Thèse 1999 - UFR Droit et Sciences Sociales

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198. Clients et patients - Pour permettre à un médecin de céder son cabinet, on
invente des qualifications qui font échapper la cession de clientèle médicale à
la nullité, car ce sont des mots à ne pas écrire (1070) . Le tabou est tenace mais il
évolue. Comme le soulignait M. le professeur Zénati, "derrière la simple
reformulation d'une solution classique gît peut être une jurisprudence de
transition" si bien que, "lorsque la pratique aura mis au point les techniques
permettant de constituer les clientèles en entités transmissibles, le couperet de
l'absence d'objet deviendra sélectif et toutes les cessions ne seront plus
nécessairement condamnées (1071) ". On utilise ainsi des euphémismes à l'envi :
on cède des droits de présentation (1072) . Personne n'est dupe et tout le monde
feint d'y croire : "l'impression que laissent les solutions données aux questions
soulevées par la cession de clientèle des professions libérales est celle d'un
ensemble assez anarchique et passablement hypocrite (1073) ".
C'est une donnée morale et culturelle qu'aujourd'hui encore, on se refuse à
confondre le client et le patient. C'est une donnée économique que les
médecins ont un "fonds médical". La contrainte culturelle détermine ici la
qualification du fonds médical ; ni bien, ni objet d'une convention, l'ensemble
des patients constitue cependant la cause même du droit de présentation.
Cette rhétorique dont le seul but est de dépasser un interdit culturel montre
combien l'interprétation scientifique ne suffit pas au juriste. Il lui faut vaincre
lentement des résistances sociales comprimant le champ argumentatif pour
libérer l'imagination et de nouvelles interprétations. L'idée de l'existence d'un
"fonds libéral" fait ainsi son chemin.
Si la Cour de cassation se garde pour l'instant de consacrer ce vocable, elle
admet pourtant pour un cabinet vétérinaire que "la clause de non-concurrence
souscrite par un membre d'une profession libérale au profit d'un confrère à
l'occasion de la cession des éléments constitutifs de son cabinet, doit être sauf
clause contraire, présumée comprise parmi les droits transmis par le
(1070) Cass. civ. 1ère, 7 février 1990, Bull. civ. I, n°38 décidant que la clientèle du médecin "attachée
exclusivement et de façon toujours précaire à la personne de ce praticien est hors du commerce et ne peut faire
l'objet d'une convention" ; v. J. MESTRE, obs. à la RTD civ. 1991, p.325.
(1071) F. ZENATI, obs. sur Cass. civ. 7 février 1990, RTD civ. 1991, p.562.
(1072) Cass. civ. 1ère, 7 juin 1995, D. 1995, p.560 note BEIGNIER : "… si la clientèle d'un médecin ou d'un
chirurgien-dentiste n'est pas dans le commerce, le droit, pour ce médecin ou ce chirurgien-dentiste, de
présenter un confrère à sa clientèle, constitue un droit patrimonial qui peut faire l'objet d'une convention régie
par le droit privé".
(1073) J. HUET, Traité de droit civil, Les principaux contrats spéciaux, Paris, LGDJ, 1996, n°11186, p.137. Voir
également R. SAVATIER, Les métamorphoses économiques et sociales du droit privé d'aujourd'hui, seconde
série, Paris, Dalloz, 1959, n°172, p.201 : "Alors que l'on reconnaît sans difficulté la “propriété” des
commerçants sur leur clientèle, on déguise le même droit sous des expressions contournées quand il s'exerce
sur des clientèles médicales".