Thèse 1999 - UFR Droit et Sciences Sociales

le pouvoir du juge et l'autorité de la jurisprudence, plus il élève la puissance
intellectuelle contre la puissance politique, si toutefois le juge est indépendant
de cette puissance (300) ". Ripert sera critique de Gény, certes, mais participera
de cet élan donné depuis les premières pages de la revue trimestrielle de droit
civil, à l'étude systématique des décisions de la Cour de cassation.
Les autres auteurs majeurs que nous retiendrons de ces années d'entredeux-guerres
seront Julien Bonnecase, Louis Josserand, Henri Capitant, René
Demogue et René Savatier. En dépit des controverses qui opposèrent ces
auteurs sur des sujets "techniques", tous entendirent donner à leurs
raisonnements une consistance théorique décisive. Ces années sont celles de la
rénovation du droit des obligations ; du contrat et de la responsabilité
délictuelle (301) . La doctrine, par l'autorité donnée à la Cour de cassation, a pris
en main la réforme du droit civil positif et a imposé ses vues au législateur,
très habilement, sous couvert de neutralité. Les difficultés liées aux thèses de
Gény et à la conscience d'Adhémar Esmein, de faire de la doctrine "une source
du droit" à travers l'édification du construit, seront éludées par les auteurs des
années 1920-1930. Il vont se ménager un point de vue neutre et en surplomb,
soit en réaction au positivisme en ne se fondant que sur un ordre naturel
donné, soit en adhérant aux thèses normativistes dont la diffusion devient
réelle.
54. Gény et Ripert - Leur différend théorique était tenace, il se révèle à
l'examen de leurs écrits d'arrêtistes. À cet égard, une décision de la Cour de
cassation du 27 mars 1928, commentée par les deux auteurs dans deux revues
concurrentes, constitue un exemple topique de leur divergence
méthodologique (302) . En l'espèce, deux époux, qui avaient été gracieusement
La Cour de cassation présente l'avantage d'assurer, dans l'unité, la permanence de l'interprétation judiciaire.
Par simple contrainte psychologique, la Cour suprême impose à toutes les juridictions qu'elle contrôle une
doctrine juridique qui tend à demeurer semblable à elle-même".
(300) G. RIPERT, La règle morale dans les obligations civiles, précité, n°15 ; adde, G. RIPERT, Le régime
démocratique et le droit civil moderne, Paris, LGDJ, 1936, n°224, p.450 : "Le droit civil ne saurait être dans la
dépendance du pouvoir politique d'un jour, voilà l'idée qui devrait s'imposer à la démocratie comme elle s'était
imposée à l'ancienne Royauté. Qui touche à ce droit touche à l'ordre dans la vie privée des hommes, c'est-àdire
à la civilisation même".
(301) R. SAVATIER, "Vers la socialisation de la responsabilité et des risques éventuels", DH 1931, chr. p.9 :
"Alors qu'on s'était accoutumé à trouver dans le droit des obligations la partie la plus immuable du droit civil,
voici qu'il se révèle profondément ébranlé. Un empire immense, celui de la responsabilité civile est en train de
s'y constituer sous le signe de principes nouveaux encore entourés de brume". L'auteur confirmera sa réflexion
in Les métamorphoses économiques et sociales du droit civil d'aujourd'hui, première série, Paris, Dalloz,
3ème éd., 1964, n°274, p.332.
(302) Cass. civ., 27 mars 1928, S. 1928.1.353, note GENY ; DP 1928.1.145, note RIPERT ; F. TERRE et
Y. LEQUETTE, Les grands arrêts de la jurisprudence civile, 10ème éd., 1994, précité, n°131, p.551 ; sur le
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