Thèse 1999 - UFR Droit et Sciences Sociales

101
durer. D'une façon ou d'une autre, la doctrine se conçoit en vue de définir les
conditions de la permanence, en usant du thème du désordre de la législation,
en usant de la nature stable du droit ou de la certitude à atteindre.
La révolution méthodologique n'eut qu'un succès fort mince, puisque
parmi les grands auteurs de traités, seul Bonnecase (348) , continuateur du
Baudry-Lacantinerie, peut être directement rattaché à Gény. Les autres furent
sans doute libérés par l'École de la libre recherche mais l'on ne peut guère les
considérer comme des disciples, bien qu'étant des émules. Ainsi très tôt notet-on
la méfiance d'Ambroise Colin et Henri Capitant, à l'égard des nouvelles
méthodes, qui affirment de manière polémique que leur ambition est de
former des jurisconsultes plutôt que des sociologues (349) . En dépit des
affrontements de tous ces auteurs sur les questions brûlantes, cette période
inventive qui a consacré une hiérarchie des interprètes et a porté la Cour de
cassation à son sommet, a permis à la doctrine d'exprimer toute sa force en lui
permettant de réformer le droit de la responsabilité civile. Cette force, les
auteurs la tirent du statut que leur accorde Adhémar Esmein : ils sont gardiens
de la continuité du droit, maîtres de la coutume et de l'écriture de la science
du droit.
La différence fondamentale d'avec le statut de la doctrine au XIXème siècle
vient de l'occultation de l'auctorialité de la doctrine au XXème jusqu'à la
négation de son influence. Mais en retrait, devenue scientifique et neutre,
abstraite et anonyme, elle s'impose comme raison pure ; son discours est
gouverné par la seule rationalité logique et relègue la méthode controversiste
parmi les raisonnements dépassés. Calqué sur celui du juge, l'anonymat de la
doctrine rend le contenu de son discours neutre et son pouvoir "informel"
légitime. N'étant pas une source, elle n'empiète pas formellement sur le
terrain des autorités normatives. Les auteurs lui reconnaissent - en fait, se
reconnaissent - pourtant une influence décisive. En préface des Grands arrêts
de la jurisprudence civile, Henri Capitant affirme le rôle fondamental joué par
la Cour de cassation dans l'émergence des solutions mais remarque aussi que
"les juristes ont compris que leur mission consistait à étudier, à critiquer ce
droit en formation, à le dégager de la masse des décisions où il se trouve
(348) v. J. BONNECASE, Traité de droit commercial maritime, Paris, Sirey, 1922, p.3 : "L'auteur d'un traité a en
effet commencé par subir l'enseignement des faits ; ce sont par conséquent des enseignements que sous la
forme de solutions positives et directives, il s'efforce à son tour de répandre, des enseignements issus de
l'union intime de la constatation de la réalité et de l'effort de la pensée appliqué à démêler cette réalité".
(349) A. COLIN et H. CAPITANT, Cours élémentaire de droit civil français - tome 1er, précité, avant-propos,
p.VI.