n'est-il pas de faire que (le) 

probable rejoigne le souhaitable ? L'arrêtiste est juriste et, comme tel, 

participant au combat pour le droit ou même pour le juste, a vocation à 

orienter la jurisprudence. L'annotation implique ainsi un devoir de conseil, 

partant un pouvoir de remontrance. De ce pouvoir, toutefois, l'usage est 

discret, et la critique judiciaire demeure, pour le mordant, très en deçà de la 

critique littéraire. C'est un peu une autosuggestion : la doctrine, ayant poussé 

les arrêts à un rang quasi-législatif parmi les sources du droit, les a mis ellemême 

hors de la portée de ses flèches. Mais c'est beaucoup plus le désir d'être 

efficace : un censeur trop radical ne serait pas écouté. L'annotation qui fait

247 

jurisprudence est celle qui réussit à convaincre les juges que la suite est déjà 

dans le précédent (877) ". 

Le jugement de conformité rendu par la doctrine a bien une vocation 

prescriptive. Qu'elle approuve ou désapprouve les "sources du droit", la 

doctrine porte nécessairement son regard vers l'avenir et raisonne de jure 

ferenda. Son ambition est que les prescriptions d'hier deviennent les 

descriptions de demain. Au regard de la conformité à l'ensemble, la doctrine 

fait exercice de son pouvoir. Dans les années soixante et soixante-dix, les 

rénovateurs de la loi l'avaient compris, à tel point qu'ils ont su convaincre le 

législateur d'introduire, parmi les grands principes du procès civil, un texte 

d'une valeur théorique considérable : l'alinéa premier de l'article 12 du 

Nouveau code de procédure civile. "Le juge tranche le litige conformément 

aux règles de droit qui lui sont applicables". La loi soumet par cette formule les 

juges et le plus haut d'entre eux, la Cour de cassation, au contrôle scientifique 

de l'autorité doctrinale. 

Cette formule montre bien que le discours doctrinal est son propre enjeu 

parce qu'il permet de maîtriser, dans une certaine mesure, l'évolution des 

conceptions sur le droit positif et la teneur de la notion de "règles applicables". 

Le jugement de conformité à l'ordre juridique en général et à la sécurité 

juridique en particulier, n'est en fait qu'un jugement de valeur de la règle 

positive, appréciée par le commentateur. Le jugement de conformité consiste 

ainsi soit en une condamnation de la décision ou des hésitations qui y ont 

conduisent (PARAGRAPHE 1), soit en une approbation de la solution qui a 

coupé court aux controverses (PARAGRAPHE 2). 

PARAGRAPHE 1. LE JUGEMENT DOCTRINAL DE CONDAMNATION 

159. Des incertitudes - Le guide interprétatif que constitue désormais le 

principe de sécurité juridique permet à la doctrine de dénoncer l’insécurité de 

la norme prétorienne générale ou particulière en situant la critique sur deux 

plans simultanément. D’une part la sécurité juridique, traduisant une 

adéquation de la norme au fait, invite la doctrine à vérifier la conformité de la 

(877) J. CARBONNIER, "Notes sous des notes d'arrêts", D. 1970, chr., p.138.

248 

décision aux exigences pratiques de la matière ; d’autre part les jugements 

doctrinaux de condamnation disent l’impossibilité théorique d'étendre, par 

effet de généralisation induite, la norme trop peu sûre aux cas voisins ou 

analogues. 

Ainsi, sous l'empire du principe de sécurité juridique, la doctrine glisse ses 

propositions en valorisant des raisonnements tenus pourtant a priori. Lorsque 

M. le professeur D. R. Martin écrit "la chose bancaire fait le tourment du juge, 

et l'intérêt conventionnel son vertige. Mais ce spleen jurisprudentiel n'a que 

trop duré : dans une matière aussi pratique et sensible, la sécurité juridique 

proscrit les états d'âme (878) ", il condamne les oscillations de la jurisprudence et 

ses difficultés à déterminer des critères "objectifs" de l’application de l’article 

1907 al.2 du Code civil. Il condamne surtout une solution particulièrement 

rigide qui oblige les banquiers à formaliser par écrit la stipulation du taux 

d'intérêt conventionnel. 

Dans un sens voisin, la doctrine condamne, par recours à la sécurité 

juridique, la solution qui se révèle "en parfaite inadéquation avec le droit 

positif de la promesse unilatérale de vente (879) ". La critique est alors très 

sèche : "la Cour de cassation fait (…) la part belle à la fraude et à la mauvaise 

foi". En substance, M. le professeur Denis Mazeaud voit, dans la solution 

posée, les conséquences les plus néfastes pour l'efficacité de la promesse de 

vente. En permettant au vendeur de se rétracter valablement pendant le délai 

pour lever l'option, l'arrêt condamne l'avant-contrat à la précarité. La Cour 

persiste, du reste, et continue de porter de "mauvais coup à la sécurité 

juridique et à la vitalité des promesses unilatérales de vente (880) ". Sur la même 

question, un autre auteur juge durement le raisonnement tenu par la Haute 

juridiction. "Inutile de dire que ce raisonnement paraît spécieux : un 

consentement par hypothèse irrévocable ne peut être révoqué sans priver le 

contrat de toute force obligatoire et de toute sécurité juridique (881) ". La 

doctrine s'autorise ainsi à porter de sévères jugements sur l'appréciation 

judiciaire. Elle se donne l'autorité de contrôler les lois et leurs interprétations 

(878) D. R. MARTIN, note sous Cass. civ. 1ère, 17 janvier 1995, D. 1995, p.213. Cet auteur est d'ailleurs souvent 

enclin à dénoncer les excès de “sensibleries” doctrinale et prétorienne. 

(879) D. MAZEAUD, note sous Cass. civ. 3ème, 15 décembre 1993, JCP 1995.II.22366. Dans le même sens, 

J. MESTRE, obs. à la RTD civ. 1994, p.588 ; contra M. FABRE-MAGNAN, "Le mythe de l'obligation de 

donner", RTD civ. 1996, p.85 (p.102). 

(880) Cass. civ. 3ème, 26 juin 1996, Defrénois 1996, p.1371, obs. D. MAZEAUD. L'auteur lui aussi persiste et au 

risque de passer pour un “ agitateur ”, continue de dénoncer la solution dégagée par la troisième chambre 

civile. 

(881) O. TOURNAFOND, note sous Cass. civ. 3ème, 15 décembre 1993, D. 1994, p. 231.

249 

pour dénoncer les effets pervers des unes (882) ou les caractères divinatoires des 

autres (883) . Elle en profite parfois même pour faire sonner les sirènes du déclin 

du droit : "Ainsi prospère une jurisprudence aléatoire où sombre la sécurité 

juridique, sans parler de la cohérence du droit qu’on n’ose même plus 

revendiquer comme critère de pertinence, d’efficacité et d’esthétique 

juridique (884) ". 

La conformité à la sécurité juridique n'est pas exclusive d'autres guides. Les 

auteurs peuvent donner plus de force à une autre valeur tenue pour 

supérieure. La critique doctrinale pourra ainsi dénoncer la contrariété de 

l'exigence de sécurité face au respect de l'ordre public, dont le champ 

sémantique n'est pourtant pas moins erratique (885) . Le jugement doctrinal est 

sévère lorsque "l’arrêt (…) laisse une impression de malaise qui provient 

précisément de ce qu’il contient quelque chose de difficilement acceptable 

pour la doctrine française du droit d’auteur, notamment lorsqu’il fait prévaloir 

les obligations d’un contrat et la sécurité juridique qui y est attachée sur les 

nécessités de l’ordre public (886) ". On lui préfère également la justice lorsqu'un 

revirement "permettrait également d’abandonner une solution arithmétique 

qui sert de moins en moins la sécurité juridique au profit d’une solution plus 

équitable et plus utile (887) ". La sécurité juridique n'est donc pas le seul principe 

d'appréciation doctrinale même s'il est dominant. Le manque de cohérence et 

d'unité est également relevé. La critique doctrinale s'exprime alors à travers 

l'absence d'identité des décisions rendues sur des questions semblables. "Il est 

toujours troublant de constater, au niveau normalement unificateur de la Cour 

de cassation, un traitement différent de situations apparemment identiques 

(…) (888) ". Plus conséquentialiste, la critique peut, non sans humour, viser 

l'incohérence d'une politique jurisprudentielle encouragée par la loi. "La 

(882) Ph. MALAURIE, "L'effet pervers des lois", Mélanges Cornu, Paris, PUF, 1995, p.309. 

(883) J. MESTRE à la RTD civ. 1985, p.372 à propos des clauses pénales ; O. TOURNAFOND, obs. sur Cass. civ. 

3ème, 20 décembre 1994, D. 1996, somm. p.10 : "[La solution] ne présente aucun intérêt pratique et n’aboutit 

en fin de compte qu’à compliquer les questions et à ébranler la sécurité juridique en introduisant des facteurs 

d’incertitude : ainsi, comment distinguer en pratique “ l’avant-contrat synallagmatique de vente ” lorsque la 

promesse de vente aura été rédigée de manière maladroite ou équivoque ? En fait, le juge risque d’être conduit 

à adopter une interprétation quelque peu divinatoire de la volonté des parties". 

(884) D. R. MARTIN, note sous Cass. com., 21 mai 1996, D. 1997, p.106. 

(885) J. GHESTIN, "L'ordre public, notion à contenu variable, en droit privé français", in Ch. PERELMAN (dir.), 

Les notions à contenu variable, Bruxelles, Bruylant, 1984, p.77. 

(886) C. COLOMBET, obs. sur Paris, 6 juillet 1989, D. 1990, somm. p.57. 

(887) D. VOINOT, note sous CJCE, 24 novembre 1993, Keck, D. 1994, p. 191. 

(888) A. BENABENT, note sous Cass. civ. 1ère, 3 février et 8 décembre 1993, D. 1994, p.248. L'auteur critique le 

raisonnement de la Cour de cassation en ce qu'elle ne s'explique pas sur la différence de traitement des deux 

situations. Elle aurait dû rechercher les critères qui auraient justifié des solutions distinctes de sorte qu'en 

l'absence de ce raisonnement, "les arrêts sont donc mauvais tous les deux".

250 

patience imposée aux créanciers d'un débiteur surendetté peut donc ne pas 

avoir de limites et les obligations dont ils sont les créanciers seront autant de 

leurres dans leurs patrimoines : après les obligations civiles et naturelles, voici 

les obligations virtuelles (889) ". Aussi, d'une conformité à l'autre, la sentence 

désapprobative pourrait-elle être plus simplement celle-là : "le raisonnement 

de la [Cour de cassation] est faux (890) ". 

Après condamnation, il arrive parfois que la solution change. La doctrine 

se montre alors approbative. Toujours à propos de la “ rétractation ” d'une 

promesse unilatérale de vente, on lira que "la jurisprudence contraire, 

malencontreuse et contestable est et doit être abandonnée (…)". L'accent est 

alors mis sur les vertus du revirement : "un revirement vaut parfois mieux 

qu'un arrêt de principe, tant il démontre la faiblesse des errements et d'une 

analyse juridique réfractaire à l'évolution du contrat de promesse … de 

contrat (891) ". 

PARAGRAPHE 2. LE JUGEMENT DOCTRINAL D'APPROBATION 

160. Des certitudes et un juste titre - La Cour de cassation peut être approuvée 

d'avoir clos les débats et rétabli la certitude du droit ; ce discours doctrinal 

apparemment purement descriptif se prétendrait volontiers objectif. Quelques 

formules sont intéressantes à retenir. Pour féliciter la juridiction suprême de 

n'avoir pas adopté un raisonnement casuiste, M. le professeur Denis Mazeaud 

écrit : "Manifestement, la Cour de cassation est insensible à ces arguments qui, 

pourtant, procèdent d’un certain bon sens ; elle entend préserver le principe 

de l’intangibilité du lien contractuel et ne peut pas sacrifier l’impératif de 

sécurité juridique à l’idéal, un peu trop fluide, d’équité. Qui l’en blâmera 

? (892) ". L'impératif de sécurité procède bien d'une vision a priori, et ne 

supporte pas les raisonnements empiriques, il s'accommode donc de l'exigence 

de détermination de "critères objectifs (893) ". Mais découvrir les bons critères 

qui permettent de connaître a priori les bonnes solutions ne suffit pas. Il faut 

(889) 

D. MAZEAUD, obs. sur Cass. civ. 1ère, 27 juin 1995, D. 1996, somm., p.122. 

(890) 

C. LARROUMET, "Obligation essentielle et clause limitative de responsabilité", D. 1997, p.145, n°3 à 

propos de l'arrêt Chronopost du 22 octobre 1996. 

(891) 

I. NAJJAR, "La “ rétractation ” d'une promesse unilatérale de vente", D. 1997, p.119. 

(892) 

D. MAZEAUD, obs. sur Cass. com., 2 avril 1996, D. 1996, somm., p.330. 

(893) 

L. AYNES, obs. au D. 1989, somm. p.296.

251 

encore que leur émergence normative ne soit pas brutale. Un revirement de 

jurisprudence est d'autant plus respectueux de la sécurité juridique qu'il est 

progressif (894) . Il est heureux qu'en fin de compte "un équilibre s'instaure. 

Avec sagesse, la Cour de cassation a depuis quelques années su modifier - sans 

virages brutaux - les relations banque / clientèle (895) ". En somme, l'arrêt sera 

approuvé quand les juges auront "corrigé, à juste titre (*), la solution 

contestable précédemment affirmée (896) " et quand, mettant fin aux hésitations 

antérieures, ils auront "décidé, à bon droit ( *), que la licéité de la faculté 

d'attribution en propriété implique celle de la clause prévoyant l'octroi d'un 

bail sur les biens propres de l'époux prédécédé (897) ". L'approbation est donc 

sans réserve quand la Cour de cassation a jugé conformément à ce qu'avait 

anticipé la doctrine. 

CONCLUSION DU TITRE 1 : "LES DESCRIPTIONS DOCTRINALES PAR L'UNITE". 

161. Illusion ? - Selon M. Perdriau, le cas facile est donc réglé de telle manière 

qu'il ne fait qu'augmenter la somme des décisions rendues dans le même 

sens (898) . Il reste encore à s'interroger sur le fait de savoir si l'accumulation de 

décisions rendues dans le même sens ne modifie pas la règle. Cette 

accumulation de décisions rendues est au moins le signe que la solution ne 

s'est pas imposée définitivement et n'a pu faire taire tout le contentieux (899) . 

(894) J.-L. AUBERT, note sous Cass. ass. plén., 2 février 1996, D. 1996, p.193 : L'auteur approuve la nouvelle 

solution d'autant qu'elle "opère un revirement de jurisprudence très mesuré qui respecte autant qu’il est 

possible la sécurité juridique". 

(895) C. GAVALDA, note sous Cass. com., 6 avril 1993, D. 1993, p.310. 

(896) CRDP NANCY, obs. sur Paris, 4 décembre 1996, D. 1997, somm. p.265. 

(*) Souligné par nous. 

(897) A. COLOMER, Régimes matrimoniaux, Paris, Litec, 9ème éd., 1998, n°325, p.151 à propos de la clause 

commerciale ; dans le même sens mais sur un ton différent, Ph. SIMLER, obs. sur Cass. civ. 1ère, 29 avril 

1985, JCP , éd.N, 1986.II. p.75 : "C’est cette heureuse solution, plutôt que la stérile interprétation stricte d’un 

texte d’exception que consacre la Cour de cassation dans son arrêt du 29 avril 1985, et cela de la manière la 

plus claire". 

(898) A. PERDRIAU,"La chambre mixte et l'assemblée plénière de la Cour de cassation", JCP 1994.I.3798, n°82, 

note 53. 

(899) Pour une illustration intéressante : R. LIBCHABER, obs. sur Cass. civ. 1ère, 28 février 1995, D. 1995, p.228 

: "Vieille question au mystère épuisé, la preuve du prêt resurgit périodiquement en jurisprudence et oblige la 

Cour de cassation à répéter une solution assurée : une remise de fonds ne peut, à soi seule, constituer la preuve 

d'un prêt. (…) Le raisonnement implicite qui sous-tend l'argumentation du demandeur à la prétention n'est 

justifié par rien, en droit, ce qui illustre une fois de plus le décalage qu'il peut y avoir entre la pertinence 

intrinsèque des règles de preuve et leur acceptation psychologique par le corps social".

252 

Pour repousser l'idée que la nature du logement familial s'opposerait, le cas 

échéant, à ce que les créanciers de l'époux propriétaire puissent faire inscrire 

une hypothèque judiciaire sur le bien ou en demander le partage, s'il est 

indivis, par voie oblique, la jurisprudence considère que "l'article 215 alinéa 3 

du Code civil a pour seule finalité de protéger l'un des époux contre 

l'aliénation du logement constituant le domicile conjugal à l'initiative de 

l'autre époux et [que] ses dispositions ne sauraient être étendues jusqu'à 

frapper le bien d'une insaisissabilité opposable aux créanciers alors qu'elle 

n'est pas prévue par la loi (900) ". La bonne solution, celle qui est exacte selon la 

doctrine, est donc celle qui n'érige pas des prescriptions contraires à la loi (901) . 

L'édification de la règle sur le fondement du standard légaliste des 

insaisissabilités contraires à la loi a pour effet de condamner tous les 

raisonnements qui tiendraient à la nature ou à l'utilité d'une protection 

particulière attachée au bien. Le cas est tranché, la controverse est close, mais 

l'utilisation de cette motivation n'est que rhétorique (902) . 

Si la motivation des arrêts répétée devient un leitmotiv abstrait, la 

discussion sur la règle fait naître les conditions d'un déplacement du problème 

à travers une interprétation de l'énoncé juridictionnel. Il semblerait que la 

stabilité des solutions ne soit pas celle des questions. Loin de maintenir la 

question sous l'éteignoir de la controverse, le cas facile serait donc l'occasion 

de démontrer la stabilité de sa solution. L'évidence ne supporte pas le débat 

mais les formules magiques des arrêts brévissimes, les standards qui règlent les 

affaires simples, sont l'expression d'un pouvoir de classement entre ce qui est 

certain et ce qui ne l'est pas encore ou pas assez. En réalité, pour reprendre les 

mots de M. le professeur Rials, il faut "prêter attention à ces petits mots trop 

évidents, trop discrets, pour être vraiment honnêtes (903) ". Et M. le doyen 

Carbonnier remarquait justement que la jurisprudence contemporaine 

pratiquait, du point de vue méthodologique, un éclectisme tactique (904) . Cette 

diversité des méthodes d'interprétation et la diversité des méthodologies de 

(900) 

Paris, 8 décembre 1995, JCP 1996.I.3962, n°2 ; Aix, 22 octobre 1997, n°533, Bull. Aix, 1997/2, somm. 

n°4, p.249. 

(901) 

G. CHAMPENOIS, obs. sous Cass. civ. 1ère, 3 décembre 1991, Defrénois 1992, p.399-400 approuvant la 

décision qui admet, hors cas de fraude, la possibilité pour les créanciers des époux de provoquer le partage de 

l'immeuble indivis, logement familial, faisant application de l'article 815-17 al. 3 du Code civil là où l'article 

215 al. 3 protège pourtant le logement de la famille. La solution inverse, par laquelle la protection du 

logement familial serait opposable au créancier frapperait le bien d'une insaississabilité contraire à la loi. 

(902) 

S. RIALS, "Les standards, notions critiques du droit", in Ch. PERELMAN (dir.), Les notions à contenu 

variable, Bruxelles, Bruylant, 1984, p.51. 

(903) 

S. RIALS, "Les standards, notions critiques du droit", précité, p.53. 

(904) 

J. CARBONNIER, Droit civil, Introduction, tome 1er, 11ème éd., 1977, n°39, p.179.

253 

détermination de la bonne réponse, dont la voix doctrinale de la Cour de 

cassation se fait l'écho, nous conduisent invariablement à relever que les 

descriptions, qui sont en réalité des prescriptions doctrinales sur la 

méthodologie, sont elles aussi politiques (905) . Le discours sur la méthodologie a 

pour ambition de persuader le juriste de se détourner d'un certain nombre de 

procédés herméneutiques pour en adopter d'autres. L'utilisation des catégories 

juridiques, l'interprétation guidée par la volonté du législateur ou la sécurité 

juridique, la nature des situations juridiques sont autant de standards 

méthodologiques dont la validité est convenue mais la variabilité conceptuelle 

certaine. Pour paraphraser M. le professeur Rials, nous dirions volontiers 

qu'en "acceptant de recourir à un standard [méthodologique], pour s'étonner 

d'une anormalité, en jouant de l'ambiguïté normalité descriptive / normalité 

dogmatique, en ayant recours à une appréciation plus ou moins abstraite, [le 

juriste] opère des choix politiques au plus haut point (906) ". 

Ainsi le pouvoir doctrinal des juges, pouvoir discrétionnaire évidemment, 

est justement dans cette faculté de classement en solutions qui s'imposent et 

en questions de principe. Les premières ne reçoivent que des réponses 

elliptiques ; les secondes sont au centre de tensions politiques. La doctrine fait 

écho à ce pouvoir en donnant consistance et portée aux décisions énoncées et 

aux prescriptions méthodologiques dessinées par les juges. Approbatif ou 

désapprobatif, le commentaire n'est pas que descriptif. Il en ressort donc que 

les auteurs du discours juridique, voix des interprètes habilités ou non, 

profitent d'une situation où, censés décrire des normes, ils gomment les 

guillemets des citations de la loi ou de l'arrêt, pour en réalité prescrire des 

directives méthodologiques et des solutions désirées. La description de l'ordre 

juridique unitaire par son contenu, celle de l'absence de pouvoir 

discrétionnaire des juges suprêmes, les descriptions de la conformité des 

solutions à un mouvement historique sont autant de prescriptions doctrinales 

par lesquelles les interprètes manifestent de manière récurrente leur désir de 

transformation de l'ordre juridique positif. 

(905) Selon KELSEN, "d'un point de vue qui ne considère que le droit positif, il n'existe aucun critérium sur la 

base duquel l'une des possibilités données dans le cadre du droit à appliquer pourrait être préférée aux autres. 

Il n'y a purement et simplement aucune méthode que l'on puisse dire de droit positif", Théorie pure du droit, 

Paris, Dalloz, 2ème éd., 1962, p.458 ; v. M. TROPER, "Un système pur du droit : le positivisme de Kelsen", in 

P. BOURETZ, La force du droit, Paris, Esprit, 1991, p.133. 

(906) S. RIALS, "Les standards, notions critiques du droit", précité, p.53.

TITRE SECOND 

LES PRESCRIPTIONS DOCTRINALES POUR L'UNITE 

254 

"S'il fallait citer un scientifique conscient de la nature complexe de la parole 

explicative, et qui s'en est servi avec une remarquable habileté, je citerais 

Galilée. Comme Achille, Galilée a donné de nouvelles significations à des 

mots anciens et familiers ; comme Achille, il présente ses résultats dans un 

cadre de référence partagé et compris par tous (…); mais contrairement à 

Achille il savait ce qu'il faisait et il a essayé de camoufler les changements 

conceptuels dont il avait besoin pour garantir la validité de ses arguments". 

P. FEYERABEND, Adieu la raison, Paris, Seuil, 1989, p.308 : 

162. Interprétation, argumentation et démonstration - L'interprétation désigne 

à la fois l'activité de l'interprète et le résultat de cette activité. Par métonymie, 

l'interprétation est à la fois une action et son but, à savoir dégager les sens 

possibles d'un texte. Naturellement, interpréter c'est choisir (907) , parce que 

concevoir de nouvelles interprétations, augmenter le champ des possibles, 

c'est agir sur le texte. Mais reste que découvrir, déterminer ou décrire les sens 

possibles d'un énoncé, n'est pas désigner le sens unique de l'énoncé rapporté 

au cas. Dans le discours doctrinal, "description" et "prescription" entretiennent 

des rapports étroits et ambigus. L'attitude de retrait des commentateurs laisse 

penser que leur activité prescriptive est niée et que la doctrine n'argumente 

pas (sauf quand elle l'affirme explicitement). Cela tient à l'usage d'une 

confusion entre "l'argumentation" et la "démonstration". 

Selon Perelman, l'argumentation est une action consistant dans l'utilisation 

de "l'ensemble des techniques discursives permettant de provoquer ou 

d'accroître l'adhésion des esprits aux thèses que l'on présente à leur 

assentissent (908) ". Une argumentation ne présente donc que des raisons pour 

ou contre une thèse donnée (909) , alors que la démonstration fournit des 

preuves contraignantes. L'interprète doctrinal est-il capable de fournir ces 

preuves ? Ses actes de connaissance (ou de volonté) sont-ils aussi des actes de 

(907) rappr. M. VILLEY, Leçons d'histoire de la philosophie du droit, Paris, Dalloz, 1962, p.292 qui affirmait : 

"qu'il en ait ou non conscience, le juriste défend une cause. Décrire pour lui c'est choisir ". 

(908) Ch. PERELMAN, Rhétoriques, Éd. Univ. Bruxelles, 1989, p.437-439. 

(909) Ch. PERELMAN, Encyclopédia universalis, v°Argumentation ; L'empire rhétorique, Paris, Vrin, 1977, 

p.169 s. ; adde, G. VANNIER, Rhétorique et jugement. La théorie du droit de Perelman et sa lecture d'Aristote, 

Thèse Caen, 1995.

255 

contrainte ? Dépourvu du pouvoir de décider, il détiendrait un autre pouvoir, 

celui d’élaborer les critères de pertinence du choix. Peut-il les imposer au 

juge ? 

Si la question est "peut-il créer des normes valides ?", la réponse est bien 

entendu négative. Si la question est "peut-il modifier le contexte de 

l'interprétation et baliser le raisonnement qui conduit le juge à faire un 

choix ?", la réponse est plus délicate. 

Lorsque les auteurs vérifient la "vérité" de leurs propositions par référence 

à "l'unanimité de la doctrine", à la "nature des situations juridiques", à 

"l'autonomie des branches du droit" ou encore aux "effets pervers" de la 

solution, les raisonnements menés n'apportent pas des preuves, mais les 

arguments d'autorité obligent celui qui s'y oppose à découvrir des voix 

doctrinales dissonantes, à dédoubler ce qui a été unifié, à réunir ce qui a été 

distingué et à montrer que les conséquences de la solution peuvent être 

maîtrisées. En fait, tout simplement, ce qui est dit par les uns peut être 

contredit par les autres. En revanche, ce qui n'est pas dit ne peut être 

contredit. Le discours doctrinal use de procédés d'implicitation par lesquels les 

auteurs gomment la partie prescriptive de leur raisonnement et nous 

présentent des syllogismes en lieu et place d'arguments. 

Ainsi, lorsque les auteurs mettent en avant l'existence d'un principe ou 

d'un adage, ils rassemblent, sous l'égide d'un énoncé général, des textes ou des 

décisions, de telle manière que le principe ou l'adage considéré figurera la 

majeure des raisonnements syllogistiques qu'ils présenteront. Mais la présence 

du principe est induite dans un premier temps pour que soient déduites les 

applications dans un second. On peut effectivement constater que de 

nombreux principes et adages "découverts" par la doctrine ont ainsi pénétré le 

droit positif (910) . On ne peut que constater, également, l'orientation 

argumentative des questions posées sur la présence de tels principes (911) . Le 

plus souvent, la doctrine pose les questions qui lui permettront de résoudre 

des difficultés d'interprétation en mettant en avant une unité et une 

(910) G. CORNU, Linguistique juridique, Paris, Monchrestien, 1990, n°107, p.367-368 ; H. ROLAND et L. 

BOYER, Adages du droit français, Paris, Litec, 3ème éd., 1992, Introduction, p.XV qui considèrent l'adage 

comme extra-prétorien : "il n'est guère concevable d'identifier l'adage, qui est disposition générale et 

permanente, à un droit jurisprudentiel qui est marqué au sceau de la relativité, tant spatiale que temporelle". 

(911) par exemple : Colloque du Centre de droit des affaires et de gestion de la faculté de droit de Paris V du 20 

mars 1998, "Existe-t-il un principe de proportionnalité en droit privé ?, Les petites affiches, 30 septembre 

1998.

256 

cohérence de la matière étudiée. Une fois proposé, le principe masque 

l'argumentativité des descriptions doctrinales. 

La force démonstrative du discours doctrinal n'est somme toute qu'une 

force persuasive. Les contraintes contextuelles posées par la doctrine laissent 

au juge la faculté de s'y dérober, mais la rhétorique doctrinale de l'unité, faite 

de dit et de non-dit, paraît si puissante que ses arguments d'autorité passent 

pour des preuves. Ainsi le discours doctrinal paraît capable de modifier le 

champ des questions dans lequel "la preuve" a émergé. 

Cette rhétorique doctrinale de l'unité nous mènera à dresser un état des 

lieux doctrinaux pour s'interroger ensuite sur leur capacité à modifier la 

réalité juridique. 

L'étude des prescriptions doctrinales comportera donc deux chapitres : 

Chapitre 1. L'état des lieux doctrinaux 

Chapitre 2. La force du discours doctrinal.

CHAPITRE 1 

L'état des lieux doctrinaux 

257 

163. L'argument "juridique" - Le statut de l'argument juridique est, du point de 

vue de son contenu, bien difficile à définir. La doctrine utilise souvent un 

genre de descriptions sommaires et sibyllines qui se contentent d'admettre ou 

de rejeter des idées "juridiques" ou "non-juridiques". Ce discours se rencontre 

dans plusieurs situations que nous allons tâcher d'éclairer. Face à l'équité, par 

exemple, il est courant de lire qu'une solution, pour équitable qu'elle soit, 

n'est guère juridique (912) , comme s'il manquait au principe posé une sorte de 

base légale, d'assise normative positive. Un autre genre de formule consiste à 

exposer les termes d'un choix et à déterminer, parmi les différentes 

propositions, la solution la plus juridique (913) . Ce serait en quelque sorte celle 

qui correspondrait le mieux à une attente du droit positif. Il y a enfin, de 

manière plus insolite, l'argument qui consiste à écarter une solution ou une 

notion parce qu'elle serait trop juridique (914) . Ces trois exemples illustrent 

l'idée que sous l'épithète "juridique" se glissent des représentations de ce que 

doit être le droit. Cela montre surtout que la doctrine utilise cette épithète de 

manière axiologique, et en vérité tautologique. Dans le discours de la doctrine, 

seul ce qui est "juridique" est censé avoir une valeur décisoire. Ainsi, "dans les 

actes commutatifs, tels que les retraits conventionnels d'associé, il n'y a pas de 

jus fraternitatis. “Aimez-vous les uns les autres”, “aidez-vous les uns les autres” 

sont d'admirables règles évangéliques, elles ne relèvent pas du droit (915) ". Il est 

important de remarquer que dans ce type de discours la relevance et la 

pertinence de la solution sont associées à l'épithète "juridique", soit par 

(912) F. CHABAS, note sous Cass. civ. 2ème, 4 mars 1992, Gaz. pal. 25-27 avril 1993, p.7-8 : "Toute cette 

jurisprudence repose sur l'idée de confusion de fait entre les patrimoines des enfants et ceux de leurs père et 

mère. On ne veut pas qu'indirectement soit repris d'une main ce que l'autre verse à l'enfant. Bien entendu, tout 

cela n'est guère juridique, même si cela est fort équitable" [souligné par nous] ; et d'autres auteurs, pour 

d'autres raisons, se féliciteront d'une décision qui aura permis au droit de prendre sa revanche sur l'équité : 

F. ZENATI, obs. sur Cass. civ. 1ère, 12 janvier 1994, RTD civ. 1994, p.642, n°2. 

(913) F. COLLARD DUTILLEUL et Ph. DELEBECQUE, Contrats civils et commerciaux, Paris, Dalloz, 4ème éd., 

1998, n°820, p.672 : "La solution la plus juridique serait, sans doute de donner plein effet aux clauses souvent 

proposées par lesquelles les hôteliers déclinent toute responsabilité pour les objets de valeur que les clients 

refusent de déposer dans les coffres de l'établissement" [souligné par nous]. 

(914) J. PAILLUSSEAU, note sous cass. com., 17 oct. 1995, D. 1996, p.167 note (25) : "On pourrait utiliser la 

notion de patrimoine pour identifier le contenu mais d'une part, elle n'est pas suffisamment dynamique, et 

d'autre part trop juridique" [souligné par nous]. 

(915) Ph. MALAURIE, note sous Cass. civ. 3ème, 15 janvier 1997, D. 1997, p.217.

258 

exclusion de la morale ou de l'équité, soit par exclusion de l'incertitude qui 

découle de l'énoncé normatif, soit en considération de l'efficacité de cette 

solution, soit enfin en considération de sa cohérence avec une approche plus 

globale. On y retrouve en fait pêle-mêle toutes sortes de raisonnements. Le 

but à atteindre étant la conformité au droit, il va de soi que ce qui n'est pas 

conforme n'est pas juridique ; ce qui ne l'est pas assez, ne l'est pas vraiment ; 

ce qui le serait trop, serait en quelque sorte ennemi du bon droit. Car la 

solution juridique dans ce type de discours, c'est la bonne solution au sens 

dworkinien. La comparaison est importante : alors que la doctrine utilise la 

texture ouverte du droit pour tisser ses argumentations et ses interprétations, 

son discours produit des prescriptions qui viennent clôturer son champ 

d'investigation (916) . Écarter un argument ou une interprétation au motif qu'ils 

ne sont pas "juridiques", revient à distinguer deux sortes de pertinence, 

chacune étant de part et d'autre de la validité juridique. Mais la frontière est 

plus que trouble. L'absence de raisonnements reprenant en amont des 

explications de ce qui est "juridique", est justifiée par l'idée que la doctrine ne 

peut systématiquement revenir à l'origine du monde pour expliquer ses 

positions dans des notes d'arrêts qui, par contraintes éditoriales, se doivent 

d'être de plus en plus brèves. Bien entendu ! Mais dans ce cas, interrogeonsnous 

plutôt sur le fondement de ces contraintes éditoriales (917) . Que la 

concision du discours rime en général avec sa qualité, ne dispense pas l'auteur 

de préciser un tant soit peu ses assises théoriques. Il est difficile de reprocher 

légitimement à une solution d'être trop peu ou pas du tout "juridique", sans 

expliquer ce que recouvre ce qualificatif. Pourtant notre science du droit 

admet parfaitement ces silences doctrinaux. Est-ce pour autant que les auteurs 

ont admis de manière stipulative une définition commune du droit ? Est-ce 

pour autant qu'ils ont une même conception de ce qui est juridique ? 

Évidemment non (918) , mais il existe positivement une sorte de consensus 

dogmatique conduisant à ne pas réveiller systématiquement des querelles 

philosophiques qui, de toute manière, ne mèneraient nulle part. 

(916) N. MACCORMICK, "La texture ouverte des règles juridiques", in P. AMSELEK (dir.), Controverses autour 

de l'ontologie du droit, Paris, PUF 1989, p.109 ; B. BIX, "H.L.A. Hart and the "open texture" of language", 

Law and Philosophy 10, 1991, p.51. 

(917) A. BERNARD et Y. POIRMEUR, "Doctrine civiliste et production normative", in La doctrine juridique, 

Paris, PUF, 1993, p.129-130 ; J. CARBONNIER, Droit et passion du droit, précité, p.74 ; J.-D. BREDIN, 

"Remarques sur la doctrine", Mélanges Pierre Hébraud, Toulouse, 1981, p.117. 

(918) Les volumes 10 et 11 de la revue Droits consacrés à la définition du droit en furent une démonstration 

plus que convaincante.

259 

L'argumentation doctrinale prospère ainsi autant par ses silences que par 

ses exposés clairs et limpides ; cela nous amènera donc à envisager la part de 

dit (Section 1) et à rechercher la part de non-dit (Section 2). 

Section 1 

La part du dit 

La mission de la doctrine étant de transformer la confusion en ordre (919) , il 

lui appartient de montrer clairement la voie de la solution juridique. Elle 

détermine et prescrit les solutions de cette remise en ordre. Elle argumente 

tantôt en usant des unités doctrinales (PARAGRAPHE 1), tantôt en mettant en 

avant les primautés doctrinales (PARAGRAPHE 2). 

PARAGRAPHE 1. LES UNITES DOCTRINALES 

164. Unité et unités - L'autorité de l'argument est d'autant plus grande que 

l'opinion d'un auteur rejoint le point de vue de la communauté. Les auteurs 

témoignent des opinions de leurs maîtres et de leurs pairs pour vérifier ainsi 

que les leurs sont bien conformes à l'opinio communis doctorum. Rien de très 

surprenant à vrai dire. Le discours doctrinal utilise l'unanimité et l'unité de 

penser de la communauté des juristes comme un révélateur de vérité. 

Pourtant, l'unanimité des juristes est bien une chose invérifiable. Elle devient 

pure rhétorique d'autorité lorsqu'elle profite de ce que la recherche de l'unité 

objective a pour valeur d'effacer l'opinion derrière la vérité dévoilée ; mais 

elle n'offre jamais en guise d'opinion commune qu'une opinion 

dominante (920) . Ailleurs, faisant le constat que des solutions divergentes 

coexistent irrémédiablement, la diversité rejoint l'unité lorsque, de distinction 

en cloisonnement, la doctrine parvient à convaincre qu'à chaque matière 

suffit son unité. L'unité du droit renaît alors de l'autonomie des disciplines, 

des méthodes, des régimes ou des notions. Ces unités doctrinales qui se 

(919) Ph. LE TOURNEAU et L. CADIET, Droit de la responsabilité, Paris, Dalloz Action, 1996, n°8, p.8. 

(920) comp. J. WOODS et D. WALTON, Critique de l'argumentation, logiques et sophismes ordinaires, Paris, 

Éditions KIME, 1992, p.41 s., p.57 s.

260 

prétendraient volontiers élémentaires, c'est-à-dire constitutives de l'ordre 

juridique, mettent en avant le caractère intersubjectif de l'opinion commune à 

travers la rhétorique de l'unanimité doctrinale (ARTICLE 1) et le caractère 

objectif des différentes spécialités juridiques à travers la rhétorique de 

l'autonomie des méthodes (ARTICLE 2). 

ARTICLE 1. L'UNANIMITE DOCTRINALE 

165. L'unisson - La question est de savoir comment la doctrine utilise à son 

profit ce qu’elle décrit elle-même comme l’unanimité ou l’unité de ses 

positions. De toute évidence, les auteurs donnent à cet unisson une valeur 

particulière d’autorité qui dépasse leur auctorialité (921) . Grâce à l’unanimité, 

leurs opinions se confondraient avec une sorte de raison abstraite qui 

gouverne la science du droit et qui convainc par son unité. Cette figure 

rhétorique véhicule l’idée que tout autre raisonnement et toute solution qui 

s'écarteraient de cette unanimité seraient plus ou moins hérétiques ; elle 

contribue en quelque sorte à contenir les propositions “anomales” à un champ 

d'application marginal et expérimental. En vérité, un auteur utilise tout 

simplement la référence à l'unanimité de la doctrine pour réduire à l’absence 

de pertinence les opinions divergentes (922) . Il apporte par son adhésion à la 

solution unanimement prescrite les gages d'objectivité auxquels, de sa part, le 

juge peut légitimement prétendre. C'est ainsi qu'à propos de la question du 

recours entre coresponsables lors d'un accident de la circulation, la doctrine 

avait longtemps critiqué l'interprétation de la loi du 5 juillet 1985 (923) 

(921) C. LAPOYADE DESCHAMPS note sous Cass. civ. 2ème, 19 janvier 1994, D. 1994 p.574 : "Sur cette 

question pourtant délicate, jurisprudence et doctrine sont parfaitement à l'unisson" ; adde, G. LECLERC, 

Histoire de l'autorité, Paris, PUF, coll. Sociologie d'aujourd'hui, 1996, p.10. 

