Thèse 1999 - UFR Droit et Sciences Sociales

grands auteurs du XIXème siècle étaient-ils aussi abscons et stériles que le
laissera entendre l'École de la libre recherche scientifique ? C'est très douteux.
Des supports différents de la connaissance juridique coexistent, chacun ayant
une vocation plus ou moins théorique. L'augmentation et la diversification des
supports de diffusion des données juridiques seront-elles un signe de la
meilleure qualité des raisonnements ? C'est encore plus douteux. Mieux vaut
organiser que compiler.
D'une manière analogue à ce qu'avaient fait les auteurs du XVIIIème siècle,
Gény va tenter de réorganiser la science du droit français. La doctrine est plus
que jamais hétérogène et, à cette époque, commencent véritablement à se faire
sentir les influences des philosophies positivistes - Roguin, par exemple, se
réclame de John Austin et publiera en 1923 une Science juridique pure (238) ,
Duguit cite abondamment Comte et se réclame de Durkheim (239) et Marty
s'appuiera sur Cournot (240) . Gény n'est d'ailleurs pas étranger à cela. Loin
d'adhérer à toutes ces théories nouvelles, il n'a de cesse de les présenter pour
en juger la pertinence de sorte que grâce à la large diffusion de ces ouvrages,
ce sera l'ensemble de la philosophie des sciences qui se révélera à la
communauté des juristes. Cela lui sera du reste reproché au titre d'un
éclectisme incohérent (241) . Curieusement, Leibniz et Gény auront essuyé les
mêmes critiques et leurs démarches philosophiques auront finalement été
assez proches. Pour chacun, la remise en ordre du droit prendra la forme
d'une rénovation du droit naturel (242) .
45. Le "donné" et le "construit" - Le renouveau que Gény propose au-delà de
l'abandon du culte du législateur infaillible et omniscient est sans aucun doute
une théorie naturaliste. Il l'affirme et le revendique (243) . Mais la perspective
(238)
E. ROGUIN, La science juridique pure, tome 1, préface précitée, p.IX citant J. AUSTIN, Lectures on
jurisprudence, trad. française, La philosophie de l'ordre positif, M. G. Henry éd., 1894.
(239)
notamment L. DUGUIT, Les transformations générales du droit privé depuis le Code Napoléon, Paris,
F. Alcan, 1912, p.13-14 et p.29 ; D. SALAS, "Droit et institution : Léon Duguit et Maurice Hauriou", in
P. BOURETZ (dir.), La force du droit, Paris, Esprit, 1991, p.196 ; voir également l'analyse faite par F. GENY de
la pensée de L. Duguit, Science et Technique en droit privé positif, tome II, précité, p.190 et s., n°115 et s.
(240)
G. MARTY, La distinction du fait et du droit, précité, p.200.
(241)
F. TERRE, "En relisant Gény", APD 1961, p.125 ; M. VILLEY, "F. Gény et la renaissance du droit
naturel", in Seize essais de philosophie du droit, Paris, Dalloz, 1969, p.137. M. Villey faisait observer l'aspect
trop éclectique de ses inspirations et, tout en louant les efforts accomplis en faveur de la renaissance du droit
naturel par l'auteur de Méthode d'interprétation et sources, il ne manquait d'en constater l'échec.
(242)
J.-L. SOURIOUX, "La doctrine française et le droit naturel dans la première moitié du XXème siècle",
RHFD 1989, n°8, p.155.
(243)
F. GENY, Méthode d'interprétation et sources en droit privé positif, tome 2, 2ème éd., 1919, précité,
n°160, p.93.
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