Thèse 1999 - UFR Droit et Sciences Sociales

justice distributive et justice commutative (83) . Demolombe s'appuiera sur
Leibniz, affirmant que la hiérarchie et l'ordre qu'impose toute harmonie sont
nécessaires, mais "ne sont pas immuables car le progrès matériel et moral est
lui aussi une loi de justice (84) ", pour éclairer ses lecteurs sur ces conceptions
philosophiques. "Car tel est véritablement le Droit, science active et militante,
toujours en présence des faits, qu'elle a pour mission de gouverner. Et voilà
bien pourquoi les jurisconsultes se forment et s'éclairent, non moins que dans
les livres, par l'observation attentive des moeurs et des besoins de la société, et
de tous les intérêts et de toutes les passions qui s'y agitent (85) ". Si, pour le
Prince de l'exégèse, le droit positif procède de la raison d'un législateur
éclairé, son interprétation se conçoit bien comme l'art de découvrir le juste.
Les auteurs du XIXème siècle étaient au fond nourris d'influences
théologiques et philosophiques anciennes et contradictoires. La Révolution
française et son épilogue napoléonien apparaissent aujourd'hui comme une
suite d'événements qui ont posé et réformé la pensée juridique en profondeur
et le culte de la loi aurait germé sur le terreau révolutionnaire. Logiquement
pour les uns, de manière dévoyée pour les autres. Pour comprendre le désir de
permanence de la doctrine du XIXème siècle, envisageons la conversion
révolutionnaire (86) et sa mesure à travers quelques orateurs de la Révolution.
20. Les orateurs de la Révolution (87) - Ce ne furent pas des théoriciens du droit.
Les plus savants restaient tapis dans l'ombre de ceux qui, à la tribune,
haranguaient leurs pairs du très haut de l'autorité de la Raison. L'intérêt que
l'on portera à cet épisode de notre histoire, où l'on tranchait souvent autre
chose que des cas difficiles, n'est limité qu'à ces discours polémiques et
incantatoires qui fondèrent par la suite l'unité constitutionnelle de la France.
Pilier de cette unité, on trouve l'organisation du pouvoir judiciaire au service
(83) Ch. TOULLIER, Le droit civil français suivant l'ordre du Code, tome 1er, Paris, Renouard, 5ème éd., 1830,
p.6 note (I). Par ailleurs, pour aller plus loin à propos de l'interprétation des lois et du droit naturel, il invite à
la lecture de Pufendorf, Grotius, Heineccius et cite Portalis, ibid., p.117.
(84) Y. BELAVAL, "Religion et fondement du droit chez Leibniz", APD 1973, p.89-90 : "La volonté de Dieu est,
à la fois, puissance, amour, charité répandue sur tous les esprits. La volonté du Prince éclairé doit également
être puissance du droit positif réglé sur la justice du droit naturel".
(85) J.-Ch.-Fl. DEMOLOMBE, Cours de Code Napoléon, tome I, Traité de la publication des effets et de
l'application des lois en général, Paris, Pédone, 1877, préface, p.IV. Que LEIBNIZ fût largement ignoré des
juristes du XIXème siècle est sans doute vrai, mais l'idée reçue qu'il fut ignoré de tous est fausse. Comp.
P. DUBOUCHET, Sémiotique juridique, Paris, PUF, 1990, p.46 ; également MOLINIER, "Notice sur les oeuvres
juridiques de Leibniz", Rev. crit. légis. et jur. 1859, tome 14, p.447.
(86) C. ATIAS, "La conversion révolutionnaire et le droit civil", Corps écrits, n°28, 1988, p.27.
(87) F. FURET et R. HALEVI, Les orateurs de la Révolution française, I. Les constituants, Paris, Gallimard, Bibl.
Pléiade, 1989.
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