(922) Voir par exemple, F. LUCET et B. VAREILLES, obs. sur Cass. civ. 1ère, 18 décembre 1990, RTD civ. 1991, 

p.787 : Sur la question délicate de l'indisponibilité des récompenses, ces auteurs approuvaient la Cour de 

cassation d'avoir censuré la décision d'une Cour d'appel qui avait permis, au profit du mari, la saisie d'une 

récompense due par l'épouse à la communauté. Réaffirmant le principe de l'indisponibilité des récompenses, 

la Cour repoussait la thèse des créanciers pressés de récupérer leurs fonds par un règlement isolé et avant que 

le compte de récompense ne soit soldé. "Aussi la doctrine fait-elle preuve d'une parfaite unité pour repousser 

l'éventualité du règlement séparé d'une récompense née au bénéfice de la masse commune ou d'une masse 

propre". Les commentateurs précisaient cependant que la solution contraire pouvait néanmoins se concevoir 

mais qu'elle était réservée à des hypothèses exceptionnelles étrangères au compte de récompenses. 

(923) Loi n°85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la 

circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation.

261 

initialement adoptée par la Cour de cassation (924) . Celle-ci réservait à la 

victime seule les dispositions de la loi de 1985, et fondait l'action récursoire du 

conducteur impliqué sur l'article 1384 du Code civil. À plusieurs reprises, M. 

le professeur Groutel proposa de mettre un terme à ce qu'il concevait comme 

une incohérence (925) et, ralliant l'ensemble de la doctrine à ses thèses, finit par 

emporter la conviction de la Cour de cassation. Le 6 mars 1991, la deuxième 

chambre civile réformait son interprétation de la loi et donnait au recours un 

double fondement. Le conducteur impliqué dans un accident et actionné par 

la victime, s'il peut maintenant "exercer contre les autres coauteurs une action 

récursoire sur le fondement des articles 1382 et 1384 du Code civil, peut 

également en tant que subrogé dans les droits de la victime, se prévaloir des 

dispositions des articles 1er à 6 de la loi du 5 juillet 1985" (926) . Les manuels de 

droit des obligations qui exposent aujourd'hui cette question, paraissent 

considérer que la solution d'origine doctrinale relevait de l'évidence et que 

cette évidence s'appuyait sur une unanimité doctrinale (927) . Or, quoique forte, 

une unanimité qui n'est pas sans faille, n'est jamais qu'une majorité qui traîne 

avec elle son lot de dissidence et, sur cette question, M. le professeur Sériaux 

avait exprimé les regrets que lui inspirait le revirement de jurisprudence (928) . 

Cet exemple illustre simplement combien est rhétorique le recours à 

l'unanimité ; d'autant que la Cour de cassation a opéré un nouveau revirement 

sur cette question (929) . 

166. La valeur rhétorique de l'unanimité - Nous venons de le constater : la 

valeur de l'unanimité se révèle plus encore à l’examen de l’absence 

d’unanimité. La raison en est que, sur des questions délicates, un auteur a 

tendance à rechercher l’appui d’autorités concordantes et lorsque cet auteur 

feint de ne pas connaître l’existence d’opinions dissidentes, soit parce qu’il les 

relègue au rang d’hérésie, soit parce qu’il leur dénie toute pertinence, il utilise 

(924) Cass. civ. 2ème, 20 juillet 1987, D. 1988, p.293 note GROUTEL ; M. BEHAR-TOUCHAIS, "Le fondement 

des recours contributoires entre coimpliqués", JCP 1988.I.3339 ; H. et L. MAZEAUD et F. CHABAS, Leçons de 

droit civil, Obligations, théorie générale, Paris, Montchrestien, 8ème éd. par F. CHABAS, 1991, p.626, n°556- 

13. 

(925) H. GROUTEL, note sous Cass. civ. 2ème, 20 juillet 1987, D. 1987, p.469 ; note au D. 1988, p.293. 

(926) Cass. civ. 2ème, 6 mars 1991, D. 1991, p.257 note GROUTEL ; RTD civ. 1991, p.552, note JOURDAIN. 

(927) Voir la présentation faite par M. le professeur BENABENT, Droit civil, Les obligations, 6ème éd., 1997, 

précité, n°659 : "la doctrine a unanimement critiqué cette distorsion entre le régime juridique de l'action 

principale et celui de l'action récursoire. Elle finit par emporter l'adhésion de la Cour suprême qui a opéré un 

revirement" ; v. P. JOURDAIN, obs. à la RTD civ. 1991, p.552. 

(928) A SERIAUX, Droit des obligations, Paris, PUF, 1992, n°130, p.452. L'auteur affirmait explicitement qu'il 

regrettait la solution nouvelle ; la Cour de cassation semble depuis l'avoir entendu. 

(929) Cass. civ. 2ème, 14 janvier 1998, D. 1998, p.174, note très critique GROUTEL.

262 

l’unanimité comme une valeur d’adhésion à la thèse qu’il défend. En taisant 

les contre-exemples qui viendraient rompre l'unité alléguée, il prive son 

lecteur de la connaissance de solutions différentes ou d’arguments opposés 

afin de renforcer l'autorité de son raisonnement. En l’absence d'une 

interprétation "vraie" ou "authentique" susceptible de s'imposer comme une 

évidence objective issue de la nature des choses elle-même ou de la qualité 

scientifique du raisonnement tenu, l'unanimité est utilisée comme un 

révélateur d'objectivité. La doctrine prête ainsi indifféremment à 

l'interprétation unanime une valeur objective autant qu'intersubjective de 

sorte que l'on rencontre des unanimités bien différentes. 

167. Unanimités - Il y a ce que l'on peut appeler des unanimités rétrospectives 

- ou historiques - et des unanimités stipulatives. Les premières sont utilisées 

dans des raisonnements se fondant sur la continuité d'un concept ou d'une 

interprétation forgés par des jurisconsultes ou par la Cour de cassation, depuis 

suffisamment longtemps pour qu'en soient admises la qualité et l'efficacité. La 

force de l'unanimité historique vient de ce que les divergences se sont éteintes 

pendant que le savoir juridique s'améliorait. Cette utilisation de l'unanimité 

des jurisconsultes a pour but de convaincre grâce à la raison objective qui, 

avec le temps et parfois les siècles, a permis à une interprétation de s'imposer. 

Cet argument ne prétend nullement que l'unanimité des auteurs a toujours 

existé ; il utilise même les divergences d'opinions pour montrer que les 

controverses ont favorisé l'émergence de la solution défendue. On retrouve 

cette rhétorique sous la plume d'auteurs qui considèrent la tradition et la 

sélection historique des concepts comme un facteur d'amélioration du droit 

(930) . Elle peut également être utilisée pour justifier une opposition à 

l'émergence d'une interprétation nouvelle trop circonstancielle, plus fragile et 

vouée à disparaître. Les secondes unanimités que nous avons qualifiées de 

stipulatives correspondent à un accord de la doctrine contemporain de la 

question posée. L'unité de la doctrine actuelle sur une question donnée 

permet de dégager de cet unisson une raison pratique qui s'impose par souci 

d'effectivité ou de cohérence positive. La solution proposée doit s'imposer tout 

simplement parce qu'aucune autre ne lui est supérieure de l'avis même de 

tous. 

(930) A.-J. ARNAUD, "La tradition française dans la théorie du droit des civilistes", APD 1988, p.261 ; 

C. ATIAS, "Présence de la tradition juridique", RRJ 1997, p.397.

263 

Si nous avons utilisé le pluriel pour désigner ces images de l'unanimité, 

c'est pour montrer qu'elles se subdivisent chacune selon un autre critère de 

partition. En effet, une importante difficulté tient au fait que la doctrine peut 

se montrer tout à fait unanime sur la qualification d’une situation juridique ou 

sur une solution à adopter, sans pour autant que les raisonnements menés 

pour y parvenir soient uniformes. Par exemple, la doctrine se considère 

unanime pour rejeter l'erreur sur la valeur comme cause de nullité des 

conventions, mais cette unanimité se disperse dans une pluralité de 

fondements de la solution. En effet, on considérera soit que l’erreur sur la 

valeur doit être assimilée à une erreur inexcusable, soit, et c’est la tendance 

générale, que l’erreur sur la valeur est une lésion, soit enfin que l’erreur sur la 

valeur est une erreur qui ne relève pas a priori de l’objet du contrat (931) . 

La question de l’unanimité se dédouble dès lors en une unanimité pour la 

solution et en une unanimité sur le raisonnement tenu pour y parvenir. Fautil 

tenir pour unique et univoque une solution positive, alors que cette solution 

a émergé de raisonnements différents voire contradictoires ? Il faut se poser la 

question de savoir si les raisonnements distincts qui mènent tous à la même 

solution ou à la même interprétation démontrent la qualité de cette 

interprétation, ou bien s’il ne révèlent pas plus vraisemblablement son 

ambiguïté (932) . C’est de toute façon l'efficacité rhétorique de l’unanimité qui 

doit retenir notre attention puisqu’elle permet en dernier lieu d’effacer les 

divergences scientifiques. 

A vrai dire, lorsque la solution est unanimement admise par la 

jurisprudence et la doctrine, cela favorise la disqualification des 

(931) comparer AUBRY et RAU, Cours de droit civil français, tome IV, Paris, Libr. générale de jurisprudence, 

4ème éd., 1871, p.295, §343 bis ; G. RIPERT, La règle morale dans les obligations civiles, 4ème éd., 1949, 

précité, p.80 ; J. GHESTIN, Rép. civil Dalloz, v° Erreur, 1998, n°56 ; G. MARTY et P. RAYNAUD, Droit civil, 

tome 2, Les obligations, volume 1, Les sources, Paris, Sirey, 1962, n°123, p.114 ; J. FLOUR et J.-L. AUBERT, 

Droit civil, 1. L'acte juridique, Paris, A. Colin, 7ème éd., 1996, n°211, p.139 ; C. LARROUMET, Droit civil, 

tome 3, Les obligations, Le contrat, Paris, Économica, 4ème éd., 1998, n°352, p.299-300 ; Ph. MALAURIE et 

L. AYNES, Cours de droit civil, tome VI, Les obligations, Paris, Cujas, 9ème éd., 1998, n°410, p.244 ; 

J. CARBONNIER, Droit civil, tome 4, Les Obligations, Paris, PUF, 21ème éd., 1998, [41], p.97 ; F. TERRE, 

Ph. SIMLER et Y. LEQUETTE, Les obligations, Paris, Dalloz, 6ème éd., 1996, n°212, p.178 ; A. SERIAUX, Droit 

des obligations, Paris, PUF, 2ème éd., 1998, n°16, p.58 note 123. 

(932) Sur la question de l'interversion de la prescription par l'effet d'une décision de justice : "Il est classique 

d'admettre que toute prescription se trouve intervertie par l'effet d'un jugement de condamnation même si 

l'unanimité ne se fait pas sur la justification de cette solution". Ce serait pour les uns un effet novatoire de la 

dette initiale produit par le jugement ; ce serait pour les autres, de manière absolument incompatible avec la 

première explication, le résultat "d'une extension analogique de la solution prévue à l'article 179 du Code de 

commerce qui n'est inspirée par aucun motif particulier aux lettres de change". L. LEVENEUR, obs. sur Cass. 

com., 16 avril 1996, Contrats, concurr., consomm., 07/96, n°120 ; adde, M. BRUSCHI, La prescription en droit 

de la responsabilité civile, Thèse Aix-Marseille, 1995, n°89, p.153.

264 

raisonnements tenus pour la contourner ou pour en atténuer les effets, et cela 

renforce inévitablement la croyance dans le caractère univoque de la solution. 

On lira par exemple que nul paiement ne saurait être frauduleux. C’est 

l’opinion défendue par Mme le professeur Catala et par M. le professeur 

Ghestin (933) . C'est plus encore une opinion qui sert de référence en bas de 

page. Elle écarte absolument la possibilité d’une action paulienne contre un 

paiement, bien qu'elle admette l’éventualité d’un concert frauduleux ou 

l’hypothèse d’une simulation pour écarter un tant soit peu les conséquences 

dommageables pour le créancier victime. Les auteurs ne sont pas toutefois en 

accord sur la totalité du raisonnement qui conduit à affirmer l'irrecevabilité de 

l'action paulienne contre les paiements. 

Là encore, il faut s'interroger. Les nuances, les précisions ou les détails qui 

distinguent des raisonnements voisins rompent-ils l'unité de la doctrine ? Le 

fait est que l'on rencontre plus souvent une unanimité hétérogène qu'une 

unité sans faille. Cela n'est pas étonnant au fond. La doctrine française se 

rassemble autour d'un sentiment parfois communautaire, parfois corporatiste 

mais elle est consciente de sa diversité. L'unanimité n'est jamais une réalité ; 

elle est à géométrie variable et les auteurs ne s'accordent souvent que grosso 

modo. En revanche, pour assurer un rôle prescriptif, la doctrine doit 

apparaître gardienne de l'idéal d'unité ; son discours argumentatif véhicule 

ainsi cet accord irréel et, bien qu'une telle présentation de l'état des opinions 

doctrinales soit souvent démentie dans les faits, elle sert l'autorité de 

l'interprète scientifique. 

Notons qu'il y a là une différence fondamentale entre l’exposé explicatif 

aux XIXème et XXème siècles. Nous avons vu que les exposés controversistes 

des "exégètes" avaient pour ambition de rassembler le plus grand nombre 

d'arguments pour évincer ceux qui n’étaient pas conformes à la vérité, à la 

morale ou à la nature des choses. L’exposé analytique, qui va dominer le 

XXème siècle et qui va assurer la circulation "scientifique" du savoir juridique, 

se satisfera de solutions considérées comme univoques. Peut-on parler pour 

autant de déclin de la controverse à l’examen des questions traitées par les 

jurisconsultes du XIXème siècle et de celles traitées par les auteurs du XXème 

siècle (934) ? L’exposé controversiste a décliné en quantité, c’est indéniable. 

(933) N. CATALA, La nature juridique du paiement, Paris, LGDJ, 1961, préface de J. Carbonnier, p.277 ; 

J. GHESTIN, "La fraude paulienne", Mélanges Marty, Toulouse, 1978, p.578. 

(934) C. ATIAS, "La controverse doctrinale et le mouvement du droit privé", RRJ 1983, p.427 et la discussion 

reproduite.

265 

Mais il reste que la doctrine a intégré dans son discours interprétatif les 

changements qui ont affecté la valeur du discours de la juridiction suprême. 

En rejetant une méthode de recherche considérée comme scolastique pour 

adopter un système considéré comme scientifique, la doctrine a contribué à 

modifier l'image de la controverse juridique. Elle n'y a pas pour autant 

renoncé. Elle a cependant considérablement affaibli sa valeur pédagogique. 

Les révolutions scientifiques qui ont affecté la charnière des XIXème et 

XXème siècles ont, certes, affecté l’idéal d’unité mais celui-ci est demeuré l’un 

des piliers de la recherche. Cela explique que le discours de la doctrine, 

ouvertement prescriptif et véritablement argumentatif au XIXème siècle, est 

devenu au XXème siècle un discours qui a revêtu les apparences de la 

description et de l’explication. Pour distiller, en toute neutralité, ses 

prescriptions et assouvir ses désirs de transformations, les auteurs doivent 

donc naviguer parmi les dogmes qui continuent de faire de la permanence et 

de l'unité, la fin et l'essence du droit. Car, au fond, la valeur de l'unanimité 

doit s'apprécier à travers la persistance des désaccords ; la “ doctrine 

unanime ” ne convaincra qu'autant qu'aucune opinion dissidente ne se sera 

fait entendre, et si celle-ci y parvient, la doctrine ne fera pas pour autant état 

d'une division de la doctrine. 

168. Une doctrine hésitante ? - Sorte d'angoisse contemporaine, la division de 

la doctrine qui viendrait rompre la cohésion du corps des juristes est traitée 

par des euphémismes. Plutôt que d'admettre l'éclatement de la doctrine en 

opinions divergentes, plutôt que de considérer que l'ensemble des auteurs est 

partagé sur une question donnée, on écrira que la doctrine est hésitante (935) . 

Pourtant on peut par exemple douter du caractère hésitant des positions de 

MM. les professeurs Aynès et Jamin sur les questions relatives au 

consentement du cédé dans les cessions conventionnelles de contrat (936) , ou 

encore de celles tenues par MM. les professeurs Ghestin et Malaurie lorsqu'il 

s'agit de discuter du sens d'une décision de la Cour de cassation concernant les 

notions de réticence dolosive et d'obligation d'information (937) . 

(935) F. EUDIER, note sous Cass. com., 3 mai 1995, D. 1997, p.124. 

(936) L. AYNES, "Cession de contrat : nouvelles précisions sur le rôlé du cédé", D. 1998, chr., p.25 ; C. JAMIN et 

M. BILLIAU, "Cession conventionnelle de contrat : la portée du consentement du cédé", D. 1998, chr., p.145 ; 

C. JAMIN, "Cession de contrat et consentement du cédé", D. 1995, chr., p.131 ; C. JAMIN, "Cession de contrat 

et consentement du cédé", D. 1995, chr., p.131 ; M. BILLIAU, "Cession de contrat ou délégation de contrat ? 

(étude du régime juridique de la prétendue “cession conventionnelle de contrat”)", JCP 1994.I.3758. 

(937) Cass. com., 27 février 1996, JCP 1996.II.22665, note GHESTIN ; D. 1996, p.517, note MALAURIE.

266 

En vérité, si les controverses partagent la doctrine, elles ne la rendent pas 

hésitante. Mais il semblerait qu'il vaut mieux croire qu'elle est hésitante plutôt 

que d'admettre qu'elle n'est pas unitaire. Il faut donc voir dans ce discours qui 

fait de la doctrine une entité ou un corps élémentaire, une rhétorique de la 

neutralité qui lui permet de s'immuniser contre les dérives polémiques de ses 

prescriptions. En se présentant unanime ou hésitante, la doctrine se veut 

toujours unitaire, de telle sorte que celui qui utilise cette rhétorique feint de 

disparaître derrière la totalité, tout en profitant de l'autorité attachée à la 

communauté, qu'il l'approuve ou qu'il la contredise. 

Ce désir d'apparaître comme un ensemble unitaire, la doctrine le manifeste 

aussi lorsqu'il s'agit de ne pas confondre les spécialités de chacun. Devant la 

diversité des situations, devant la complexité des textes, des précédents, des 

théories et des opinions, la doctrine cherche des raisons de distinguer selon les 

matières pour circonscrire à un champ humain - et non-herculéen - de 

connaissance, les domaines du droit accessibles aux juristes. Elle crée donc des 

spécialités et, en rendant autonomes les différentes branches du droit, les 

différentes matières ou les différentes notions par des descriptions objectives, 

elle autorise l'utilisation de procédés particuliers de détermination de la bonne 

réponse. Chaque spécialité connaît ses réponses parce qu'elle a ses méthodes. 

C'est à cette conclusion que nous amène l'étude de l'argument d'autonomie. 

ARTICLE 2. L'AUTONOMIE DES METHODES 

169. L'argument de spécialité - Sans doute devrait-on dire l'argument de 

spécialistes. En précisant une notion, en l'expliquant, il est tentant de lui 

imprimer un caractère original, de la présenter détachée des notions connexes 

qui la situent, de lui réserver des méthodes propres de détermination et 

d'application. C'est ainsi que l'on isole les critères d'identification des concepts 

juridiques. Mais il ne s'agit pas simplement parfois de qualifier un contrat ou 

une situation de fait. Si les critères utilisés pour figurer la commercialité d'un 

acte, sa soumission aux règles du droit du travail ou son appartenance au giron 

du droit commun tracent des règles de qualification, la question de 

l'autonomie ou de la spécialité des règles et des branches du droit masque 

aussi celle plus délicate de l'autonomie des méthodes et des raisonnements. 

On admet volontiers que, quoique partageant des règles communes, droit

267 

commercial et droit civil s'évincent l'un l'autre dans des situations qui leur 

sont réservées (938) . La réfaction judiciaire du contrat sera possible en droit 

commercial, alors qu'elle est bannie du droit civil ; les juges consulaires 

pourront ainsi intervenir pour rétablir un équilibre défaillant, alors qu'en 

matière civile, les juges seraient tenus par une application plus rigide des 

contrats spéciaux. L'inexécution du contrat de travail obéissant à des règles 

particulières, celles-ci autorisent les spécialistes du droit du travail à aborder 

la notion de force majeure ou d'inexécution contractuelle selon des canons qui 

leur sont propres (939) . La spécialité du droit aérien autoriserait des 

raisonnements dérogatoires au droit commun des transports (940) . Le droit 

financier devrait son autonomie grandissante au fait qu'il consiste 

principalement dans l'organisation de la circulation de ces choses anomales 

que constituent les titres (941) . Mais chaque spécialité a ses spécialités. 

De droit spécial en solutions spécifiques, toutes les branches du droit 

auraient donc des méthodes d'analyse et de description particulières, des 

techniques d'interprétation spécifiques (942) , et en dépit d'une certaine 

perméabilité des différents domaines du droit privé, ces spécialités 

autoriseraient les spécialistes à mener des raisonnements qui, par ailleurs, 

seraient irrecevables. La valeur de l'autonomie est donc essentiellement 

dérogatoire. La mise en évidence de l’autonomie du droit ou de 

l’indépendance des concepts a par conséquent pour but de dissocier d’un 

ensemble de solutions celles qui sembleraient contraires ou incompatibles ou, 

en tout état de cause, trop éloignées de la raison d’être de l’ensemble. 

De ce point de vue, l’autonomie permet de disqualifier des solutions par 

une élévation théorique du principe d’interprétation specialia generalibus 

derogant. Les raisonnements menés en général sont proscrits pour les cas 

particuliers dissociés ou les sous-ensembles autonomes. L’intérêt d’une telle 

autonomie théorique est bien entendu qu’elle sera capable de produire ses 

propres normes méthodologiques. "Apparemment inutile voire artificielle, la 

querelle de l'autonomie devrait être encore plus révélatrice de la démarche 

doctrinale (…) Prétendre faire du droit commercial un droit autonome, c'est 

(938) 

Comp. J. VAN RYN, "Autonomie nécessaire et permanence du droit commercial", RTD com. 1953, p.565 ; 

S. FREDERICQ, "L'unification du droit civil et du droit commercial", RTD com. 1962, p.203. 

(939) 

J.-J. DUPEYROUX, "Droit civil et droit du travail : l'impasse", Dr. soc. 1988, p.372 ; J. PELISSIER, "Droit 

civil et contrat individuel de travail", Dr. soc. 1988, p.387. 

(940) 

M. DE JUGLART, "Le droit aérien actuel est-il un droit autonome?", D. 1954, chr., p.117. 

(941) 

A. COURET, "De quelques apports conceptuels du droit financier contemporain", Mélanges Champaud, 


(942) 

G. COUTURIER, "Les techniques civilistes et le droit du travail", D. 1975, chr., p.151.

268 

principalement revendiquer l'autonomie de son interprétation (943) ". 

L'argument d'autonomie consiste ici à "substituer à l'interprétation une 

activité différente. Le choix s'offre entre le travail de réflexion sur la raison 

d'être de chaque règle civile pour décider de l'opportunité de son application 

au commerce - ce qui est l'interprétation - et la construction d'une règle 

nouvelle pour combler une lacune volontairement créée par l'éviction du 

droit civil (944) ". 

Tous les sous-ensembles du droit privé issus de l’éviction du droit commun 

répondent à cette préoccupation doctrinale et à ce désir “des spécialistes” de 

libérer l’interprétation des contraintes pesant sur l’interprète du droit 

commun. Ainsi de nouvelles branches du droit privé prétendent-elles à un 

moment ou à un autre gagner leur autonomie par l’élaboration d’un concept 

mieux adapté à leur objet. Selon M. le professeur Terré, approuvant les 

critères recueillis par M. le doyen Vedel, "il ne suffit pas de constater qu'une 

matière est régie par des règles empruntées aux matières les plus diverses pour 

considérer que cette matière constitue une branche autonome du droit, cette 

autonomie permettant de fonder des solutions originales dérogatoires (945) ". 

Encore faudrait-il remarquer que "l'autonomie apparaît d'abord toutes les fois 

que l'application à une matière des principes généraux et des méthodes de 

raisonnement empruntés purement et simplement à une discipline existante 

conduit à des inexactitudes (…) L'autonomie apparaît aussi, quoique de 

manière plus subtile, quand la matière considérée, bien que ne mettant 

apparemment en oeuvre que des principes et des méthodes empruntés à des 

branches existantes, en fait une sorte de combinaison chimique ayant un 

caractère de nouveauté… ainsi en est-il du droit du travail ? (946) ". M. le 

professeur Terré explique par là l'émergence des différentes branches du droit 

sous un rapport sociologique. L'évolution de notre société ferait naître la 

diversité des méthodes et la complexité du droit moderne (ou pourquoi pas 

post-moderne) libérerait de nouveaux "alliages". L'auteur souligne néanmoins 

le risque d'un passage trop rapide de la diversité à l'autonomie, "car 

(943) 

C. ATIAS, "Hypothèses sur la doctrine en droit commercial", Mélanges Roblot, Paris, LGDJ 1984, p.33. 

(944) 

Ibid., p.33. 

(945) 

F. TERRE, Introduction générale au droit, 4ème éd., 1998, précité, n°94, p.90 ; comp. J. GHESTIN, 

G. GOUBEAUX, et M. FABRE-MAGNAN, Traité de droit civil, Introduction générale, 4ème éd., 1994, précité, 

n°101. 

(946) 

G. VEDEL, "Le droit économique existe-t-il ?", Mélanges Vigreux, Toulouse, 1981, p.770.

269 

l'importance de celle-ci est variable, ce qui est de nature à introduire une dose 

inutile d'incertitude dans la détermination de la règle de droit (947) ". 

La doctrine qui commente les différentes frontières entourant les diverses 

matières autonomes ne manque pourtant pas de relever leur caractère 

incertain et flou et ce, même lorsqu'il s'agit de délimiter le droit privé du droit 

public : les frontières pourtant les mieux arrêtées restent mouvantes (948) . Les 

théoriciens et épistémologues du droit ne manquent pas de relever l'aspect 

idéologique du recours à l'autonomie y compris pour la distinction entre le 

droit commun et le droit public (949) . Il y a bien matière à penser que l'unité de 

l'ordre juridique affirmée d'une part, est pleinement contradictoire avec les 

sphères d'autonomie mises au jour d'autre part. En effet, la rhétorique 

doctrinale de l'autonomie se joue des incompatibilités théoriques pour créer 

des réflexes méthodologiques où les raisonnements se perdent dans le désir 

d'unité. 

Présenté comme un procédé de détermination de la règle applicable, le 

recours à l'autonomie des branches du droit permet à la doctrine de 

restreindre a priori l'étendue du champ des solutions possibles, afin que de 

l'autonomie des méthodes émerge logiquement un mode unique de 

reconnaissance des solutions. Cela ne se fait cependant pas sans controverse. 

Des débats divisent ainsi partisans du droit commun et partisans des droits 

autonomes aux solutions propres. Il faut souligner ici que l'invocation de 

l'autonomie a un objet sensiblement égal à celui de l'invocation des lacunes. Il 

s'agit de disqualifier une solution au profit de celle proposée par le droit 

commun. Cela a des vertus. On présente le droit commun comme stable en ne 

proposant pas sa mutation et il conserve son caractère supplétif pour les cas où 

la solution dérogatoire devrait à son tour être écartée. On salue alors le retour 

au droit commun quand la solution dégagée par le droit prétendu autonome 

est contraire à certains principes ou certaines valeurs. Les questions ne 

s'éteignent pas pour autant. L'autonomie relative des branches du droit privé 

que l'on dessine par là, laisse persister des difficultés d'identification du droit 

commun parce que les branches autonomes du droit se présentent ellesmêmes 

comme lacunaires. 

(947) F. TERRE, Introduction générale au droit, 4ème éd., 1998, précité, n°94, p.91. 

(948) J. CARBONNIER, Droit civil - Introduction, 25ème éd., 1997, précité, [67], p.111. 

(949) M. TROPER, Pour une théorie juridique de l'État, précité, chapitre XII, La distinction droit public - droit 

privé et la structure de l'ordre juridique, p.193 ; H. KELSEN, Théorie pure du droit, 1ère éd., 1953, rééd., 1988, 

précité, p.164 ; Théorie pure du droit, 2ème éd., 1962, précité, p.372 ; adde F.-X. TESTU, "La distinction du 

droit public et du droit privé est-elle idéologique ?", D. 1998, chr., p.345.

270 

La Cour de cassation admet par exemple que "le salarié dont l'affection ne 

peut pas être prise en charge au titre de la législation sur les accidents du 

travail ou les maladies professionnelles peut engager une action contre son 

employeur selon le droit commun de la responsabilité civile 

contractuelle (950) ". La valeur supplétive du droit commun qui est affirmée, 

commande de nous interroger sur l'autonomie relative du droit de la Sécurité 

sociale par rapport au droit commun de la responsabilité. Mais faut-il encore 

se demander quel est le droit commun de la responsabilité civile ? 

Logiquement, pour le droit de la Sécurité sociale, le droit commun de la 

responsabilité civile sera ici le régime de l'inexécution contractuelle car, en 

n'appliquant pas le droit commun de la responsabilité délictuelle, la Cour de 

cassation affirme l'autonomie du droit de la Sécurité sociale. Mais quoique 

recevable, cette position apparaît contradictoire au regard des dispositions 

connexes du droit du travail. Selon M. le professeur Radé, les règles qui 

déterminent pour l'hypothèse concernée l'application du droit de la Sécurité 

sociale, règles relatives à l'obligation de sécurité dans les contrats de travail, 

rendraient indifférente la nature du lien qui unit "le chef d'établissement" et 

les personnes placées sous son autorité, de sorte que la solution posée 

aboutirait à créer par une autonomie mal fondée, une dualité de régime qui se 

perdrait en contradictions et paradoxes. Ce contre-argument d'autonomie a lui 

aussi pour ambition de ramener le régime applicable à plus d'unité ; il fait en 

sorte de souligner qu'une autonomie imparfaite n'est jamais qu'une source 

potentielle de dissonance là où la distinction ne s'impose pas, et qu'il vaut 

mieux raisonner sur les concepts plutôt que sur des branches du droit figées a 

priori. 

Les raisonnements d'autonomie concernent donc aussi les régimes 

juridiques associés aux concepts qu'ils réalisent. La doctrine relayée par la 

jurisprudence a ainsi cherché à débrouiller l'écheveau des controverses 

relatives aux actions de l'acquéreur en associant à chaque concept de vice 

caché, de non-conformité ou d'erreur, une action et un régime unique. 

170. Autonomie des actions - L'unicité de la solution est rarement affirmée par 

la voix prétorienne de la Cour de cassation. Un exemple récent nous paraît 

significatif de l'évolution du discours théorique de la juridiction suprême. Sur 

une question dont la teneur fut maintes fois soumise à l'examen des 

(950) Cass. soc., 28 octobre 1997, D. 1998, p.219, note critique RADE.

271 

différentes chambres civiles, la Cour vient d'admettre pourtant que "la 

garantie des vices cachés constituant l'unique fondement possible de l'action 

exercée, la cour d'appel n'avait pas à rechercher si l'acquéreur pouvait 

prétendre à des dommages et intérêts sur celui de l'erreur" (951) . Encore une 

fois, il s'agissait d'une affaire de tuiles gélives. L'acquéreur d'un lot de tuiles 

défectueuses ne pouvant obtenir réparation de son préjudice sur le terrain des 

vices cachés, faute d'avoir agi à bref délai, entendait obtenir satisfaction en 

faisant annuler la vente pour erreur sur les qualités substantielles de la chose - 

en l'espèce, son aptitude à remplir la fonction que croyait pouvoir lui assigner 

l'acquéreur - et à défaut d'annulation en demandant l'octroi de dommages et 

intérêts. La Cour d'appel de Versailles puis la première chambre civile de la 

Cour de cassation repoussèrent cette argumentation au motif déterminant 

qu'en présence d'un vice caché avéré, seules les actions prescrites aux articles 

1644 et 1645 du Code civil, pouvaient être valablement mises en oeuvre. Cette 

décision approuvée par la doctrine (952) qui voit dans cet arrêt la fin des 

confusions qui gouvernaient la matière (953) , s'inscrirait dans un mouvement 

général d'éclaircie (954) et permettrait de faire le tri parmi les prétendus 

concours d'action (955) . 

Ce raisonnement d'autonomie tracé à gros trait révèle incidemment la 

volonté de la Cour de cassation de cloisonner les différentes situations de 

façon à ce qu'à une qualification spéciale corresponde une action spéciale. 

L'idée diffusée par la doctrine vint à éclore que le champ d'application et le 

régime juridique des différents concepts devaient être maintenus distincts, 

comme si par nature ils l'avaient toujours été, mais que des analyses confuses 

et erronées en avaient altéré la préhension. 

En reprenant à son compte cette reformulation du problème et ses 

solutions, la Cour de cassation érige de nouvelles contraintes argumentatives 

que les parties et leurs conseils devront contourner et utiliser. Si un vice caché 

affecte la chose vendue, alors que l'acquéreur lésé souhaite obtenir 

l'annulation de la vente pour erreur, il lui faudra taire le vice (et en mettant 

en avant un manquement du vendeur à son obligation d'information, il pourra 

(951) Cass. civ. 1ère, 14 mai 1996, Bull. civ. I, n°237 ; Cass. civ. 1ère, 9 février 1994, pourvoi n°91- 

19.878 lexis ; Cass. civ. 2ème, 2 décembre 1992, pourvoi n°90-16.443 lexis ; comp. Cass. civ. 1ère, 17 juin 

1997, Bull. civ. I, n°206. 

(952) C. RADE, "L'autonomie de l'action en garantie des vices cachés", JCP 1997.I.4009, n°1. 

(953) B. GROSS et Ph. BIHR, Les contrats civils 1, Paris, PUF, 1993, p.266. 

(954) A. BENABENT, "Conformité et vices cachés dans la vente : l'éclaircie", D. 1994, chr., p.115. 

(955) O. TOURNAFOND, "Les prétendus concours d'action et le contrat de vente", D. 1989, chr., p.237 .

272 

peut-être obtenir l'anéantissement du contrat par la voie dérobée de la 

résolution). L'affirmation de l'autonomie des qualifications, fondée a priori, 

crée ici un tabou qui prive le débat de l'une de ses dimensions. Si, à son tour, 

la doctrine tait la difficulté de concevoir distinctement le fondement des deux 

actions, la Cour de cassation aura marqué la frontière et tranché la difficulté 

en réaffirmant l'imperméabilité des domaines de la formation et de l'exécution 

du contrat. Mais par ailleurs parce que l'on identifiera des obligations dont la 

nature juridique est autonome, on affirmera que l'obligation de sécurité est 

sanctionnée par un régime transcendant la distinction contractuel / 

délictuel (956) et l'on réservera aux obligations de conseils des régimes 

hybrides (957) . Il y a donc quelques difficultés à conclure que le "seul 

fondement possible" se découvre en dissociant chacun des concepts pour 

dessiner un champ d'application propre dès lors que des obligations voisines se 

conçoivent tantôt en termes de responsabilité contractuelle, tantôt en termes 

de responsabilité délictuelle. L'action de l'acquéreur mettant en cause le 

défaut de renseignement du vendeur peut être en effet, soit contractuelle 

associée à l'article 1147 du Code civil, soit contractuelle mais propre à la vente 

associée à la garantie d'éviction ou à la garantie des vices cachés, soit spéciale à 

la formation du contrat pour sanctionner le vice du consentement, le défaut 

de renseignement pouvant constituer une réticence dolosive et, le cas échéant, 

délictuelle, si l'on fait apparaître que le dol du vendeur constitue une faute 

ayant entraîné un préjudice non prévisible. Ces actions demandant l'allocation 

de dommages et intérêts, la réduction du prix, l'annulation ou la résolution, 

conduisent indifféremment à l'anéantissement des relations contractuelles 

et/ou à une indemnisation en argent, c'est-à-dire, par soustraction totale ou 

partielle, à une réfaction du prix du contrat. 

Mais en présence de régimes de preuve, de prescription et d'indemnisation 

dont les contours sont dessinés par des concepts à contenu variable, il semble 

vain de proclamer que l'issue de chaque litige a une solution unique en raison 

(956) Y. LAMBERT-FAIVRE, "Fondement et régime de l'obligation de sécurité", D. 1994, chr., p.81 ; Cass. civ. 

1ère, 28 avril 1998, JCP 1998.II.10088, rapp. SARGOS ; RTD civ. 1998, p.684, obs. JOURDAIN, qui en 

application "des articles 1147 et 1384 al. 1er du Code civil, interprétés à la lumière de la directive CEE n°85- 

374 du 25 juillet 1985", pose que "tout producteur est responsable des dommages causés par un défaut de son 

produit, tant à l'égard des victimes immédiates que des victimes par ricochet, sans qu'il y ait lieu de distinguer 

selon qu'elles ont la qualité de partie contractante ou de tiers" ; adde, J.-L. HALPERIN, "La naissance de 

l'obligation de sécurité", n°spécial Gaz. pal. 21-23 septembre 1997, p.2. 

(957) M. FABRE-MAGNAN, De l'obligation d'information dans les contrats, Paris, LGDJ, préface J. Ghestin, 

1992, p.465 et s. ; voir également C. HOCHART, La garantie d’éviction dans la vente, Paris, LGDJ, 1993, 

préface de J. Ghestin, n°308, p.233 ; F. BUSSY-DUNAUD, Le concours d’actions en justice entre les mêmes 

parties, Paris, LGDJ, 1988, préface de J. Ghestin, n°644 s., p.299 s.

273 

de son seul fondement possible. Si l'on présume que chaque concept doit 

pouvoir se distinguer de son voisin, il reste que le chevauchement des champs 

d'application des différentes notions, chevauchement dû à la structure ouverte 

du langage et à ses mutations, interdit de séparer de manière péremptoire des 

concepts au seul argument qu'ils seraient signifiés par des vocables différents. 

La réfaction du contrat n'est pas la réduction du prix, et pourtant…, 

l'inexécution de l'obligation contractuelle de renseignement n'est pas la 

réticence dolosive, et pourtant…, les situations à qualifier sont parfois si 

proches que les dissocier a priori paraît absolument illusoire. 

Il faut se rendre compte que l'univocité du vocabulaire juridique est 

utilisée comme postulat dans l'argumentation d'autonomie ; elle ne fait 

qu'isoler les zones de conflit d'interprétation pour leur attribuer à chacun une 

solution particulière, avec pour corollaire immédiat de repousser les questions 

qui pourraient naître d'un abus de distinction. 

171. Vocables, concepts et matières distincts - Si le vocabulaire juridique est en 

général insolite par ses archaïsmes, c’est, nous dit-on, pour lui préserver la 

part de technicité qui le dégage du langage commun. Mais il n'est pas rare que 

des vocables différents soient utilisés pour signifier des réalités identiques et 

inversement. Les confusions sont aisées. Elles sont mêmes aisément 

provoquées sous prétexte de raisonnement étymologique. 

Lorsque la compréhension d'une notion passe par l'analyse étymologique, 

la plupart du temps latine, du vocable utilisé, c'est toujours pour y associer un 

régime, ou un raisonnement analogique. La classique analyse duale du couple 

"nature / régime" est alors un instrument prescriptif plus qu'heuristique (958) . 

"L'identité d'expression conduit à l'identité de pensée" nous dirait 

Troplong (959) . De la même manière, l'utilisation de formules fondant le 

rapprochement de concepts seulement sur des parentés de vocabulaire ne peut 

être conçue que comme rhétorique. On ne trouve en droit véritablement que 

ce que l'on cherche. Mais les distinctions opérées n'ont parfois vraiment pour 

objet que de faire en sorte que la réflexion proposée évince les discussions 

passées, pour se satisfaire des mots et des concepts nouvellement forgés. 

La doctrine dénonce alors aussi des distinctions trompeuses, notamment à 

l'examen des interprétations de la loi du 5 juillet 1985 relative aux accidents 

(958) Comp. J.-L. BERGEL, "Différence de nature égale différence de régime", RTD civ. 1985, p.254. 

