Thèse 1999 - UFR Droit et Sciences Sociales

TITRE PREMIER
DE LA FIXITE A LA SECURITE
14. Une brève histoire de la doctrine - Au tournant du XXème siècle, la
doctrine française se représente comme rénovatrice, et plus encore comme
refondatrice du rôle qu'elle s'attribue. Les auteurs entendent renoncer au
dogme de la loi. Ils appuient leurs intentions réformatrices sur une approche
méthodologique détachée de la seule autorité du texte. L'École de l'exégèse
avait rendu un culte à la loi, ils retourneront aux "sources" pour rendre au
droit son véritable sens et en saisir sa pureté. Les jurisconsultes du XIXème
siècle avaient altéré la compréhension du droit, ils s'efforceront d'en montrer
les constantes, et dégageront la synthèse de ses éléments inaltérables (52) . Ce
nouvel esprit juridique souffle depuis les années 1890, depuis qu'avec
R. Saleilles et surtout F. Gény, il convient d'adopter une autre perspective de
pensée. Le travail du juriste ne peut plus se limiter à une exégèse
controversiste dont l'intérêt se limiterait au prétoire ; il ne peut non plus se
satisfaire des études purement spéculatives où les maîtres du XIXème siècle
excellaient (53) . Il s'agit de donner à un "droit vivant" les moyens de conjuguer
les besoins de la pratique et la permanence des textes du Code civil centenaire
en libérant l'interprète de la volonté du législateur (54) . Ce programme consiste
donc à donner à la science du droit les moyens de se développer hors des
frontières que les siècles écoulés avaient tracées pour elle ; il s'agit de la libérer
des contraintes politiques et des idées conservatrices qui l'empêchent de
profiter des évolutions de la connaissance philosophique et en particulier des
progrès de la philosophie des sciences. Invitant le juriste à s'initier à la
linguistique de Saussure (55) , à l'intuitionnisme de Bergson (56) ou à la
l'épistémologie de Poincaré (57) et de Duhem (58) , à utiliser l'économie (59) et
(52)
E. ROGUIN, La science juridique pure, tome 1, Paris, LGDJ, 1923, préface, p.IX-XII.
(53)
R. SALEILLES, préface de F. GENY, Méthode d'interprétation et sources en droit privé positif, tome 1,
Paris, LGDJ, 2ème éd., 1919, p.XVIII-XIX.
(54)
R. SALEILLES, préface de F. GENY, Méthode d'interprétation et sources …, précité, p.XVII : "Étant donné
que la volonté du législateur n'a porté que sur les solutions littérales qu'il a prévues et leurs conséquences les
plus immédiates, pour tout le reste, c'est-à-dire pour le domaine presque indéfini des questions qui s'y
rattachent et au sujet desquelles il faut prendre parti, il y a lieu de choisir une méthode de direction désormais
indépendante de toute recherche de volonté et d'adopter des procédés scientifiques et précis de solution".
(55)
v. F. GENY, Science et technique en droit privé positif, tome III, Troisième partie. Élaboration technique du
droit positif, Paris, Sirey, 1921, p.448.
(56)
F. GENY, Science et technique en droit privé positif, tome I, précité, p.81.
(57)
F. GENY, Science et technique en droit privé positif, tome I, précité, p.6, ou encore p.77 ; v. également
G. RENARD, "La valeur des théories", in Le droit, la logique, le bon sens, Paris, Sirey, 1925, p.39.
(58)
F. GENY, Science et technique en droit privé positif, tome I, précité, p.82.
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