Thèse 1999 - UFR Droit et Sciences Sociales

CHAPITRE 1
L'état des lieux doctrinaux
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163. L'argument "juridique" - Le statut de l'argument juridique est, du point de
vue de son contenu, bien difficile à définir. La doctrine utilise souvent un
genre de descriptions sommaires et sibyllines qui se contentent d'admettre ou
de rejeter des idées "juridiques" ou "non-juridiques". Ce discours se rencontre
dans plusieurs situations que nous allons tâcher d'éclairer. Face à l'équité, par
exemple, il est courant de lire qu'une solution, pour équitable qu'elle soit,
n'est guère juridique (912) , comme s'il manquait au principe posé une sorte de
base légale, d'assise normative positive. Un autre genre de formule consiste à
exposer les termes d'un choix et à déterminer, parmi les différentes
propositions, la solution la plus juridique (913) . Ce serait en quelque sorte celle
qui correspondrait le mieux à une attente du droit positif. Il y a enfin, de
manière plus insolite, l'argument qui consiste à écarter une solution ou une
notion parce qu'elle serait trop juridique (914) . Ces trois exemples illustrent
l'idée que sous l'épithète "juridique" se glissent des représentations de ce que
doit être le droit. Cela montre surtout que la doctrine utilise cette épithète de
manière axiologique, et en vérité tautologique. Dans le discours de la doctrine,
seul ce qui est "juridique" est censé avoir une valeur décisoire. Ainsi, "dans les
actes commutatifs, tels que les retraits conventionnels d'associé, il n'y a pas de
jus fraternitatis. “Aimez-vous les uns les autres”, “aidez-vous les uns les autres”
sont d'admirables règles évangéliques, elles ne relèvent pas du droit (915) ". Il est
important de remarquer que dans ce type de discours la relevance et la
pertinence de la solution sont associées à l'épithète "juridique", soit par
(912) F. CHABAS, note sous Cass. civ. 2ème, 4 mars 1992, Gaz. pal. 25-27 avril 1993, p.7-8 : "Toute cette
jurisprudence repose sur l'idée de confusion de fait entre les patrimoines des enfants et ceux de leurs père et
mère. On ne veut pas qu'indirectement soit repris d'une main ce que l'autre verse à l'enfant. Bien entendu, tout
cela n'est guère juridique, même si cela est fort équitable" [souligné par nous] ; et d'autres auteurs, pour
d'autres raisons, se féliciteront d'une décision qui aura permis au droit de prendre sa revanche sur l'équité :
F. ZENATI, obs. sur Cass. civ. 1ère, 12 janvier 1994, RTD civ. 1994, p.642, n°2.
(913) F. COLLARD DUTILLEUL et Ph. DELEBECQUE, Contrats civils et commerciaux, Paris, Dalloz, 4ème éd.,
1998, n°820, p.672 : "La solution la plus juridique serait, sans doute de donner plein effet aux clauses souvent
proposées par lesquelles les hôteliers déclinent toute responsabilité pour les objets de valeur que les clients
refusent de déposer dans les coffres de l'établissement" [souligné par nous].
(914) J. PAILLUSSEAU, note sous cass. com., 17 oct. 1995, D. 1996, p.167 note (25) : "On pourrait utiliser la
notion de patrimoine pour identifier le contenu mais d'une part, elle n'est pas suffisamment dynamique, et
d'autre part trop juridique" [souligné par nous].
(915) Ph. MALAURIE, note sous Cass. civ. 3ème, 15 janvier 1997, D. 1997, p.217.