(959) R.-T. TROPLONG, Le droit civil expliqué suivant l'ordre du Code civil, De l'échange et du louage, Paris, 

Hingray, tome 1er, 1840, p.92-93.

274 

de la circulation. "Qu'on ne s'y trompe pas. Le concept de perturbation n'est 

que celui de causalité, déguisé. (...) Le mot de perturbation n'est qu'un trompe 

l'oeil (960) ". On trouverait en réalité sous le régime de la réparation des 

préjudices subis du fait d'un accident de la circulation, lequel est présenté 

comme un régime autonome d'indemnisation des victimes, les concepts jaunis 

du droit commun de la responsabilité civile. Qu'il s'agisse pour elle d'un bien 

ou d'un mal, lorsque la doctrine met en avant la nécessité d'une distinction à 

faire, elle utilise l'argumentation d'autonomie pour cloisonner les 

raisonnements sur le fond. Le discours doctrinal prend ici toute sa force. C'est 

de la discussion doctrinale qu'émergent les contraintes argumentatives qui 

vont guider et brider les raisonnements des juristes. Telle distinction doit être 

faite ; telle autre n'est pas pertinente. Telle assimilation peut être contestée ; 

telle autre doit être observée. Et ce discours pèse sur la liberté de l'interprète 

authentique ; non pas sur son pouvoir directement, mais simplement parce 

que le discours doctrinal est un champ qui peut se libérer des contraintes 

d'autorité qu'il s'est lui-même imposées. La doctrine libère le panorama de 

l'interprète authentique : elle lui offre des choix, des solutions, des arguments 

et des raisons ; mais elle le bride aussi, en imposant le respect de primautés 

doctrinales. 

PARAGRAPHE 2. PRIMAUTES DOCTRINALES. 

Passage obligé du raisonnement juridique, l'examen de la nature juridique 

d'une situation, d'une obligation ou d'une action se présente comme 

indispensable. Lorsque les auteurs définissent la nature juridique de 

l'obligation d'information (961) , celle de la prestation compensatoire (962) ou celle 

du lot de copropriété (963) , leurs théories nourrissent des arguments destinés à 

modifier la sphère des raisons d'autorité. L'interprète se libère des contraintes 

argumentatives et renverse "la théorie officielle de l'interprétation (964) " en 

proposant des explications du concept discuté qui sont censées mieux saisir la 

réalité du droit. Les raisonnements sur la nature juridique (ARTICLE 1) se 

(960) F. CHABAS, note sous Cass. civ. 2ème, 25 janv. 1995, Gaz. pal. 1995, 18/20 juin 1995, p.28. 

(961) M. FABRE-MAGNAN, De l'obligation d'information dans les contrats, précité, 1992, n°493, p.394. 

(962) A. SERIAUX, "La nature juridique de la prestation compensatoire ou les mystères de Paris", RTD civ. 1997, 

p.53. 

(963) H. et L. MAZEAUD, J. MAZEAUD, F. CHABAS, Leçons de droit civil, Biens, Paris, Montchrestien, 8ème 

éd., 1994, par F. CHABAS, p.59, n°1326-3. 

(964) P.-A. COTE, "L'interprétation de la loi : une création sujette à contraintes", in D. BOURCIER et P. MACKAY 

(dir.), Lire le droit, Paris, LGDJ, 1992, p.135.

275 

prolongent alors de raisonnements conséquentialistes où finalité et 

opportunité se confondent parfois (ARTICLE 2). 

ARTICLE 1. LA NATURE JURIDIQUE. 

172. L’argument tenant à la nature des choses - Si la nature humaine est un 

paradigme perdu en sciences sociales (965) , on peut considérer que l'analyse de 

la nature juridique a su préserver ses forces persuasives. Mais lorsque la 

doctrine utilise la "nature" d’une situation ou d'un concept, elle ne se place pas 

nécessairement dans une perspective jusnaturaliste. En effet, alors qu’un 

raisonnement en prise sur le droit naturel aurait plutôt tendance à découvrir 

des solutions en équité et en tout état de cause de manière casuistique, pour 

faire primer de manière avouée la recherche de la justice, l’utilisation de la 

nature des choses par des auteurs qui se méfient de l’équité, donne à cette 

rhétorique une résonance particulière. 

L’utilisation par les auteurs de la nature juridique du fonds de commerce, 

du paiement, de la responsabilité ou des quasi-contrats révèle l’existence d’une 

contrainte argumentative par laquelle le message doctrinal se doit de passer. 

Naturellement, cette contrainte peut venir de la loi elle-même qui fera 

référence par exemple à la nature des biens propres ou communs pour 

déterminer le champ d’application de la présomption de communauté (966) , ou 

encore qui visera la nature d’une obligation pour définir les conséquences qui 

y sont attachées (967) . Plus que n’importe quel autre concept, la nature des 

choses fonctionne à contenu variable. Comme le montrait Perelman, 

l’argument naturaliste permet de s’opposer aux arguments tirés de la loi (968) . 

L’idée qu'il véhicule est que les concepts juridiques sont dotés d’une teneur, 

d'un régime, d’attributs, de propriétés, ou enfin de valeurs qui 

transcenderaient l’énoncé normatif positif. On le conçoit aisément dans la 

philosophie jusnaturaliste, dans la mesure où la raison universelle qui 

(965) E. MORIN, Le paradigme perdu, la nature humaine, Paris, Seuil, 1973. 

(966) Pour une analyse des articles 1402 et suivants du Code civil, voir Ph. MALAURIE et L. AYNES, "La 

distinction des biens propres et des biens communs dans la communauté légale ; principes directeurs", 

Defrénois 1989, p.334. 

(967) L'article 1135 du Code civil fait expressément référence à la nature de l'obligation pour en déterminer le 

champ d'application. Ainsi, l'on admettra qu'une convention d'assistance emporte nécessairement pour l'assisté 

l'obligation de réparer les conséquences des dommages corporels subis par celui auquel il est fait appel : cass. 

civ. 1ère, 27 janvier 1993, RTD civ. 1993, p.584, obs. JOURDAIN. 

(968) Ch. PERELMAN, Logique juridique, précité, n°33, p.59 ; adde, O. CORTEN, "La référence à la nature des 

choses dans l'herméneutique de l' "École de Bruxelles" : critique sociologique", RIEJ 1998-40, p.79.

276 

gouverne les Hommes permet d’accéder dans le raisonnement juridique à la 

solution juste. Sans doute, au XXème siècle, a-t-on fait évoluer les conceptions 

d’une nature des choses figée de toute éternité pour attribuer au droit naturel 

un contenu variable mieux à même de répondre aux exigences pratiques ; mais 

quelles que soient les nuances de la perspective jusnaturaliste que l’on adopte, 

c’est la raison naturelle qui déterminera la valeur de la norme positive et non 

l'inverse. 

Or l'indétermination relative du droit naturel contraint le juriste à une 

interprétation casuistique et empirique au sens aristotélicien. Ex facto jus 

oritur. La nature juridique d'une obligation se détermine à son examen 

empirique. Si l'expérience permet d'induire une raison générale pour poser 

une règle abstraite de qualification, cette raison agissant a priori réserve 

néanmoins sa part d'indétermination pour le cas où la juste mesure s'établirait 

de manière insolite. Les auteurs qui affichent clairement leurs convictions 

philosophiques jusnaturalistes décrivent le droit positif et le critiquent au 

moyen des théories de la justice qu'ils ont adoptées. Leur point commun est 

que les textes positifs, même lorsqu'ils sont jugés conformes au droit naturel, 

sont nécessairement des approximations linguistiques d'objets conceptuels 

existants voire prédestinés. Pour leur découverte, il s'agira de procéder par 

une argumentation pro et contra, et "par là même dépasser la stricte 

neutralité (969) ". 

Dans cette perspective, la nature des choses, dans son acception abstraite, 

est le creuset d'une dialogique pro / contra qui, lors du jugement rendu par 

l'autorité, habilitée à énoncer la norme particulière, fera surgir la juste 

solution d'espèce. La doctrine, elle, se contente d'étayer cette dialogique, mais 

cela ne la prive pas de son pouvoir prescriptif, au contraire, puisqu'elle trace 

des orientations méthodologiques, conceptuelles et philosophiques qui vont 

guider la recherche du juste. 

La difficulté se noue dans les hypothèses très nombreuses où le discours 

doctrinal emprunte les pas d'un raisonnement naturaliste pour ses vertus 

persuasives sans toutefois adhérer au fonds philosophique qu'il embrasse. 

Lorsque la doctrine utilise l’argument naturaliste sans révéler explicitement la 

perspective philosophique dans laquelle elle se situe, soit parce qu’elle tait ses 

présupposés théoriques, soit parce qu’elle les ignore ou feint de les ignorer, la 

nature des choses devient le contenant d’un message prescriptif qui s’appuie 

(969) A. SERIAUX, "La notion de doctrine", Droits-20, p.68.

277 

sur un raisonnement descriptif. Grâce à la nature des choses et à l'unité dont 

elle est pourvue, l’on peut ainsi écarter les interprétations d’un texte qui 

s’avéreraient non conformes à la solution désignée comme seule légitime. L'on 

peut pareillement assigner à un concept une signification univoque ou exciper 

la contradiction qui résulterait d’un constat sur la nature ambivalente d’un 

concept. Il faut souligner que, dès lors qu’elle n’a pas vocation à guider un 

raisonnement en équité, la nature des choses est un procédé rhétorique 

permettant de définir des solutions a priori qui s'imposeraient comme étant 

objectives, émanant d'une raison pure, alors qu’elle n’est le plus souvent que le 

réceptacle d’un discours politique. 

173. Utilisation téléologique de la nature de la responsabilité - La Cour de 

cassation peut se montrer attentiste et livrer à la doctrine le soin de préciser 

les termes d'un débat en mutation. Pour exemple, un arrêt du 6 mars 1996 de 

la deuxième chambre civile relatif à la responsabilité du transporteur, mérite 

une attention particulière pour son contenu mais aussi pour la manière dont la 

doctrine l'a abordé (970) . La question tranchée par les premiers juges était de 

savoir si le passager d'un T.G.V. dont les bagages déposés en bout de voiture 

avaient été volés, pouvait obtenir réparation de son préjudice. Condamnant la 

SNCF à l'indemniser, le jugement énonçait que bien que la responsabilité du 

transporteur fût uniquement prévue en cas d'enregistrement des bagages, 

celle-ci n'était pas exclue en cas de dépôt de bagages à main dans une soute 

collective en bout de voiture. La Cour de cassation censurait le jugement pour 

manque de base légale, pour n'avoir pas explicitement énoncé le fondement 

de l'indemnisation. Cette décision suscite plusieurs questions au-delà du 

choix, non accompli par la juridiction suprême elle-même, de la nature de la 

responsabilité encourue par le transporteur. Les termes du choix sont 

alternatifs. La responsabilité du transporteur sera contractuelle ou délictuelle. 

La règle du non-cumul des responsabilités chapeautant le débat rend 

l'alternative disjonctive. La discussion, qui est fonction des données propres à 

l'espèce, résonne dans un cadre plus général. 

Question : les biens non enregistrés transportés par le passager relèvent-ils 

du contrat de transport ? si oui, comment interpréter la clause limitative de 

responsabilité relative aux bagages enregistrés ? Deux interprétations semblent 

plausibles. Soit la clause limitative de responsabilité est applicable à toutes les 

(970) Cass. civ. 2ème, 6 mars 1996, Bull. civ. II, n°58 ; JCP 1996.I.3958, n°4, obs. FABRE-MAGNAN ; D. 1997, 

somm. p.25, obs. DELEBECQUE.

278 

choses qui accompagnent le passager comme l'accessoire suit le principal, soit 

elle ne l'est pas. Mais la clause ne vise que les bagages enregistrés. Cela ne 

s'entend pas de toutes les choses et il faudra donc établir la pertinence de 

l'enregistrement comme critère décisif d'entrée dans le champ de l'objet 

contractuel. 

174. Dans le champ contractuel - Deux lectures a contrario divergentes de la 

clause limitative de responsabilité sont possibles si l'on suppose que le bagage 

enregistré est objet accessoire du contrat de transport. Soit la clause signifie 

que la responsabilité du transporteur est "illimitée" pour les bagages non 

enregistrés, soit la clause l'exonère totalement. Dans la première branche de 

l'alternative, le terme "illimitée" doit être entendu en cohérence avec la 

réparation du dommage prévisible de l'article 1150 du Code civil, de sorte que 

la réparation du préjudice né de l'inexécution du contrat n'est illimitée 

qu'autant que l'étendue du dommage était prévisible au moment de la 

conclusion du contrat. Dans la seconde branche, l'interprétation de la clause 

libère le transporteur dans la mesure où les bagages non enregistrés restent 

sous la vigilance et la surveillance du passager, et bien qu'entrant dans le 

champ contractuel, leur détérioration ou leur vol ne sauraient avoir pour effet 

de permettre la mise en oeuvre de la responsabilité contractuelle du 

transporteur. Il reste qu'une telle interprétation de la clause pour les bagages 

enregistrés conduirait à exonérer totalement la SNCF de sa responsabilité, 

remplissant du coup les critères matériels de la clause abusive. Source de 

difficulté, déjà non écrite parce que dégagée d'une lecture a contrario, cette 

interprétation ne saurait être admise pour être ensuite réputée non écrite. 

Dans l'interprétation du contrat, l'exonération totale de responsabilité pèse 

comme une contrainte interprétative au titre des stipulations informelles 

abusives. Troisième et dernière interprétation de la clause, le bagage non 

enregistré ne relèverait pas du champ contractuel. 

175. Hors du contrat - La réparation du préjudice du passager serait offerte aux 

conditions de la responsabilité délictuelle. L'enregistrement du bagage serait 

alors décisif de la nature de la responsabilité encourue par les transporteurs. 

La réparation du dommage serait alors intégrale et non limitée aux dommages 

prévisibles puisque il serait la conséquence d'une faute personnelle de la SNCF 

ou de celle d'une personne dont elle doit répondre. Soit le défaut de 

surveillance ou de vigilance est alors admis mais cela reviendrait à présumer la

279 

responsabilité du transporteur pour son fait personnel par une sorte 

d'obligation de moyen renforcée détachée du contrat. Soit la responsabilité du 

transporteur du fait d'autrui serait engagée pour la faute d'un préposé ou plus 

vraisemblablement du fait du passager dont il doit répondre. On toucherait 

une version très étendue des arrêts Blieck (971) et Bertrand (972) . Ce ne serait pas 

une responsabilité contractuelle du fait d'autrui, mais une responsabilité 

délictuelle du fait du contractant (le voleur étant présumé titulaire d'un 

billet). Il est probable que nous sommes encore loin d'une telle extension de la 

responsabilité délictuelle, du moins explicitement, mais son intérêt étant 

évidemment pour les victimes de déplafonner la limitation de l'indemnisation 

qui aurait cours en vertu de l'article 1150 du Code civil, il n'est pas douteux 

qu'elle trouvera des défenseurs. Déjà la chambre criminelle annonce une 

responsabilité sans faute en posant que "les personnes tenues de répondre du 

fait d'autrui au sens de l'article 1384 al.1er du Code civil ne peuvent 

s'exonérer de la responsabilité de plein droit résultant de ce texte en 

démontrant qu'elles n'ont commis aucune faute (973) ". Il suffirait simplement 

que l'on admette que le transporteur a en quelque sorte un pouvoir de 

contrôle du mode de vie du voyageur pendant la durée du voyage pour le 

rendre responsable du fait de son passager, même clandestin. Les mêmes qui 

défendaient hier la nature contractuelle de la responsabilité du transporteur 

parce qu'elle les dispensait de rapporter la preuve d'une faute de la SNCF, 

pourraient aujourd'hui trouver plus satisfaisant de défendre la nature 

délictuelle. En se rapprochant d'une sorte de responsabilité sans faute du 

transporteur qui ferait échapper l'indemnisation du préjudice subi par le 

voyageur du carcan des différentes clauses limitatives de responsabilité, la 

nature de la responsabilité aurait-elle changé ? L'arrêt du 6 mars 1996 est 

silencieux et la Cour de cassation ne franchira peut-être jamais le pas mais il 

permet d'observer que la discussion sur la nature de la responsabilité est 

féconde, quelle que soit la question pratique. Lorsque l'on s'interroge sur le 

caractère contractuel ou délictuel d'une responsabilité ou d'une action, 

lorsque l'on s'attache à définir la nature d'une relation qui unit des obligés, et 

(971) Cass. ass. plén., 29 mars 1991, D. 1991, p.324, note LARROUMET ; JCP 1991.II.21673, 

concl. DONTENWILLE, note GHESTIN ; Defrénois 1991, p.729, obs. AUBERT ; RTD civ. 1991, p.312, obs. 

HAUSER, p.541, obs. JOURDAIN. 

(972) Cass. civ. 2ème, 19 février 1997, D. 1997, p.265, note JOURDAIN ; JCP 1997.II.22848, concl. KESSOUS, 

note VINEY ; C. RADE, "Le renouveau de la responsabilité du fait d'autrui", D. 1997, chr., p.279 ; 

H. LECUYER, "Une responsabilité déresponsabilisante", Droit de la famille 1997, n°3, Repères. 

(973) Cass. crim., 26 mars 1997, D. 1997, p.496, note JOURDAIN ; JCP 1997.II.22868, rapp. DESPORTES ; 

D. 1998, somm. obs. D. MAZEAUD ; JCP 1997.I.4070, obs. VINEY.

280 

plus généralement, lorsque l'on examine la nature juridique d'une situation, 

on anticipe nécessairement le régime juridique qui lui sera applicable. 

Si l'évolution du droit positif a modifié d'une manière ou d'une autre le 

régime applicable, les termes du choix auront changé et l'on pourra penser 

que la nature juridique de la situation a elle-même changé. Ce raisonnement 

qui combine la nature à son régime juridique associe l'essence d'un concept à 

sa traduction normative ; se trouve ainsi justifiée toute mutation de la nature 

par le changement de régime (974) . Cet argument naturaliste est à contre-pied 

de celui défini par Perelman. Il ne consiste pas à dépasser la loi, sa lettre ou 

son esprit, au moyen d'une réflexion essentialiste indépendante des textes, 

mais au contraire à justifier les métamorphoses d'un concept par intervention 

de l'autorité habilitée. L'utilisation de l'association nature/régime conduit à 

définir grâce aux règles posées une "nature positive" des situations. Cette 

utilisation de la nature est en fait téléologique. La nature des choses se trouve 

ici finalisée. Quand elle permet une meilleure indemnisation du 

consommateur, la responsabilité cesse d'être contractuelle, mais si l'on glisse 

sur le terrain de la preuve de la faute, elle le redevient en s'associant à 

l'obligation de résultat. À aucun moment n'est véritablement définie la 

relation entre les obligés, le débat est posé en des termes différents, le plus 

souvent volontaristes. L'équation par laquelle une nature correspond à un 

régime unique, unitaire, énoncé en règles univoques, semble encore avoir une 

force persuasive telle que les juristes non-naturalistes s'obligent à des 

exercices de style cachant leurs mobiles politiques sous un masque naturaliste. 

176. Nature unique ? - On voudrait croire qu'un raisonnement sur la nature des 

choses juridiques permet de connaître la solution qui convient, 

indépendamment des autres contraintes argumentatives pesant sur 

l'interprète, mais les solutions naturelles ne sont pas moins finalisées que les 

autres. Il faut voir dans l'argument tenant à la nature des choses un 

raisonnement qui tantôt évincera le régime juridique positif pour déterminer 

la chose en soi, tantôt s'appuiera sur les textes pour connaître la nature 

positive de la chose. Peut-être y a-t-il une nature unique pour les choses, mais 

les juristes utilisent le double visage de l'argument naturaliste pour 

argumenter pro ou contra (975) . 

(974) J.-L. BERGEL, précité, p.259. 

(975) Pour une illustration en droit pénal : F. BOULAN, "Le double visage de l'action civile exercée devant la 

juridiction répressive", JCP 1973.I.2563 et R. VOUIN, "L'unique action civile", D. 1973, chr., p.265.

281 

L'on considérera ainsi que le mécanisme du remploi de l'article 1434 du 

Code civil étant une subrogation réelle, cette opération de remplacement est 

indépendante de la volonté des époux ; elle est automatique et il suffit de 

montrer que les fonds remployés étaient des fonds propres pour que le bien 

acquis soit qualifié de propre. Et inversement, on dira que le remploi est une 

exception à l’article 1401 du Code civil puisqu’il permet à un bien acquis à 

titre onéreux pendant le mariage de devenir un propre de l’époux. Ce 

mécanisme écartant la présomption de communauté, l’article 1434 doit être 

interprété comme une disposition spéciale reposant sur un formalisme 

rigoureux : l’époux qui voudrait que le bien échappe à la présomption de 

communauté a l’obligation de déclarer le remploi et, à défaut, de conclure un 

accord avec son conjoint. La règle spéciale reposant sur la forme, il n’est donc 

pas possible d’y déroger (976) . Double nature pour des réponses divergentes. Par 

ailleurs, connaître la nature juridique d'un contrat, c'est le plus souvent 

pouvoir le qualifier et le rattacher à un régime mais c'est aussi, une fois 

découverte "la prestation caractéristique" ou "l'obligation fondamentale (977) ", 

montrer que le contrat en question est innomé, qu'il possède un régime 

positivement identifiable qu'en conséquence il s'agit de construire. 

De nombreuses qualifications ont ainsi été proposées pour éclairer la 

nature juridique du contrat de coffre-fort et après avoir été tentée par le 

dépôt, la Cour de cassation a montré sa préférence pour la qualification de 

contrat de garde (978) . Dans cet esprit, l'argument naturaliste affranchit 

l'interprète de la contrainte textuelle. Elle lui permet d'affirmer qu'une 

différence de nature égale une différence de régime (979) et le conduit à 

imaginer un régime rénové. Mais cette égalité est des plus ambiguës. On 

justifiera autant la nécessité d'un changement de régime par l'évolution de la 

nature de la chose, que l'on découvrira que la chose a changé par l'analyse 

d'une réforme ou d'un revirement. L'argument naturaliste oscille ainsi entre 

des descriptions censées traduire la teneur positive d'un concept et d'autres 

invitant l'interprète à raisonner sur son immanence et sa permanence. 

(976) 

A. COSTE-FLORET, "Le remploi tacite à retardement sous le régime de la communauté", RTD civ. 1975, 

p.47 ; M. GRIMALDI, obs. sur Cass. civ. 1ère, 5 mars 1991, D. 1992, somm. p.222. 

(977) 

Ph. JESTAZ, "L'obligation et la sanction : à la recherche de l'obligation fondamentale", Mélanges Pierre 

Raynaud, Paris, Dalloz-Sirey, 1985, p.273. 

(978) 

Cass. civ. 1ère, 2 juin 1993, Bull. civ. I, n°197 ; T. BONNEAU, Droit bancaire, Paris, Montchrestien, 1994, 

n°756. 

(979) J.-L. BERGEL, précité, p.257.

282 

Devant une telle indécision sur la nature des choses, la doctrine argumente 

ensuite en conséquence. 

ARTICLE 2. LA VALEUR PREMIERE DES CONSEQUENCES. 

177. Effets désirés et effets pervers - Afin de tirer parti de l'unité des causes, la 

doctrine met en avant des corollaires obligés, pour qu'ainsi l'indécision qui 

pourrait naître d'une difficulté à concevoir et à identifier les causes d'un 

problème juridique s'efface devant la valeur des arguments conséquentialistes. 

"La science juridique est d'ordre essentiellement téléologique ; elle est 

dominée de bout en bout par le concept de but et, du même coup, par celui du 

mobile qui ne saurait en être séparé (980) ". Pour de nombreux auteurs à l'instar 

de Josserand, les effets et leurs causes étant intrinsèquement liés, un 

raisonnement causaliste permettrait à l'argument purement conséquentialiste 

de se rattacher à une réflexion sur la nature juridique de la situation discutée. 

La doctrine pratique le droit comme s'il s'agissait d'une science empirique. 

Elle vérifie la conjecture par rapport au but recherché. Elle plaide ainsi pour la 

stabilité de la solution lorsque l'effet recherché est atteint. Elle prône le 

changement lorsque l'effet pervers a dénaturé le concept en cause. 

La doctrine constate. "Reste toutefois une question fondamentale, celle de 

savoir quelles seront les répercussions économiques de cette politique 

juridique de protection (981) ". La solution posée ou proposée est appréciée en 

considération de ses effets avérés ou supposés. S'ils sont conformes à la 

politique définie, les objectifs avoués tiendront lieu de matrice 

d'interprétation (982) . Mais s'ils s'y dérobent, la doctrine formulera des 

arguments fondés sur l'apparition d'effets indésirables. "La justice impose 

d'évaluer ce qui est inestimable, de réparer ce qui est irréparable. C'est 

nécessaire. Ce n'est pas suffisant. Il faut encore que le régime juridique 

applicable de cette réparation n'induise aucun effet pervers qui aboutisse à 

(980) 

L. JOSSERAND, Les mobiles dans les actes juridiques en droit privé, Paris, Dalloz, 1928, Rééd. CNRS, 

1984, p.1. 

(981) 

Cass. com., 2 mars 1993, JCP 1993.II.22176 note BEHAR-TOUCHAIS. 

(982) 

G. CORNU, Régimes matrimoniaux, 7ème éd., 1995, p.30 : "La sécurité des tiers est un souci de la 

politique matrimoniale, d'autant plus que la sauvegarde de leurs intérêts coïncide avec celle du crédit du 

ménage".

283 

priver la victime véritable de son indemnisation, voire à en faire indûment 

profiter quelqu'un d'autre (983) . Car un effort louable de protection peut 

engendrer les pires maux : "La volonté de protéger la caution a toujours été 

manifeste, mais elle est traditionnellement limitée par la difficulté de trouver 

les moyens juridiques dont les effets pervers ne soient pas pires que le danger 

du cautionnement (984) ". 

La doctrine prévient et dénonce. "Une banalisation des garanties 

autonomes, conséquence perverse de la sollicitude louable, mais à certains 

égards excessive, des tribunaux et du législateur pour les cautions, serait 

assurément regrettable. Pourtant, l'unique fondement des garanties de cette 

nature est le principe de la liberté contractuelle. (…) Il paraît dès lors difficile 

de mettre en doute la validité de principe de tels engagements, quelles que 

soient les personnes qui les ont souscrits, pourvu que les conditions du droit 

commun des contrats, et tout spécialement celle tenant à un consentement 

éclairé soient remplies (985) ". Pareillement, "il ne faut invoquer l'obligation 

d'information qu'avec mesure, à peine de produire sur la force obligatoire du 

contrat des effets pervers et ravageurs (…). Il serait déraisonnable d'obliger 

tout contractant à une publication illimitée d'informations (986) ". Les 

conséquences de la solution posée sont ainsi relevées et jugées de manière 

téléologique lorsque l'auteur pressent que la solution nouvelle aura pour effet 

de promouvoir un comportement socialement indésirable. Contre l'arrêt 

Bertrand du 19 février 1997, relatif à la responsabilité parentale du fait des 

enfants, certains réagissaient en accusant la Cour de cassation d'encourager 

une politique de démission des parents (987) . L'idée domine que la 

confrontation de la solution à la réalité permet de lever le voile des apparences 

simplistes : "la règle consacrée avec tant de constance par les tribunaux a 

pourtant les apparences du juste et de l'utile. Elle semble nourrie de bon sens, 

au service d'un objectif indiscutable : permettre l'exécution du contrat de 

distribution ... La réalité s'est chargée de détruire d'aussi simples apparences : 

les tribunaux français ont concentré leurs efforts sur une difficulté qui n'existe 

(983) 

Y. LAMBERT-FAIVRE, "Le droit et la morale dans l'indemnisation des dommages corporels", D. 1992, chr., 

p.165. 

(984) 

C. MOULY, note sous Cass. civ. 1ère, 7 mars et 15 novembre 1989, D. 1990, p.177. 

(985) 

Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, Les sûretés, la publicité foncière, Paris, Dalloz, 2ème éd., 1995, n°211, 

p.194-195 

(986) 

Ph. MALAURIE, note sous Cass. com., 27 février 1996, D. 1996, p.518. 

(987) 

H. LECUYER, "Une responsabilité déresponsabilisante", Droit de la famille 1997, n°3, Repères ; contra 

C. RADE, "Le renouveau de la responsabilité du fait d'autrui", D. 1997, chr., p.279.

284 

pas en pratique et ne mérite pas le traitement qu'on lui réserve (988) ". "A dire 

vrai, cette jurisprudence donne le vertige et on ne peut souscrire sans réserves 

à cette fuite en avant de la Cour de cassation. Outre qu'elle révèle la parfaite 

inanité du dispositif légal, la justice sociale dont elle s'inspire est susceptible 

d'entraîner des effets économiques pervers. Parce qu'elle sacrifie 

définitivement les intérêts des créanciers, elle risque de provoquer une 

distribution toujours plus sélective du crédit et d'inciter fortement les 

établissements de crédit à ne prêter qu'aux riches (989) ". Aussi, en réaction à des 

raisonnements tout abandonnés à l'opportunité, la doctrine revient à la lettre 

des textes. 

178. Contenir l'opportunité par le texte - Les auteurs regrettent parfois que "les 

arguments de texte, très puissants autrefois, ne touchent plus beaucoup 

maintenant que la méthode d'interprétation est devenue plus libre (990) ". 

Lorsqu’une interprétation d’un texte visé par un arrêt de la Cour de cassation 

est l’objet d’une controverse tenace, et c'est le cas de nombreux textes de la 

théorie générale des obligations, la doctrine utilise, pour prescrire des 

solutions nouvelles, une rhétorique du retour à la lettre. 

Ainsi, sur la délicate question de la distinction entre la responsabilité 

contractuelle et la responsabilité délictuelle et sur la détermination du champ 

d’application de chacune des deux responsabilités, la Cour de cassation avait 

rendu une décision dont M. le professeur C. Lapoyade Deschamps qualifiait le 

chapeau de “chef d’oeuvre d’ésotérisme” (991) . L’arrêt décidait au visa des 

articles 1384 al. 1er et 1147 du Code civil que "les dispositions du premier de 

ces textes étrangères aux rapports des parties contractantes, ne peuvent être 

invoquées dans le cas d’un manquement commis dans l’exécution d’une 

obligation résultant d’une convention dont il ne saurait être fait abstraction 

pour apprécier la responsabilité engagée". Le commentateur, après une 

exégèse critique de cet attendu de principe - qu’il qualifie au demeurant de 

“fiasco” - invite son lecteur à un retour aux sources, retour aux sources dont il 

apparaît qu'il s'agit de la lettre même de l’article 1147 du Code civil. Selon cet 

(988) 

L. AYNES, "Indétermination du prix dans les contrats de distribution : comment sortir de l'impasse?", 

D. 1993, chr., p.26. 

(989) 

D. MAZEAUD, obs. sur Cass. civ. 1ère, 27 juin 1995, D. 1996, somm. p.122. 

(990) 

G. RIPERT et R. ROBLOT, Traité de droit commercial, Paris, LGDJ, 16ème éd., 1996, par M. GERMAIN, 

p.6, n°8, à propos de la discussion autour des art.1er et 632 et 633 du C. COM. 

(991) 

C. LAPOYADE DESCHAMPS, "Responsabilité contractuelle ou délictuelle ?", Resp. civ. et ass., octobre 

1992, n°33, p.4.

285 

auteur, la Cour dans cet arrêt a renoué "avec un type de formules 

suffisamment vagues pour autoriser toutes les dérives jurisprudentielles". Pour 

empêcher cette dérive et l’insécurité qui l’accompagne, l’auteur érige la lettre 

de l’article 1147 comme une contrainte qui permettra de ceinturer la 

responsabilité contractuelle. "Il est temps - nous dit M. le professeur Lapoyade 

Deschamps - d’accomplir un pèlerinage aux sources en puisant directement 

dans les termes choisis par le législateur plutôt que de s’égarer dans le dédale 

d’une improvisation dictée par la politique juridique du moment". Ce faisant, 

le commentateur incite la Cour de cassation "à contrôler la motivation des 

juges du fond à partir de mots simples ... qui sont les mots de la loi (992) ". Il 

affirme en effet que la meilleure solution ne serait pas trouvée à l’issue de la 

recherche de critères de distinction entre responsabilités contractuelle et 

délictuelle : "la question n’est probablement pas d’élaborer un critère de 

distinction entre les deux responsabilités, car il devient de plus en plus 

aberrant de subordonner l’issue d’un procès à un choix entre deux 

responsabilités équivalentes. L’heure est plutôt de les unifier…". 

Il est remarquable que dans tout ce raisonnement qui invite à un retour 

vers l’interprétation exégétique de l’article 1147 du Code civil, l’objet visé par 

la critique est, en réalité, celui d’une thèse beaucoup plus générale qui prescrit 

la fusion des deux ordres de responsabilité. En critiquant "la politique 

juridique du moment" et l’opportunité pratique qui ont guidé la Cour de 

cassation, l’auteur décrit l’existence à un niveau de cohérence supérieure, 

celui d’une opportunité plus théorique, fondée sur l’idée qu’un système unifié 

de responsabilité permettrait d’évincer les questions délicates que l'on 

rencontre à la lisière des deux ordres de responsabilité actuels. Cette 

prescription doctrinale d’unification est une lecture qui dépasse évidemment 

la lettre des textes sans aborder le débat actuel qui fait dire à une partie de la 

doctrine que l’on ne peut, dans la sphère contractuelle, raisonner en termes de 

responsabilité (993) . Elle témoigne aussi de ce que le discours doctrinal use 

abondamment de silences. 

Section 2. 

La part du non-dit. 

(992) ibid, p.6. 

(993) Ph. REMY, "Critique du système français de responsabilité civile", Droit et cultures, n°31, 1996/1, p.31 ; 

"La “ responsabilité contractuelle ” : histoire d'un faux concept", RTD civ. 1997, p.323.

286 

179. La loi du silence - La doctrine est-elle libre de critiquer les décisions qui 

heurtent ses convictions ? Une observation critique de M. le professeur 

Mazeaud nous paraît à cet égard fort instructive. "Quitte à être, encore une 

fois, accusé de jouer les agitateurs et à se voir reprocher de briser la loi du 

silence, on ne peut, en effet, se résigner à fermer les yeux sur la menace qui 

plane aujourd'hui encore sur la promesse unilatérale de vente (994) ". 

D'un point de vue moins polémique, Wroblewski observait trois formes de 

non-dit dans le droit. Pour résumer, le non-dit (1) est composé de règles 

formulées par la jurisprudence sous forme de précédents, le non-dit (2) est 

constitué par des conséquences formelles des règles valides et enfin le nondit 

(3) rassemble les conséquences interprétatives des règles édictées 

valablement. C'est ce dernier qui nous intéresse particulièrement puisque "par 

ses implications axiologiques, le non-dit (3) confirme la thèse que la différence 

entre le dit et le non-dit dans le droit est liée à des choix conceptuels qui ne 

sont pas axiologiquement neutres (995) ". 

Mise en relation avec le droit privé français, cette présentation situe le 

discours juridique sur trois niveaux dont chacun a sa part de silence. Le 

premier est celui de la tension existant entre la loi et la norme prétorienne, 

générale par son contenu, mais reléguée à une vocation d'espèce. 

L'interprétation de l'article 5 du Code civil est caractéristique de ce 

qu'aujourd'hui encore on cherche à taire le rôle producteur de la 

jurisprudence. Sans doute est-ce lié au fait que l'on ne s'autorise pas à affirmer 

par quel moyen la norme prétorienne deviendra obligatoire, s'il faudra 

plusieurs interventions de l'assemblée plénière ou si un seul passage devant 

une formation ordinaire de la Cour de cassation suffira à produire une règle 

obligatoire. On affirme que la Cour de cassation crée des règles obligatoires 

mais on en ignore le processus de promulgation. C'est par la présence d'un tel 

non-dit que coexistent deux types de réaction face au pouvoir de la Cour de 

(994) D. MAZEAUD, obs. sur Cass. civ. 3ème, 26 juin 1996, Defrénois 1996, p.1371. 

(995) J. WROBLEWSKI, "Le non-dit dans le droit : présuppositions et conventions implicites", in P. AMSELEK 

(dir.), Controverses autour de l'ontologie du droit, Paris, PUF 1989, p.137 ; adde, C. KERBRAT-ORECCHIONI, 

L'implicite, Paris, A. Colin, 2ème éd., 1998 ; A. LAJOIE, M.-C. BOIVIN, S. PERRAULT, "Interprétation des 

concepts : efficacité spécifique respective des méthodes juridiques et linguistiques", in D. BOURCIER et 

C. THOMASSET, L'écriture du droit… face aux technologies de l'information, Paris, Diderot éd., 1996, p.597 ; 

S. MCEVOY, "La question de l'arrêt : le cas de l'argumentation dans le droit" in D. BOURCIER et P. MACKAY 

(dir.), Lire le droit, Paris, LGDJ, 1992, p.173 ; égal. O. DUCROT, Dire et ne pas dire, principes sémantiques 

linguistiques, Paris, Hermann, 1991, chapitre 1, "Implicite et présupposition", p.1 à 24.

287 

cassation : soit on le considère comme un pouvoir normatif effroyablement 

versatile dont il faut à tout prix canaliser les réalisations, soit on admet qu'en 

l'absence de contrainte formelle pesant sur l'interprète suprême, il ne s'agit 

pas pour lui de déterminer une interprétation durable et l'on offre à sa 

réflexion des argumentations plus que des interprétations. Dans les deux cas, 

l'on glisse doucement vers les tensions créées par le deuxième non-dit. Pour 

résoudre les difficultés d'interprétation de la loi ou de l'énoncé 

jurisprudentiel, on s'attachera à rechercher sous la règle la volonté du 

législateur, la continuité ou la cohérence du système prétorien de façon à 

assurer à la thèse défendue l'adhésion de l'interprète qui se considère comme 

sentinelle de la loi ou comme dépositaire d'une tradition. Mais la découverte 

du non-dit se fait en dehors du pouvoir normatif par une autorité scientifique 

qui maîtrise, quand elle est unanime, la formation du contenu de 

l'interprétation ou de l'argumentation théorique à partir d'un cadre qu'elle a 

elle-même forgé. C'est le troisième non-dit constitué par la tension entre la 

norme énoncée et la conception de l'ensemble de l'ordre juridique. C'est 

évidemment ce dernier niveau de compréhension du droit qui est propre au 

discours doctrinal, là où les contraintes interprétatives s'établissent soit en 

silence (PARAGRAPHE 1), soit sur des tabous (PARAGRAPHE 2). 

PARAGRAPHE 1. L'UTILISATION DOCTRINALE DU SILENCE 

180. Une invitation au silence - De l'article 1978 du Code civil, M. le professeur 

Rémy nous dit qu'il est "un texte sans explication ; la règle ne tient que parce 

qu'elle a été posée là. On la cantonne ou on la contourne depuis bientôt deux 

siècles. Sans le Code, on peut parier que les civilistes n'en auraient plus la 

mémoire ; on pourrait peut-être, aujourd'hui, faire exprès de l'oublier (996) ". 

Cette suggestion, destinée à se débarrasser en douceur de la règle qui prive le 

crédirentier de la possibilité d'agir en résolution pour défaut de paiement des 

arrérages de la rente, rappelle que, par ses abstentions aussi, la doctrine dirige 

l'interprétation. Taire l'espèce pour affirmer le principe, taire une opinion 

pour faire triompher l'unanimité, taire une solution pour en faire prévaloir 

une autre : les silences de la doctrine sont autant de prescriptions. Pour 

convaincre, il faut parfois passer sous silence tout ou partie du raisonnement 

(996) Ph. REMY, obs. à la RTD civ. 1987, p.363.

