Thèse 1999 - UFR Droit et Sciences Sociales

d'arrêts, ils rendaient compte de l'évolution des positions de la Cour de
cassation sur telle ou telle question. Bien sûr, certains sujets prêtaient
particulièrement à l'exposé polémique, qu'il s'agisse de la défense de la
propriété, de la liberté contractuelle (137) , de la constitution des sociétés ou des
enfants adultérins (138) : il est rare en effet que les commentaires ne soient pas
emportés pour accabler la Cour de cassation ou louer la sagesse de ses juges.
On notera au demeurant que les mêmes sujets formulés différemment
enflamment encore le discours de la doctrine sans que l'on accuse les auteurs
contemporains de se perdre en conjectures purement spéculatives. La doctrine
actuelle est devenue pragmatique. Mais leurs prédécesseurs ne l'étaient pas
moins, même s'ils l'étaient différemment.
Aubry et Rau, Marcadé, Pont, Troplong, Demolombe, Valette, Huc, Labbé,
Démante, Colmet de Santerre sont des noms plutôt connus, déjà entendus,
mais ces auteurs sont rarement lus et ne sont jamais enseignés. M. le
professeur Rémy montrait combien artificiel était leur groupement en école,
qui plus est en École légaliste. Charmont et Chausse ne disaient d'ailleurs pas
autre chose : "Il n'y a pas eu à proprement parler d'Écoles ; on ne peut guère
noter que des variations, des préférences individuelles. L'interprétation des
uns est plutôt littérale, celle des autres plus équitable; selon son tempérament,
sa nature ou ses habitudes d'esprit, tel auteur s'adonne aux analyses
minutieuses, tel autre se plaît aux vues d'ensemble; on fera la part de l'exégèse,
celle de la systématisation (139) ". L'explication tient sans doute à ce que, d'un
point de vue sociologique et historique, "jamais dans ses attitudes politiques et
dans ses origines sociales, le monde des juristes n'a présenté un aspect
uniforme et monolithique (140) ". La doctrine du milieu du XIXème siècle est
particulièrement hétérogène, ses opinions sont empreintes d'un paradoxe
topique propre à ces années où capitalisme et socialisme se constituent en tant
que systèmes de pensée. Il tient à ce que le Code civil achevé demeure et
parvient à traverser les années d'après l'Empire, il s'est imposé comme un
(137)
Notons avec J. HABERMAS (Droit et démocratie, Paris, Gallimard, 1997, p.42) que "depuis Hobbes, les
règles du droit civil fondé sur la liberté contractuelle et la propriété sont considérées comme le prototype
même du droit". Il n'est pas étonnant que les questions qui s'y rapportent paraissent toujours remettre en cause
les fondements du système et provoquent encore des réactions plus violentes que d'autres.
(138)
J. LACOINTA, note sous Cass. req. 29 janvier 1883, S. 1884.1.73. Encore aujourd'hui le problème des
enfants adultérins nés avant 1972 reste une matière sensible, v. F. DEKEUWER-DEFOSSEZ, obs. sur Cass.
civ. 1ère, 23 mars 1994, D. 1995, somm. p.127.
(139)
J. CHARMONT et A. CHAUSSE, "Les interprètes du Code civil", in Le livre du centenaire, tome 1, Rééd.
Duchemin, 1969, p.139.
(140)
J.-L. THIREAU, "Le jurisconsulte", Droits-20, p.22.
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