Thèse 1999 - UFR Droit et Sciences Sociales

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mot pour mot par la Cour de cassation (1145) . Cela illustre l'idée que l'hypostase
naît du discours argumentatif et comme le montre M. R. Perez-Perdomo, "le
jeu de l'argument d'autorité consiste à faire que l'idée défendue s'impose
comme une évidence (censée être irréfutablement démontrée) en rendant
certain le probable. Ce qui compte n'est pas tant le raisonnement mené par le
locuteur que la façon dont l'évidence s'impose à l'auditeur (1146) ".
Le discours juridique pratique habilement cette rhétorique de l'hypostase
et devient politique quand l'argument d'autorité conforte la permanence des
solutions juridiques et la stabilité des valeurs consacrées par le système (1147) .
Lorsque les représentations théoriques de la continuité, de la sécurité, de
l'autonomie des branches du droit, de l'unité de la théorie générale des
obligations et même de l'unanimité de la doctrine viennent à se confondre
avec ce qu'un auditoire universel pourrait désigner par réalité, elles
deviennent réalité. Sont-elles pour autant indépendantes des sujets
connaissants (1148) , sont-elles des représentations objectives ? Bien sûr que non.
"L'épistémologie démontre aujourd'hui que ce qui est connu n'est jamais
totalement indépendant de celui qui connaît, de la façon qu'il a de connaître,
de ses convictions et de sa démarche intellectuelle (1149) ". Notre droit voit dans
le fonds de commerce une réalité incorporelle alors que d'autres droits
ignorent ce concept. Mais une fois hypostasiée, la représentation théorique
autorise une réflexion qui se veut ontologique sur le concept devenu réalité.
On lira ainsi que la clientèle est l'élément essentiel du fonds de commerce,
quitte parfois à la considérer comme virtuelle (1150) . Toutes les contre-épreuves
(1145) Y. LEQUETTE, "L'influence de l'oeuvre d'Henri Battifol sur la jurisprudence française", Travaux du
comité français de droit international privé, Année 1991-1992, Paris, Pédone, 1994, p.37 : "La théorie de la
localisation que [Battifol] développe dans son fameux ouvrage, dès 1938, lui permet de concilier la liberté de
choix laissée aux parties avec la nécessaire autorité de la loi. Elle sera consacrée mot pour mot par l'arrêt
Mercator : “si la localisation dépend de la volonté des parties, c'est au juge qu'il appartient après avoir
interprété souverainement leur commune intention quant à cette localisation de déduire de celle-ci la loi
applicable" [souligné par nous], v. Cass. civ. 1ère, 5 mars 1980, Rev. crit. DIP 1980, p.576 obs. H. BATIFFOL.
(1146) R. PEREZ PERDOMO, "L'argument d'autorité dans le raisonnement juridique", APD 1972, p.234.
(1147) F. OST, "L'interprétation logique et systématique et le postulat de rationalité du législateur", in M. VAN
DE KERCHOVE (dir.), L'interprétation en droit, Approche interdisciplinaire, Bruxelles, FUSL, 1978, p.136.
(1148) VONGLIS, La lettre et l'esprit de la loi dans la jurisprudence classique et la rhétorique, Paris, Sirey, 1968
: "L'hypostase d'une auctoritas signifie qu'elle ne dépend plus de la dignité de la personne en soi, mais qu'elle
est fonction de la place occupée par cette personne. Dans un sens général, on peut parler d'auctoritas
hypostasiée lorsqu'il s'agit d'une auctoritas qui ne dépend pas exclusivement de la valeur de l'auctor ou qu'on
essaie de fixer dans le temps par n'importe quel moyen extérieur" cité par R. PEREZ PERDOMO, "L'argument
d'autorité …", précité, p.236 note 2.
(1149) C. ATIAS, Épistémologie juridique, précité, n°85, p.166.
(1150) La doctrine avait approuvé la jurisprudence dite des "pompistes de marque" qui rappelant l'exigence
d'une clientèle réelle et certaine avait affirmé que la clientèle d'une station service dont l'exploitation n'avait
pas encore commencé était bien réelle ; v. Cass. com., 27 février 1973, Defrénois 1973, p.1016, note VIATTE ;