288 

sachant que des adages interprétatifs viendront soutenir les silences en 

dessinant une apparence logique (ARTICLE I). Inversement, la force de ce qui 

est tu invite les auteurs à se glisser dans les silences de la loi ou de l'arrêt pour 

en révéler l'implicite (997) . A contrario, a coherentia, a completudine, les 

lectures doctrinales montrent alors que le texte dissimulait sa raison d'être. Sa 

véritable interprétation ne sera révélée que par la mise au jour de ce qui était 

dans l'ombre. Le sens second du texte apparaît alors (ARTICLE II). 

ARTICLE I. LA RAISON PASSEE SOUS SILENCE 

181. Généralités - L'ensemble des adages et des maximes d'interprétation est 

présenté comme l'expression d'une coutume savante (998) mais ce fonds 

coutumier exprime tant de généralités qu'il s'en trouve très fortement 

contradictoire (999) . On pourrait à l'instar des coutumes pratiques ranger les 

adages en trois catégories, secundum legem, praeter legem, et contra legem. 

Cette division est intéressante parce qu'elle laisse penser que les coutumes 

savantes forment en quelque sorte un ordre positif parallèle supplétif que le 

droit positif légiféré ou prétorien pourrait contredire, mais cette division se 

ramène pour l'essentiel aux adages consacrés et aux adages apocryphes (1000) . 

Les premiers sont légion, les seconds sont le plus souvent oubliés. Ils sont 

récents ou non, formulés en latin ou en français, repris par la loi ou par la 

jurisprudence ; ils expriment de manière synthétique un principe universel ou 

particulier. "Nul ne peut causer à autrui un trouble anormal de voisinage". 

"Ubi lex non distinguit, nec nos debemus distinguere". "Dans le doute la 

liberté prévaut". "Nul n'est censé ignorer la loi". "Fraus omnia corrumpit". Ces 

brocards sont utilisés tantôt comme des règles applicables par simple inférence 

des faits sous la norme qu'ils expriment, tantôt comme des guides 

(997) v. H. ROLAND et L. BOYER, Adages du droit français, Paris, Litec, 3ème éd., 1992, Introduction, p.XVI- 

XVII. Les auteurs distinguent les raisonnements a silencio, a contrario, a deducto et a pari et les comptent 

parmi les adages intra legem in intellectu. 

(998) J. GHESTIN, G. GOUBEAUX, M. FABRE-MAGNAN, Introduction générale, 4ème éd., 1994, précité, n°495, 

p.463 ; E.-H. PERREAU, Technique de la jurisprudence en droit privé, tome 1er, Paris, Rivière, préface de 

F. GENY, p.148 s. 

(999) A. LAINGUI, "L'adage vestige de la poésie du droit", Mélanges Imbert, Paris, PUF, 1989, p.345. 

(1000) G. CORNU, Linguistique juridique, Paris, Monchrestien, 1990, n°110, p.377.

289 

interprétatifs, mais comme le remarque M. le doyen Cornu, "ils appartiennent 

à la rhétorique (1001) ". Ils sont contradictoires parce qu'ils ont vocation à 

s'appliquer a priori à toutes les situations : là où la loi ne distingue pas, nous ne 

distinguerons pas ; mais si la raison d'être du texte nous invite à le faire, la 

distinction sera-t-elle pertinente ? Cessante ratione legis, cessat ejus dispositio. 

Leur généralité impose son autorité jusqu'à ce qu'en sens contraire, il soit 

soutenu que toute généralité est inacceptable et qu'il faut raisonner 

empiriquement. Globalement, la force et la primauté de l'adage résultent de 

l'idée que la solution qu'il exprime découle d'un long processus de maturation 

qui a permis par contraction de ramasser dans une formule elliptique une 

permanence juridique. L'utilité rhétorique de la formule et plus encore celle 

de l'adage interprétatif, est de ne rien dévoiler des raisons de son application 

au motif prétendu que sa raison d'être est connue de tous. Les adages forment 

ainsi un corpus dogmatique qui ne prive en rien les principes contraires de 

pertinence mais qui oblige le partisan de la thèse adverse à faire la 

démonstration que sa solution mérite de s'imposer par dérogation. Au fond 

l'adage est une formule magique, un visa mystérieux, auquel on adhère par 

commodité ou par conviction mais qui laisse toujours dans l'ombre une part 

de non-dit. 

Remarquons tout d'abord avec E.-H. Perreau que "la valeur des vieux 

adages est extrêmement variable (1002) ". Mais soit qu'ils nous viennent d'une 

tradition ancestrale, soit qu'ils nous viennent d'une pratique discutable, ils 

persistent et demeurent les Majeures d'implacables syllogismes judiciaires. Ils 

guident l'interprète qui déterminera avec leur aide la validité (prétendument 

logique) d'une interprétation. Souvent présentée comme une garantie contre 

l'arbitraire, la longévité de ces maximes du droit serait même le témoin de 

leur qualité à résister à l'épreuve des faits, mais tous n'éclairent pas également 

l'interprète. "Ceux qui sont formés d'un texte ou d'un tronçon de texte latin 

ont une portée sérieuse, leur idée fondamentale ayant été dégagée par de 

véritables jurisconsultes. La plupart des autres, introduits par de simples 

praticiens, énoncent des principes d'une exactitude approximative et même 

souvent fautifs qui, pris au pied de la lettre, conduiraient à d'inadmissibles 

exagérations (1003) ". Selon Perreau, il y aurait donc deux sortes d'adage : les 

(1001) 

G. CORNU, Droit civil, Introduction, les personnes, les biens, 8ème éd., 1997, précité, n°408, p.137. 

(1002) 

E.-H. PERREAU, Technique de la jurisprudence en droit privé, tome 1er, précité, p.150 ; adde G. CORNU, 

Linguistique juridique, précité, p.369. 

(1003) 

E.-H. PERREAU, Technique de la jurisprudence en droit privé, tome 1er, précité, p.150-151.

290 

adages qui peuvent valablement être suivis et ceux qui ne le doivent pas. Les 

premiers ont reçu l'assentiment de la doctrine ; les seconds auraient été 

introduits dans notre droit de manière illégitime. Leur caractère consacré ou 

apocryphe ne proviendrait pas seulement de la loi (1004) ou de la 

jurisprudence (1005) . "C'est la tradition historique à laquelle se rattachent [les 

adages] qui leur donne une autorité propre. [Ils] ne sont pas créés par la 

jurisprudence mais seulement consacrés et intégrés dans celle-ci (1006) ". La 

doctrine participerait donc à leur émergence en discutant leur pertinence. Or, 

si les auteurs peuvent convenir que tel adage est irrecevable pour guider 

l'interprétation de telle disposition, ils peuvent par conséquent restreindre le 

nombre des interprétations possibles. Utilisé ainsi, l'adage se comporte comme 

une méta-règle capable de désigner la validité-pertinence de l'interprétation 

proposée. Ce renvoi à une norme (supposément) plus haute, a précisément 

l'intérêt de déplacer la question posée sous l'interprétation d'une autre règle 

que celle qui pouvait s'y appliquer de façon à limiter le champ d'une réflexion 

inédite. Ce faisant, il conduit à taire la raison de l’application d’une règle ou de 

son éviction pour ne pas s’exposer à une critique qui en opportunité ou en 

cohérence, obligerait à une réformation. Un exemple illustre cette éviction de 

la question pratique posée au profit d'une interrogation prétendument plus 

théorique : le principe d’interprétation stricte des exceptions. 

182. Un raccourci interprétatif - Parfois énoncé en latin : exceptio strictissimae 

interpretationis est (1007) . La formation de cette maxime donne à réfléchir ; en 

dépit des nombreuses attaques dont ce principe a fait l'objet au vingtième 

siècle (1008) , l'adage demeure présent en jurisprudence et en doctrine pour 

écarter les extensions analogiques des textes exceptionnels en leur déniant par 

principe et a priori toute pertinence. Certains auteurs n'hésitent pas à lui 

(1004) H. ROLAND et L. BOYER, Adages du droit français, Paris, Litec, 3ème éd., 1992, v° Nemo edere contra se 

tenetur, n°235, p.498 ; comp. art. 10 C. CIV. et art. 11 NCPC. 

(1005) H. ROLAND et L. BOYER, Adages du droit français, 3ème éd., 1992, précité, v° Qui ne dit mot consent, 

n°352, p.740 ; pour nuancer v. Cass. com., 26 janvier 1993, D. 1994, p.69 note J. MOURY. 

(1006) J. GHESTIN, G. GOUBEAUX, M. FABRE-MAGNAN, Traité de droit civil, Introduction générale, Paris, 

LGDJ, 4ème éd., 1994, n°563, p.517. 

(1007) H. ROLAND et L. BOYER, Adages du droit français, précité, v° Exceptio est strictissimae interpretationis, 

n°118, p.236. 

(1008) L. ROBINE, L'interprétation des textes exceptionnels en droit civil français, Thèse Bordeaux, 1933 ; 

ATIAS, Épistémologie juridique, précité, n°44 ; G. CORNU, Droit civil, Introduction, les personnes, les biens, 

8ème éd., 1997, précité, n°415, p.139 ; Ph. REMY, "L'acquisition de parts indivises en nue-propriété ou en 

usufruit par un époux commun en biens", JCP, éd. N, 1981.I. p.37.

291 

prêter un caractère universel (1009) . La Cour de cassation l’utilise par exemple 

pour affirmer que "les dispositions du décret du 27 octobre 1967 portant statut 

des navires, relatives à la saisie conservatoire desdits navires constituent des 

exceptions aux règles générales gouvernant les saisies mobilières et désormais 

définies par la loi du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles 

d’exécution ; et que ces dispositions particulières ne sauraient être étendues à 

la saisie conservatoire des créances de fret (1010) ". La doctrine l’approuve et en 

recommande l’application pour limiter les effets d’une règle qu’elle juge 

anomale (1011) . Ce principe d'interprétation apparaît à la croisée de plusieurs 

raisonnements. On le rencontre tout d'abord lorsqu'il s'agit d'en découdre 

avec un adage voisin, Specialia generalibus derogant, et c'est à lui que l'on 

raccroche l'interprétation des privilèges, des transactions, des présomptions 

légales ou encore des fictions. 

183. Specialia generalibus derogant - MM. les professeurs Roland et Boyer nous 

enseignent que "La spécialité interdit tout raisonnement par analogie : la loi 

spéciale ne peut être étendue à des cas voisins pour lesquels elle ne dispose pas 

expressément ; elle doit rester à l'intérieur des frontières que lui trace son 

libellé textuel, sans pouvoir les franchir si peu que ce soit. C'est le lieu de faire 

jouer la maxime : Exceptio est strictissimae interpretationis". Mais 

l'application du principe d'interprétation très stricte est moins systématique 

qu'il n'y paraît. "Naturellement, l'interprétation n'a de raison d'être que dans 

la mesure où la loi spéciale réalise une véritable dérogation à la loi générale. 

Or il faut se garder de croire que toute disposition qui présente un caractère 

exceptionnel soit nécessairement exclusive du droit commun. Du fait que les 

différents principes d'une législation ne s'harmonisent pas toujours, il arrive 

qu'une loi spéciale fasse application d'un principe tout en dérogeant à tel autre 

(…). Dès lors, rien de plus légitime qu'une interprétation compréhensive de 

(1009) I. DE LAMBERTERIE, D. TALLON et A. RIEG, "Rapport général Les clauses abusives et le consommateur 

européen", RID comp. 1982, p.1067 à propos de l'interprétation des clauses abusives : "Dans l'application des 

règles générales d'interprétation, le juge peut modifier le contenu du contrat, sans le dire. Il choisira le sens qui 

satisfait le plus l'équité, quand bien même ce n'est pas le sens qui pourrait prévaloir si on se référait à 

l'intention présumée des parties. Ainsi, la règle universellement admise selon laquelle les exceptions sont de 

droit étroit sera utilisée au maximum pour restreindre la portée des clauses limitant ou excluant le droit 

commun de la responsabilité". 

(1010) Cass. com., 13 janvier 1998, D. aff. 1998, n°104, p.248. 

(1011) F. GENY, Méthode d'interprétation et sources en droit privé positif, tome 1, 2ème éd., 1919, précité, p.35. 

L’auteur considère que l’extension d’une règle est possible toutes les fois que la disposition légale ne se 

présente pas comme exceptionnelle, anormale, mais qu’elle apparaît comme l’application particulière d’un 

droit commun plus général.

292 

telles dispositions (1012) ". On contemple ainsi des restrictions du droit spécial et 

des extensions d'exceptions sans que l'on puisse dire s'il s'agit bien 

d'interprétation “stricte” car toute la difficulté est là : l'interprétation 

restrictive est une interprétation extensive d'une règle opposée. Si l'on 

restreint la règle spéciale, ce sera au nom du principe d'interprétation stricte 

des exceptions. Mais si l'on restreint le droit commun, ne fait-on pas une 

extension du domaine des cas spéciaux ? 

184. Restriction du droit spécial - Lorsque le champ de l'exception est restreint, 

un retour au droit commun s'opère : la restriction sera par exemple qualifiée 

d'“atténuation (1013) ”. Ainsi, l'article 882 du Code civil n'admet pas que le 

créancier puisse agir par voie paulienne contre le partage déjà consommé. 

Celui-ci, à défaut d'opposition, est forclos et ce, quelle que soit la réalité de la 

fraude ourdie contre lui. La jurisprudence tempère néanmoins la sévérité de 

cette règle pour autoriser le créancier à attaquer le partage consommé conclu 

avec une précipitation destinée à faire obstacle à son intervention. Dans cette 

hypothèse, le droit commun lui reste ouvert. "C'est là une exception d'équité 

nécessaire, analogue à celle qui permet d'agir au créancier victime d'une 

fraude paulienne organisée avant la naissance de sa créance (1014) ". L'exception 

d'équité nécessaire à l'exception disposant la forclusion des actions du 

créancier conduit à faire échec à l'application du principe specialia generalibus 

derogant et à ne pas interpréter strictement l'exception du droit spécial. Le 

retour au droit commun obéit à un mobile propre qui fait obstacle à la lettre 

du texte. Le juge est par là invité à mesurer concrètement l'incidence d'un 

partage hâtif sur la disparition des droits du créancier forclos. 

185. Restriction du droit commun - L'article 1165 du Code civil a connu au 

vingtième siècle une érosion considérable de son champ d'application avec 

l'émergence des actions directes d'origine prétorienne mais aussi avec le 

développement du domaine de ses exceptions classiques. Les dérogations 

modernes à l'effet relatif des conventions consacrées par la Cour de cassation 

et entérinées ou non par le législateur sont naturellement des illustrations de 

l'extension des droits spéciaux. L'argument de spécialité tiré du caractère 

(1012) 

H. ROLAND et L. BOYER, Adages du droit français, 3ème éd., 1992, précité, v° Specialia generalibus 

derogant, n°400, p.853-854. 

(1013) 

M. PATARIN, obs. à la RTD civ. 1987, p.134. 

(1014) 

M. PLANIOL et G. RIPERT, Traité pratique de droit civil français, tome IV, "Successions", Paris, LGDJ, 

2ème éd., 1956, n°700, p.950.

293 

exceptionnel des actions directes était le nerf du raisonnement tenu par les 

partisans de la nature légale de ces actions (1015) mais aujourd'hui, ce débat 

s'étant quelque peu éteint au profit de la nature contractuelle ou délictuelle 

des actions, la difficulté est reformulée pour lui donner la consistance qui 

convient aux ensembles contractuels complexes. Si certains auteurs affirment 

que le caractère exceptionnel de l'action directe en paiement implique la 

nécessité d'un texte et cela, pour laisser au droit commun la plénitude de son 

champ d'application (1016) , les lourdeurs des actions oblique ou paulienne et les 

restrictions posées par le droit des procédures collectives aux droits des 

créanciers sont autant de raisons de douter de la volonté de maintenir les 

actions directes en paiement dans le giron des textes exceptionnels. L’article 

1994 al.2 du Code civil et son symétrique en droit commercial, l’article 99 du 

Code de commerce, disposent que le mandant peut agir directement contre la 

personne que le mandataire s’est substituée. Sans restriction, la jurisprudence 

a admis que le sous-mandataire jouissait réciproquement d’une action directe 

contre le mandant pour obtenir le paiement de son dû (1017) . 

Il va sans dire que l’on pourra toujours considérer que chaque fois qu’une 

exception est étendue, elle constituera une anomalie exceptionnelle mais il est 

plus vraisemblable que ces extensions fassent perdre à la règle étendue la 

qualité d’exception. Ainsi, de manière connexe, l'article 1121 du Code civil, 

organisant la stipulation pour autrui, institue des exceptions aux articles 1119 

et 1165. Hormis les cas où l'on stipule au profit d'un tiers parce que telle est la 

condition d'une stipulation pour soi-même ou d'une donation que l'on fait à 

l'autre, la stipulation pour autrui aurait dû être interdite (1018) . Mais "sous 

l'empire des nécessités pratiques (1019) ", parce qu'elle était utile socialement, la 

jurisprudence a admis, bien avant le législateur, la validité des assurancesdécès 

(1020) . La doctrine observe ainsi que "ce contrat ne rentrait pas 

expressément dans les termes des exceptions de l'article 1121. L'assuré, en 

payant les primes, ne fait pas une donation à la compagnie, à l'égard de 

laquelle il n'a aucune intention libérale ; l'assuré, en outre, ne stipule rien 

pour lui-même, le capital n'étant payable qu'à son décès (1021) ". Cet exemple est 

(1015) M. COZIAN, L'action directe, Paris, LGDJ, 1969, préface de A. Ponsard, p.65 s. 

(1016) A. BENABENT, Droit civil, Les obligations, 6ème éd., précité, n°241. 

(1017) Cass. civ. 1ère, 27 décembre 1960, D. 1961, p.491, note BIGOT ; RTD civ. 1961, p.700, obs. CORNU ; 

Cass. com., 8 juillet 1986, Bull. civ. IV, n°153 ; Cass. com., 4 décembre 1990, Bull. civ. IV, n°312. 

(1018) A. SERIAUX, Droit des obligations, 1992, précité, n°52, p.190. 

(1019) J. FLOUR et J.-L. AUBERT, Les obligations, l'acte juridique, 7ème éd., 1996, n°479, p.347. 

(1020) Cass. civ., 16 janvier et 22 février 1888, S. 1888.1.121, DP 1888.1.77. 

(1021) F. TERRE, Ph. SIMLER et Y LEQUETTE, Les obligations, Paris, Dalloz, 6ème éd., 1996, n°491, p.409.

294 

intéressant parce que le vingtième siècle fera de l'assurance-décès un 

archétype de la stipulation pour autrui et l'on en oubliera presque que son 

régime était censé être d'interprétation stricte (1022) . Au fond, en gommant ces 

restrictions, contre l'application du principe d'interprétation stricte des 

exceptions, la Cour de cassation répondait à des besoins nouveaux (1023) . A 

contrario, nous avons là un indice sur la teneur rhétorique de l'adage : son 

utilisation permet de motiver une absence de mutation prétorienne du droit 

positif. Mieux, non seulement cet adage interprétatif conduit à figer les droits 

spéciaux, mais il permet de développer contre l'esprit de la loi des 

raisonnements qui aboutissent à en paralyser l'application. 

186. L'interprétation stricte contraire à l'esprit de la loi - La clause dite 

"commerciale", par laquelle, aux termes de l'article 1390 du Code civil, les 

époux stipuleraient "qu'à la dissolution du mariage par la mort de l'un d'eux, le 

survivant aura la faculté d'acquérir ou, le cas échéant, de se faire attribuer 

dans le partage certains biens personnels du prémourant, à charge d'en tenir 

compte à la succession …", avait connu jusqu'en 1965 la sanction qui touchait 

le pacte sur succession future, à savoir la nullité. Mais la consécration 

législative de sa validité n'éteignait pas les difficultés. Dans l'hypothèse où le 

prémourant était propriétaire en propre et du fonds de commerce et des murs, 

l'utilisation du principe d'interprétation stricte des exceptions condamnait les 

clauses accessoires stipulant que ses héritiers se devaient de consentir à 

l'époux survivant un bail pour l'exploitation du fonds de commerce acquis en 

vertu de la clause commerciale. On l'énoncerait sous forme de syllogisme, 

comme pour dérouler le caractère implacable d'une interprétation qui 

paraissait s'imposer (1024) . 

- 1°). Selon l'article 1389 du Code civil, le principe général de la 

prohibition des pactes sur succession future régit le contrat de mariage. - 2°) 

Les clauses d'acquisition ou d'attribution contreviennent à ce principe ; leur 

validité n'est ainsi qu'exceptionnelle. - 3°) D'interprétation stricte, l'article 

1390, admettant la validité de ces clauses, ne peut donc être étendu aux 

stipulations accessoires prévoyant la conclusion (forcée) d'un bail commercial 

(1022) 

J. CARBONNIER, Droit civil, Les obligations, tome 4, 21ème éd., 1998, [124], p.237. 

(1023) 

H. et L. MAZEAUD et F. CHABAS, Leçons de droit civil, Obligations, théorie générale, 9ème éd., 1998, 

n°774, p.896-897. 

(1024) 

F. TERRE et Ph. SIMLER, Régimes matrimoniaux, Paris, Dalloz, 2ème, 1994, p.537.

295 

entre les héritiers désormais propriétaires des murs et l'époux survivant pour 

l'exploitation du fonds de commerce valablement acquis. 

Contre un tel raisonnement la doctrine réagissait ; elle estimait que 

"l’application restrictive des textes risquait de priver d’efficacité la clause 

d’attribution elle-même chaque fois que le fonds de commerce ou 

l’exploitation, comme en l’espèce, était situé dans ou portait sur des 

immeubles propres (...)". La Cour de cassation consacra la validité des clauses 

accessoires plutôt que la “stérile interprétation stricte d’un texte d’exception” 

dans son arrêt du 29 avril 1985, et cela de la manière la plus claire : "la licéité 

de la faculté d’attribution en propriété implique celle de la clause du contrat 

de mariage prévoyant l’octroi d’un bail sur les biens propres de l’époux 

prédécédé (1025) ". Rejetant la valeur de l'interprétation stricte des exceptions, 

M. le doyen Cornu évoque l'aveuglement de l'interprète qui contraindrait son 

raisonnement par le caractère exceptionnel de la disposition sans égard pour 

sa raison d'être et méconnaîtrait ainsi l'esprit de la loi (1026) . 

Cet aveuglement dénoncé par M. le professeur Cornu commanderait que 

tel texte ne puisse être étendu à telle hypothèse parce qu'il serait 

d'interprétation stricte. Mais pourquoi serait-il d'interprétation stricte ? Parce 

qu'il est exceptionnel. En quoi est-ce une exception ? Parce que le principe est 

écarté et ne s'applique pas au cas excepté. "On comprendra par là que tout 

texte écartant accidentellement le droit commun doit être confiné dans les 

limites étroites et formelles admises par le législateur (1027) ". Et si l'exception 

devait être étendue, elle deviendrait principe (1028) . Son application doit donc 

être circonscrite à un domaine étroitement déterminé. Cela ne nous explique 

pas ce qu'est une exception, ni ce qu'est une interprétation stricte. Ce 

raisonnement fallacieux, présenté comme une mécanique logique, donne à 

son auteur un pouvoir d'abstention. Il lui permet de s'abstenir de se justifier 

comme si son application relevait de l'évidence. Il évince un débat sur la 

qualité de la solution donnée, de son opportunité tant théorique que pratique. 

Il est ainsi, parfois, plus habile de se réfugier derrière cet adage que d'exposer 

les raisons d'une interprétation rejetant l'analogie ou l'extension. Néanmoins, 

(1025) Ph. SIMLER, obs. sur Cass. civ. 1ère, 29 avril 1985, JCP, éd. N, 1986.II. p.75. 

(1026) G. CORNU, Droit civil, Introduction, 6ème, 1993, précité, p.139, n°416 et surtout, Régimes matrimoniaux, 

7ème éd., 1995, précité, p.231, à propos de la solution antérieure : "fondée sur l'aveugle interprétation 

restrictive de l'art.1390, cette solution dissociait arbitrairement l'accessoire du principal, et en compromettant 

l'exercice de la stipulation principale, méconnaissait gravement l'esprit de la loi nouvelle." 

(1027) B. STARCK, H. ROLAND, L. BOYER, Introduction au droit, 3ème éd., 1991, précité, n°312, p.127. 

(1028) F. TERRE, Introduction générale au droit, 4ème éd., 1998, précité, n°394, p.406-407.

296 

les hypothèses dans lesquelles ont été étendues des exceptions sont si 

nombreuses que l'on doit s'interroger sur la permanence parmi les procédés 

interprétatifs de cet adage à l'application aléatoire. 

Dans sa thèse, Luc Robine exposait la pensée des auteurs majeurs qui 

s’étaient penchés sur la question de l'interprétation des textes exceptionnels : 

Gény, Van der Eycken, Mailher de Chassat, Delisles, Mallieux, Dupin et 

Perreau. Robine montrait combien était erratique l'application de l'adage (1029) : 

non seulement, il était difficile de définir la notion d'exception, tant les 

définitions données ouvraient grand la porte aux contre-exemples, mais 

surtout il était impossible de savoir ce qu’était une interprétation stricte par 

rapport à une interprétation restrictive, étroite ou très étroite des exceptions, 

celles-ci s’avérant souvent contraire à l'esprit des dispositions. 

Pour s'en convaincre, Robine illustrait ses propos par l'interprétation 

extensive d'un certain nombre de textes exceptionnels : par exemple l'article 

909 du Code civil, une illustration que l'interprétation actuelle du texte par la 

Cour de cassation ne saurait contredire. Le principe de la capacité de 

contracter est énoncé à l'article 1123 du Code civil : "Toute personne peut 

contracter, si elle n'en est pas déclarée incapable par la loi". L'article 909 du 

Code civil dispose une incapacité spéciale de recevoir par donation entre vifs 

ou par testament concernant "les docteurs en médecine ou en chirurgie, les 

officiers de santé et pharmaciens qui auront traité une personne pendant la 

maladie dont elle meurt". Les incapacités de l'article 909 étant de droit étroit, 

l'application stricte du principe d'interprétation stricte des exceptions devrait 

logiquement en empêcher l'extension à tous ceux que le texte ne vise pas 

expressément. Pourtant on relèvera que les étudiants en médecine ou les 

rebouteux sont frappés par cette incapacité (1030) . Un impératif en chasse un 

autre. La raison d'être de l'article 909 du Code civil visant la définition d'une 

situation topique de captation au profit de celui qui apporterait des soins, 

quels qu'il fussent, à celui qui ne guérira pas, il est conforme à l'esprit de la loi 

qu'on en étende le champ d'application aux para- et proto-médecins ainsi 

qu'aux marabouts. 

Comme l'écrivait le doyen Gény, "presque toujours, à vrai dire, au moins 

par quelqu'un de ses termes, la loi contiendra un élément général, susceptible 

(1029) 

L. ROBINE, L'interprétation des textes exceptionnels en droit civil français, Thèse Bordeaux, 1933, p.63 

s. 

(1030) 

Cass. civ. 1ère, 10 octobre 1978, JCP 1980.II.19341 note DAGOT.

297 

d'extension analogique (1031) ". C'est bien là l'enjeu de notre discussion. Cette 

sorte de présomption d'interprétation étroite, cette réserve qui frappe les 

textes dits exceptionnels, a une valeur rhétorique en ce qu'elle invite à 

occulter la généralité relative du texte. A l'inverse de specialia generalibus 

derogant, pour lequel on admet sans trop de mal que l'extension de la 

spécialité ou de la généralité à des hypothèses connexes doit être discutée, la 

qualification d'exception érige une sorte de préambule à l'interprétation 

analogique. "L'exception" crée un rapport de sujétion du texte exceptionnel 

vis-à- vis du principe et l'interprète est sur ses gardes. Pour que l'extension du 

texte exceptionnel soit consacrée, il faudra trouver des motifs hautement 

impérieux. Les partisans de la pertinence de cet adage diront toujours que, si 

l'exception a été étendue, c'est qu'elle n'en constituait pas vraiment une ou 

encore que, quoi qu'il en soit, le principe aura rempli son rôle en étant un 

rempart contre l'arbitraire puisque son éviction aura été particulièrement 

motivée. Pour éprouver la qualité de cet adage, envisageons un petit exercice 

de réflexion spéculatif, sur un cas d'école. 

187. Cas d'école ? - L'article 311-9 du Code civil qui dispose que "les actions 

relatives à la filiation ne peuvent faire l'objet d'une renonciation" est un texte 

spécial d'ordre public, dérogatoire au principe selon lequel les actions sont 

disponibles unilatéralement ou conventionnellement (1032) , mais il est aussi une 

des dispositions générales des actions relatives à la filiation souffrant ellemême 

des dérogations. À cet égard, l'article 311-20 al. 2 C. CIV. dispose en 

matière de filiation établie par procréation médicalement assistée que "le 

consentement donné à une procréation médicalement assistée interdit toute 

action en contestation de filiation". Ce texte spécial par rapport à l'article 311- 

9 ne rejoint pas pour autant le principe de disponibilité de l'action puisqu'il 

ordonne la renonciation à l'action en contestation de filiation. L'article 311-20 

al. 2 prévoit néanmoins que l'action en contestation reste recevable s'il est 

soutenu que l'enfant n'est pas issu de la procréation assistée. 

La question qui vient immédiatement à l'esprit est donc de savoir si les 

époux et concubins qui consentent à la procréation assistée, peuvent 

valablement renoncer à une action en contestation qui aurait pour objet de 

démontrer que l'enfant est issu d'une insémination artificielle, y compris si 

(1031) 


n°166, p.125. 

(1032) 

G. CORNU et J. FOYER, Procédure civile, 3ème éd., 1996, précité, n°83, p.362.

298 

celle-ci s'avère après coup erronée. Logiquement, l'hypothèse d'une erreur de 

manipulation lors de la fécondation voire d'une implantation erronée de 

l'embryon est connexe aux articles 311-9 et 311-20 et ni l'un ni l'autre ne peut 

y être étendu. Loin d'être une hypothèse d'école, le cas d'une erreur de 

transfert d'embryon ayant pour résultat de faire naître l'enfant d'un autre 

couple pose de manière renouvelée la question de l'interprétation de l'article 

311-20 (1033) . Face à cette exception au principe de libre renonciation, que faire 

de l'enfant mis au monde par erreur ? L'article 311-9, quoiqu'étant une 

disposition générale, ne régit que les filiations non issues d'inséminations 

artificielles (les textes étant disposés dans deux sections distinctes du chapitre 

Dispositions communes à la filiation légitime et à la filiation naturelle). 

L’article 311-20 ne vise pas expressément cette hypothèse mais ne distingue 

pas selon l’issue de la procréation. Si aucun des deux textes ne s'en saisit, 

l'hypothèse conçue serait régie par le principe permettant la disponibilité de 

l'action. L'on voit vite les limites d'un tel artifice rhétorique. Il est très 

vraisemblable que l'on opposerait à ce raisonnement le caractère général de 

l'article 311-9 ayant vocation à régir toutes les filiations, plutôt que son 

caractère spécial qui en limiterait la portée. La raison d'être d'une extension 

de l'article 311-9 aux conventions de procréation assistée stipulant une 

renonciation à toute action en contestation se comprendrait par un souci de 

maintenir une certaine vérité génétique ; mais quel sens cela aurait-il face à 

une IAD ( *) si le mari ou le concubin entend contester une paternité qu’il ne 

pouvait de toute manière pas donner ? Parce que l’enfant, né à la suite de 

l’erreur, n’aurait pas la même couleur de peau que le mari ou le concubin qui 

avaient consenti à l’insémination avec don, ceux-ci ne seraient-ils pas fondés à 

contester le lien de filiation ? 

Il est bien entendu illusoire de vouloir répondre à de pareilles questions en 

termes de principe et d’exception. Soit la solution d'une telle hypothèse 

conduit à admettre la validité d'un engagement pris en faveur d'une 

procréation assistée interdisant aux père et mère de contester, même en cas 

d'erreur de manipulation, la filiation de l'enfant issu de ladite procréation, et 

l'on aura alors étendu l'exception de l'article 311-20 al. 2, soit l'on en permet 

la contestation et l'on aura interprété le texte de l’article 311-20 al. 2 au 

(1033) Trib. adm. Clermont-Ferrand, 5 novembre 1997, Dict. perm. Bioéthique et biotechnologies, Bulletin 55, 6 

décembre 1997, p.8685 : En l'espèce, l'enfant n'était pas né. Les médecins avaient incité la femme, au sein de 

laquelle l'embryon avait été implanté par erreur, à pratiquer un avortement. 

(* ) Insémination Artificielle avec sperme de Donneur

299 

moyen d’une extension de l’article 311-9 qui est lui-même une exception. Les 

deux solutions seront, quoi qu'il en soit, absolument contestables puisque, ici 

plus qu’ailleurs, aucune réponse ne peut être satisfaisante hors de tout examen 

empirique. On peut difficilement interdire au père de désavouer un enfant qui 

n'est pas le sien ; on peut difficilement interdire à un couple de contester la 

filiation de l'enfant qui n'est pas le sien. Mais inversement, si le couple accepte 

d'accueillir cet enfant comme le sien, comment empêcher les véritables 

parents, ou le père génétique seul, ou la mère génétique seule, de contester la 

première filiation ? L'établissement de la filiation par la possession d'état nous 

livrerait des éléments de réponse mais l'affirmation d'un principe général 

régissant ces hypothèses d'erreur de manipulation est, pour le moins, tout à 

fait illusoire. 

En fait, si les textes sont disposés de telle manière que les exceptions et 

principes forment des couches superposées de droits spéciaux, il n’y a plus 

aucune raison d’appliquer le principe d’interprétation stricte des exceptions 

puisque toute extension sera l’extension d’un texte spécial ou exceptionnel. 

188. Cas pratique - L’un des époux achète seul, à tempérament et pour une 

somme modeste, un bien nécessaire aux besoins de la vie courante. Aux 

termes de l’article 220 du Code civil qui régit la question, “Chacun des époux a 

pouvoir pour passer seul les contrats qui ont pour objet l’entretien du ménage 

ou l’éducation des enfants : toute dette ainsi contractée par l’un oblige l’autre 

solidairement. 

La solidarité n’a pas lieu, néanmoins, pour les dépenses manifestement 

excessives, eu égard au train de vie du ménage, à l’utilité ou à l’inutilité de 

l’opération, à la bonne ou mauvaise foi du tiers contractant . 

Elle n’a pas lieu non plus, s’ils n’ont été conclus du consentement des deux 

époux, pour les achats à tempérament ni pour les emprunts à moins que ces 

derniers ne portent sur des sommes modestes nécessaires aux besoins de la vie 

courante". 

Pour la doctrine et la jurisprudence dominante, la solidarité n’aura pas lieu 

de s’appliquer à l’hypothèse évoquée. “La dette née d’un achat à tempérament 

conclue par un époux est exclue de la solidarité prévue par l’article 220, le peu 

d’importance des achats étant une circonstance indifférente (1034) ”. Cette 

solution, qui est l’expression d’une interprétation restrictive s’appuie sur l’idée 

(1034) Cass. civ. 1ère, 12 juillet 1994, D. 1996, p.117, note GUINERET-BROBBEL DORSMAN ; RTD civ. 1996, 

p.221, obs. VAREILLE.

300 

que l’alinéa 3 de l’article 220 érige une exception et une contre-exception au 

principe de la solidarité (qui, en droit civil, est elle-même exceptionnelle) : 

l’exception comprendrait tous les achats à tempérament, la contre-exception 

faisant retour à la solidarité ne concernerait que les emprunts engageant des 

dépenses modestes et nécessaires aux besoins de la vie courante. Sous forme 

d’une mise en garde, les commentateurs considèrent que la dangerosité des 

achats à tempérament doit être maîtrisée par le consentement des deux époux, 

et que permettre l’application de la solidarité à de tels achats portant sur des 

sommes même modestes et nécessaires serait inacceptable : "laisser place à 

l’exception, c’est ouvrir la porte à l’incertitude de ses contours (1035) ". 

L'usage du principe d'interprétation stricte des exceptions vient ici 

conforter des arguments conséquentialistes mais il n'a aucune fonction 

heuristique. Au moins est-il permis de comprendre que l'utilisation de ce 

principe révèle non pas une préférence méthodologique mais un parti pris sur 

la solution déjà posée. En cela, la thèse dominante tait la pertinence des 

raisonnements qui reprendraient en amont la discussion sur la dangerosité 

prétendue des achats à tempérament par rapport aux autres opérations de 

crédit, pour écarter, quoi qu'il arrive, la solidarité entre époux ; elle se sert de 

l'adage pour l'autorité qu'elle y attache afin de prescrire l'éviction de la 

solidarité hors de tout débat sur la cohérence et l'opportunité de cette 

éviction. Au mieux, le principe d'interprétation stricte des exceptions est donc 

un instrument garantissant à son utilisateur l'immunité prêtée à un 

raisonnement logique ; mais l'on doit pouvoir admettre que toute restriction 

doit être discutée. Au pire, c'est un instrument sophistique qui confère à son 

utilisateur la faculté de proposer ou de justifier une solution sans avoir à la 

fonder autrement que par le slogan de l'interprétation stricte. 

189. Un principe rigide ? - Le principe d'interprétation stricte des exceptions, 

mais également des privilèges, des fictions, des présomptions légales ou des 

transactions fonctionne comme une mise en garde interprétative. La doctrine 

et la jurisprudence apposent sur des situations ou des dispositions l'épithète 

“exceptionnelles” pour inviter à l'interprétation stricte, étant sous-entendu 

que les problèmes posés par ces dispositions ont des solutions connues dont les 

raisons sont identifiées, mais le principe d’interprétation stricte des exceptions 

n’est pas exclusif d’une extension analogique du texte exceptionnel. 

(1035) G. WIEDERCKER, obs. sur Cass. civ. 1ère, 12 juillet 1994, JCP 1995.I.3869.

301 

"Lorsqu'une règle est énoncée sous forme d'exception, il faut donc aller à sa 

raison et celle-ci peut faire reconnaître “ l'exception ” comme la sauvegarde 

d'un principe supérieur. Une exception de cette nature mérite d'être appliquée 

dans toute la mesure de sa raison d'être. Non seulement il ne faut rien en 

retrancher, mais la plénitude de son application doit être garantie, fût-ce au 

prix d'un raisonnement analogique (1036) ". Cette idée peut apparaître quelque 

peu paradoxale puisqu’elle revient à nier la rigidité de ce principe. 

Or, en niant la rigidité du principe d’interprétation stricte des exceptions, 

on en nie la pertinence car admettre une application souple ou casuistique du 

principe d’interprétation stricte des exceptions revient à se fonder sur la 

raison d’être du principe et sur la raison d’être du texte exceptionnel. Pour 

justifier la validité du principe d’interprétation stricte des exceptions, encore 

faut-il que ce principe participe de toutes les interprétations qui mettent aux 

prises un texte et son exception. À cet égard on aurait plutôt tendance à croire 

que le principe d’interprétation stricte des exceptions est lui-même 

d'application exceptionnelle. La tendance serait d’interpréter "restrictivement 

les textes soit quand ils dérogent au droit commun et que des considérations 

graves ne paraissent pas exiger leur élargissement, soit quand, sans qu’ils 

s’écartent en rien de principes généraux, leur application logique froisse 

gravement l’équité ou nuit gravement à l’intérêt général (1037) ". L’idée serait 

donc qu’un texte exceptionnel appelle une interprétation restrictive parce 

qu’il en va de son esprit. 

