Thèse 1999 - UFR Droit et Sciences Sociales

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sérieusement, ne doit-on pas admettre que ce qui est décrit comme acquis ou
contestable par l’autorité scientifique est voué, chacun pour sa part, à la
stabilité ou au changement ? Lorsque la doctrine plaide clairement en faveur
du revirement de jurisprudence (1096) , elle dévoile son discours prescriptif de
sorte qu’une fois le revirement arrivé, la prescription doctrinale ne pourra
faire figure d’anticipation, mais lorsque son discours n'emprunte pas la voie du
plaidoyer et demeure en apparence purement descriptif, on sera fondé à
admettre la réalité d'un discours prémonitoire. Toutefois, si la thèse défendue
conformément à la prescience de l'auteur n'emporte pas la conviction des
juristes à venir, elle passera pour une fumeuse spéculation. La difficulté tient
vraisemblablement au fait que la doctrine ne peut se limiter à une activité de
diagnostic du droit positif ; on attend d'elle qu'elle soit capable - et elle se
représente elle-même comme telle - de faire un pronostic du futur droit
positif (1097) .
203. L'interrogation doctrinale - En bref, il suffit que la doctrine s'interroge
pour relancer un débat qui paraissait s'être éteint. Il lui suffit parfois de
souligner le caractère délicat d'une question pour que toutes les vérités
affirmées par ailleurs regagnent leur rang de simple opinion (1098) . Ce pouvoir
de susciter le débat, de maintenir les questions sous un oeil attentif et
finalement de ne pas abandonner les raisonnements aux mains des évidences,
est de même nature que celui qui conduit la Cour de cassation à ne pas
déclasser une question de principe en un principe acquis. Par voie d'argument,
les deux interprètes utilisent de manière concurrente cette faculté de
questionnements mais, à la différence des juges, les auteurs peuvent donner
plus facilement à leurs analyses une consistance prospective. La Cour de
cassation pourra trancher cent fois la même question, la controverse
doctrinale limitera toujours la portée d'une solution ou d'une notion discutée ;
et plus le concept est abstrait, moins les règles légales ou les solutions
prétoriennes sont susceptibles d'en maîtriser l'évolution. La nature de fonds de
commerce en est une illustration étonnante.
(1096) L. VOGEL, "Plaidoyer pour un revirement : contre l'obligation de détermination du prix dans les contrats
de distribution", D. 1995, chr., p.155 ; ou encore G. DURRY, obs. à la RTD civ. 1968, p.152 ; adde, A.
BERNARD et Y. POIRMEUR, "Doctrine civiliste et production normative", in La doctrine juridique, précité,
p.174-175.
(1097) Ph. JESTAZ, "À propos du nom patronymique, diagnostic et pronostic", RTD civ. 1989, p.270.
(1098) par exemple J. MESTRE, obs. à la RTD civ. 1988, p.528 qui souligne qu'en dépit de nombreux travaux sur
la nature des restitutions, les questions qu'elle suscite restent parmi les plus délicates du droit contractuel
contemporain.