Thèse 1999 - UFR Droit et Sciences Sociales

l'opinion fondamentale de l'auteur pour qui la diversité des méthodes fait la
science du droit. Mais il fallait imputer aux prédécesseurs la responsabilité des
faiblesses théoriques du présent puisque selon ces auteurs, la tradition
juridique française devait nourrir la rénovation méthodologique. Les
“ exégètes ” furent en quelque sorte les boucs émissaires du changement de
paradigme, un peu comme s'ils avaient trahi la pensée de Portalis en érigeant
"en dogme la rigidité et l'immobilité de la loi, son aptitude à tout prévoir et à
tout régler" et en considérant "toutes les autres sources comme taries (149) ".
C'est donc d'opinions déformées en opinions de seconde main que va se
construire l'École de l'exégèse (150) , et ce bien que sa condamnation ne soit
point unanime (151) . Pourtant, assurément ce n'est pas à tort qu'ils furent
qualifiés d'exégètes, le temps de l'analyse des textes s'y prêtait et les méthodes
utilisées pour interpréter étaient celles de l'exégèse. Rompus à l'exégèse
biblique, il n'est pas douteux que la doctrine française de cette époque
maîtrisait l'herméneutique classique (152) . L'inexactitude porte donc sur
l'"École", le terme ne rend pas compte de l'hétérogénéité du corps doctrinal, ni
de la diversité des méthodes utilisées. Ensuite, si cette description a servi les
ambitions des successeurs immédiats, à savoir de la doctrine conduite par la
rénovation de Gény, il est intéressant de se demander pourquoi cette façon de
comprendre les "exégètes" s'est pérennisée. Perelman, notamment, analyse en
profondeur le raisonnement juridique et consacre un chapitre de Logique
juridique, la nouvelle rhétorique à l'École de l'exégèse (153) ne citant d'ailleurs
qu'Aubry et Rau (154) et le célèbre mot de Laurent : "Les codes ne laissent rien à
(149)
F. GENY, Méthode d'interprétation et sources en droit privé positif, tome 1, 2ème éd., 1919, précité, p.91.
(150)
Sur le modèle proposé par GENY, les auteurs du début du XXème siècle vont écrire à plus ou moins gros
traits une histoire de la doctrine qui se confondra avec l'histoire du culte de la loi. v. E. LAMBERT, Études de
droit commun législatif, tome 1, La fonction du droit civil comparé, "Les conceptions étroites ou unilatérales",
Paris, Giard et Brière, 1903 ; M. MORNET, Du rôle et des droits de la jurisprudence en matière civile, Thèse
Paris, 1904 ; D. N. MICESCOU, Essai sur la technique juridique, Thèse Paris, 1911, p.19 s. ; CONDOMINE,
Essai sur la théorie juridique et sa fonction, Thèse Lyon, 1912 ; J. ROUME, A propos de la méthode juridique,
Thèse Montpellier, 1922 ; G. MARTY, La distinction du fait et du droit. essai sur le pouvoir de contrôle de la
Cour de cassation sur les juges du fait, Thèse Toulouse, 1929 ; G. MARASCO, Expression et concrétisation du
droit, Thèse Paris, 1930 ; A. LEBRUN, La coutume, ses sources, son autorité en droit privé, Thèse Paris,
1932 ; CHRETIEN, Les règles de droit d'origine jurisprudentielle, leur formation, leurs caractères, Thèse Lille,
1936.
(151)
Pour une défense très énergique des interprètes du Code civil, voir A. COLIN et H. CAPITANT, Cours
élémentaire de droit civil français - tome 1er, précité, p.31-33.
(152)
Ph. REMY, "Le rôle de l'exégèse dans l'enseignement du droit au XIXème siècle", AHFD 1985, n°2, p.91-
105.
(153)
Ch. PERELMAN, Logique juridique, précité, n°16, p.23.
(154)
Pourtant AUBRY et RAU sont présentés par la doctrine du début du XXème siècle parmi les seuls auteurs à
ne pas s'être laissés emporter par le culte de la loi, v. R. DEMOGUE, Les notions fondamentales du droit privé,
Paris, Rousseau, 1911, p.233 : "Rien n'est plus funeste que de s'immobiliser dans l'étude des institutions
49