C’est l’esprit de l’exception qui produirait l’impératif de restriction ou 

l’impossibilité logique d’étendre l’interprétation. La terre d’élection des 

interprétations strictes est en premier lieu le domaine des privilèges (1038) , 

privilèges qui viennent rompre le principe d’égalité entre les créanciers. La 

difficulté est que ce principe d’égalité est lui-même soumis à des tensions 

contradictoires. En matière de surendettement par exemple, on affirmera que 

le principe qui gouverne le règlement du passif du particulier surendetté est 

justement l’inégalité entre les créanciers. En procédure collective, la loi de 

1985 puis la réforme de 1994 restent fidèles à ce principe d’égalité des 

créanciers, mais hors procédure collective, en l’absence de surendettement, le 

principe qui régit la déconfiture du débiteur est l’absence de principe ou, plus 

exactement, on dira que le paiement est le prix de la course. Dans ces trois 

(1036) G. CORNU, Droit civil, Introduction, les personnes, les biens, 8ème éd., 1997, précité, n°417, p.140. 

(1037) E.-H. PERREAU, Technique de la jurisprudence en droit privé, tome 1er, précité, p.342-343. 

(1038) L. AYNES et P.-Y. GAUTIER, "De l'application stricte des privilèges", D. 1994, chr., p.14.

302 

situations, celle du particulier surendetté, celle de la personne morale ou du 

commerçant soumis à une procédure collective et celle du professionnel noncommerçant, 

il n’est pas possible d’affirmer quel est le principe et quelles sont 

les éventuelles exceptions. En fait, admettre qu’il existe en droit français un 

principe d’égalité des créanciers, c’est admettre du même coup la polyvocité 

de ce principe (1039) . Il en sera de même pour la solidarité des époux à l'occasion 

de dépenses faites au profit du ménage. Ces exemples sont illustratifs de cette 

valeur rhétorique que l’on attribue à l’exception par rapport à son principe : 

alors que l’on admet qu’il faut raisonner sur la raison d’être de l’exception 

pour interdire ou autoriser son extension à des cas inédits, l’interprétation 

stricte des exceptions crée une sujétion du texte exceptionnel par rapport au 

texte considéré comme étant de principe. La seule vertu que l'on puisse 

reconnaître au principe d’interprétation stricte des exceptions est qu’il élude 

le débat sur la suprématie d’un texte par rapport à un autre et qu’il fait de 

l’absence de controverse une qualité du principe. L'adage maintient la 

question posée dans le giron des arguments d'autorité et la recherche des 

raisons pratiques ou politiques d'analogie ne peut prospérer. 

190. Valeur rhétorique des adages - Si le principe d'interprétation stricte des 

exceptions souffre autant de tempéraments, c'est sans aucun doute parce qu'il 

ne permet pas de répondre valablement à une question inédite. Il vient à 

contretemps pour justifier une solution déjà admise. De la sorte, son 

utilisation permet de rationaliser et de fonder sous une apparence logique une 

interprétation dont la raison finit par s'effacer. Par un paralogisme, 

l'interprétation stricte des exceptions crée donc a posteriori un lien de sujétion 

du texte qualifié d'exceptionnel envers le principe et son intérêt résulte du fait 

que son énonciation se substitue à un raisonnement destiné à découvrir la 

raison d'être d'un texte. À vrai dire, le principe d'interprétation stricte des 

exceptions, comme l'ensemble des maximes traditionnelles, a cette fonction 

de justification de la solution sans que l'on soit sûr qu'il ait vraiment participé 

à sa découverte. Car les adages interprétatifs sont d'une généralité si grande 

qu'elle ne leur permet pas de désigner la bonne solution. Comme le souligne 

M. le professeur Cornu, "la marque essentielle de l'adage est la puissance 

d'expression (et d'impression) que lui communique l'évocation de l'image (1040) 

(1039) 

M. CABRILLAC, "Les ambiguïtés de l'égalité entre les créanciers", Mélanges Breton et Derrida, Paris, 

Dalloz, 1991, p.38. 

(1040) 

Mais il est difficile d'y résister ; v. G. CORNU, Linguistique juridique, précité, n°120, p.404

303 

". Son ambiguïté tient à sa valeur parfois poétique. Du coup, il y a autant de 

significations de Ubi lex non distinguit, nec nos debemus distinguere que de 

distinctions à ne pas faire ; il y a autant de conceptions de la fraude que de 

situations pour déclamer Fraus omnia corrumpit ou encore il y a autant de 

raisons d'appliquer l'adage Accessorium sequitur principale que d'hypothèses 

où l'accessoire suit le principal. Il suffit de croire en leur autorité pour être 

convaincu qu'en les utilisant, les juges et la doctrine découvrent par déduction 

les solutions exactes. 

191. Dura adagio, sed adagio - En somme, la rhétorique de l'adage est une 

rhétorique d'autorité qui, sous couvert de raison, masque les tenants de la 

solution prescrite. Elle garantit par une formule lapidaire une immunité à 

celui qui l'emploie mais, ne nous y trompons pas, elle participe d'un discours 

prescriptif ; car c'est bien un ressort argumentatif qui permet de faire silence a 

priori sur des significations ou des solutions possibles. Honnêtement, ne 

pourrait-on dire l'argument de restriction du domaine des exceptions plutôt 

que le principe d'interprétation stricte (1041) ou encore l'argument de la liberté 

dans le doute, plutôt que le principe in dubio pro libertate (1042) ? Car si cette 

rhétorique du silence prospère comme une évidence dans un premier temps, il 

reste, dans un second, que la doctrine mettra à profit la part de non-dit pour 

exploiter l'implicite. 

ARTICLE 2. L'EXPLOITATION DE L'IMPLICITE 

A contrario ou a completudine, la doctrine découvre pour le texte et pour 

le système, les interprétations secondes : celles qui s'imposent une fois que le 

sens premier a été écarté. 

I. LECTURES A CONTRARIO 

192. Le texte révélé a contrario - L'article 334-9 du Code civil n'est pas un 

palindrome, et cependant les juristes le lisent à l'endroit et à l'envers. À 

l'endroit, le texte énonce simplement que "toute reconnaissance est nulle, 

toute demande en recherche est irrecevable, quand l'enfant a une filiation 

(1041) 

v. la présentation faite par F. TERRE, Introduction générale au droit, 4ème éd., 1998, précité, n°394, 

p.406. 

(1042) 

F. MÜLLER, Discours de la méthode juridique, trad. par O. Jouanjan, Paris, PUF, 1996, p.274.

304 

déjà établie par la possession d'état" ; a contrario, la reconnaissance est valable, 

l'action en recherche est recevable, quand l'enfant n'a pas la possession d'état 

d'enfant légitime. Au vu des travaux préparatoires de la loi du 3 janvier 

1972 (1043) , la lecture a contrario paraissait un mode normal de compréhension 

du texte, sa finalité étant de rompre avec l'omnipotence de la présomption de 

paternité légitime : lorsque le titre de l'enfant porte indication du nom du 

mari, la présomption qui joue en dépit de l'intérêt de l'enfant pourrait être 

renversée ; le texte a contrario permet alors la contestation de la paternité 

légitime, en dehors des hypothèses de désaveu et de contestation par la mère. 

L'arrêt de la première chambre civile du 9 juin 1976 consacra la thèse 

défendue par les partisans de la lecture à l'envers. Le débat doctrinal qui 

accompagna cette décision fut âpre. Le professeur Raynaud insistait : "Mais il 

faut redire (…) que l'intérêt de l'enfant est avant tout de ne pas être un enjeu, 

de ne pas être celui que l'on s'arrache ou que l'on se renvoie (…). Le défaut 

essentiel de l'interprétation a contrario de l'article 334-9 est d'ouvrir de 

nouveaux champs de bataille alors que c'est la paix qui est le premier intérêt 

de l'enfant (1044) ". Dans une note approbative de l'arrêt, M. le doyen Cornu 

répondait que les deux sens positif et négatif du texte étaient indissociables, 

mais au-delà d'une exégèse textuelle et contextuelle, il restait encore à 

s'interroger : "sommes-nous sûrs de ne plus tourner contre l'enfant notre 

jugement sur l'adultère ? (1045) ". L'enjeu est là (au moins en apparence) ; 

certains le regrettent, d'autres acceptent que la loi et la jurisprudence 

consacrent cette idée que la présomption de paternité légitime n'ait plus toute 

son emprise passée. L'intérêt de l'enfant est-il d'être légitime grâce au “masque 

hypocrite” de la présomption, selon les mots du professeur Raynaud, ou d'être 

naturel et certain de l'être ? Françoise Dolto montrait que l'on ne construit pas 

son identité sur un mensonge. Que la vérité soit difficile à dire, qu'elle soit 

source de conflit et, en l'espèce, de conflits de filiations, c'est une certitude ; 

elle est pourtant seule structurante (1046) . 

Traduit par les juristes, la lecture a contrario impose une plus grande 

attention portée à la possession d'état comme fondement et preuve du lien de 

filiation, pour que l'absence ou l'équivocité de la possession conduisent à ce 

que soit faite la clarté sur la réalité biologique. L'enfant doit pouvoir connaître 

(1043) 

J. FOYER, Président de la commission des lois, rapporteur de la loi à l'Assemblée nationale, Doc. ass. nat. 

n°1926, p.77. 

(1044) 

P. RAYNAUD, note sous Cass. civ. 1ère, 9 juin 1976, D. 1976, p.597. 

(1045) 

G. CORNU, note sous Cass. civ. 1ère, 9 juin 1976, JCP 1976.II.18494. 

(1046) 

F. DOLTO, Tout est langage, Paris, Gallimard, nrf, 1995, p.8.

305 

ses origines pour trancher lui-même des conflits qui de toute manière 

échapperont au juge. M. le professeur Carbonnier faisait justement observer à 

propos de l'intérêt en général et de celui de l'enfant en particulier que "la 

subtilité congénitale de la notion d'intérêt est accentuée, en ces applications 

légales, par la supériorité que nous nous sentons tenus d'attribuer, idéalistes 

que nous sommes tous, aux intérêts les plus fuyants, psychiques, 

éthiques (1047) ". 

Sans entrer plus avant dans cette discussion qui nous conduirait à raisonner 

en cohérence avec la lecture toujours a contrario de l'article 322 al. 2 du Code 

civil (1048) , il faut remarquer qu'à l'occasion de ces lectures à l'envers, la thèse 

dominante et la jurisprudence ont effacé le sens premier du texte pour lui 

substituer une signification complétée. On conviendra avec M. le professeur 

Cornu que, célébrées pour avoir éclairci la pensée du législateur, les 

interprétations a contrario peuvent aussi apparaître comme des expédients 

commodes (1049) . Elles profitent de l'autorité du texte pour le contredire en 

sous-entendant son caractère incomplet ; elles déjouent la contrainte 

interprétative du texte clair pour créer une antinomie entre le texte à l'endroit 

et l'a contrario. L'ambiguïté créée en amont est dénoncée et résolue en aval. Il 

s'agit bien en cela d'une argumentation a contrario (1050) . Associé tantôt à un 

argument téléologique pour étendre, tantôt au rejet d'une analogie pour 

restreindre, l'a contrario récrit le texte en rendant imparfait et caduc le sens 

premier. A contrario, l'on récrit autant le texte de la loi que celui de l'arrêt. 

193. L'arrêt a contrario - Lorsqu'une proposition doctrinale n'a pas encore reçu 

l'assentissement de la juridiction suprême, les auteurs déduisent du silence de 

l'arrêt la positivité de la solution proposée. "Un arrêt interprété a contrario 

nous le montre bien" dira-t-on (1051) , mais l'utilisation de l'autorité de la 

jurisprudence pour ce qu'elle ne dit pas est un procédé qui peut apparaître 

fallacieux. Certes, lorsqu'une décision se prononce en faveur d'un fondement 

contractuel, elle rejette a contrario le fondement délictuel. Lorsqu'une 

alternative est disjonctive, choisir la première branche, c'est écarter la 

(1047) J. CARBONNIER, "Les notions à contenu variable en droit de la famille", in Ch. PERELMAN (dir.), Les 

notions à contenu variable, Bruxelles, Bruylant, 1984, p.104. 

(1048) Cass. civ. 1ère, 27 février 1985, D. 1985, p.265, concl. SADON, note CORNU ; JCP 1985.II.20460, note 

FORTIS-MONJAL et PAIRE ; Defrénois 1985, p.1283, note GRIMALDI ; F. TERRE et Y. LEQUETTE, Les grands 

arrêts de la jurisprudence civile, 10ème éd., 1994, précité, n°41-42, p.188. 

(1049) G. CORNU, Droit civil, Introduction, les personnes, les biens, 8ème éd., 1997, précité, n°414, p.139. 

(1050) E. AGOSTINI, "L'argument “ a contrario ”", D. 1978, chr., p.149. 

(1051) F. CHABAS, note sous Cass. civ. 2ème, 25 janvier 1995, Gaz. pal. 1995, 18-20 juin 1995, p.28.

306 

seconde. Mais cela n'est pas si simple. M. le professeur Atias faisait observer 

que l'utilisation d'un raisonnement a contrario était certes un hommage rendu 

par la doctrine à la formule synthétique de l'arrêt de principe, mais que cette 

extension de la portée de l'arrêt était le signe d'une méthode essoufflée (1052) . 

On ne cherche que des références et des raisons d'autorités. En apparence du 

moins, car, a contrario d'une décision qui est isolée, il y a tout le droit ; et une 

décision est nécessairement isolée. En raisonnant hors de l'arrêt, lui faisant 

dire ce qu'il ne dit pas, la doctrine récupère donc la puissance normative de 

l'arrêt sans se dévoiler. Mais ce discours déductif perd ses artifices de 

neutralité lorsque des lectures a contrario différentes sont proposées et que la 

controverse reprend ses droits (1053) . 

L'a contrario n'est donc pas un procédé interprétatif innocent. Il permet de 

combler les vides que son utilisateur aura définis. En cela, il rejoint 

l'argumentation fondée sur les lacunes du droit. 

II. L'IMPLICITE DECOUVERT A COMPLETUDINE. 

194. Un faux-problème - Le problème des lacunes du droit et de la législation 

est un thème récurrent de la science du droit. Il prolonge et renouvelle 

l'exégèse de l'article 4 du Code civil parce que la complétude du droit est l'un 

des postulats fondamentaux de la plupart des théories juridiques, du moins 

celles qui admettent un postulat de rationalité globale de l'ordre juridique. 

Aussi positivistes, naturalistes ou réalistes considèrent-ils, quoique pour des 

raisons différentes, que le système juridique produit nécessairement au moins 

une réponse aux questions qui se posent. Chaque perspective théorique traite 

du reste le problème des lacunes comme un faux-problème. De Portalis et 

Merlin (1054) à Perelman et Dworkin (1055) en passant par Kelsen et Gény (1056) , on 

retiendra l'idée que le système juridique produit les moyens de combler ses 

propres vides. Le plus souvent, le droit légiféré renvoie au juge le soin de 

(1052) C. ATIAS, "Jurisprudence a contrario", D. 1997, chr., p.297 s. 

(1053) pour illustration, C. ATIAS, ibid, p.297, n°3. 

(1054) MERLIN, Répertoire universel et raisonné de jurisprudence, Paris, Garnery, 4ème éd., 1812, 

v°Interprétation. 

(1055) R. DWORKIN, "La complétude du droit", in P. AMSELEK (dir.), Controverses autour de l'ontologie du 

droit, Paris, PUF 1989, p.127. 

(1056) F. GENY, Méthode d'interprétation et sources en droit privé positif, tome 2, 2ème éd., 1919, précité, 

n°201-204.

307 

combler les vides (1057) . Portalis résumait ainsi cette idée : "C'est à la 

jurisprudence que nous abandonnons les cas rares et extraordinaires qui ne 

sauraient entrer dans le plan d'une législation raisonnable, les détails trop 

variables et trop contentieux qui ne doivent point occuper le législateur (…). 

C'est à l'expérience que nous abandonnons les vides que nous laissons (1058) ". 

Si, d'un point de vue théorique, l'on admettra, quels que soient les 

présupposés auxquels on s'attache, que les lacunes authentiques n'existent pas, 

il reste à s'interroger sur le fait étonnant que la doctrine continue 

inlassablement de se plaindre de l'état lacunaire du droit positif. Selon Kelsen, 

cette invocation des lacunes "techniques" est destinée à écarter la règle 

logiquement applicable, car ce discours n'est que le fruit d'une discordance 

entre le droit positif et le droit souhaité (1059) ; à travers “les lacunes 

techniques”, la doctrine laisse tout simplement prospérer une argumentation 

de jure ferenda. Dans une perspective naturaliste, on admettra aisément que 

prétendre qu'il existe des lacunes du droit positif, légiféré ou non, conduit à 

écarter le droit naturel alors que celui-ci a vocation à régler les questions que 

la généralité des textes ou des principes positifs ne peut concrètement saisir. 

Gény, par exemple, considère que "le postulat de plénitude de la législation 

écrite constitue une fiction acceptée dans une vue purement pratique mais ce 

postulat n'est pas un principe rationnel appuyé sur la nature des choses (1060) ". 

En bref, le discours sur les lacunes a une valeur essentiellement 

rhétorique (1061) . 

195. L'éviction de la règle applicable - Le discours sur la lacune est créateur de 

vide. La lacune invoquée s'érige elle-même en contrainte argumentative. La 

question n'a pas de réponse. Or la description de l'existence d'un vide législatif 

(1057) Et lorsque le droit légiféré disparaît, la régularité des comportements fera naître ce qui sera accepté 

comme un droit survivant. L'hypothèse d'une abrogation totale et instantanée de la totalité de la législation des 

Comores est rapportée par R. GARRON, "La nécessité, l'habitude et la continuité", Liber amicorum Benoît 

Savelli, Aix, PUAM 1998, p.195. 

(1058) PORTALIS, in LOCRE, La législation civile, commerciale et criminelle de la France, Paris, Treuttel et 

Würtz, 1827-1832, Tome 1, §16, p.159 ; adde J. GILISSEN, "Le problème des lacunes du droit dans l'évolution 

du droit médiéval et du droit moderne", in Ch. PERELMAN, Le problème des lacunes en droit, Bruxelles, 

Bruylant, 1968, p.239-240. 

(1059) H. KELSEN, Théorie pure du droit, 1ère éd., 1953, rééd., 1988, précité, p.158 ; Théorie pure du droit, 

2ème éd., 1962, précité, p.329 ; Théorie générale du droit et de l'État, Introduction de S. Paulson, trad. 

B. Laroche et V. Faure, Bruxelles, Bruylant, Paris, LGDJ, 1997, p. 200. 

(1060) F. GENY, Méthode d'interprétation et sources en droit privé positif, tome 1, 2ème éd., 1919, précité, 

p.199 ; adde Ch. BEUDANT, Cours de droit civil français, Tome I, Introduction et explication du titre 

préliminaire du Code civil, 2ème éd., 1934, précité, n°178, p.188, "La loi peut avoir des lacunes, le droit n'en 

a pas". 

(1061) J. BROEKMAN, "Beyond legal gaps", Law and Philosophy 4, 1985, p.217.

308 

ou juridique postule une complétude idéale du système : complétude non 

seulement logique dans une perspective positiviste mais également plénitude 

du contenu. Le manque de règle allégué en matière de clonage d'embryons, ou 

comme précédemment relativement au contrat de mère-porteuse, a pour effet 

de montrer les limites des règles existantes, non que ces règles soient 

logiquement inapplicables mais parce qu'elles sont politiquement 

insatisfaisantes par leur contenu ou simplement par leur formulation. 

L'invocation de la lacune a donc plusieurs objets : elle est parfois une 

invitation à l'intervention législative, elle est parfois une justification à 

l'extension analogique des règles régissant les hypothèses connexes au cas 

prétendument insoluble, mais elle est surtout une rhétorique de l'éviction de 

la règle pourtant applicable. Il est notable en effet que l'invocation doctrinale 

de la lacune s'accompagne tantôt insensiblement, tantôt explicitement de 

considérations ou de prescriptions permettant de la combler. Si, à l'adresse du 

législateur, l'appel au comblement de lacune est clairement une invitation à 

réformer le droit positif, à l'adresse du juge, contraint par l'article 4 du Code 

civil, l'invocation de la lacune et sa mise en évidence doctrinale, sont le 

support d'une modification prétorienne de l'état des normes positives. Le 

discours doctrinal affirme ainsi que la norme applicable est désuète ou 

obsolète, que les contradictions et les antinomies entre les normes positives 

rendent les conflits sans solution, ou encore que la nouveauté et l'originalité 

de la question ne peuvent se satisfaire de solutions anciennes. Dans ces trois 

séries d'hypothèses, on évince toujours la règle applicable : la lacune est un 

procédé de disqualification a priori de tous les raisonnements qui auraient 

pour objet de montrer que la question reçoit au moins une réponse fournie par 

le droit positif. Son invocation est utilisée contre l'analogie pour en rejeter la 

raison, contre toute recherche empirique, contre toute interprétation libre. 

Mais, suprême paradoxe, l'auteur qui observe le vide ne s'en contente pas et 

propose de le combler comme si ex-nihilo une solution pouvait surgir. 

Aussi la constatation de l'existence d'une lacune résulte-t-elle d'un 

raisonnement s'appuyant non pas sur la logique formelle, mais sur des 

considérations d'ordre téléologique, déontologique et en somme politique. 

C'est l'expression doctrinale d'un jugement porté sur l'état des normes censées 

répondre positivement à une question. Les chambres restreintes de la Cour de 

cassation raisonnent aussi de cette manière. Les règles identifiables sont-elles 

propres à répondre facilement au cas ? La solution s'impose-t-elle ? Le manque 

de règle renvoie Hercule à s'interroger en termes de principe, et tout juge à

309 

considérer la solution qu'il va choisir non pas du point de vue des raisons 

d'autorité (textes et jurisprudences contradictoires le cas échéant) qu'il 

préjugera absentes pour les écarter, mais d'un point de vue axiologique en 

considération d'une cohérence préétablie. 

La rhétorique de la lacune est une illustration du discours doctrinal dans ce 

qu'il a de plus ambigu. Il est alors parfaitement descriptif. L'auteur décrivant 

le vide montrera que les règles présentes ne sont pas applicables, démontrera 

que des analogies ne peuvent être valablement fondées en raison ou que 

l'espèce n'offre pas la possibilité de formuler concrètement une norme issue 

de principes généraux. Mais la description de cet état de manque creuse le lit 

d'un argument a completudine. Face au vide, la doctrine trouve toute 

légitimité pour prescrire la solution qui le comblera. 

Mais il arrive parfois que les contraintes pesant sur les interprètes soient 

plus lourdes. Lorsque des interdits se sont imposés comme des évidences, la 

doctrine a plus de mal à se débarrasser des tabous qu'elle a contribué à créer. 

PARAGRAPHE 2. L'UTILISATION DOCTRINALE DES TABOUS. 

196. Présentation - L'équité est un concept qu'il faut taire : "Il est des cas où le 

juge du fond peut penser en équité, mais à condition de ne pas l'écrire (1062) ". 

L'erreur sur la valeur n'est pas une cause de nullité des conventions, mais 

"l'annulation pourra être obtenue en rattachant l'erreur sur la valeur à une 

autre erreur (1063) ". 

Face aux tabous, le mot d'ordre est de ne rien dire, de ne pas écrire les mots 

qui font tomber le couperet tranchant de la solution infaillible. Ce sont des 

rapports assez troublants que la doctrine entretient avec ses propres 

impossibilités de dire. Les juristes s'imposent des contraintes sémantiques et 

conceptuelles qui, par la durée de leur exposition à la critique, reçoivent les 

honneurs de l'évidence. Ainsi considère-t-on comme hérétiques et subversives 

des prises de position qui dépassent ce que la doctrine majoritaire est capable 

d'entendre positivement. 

Mme le professeur Izorche remarquait l'erreur stratégique des auteurs qui, 

dans le passé, avaient tenté d'étendre trop le champ d'application de 

(1062) C. PUIGELIER, note sous Cass. soc., 11 mai 1994, D. 1995, p.626. Comp. C. ALBIGES, De l'équité en droit 

privé, Thèse Montpellier 1997, p.62-63 ; v. Ph. JESTAZ, Rép. civil Dalloz, v° Équité, 1972, distingue les 

différentes catégories d'équité que l'on trouve dans le discours juridique : l'équité subversive, l'équité 

supplétive, et l'équité supérieure. 

(1063) C. ATIAS, Épistémologie du droit, précité, p.10.

310 

l'engagement unilatéral. Ceux-ci avaient dû affronter des levées de boucliers 

qu'ils eussent mieux fait d'éviter. "L'admission de façon trop générale et sans 

doute abusive de l'engagement unilatéral a suscité l'abus de sa négation et 

engendré des réactions irrationnelles : il n'était certes pas adroit de vouloir 

faire du contrat la juxtaposition de deux engagements unilatéraux ; il aurait 

mieux valu plutôt que d'attaquer le contrat si cher aux juristes du XIXème 

siècle … et du XXème siècle, tenter de faire une place à l'engagement 

unilatéral à côté de celui-ci, plutôt que de contraindre les défenseurs du 

contrat a tout rejeter en bloc. Il aurait été bien plus adroit de limiter 

rigoureusement, à une époque où les esprits n'étaient pas prêts à l'admettre, le 

domaine d'application de l'engagement unilatéral, quitte à l'étendre très 

progressivement par la suite (1064) ". Il y a bien une leçon à retenir. 

Devant les tabous, il faut être habile et ne pas les affronter. 

L'argumentation doctrinale doit limiter ses ambitions polémistes et 

contourner les obstacles représentés par les solutions certaines et les 

raisonnements acquis. Dans les périodes de mutation conceptuelle, il faut faire 

admettre un point de vue tout en le taisant, pour qu'une fois la mutation 

conceptuelle avérée, le changement de qualification sémantique soit plus 

facile. 

Mais la permanence sémantique draine parfois des représentations 

incompatibles. Il faut alors esquiver la qualification tabou et faire preuve 

d'imagination. C'est patent lorsque la doctrine doit faire face à des questions 

qui mettent en évidence des représentations morales ou religieuses de l'ordre 

juridique ; c'est également ostensible pour l'analyse de concept ou de 

questions qui ne paraissent pas remettre en cause les fondements de notre 

civilisation. Nous réfléchirons notamment sur l'obligation naturelle et sur les 

servitudes en copropriété. 

ARTICLE 1. L'INCOMPATIBILITE CONCEPTUELLE. 

197. L'obligation naturelle - Le Code civil ne fait pas grand cas des obligations 

naturelles. L'article 1235 al. 2 énonce simplement que "la répétition n'est pas 

admise à l'égard des obligations naturelles qui ont été volontairement 

acquittées". À mi-chemin entre le devoir moral et l'obligation civile (1065) , 

(1064) 

M.-L. IZORCHE, L'avènement de l'engagement unilatéral en droit privé contemporain, Aix-en-Provence, 

PUAM, 1995, préface de J. Mestre, p.54. 

(1065) 

CARBONNIER, Droit civil, Introduction, 25éme éd., 1997, précité, [165], p.281.

311 

l'obligation naturelle possède un régime hybride. Son créancier ne peut en 

exiger l'exécution et lorsque celle-ci a eu lieu, le débiteur qui a 

volontairement exécuté, ne peut agir en répétition de l'indu. On admet 

également que l'obligation naturelle puisse réaliser sa propre novation en 

obligation civile dans certaines hypothèses. Éclairons ce dernier point : il est, 

semble-t-il, révélateur de conceptions philosophiques. La novation opère 

l'extinction de l'obligation existante par la création d'une nouvelle. Le 

problème est ici que fonder la requalification de l'obligation naturelle en 

obligation civile sur le mécanisme de la novation suppose que l'on reconnaisse 

l'existence juridique de l'obligation naturelle. Cela n'a rien d'évident pour des 

auteurs qui considèrent que, "juridiquement", l'obligation naturelle n'existe 

pas, n'étant pas, par définition, sanctionnée. Ces auteurs préfèrent justifier la 

transformation en obligation civile sanctionnée, par le recours à la théorie de 

l'engagement unilatéral de volonté en se plaçant, le cas échéant, sous la coupe 

du principe de l'autonomie de la volonté (1066) . 

À l'inverse, selon M. le professeur Sériaux, l'obligation naturelle appartient, 

en quelque sorte, à la part d'indétermination du droit positif : "elle peut 

réapparaître à chaque interstice laissé par la loi civile (1067) ". Cette manière de 

comprendre le problème fait que la novation n'a rien d'illogique puisque le 

droit naturel cède la place à une qualification de droit positif. Qu'il s'agisse 

d'une novation volontaire ou induite, cette novation est en quelque sorte 

naturelle. Le passage de l'obligation morale à l'obligation civile procède ainsi 

d'une détermination casuistique et conduit le juriste jusnaturaliste à examiner 

la volonté de nover comme un témoin de ce qui existait déjà. Les 

circonstances avaient placé les différents acteurs en situation de créanciers ou 

de débiteurs naturels ; le juriste doit donc, en bonne justice, découvrir dans 

quelle mesure cette obligation a mérité d'être exécutée. 

En somme, ce sont des conceptions philosophiquement opposées qui 

s'affrontaient. Les difficultés pour déterminer un mouvement prétorien 

tiennent au fait que la justification et le fondement des solutions posées 

touchaient en profondeur les conceptions de l'ordre juridique. Doucement, les 

(1066) M. GOBERT, Essai sur le rôle de l'obligation naturelle, Paris, Sirey, 1957, p.142 dont le point de vue est 

exposé par M. L. IZORCHE, L'avènement de l'engagement unilatéral …, précité, n°221, p.157. 

(1067) A. SERIAUX, Droit des obligations, 2ème éd., 1998, précité, n°4, p.16 : "Sans être d'usage trop fréquent 

l'obligation naturelle a forcément un caractère résiduel puisque la plupart des obligations naturelles sont d'ores 

et déjà consacrées par les lois civiles, elle continue pourtant d'être exploitée de temps à autre par nos 

juridictions. De cette utilisation clairsemée, il est d'abord permis d'induire que l'obligation naturelle est un 

devoir de justice que le droit positif a, pour des raisons diverses, négligé de prendre en considération. 

L'obligation naturelle apparaît ainsi comme un haut-lieu de droit du non-droit".

312 

temps ont changé. Aujourd'hui, l'engagement unilatéral est consacré de plus 

en plus fermement par la jurisprudence de sorte que l'on peut s'interroger sur 

l'utilité du concept d'obligation naturelle (1068) . Sa coloration morale et 

chrétienne en fait à présent une évocation tabou : si l'on se passe des 

obligations naturelles - hormis celles qui sont consacrées expressément par la 

loi (1069) -, c'est sans doute parce qu'elles exigent du juriste qu'il raisonne en 

équité. Et l'équitable, rappelons-le, n'est pas à dire. 

C'était pourtant grâce à l'équité qu'avaient pourtant été contournés 

d'autres tabous. En effet, au début du siècle, un débat très voisin opposait ceux 

qui fondaient l'exécution de l'obligation naturelle sur une intention libérale et 

ceux qui s'en tenaient à l'exécution d'un devoir moral. L'utilité d'un 

raisonnement empirique ne faisait alors aucun doute car, à une époque où l'on 

considérait les relations de concubinage comme absolument immorales, les 

libéralités entre concubins avaient une cause illicite. Mais ces mêmes 

relations, dès lors qu'elles faisaient apparaître le devoir de reconnaissance de 

l'un, le devoir de conscience de l'autre ou l'obligation d'entraide de chacun, 

c'est-à-dire lorsqu'elles apparaissaient revêtues de l'obligation naturelle, 

échappaient à la sanction de l'illicite pour être tout à fait valables. Le contraire 

eût conduit à considérer comme immoral un devoir moral. 

Cet exemple n'illustre pas seulement l'aspect rhétorique du discours 

doctrinal. Il montre également que les tabous et les non-dits de la doctrine 

sont ceux que l'ensemble de l'univers juridique véhicule. Lorsque les questions 

posées touchent aux convictions politiques, philosophiques ou religieuses, une 

sorte de discours "doctrinalement correct" doit être tenu parce qu'il serait 

retenu en jurisprudence. Ce conformisme qui serait en quelque sorte le prix à 

payer pour être neutre, condamne les esprits innovants à se fondre dans le 

moule pour déjouer l'inertie du cadre de validité argumentative. 

(1068) Cass. civ. 1ère, 10 octobre 1995, Bull. civ. I, n°352, D. 1996, somm. p.120, obs. LIBCHABER : "(…) la 

transformation - improprement qualifiée novation - d'une obligation naturelle en obligation civile, laquelle 

repose sur un engagement unilatéral d'exécuter l'obligation naturelle, n'exige pas qu'une obligation civile ait 

elle-même préexisté à celle-ci". Une telle motivation montre combien il est délicat de parler de quelque chose 

dont on aurait souhaité qu'il n'existât pas ; selon M. le professeur MOLFESSIS, ("L'obligation naturelle devant 

la Cour de cassation", D. 1997, chr., p.85) le problème s'est déplacé "de la novation qui est condamnée à 

l'engagement naturel qui est consacré". 

(1069) Sur l'article 371 du Code civil, "L'enfant, à tout âge, doit honneur et respect à ses père et mère", v. 

A. SERIAUX, "Tes père et mère honoreras. Réflexions sur l'autorité parentale en droit français contemporain", 

RTD civ. 1986, p.265.

313 

198. Clients et patients - Pour permettre à un médecin de céder son cabinet, on 

invente des qualifications qui font échapper la cession de clientèle médicale à 

la nullité, car ce sont des mots à ne pas écrire (1070) . Le tabou est tenace mais il 

évolue. Comme le soulignait M. le professeur Zénati, "derrière la simple 

reformulation d'une solution classique gît peut être une jurisprudence de 

transition" si bien que, "lorsque la pratique aura mis au point les techniques 

permettant de constituer les clientèles en entités transmissibles, le couperet de 

l'absence d'objet deviendra sélectif et toutes les cessions ne seront plus 

nécessairement condamnées (1071) ". On utilise ainsi des euphémismes à l'envi : 

on cède des droits de présentation (1072) . Personne n'est dupe et tout le monde 

feint d'y croire : "l'impression que laissent les solutions données aux questions 

soulevées par la cession de clientèle des professions libérales est celle d'un 

ensemble assez anarchique et passablement hypocrite (1073) ". 

C'est une donnée morale et culturelle qu'aujourd'hui encore, on se refuse à 

confondre le client et le patient. C'est une donnée économique que les 

médecins ont un "fonds médical". La contrainte culturelle détermine ici la 

qualification du fonds médical ; ni bien, ni objet d'une convention, l'ensemble 

des patients constitue cependant la cause même du droit de présentation. 

Cette rhétorique dont le seul but est de dépasser un interdit culturel montre 

combien l'interprétation scientifique ne suffit pas au juriste. Il lui faut vaincre 

lentement des résistances sociales comprimant le champ argumentatif pour 

libérer l'imagination et de nouvelles interprétations. L'idée de l'existence d'un 

"fonds libéral" fait ainsi son chemin. 

Si la Cour de cassation se garde pour l'instant de consacrer ce vocable, elle 

admet pourtant pour un cabinet vétérinaire que "la clause de non-concurrence 

souscrite par un membre d'une profession libérale au profit d'un confrère à 

l'occasion de la cession des éléments constitutifs de son cabinet, doit être sauf 

clause contraire, présumée comprise parmi les droits transmis par le 

(1070) Cass. civ. 1ère, 7 février 1990, Bull. civ. I, n°38 décidant que la clientèle du médecin "attachée 

exclusivement et de façon toujours précaire à la personne de ce praticien est hors du commerce et ne peut faire 

l'objet d'une convention" ; v. J. MESTRE, obs. à la RTD civ. 1991, p.325. 

(1071) F. ZENATI, obs. sur Cass. civ. 7 février 1990, RTD civ. 1991, p.562. 

(1072) Cass. civ. 1ère, 7 juin 1995, D. 1995, p.560 note BEIGNIER : "… si la clientèle d'un médecin ou d'un 

chirurgien-dentiste n'est pas dans le commerce, le droit, pour ce médecin ou ce chirurgien-dentiste, de 

présenter un confrère à sa clientèle, constitue un droit patrimonial qui peut faire l'objet d'une convention régie 

par le droit privé". 

(1073) J. HUET, Traité de droit civil, Les principaux contrats spéciaux, Paris, LGDJ, 1996, n°11186, p.137. Voir 

également R. SAVATIER, Les métamorphoses économiques et sociales du droit privé d'aujourd'hui, seconde 

série, Paris, Dalloz, 1959, n°172, p.201 : "Alors que l'on reconnaît sans difficulté la “propriété” des 

commerçants sur leur clientèle, on déguise le même droit sous des expressions contournées quand il s'exerce 

sur des clientèles médicales".

314 

cessionnaire lorsqu'il vient, à son tour, à procéder à la même opération au 

profit d'un tiers (1074) ". Aujourd'hui la médecine vétérinaire permettrait la 

constitution d'un ensemble réel sur le modèle du fonds de commerce. Sans 

doute dira-t-on encore que les vétérinaires ne sont pas des médecins 

ordinaires, comme les Hommes ne sont pas des animaux ordinaires, mais bien 

que le dogme tremble et que le tabou s'affaiblisse, personne ne peut prédire le 

moment de leur disparition. 

Notons aussi que le tabou n'est pas toujours d'ordre moral. Il peut 

apparaître strictement technique lorsqu'il s'énonce sous la forme d'une 

incompatibilité a priori. C'est le cas par exemple du paiement et de la fraude ; 

on ne saurait admettre l'action paulienne contre un paiement parce qu'un 

paiement ne saurait être frauduleux (1075) . C'est le cas également des servitudes 

en copropriété dont on ne veut reconnaître l'existence pour cause 

d'incompatibilité des servitudes avec le droit spécial de la copropriété comme 

avec l'ensemble du régime de l'indivision. 

ARTICLE 2. L'INCOMPATIBILITE TECHNIQUE 

199. Les servitudes en copropriété - La jurisprudence est acquise sur ce 

point (1076) . La Cour de cassation s'en tient à l'incompatibilité des servitudes et 

de la copropriété (1077) . La question mérite néanmoins d'être étudiée sous 

l'angle d'une stratégie rhétorique. 

Comment faire admettre à la communauté juridique la compatibilité des 

deux institutions sans s'exposer aux foudres de la thèse dominante ? Les 

auteurs partisans de l'admission des servitudes en copropriété ont, en 

apparence, renoncé à faire admettre la compatibilité des unes et des autres 

après l'arrêt de la Cour de cassation du 30 juin 1992 (1078) . Ralliant les 

(1074) 

Cass. civ. 1ère, 3 décembre 1996, JCP 1997.II.22799, note J.-J. DAIGRE ; RTD civ. 1997, p.423, obs. 

MESTRE. 

(1075) 

C. COLOMBET, "De la règle que l'action paulienne n'est pas reçue contre les paiements", RTD civ. 1965 

p.5 et s. 

(1076) 

Cass. civ. 3ème, 6 février 1973, Bull. civ. III, n°101; Cass. civ. 3ème, 2 décembre 1980, RTD civ. 1981, 

p.410 obs. GIVERDON ; Cass. civ. 3ème, 10 janvier 1984, Defrénois 1985, p.335, note AUBERT ; Cass. civ. 

3ème, 6 mars 1991 et 27 mars 1991, JCP éd. N, 1991.II. p.20, note STEMMER. 

(1077) 

P. CAPOULADE, "Copropriété et structures foncières dans la jurisprudence de la Cour de cassation", 

Rapport de la Cour de cassation 1994, p.92-93 

(1078) 

Cass. civ. 3ème, 30 juin 1992, Bull. civ. III, n°231, D. 1993, p.156, note J.-L. AUBERT ; JCP 

1993.II.22131, note GIVERDON ; J.-L. AUBERT, "Quelques mots à propos des servitudes en copropriété", JCP 

1993.I.3726 ; v. égal. C. ATIAS, "Naissance d’un principe : des servitudes en copropriété immobilière", 

D. 1987, chr., p.285.

315 

arguments de la thèse dominante, le principe s'est donc imposé que des 

servitudes conventionnelles ne pouvaient être stipulées entre deux lots de 

copropriété, ni même entre les seules parties privatives des lots. Les textes, 

comme la nature indivisible du couple quote-part des parties communes et 

partie privative, rendraient patente cette incompatibilité puisque l'indivision 

des parties communes empêcherait la détermination d'un fonds servant et 

d'un fonds dominant distincts. Pas de servitude en indivision, pas de servitude 

en copropriété. L'application de la règle paraît simple. Elle serait même 

inopportune ; car aux arguments de texte et à ceux tenant à la nature du lot, 

s'ajoute la traditionnelle mise en garde contre l'impossibilité de garantir la 

sécurité du règlement de copropriété et l'augmentation du contentieux qui 

suivrait l'admission des servitudes (1079) . 

Le cas est facilement résolu tant sa solution est évidente. Elle cache en 

réalité des raisonnements menés sur des chemins de traverse. La pratique 

tente d'y échapper en concevant des droits réels dans la copropriété qui 

esquivent le couperet de la formule magique. En inspirant l'attitude 

particulièrement rigide de la Cour de cassation, la doctrine dominante a invité 

ses adversaires à contourner l'obstacle. Le droit commun des rapports de 

voisinage étant par principe exclu (1080) , la doctrine minoritaire a porté la 

question sur le terrain de la création de droits réels spécifiques à cette 

communauté de personnes et de biens si particulière qu'est la copropriété. 

Comment parler des servitudes en copropriété sans prononcer leur nom ? En 

fait, il s'agit d'une interrogation qui fait résonner l'arrêt Caquelard (1081) , lequel, 

bien qu'ayant donné lieu à fort peu d'hypothèses pratiques, consacra la liberté 

de création et d'imagination des droits réels. Autrement formulée, la question 

des servitudes en copropriété pourrait être celle de la création de droits réels 

nouveaux propres à la propriété collective et pour laquelle le vocable de 

(1079) J. PEYRET, "L'évolution du droit des servitudes" in L'évolution du droit des biens, 3èmes journées 

Savatier, Paris, PUF, 1991, p.75 : "On pourrait très bien fournir une série d'exemples pour illustrer cette thèse, 

mais rappelons simplement à quelles conséquences imprévisibles pourraient se trouver, tant les 

copropriétaires que les syndicats de copropriétaires, si le droit des servitudes venait à envahir le statut de la 

copropriété. On ne peut passer sous silence le risque de voir naître des servitudes par effet de la prescription 

sans publication au fichier immobilier par conséquent, et qui se trouveraient en conflit avec les dispositions 

d'un règlement de copropriété. Ce serait autant d'occasions de voir surgir des procédures à l'envi". 

(1080) R. MARTIN, "Action possessoire, servitude et copropriété", Ann. Loyers 1991, p.477 (p.479, n°7) ; 

D. TOMASIN, "Immeubles en copropriété et servitudes", Droit et Ville n°30, 1990, p.27. 

(1081) Cass. req., 13 février 1834, S. 1834.1.205 ; DP 1834.1.218 ; Grands arrêts de la jurisprudence civile, 

n°60, p.265 ; v. C. ATIAS, Les biens, Paris, Litec, 1993, n°39-a ; A. M. PATAULT, Introduction historique au 

droit des biens, Paris, PUF 1989, n°212.

316 

“servitude” serait banni. Mais que sont alors ces obligations propter rem qui 

naissent en copropriété ? 

La Cour de cassation a par exemple considéré que "le droit de jouissance 

exclusif et privatif sur une fraction de la cour, partie commune, attribué par le 

règlement de copropriété [à certains lots], dont il constituait l'accessoire, avait 

un caractère réel et perpétuel, que l'usage effectif de ce droit était sans 

incidence sur sa pérennité et que ce droit ne pouvait être remis en cause sans 

le consentement de son bénéficiaire (1082) ". M. le professeur Aubert faisait 

observer que le même raisonnement conduisait à admettre l'existence d'un 

droit réel dans ce cas précis, et à la refuser dans le cas d'une servitude (1083) . 

"On ne peut manquer d'être saisi du rapprochement de cet ensemble de 

caractères avec ceux qui sont unanimement reconnus à la servitude : droit réel 

immobilier, accessoire au fonds dominant, perpétuel et indivisible. Ce sont 

très exactement les mêmes ! Et dans les deux cas la propriété du fonds 

“servant” n'est pas altérée dans sa titularité". Pour cet auteur, le droit de 

jouissance exclusif sur les parties communes serait ni plus ni moins qu'une 

servitude dont on aurait tu le nom. Il est du reste curieux que parmi les 

auteurs qui refusent d'admettre l'existence de servitudes en copropriété, 

certains soient gênés par ce dogme de l'incompatibilité. M. le professeur 

Zénati, qui dénonce un faux-problème, justifie l'interdiction des servitudes en 

copropriété par l'idée que "les parties communes n'appartiennent à personne 

d'autre qu'aux copropriétaires et si elles peuvent être indirectement grevées 

de servitude en tant qu'accessoire d'un lot au profit d'un autre lot, elles ne 

peuvent en aucun cas être grevées séparément. Cela suffit à déclarer mal 

fondés les copropriétaires prétendant avoir sur les parties communes plus de 

droits que les autres sans qu'il soit nécessaire d'instituer une incompatibilité 

douteuse entre servitude et copropriété (1084) ". En somme, comme en matière 

de mitoyenneté, la propriété collective supporterait la servitude mais celle-ci 

serait à l'usage et à la charge de tous. Pour un usage privatif, il faut un droit de 

jouissance privatif. N'y aurait-il donc qu'un problème de vocabulaire ? 

Nous croyons que l'ambiguïté du discours doctrinal dominant, consacré par 

la Cour de cassation, s'explique par l'esprit de spécialité qui animerait le droit 

de la copropriété. Il est manifeste en effet que les débats en cette matière se 

(1082) 

Cass. civ. 3ème, 4 mars 1992, D. 1992, p.386 note C. ATIAS ; Defrénois 1992, art. 35349, n°107, obs. 

H. SOULEAU. 

(1083) 

J.-L. AUBERT, note Cass. civ. 3ème, 30 juin 1992, D. 1993, p.159. 

(1084) 

F. ZENATI, obs. à la RTD civ. 1990, p.311.

317 

résument souvent à l'application ou à la non-application des principes du droit 

commun dans le pré carré de la propriété collective, avec l'impression que 

chacun utilise la référence à l'autorité du droit commun en sa faveur. On peut 

aussi penser que les auteurs dissidents développent un discours pareillement 

ambigu mais, dans la mesure où le but qu'ils se sont assigné est clair, leur 

discours est ouvertement argumentatif et prescriptif. Il leur est loisible de 

justifier leur position par l'incapacité de la thèse dominante à répondre de 

manière satisfaisante aux difficultés des copropriétés et de balayer ainsi les 

arguments conséquentialistes prédisant l'augmentation du contentieux qui 

suivrait l'introduction des servitudes dans la copropriété. Cette question 

"facile", traitée en peu de mots dans les manuels de droit des biens, montre la 

force de la solution considérée comme univoque. “Pas de servitude en 

copropriété” pourrait être un slogan ; ça n'est seulement qu'une version 

"technique" d'un tabou du droit des biens. 

Entre ce qui est tu et ce qui est dit, on peut s'interroger sur la faculté des 

méthodes d'interprétation à accéder à l'exactitude, à la justesse ou à la 

certitude d'une solution juridique. Tout juste peut-on penser que ces 

méthodologies balisent le cheminement des argumentations lorsque celui-ci 

est explicite, mais dès qu'il s'agit de déclarer l'inédit, ou simplement de le 

redire (1085) , le parti pris de la solution devance le raisonnement pour y 

parvenir. 

(1085) C. ATIAS, "Juris dictio : redire l'inédit", D. 1992, chr., p.281.

CHAPITRE 2 

La force du discours doctrinal 

318 

200. Pouvoir et devoir - Les juristes ne se prennent pas pour des prophètes mais 

ils doivent aujourd'hui naviguer entre ce qui est possible pour eux dans leurs 

activités explicatives ou prédictives, et l'image que l'on se fait de leur rôle. 

Une chronique de M. le professeur Mestre soulignait "l'extrême difficulté pour 

un juriste à écrire quelque chose sans risque d'erreur, d'omission ou de 

contradiction (1086) ", et montrait simplement que les limites du pouvoir de la 

doctrine se trouvaient dans la controverse, fût-elle non ouverte. La mesure des 

effets des prescriptions doctrinales est donc une chose bien impossible car le 

discours doctrinal tire justement sa force des questions qu'il pose, plus que des 

solutions qu'il propose. 

L'adoption d'un point de vue explicatif, extérieur au mode d'évolution du 

droit, donne aux argumentations doctrinales la force de transformer les 

concepts tenus pour des réalités. Le discours doctrinal a un effet performatif 

dans la mesure où les arguments de la doctrine ont pour conséquences de 

convaincre que des concepts sont devenus des réalités, puis de convaincre que 

ces hypostases sont caduques et n'ont d'autre place que celle que leur laissera 

l'histoire du droit. Mais si la doctrine n'a pas le pouvoir de poser formellement 

des normes, elle a, à l'inverse, la capacité de dresser un état des questions et, si 

l'on admet volontiers que "la règle jurisprudentielle ne résiste pas aux 

critiques de la doctrine (1087) ", c'est surtout parce que le travail critique des 

auteurs a la force d'un discours (quasi-)performatif. Les mots de la doctrine, 

dès lors qu'elle s'interroge, sont capables de transformer l'état d'une question, 

qu'elle soit tranchée ou controversée. Cette puissance de la parole du juriste 

faisait dire à M. le professeur Bourdieu que "le discours juridique est une 

parole créatrice, qui fait exister ce qu'elle énonce. Elle est la limite vers 

laquelle prétendent tous les énoncés performatifs, bénédictions, malédictions, 

ordres, souhaits ou insultes (…) à l'opposé de tous les énoncés dérivés, 

(1086) J. MESTRE, "Cause du contrat et objectif de défiscalisation", D. 1995, chr., p.34 ; chronique en réponse à 

P. DIENER, "A propos d'une prétendue absence de cause", D. 1994, chr., p.347. 

(1087) G. SCALFI et E. ROMAGNOLI, "Rapport général", in La réaction de la doctrine à la création du droit par 

les juges, Trav. Ass. Henri Capitant, tome XXXI, 1980, Paris, 1982, p.16.

319 

constatifs, simples enregistrements d'un donné préexistant (1088) ". Sans doute 

cet auteur visait-il principalement le discours normatif des autorités 

habilitées, mais il demeure que la doctrine qui a accès à un média dispose d'un 

pouvoir voisin. 

Le discours doctrinal crée ainsi des représentations de la réalité qui 

viennent se confondre avec ce que l'on tient intersubjectivement pour réalité. 

Dans cette mesure, l'oeuvre doctrinale ne consiste pas seulement dans une 

description disposant un choix entre plusieurs interprétations ou significations 

possibles mais dans une rhétorique dont l'objet est de déplacer les difficultés 

sur des terres connues pour les conduire vers des solutions analogues, ou sur 

des terres inconnues pour découvrir des solutions nouvelles. Reste que ce 

discours doit être entendu ou lu. S'il est ignoré, il n'aura aucun effet ; encore 

que nous avons pu voir que le silence aussi avait une force conservatrice 

considérable et que taire des opinions ou les ignorer, contribuait aussi 

fortement à la modification du savoir juridique. Le discours doctrinal a donc la 

force qu'il veut bien s'accorder. Avec en point de mire la mission de la 

doctrine, on s'interrogera sur la capacité du discours doctrinal à modifier l'état 

des questions (SECTION 1) et sur l'empreinte qu'il peut laisser sur les solutions 

(SECTION 2). 

Section 1 

La modification de l'état des questions 

Par la controverse, mais au-delà de la controverse, les interrogations 

doctrinales ouvrent et rouvrent les débats (PARAGRAPHE 1) que des sentences 

viennent clore (PARAGRAPHE 2). 

PARAGRAPHE 1. QUE LA CONTROVERSE S'OUVRE ! 

201. La positivité des questions - Lorsque l’on consulte les ouvrages juridiques, 

il n’est pas rare que la doctrine marque une certaine réticence à affirmer la 

positivité d’une solution. En effet, lorsque des questions viennent très 

épisodiquement devant la Cour de cassation, l’analyse doctrinale de la solution 

(1088) P. BOURDIEU, Ce que parler veut dire, Paris, Fayard, 1982, p.21.

320 

tient compte de cette absence de répétition pour se faire plus évasive sur sa 

positivité. On lira par exemple qu’une solution est peut être aujourd’hui 

caduque dans la mesure où des solutions contraires ont émergé (1089) , qu'une 

solution est obsolète quand de grands arrêts diffusent leur généralité sur des 

questions connexes (1090) , ou que des solutions sont contestables aujourd’hui de 

par l’émergence de nouveaux arguments ou de nouveaux éléments qui 

viennent rompre l’équilibre initial du débat (1091) . 

Pour le praticien, le magistrat ou l’auteur qui cherchent à étayer une 

solution ou confirmer un point de vue, les formules sur la caducité, la 

désuétude ou l'ineffectivité d’une solution ont bien un effet puisque celles-ci 

ouvrent une controverse. Elles transforment la solution ancienne en solution 

contestable en voie de péremption. Elles déclenchent un effet de 

questionnement si bien que la solution incertaine n'appellera plus une 

solution en termes d'autorité mais en termes de conviction. Aussi, la diffusion 

de l'idée que la solution est incertaine contribue à renouveler une question, à 

la réorienter et à en reformuler les fondements. Ce pouvoir appartient à la 

doctrine. Chaque auteur a le pouvoir de déterminer la positivité de la question 

qu’il va traiter. Quand la controverse est ouverte, le discours doctrinal est 

alors soit purement interrogatif, soit plus franchement prescriptif. Il se dérobe 

moins au genre argumentatif et les auteurs s’autorisent de manière plus 

affirmée un style controversiste. L’ouverture du débat permet l’émergence de 

propositions et de raisonnements destinés à séduire les autorités habilitées ou 

les praticiens, le cas échéant. 

En dénonçant la fragilité des solutions actuelles (1092) ou leur caractère 

inexplicable (1093) , l’auteur invite-t-il son lecteur à adopter une vision plus 

critique vis-à-vis des solutions affirmées comme de droit positif par ailleurs. Il 

(1089) G. MARTY, P. RAYNAUD et P. JOURDAIN, Droit civil, Les biens, 3ème éd. par P. JOURDAIN, 1995, précité, 

n°393, p.474 note (8) à propos de la condition de possession pour le bénéfice de l'article 2279 du Code civil. 

L'auteur conclut son paragraphe par le principe que la perte de la possession ferait d'ailleurs perdre au 

possesseur le bénéfice de l'article 2279 du Code civil, principe à l'appui duquel il cite en bas de page un arrêt 

(Cass. civ. 1ère, 5 octobre 1972, JCP 1973.II.17485 note BENABENT), qu'il fait suivre immédiatement de la 

remarque suivante : "cet arrêt est peut-être aujourd'hui caduc, la Cour de cassation (Cass. civ. 1ère, 22 

novembre 1988, RTD civ. 1990, p.521, obs. ZENATI) ayant dans des circonstances identiques retenu une 

solution contraire". 

(1090) D. MAZEAUD, obs. sur Paris, 12 janvier 1996, Defrénois 1996, n°61 p.756. L'auteur notait à la suite des 

arrêts rendus par l'assemblée plénière le 1er décembre 1995 que la solution qui faisait application de l'article 

1129 du Code civil pour prohiber les clauses de variation unilatérale du taux d'intérêt dans les contrats de prêt 

bancaire, était depuis obsolète. Cette opinion doctrinale devait par la suite être confirmée par Cass. civ. 1ère, 9 

juillet 1996, JCP , éd. E, 1996.II.861 note STOUFFLET. 

(1091) A. BENABENT, Droit civil, Les obligations, 6ème éd., 1997, précité, n°456, p.269. 

(1092) G. VINEY, Traité de droit civil, Introduction à la responsabilité, précitée, n°189-4. 

(1093) G. VINEY, Traité de droit civil, Introduction à la responsabilité, précitée, p.352, n°194.

321 

le place en situation de ne pas tenir pour acquis ce qui est décrit comme 

certain et, en quelque sorte, il condamne l’autorité habilitée à réaffirmer ou 

préciser une solution qui pouvait être jusqu’alors considérée comme évidente. 

Il suffit pour cela que l'auteur joigne à la question posée un attribut de 

complexité pour remettre en cause la qualité de la solution rendue par les 

juges. "Il se pourrait que le raisonnement fût moins simple. Si le trottoir 

continu édifié en bordure du fonds dominant avait vraiment rendu le passage 

impossible, si cette condition d'application du mode d'extinction consacrée 

par l'article 703 avait été caractérisée, il n'aurait pas été nécessaire de viser ni 

le changement de destination du fonds dominant, ni l'omission du passage 

dans le plan annexé à la demande d'autorisation de lotir, ni la volonté du 

fondateur du lotissement de ne pas maintenir la servitude, ni même l'existence 

d'une autre issue directe à la voie publique. Il n'est peut-être pas excessif de 

rattacher l'arrêt du 3 avril 1996 à la tendance de plus en plus accusée des juges 

à privilégier le fait et son appréciation. Est-il bien raisonnable de parler d'une 

jurisprudence ? (1094) ". 

On note ainsi que la tension entre le pouvoir des deux interprètes que sont 

la doctrine et la Cour de cassation opère de manière antagoniste : la Cour de 

cassation a le pouvoir d’imposer aux autres juridictions des solutions en faisant 

des questions de principe des cas résolus, et la doctrine a le pouvoir d’imposer 

des questions qui, en renouvelant le débat, peuvent faire de questions dont la 

solution semblait évidente, des cas difficiles, questions de principe relevant 

d'une appréciation plus haute. Ainsi la lecture de l'oeuvre doctrinale conduit à 

s'interroger souvent sur une narration doctrinale selon des questions posées et 

renouvelées, plutôt que selon une chaîne de solutions ; d'autant plus que la 

détermination de la positivité des solutions se fait parfois par anticipation. 

202. Les prémonitions doctrinales - Si l’on s’en tient à l’idée que la doctrine n’a 

pas le pouvoir d’influencer directement les autorités habilitées, la réalisation 

des prescriptions doctrinales passe pour des prémonitions (1095) . Faut-il croire 

que la doctrine dispose d’une boule de cristal pour connaître l’avenir ou, plus 

(1094) C. ATIAS, obs. sur Cass. civ. 3ème, 3 avril 1996, Defrénois 1996, n°114, p.1069 à propos de 

l'interprétation de l'article 703 du Code civil et de l'extinction des servitudes. 

(1095) Ph. CONTE, note sous Cass. civ. 2ème, 23 mars 1994, JCP 1994, II, 22292, note 1, à propos des 

prémonitions du professeur GROUTEL qui avait annoncé le revirement de jurisprudence dont l’arrêt annoté 

constitue l’illustration ; ou encore B. ANCEL et Y. LEQUETTE, à propos d'une réflexion de Ph. FRANCESCAKIS 

qui "devait se révéler prémonitoire", Grands arrêts de la jurisprudence française de droit international privé, 

Paris, Dalloz, 3ème éd., 1998, p.210.

322 

sérieusement, ne doit-on pas admettre que ce qui est décrit comme acquis ou 

contestable par l’autorité scientifique est voué, chacun pour sa part, à la 

stabilité ou au changement ? Lorsque la doctrine plaide clairement en faveur 

du revirement de jurisprudence (1096) , elle dévoile son discours prescriptif de 

sorte qu’une fois le revirement arrivé, la prescription doctrinale ne pourra 

faire figure d’anticipation, mais lorsque son discours n'emprunte pas la voie du 

plaidoyer et demeure en apparence purement descriptif, on sera fondé à 

admettre la réalité d'un discours prémonitoire. Toutefois, si la thèse défendue 

conformément à la prescience de l'auteur n'emporte pas la conviction des 

juristes à venir, elle passera pour une fumeuse spéculation. La difficulté tient 

vraisemblablement au fait que la doctrine ne peut se limiter à une activité de 

diagnostic du droit positif ; on attend d'elle qu'elle soit capable - et elle se 

représente elle-même comme telle - de faire un pronostic du futur droit 

positif (1097) . 

203. L'interrogation doctrinale - En bref, il suffit que la doctrine s'interroge 

pour relancer un débat qui paraissait s'être éteint. Il lui suffit parfois de 

souligner le caractère délicat d'une question pour que toutes les vérités 

affirmées par ailleurs regagnent leur rang de simple opinion (1098) . Ce pouvoir 

de susciter le débat, de maintenir les questions sous un oeil attentif et 

finalement de ne pas abandonner les raisonnements aux mains des évidences, 

est de même nature que celui qui conduit la Cour de cassation à ne pas 

déclasser une question de principe en un principe acquis. Par voie d'argument, 

les deux interprètes utilisent de manière concurrente cette faculté de 

questionnements mais, à la différence des juges, les auteurs peuvent donner 

plus facilement à leurs analyses une consistance prospective. La Cour de 

cassation pourra trancher cent fois la même question, la controverse 

doctrinale limitera toujours la portée d'une solution ou d'une notion discutée ; 

et plus le concept est abstrait, moins les règles légales ou les solutions 

prétoriennes sont susceptibles d'en maîtriser l'évolution. La nature de fonds de 

commerce en est une illustration étonnante. 

(1096) L. VOGEL, "Plaidoyer pour un revirement : contre l'obligation de détermination du prix dans les contrats 

de distribution", D. 1995, chr., p.155 ; ou encore G. DURRY, obs. à la RTD civ. 1968, p.152 ; adde, A. 

BERNARD et Y. POIRMEUR, "Doctrine civiliste et production normative", in La doctrine juridique, précité, 

p.174-175. 

(1097) Ph. JESTAZ, "À propos du nom patronymique, diagnostic et pronostic", RTD civ. 1989, p.270. 

(1098) par exemple J. MESTRE, obs. à la RTD civ. 1988, p.528 qui souligne qu'en dépit de nombreux travaux sur 

la nature des restitutions, les questions qu'elle suscite restent parmi les plus délicates du droit contractuel 

contemporain.

323 

"On aurait tort de penser que la discussion soit, sur ce point, 

définitivement close. D'une part, les auteurs se sont parfois employés à 

démontrer que le fonds de commerce constituait une universalité de droit. 

D'autre part, s'il est vrai qu'on l'assimile très souvent à une universalité de fait, 

du moins faut-il remarquer que le débat reste, sur ce plan, empoisonné ( *) par 

les discussions que continue d'entretenir le concept d'universalité de fait luimême 

(1099) ". Le terme est fort mais il montre l'étendue du pouvoir de la 

doctrine. Son activité d'analyse lui donne le pouvoir d'affirmer son 

insatisfaction devant l'émergence d'une notion, d'un élément particulier de sa 

définition ou d'une condition d'application du texte la mettant en oeuvre, et 

cela sans toutefois la régenter directement. La doctrine qui a pu révéler la 

diversité et l'hétérogénéité de la notion de fonds de commerce a contribué par 

ses orientations à asseoir l'idée qu'une définition unitaire du fonds de 

commerce serait par trop illusoire. Aussi peut-on se demander si la 

constatation de cette diversité n'est pas à l'origine de la diversité elle-même. 

En effet, lorsque la doctrine considère qu'une notion est à contenu variable, 

qu'elle est erratique et mal définie, une telle assertion peut créer une situation 

de querelle spéculative où les uns chercheront à montrer que la notion visée 

par la critique constitue une donnée unitaire et acquise du droit français et où 

les autres en soulèveront le caractère disparate et éclaté pour inviter à une 

refonte du concept. On notera aussi que la question de la nature juridique de 

la clause pénale est loin d'être close (1100) , que les régimes des cessions de 

contrôle (1101) ou de contrat doivent être précisés (1102) et enfin que le concept 

français de fiducie reste à élaborer (1103) . 

Toutes les zones d'incertitude que les auteurs signalent sont autant de 

manifestation de l'emprise de la doctrine sur l'évolution du droit positif car, 

bien entendu, ces auteurs ne se contentent pas de souligner l'imperfection 

d'une règle ou la difficulté d'application d'une autre, ils prescrivent des choix. 

Il s'agit moins de déterminer la règle applicable positivement, cela n'est que 

(* 

) Souligné par nous 

(1099) 

LE FLOCH, Le fonds de commerce, essai sur le caractère artificiel de la notion et ses limites actuelles, 

Paris, LGDJ, 1986, n°75. 

(1100) 

A. SERIAUX, Droit des obligations, 2ème éd., 1998, n°70, p.283-285 ; adde B. BOCCARA, "La liquidation 

de la clause pénale et la querelle séculaire de l'article 1231 du Code civil", JCP 1970.I.2294 ; J. MESTRE, obs. 

à la RTD civ. 1985, p.372, n°4 ; D. MAZEAUD, La notion de clause pénale, préface de F. Chabas, Paris, LGDJ, 

1992, n°265 s., p.145 s. 

(1101) 

Cass. com., 13 février 1990, JCP 1990.II.21587, note LAZARSKI ; Cass. com., 12 décembre 1995, JCP 

1996, éd. E, II,798, note GUYON ; D. 1996, p.277, note PAILLUSSEAU. 

(1102) 

Supra n°177, note (935) 

(1103) 

P. DECHEIX, "La fiducie ou du sens des mots", D. 1997, chr. p.35.

324 

du ressort du juge, mais plutôt de poser les jalons et les contraintes qui 

guideront les conceptions et les interprétations futures. 

Pour encore illustrer la différence entre l'activité jurisprudentielle et 

l'activité doctrinale, le juge recherche dans le passé et le précédent les moyens 

de concevoir une politique prétorienne assurant la continuité de l'ordre 

juridique, la doctrine cherchera à devancer les solutions prétoriennes en 

posant dès à présent des contraintes argumentatives et interprétatives qui 

permettront de les pressentir et de les prédire. Pour cela, les auteurs ne 

disposent pas, évidemment, d'un pouvoir normatif. La doctrine n'a à sa 

disposition que des moyens rhétoriques de contrainte. Elle en use de façon à 

faire émerger l'ambiguïté qui entoure un concept ou une interprétation pour 

mieux diriger ensuite son appréciation. Elle le fait en concevant des 

hypothèses imaginaires. 

204. Les hypothèses imaginaires - "Pour poursuivre l'hypothèse dans toutes ses 

conséquences, il faut imaginer que la femme, comme usufruitière par 

exemple, préempte une part en nue-propriété cédée par un indivisaire. Selon 

la doctrine classique, voici la communauté indivisaire en nue-propriété, tandis 

que la femme reste usufruitière ; voici le mari exerçant, pour la communauté, 

toutes les prérogatives de l'indivisaire (…). D'un côté, l'exercice du droit de 

préemption fait entrer un tiers dans l'indivision ; d'un autre côté, l'usage par 

un époux d'un droit propre a fait un acquêt de communauté. La solution 

contredit tout à la fois l'intuitus personnae de l'indivision, la simplification du 

régime des biens et le regroupement de droits réels concurrents où tendaient 

les articles 815-14 et suivants. L'étonnant est que la contrariété vienne de la 

lettre d'un texte qui, en régime de communauté, poursuit à peu près les 

mêmes fins. 

D'où notre question : faut-il, pour respecter l'interprétation classique de 

l'article 1408 [du Code civil], priver de son effet ordinaire le droit de 

préemption de l'usufruitier ou de celui du nu-propriétaire ? Peut-on, pour 

mieux coordonner deux règles d'inspiration semblable, étendre la portée d'un 

texte dont le sens est bien fixé ? (1104) " 

La réponse est dans la question. La mise en évidence de la contradiction 

entre le droit des régimes matrimoniaux et le droit de l'indivision conduit 

l'auteur à proposer contre l'interprétation stricte de l'article 1408 de "tenir 

(1104) Ph. REMY, "L'acquisition de parts indivises en nue-propriété ou en usufruit par un époux commun en 

biens", JCP éd.N, 1981.I. p.37, n°9.

325 

pour propres, de lege lata, les parts indivises d'un bien dont l'époux acquéreur 

avait déjà en propre la nue-propriété ou l'usufruit, sauf récompense due à la 

communauté (1105) ". On comprend ici que la force du discours doctrinal réside 

dans sa capacité à résoudre une contradiction à partir de solutions données à 

des questions qui en pratique ne se posent pas ou peu. Mais la prospective 

doctrinale n'est pas qu'une pure spéculation. "Telle conséquence d'une 

solution consacrée paraissait de peu d'importance (…) ; désormais, elle 

devient une préoccupation majeure. Tel cas qui semblait imaginaire, pure 

hypothèse d'école, retient l'attention de tous et se voit reconnaître comme 

une réalité (1106) ". Ce travail sur l'ambiguïté, fût-il argumentatif, sert donc de 

moteur à la transformation de l'état des questions jusqu'à ce qu'en définitive, 

les opinions des auteurs intègrent le droit positif. 

205. "L'ambiguïté dénoncée" - La doctrine présente la dénonciation des 

ambiguïtés comme étant l'une des fins du discours scientifique de manière à 

ce que celles-ci, une fois isolées, soient soumises à un examen dont l'objet sera 

la détermination d'un traitement capable de délivrer les concepts de la 

confusion qui les atteint (1107) . En ce sens, M. le professeur Jamin expliquait à 

propos de l'arrêt Besse du 12 juillet 1991 que la Cour de cassation, si elle 

n'avait pas innové, avait néanmoins tranché l'ambiguïté qui résultait de la 

confusion entre action directe et action en responsabilité (1108) . Cet auteur 

faisait également observer que cette confusion avait une origine doctrinale et 

dénonçait ainsi la position soutenue par M. le professeur Néret selon lequel "le 

sous-débiteur ne doit pas voir sa responsabilité engagée à des conditions 

différentes de celles qu'il aurait pu prévoir, au risque de remettre en cause 

“une nécessité impérieuse du droit des obligations conventionnelles : la 

prévisibilité” (1109) ". Fondée ou non, cette critique révèle le double usage de 

l'ambiguïté. On pourrait qualifier le premier de critique et le second de 

politique. 

(1105) 

Ph. REMY, ibid., n°19 ; analyse reprise par G. CORNU, Régimes matrimoniaux, 7ème éd., 1995, précité, 

p.383. 

(1106) 

C. ATIAS, Théorie contre arbitraire, précité, p.64. 

(1107) 

par exemple P. FOURET, "L'ambiguïté et l'insécurité juridique", in Insécurité juridique et assurance, 

colloque du 3 octobre 1996, RGDA 1998, p.446. 

(1108) 

C. JAMIN, La notion d'action directe, Paris, LGDJ, 1991, n°285. 

(1109) 

J. NERET, Le sous-contrat, précité, n°378, p.272.

326 

206. L'usage critique de l'ambiguïté - Dans son utilisation descriptive, la 

dénonciation de l'ambiguïté permet de repérer les points délicats et les 

difficultés d'entendement des termes d'un débat : lorsque, par exemple, sont 

joints des concepts dont les acceptions seraient a priori irrelevantes. Ce type 

d'ambiguïté purement sémantique peut être levé par recours à d'autres 

concepts mieux à même de dissiper la contradiction. La mise au jour de 

l'ambiguïté ne sert ici qu'à éclaircir ce qui pouvait l'être par l'intervention 

d'un nouvel élément pertinent. 

Plus importante est l'utilisation rhétorique de l'ambiguïté, mais l'on fera 

observer tout d'abord que cette seconde manière d'aborder une question peut 

parfois se confondre avec la première puisque l'argument d'ambiguïté a pour 

but d'écarter une solution pour en affirmer une autre. En tout état de cause, 

l’ambiguïté juridique participe de procédés rhétoriques de description et de 

prescription dont l’objet est l’énonciation des problèmes juridiques et de leurs 

réponses (1110) . Comme les arguments utilisant les mythes et les tabous, pour les 

dénoncer ou pour les hypostasier, la rhétorique de l'ambiguïté sert un discours 

oeuvrant à déloger une idée reçue ou à réaffirmer un principe acquis. Mais audelà 

du seul aspect argumentatif, il y a matière à penser que l'ambiguïté 

pourrait être une fonction de passage d’une solution positive à une autre. 

207. L'opération de disqualification - La présence dans le discours doctrinal 

d'une rhétorique de disqualification de la thèse adverse est somme toute 

courante et ne doit pas surprendre puisque le commentateur est censé 

apprécier la consécration d'une thèse. Il est cependant des formules qui 

retiennent l'attention plus que d'autres. Ainsi observera-t-on que, pour M. le 

professeur D. R. Martin, un motif surabondant est suspect (1111) et doit éveiller 

la curiosité critique du commentateur. L'arrêt commenté par cet auteur 

concernait un problème plutôt insolite puisqu'il s'agissait de connaître le 

statut propre ou commun du franc symbolique. En l'espèce, l'acquéreur de 

parts sociales non négociables pour un franc symbolique tentait de se délier de 

son engagement (qui comportait accessoirement la substitution à un 

cautionnement bancaire souscrit par le cédant) en plaidant pour le statut 

commun du franc payé. L'épouse qui n'avait pas été dûment informée de 

(1110) Comp. Ch. BEUDANT, Cours de droit civil français, Tome 1, Introduction et explication du titre 

préliminaire du Code civil, Paris, Rousseau, 2ème éd., par R. Beudant et P. Lerebours-Pigeonnière, 1934, 

p.177. 

(1111) D. R. MARTIN, note sous Cass. civ. 1ère, 17 janvier 1995, D. 1995, p.401 ; égal. C. ATIAS, obs. sur Cass. 

civ. 3ème, 3 avril 1996, Defrénois 1996, n°114, p.1069.

327 

l'opération engageant le franc commun, pouvait ainsi demander au profit de 

son mari l'annulation de la cession conformément à l'article 1832-2 du Code 

civil. Alors que la présomption de communauté semblait donc imposer la 

qualification de bien commun, la Cour de cassation ignora la discussion sur la 

qualification du franc pour lui dénier purement et simplement le caractère 

patrimonial eu égard à sa nature symbolique. Contournant l'obstacle, la Cour 

de cassation considérait que "la somme purement symbolique d'un franc ne 

constituait pas une valeur patrimoniale dont il y aurait lieu de déterminer le 

caractère propre ou commun" et qu'ainsi, l'acquéreur n'avait "employé aucun 

bien commun pour acquérir les parts litigieuses, puisqu'il s'est borné à 

souscrire seul un acte de caution qui n'engageait que ses biens propres et ses 

revenus et enfin que l'article 1832-2 du Code civil était sans application en 

l'espèce". 

Réfléchissant sur la qualité symbolique du franc payé, le commentateur de 

l'arrêt montrait en quelques mots la faiblesse du raisonnement des juges pour 

éclairer la question et la déplacer sur un terrain qu'il considérait moins 

ambigu. L'examen critique reformulait les cheminements possibles pour 

disqualifier le raisonnement tenu par la Cour de cassation. Selon M. Martin, la 

contradiction invalidante tenait à l'enchaînement des propositions. Si le franc 

symbolique n'a aucune valeur patrimoniale, quelle est la contrepartie de 

l'engagement du cédant puisqu'il est supposé y en avoir une ? Ce ne peut être 

que la substitution de cautionnement. La Cour de cassation le tait. En quoi le 

mari n'engagerait-il alors que ses biens propres et ses revenus (qui au 

demeurant sont communs lorsqu'il s'agit de gains et salaires) ? On ne peut 

répondre à cette question puisque le raisonnement qui mène à la solution est 

assis sur une contradiction. L'auteur du commentaire terminant son travail de 

disqualification, condamne le raisonnement simpliste dans lequel la Cour s'est 

“abîmée” pour montrer qu'autrement posée, la question recelait une 

dimension non explorée. La véritable difficulté résidait "moins dans 

l'incidence matrimoniale du cautionnement que dans le caractère éventuel de 

son exécution : le franc symbolique dissimulait le piège d'une dette 

conditionnelle que nul, en l'espèce, n'a su déceler". 

Cet exemple illustre un procédé rhétorique dont la finalité est de montrer 

que le problème est mal posé. Il est suggéré au lecteur d'abandonner la lecture 

du principe de l'arrêt pour s'en tenir à l'énoncé de la question. Première 

garantie d'une bonne justice, comprendre les problèmes, leurs tenants et leurs 

aboutissants avant d'énoncer des solutions. Ce pouvoir de reformulation

328 

doctrinale du problème, dont l'autorité judiciaire use de manière plus réduite 

par la substitution de motifs (1112) ou l'obiter dictum, donne une force 

considérable à la critique parce qu'il concerne non pas la solution apportée, 

mais la compréhension même de la question. En effet, ce n'est pas la réponse 

qui a priori est en cause, mais la façon dont le degré de difficulté du cas a été 

compris. 

Profitant de la croyance selon laquelle le problème juridique a une solution 

et une seule, la doctrine utilise la symétrie du couple question / réponse pour 

condamner la solution énoncée sans la contester directement. La 

disqualification de la solution résonne alors en amont de l'interprétation des 

règles, au moment où le problème sort des faits. Ce procédé rhétorique 

consiste à discuter l'énoncé de la question comme si l'on pouvait parvenir à 

une formulation si limpide qu'une solution évidente surgirait de la question 

même, pour conclure néanmoins que "la question n'est pas là.(…) La solution 

n'est pas convaincante - la technique juridique si fine soit-elle a ses limites 

(1113) ". Ce genre de raisonnement entretient le débat - certains diront 

l'insécurité - mais le fait est que, lorsque le débat se déplace vers l'opportunité 

politique de la solution (1114) , la question reste difficile et l'insatisfaction 

doctrinale demeure un frein à la reconnaissance de l'évidence de la règle. 

Par là, la doctrine fait écho à l'idée ancienne qui veut que l'interprétation 

ne doit commencer qu'avec l'obscurité ou l'insuffisance de la loi. C'est elle 

simplement qui détient les outils conceptuels permettant d'affirmer que la loi 

est obscure ou insuffisante. Si le juge ne doit pas prétexter l'obscurité du texte, 

c'est la doctrine qui par ses écrits en éclaire la lettre et permet de savoir si 

l'interprétation judiciaire était ou non prétexte. Plus franchement, la doctrine 

permet l'émergence des questions qui feront évoluer un débat et ses éléments. 

208. Une solution devenue contestable - Il suffit en effet de suggérer que les 

conditions d'émergence du concept positivement utilisé ont changé pour 

rendre admissible le réexamen de la pertinence de la solution apportée. Il est 

par exemple courant de lire que le gérant de l'affaire ne peut valablement 

(1112) E. PRIEUR, La substitution de motifs par la Cour de cassation, Paris, Économica, 1986. 

(1113) Ph. DELEBECQUE, obs. sur Cass. civ. 1ère, 6 janvier 1994, D. 1994, somm., p.208. 

(1114) S. PIEDELIEVRE, note sous Cass. civ. 1ère, 3 juin 1997, Defrénois 1998, p.125 à propos de l'obligation 

faite au banquier de consentir un prêt épargne logement à son client au terme du plan d'épargne, et ce en dépit 

de sa situation financière : "Pourtant la solution, donnée par cet arrêt du 3 juin 1997, indiscutable 

juridiquement, risque parfois de placer les banquiers dans des situations difficiles, voire des impasses" 

[souligné par nous].

329 

introduire une action en justice pour le compte du maître, mais certains 

auteurs considèrent néanmoins que cette solution dominante est "aujourd'hui 

contestable du fait du raccourcissement des délais pour agir dans de nombreux 

domaines (1115) ". Ce genre de réflexion permettra de justifier rétrospectivement 

l'éventuel revirement comme une évolution prévue de la nature et du régime 

de la gestion d'affaires. 

209. La solution inexplicable - Prétendre que la solution est inexplicable n'est 

pas pour la doctrine un aveu de faiblesse, au contraire, puisque cela consiste à 

obscurcir la solution dégagée pour en faire ressortir le caractère ambigu et 

critiquable (1116) et ensuite prescrire un changement de cap, ou une distinction. 

Il y a dans l'inexplicable quelque chose qui par définition ne peut être énoncé 

ni retenu comme valablement pertinent ; c'est donc vers une autre solution, 

explicable celle-là, qu'il faudra se tourner pour simplement pouvoir décrire le 

droit positif. On comprend ici le mouvement prescriptif de la description 

doctrinale. Dès lors qu'elle ne se contente pas de paraphraser la décision, la 

glose doctrinale interprète la solution pour lui donner ou lui retirer sa 

substance. La précaution discursive consistant à montrer que la solution 

prétorienne peut être critiquée joue un double rôle. D'une part, elle laisse 

l'autorité doctrinale en retrait du pouvoir de faire la norme tout en lui 

maintenant son statut de gardien de la cohérence ou de la clarté des énoncés ; 

d'autre part, une fois admis le caractère ambigu ou inexplicable de la solution, 

la porte est ouverte, en toute neutralité, pour la prescription doctrinale, une 

prescription qui peut conduire soit à une simple reformulation d'une question 

en faisant intervenir des éléments nouveaux ou en réordonnant les arguments 

déjà présents selon des valeurs différentes, soit à l'énonciation d'une solution 

particulière. 

210. L'usage politique de l'ambiguïté - Lorsqu'un texte est considéré comme 

ambigu, il est le plus souvent dénoncé comme tel mais les auteurs avouent 

parfois que la plasticité du langage et son corollaire, l'ambiguïté sémantique, 

pourraient avoir un effet positif pour permettre l'adhésion du corps social à 

des réformes impalpables pour le non-initié. En ce sens, Perelman, et Tarde 

(1115) A. BENABENT, Droit civil, Les obligations, 5ème éd., 1995, précité, p.228. 

(1116) par exemple G. VINEY, Traité de droit civil, Introduction à la responsabilité, précitée, p.352, n°194. 

L'auteur qualifie d'“assez inexplicable - et donc critiquable” la solution qui consiste à sanctionner au moyen 

de la responsabilité délictuelle l'abus d'un droit issu du contrat lui-même.

330 

avant lui (1117) , avaient admis que "l'un des usages positifs de la plasticité du 

lexique du vocabulaire juridique [était] de permettre au juge de juger, en 

l'absence même de loi adaptée aux cas à traiter, et de rendre ainsi, de ce fait, 

moins brutales les modifications du droit en favorisant les évolutions 

sémantiques insensibles. Et donner le sentiment de la continuité du droit est 

en général socialement utile (1118) ". 

Ce qui justifie la présence de l'ambiguïté parmi les arguments doctrinaux, 

c'est ce que certains nomment “l'usage intentionnel et métaconscient de 

l'ambiguïté (1119) ”. Elle est entretenue pour ne pas avoir à s'expliquer en 

profondeur sur les mobiles ou les motifs qui guident l'argumentation ou la 

solution (1120) . La richesse poétique et politique de l'ambiguïté permet en 

quelque sorte l'adhésion par le flou, et ce en dépit de la technicité et de la 

précision du langage juridique (1121) . Très difficilement décelable, l'usage 

politique de l'ambiguïté conduit à n'utiliser les éléments formels d'un débat 

que pour mieux les ignorer. 

La voix doctrinale de la Cour de cassation ne reconnaîtra jamais qu'elle 

utilise volontairement l'ambiguïté des textes ou des concepts pour prescrire 

des solutions différentes dans des situations identiques et faire ainsi évoluer le 

droit prétorien (1122) . La doctrine peut, elle, faire preuve de plus d'honnêteté 

intellectuelle. "L'article 1150 [C. civ.] nous semble précisément un instrument 

idéal pour fonder une politique de modération judiciaire des dommages et 

intérêts contractuels car la notion de dommage imprévisible est suffisamment 

floue pour permettre pratiquement toutes les interprétations (1123) ". Mme le 

professeur Viney invite ainsi ses lecteurs à oeuvrer pour que le juge judiciaire 

se saisisse de l'indétermination de la notion de dommage imprévisible et fasse 

du pouvoir modérateur accordé par l'article 1152 al.2, un pouvoir général 

d'appréciation de l'indemnité due en cas d'inexécution, pouvoir gouverné 

selon une politique judiciaire prédéfinie. Déjà, quelques années auparavant, 

M. le professeur Cornu plaidant pour la reconnaissance d'un pouvoir judiciaire 

modérateur de l'application des clauses pénales écrivait : "Au législateur seul 

de dire si l'assainissement de l'économie peut résulter de la domestication du 

(1117) 

A. BOUVIER, L'argumentation philosophique, précité, p.144-145. 

(1118) 

Ch. PERELMAN, Traité de l'argumentation, la nouvelle rhétorique, 4ème éd., 1984, précité, p.185. 

(1119) 

A. BOUVIER, L'argumentation philosophique, précité, p.143 

(1120) 

N. MACCORMICK, Raisonnement juridique et théorie du droit, précité, p.250. 

(1121) 

comp. J.-L. BERGEL, Théorie générale du droit, précité, n°226 et son illustration. 

(1122) 

La doctrine n'y manque pas ; A. BENABENT, note sous Cass. civ. 1ère, 3 février et 8 décembre 1993, 

D. 1994, p.248. 

(1123) 

G. VINEY, Traité de droit civil, Les obligations, La responsabilité : effets, Paris, LGDJ, 1988, p.441.

331 

droit par le plus fort. Mais qui voudrait reprocher au juge de chercher en 

conscience, à tempérer la loi d'airain de la clause pénale ? Il faut la 

"désacraliser", lorsqu'elle est manifestement abusive. Comme dit la sagesse 

populaire, “trop c'est trop” (1124) ". D'autres auteurs vont à rebours des 

précédents pour dénoncer les ambiguïtés créées sur le droit des sûretés par les 

réformes des procédures collectives et vont argumenter en conséquence : 

"L'influence de la conception française nouvelle des procédures collectives est 

délétère pour les sûretés, et au-delà pour le crédit et les activités 

professionnelles en général. La loi du 25 janvier 1985 sur le redressement 

judiciaire est venue organiser les conséquences fâcheuses d'un parti pris 

malsain : sauver les canards boiteux (1125) ". 

Au fond, trancher une ambiguïté ne consiste pas à trouver ou à déterminer 

un sens parmi plusieurs. Il s'agit de prendre parti sur un mode de description 

d'une réalité ou d'un concept. Si l'on dit que la Cour de cassation a rendu un 

arrêt ambigu, ce n'est pas tant l'énoncé polysémique ou plurivoque qui pose 

problème que le pouvoir normatif de la juridiction suprême. Constater son 

absence ou isoler sa présence ne dit rien sur le contenu sémantique de 

l'ambiguïté, sinon que l'auteur adopte ou n'adopte pas le mode de description 

utilisé par celui dont il analyse la position. 

Le dernier lieu du pouvoir de la doctrine n'est pas le moindre. Il lui permet 

d'affirmer que la controverse est close. 

PARAGRAPHE 2. QUE LA CONTROVERSE SOIT CLOSE ! 

211. Formules - Par des proclamations solennelles, la doctrine épure l'état des 

questions de ses controverses résolues. On lit ainsi que telle question a été 

résolue par la loi (1126) ou tranchée par la jurisprudence (1127) , que telle autre est 

(1124) G. CORNU, obs. à la RTD civ. 1971, p.167 ; adde, A. BERNARD et Y. POIRMEUR, "Doctrine civiliste et 

production normative", in La doctrine juridique, Paris, PUF, 1993, p.127 (p.168). 


(1126) parmi tant d'exemples, F. TERRE et Ph. SIMLER, Régimes matrimoniaux, Paris, Dalloz, 1994, p.535, à 

propos de l'attribution à titre onéreux de biens propres du conjoint, question heureusement résolue par la loi 

du 13 juillet 1965. 

(1127) L'arrêt est dans tous les sens du terme, quand la décision commentée doit être saluée pour mettre "un 

terme à une dispute jurisprudentielle et doctrinale vieille de plus de soixante ans, (…) une controverse, 

heureusement close par l'arrêt rapporté", M. BEAUBRUN, note sous cass. civ. 1ère, 29 avril 1985, D.1986, 

p.365 à propos de l'interprétation de l'article 1391 du Code civil et de la “clause commerciale”. Et pourtant, le 

doyen GENY notait déjà sous l'arrêt Crémieux de la Cour de cassation du 11 janvier 1933, S.1933.1.161 que

332 

désormais périmée (1128) et le contentieux est totalement épongé (1129) . Souvent, 

c'est le travail propre de la doctrine qui est ainsi récompensé. Telle 

controverse est close par la solution que la majorité de la doctrine avait 

dégagée (1130) ; l'expression prétorienne d'une solution n'est alors que la 

réalisation d'un voeu de la doctrine (1131) . Réunissant autorité doctrinale et 

pouvoir normatif, l'intensité des solutions ainsi posées est si forte qu'il n'y a 

d'autre issue que de s'incliner (1132) . Faut-il voir dans ces formules la 

manifestation d'une main mise de la doctrine sur la destinée des 

controverses ? Non, sans doute, mais lorsque la doctrine écrit que la 

controverse est close, elle met en jeu son autorité et dévoile son pouvoir. Que 

la controverse soit close ou non importe peu au fond, l'écrit doctrinal fait 

parfois ce qu'il décrit. 

En silence, les synthèses doctrinales qui, n'égrenant que des solutions, 

ignorent la manière dont les questions se sont posées, donnent l'illusion de la 

permanence des solutions décrites. De même, les commentaires qui feignent 

d'ignorer les opinions dissidentes, créent une unité par défaut qui entrave la 

recherche de solutions possibles. Lorsque la doctrine ne rend pas compte 

d'une difficulté en ne décrivant pas une opinion dissidente ou une solution 

différente, elle use de son autorité pour écarter sans discussion toute évolution 

de la compréhension des questions. Mais, si la doctrine n'a pas le pouvoir de 

poser une norme authentique, elle a celui de déplacer les questions. 

212. Le déplacement des questions - Mais "alors qu'on pouvait croire 

définitivement résolue par plusieurs arrêts intervenus en 1991 et 1992 la 

question du fondement du recours entre codébiteurs tenus envers la victime 

sur le fondement des dispositions de la loi du 5 juillet 1985, l'arrêt commenté 

cette décision venait trancher définitivement la question controversée et lui apporter une solution nette et 

formelle. 

(1128) G. DURRY, La distinction de la responsabilité contractuelle et de la responsabilité délictuelle, Centre de 

recherche en droit privé et comparé du Québec, Université Mac Gill, 1986, p.35 ; A. PERDRIAU, note sous 

cass. com., 31 janvier 1995, JCP 1995.II.22385. 

(1129) G. CORNU, Régimes matrimoniaux, 7ème éd., 1995, précité, p.217. 

(1130) A. COLOMER, Régimes matrimoniaux, 7ème éd., 1995, précité, n°593 note (9) : "Le nouvel article 1405 a 

mis fin aux controverses, en faisant sienne la solution qui avait les faveurs de la doctrine majoritaire". 

(1131) J. MESTRE, obs. à la RTD civ. 1994, p.97-98: "Cette solution paraît bien ainsi définitivement acquise (…) 

Ainsi la Cour de cassation rejoint-elle les voeux de la doctrine qui avait souhaité que soit assurée une certaine 

unité dans l'appréhension de la notion de clause abusive". 

(1132) J. MASSIP, obs. sur Cass. civ. 1ère, 4 mai 1994, Defrénois 1994, p.1442 "La présente affaire tourne, une 

fois encore, autour de l'article 334-9 du Code civil, texte qui a donné lieu à de vives controverses doctrinales 

avant que la Cour de cassation n'en retienne l'interprétation dite "a contrario", unanimement admise 

aujourd'hui en jurisprudence et devant laquelle la doctrine s'est inclinée".

333 

nous rend perplexe (1133) ". C'est cette perplexité qui maintient la solution posée 

par l'interprète authentique sous le feu des critiques. Tant que la doctrine 

n'aura cessé de critiquer, la controverse ne sera pas close ; et inversement la 

question ne sera résolue qu'au moment où les critiques auront cessé. Mais en 

fait de solution acquise, la question se déplace (1134) . "La controverse est close" 

signifie au mieux l'arrêt du besoin d'argumenter sur le point en question, ce 

qui ne veut pas dire que la discussion s'arrête dans le domaine où la solution a 

émergé (1135) . La Cour de cassation affirme que les servitudes sont 

incompatibles avec la copropriété, on inventera des obligations réelles ad hoc ; 

on croit la question réglée par l'arrêt mais la pratique révèle que le problème 

est ailleurs. Les controverses ne peuvent se clore mais le discours doctrinal use 

de ces sentences pour régénérer une question ancienne ; la doctrine en use 

aussi pour affirmer son influence et laisser sa trace. Inspiratrice de la question, 

elle souffle la solution. 

Section 2 

L'empreinte de la doctrine 

213. Influence - Revenons à ce qu'écrivait Planiol : "La doctrine joue dans la 

science du droit à peu près le même rôle que l'opinion publique en politique, 

et ce rôle est considérable ; c'est elle qui donne l'orientation ; elle prépare de 

loin beaucoup de changements de législation et de jurisprudence, par 

l'influence de l'enseignement. Même quand elle est fixée, la doctrine ne 

constitue pas une source du droit comme la jurisprudence, parce que les 

commentateurs ne possèdent aucun pouvoir de contrainte. Cependant, c'est 

dans leurs livres, c'est par leur enseignement oral que se transmettent les 

principes scientifiques et les idées juridiques dont l'autorité domine la pensée 

des juges et du législateur lui-même et que l'on appelle tradition (1136) ". 

Affirmer que la doctrine maîtrise purement et simplement la positivité des 

solutions serait en faire une source patentée or, si les moyens de la doctrine 

(1133) H. GROUTEL, note critique sous Cass. civ. 2ème, 14 janvier 1998, D. 1998, p.174. 

(1134) v. J. MESTRE, obs. sur Bordeaux, 11 juillet 1986 et Cass. com., 6 janvier 1987, RTD civ. 1987, p.742. 

(1135) A. BOYER, "De usu argumentorum", Argumentation et Rhétorique, Hermès 15, CNRS, 1995, p.27 

(1136) M. PLANIOL, Traité élémentaire de droit civil, tome 1, Paris, Pichon, 5ème éd., 1908, p.47, n°127.

334 

sont grands pour créer et orienter un débat, elle ne paraît pas en mesure de le 

figer par la fixation d'une solution. Le discours doctrinal peut-il donc modifier 

les solutions positives ? Difficile de ne pas voir là autre chose qu'une question 

à réponses multiples. D'une part, fournissant des opinions, des propositions et 

des explications, le discours doctrinal modifie (ou altère, ou érode) les modes 

de compréhension des rapports entre la réalité observée et les éléments 

intellectuels positivement destinés à la constater. La doctrine modifie le 

rapport entre factualité et validité en l'utilisant. Mais cela ne fait pas pour 

autant de la théorie du droit ou du discours doctrinal une source du droit 

positif (1137) . 

La doctrine n'est pas une source du droit mais nombreux sont les domaines 

où l'on ne peut se passer d'elle en tant que source documentaire. Et puis, dire 

que "la doctrine n'est pas capable de modifier le droit positif" suppose que l'on 

puisse expliquer pourquoi une prophétie doctrinale s'est néanmoins 

réalisée (1138) . Dire que "la doctrine fait le droit positif" suppose que l'on puisse 

expliquer pourquoi une autre prédiction a été oubliée. Ces deux conjectures 

sont situées sur des perspectives différentes. D'un point de vue positiviste, il 

n'y a pas de pensée juridique. D'un point de vue jusnaturaliste, la doctrine est 

la source même du droit. En termes de "sources", le statut de la doctrine est 

nécessairement ambigu, chaque perspective ne prêtant pas la même 

signification à "source du droit". 

Cependant, les théories deviennent réalités ; les théories défont les 

hypostases ; les hypostases passées intègrent l'histoire des idées. C'est bien le 

problème de l'histoire du droit privé. Sur deux siècles, il apparaît clairement 

un partage d'influence sur la formation de la pensée juridique entre les 

universitaires, la pratique notariale, les magistrats et les praticiens du Palais. 

Mais que l'influence des auteurs sur le droit prétorien ait existé, ne permet pas 

d'en connaître la teneur. L'influence de la doctrine se révèle à plusieurs 

moments de la formation des règles de droit. Premièrement, par un discours 

qui ne réduit pas le droit à la loi, ni même aux règles positives, la doctrine 

utilise la nature des choses cumulativement à des postulats positivistes. 

Deuxièmement, par un discours politique, la doctrine, revêtue d'une robe aux 

hermines de neutralité, délivre des commandements scientifiques, soit en 

réclamant l'intervention du législateur comme s'il s'agissait d'un 

(1137) v. M. VAN DE KERCHOVE, "L'influence de Kelsen sur les théories du droit dans l'Europe francophone", in 

KELSEN, Théorie pure du droit, 1ère éd., 1953, rééd. 1988, précité, p.225. 

(1138) J. GHESTIN, "La prophétie réalisée", JCP 1976.I.2786.

335 

chirurgien (1139) , soit en invitant le juge à utiliser sa situation pour donner aux 

interprétations les accents d'une politique prétorienne (1140) . Troisièmement, 

les grands auteurs, ceux qui ont posé leur empreinte sur deux siècles de 

commentaires, ont presque tous de près ou de loin assuré des fonctions 

politiques ou institutionnelles inséparables de leur activité scientifique. 

Tenant pour infiniment complexes les rapports que la doctrine entretient 

avec les autres interprètes, l'analyse du discours doctrinal doit nous permettre 

de comprendre comment des représentations mentales du système normatif, 

des intuitions ou des sentiments de justice, parviennent à s'imposer comme 

des réalités et comment d'autres n'ont qu'un succès limité. Troplong dont les 

positions furent consacrées à plus d'une occasion, s'étonnerait toujours que "le 

temps ayant mûri la question, cette idée si simple, [qui faisait du droit du 

locataire ou du fermier un droit réel autonome, n'ait pu] vaincre la 

routine (1141) ". Des auteurs auront vu consacrées leurs théories avec le temps 

par le législateur ou la Cour de cassation, s'estimant d'ailleurs plus ou moins 

compris (1142) , ou totalement incompris (1143) , d'autres se seront vu attribuer la 

paternité d'une solution (1144) , d'autres enfin auront à tel point marqué les 

solutions consacrées que des formules entières de leurs traités seront reprises 

(1139) "En définitive, l'intérêt essentiel de la décision rapportée est qu'il ait fallu la rendre. L'importance du 

contentieux que l'action directe du substitué en douane continue de susciter en dépit de la fermeté de la Cour 

suprême, montre que les plaideurs ne désarment pas. Puisque l'abcès se fixe sur ce point, il faudra bien se 

résoudre à opérer", M. REMOND-GOUILLOUD, obs. sur Cass. com., 19 mars 1991, D. 1992, somm. p.81. 

(1140) G. VINEY, Traité de droit civil, Les obligations, La responsabilité : effets, 2ème éd., 1988, précité, n°333, 

p.441 : "Il n'est pas impossible en effet que certaines exagérations commises dans l'application du principe de 

réparation intégrale ne conduisent pas les tribunaux à redécouvrir et à lui insuffler une nouvelle vigueur 

comme instrument d'une politique de modération judiciaire des dommages et intérêts (…) L'article 1150 nous 

semble précisément un instrument idéal pour fonder une politique de modération judiciaire des dommages et 

intérêts contractuels car la notion de dommage imprévisible est suffisamment floue pour permettre 

pratiquement toutes les interprétations (…)" ; ou encore pour dénoncer le dévoiement de l'interprétation, 

L. JOSSERAND, note critique sous Cass. req., 25 octobre 1925, D. 1926, concl. CELICE, p.9 : "La cour de 

cassation et certaines cours d'appel arrivent à ce résultat grâce à une interprétation inattendue de l'article 1646 

du Code civil, formule assez ambiguë il faut le reconnaître, dont on peut tirer, en la sollicitant adroitement, 

des résultats plus ou moins substantiels" [souligné par nous]. 

(1141) A. M. PATAULT, Introduction historique au droit des biens, Paris, PUF, 1989, p.250 ; pour un contre 

exemple, Aix, 15 février 1996, RRJ 1996-3, p.1056, note ATIAS. 

(1142) Comparer par exemple, Cass. ass. plén., 23 décembre 1994, D. 1995, p.145, rapport Y. CHARTIER, et la 

note de F. DERRIDA. Voir également F. DERRIDA, "Le sort du passif né du chef du conjoint en cas de 

redressement judiciaire d'un époux sous le régime de communauté légale", Mélanges A. Colomer, Paris, Litec, 

1993, p.153 ; "La situation des créanciers personnels du conjoint du débiteur soumis à une procédure de 

redressement-liquidation judiciaires : bilan", D. 1997, chr. p.117. 

(1143) pour le célèbre article de M. le doyen CARBONNIER, "La question du divorce, mémoire à consulter", 

D. 1975, chr., p.115, in Essai sur les lois, 1979, précité, p.119. 

(1144) D. MAZEAUD, obs. sur Paris, 12 janvier 1996, Defrénois 1996, p.756 qui attribue à M. le professeur 

AYNES la paternité de la nouvelle solution de 1995 relative à l'indétermination du prix.

336 

mot pour mot par la Cour de cassation (1145) . Cela illustre l'idée que l'hypostase 

naît du discours argumentatif et comme le montre M. R. Perez-Perdomo, "le 

jeu de l'argument d'autorité consiste à faire que l'idée défendue s'impose 

comme une évidence (censée être irréfutablement démontrée) en rendant 

certain le probable. Ce qui compte n'est pas tant le raisonnement mené par le 

locuteur que la façon dont l'évidence s'impose à l'auditeur (1146) ". 

Le discours juridique pratique habilement cette rhétorique de l'hypostase 

et devient politique quand l'argument d'autorité conforte la permanence des 

solutions juridiques et la stabilité des valeurs consacrées par le système (1147) . 

Lorsque les représentations théoriques de la continuité, de la sécurité, de 

l'autonomie des branches du droit, de l'unité de la théorie générale des 

obligations et même de l'unanimité de la doctrine viennent à se confondre 

avec ce qu'un auditoire universel pourrait désigner par réalité, elles 

deviennent réalité. Sont-elles pour autant indépendantes des sujets 

connaissants (1148) , sont-elles des représentations objectives ? Bien sûr que non. 

"L'épistémologie démontre aujourd'hui que ce qui est connu n'est jamais 

totalement indépendant de celui qui connaît, de la façon qu'il a de connaître, 

de ses convictions et de sa démarche intellectuelle (1149) ". Notre droit voit dans 

le fonds de commerce une réalité incorporelle alors que d'autres droits 

ignorent ce concept. Mais une fois hypostasiée, la représentation théorique 

autorise une réflexion qui se veut ontologique sur le concept devenu réalité. 

On lira ainsi que la clientèle est l'élément essentiel du fonds de commerce, 

quitte parfois à la considérer comme virtuelle (1150) . Toutes les contre-épreuves 

(1145) Y. LEQUETTE, "L'influence de l'oeuvre d'Henri Battifol sur la jurisprudence française", Travaux du 

comité français de droit international privé, Année 1991-1992, Paris, Pédone, 1994, p.37 : "La théorie de la 

localisation que [Battifol] développe dans son fameux ouvrage, dès 1938, lui permet de concilier la liberté de 

choix laissée aux parties avec la nécessaire autorité de la loi. Elle sera consacrée mot pour mot par l'arrêt 

Mercator : “si la localisation dépend de la volonté des parties, c'est au juge qu'il appartient après avoir 

interprété souverainement leur commune intention quant à cette localisation de déduire de celle-ci la loi 

applicable" [souligné par nous], v. Cass. civ. 1ère, 5 mars 1980, Rev. crit. DIP 1980, p.576 obs. H. BATIFFOL. 

(1146) R. PEREZ PERDOMO, "L'argument d'autorité dans le raisonnement juridique", APD 1972, p.234. 

(1147) F. OST, "L'interprétation logique et systématique et le postulat de rationalité du législateur", in M. VAN 

DE KERCHOVE (dir.), L'interprétation en droit, Approche interdisciplinaire, Bruxelles, FUSL, 1978, p.136. 

(1148) VONGLIS, La lettre et l'esprit de la loi dans la jurisprudence classique et la rhétorique, Paris, Sirey, 1968 

: "L'hypostase d'une auctoritas signifie qu'elle ne dépend plus de la dignité de la personne en soi, mais qu'elle 

est fonction de la place occupée par cette personne. Dans un sens général, on peut parler d'auctoritas 

hypostasiée lorsqu'il s'agit d'une auctoritas qui ne dépend pas exclusivement de la valeur de l'auctor ou qu'on 

essaie de fixer dans le temps par n'importe quel moyen extérieur" cité par R. PEREZ PERDOMO, "L'argument 

d'autorité …", précité, p.236 note 2. 

(1149) C. ATIAS, Épistémologie juridique, précité, n°85, p.166. 

(1150) La doctrine avait approuvé la jurisprudence dite des "pompistes de marque" qui rappelant l'exigence 

d'une clientèle réelle et certaine avait affirmé que la clientèle d'une station service dont l'exploitation n'avait 

pas encore commencé était bien réelle ; v. Cass. com., 27 février 1973, Defrénois 1973, p.1016, note VIATTE ;

337 

factuelles sont rangées parmi les exceptions nécessaires jusqu'à ce qu'émerge 

une contre-représentation qui deviendra réalité à la place de la réalité. 

La doctrine donne sa pleine mesure lorsque faisant preuve d'imagination, 

elle interroge ce qui paraît acquis. Les juristes fabriquent et dénoncent des 

orthodoxies, cela fait partie de la science du droit. C'est en quelque sorte ce 

qui unit les contraires ; tous sont persuadés de détenir une mesure de la 

vérité (1151) . Mais les mythes juridiques régurgitent dans le public des monstres 

que les juristes ont du mal à dominer, qu'ils dominent néanmoins au prix de 

constructions que leurs successeurs qualifieront de spéculatives, parce qu'euxmêmes, 

en but à d'autres monstres lutteront pour définir l'objet de leur lutte. 

Que l'on pense à l'“obligation de bonne foi” (1152) ou à l'“économie du 

contrat” (1153) , la lutte pour le droit, pour la jurisprudence, les projets de 

définition de l'objet droit se heurtent depuis si longtemps aux tabous, aux 

non-dits, aux mythologies conceptuelles qui se cachent sous des formules à la 

mode, qu'une sorte d'attitude fataliste prévaut parfois. À quoi bon dénoncer le 

mythe de l'adaptation du droit au fait, il est avéré (1154) ; à quoi bon dénoncer le 

mythe de la théorie générale du contrat, il satisfait la pensée dominante, à 

quoi bon élever le débat, à quoi bon le rendre subversif - pourquoi pas ? (1155) - 

puisque les arguments pragmatiques ramènent les juristes au concret et 

laissent les spéculateurs dans leurs sphères éthérées. Les constructions 

intellectuelles qui façonnent les conceptions savantes et les perceptions plus 

maigres, plus rudimentaires de l'activité des juristes diffusent toujours des 

représentations décalées. Vouloir définir un droit qui collerait aux desseins de 

la pratique serait illusoire, mais le droit serait-il autre chose qu'une illusion ? 

Et l'empreinte de la doctrine ne serait-elle pas qu'éphémère ? 

JCP 1973.II.17403, note A. S. ; D. 1974, p.283, note DERRUPE ; adde B. LASSALLE, "Question sur la création 

du fonds de commerce : la jurisprudence dite des “ pompistes de marque ”", note sous Aix, 4ème ch., 13 

octobre 1994, Bull. Aix, 1994-2, p.36. 

(1151) R. NERSON, "La volonté de contracter", Mélanges Secrétan, Lausanne, 1964, p.221 : "… sur le terrain 

scientifique, il est toujours nécessaire de défendre les théories que l'on croit plus vraies ou plus simples que 

celles reconnues par l'orthodoxie". 

(1152) Cass. civ. 1ère, 6 décembre 1994, RGAT 1995, n°1, p.58, note KULLMANN. 

(1153) J. MESTRE, obs. à la RTD civ. 1996, p.901-904 : "cette notion d'économie du contrat est de nature à 

bouleverser les solutions de droit les plus éprouvées (…). Introduire la notion, nécessairement subjective et 

floue, d'économie du contrat serait donc, à notre sens, sacrifier à l'air du temps l'impératif si fondamental de 

sécurité contractuelle en ouvrant la porte aux solutions les plus inattendues". 

(1154) C. ATIAS et D. LINOTTE, "Le mythe de l'adaptation du droit au fait", D. 1977, chr., p.251. 

(1155) rappr. M.-L. ISORCHE, L'avènement de l'engagement unilatéral en droit privé contemporain, Aix-en- 

Provence, PUAM, 1995, p.53 qui emprunte le terme “subversif” à J.-L. Aubert, Notions et rôles de l'offre et 

de l'acceptation dans la formation du contrat, Paris, LGDJ, 1970, n°122, p.119.

338 

CONCLUSION DE LA DEUXIEME PARTIE "LA PERMANENCE DU DESIR DOCTRINAL DE 

TRANSFORMATION". 

214. La force des questions - Dénoncer un mythe pour préserver une illusion, 

c'est parfois le sens de l'argumentation doctrinale. La question des souvenirs 

de famille illustre encore la difficulté des juristes à concevoir des 

qualifications monolithiques : la qualification de copropriété familiale assortie 

d'un dépôt pourrait s'avérer satisfaisante (1156) , mais certains dénonceraient à 

leur tour le caractère mythique de la propriété familiale ; les souvenirs de 

famille permettraient-ils la constitution d'une fondation privée qu'on 

soulignerait son irréalité et l'illusion que ferait naître une telle 

conception (1157) . Au vrai il est curieux que les auteurs aiment à s'interroger sur 

la mythologie ou la réalité des institutions qu'ils étudient. “ Mythe ou 

réalité ? ” Les sûretés (1158) , les biens familiaux, la copropriété (1159) , l'état des 

personnes (1160) , le statut des acteurs économiques (1161) , la théorie générale du 

contrat (1162) laissent sans cesse émerger la même question, parfois de manière 

plus globale lorsque le rôle des juridictions ou l'ordre juridique dans son 

entier sont l'objet de l'examen doctrinal (1163) . Cela nous ramène toujours à 

nous interroger sur l'argumentativité des questions énoncées. 

Si le travail de la doctrine participe à la précompréhension et à 

l'élaboration des outils intellectuels d'interprétation des faits et des normes, 

comme le soulignait M. le professeur Cornu, l'action de l'interprète conduit à 

modifier les représentations des concepts juridiques parce que sa parole est 

“ juricréatrice ” (1164) et l'on peut recenser des concepts qui, nés dans la 

(1156) 

Ph. MALAURIE et L. AYNES, Les successions, les libéralités, Paris, Cujas, 4ème éd., 1998, n°28, p.37. 

(1157) 

J.-F. BARBIERI, "Les souvenirs de famille : mythe ou réalité ?", JCP 1984.I.3156. 

(1158) 

R. TENDLER, "L'antichrèse, mythe ou réalité?", D. 1989, chr., p.143 ; F. LEDUC, "Le gage translatif de 

propriété, mythe ou réalité ?", RTD civ. 1995, p.307. 

(1159) 

F. BOUYSSOU, "La copropriété horizontale sans division en jouissance : mythe, réalité ou fraude ?", Rev. 

dr. imm. 1996, p.329. 

(1160) 

J. HAUSER, "L'enfant supranational, mythe ou réalité ?", Les petites affiches, 3 mai 1995, n°53, p.36. 

(1161) 

B. SOINNE, "Bilan de la loi du 25 janvier 1985 sur le redressement et la liquidation judiciaires : mythes et 

réalités. Proposition de modification", Rev. proc. coll. 1993, p.345 ; Ph. BISSARA, P. DIDIER, Ph. MISEREY, 

"L'égalité des actionnaires, mythe ou réalité ?" JCP (E), 1994, Cah. dr. entr. n°5, p.18 ; M. KDHIR, "Le 

principe de la liberté du commerce et de l'industrie : mythe ou réalité ?", D. 1994, chr. p.30. 

(1162) 

E. SAVAUX, La théorie générale du contrat, mythe ou réalité ?, Paris, LGDJ, 1997. 

(1163) 

Y. GEGOUT, "La simplification future de notre législation : mythe ou réalité ?", La vie judiciaire, 28 avril 

1996, p.2 ; C. ATIAS, "Le mythe du pluralisme civil en législation", RRJ, 1982, p.245. 

(1164) 

G. CORNU, "Réflexion finale", in P. AMSELEK (dir.), Théorie des actes du langage, éthique et droit, 

Paris, PUF, 1986, p.251 ; adde, Ph. JESTAZ, "La jurisprudence : réflexions sur un malentendu", D. 1987, chr., 

p.17 : selon M. le professeur Jestaz, il y aurait en somme deux sources du droit : la loi pour l'essentiel ; et à

339 

littérature doctrinale, ont pris place dans le droit positif. En outre, en tant que 

discours explicatif, les théories du droit multiplient les objets. Stipulant ou 

constatant que le droit est la validité, le juste ou la légitimité, la variété des 

différentes approches de l'ordre juridique nous amène encore à faire des 

choix : choix parmi des solutions possibles, choix parmi des modes de 

descriptions possibles, choix parmi les théories possibles et, pourquoi pas, 

parmi les méta-théories possibles. Toute la difficulté pour comprendre l'action 

de la doctrine et la teneur de son pouvoir tient à ce que le discours doctrinal 

s'offre comme un discours explicatif surplombant la réalité et les 

représentations préexistantes de la réalité comme si des choix n'étaient pas à 

faire. 

Pourtant la force du discours doctrinal réside dans sa capacité à convaincre 

que des questions se posent, que des problèmes se déplacent et que les 

solutions données jusque là doivent changer. C'est l'argumentativité des 

questions de la doctrine qui lui permet de peser sur le droit positif et d'y 

laisser son empreinte. Mais, au lieu d'enseigner la polémique et l'art de la 

controverse, le discours doctrinal relaie largement la croyance selon laquelle il 

existe une solution unique pour chaque problème. Le dogme de la solution 

unique nourrit l'argumentation doctrinale de ses raisons d'autorité qui 

n'éclairent ni la complexité des faits, ni celle des significations textuelles et 

contextuelles. 

À celui qui croit qu'une réponse suffit à chaque question, il suffira de n'en 

proposer qu'une seule pour le convaincre. Mais il suffira d'en proposer une 

deuxième pour l'amener à s'interroger et une troisième pour le conduire à 

réfléchir. À moins que la solution consacrée soit posée avec tant que force que 

celui auquel on s'adresse croit qu'elle relève de la perception tout autant que 

de la raison. 

égalité de rang, quoiqu'avec un rayon d'action infiniment moindre, l'opinio juris ou la commune 

reconnaissance des juristes. Celle-ci donnerait force de droit et légitimité à des propositions linguistiques 

exprimées soit par un folklore anonyme (règles d'origine coutumière), soit à la rigueur par des sources 

prestigieuses ou représentatives (droit non légiféré d'origine diverse), soit surtout par une haute juridiction 

(jurisprudence proprement dite en qui s'absorbent plus ou moins les autres sources extralégales).

CONCLUSION GENERALE 

340 

215. La voie de la déduction ? - "Si l'effort du juriste consiste à rechercher les 

idées susceptibles d'organiser les propositions en lesquelles s'expriment les 

solutions de droit, une méthode s'est toujours présentée comme offrant une 

voie adéquate à cette recherche, celle d'une organisation à partir d'un, voire 

de plusieurs principes évidents, auxquels il serait possible de relier par voie 

déductive l'ensemble des solutions positives (1165) ". Derrière la complexité 

apparente des phénomènes liés au droit, il y aurait toujours un moyen de 

ramener le savoir juridique à plus de simplicité, plus de clarté, plus d'unité. 

Tapis dans l'ombre du système, des principes, accessibles à tous, offriraient la 

possibilité de connaître, par simple subsomption, les solutions des questions 

que les juristes se posent. Il suffirait de reconnaître les "principes évidents" 

pour connaître les bonnes solutions. En fait, les juristes cherchent des lois. 

Des lois de probabilité le plus souvent. Ils les cherchent dans la qualité du 

passé ou dans la quantité du présent. 

Au présent, ce n'est pas tant la "tradition" ou la "continuité" qui sont mises 

en avant mais plutôt l'autorité du nombre. Et quand cela ne suffit pas à rendre 

l'avenir prévisible, c'est tout simplement l'autorité de la juridiction suprême 

qui fait office de raison du principe découvert. La solution devient évidente 

parce qu'elle s'impose. 

En résumé, le dogme de la solution unique conduit les juristes à induire des 

lois de prévisibilité qui donneront lieu à des applications déductives, qui 

permettront d'induire d'autres lois et ainsi de suite. Et les "principes évidents" 

se changent en autant de "principes évidents". Derrière tant de certitudes, le 

triptyque méthodologique “ une question, une démonstration, une solution ” 

sonne creux. Si un culte est toujours rendu à la solution unique, certains s'en 

repentent : "Nous avons nous-mêmes enseigné, diffusé le mépris de la 

doctrine, célébrant aveuglément le culte de la jurisprudence. Passé le temps 

où la doctrine s'était vouée au commentaire de la loi, forme parfaite du droit, 

elle s'est cherchée d'autres dieux : elle a trouvé les jugements. Et la réflexion 

juridique livrée à ses nouveaux cultes, s'est enfermée dans le commentaire de 

la jurisprudence (1166) ". 

(1165) H. BATIFFOL, Problèmes de base de philosophie du droit, Paris, LGDJ, 1979, p.137. 

(1166) J.-D. BREDIN, "Remarques sur la doctrine", Mélanges Pierre Hébraud, Toulouse, 1981, p.117 ; comp. 

avec la mise en garde de M. le professeur CORNU, Droit civil, Introduction, Les personnes, Les biens, 8ème 

éd., 1997, précité, p.156, note [3] : "La célébration de la jurisprudence comme source de droit déforme la vue 

d'ensemble des fonctions du juge. Elle grossit la marge d'apparat et “rétrécit” tout le reste qui est pourtant

341 

Le jurisconsulte qui analyse la jurisprudence a donc deux attitudes 

possibles : soit il recherche les raisons de décider, passées et présentes, pour ce 

qu'elles ont d'intéressant en elles-mêmes et les utilise indépendamment de la 

valeur de précédent de la décision rapportée, soit il utilise la continuité, la 

permanence, la constance, la régularité factuelles des énoncés juridictionnels 

répétés pour en dégager une valeur normative. Mais le fait de s'intéresser a 

priori au caractère répétable du fait juridictionnel montre que l'analyse de la 

régularité n'a pour seule vocation que de fournir un prétexte à la découverte 

de la "permanence" (1167) . L'induction s'avère fallacieuse dès qu'elle est 

préconçue. 

La principale conséquence de l'émergence de ces principes n'est pas à 

rechercher dans les applications qu'ils font naître, toujours plus nombreuses, 

toujours plus fastidieuses à compiler, mais dans les questions qu'ils font - 

prétendument - disparaître, car l'objet du dogme de la solution unique est 

non seulement de convaincre que les opinions dissidentes sont hérétiques 

mais encore de dénier l'existence même des questions et des difficultés 

d'interprétation. Pour cela rien n'est mieux que de faire silence sur les 

ambiguïtés sémantiques des énoncés, sur les incohérences de la loi, sur les 

contradictions de la jurisprudence et sur les sophismes de la doctrine. 

Ces procédés de dénégation et d'implicitation, ces raisonnements qui 

mettent en avant la constance des solutions, l'unité des notions ou la 

cohérence nécessaire de l'ordre juridique portent sur le contenu des normes ; 

ils nous invitent à croire que le raisonnement juridique est démonstratif et que 

le discours doctrinal n'est que descriptif, alors que l'un et l'autre ont toujours 

une teneur argumentative et prescriptive. 

Curieuse pratique discursive qui consiste à occulter la réalité des difficultés 

et la diversité des remèdes ! 

l'essentiel : l'intelligence de la règle et la connaissance du fait, pour la juste application du droit à chacun des 

cas, et toute l'oeuvre de justice en ses immenses tâches qui consistent, pour le juge, en sa façon d'entendre 

justiciables, avocats, experts, puis en sa façon de parler, de raisonner, d'apprécier, de calculer, d'écrire etc… 

Le prétorien est une parcelle prestigieuse mais infime de l'oeuvre du juge. Entre les principes, combien 

d'espèces enfouies dans le lit de la jurisprudence dont nous sommes les orpailleurs". 

(1167) P. VEYNE, Comment on écrit l'histoire, Paris, Seuil, 1971, p.13.

342 

216. La cuisine des juristes - Pour terminer nous utiliserons une analogie 

empruntée à Socrate : "la rhétorique est à la justice, comme la cuisine est à la 

médecine (1168) ". 

Qu'est ce que la cuisine ? 

Pour le scientifique, la cuisine est un sous-ensemble de la chimie des aliments. 

Pour le poète des fourneaux, la cuisine est l'art culinaire. 

Pour le pragmatique, la cuisine est un ensemble de techniques consistant à 

rendre digestes les aliments dont nous avons besoin pour vivre sainement. 

Trois définitions, trois ordres de vérité ; les uns ont des formules, les autres 

font des recettes et tous sont prêts à défendre leur philosophie du goût. Tous 

conviendront sans doute qu'il existe plusieurs façons de faire un gratin 

dauphinois ou une bouillabaisse et qu'en matière de cuisine, il n'y a pas de 

vérité unique, mais cela ne les empêchera pas de plaider pour défendre "le vrai 

goût". Le rôle prépondérant de l'argumentation dans le discours doctrinal dont 

Socrate nous rappelle qu'il serait préliminaire à la justice, mais sans ici 

préjuger de l'unité de cette dernière, nous permet de poursuivre le 

parallélisme. 

Qu'est-ce que le discours doctrinal ? 

Pour le positiviste, c'est le lieu des interprétations non-authentiques et des 

descriptions assertoriques voire scientifiques. 

Pour le naturaliste, c'est le lieu où se forment les guides des raisonnements 

conduisant à la justice. 

Pour le réaliste, c'est le lieu des prédictions et des prescriptions politiques de 

la doctrine. 

Trois définitions [très sommaires], trois ordres de vérité ; les uns 

formalisent l'ordre juridique, les autres s'emploient à découvrir ce qu'ils 

considèrent comme les solutions les meilleures, et tous sont prêts à défendre 

leur philosophie du droit. Tous conviendront sans doute qu'il existe plusieurs 

façons de concevoir la personnalité morale ou la solidarité passive, et qu'en 

droit, il n'y a pas de vérité unique, mais cela ne les empêchera pas de plaider 

pour défendre "la bonne solution". 

Choisir une solution parmi plusieurs possibles et prescrire cette solution, 

sous couvert de neutralité ou non, est un acte de volonté, un acte politique 

réfléchi ou non. La part argumentative et prescriptive du discours de la 

(1168) PLATON, Gorgias, [465, c], trad. par A. Croiset, Paris, Les Belles lettres, 1997, p.59 ; Socrate considère 

en effet que la sophistique, la rhétorique, la toilette et la cuisine sont des procédés relevant de la flatterie et 

correspondent respectivement à la législation, la justice, la gymnastique et la médecine [465, a]

343 

doctrine est importante et nous avons montré qu'elle empruntait des chemins 

sinueux aidée par des procédés d'unification, d'implicitation ou de dénégation, 

mais les juristes ne sont pas que rhéteurs. Questionner, interroger, en termes 

de validité, d'opportunité politique ou de justice, permet de faire la part des 

choses : la part de ce qui est acte de connaissance et la part de ce qui est acte 

de volonté. Car même si les questions donnent, elles aussi, une orientation 

argumentative aux propos tenus, elles ouvrent le champ des significations et 

des solutions possibles. 

217. La voie de l'argumentation - Entre description et prescription, le droit 

toujours se dédouble. Système formel hiérarchisé de normes d'une part, 

ensemble informel anarchique de questions d'autre part (1169) . Et entre les 

deux, entre la validité des règles et les ambiguïtés de leur contenu, entre la 

détermination des règles applicables et l'opportunité politique de leur 

application : il y aura toujours l'argumentation. 

Était-ce alors infamant de présenter la doctrine de droit privé comme 

gardienne d'un temple où l'on prêche le culte de la solution unique ? Était-ce 

un blasphème d'en dénoncer le dogme ? Serait-il hérétique de penser que les 

juristes se nourrissent d'illusions ? Serait-il plus calomnieux encore de dire 

que loin de se bercer d'illusions, les juristes sont en réalité des illusionnistes ? 

Le dogme de la solution unique est une croyance trop simpliste aujourd'hui 

pour que les juristes y adhèrent mais il les sert et les rassure comme substitut 

d'une théorie qui par nature, et presque par définition, ne pourrait être fondée 

sans verser dans l'idéologie. 

Mais pour autant doivent-ils "continuer d'escamoter ces questions et de 

placer toute leur confiance dans la règle dont la permanence et la généralité 

porteuse d'égalité [ou de sécurité] seraient les véritables garanties de leur 

savoir (1170) ?" Nous répondrons comme M. le professeur Atias que "la 

déconstruction de la science, parce qu'elle est explosion du paravent simpliste 

des évidences, des certitudes et des vérités fallacieuses, pourrait être leur 

chance (1171) ". 

(1169) Ph. REMY, "Philosophie de l'ordre civil positif", in G. PLANTY-BONJOUR et R. LEGEAIS (dir.), L'évolution 

de la philosophie du droit en Allemagne et en France depuis la fin de la seconde guerre mondiale, Paris, PUF, 

1991, p.145 (p.157). L'auteur considère ainsi que "sont juridiques les questions qu'un juge, un législateur ou 

un jurisconsulte peuvent examiner" et que "la juridicité à rechercher n'est pas tant celle de la règle que celle 

des solutions, ou plus exactement des questions". 

(1170) C. ATIAS, Épistémologie du droit, Paris, PUF, 1994, p.123. 

(1171) Ibid., p.123.

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note sous Cass. com., 21 mai 1996, D. 1997, p.106. 

MASSIP (J.), obs. au Defrénois 1994, p.1442. 


MAZEAUD (D.), note sous Cass. civ. 3ème, 15 décembre 1993, JCP 1995.II.22366. 

note sous Cass. civ. 3ème, 30 avril 1997, D. 1997, p.475. 

note sous Cass. com., 6 mai 1997, Defrénois 1997, p.977. 

obs.au Defrénois 1995, p.755. 




obs. au D. 1996, somm. p.122. 

obs. au D. 1996, somm. p.330. 

MESTRE (J.), obs. à la RTD civ. 1985, p.372. 

obs. à la RTD civ. 1987, p.104-105. 





obs. à la RTD civ. 1991, p.325. . 




MOULY (C.), note sous Cass. civ. 1ère, 7 mars et 15 novembre 1989, D. 1990, p.177. 

MOURIER, Avocat général, conclusion pour Cass. ass. plén., 12 juillet 1991, RJDA 1991, p.583. 

PAILLUSSEAU (J.), note sous cass. com., 17 oct. 1995, D. 1996, p.167. 

PAISANT (G.), note sous Cass. civ. 1ère, 3 janvier 1996 et 30 janvier 1996, D. 1996, p.230. 

note sous Cass. civ. 1ère, 26 mai 1993, D. 1993, p.568. 

PATARIN (J.), obs. à la RTD civ. 1987, p.134. 

PERDRIAU (A.), note sous Cass. com., 31 janvier 1995, JCP 1995.II.22385. 

PIEDELIEVRE (S.), note sous Cass. civ. 1ère, 3 juin 1997, Defrénois 1998, p.125 . 

PLANIOL (M.), note sous Cass. req., 25 mars 1908, DP 1909.1.73. 

PONT (P.), obs. à la Rev. crit. légis. et juris, 1859, p.1. 

PREVAULT (J.), note sous Versailles, 21 septembre 1990, JCP 1991.II.21772. 

PUIGELIER (C.), note sous Cass. soc., 11 mai 1994, D. 1995, p.626. 

RAYNAUD (P.), note sous Cass. civ. 1ère, 9 juin 1976, D. 1976, p.593. 

REMOND-GOUILLOUD (M.), obs. au D. 1992, somm. p.81. 

REMY (Ph.), obs. à la RTD civ. 1987, p.106. 



RIPERT (G.), note sous Cass. civ. 27 mars 1928, DP 1928.1.145. 

RIVES-LANGE (J.-L.), obs. à la revue Banque 1990, p.1097. 

ROUAST (J.), note au D. 1921.1.121. 

SALEILLES (R.), note sous Cass. civ., 16 juin 1896, DP 1897.1.433. 

SAVATIER (R.), obs. à la RTD civ. 1960, p.693. 

372

SIMLER (Ph.), obs. au JCP éd. N., 1986.II. p.75. 

THIERCELIN (H.) note sous Cass. req., 25 juillet 1867, DP 1868.1.65. 

TOURNAFOND (O.), note sous Cass. civ. 3ème, 15 décembre 1993, D. 1994, p. 231. 

obs. au D. 1996, somm. p.10. 

VERPEAUX (M.) et MATHIEU (B.), obs. sur Cons. const. n°97-391 DC, JCP 1998.I.137, n°20. 

VINEY (G.), note sous Cass. ass. plén., 12 juillet 1991, JCP 1991.II.21743. 

VOINOT (D.), note sous CJCE, 24 novembre 1993, Keck, D. 1994, p. 191. 

WEBER, Avocat général, concl. pour Cass. ass. plén., 5 décembre 1997, JCP 1998.II.10006. . 

WIEDERCKER (G.), obs. au JCP 1995.I.3869. 

ZENATI (F.), obs. à la RTD civ. 1990, p.310. 



373

Index des noms d’auteurs 

(cf. aux numéros de paragraphes) 

ACCOLAS 28. 

AGOSTINI 83. 192. 

ALBIGES 196. 

ANTONMATTÉI 92. 

ARISTOTE 7. 

ARNAUD 18. 

ATIAS 25. 27. 33. 40. 43. 48. 49. 70. 82. 107. 116. 134. 143. 167. 169. 193. 196. 199. 201. 

204. 213. 217. 

AUBENQUE 143. 

AUBERT 5. 119. 124. 133. 160. 185. 199. 

AUBERT-MONPEYSSEN 104. 

AUBRY 27. 33. 36. 43. 44. 86. 114. 

AYNÈS 103. 106. 111. 112. 128. 160. 168. 177. 189. 214. 

BACH 21. 

BACHELARD 129. 

BAILHACHE 2. 

BANDRAC 88. 106. 

BARANÈS 107. 

BARBIÉRI 214. 

BARTHES 134. 

BATIFFOL 104. 119. 132. 213. 215. 

BAUDRY-LACANTINERIE 35. 

BEAUBRUN 211. 

BEAUD 134. 

BÉHAR-TOUCHAIS 103. 177. 

BEL 150. 

BELAVAL 19. 

374

BELIN-MILLERON 65. 

BELLET 147. 

BÉNABENT 63. 101. 106. 159. 165. 208. 

BENTHAM 19. 52. 77. 

BERGEL 2. 85. 97. 176. 210. 

BERNARD 1. 

BÉROUJON 127. 

BERTRAND 138. 

BEUDANT 21. 34. 38. 43. 99. 116. 194. 

BILLIAU 168. 

BOCCARA 75. 

BONNEAU 176. 

BONNECASE 15. 35. 39. 42. 43. 61. 

BORE 23. 149. 

BOULANGER 53. 

BOULLEZ 107. 

BOURDIEU 200. 

BOUVIER 210. 

BOYER (A.) 212. 

BOYER (L.) 2. 162. 180. 181. 182. 183. 186. 

BREDIN 48. 215. 

BRETHE DE LA GRESSAYE 69. 

BRIERE DE L'ISLE 125. 

BROEKMAN 194. 

BRUSCHI 121. 

BUSSY-DUNAUD 170. 

CABANIS 22. 

CABRILLAC 110. 112. 189. 210. 

CADIET 138. 147. 

CANGUILHEM 6. 

CAPITANT (H.) 53. 61. 69. 

CAPOULADE 144. 149. 199. 

CARBONNIER 2. 5. 24. 26. 59. 62. 65. 66. 70. 74. 96. 127. 132. 141. 142. 158. 169. 192. 213. 

CARDOZO 79. 

375

CARRÉ DE MALBERG 48. 

CASSIRER 19. 

CATALA (N.) 167. 

CATALA (P.) 71. 116. 

CAYLA 48. 

CHABAS 133. 153. 163. 171. 193. 

CHAMPENOIS 88. 161. 

CHARMONT 27. 

CHARTIER 134. 

CHAUSSE 27. 

CHEVALLIER 127. 

COLIN 53. 61. 

COLLARD DUTILLEUL 84. 211. 

COLMET DE SANTERRE 28. 

COLOMER 160. 211. 

COLOMBET 124. 

CONTE 63. 155. 

CORNU 2. 3. 66. 69. 106. 147. 156. 162. 177. 181. 186. 187. 189. 190. 192. 210. 211. 214. 

215. 

COTE 171. 

COURET 169. 

COUTURIER 169. 

COZIAN 121. 185. 

CROMBEZ 84. 128. 

CUCHE 48. 

D'AMBRA 20. 

DABIN 48. 75. 95. 

DALLOZ 30. 

DE JUGLART 169. 

DE LA MARNIERRE 13. 104. 112. 119. 

DE LAMBERTERIE 182. 

DE PAGE 14. 49. 

DE POULPIQUET 114. 

DE VAREILLES-SOMMIERES 58. 

376

DECHEIX 98. 

DEFRENOIS 114. 

DEFRENOIS-SOULEAU 115. 

DEKEUWER-DEFOSSEZ 113. 

DEL VECCHIO 133. 

DELAMARRE ET LEPOITEVIN 30. 

DELEBECQUE 84. 120. 123. 163. 177. 207. 

DELVINCOURT 23. 33. 

DEMANTE (A.) 28. 33. 

DEMANTE (G.) 36. 

DEMOGUE 27. 52. 81. 89-95. 125. 129. 

DEMOLOMBE 19. 27. 29. 34. 44. 

DERRIDA 88. 213. 

DIENER 96. 

DOLTO 192. 

DOMAT 19. 

DOUCHY 115. 

DOUET 117. 

DRAI 146. 149. 

DU CAURROY 26. 

DUBOUCHET 48. 

DUCROT 2. 179. 

DUFOUR 19. 

DUGUIT 44. 

DUMOULIN 19. 27. 

DURAND (P.) 69. 

DURANTON 23. 29. 

DURRY 211. 

DWORKIN 7. 11. 84. 130-137. 194. 

EL SHAKANKIRI 77. 

ELLUL 94. 

ESMEIN (A.) 14. 41. 82. 87. 

ESMEIN (P.) 143. 

EUDIER 168. 

377

EWALD 6. 76. 

FABRE-MAGNAN 170. 

FARNOCCHIA 92. 

FENOUILLET 155. 

FEYERABEND 162. 

FLOUR 112. 

FOUCAULT 6. 

FOYER 65. 192. 

FRANCESCAKIS 202. 

FRISON-ROCHE 84. 97. 103. 107. . 

GARRON 194. 

GAUDEMET (J.) 27. 

GAUDEMET (Y.) 88. 98. 

GAUTIER 128. 189. 

GAVALDA 88. 118. 120. 160. 

GÉNY 11. 14. 27. 38. 40-56. 62. 87. 140. 144. 182. 186. 194. 211. 213. 

GHESTIN 2. 5. 100. 101. 106. 123. 124. 126. 153. 159. 167. 168. 181. . 

GILISSEN 27. 194. 

GIVERDON 116. 199. 

GOBERT 197. 

GRANGER 94. 

GRIMALDI 112. 

GROTIUS 19. 

GROUTEL 123. 165. 202. 212. 

GUASTINI 11. 133. 

GUIDICELLI-DELAGE 146. 

HABERMAS 27. 

HAESERT 48. 

HART 8. 10. 84. 

HAURIOU 57. 

HOCHART 170. 

HOLMES 11. 79. 95. 

HONORAT 125. 

HUET 103. 198. 

378

HUME 19. 77. 

HUSSON 21. 27. 97. . 

IZORCHE 196. 197. 213. 

JAMIN 73. 103. 121. 128. 168. 205. 

JAUFFRET ET MESTRE 111. 

JEAMMAUD 1. 63. 

JEANDIDIER 48. 

JEANTIN 149. 

JEOL 157. 

JESTAZ 46. 68. 73. 99. 128. 140. 196. 

JEZE 14. 

JOSSERAND 37. 61. 177. 213. 

JOURDAIN 114. 201. 

JULLIOT DE LA MORANDIERE 62. 

KANAYAMA 28. 

KANT 19. 

KELSEN 3. 5. 9. 42. 48. 59. 79. 134. 161. 194. 213. 

KERBRAT-ORECCHIONI 2. 179. . 

LABBE 30. 31. 34. 87. 

LAMBERT 43. 53. . 

LAMBERT-FAIVRE 177. 

LANGLOIS 67. 

LAPOYADE DESCHAMPS 165. 178. 

LARNAUDE 58. 

LARROUMET 124. 159. 

LAURENT 27. 

LE FLOCH 203. 

LE TOURNEAU 68. 138. 145. 

LECUYER 177. 

LEDOUBLE 111. 

LEIBNIZ 18. 

LEONNET 63. 

LEPAGE 25. 

LEQUETTE 115. 132. 185. 202. 213. 

379

LERMINIER 19. 

LEROYER 113. 

LESEC 85. 

LEVENEUR 103. 125. 167. 

LEVY-BRUHL 81. 142. 

LIBCHABER 161. 

LINDON 149. 

LINOTTE 213. 

LOCHAK 63. 

LUCET ET VAREILLES 165. 

MACCORMICK 10. 133-137. 163. 210. 

MAINGUY 124. 

MALAURIE 2. 5. 106. 159. 163. 168. 

MALEPEYRE ET JOURDAIN 25. 

MALINVAUD 63. 82. 

MALLIEUX 49. 78. 186. 

MARCADE 15. 28. 29. 34. 43. 88. 

MARTIN (D.R.) 67. 91. 159. 206. 

MARTIN (R.) 81. 84. 199. 

MARTY 52. 201. 

MASSIP 63. 116. 211. 

MATHIEU 80. 81. 97. 

MAZEAUD (D.) 95. 106. 111. 120. 143. 159. 160. 177. 179. 201. 

MAZEAUD (H. ET L.) 5. 156. 185. 

MAZEN 96. 

MERLIN 13. 24. 194. 

MESTRE 84. 89. 103. 104. 111. 159. 200. 203. 211. 212. 213. . 

MIAILLE 11. 28. 

MICHAUT 11. 79. 

MOLFESSIS 197. 

MONTESQUIEU 76. 

MORAND-DEVILLER 101. 

MOREAU 134. 

MORIN (E.) 172. 

380

MORIN (G.) 69. 91. 95. 113. 

MORNET 88. 

MOTULSKY 64. 

MOULY 110. 112. 177. 210. 

MOURIER 123. 

MOURLON 33. 44. 

MOUSSERON 89. 111. 

MÜLLER 198. 

NAJJAR 159. 

NÉRET 124. 

NERSON 213. 

OPPETIT 68. 100. 

OST ET VAN DE KERCHOVE 8. 126. 213. 

PAILLUSSEAU 163. 

PAISANT 81. 105. 

PARDESSUS 25. 

PATARIN 184. 

PATAULT 199. 213. 

PERDRIAU 119. 144. 149. 150. 151. 152. 153. 

PERELMAN 27. 35. 75. 113. 162. 172. 194. . 

PEREZ-PERDOMO 134. 213. 

PERREAU 181-186. 189. 

PERRIN 131. 134. 

PESCATORE 2. 112. 

PETIT (B.) 88. 148. 

PEYRET 199. 

PFERSMANN 48. 137. 

PICARD (ED.) 48. 132. 

PICARD (ET.) 67. 

PIEDELIEVRE 207. 

PLANIOL 37. 57. 64. 184. 213. 

PLANTIN 2. 

PLATON 216. 

POIRMEUR 1. 

381

PONT 32. 34. 88. 

PORACCHIA 100. 

PORTALIS 13. 19. 21. 27. 42. 151. 194. . 

POUND 11. 79. 

PROUDHON 23. 24. 

PUFENDORF 19. 

PUIGELIER 196. 

RADBRUCH 43. 76. 77. 78. 

RADÉ 99. 169. 170. 

RAU avec Aubry. 

RAYNAUD 192. 201. 

RÉMOND-GOUILLOUD 106. 213. 

RÉMY 11. 24. 26. 27. 96. 103. 143. 178. 182. 204. 217. 

RENARD 14. 

RIALS 161. 

RIEG 182. 

RIPERT 41. 49. 51. 53. 54. 57-62. 63. 64. 67. 70. 75. 82. 84. 95. 142. 178. 184. 

RIVERO 81. 

RIVES-LANGE 120. 

ROBINE 182-186. 

ROGUIN 14. 

ROLAND 2. 162. 180-183. 186. 

ROSS 11. 

ROUAST 52. 

ROUBIER 78. 

ROUHETTE 98. 151. . 

ROUZET 114. 

SALEILLES 14. 37. 46. 82. 156. 

SAVATIER 53. 65. 67. 69. 70. 93. 198. 

SAVAUX 5. 214. 

SAVIGNY 58. 

SCALFI ET ROMAGNOLI 200. 

SCHMIDT-SZALEWSKI 113. 

SERIAUX 3. 11. 46. 92. 113. 114. 122. 165. 185. 197. 203. 

382

SERVERIN 29. 31. 32. 48. 150. 

SIMLER 160. 177. 185. 186. 211. 

SOLUS 67. 106. 

SOURIOUX 2. 

STAMATIS 133. 

STARCK 2. 186. 

STRAUSS 11. 

TALLON 103. 182. 

TAULIER 19. 21. 

TERRE 2. 5. 44. 107. 115. 128. 132. 155. 169. 185. 186. 189. 211. 

TESTU 169. 

TEYSSIE 124. 

THALLER 43. 57. 

THIERCELIN 19. 26. 88. 

THIREAU 27. 

TOUFFAIT 21. 128. 

TOULLIER 19. 21. 24. 27. . 

TOULMIN 2. . 

TOURNAFOND 99. 159. 170. 

TRICOT 116. 

TROPER 9. 15. 59. 134. 137. 169. . 

TROPLONG 19. 21. 27. 33. 34. 78. 171. 

TULKENS 5. 81. . 

TUNC 21. 98. 

VALETTE 32. 

VAN DE KERCHOVE Avec Ost. 

VEDEL 169. 

VERPEAUX 21. 80. 

VEYNE 133. 215. 

VILLEY 11. 44. 48. 140. 162. 

VINEY 121. 122. 124. 209. 210. 213. 

VOGEL 202. 

VOLTAIRE 20. 

VONGLIS 213. 

383

VOULET 84. 

WICKER 113. 

WIEDERCKER 188. 

WROBLEWSKI 179. 

ZÉNATI 98. 107. 129. 143. 144. 163. 198. 199. 

384

Index des matières 

(cf. aux numéros de paragraphes) 

A. 

Abus de droit 103. 136. 209. 

Accidents 

- de la circulation 54 s. 133. 165. 178. 212. 

- du travail 169. 

Achat à tempérament 188. 

Acte de connaissance 9. 

Action 

- civile 176. 

- de in rem verso 37. 

- en contestation de paternité 63. 187. 192. 

- directe 94. 121-124. 185. 205. 

- paulienne 167. 184. 185. 189. 198. 

- en justice 208. 

Actions de l'acquéreur 99. 

Adages 136. 163. 180-191. 

Affaires simples (Voir Cas facile) 

Ambiguïté 4-10. 24. 56. 65. 67. 72. 88. 98. 113. 125. 128. 134. 140. 156. 167. 190. 196. 

205-210. 

Ambivalence du discours doctrinal 2. 7. 8. 12. 24. 78. 106. 114. 172. 

Amphibologie 4. 

Analogie 137. 159. 170. 182-189. 195. 219. 

Analyse "technique" 41. 50. 

Antichrèse 110. 214. 

Antinomie 2. 133. 192. 197. 

Apparence 91. 

Arbitraire 27. 46. 52. 63. 68. 79. 84. 97. 107. 112. 133. 145-156. 186. 

Archéologie du savoir 6. 

Argumentation doctrinale 162-199. 205-210. 

Argument "juridique" 133. 163. 

- a completudine 194-195. 

- a contrario 192-193. 

- conséquentialiste et d'opportunité 30. 34. 91. 113. 137. 177-178. 199. 

385

- d'autonomie 169-171. 

- d'autorité 88. 137. 164-171. 189. 

- de spécialité 169. 

- de stabilité 126. 

- de texte 34. 123. 137. 199. 

- pragmatique 30. 

- tenant à la nature des choses 30. 31. 172. 

- téléologique 173. 

Arrêt de principe 36. 50. 99. 123. 144. 150. 151. 159. 178. 193 (Voir Solution 

acquise). 

Arrêt de règlement 16. 24. 106. 

Autonomie des branches du droit 169-171. 

Avis de la Cour de cassation 98. 100. 

Avocat 114. 

B. 

Bible 27. 

Bonne réponse 1. 11. 132-134. (Voir Solution). 

C. 

Cas difficile 11. 25. 53. 72. 106. 132-134. 146. 147. 153-156. 201. (Voir Questions 

de principe). 

Cas facile 148-152. 

Cautionnement 110. 112. 177. 207. 

Ce qui est dit 163-178. 

Ce qui est non-dit 179-199. 

Certitude (Voir Sémantique, Solution). 

Cession de cabinet médical 198. 

Cession de contrats 5. 177. 203. 

Cession de parts sociales 207. 

Chaîne narrative 7. 132-134. 

Chaîne de contrats 122. 

Clause abusive 102. 173. 

Clause commerciale 50. 211. 

Clause pénale 203. 

Codification 21. 66. 

Cohérence 2. 5. 11. 62. 67. 68. 82. 97. 100. 106. 124. 129. 133-137. 138. 152. 159. 179. 

195. (Voir Chaîne narrative, Solution). 

Communauté (régime matrimonial) 78. 156. 172. 176. 204. 207. 

Communauté des juristes 6. 44. 73. 128. 136. 139. 142. 164. 168. 199. 

Confiance légitime5. 80. 

Conformité 129-161 (Voir Solution). 

Connaissance juridique 2. 9. 23. 27. 40. 41. 37. 45. 67. 107. 138-143. 162. 201-212. 

386

Conseil de jurisprudence 98. 

Constance (Voir Solution). 

Contraintes interprétatives 49. 135-137. 

Contrat de mariage 50. 

Contrat entre absents 5. 

Contrat d'avoir 111. 

Controverse 2. 7. 14. 19. 23. 27s. 34. 37 s. 47. 50. 52. 60 s. 91. 95. 98. 99. 101 s. 

112. 113. 114. 115. 124. 133. 134. 138. 143. 152. 154. 157. 158. 161. 167. 168. 169. 

178. 189. 193. 200. 201-212. 214. 215-217. 

Copropriété 113. 171. 199. 212. 214. 

Cour de cassation 52. 63. 105. 145-156. 

Critical legal studies 11. 

Culte (voir Dogme) 

- du précédent 57-62. 

D. 

Déclin 67-68. 

Déduction 5. 7. 65. 68. 71. 103. 128. 162. 190. 193. 215. 

Délais préfix 208. 

Démonstration 162. 

Déni de justice 194. 

Dettes ménagères 188. 

Discours doctrinal 4. 128. 140. 159-161. (Voir Arguments, Controverse, Déduction, 

Dogme, Prescriptions). 

Dissidence (Voir Solution). 

Divorce 156. 

Doctrine (Voir Discours doctrinal, Sources). 

- Empreinte 213. 

- Image 2. 27. 30. 126. 138. 143. 

- Pouvoir 50. 

- Rôle 2. 14. 51. 101. 144. 157-160. 

- Statut 9. 

Dogme 

- de la solution unique 1. 2. 7. 9. 12. 13. 28. 57-62. 63. 71. 73. 74. 79. 82. 83. 107. 108. 

114. 120. 127. 132. 151. 214. 215. 217. 

- Dogme à renverser 143. 

- Dogme de l'unité 138. 167. 

- Dogme de la loi 14. 27. 28. 36. 42. 47. 59. 

- Dogmes périmés 15. 

Donations déguisées 37. 

Droit romain et ancien droit 26. 

Droit naturel 11. 25. 40-56. 59. 130. 197 (Voir Nature des choses). 

387

Droit de gage général 34. 

Droit de présentation 198. 

Droit commun et droit spécial 184-189. 199. 

E. 

École analytique 8-11. 

École de l'exégèse 14. 15. 40. 

École de la libre recherche scientifique 40 s. 

École historique 46. 

Économie du contrat 213. 

Effets pervers 177. 

Emploi et remploi 112. 176. 

Épistémologie 1. 11. 47. 217. 

Équité 11. 197. (Voir Arbitraire, Droit naturel, Solution, Tabous). 

Erreur . 

- commune 91. 

- de droit 114. 

- de la doctrine 200. 

- du solvens 115. 

- obstacle 5. 

- sur la valeur 126. 167. 196. 

Esprit du droit français 58. 

Euphémisme 63. 137. 168. 198. 

Evidence (Voir Solution). 

Exception 182-190. 

Éxégèse 66. 71. (Voir Ecole de l'-). 

F. 

Faillite 189. 

Fétichisme 28. 74. 

Fiction 113. 

Fiducie 203. 

Fixité 52. 88 (Voir Solution). 

Fonds de commerce 50. 99. 198. 203. 213. 

Fonds médical 198. 

Force majeure 92. 

Formalisme 112. 

Franc symbolique 207. 

Fraude 167. 184. 189. 198. 

G. 

Gestion d'affaires 208. 

Groupe de contrats 123. 205. 

388

H. 

Hiérarchie des sources 9. 

Hypostase 213. 

Hypothèse 

- d'école 187. 

- imaginaire 187. 204. 

I. 

Idéologie 5. 125. 133. 142. 169. 217. 

Illusion 2. 5. 9. 28. 71. 74. 79. 85. 90. 111. 112. 126. 129. 138. 140. 141. 149. 161. 

170. 187. 212. 214. 217. 

Image 

- de la loi 28-30. 

- de la Cour de cassation 31-38. 52. 

Implicite 192-195. 

Imprévision (théorie de l') 93. 

Incohérence (Voir Antinomie, Cohérence, Solution). 

Indétermination du prix 103. 

Insécurité 2. 34. 70. 120. 159. 178. 207. 

Intention du législateur 63-74. 

Interprétation 2-11. 162. (Voir Argumentation, Cas difficiles, Déduction, Solution). 

- authentique 9. 145-156. 

- par voie de doctrine 16-38. 157-161. 

- par voie d'autorité 22-26 (Voir Conseil de jurisprudence, Référé législatif). 

Interprétation stricte des exceptions 182-190. 

Introductions au droit 2. 

J. 

Jeu (métaphore du) 8 (Voir Doctrine). 

Jurisconsultes 19. 33. (Voir Communauté des juristes). 

Jurislateurs 3. 

Jurisprudence 3. 41. 60. (Voir Dogme, Interprétation authentique, Solution). 

Justice 215-217. 

L. 

Lacune 2. 38. 45. 48. 169. 194–195. 

Linguistique 1. 2. 137. 

Loi (Voir Intention du législateur). 

- et législateur 3. 24. 28. 41. 49. 66. 69. 106. 126. 178. 194. 

389

- et légalisme 31. 

- du silence 179. 

Lot de copropriété 199. 

M. 

Mère-porteuse 156. 

Méthode et méthodologie 1. 9. 10. 38. 39. 50. 56. 57. 69. 162. 215-217 (Voir 

Recettes). 

Motivation 51. 144-160. 207. 

Mystification 27. 

Mythe ou réalité ? 214. 

N. 

Nature des choses positive 46. 

Nature juridique 25. 43. 172 (Voir Argument tenant à la nature des choses, Droit 

naturel). 

Neutralité 5. 9. 15. 37. 39-74. 95. 104. 107. 125. 128. 129. 134. 138. 142. 145. 167. 

168. 172. 179. 193. 197. 209. 213. 216. 

Notaire et pratique notariale 30. 50. 114. 

O. 

Obiter dictum 207. 

Obligation (s) 

- d'information et de renseignement 114. 168. 170. 177. 

- de sécurité 169. 170. 

- naturelle 197. 

- de bonne foi 213. 

- pécuniaires des époux 188. 

Orateurs de la Révolution 20 s. 

Organisation judiciaire 20. 29. 106. 147-149. 

P. 

Pacte sur succession future 50. 66. 186. 

Paiement 34. 110. 121. 180. 185. 189. 

- indu 115. 

Paralogisme 190 (Voir Ambiguïté, Controverse, Déduction). 

Paternité doctrinale 143. 213 (Voir Doctrine, Sources). 

Pensée juridique 2. 7. 28. 43. (Voir Doctrine, Discours doctrinal). 

Permanence (Voir Fixité, Solution). 

Personne morale 113. 

Point de vue externe 8. 

390

Polémique (Voir Controverse). 

Polysémie (Voir Ambiguïté). 

Positivisme 8. 42. 46. 48. 53. 64. 79. 83. 124. 134. 216. 

Prédiction 200 (Voir Discours doctrinal). 

Préjugé 152 (Voir Cas facile). 

Prémonitions doctrinales 202 (Voir Discours doctrinal). 

Présomption de communauté 207. 

Prêt d'épargne logement 207. 

Principes 126. 132-134. (Voir Adages, Arrêt de principe). 

Procréation médicalement assistée 187. 

Publication des décisions 63. 

Q. 

Questions 33. 201-207. 

- de principe 98. 105-106. 132-134. 153. 201-203 (Voir Cas difficile). 

R. 

Raison 17. 214. 

Rationalisation a posteriori 134. 

Réalisme 11. 31. 45. 63. 74. 79. 96. 124. 130. 216. 

Recettes 120. 216. 

Référé 

- législatif 22. 27. 

- possessoire 156. 

Régime matrimonial primaire 161. 188. 

Règle 8. 9. 132-134. 147-152. (Voir Principes, Solution). 

Remise en ordre du droit 6. 13. 17. 22. 29. 39. 44. 65. 68. 69. 101. 106. 153. 163. 

Rescrits 100. 

Responsabilité contractuelle 122. 123. 173. 178. 211. 

Responsabilité délictuelle 37. 55. 123. 173. 174. 175. 

Rhétorique 

- de l'ambiguïté 206. 

- de l'autonomie 169-171. 

- d'autorité 143. 158. 161. 162. 164. 

- du déclin 67. 

- du dépit 30. 

- de l'éviction des solutions possibles 1. 5. 7. 12. 195. 

- de la nature des choses 25. 172-176. 

- de la nécessaire transformation du droit positif 12. 90. 

- de la neutralité 168. 

- de la sécurité et de la prévisibilité 34. 120. 137. 

- du silence 192-199. 

- de la solution unique 37. 

- de l'unanimité 165-168. 

391

- de l'unité 7. 97. 106. 107. 129. 158. 161. 162. 

- leurre73. 

- figures et procédés 24. 88. 125. 143. 181. 185-190. 206. 207. 

- Nouvelle rhétorique 27. 

S. 

Savoir juridique (Voir Connaissance juridique). 

Science du droit (Voir Connaissance juridique). 

Sécurité juridique 5. 28. 30. 46. 47. 49. 52. 59. 60. 67. 75-79. 80. 126. 134. 161. 217 

(Voir Solution sûre, Insécurité). 

Sémantique de la certitude 4. 88. 

Servitudes 199. 

Silence 179-180. 

Simulation 5. 

Solidarité passive 188. 217. 

Solution (s) 

- acquise 7. 56. 116. 124. 128. 139. 152. 211. 212. 

- ambiguë 4. 134. 

- arithmétique 124. 159. 

- applicable 86. 97. 

- approximative 126. 

- bonne 11. 32. 61. 87. 107. 108-124. 161. 216 (Voir Bonne réponse). 

- brévissime 151. 

- certaine 6. 32. 88. 105. 128. 

- cohérente 106. 138. 

- conforme 32. 34. 78. 83. 84. 129-160. 

- constante 7. 215. 

- contestable 160. 201. 208. 

- controversée 113. 114. 

- décrite 129. 211. 

- définitive 53. 138. 161. 211. 

- diabolique 88. 

- dissidente 34. 117. 152. 

- divergentes 99. 105. 124. 134. 164. 166. 

- durable 103. 

- efficace 60. 110-113. 128. 

- elliptique 51. 

- équitable 124. 163. 172. 

- évidente 125. 148-149. 207. 

- exacte 7. 32. 114-115. 190. 

- figée 118. 

- fixée 6. 88. 128. 

- future 11. 12. 118. 143. 

- générale 98. 

392

- hérétique 67. 165. 

- incertaine 52. 114. 

- indiscutable 116. 207. 

- induite 113. 119. 

- inexplicable 209. 

- infaillible 108. 131. 151. 196. 

- "solution juridique" 30. 75. 128. 133. 152. 163. 

- juste 2. 11. 25. 65. 113. 126. 172. 

- littérale 14. 

- nouvelle 61. 97. 99. 103. 138. 169. 177. 178. 

- obscure 134. 

- obsolète 120. 201. 

- opportune 113. 

- permanente 13. 60. 63. 71. 104. 125. 

- positive (posée) 12. 26. 29. 30. 50. 61. 78. 107. 113. 120. 133. 138. 142. 201. 206. 

213. 215. 216. 217. 

- possible 1. 2. 5. 9. 73. 95. 133. 143. 153. 169. 191. 211. 213. 216. 

- pratique 23. 46. 

- préexistante 1. 

- prescrite 129. 133. 138. 153. 191. 210. 

- prétorienne 2. 26. 36. 49. 66. 98. 106. 114. 145-156. 203. 209. 

- prévisible 5. 7. 13. 88. 112. 120-124. 

- probable 128. 

- proposée 32. 

- qui s'impose 13. 125. 143. 146-156. 

- qui paraît s'imposer 113. 146-156. 

- répétée 13. 119. 161. 

- stable 60. 73. 118. 126. 177. 

- sûre 5. 6. 7. 13. 56. 75-125. 146. 153. 

- traditionnelle 26. 

- unanime 165-168. 

- uniforme 21. 83. 95. 

- univoque 99. 134. 

- utile 159. 

- unique 1. 2. 5. 7. 9. 12. 13. 21. 28. 37. 57. 62. 63. 79. 82. 128. 131-160. 165. 169. 

170. 207. 214. 215. 216. 217. 

- vraie 32. 133. 

Sophistique 1. 5. 7. 73. 188. 215. 

Sources 2. 14. 26. 27. 28. 37. 47. 53. 214. 

Standards 46 (Voir Adages). 

Subsomption 5. 10. 49. 65. 71. 128. 136. 143. 151. 215. 

Sûretés 110. 

T. 

393

Tabous 15. 196-199. 

Techniques contractuelles 111. 

Texture ouverte du langage 10. 

Théorie générale du droit 2. 

Théorie de la localisation 213. 

Tradition 91. 

Transsexuels 156. 

Transport . 

- bénévole 56. 

- chemins de fer 173. 

U. 

Unanimité doctrinale 164. 

Unité 45. 63. 79. 87. 95. 97-107. 129. 133 (Voir Dogme, Solution). 

- et uniformité 24. 98. 

- et unification 18. 22. 40. 

- univocité 4. 7. 98. 136. 

- unique fondement possible 99. 157. 170. 177. 

Usages des arguments 2. 163-199. 

Utilitarisme 52. 77. 

V. 

Vérité 1. 32. 43. 217. 

Vice caché 73. 99. 

Voix doctrinale 

- de la Cour de cassation 3. 63. 73. 84. 140. 144. 147-153. 161. 210. 

- de la pratique 3. 84. 125. 139. 158. 

394

Thèse 1999 - UFR Droit et Sciences Sociales

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